Auteur Sujet: Appartiens-moi de Aude Réco  (Lu 47538 fois)

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Appartiens-moi de Aude Réco
« le: jeu. 09/04/2020 à 14:23 »
Appartiens-moi de Aude Réco



1.
Le sol tanguait et menaçait de se retourner, de m’avaler tout cru. Mes jambes me portaient difficilement à cause de l’alcool absorbé tout au long de la soirée. Ma tête aussi tournait. Ma vision n’était que flashs aveuglants et multicolores. Mon ouïe, elle, encaissait mal la rumeur dans le club, exacerbée par mon état d’ébriété, et il me fallait bien le reconnaître, par ma perception d’homme-loup.
Mon propre club m’était étranger. Ses habitués s’apparentaient à une masse gluante qui se tortillait au son des Lupine & the Packerettes . Le groupe se produisait nerveusement sur la grande scène, balayée par les cercles lumineux des spots. Le rythme saccadé de leur morceau me montait à la tête comme une bouffée d’alcool. La chanteuse gueulait dans son micro, habitée d’un enthousiasme qui me filait la migraine. Ici, on remuait, sautait, tapait dans les mains, et chaque claquement résonnait sous mon crâne comme un séisme.
Les lumières crues des plafonniers se déversaient sur l’assemblée. Du jaune, du blanc et du carmin s’entremêlaient dans un festival vomitif à souhait. J’avais le plus grand mal à en détacher le regard. Elles attiraient mon attention avec leur roulement irrégulier, incohérent pour mon esprit ralenti.
Au-delà de la musique, je percevais le tintement des verres sur les tables et le comptoir, le cognement sourd des canettes pleines sur le bois ciré, le froissement des tissus sur les banquettes... Certains piochaient des chips dans les coupelles disposées à cet effet, puis mastiquaient consciencieusement en trinquant. Le bruit des molaires qui broyaient et le mouvement tranquille des mâchoires ajoutaient à mon malaise ambiant. Partout, ce n’étaient que sonorités insupportables, graves ou aiguës, mélangées dans le grand shaker de la bonne humeur, voire de l’ivresse. Elles se répandaient autour de moi par vagues incessantes.
Sur ma droite, du côté des banquettes, régnait une ambiance feutrée, troublée d’éclats de rire et de gloussements. La lumière dorée noyait les jeunes gens en déformant leurs traits sous les rires. Une lueur absente flottait dans leurs yeux embués d’alcool.
Somme toute, moi, chef de la meute des Greuh – de son nom très peu officiel – étais rond comme une queue de pelle. Accessoirement, je me demandais comment j’allais rejoindre mon appartement, car pas question de toucher au volant, ce soir. Peut-être qu’en cherchant bien, je repérerais Daphne, en train de danser sur la piste, une jolie fille collée à elle, ou un beau mec, son petit ami vampire, de préférence. J’eus beau chercher dans le public et essayer de distinguer les fêtards des autres, je ne remarquai pas la grande rousse montée sur ses talons de dix kilomètres de haut. Une femme comme elle, pourtant, n’importe qui l’apercevrait de loin ! Il s’en dégageait une forte aura naturelle, en plus. Elle aimantait les gens sur son passage, mais pas moi. Jamais moi ; je préférais les hommes.
— Bon, à pattes, mon vieux, tentai-je de me motiver.
Il était temps pour moi de me retirer discrètement, c’est-à-dire en évitant mes hommes-loups, ceux-là mêmes qui évoqueraient ma cuite dès le lendemain matin. J’avais déjà tardé à m’imposer à eux à cause de ma réputation de queutard insouciant, alors, si en plus, j’ajoutais « saoulard » sur mon CV de chef de meute...
Je soupirai en me faufilant à travers la foule, qui donnait l’impression de se resserrer pour m’étouffer. Ou bien, c’était mon estomac qui tanguait dangereusement et menaçait de répandre son contenu.
Sans trop comprendre par quel miracle j’atteignis l’entrée du club, je récupérai mon manteau au vestiaire, saluai le beau gosse installé derrière le comptoir et sortis, presque à regret.
L’air froid de l’automne me mordit instantanément les joues. Je remontai mon col pour me protéger du vent glacial qui soufflait sur l’artère principale, toujours bruyante et chargée de véhicules qui roulaient souvent au pas. Il me faudrait l’emprunter, malgré mes jambes flageolantes et mes tripes qui dansaient la carmagnole. L’idée de héler un taxi me traversa l’esprit, mais la perspective de monter en voiture agita mes boyaux. Je plaquai une paume sur ma bouche, pris une profonde inspiration, puis me mis en route.
Haut dans le ciel, la pleine lune semblait m’observer d’un air réprobateur. L’un de ses enfants se torchait la gueule jusqu’à plus soif et se cachait des siens pour éviter un embarras de tous les instants.
Joli boulot, Albern !
Je levai les yeux au ciel, exaspéré par mon propre état – pas tant mon ivresse que le reste. J’avais trop picolé, d’accord, mais les pensées qui claironnaient dans mon esprit me dépassaient. Comme si la pleine lune m’observait réellement et condamnait mon attitude ! Ce n’était qu’un gros caillou dans l’univers, qui s’illuminait à la nuit tombée, un peu comme les guirlandes de Noël en décembre.
— Je t’emmerde, d’abord ! beuglai-je à son intention.
Sur le coup, ça me parut très viril et intelligent, mais, alors que je remontais l’artère, les paupières lourdes et la tête en vrac, je me dis qu’à part passer pour un gros con dans la rue, je n’avais pas brillé par mon originalité.
J’étais crevé. Les dernières semaines avaient été rudes, émotionnellement parlant, sans oublier une meute adverse qui menaçait régulièrement les louveteaux de la mienne. J’en avais sauvés deux d’une attaque-surprise, lancée conjointement par des hommes-loups et des wiccans.
Saleté de magiciens à la con, crachai-je en y repensant.
Pourquoi y songeais-je maintenant plutôt qu’un autre jour ? Parce que, malgré mon état, je n’avais pas encore assez bu pour oublier jusqu’à mon nom ; mon loup veillait au grain. Parce que le problème n’était pas résolu, que Daphne ne semblait pas disposée à accélérer les pourparlers entre les miens et les hommes-loups d’Alexis Gaunelle. Ce connard prétentieux se croyait le roi de la ville, avec ses durs à cuire et ses insinuations. Ma meute lui devait notamment son surnom, et, pour couronner le tout, cette ordure envoyait des wiccans aux fesses de mes louveteaux.
J’avais connu des jours meilleurs, surtout avant de devenir le chef de ma meute, un an plus tôt. Si j’avais su, je me serais abstenu de provoquer mon ex pour lui piquer la place. À l’époque, je l’enviais encore. Aujourd’hui, j’avais perdu mon mec. On ne provoque pas un homme-loup pour lui ravir son titre et lui demander de vous sauter juste après.
— Fais chier, grommelai-je en bifurquant vers le parc, en bas de chez moi.
Un groupe discutait au pied d’un immeuble, l’odeur des parfums et eaux de toilette empuantissant l’air. Je m’empressai de traverser.
J’avais l’impression de marcher depuis des heures, dans le froid. Voilà que je ressassais des souvenirs ! Normalement, l’alcool aurait dû me les épargner. En tout cas, tel était le deal passé avec tous les mojitos que j’avais ingurgités, mais mon loup ne savait pas lâcher prise. Je soupçonnai aussi les températures sibériennes de me remettre les idées à l’endroit. Contre mon gré, sinon, c’était tout de suite moins drôle.
Me dire que je rentrerais bientôt dans un appartement vide pour me coucher dans un lit froid me donnait envie de fuir à toutes jambes. En parfait homme-loup, j’avais besoin de contact, si possible avec mes semblables, mais les autres me prenaient de haut depuis mon arrivée dans la meute. Je préférais suivre le vieil adage « Mieux vaut être seul que mal accompagné ». Mal accompagné, je l’avais été durant les mois où j’avais fréquenté Ismat, ça me suffisait.
La tête ailleurs, je franchis l’une des deux ouvertures dans le muret qui entourait le petit parc. Je gagnais dix minutes en le traversant et évitais l’agitation du centre-ville. Avec mon crâne qui menaçait d’exploser, je préférais couper par quelques arbres regroupés, malgré l’absence d’éclairage. Je n’étais pas à l’abri d’une agression. Même les hommes-loups prennent parfois sur la gueule parce qu’on en veut à leur portefeuille. Le grognement qui émana de derrière les bouleaux me signifia d’ailleurs que je ne couperais pas au dérangement. Quelle soirée de merde ! D’un bout à l’autre...
— Si tu sortais de là, au lieu de ronchonner ? lançai-je sans espoir de réponse.
Une branche craqua dans la semi-pénombre. La lueur orange dégueulasse des lampadaires n’atteignait pas cette partie du parc. D’habitude, je l’évitais, toujours dans l’optique de m’épargner des problèmes. Personne ne m’avait attaqué depuis mon accession au titre, ô combien prestigieux, de chef des Greuh, mais, dans le contexte actuel, mieux valait jouer la prudence. Pour cette raison, je me maudis de m’enfoncer dans l’obscurité pour vérifier ce qu’il se passait. Un pauvre gars pouvait avoir besoin d’un coup de main, savait-on jamais, mais, pour le coup, ledit gars avait plutôt bouffé de la vache enragée.
Tête en avant, il fondit sur moi. Mes réflexes amoindris par l’alcool, je reçus le sommet de son crâne en plein dans le bide. J’expulsai un « Oumph » surpris, reculai de plusieurs pas sous la vigueur de mon assaillant, et me repris. En mordant dans une manche. Simple réflexe.

 
2.
— Aïe ! beuglai-je en me redressant.
Une douleur terrible pulsait dans mon avant-bras.
— C’est quoi votre problème, espèce de gros con ? tempêtai-je.
Abasourdi par l’intensité de la brûlure sous ma peau, je crus que mon sang allait jaillir sous la forme d’un jet puissant.
— Je pensais que c’était ta manche, petit, se dédouana mon agresseur dans un soupir.
— On n’a pas idée d’avoir les dents aussi longues.
Je pressais ma blessure en espérant canaliser l’écoulement du sang. Mon propre sang, merde ! Un fou à lier avait essayé de m’engloutir le bras ! Quel genre de cinglé fait ça ?
— Vous puez l’alcool, constatai-je, obtenant ainsi la réponse à ma question.
— Et, toi, tu es dans la merde jusqu’au cou.
Je me figeai. Ce cinglé n’avait pas l’intention de recommencer, hein ? Il se tenait beaucoup trop près de moi. Je n’osai pas le regarder autrement que de manière détournée. De face, je redoutais qu’il le prenne comme un défi.
— Stresse pas, me fit-il. C’est toi que tu dois craindre, dorénavant.
Je ne comprenais rien. D’un autre côté, je ne cherchai pas non plus à y piger quoi que ce soit. Je douillais sévère, et mon lascar était plein comme une barrique.
— Laissez tomber, maugréai-je.
La paume toujours pressée sur mon avant-bras, j’ignorai l’inconnu et me dirigeai vers la sortie du parc. Une fois suffisamment éloigné, je téléphonerais à mon amie qui suivait les mêmes cours de médecine que moi, afin qu’elle me recouse au besoin. En attendant, je désinfecterais et comprimerais la blessure. J’espérais seulement qu’elle ne serait pas trop vilaine à voir.
— Je vais te raccompagner chez toi, proposa le saoulard en me talonnant.
Casse-toi, enfin !
Il me rattrapa en quelques enjambées.
— Ça va aller, monsieur.
— Non, mais si. Imagine que tu tournes de l’œil.
— J’ai l’habitude du sang.
— Tu veux dire que tu as l’habitude de te faire charcuter tout vif ?
Un sourire amusé apparut sur le visage du gars. Il le fit bien vite disparaître quand je le fusillai du regard.
— Je suis vraiment désolé, je ne voulais pas... Mais tu es sorti de derrière les buissons en grognant, et, moi, j’ai trop bu.
— Je n’ai pas grogné.
— Enfin, bref. Je te raccompagne chez toi.
— Non. Merci.
— Tu auras besoin de moi. Je crois.
— Parce que vous allez encore me sauter dessus ?
En d’autres circonstances, ça ne m’aurait pas déplu. Le type devant moi était plutôt bel homme. Il faisait un poil vieux comparé à moi, mais où il y a de la gêne, tout ça, tout ça.
— Non, non ! Mais... Tu crois qu’à se faire mordre par un homme-loup pendant la pleine lune, on se transforme dans la foulée ?
Je ne pris même pas la peine de répondre. Mon beau gosse se perdait dans ses histoires à dormir debout, et, puisqu’il était question de dormir, le poids de la fatigue sur mes paupières s’accentua. Je souhaitais régler mon problème d’avant-bras le plus vite possible, avaler une tisane et me glisser sous la couette pour faire le tour de l’horloge. Point. Je ne comprenais même pas ce que je fabriquais ici, alors, les élucubrations du premier péquenaud qui passait, non, merci. D’ailleurs, je renouvelai mon refus d’être accompagné. Je ne voulais pas qu’un taré connaisse mon adresse.
— J’insiste !
Et le gros balourd s’interposa entre la sortie et moi. Je tournai les talons pour rejoindre le second passage aménagé dans le muret.
— Je m’appelle Albern, au fait !
— Et ?
— Comme on risque de se côtoyer beaucoup dans les prochains mois...
Une fois de plus, Albern me rattrapa.
— Quoi, c’est pas comme ça qu’on sociabilise ? Je ne l’ai pas fait depuis un moment ; tu me dis si je me trompe.
— Dans l’immédiat, vous me gênez, surtout.
— Ah, oui, sembla-t-il remarquer.
Il recula d’un grand pas.
— Il paraît que j’en impose. Tu n’es pas le premier. Et, sinon, pour la morsure et la pleine lune ?
— Je n’en ai aucune espèce d’idée ! Vous n’aurez qu’à interroger un spécialiste des loups-garous.
Albern serra la main sur mon poignet.
— Aïe !
Il jeta un coup d’œil et, à l’expression de mon visage, comprit qu’il s’agissait de mon bras blessé, avant de s’excuser.
— Tu as raison pour le spécialiste, annonça-t-il d’une voix grave.
Trop grave étant donnée la situation, presque risible, si je n’avais pas eu la peau en charpie et qui collait à la manche de mon pull.
— Tu as raison, mais on parle d’une spécialiste. Elle est wiccane.
— Grand bien lui fasse !
— Tu ne piges pas, gamin : on a besoin de Daphne. Sans elle, c’est la catastrophe, surtout si tu te transformes.
— Si vous ne me poussez pas à bout, promis, je ne me transformerai en rien du tout.
— Ah ! Donc, tu admets ressentir un changement, au fond de toi ?
— Bien sûr que oui ! J’ai mal au bras ! Je souffre le martyre ! exagérai-je.
— T’inquiète, c’est normal.
— De souffrir autant quand on s’est fait croquer ? J’imagine, oui.
Je lâchai un ricanement nerveux. Albern me courait vraiment sur le haricot. Si, dans cinq minutes, il ne dégageait pas avec ses problématiques de merde, je lui sautais à la gorge. Simple et efficace.
— Gamin, on va par là.
Il indiqua l’exacte opposée à mon domicile, pile vers le bruit, dont la rumeur répétitive commençait à me tourner la tête. Au-delà du malaise qui me pendait au nez, j’éprouvais effectivement un changement. Mon ouïe paraissait plus développée et ma vue plus précise. Je distinguais des silhouettes plus détaillées que la normale. À cette distance, j’aurais à peine dû remarquer la forme des sacs à main, pas dû en donner la couleur ni dire qu’ils empestaient le cuir.
— Gamin ! On va par là.
L’appel d’Albern me creva les tympans.
— Moins fort, gémis-je.
— Oh, ça, c’est l’ouïe. Chez moi aussi, ça a commencé avec les oreilles.
— Mais, je t’emmerde, putain ! Ramène-moi chez moi. Je veux dormir.
Ma fatigue augmenta d’un coup, comme si mon corps et mon esprit venaient de se rappeler ce que j’avais fait ces six derniers mois. Comme si j’avais accompli une montagne de trucs en moins de dix minutes, depuis ma rencontre avec Albern. Depuis que celui-ci m’avait mordu, surtout.
Et si c’était vrai ? Si son histoire de morsure et de transformation n’émergeait pas juste d’une cervelle très alcoolisée ? S’il y avait au moins un fond de vérité à ses élucubrations ?
— Gamin ?
Le ton d’Albern se voulut plus doux.
Quand je quittai mes pensées, je me rendis compte que ma vue devenait floue. Les auréoles que projetaient les réverbères m’aveuglaient également.
— Tu tangues, petit.
Je n’écoutais pas Albern. Concentré sur les battements sourds de mon cœur, je me surpris à les entendre comme si je le tenais dans le creux de ma main. Je pouvais presque percevoir le bouillonnement de mon sang autour de ma plaie. C’était proprement immonde !
— Soit tu vas t’évanouir – ce qui m’arrangerait, je te l’avoue –, soit tu vas...
L’hésitation d’Albern à finir sa phrase me harassa un peu plus.
— Soit tu vas devenir une grosse bête poilue avec des crocs de la taille de mon petit doigt.
Tiens, en parlant de poils...
— Fais pas chier, grognai-je en dégageant Albern d’un coup d’épaule.
Mon aîné ne vola pas à proprement dit comme une crêpe, car je notai une résistance de sa part, là où quelqu’un d’autre aurait sans doute fini dans les fourrés, les quatre fers en l’air.
— Gamin...
— Fais pas chier ! répétai-je avec une agressivité qui ne me ressemblait pas.
La situation m’échappait. Vouloir me débarrasser d’un importun était une chose. L’envoyer bouler à plusieurs mètres de distance et avec une force qui me dépassait en était une autre. Sans parler de l’animosité soudaine que j’éprouvais à l’égard d’Albern. Et pourquoi je crevais de faim, alors que je venais de manger ? Pour quelle foutue raison avais-je envie de viande, alors que j’étais végétarien ?
— Tellement de questions, maugréai-je en maintenant mon bras.
Un mal de crâne d’une rare violence avait décrété qu’il camperait là, pendant que son heureux bénéficiaire – moi – maudirait cette soirée vraiment pourrie.
— Mon amie Daphne pourra y répondre. Moi aussi, allez !
Je dévisageai Albern, dont l’impatience devait commencer à se savoir dans tout le parc, la rue entière et sûrement toute la ville.
— Elle est au club, enchaîna Albern. Enfin, je crois, ajouta-t-il à part lui.
— J’ai entendu.
— C’est bien ce qui m’inquiète.
Fermement décidé à en finir, Albern me saisit par le bras – le valide, cette fois – et me tira vers la grande rue.
— Pourquoi ai-je aussi faim ? me lamentai-je.
— Tu piocheras dans les cacahuètes du club.
— J’ai envie de te bouffer, connard ! crachai-je.
Il dut se passer un truc qui m’échappa, car Albern me lâcha sans demander son reste, avant de reculer prudemment. Les mains devant lui, évitant tout geste brusque, il se dirigea, à l’aveugle, vers la sortie de laquelle on approchait.

 
3.
Règle numéro un en présence d’un homme-loup : ne jamais lui tourner le dos. Pile ce que je m’apprêtais à faire pour me carapater. J’avais une bonne excuse : le gosse se transformait à peine. S’il avait déjà terminé sa mutation lunaire, je n’aurais pas pu lui échapper. Je n’aurais même pas essayé.
Là, néanmoins, pour un louveteau en devenir, il attaquait rudement bien. Le coup de patte reçu dans l’épaule, c’était pas du chiqué. La griffe qui laboura généreusement mon omoplate non plus. Je retins un cri de douleur. D’expérience, je savais que ce genre de réaction excite les hommes-loups.
Toujours sous l’emprise de l’alcool, j’allongeai le pas, mais le gamin bondit dans mon dos. Sa mâchoire se referma à un cheveu de moi.
OK, me raisonnai-je. Si tu ne veux pas finir en chair à saucisse pour gros toutou, faut te bouger !
Engager le combat.
L’idée mit un certain temps à faire son nid. Néanmoins, je n’avais pas le choix. Question de survie. De toute façon, si, moi aussi, je me transformais, je collerais une raclée au gamin, et fin de l’histoire. Me métamorphoser en loup, à deux pas du centre-ville, était un très mauvais plan, mais pas plus que crever comme une sous-merde.
Tu me cherches, tu vas me trouver ! On n’attaque pas impunément le chef des Greuh.
Je n’eus toutefois pas l’occasion de montrer les crocs. Mon adversaire, toujours d’apparence humaine, me sauta dessus pour me rouler une pelle. Sa langue força le barrage de mes lèvres ; je le repoussai autant que mes forces me le permirent.
— Espèce de grand malade ! m’écriai-je.
Si le baiser ne me dégoûta pas en soi, la manière dont l’autre m’avait embrassé, elle, si. Devant des promeneurs, en plus ! Si ça venait à se savoir auprès d’Alexis de la meute d’en face... Ou même chez les Greuh... Halala, catastrophe en vue !
C’est bien le moment de soigner ta réputation, me morigénai-je.
Mon loup avait raison : les priorités d’abord. La mienne s’appelait, euh, elle s’appelait et, surtout, venait de m’embrasser de force. Elle disposait d’un corps sexy à souhait – à première vue –, mais se métamorphosait. Et, là, je l’avais contrarié, rembarré suite à sa tentative foireuse de séduction. C’était bien un truc de louveteau, ça, sauter sur tout ce qui bouge pour faire valoir sa supériorité.
Je profitai de la crise d’orgueil du gamin pour me défiler le plus discrètement possible. Pas que la perspective de calmer un louveteau à mains nues me gonflait... En vérité, si. Carrément, même. Sous mon apparence humaine, je ne possédais pas le demi-quart de la force que déployait mon loup. En plus, je le maîtrisais tellement bien que je pouvais éviter de briser le gamin. Un ou deux pains dans la gueule suffiraient, mais je n’avais pas opté pour la transformation en public ; je n’étais pas une bête de foire.
"J'ai décidé d'être heureux parce que c'est bon pour la santé" (Voltaire)

 


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