Auteur Sujet: Hazadef, le nouveau monde T2 de Ana Kori  (Lu 14955 fois)

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Hazadef, le nouveau monde T2 de Ana Kori
« le: jeu. 28/03/2019 à 17:07 »
Hazadef, le nouveau monde T2 de Ana Kori

CHAPITRE 1 – Nouveau monde Échapper aux harpies

Butant sur une souche, le cheval chute, désarçonnant Kédal qui roule dans le dévers. Après une série de culbutes, le nain reste quelques instants étourdi puis il se redresse bien décidé à escalader la pente pour se remettre en selle, mais alors qu’il s’agrippe aux premières racines, il entend un hurlement. Son poney hennit furieusement, appel de détresse bientôt couvert par des cris stridents : elles sont déjà
là. Kédal se ravise et prend finalement la direction opposée.
Malheureusement, ses petites jambes l’empêchent de progresser efficacement. Il est
occupé à enjamber une nouvelle branche lorsque l’un de ces monstres atterrit derrière lui. Kédal se retourne, à califourchon sur le tronc et voit la harpie satisfaite. Elle le toise, savoure cet instant qu’elle préfère : celui durant lequel la partie est finie. Ces quelques secondes qui précèdent la mise à mort, quand la proie se sait perdue, quand elle abandonne la lutte, résignée, offerte.
— Nous manger nain ! salive une nouvelle harpie qui a rejoint la première. — Non, maître dire apporter à lui, comme autres nains.
Xinépée s’avance pour saisir Kédal, mais elle stoppe soudain son geste. Le nain sent le tronc bouger alors même qu’il voit les monstres reculer. Le frôlant, un énorme loup blanc et jaune vient s’interposer entre lui et les harpies. Pendant un court instant, chacun hésite, mais finalement, c’est le loup qui se décide et saute à la gorge d’une harpie juste à droite de Xinépée. Ses crocs se plantent dans le cou, la mâchoire se serre broyant les vertèbres. Le groupe se fige puis la plus grande d’entre elles grogne, ouvre ses ailes et s’envole, bientôt imitée par toutes les autres.
Kédal n’a pas bougé, toujours à califourchon sur le tronc. Il voit alors le loup se retourner, cette fois-ci, les babines baissées. La bête passe devant lui, fait quelques pas puis s’arrête, attendant qu’il se décide à la suivre. Le nain regarde une dernière fois le corps de la harpie sur le sol puis descend de l’arbre couché, trottinant derrière son improbable sauveur.
La nuit est tombée depuis plusieurs heures lorsqu’ils atteignent un camp dans la forêt. De vastes tentes sont dressées autour d’une grande table au bout de laquelle brûle un magnifique feu. À l’opposé du foyer, une femme blonde préside les festivités et rigole aux blagues racontées par l’un des convives. Elle se verse une nouvelle fois du vin, aperçoit le loup qu’elle désigne de son verre.
— Hioule, te voilà revenu de ta chasse !
Le loup baisse la tête comme pour la saluer puis va se coucher non loin, révélant alors le nain qui hésite derrière lui. La femme l’interpelle.
— Alors donc messire nain, Hioule vous a gardé pour plus tard, il me semble ! — Pour... ? Comment ça ? bredouille Kédal.
— Venez vous asseoir ! Fitelli, sers-lui un verre, un nain qui n’a rien à boire n’a rien à dire !
Kédal accepte l’invitation et grimpe sur la chaise proposée, saisit la coupe de vin tendue et la vide d’une traite. Quelqu’un veille à la remplir aussitôt, ainsi trois fois. Enfin calmé et rassasié, il se décide à poser la coupe devant lui et à regarder son hôtesse.
Elle a moins de trente ans, elle est blonde, a de grands yeux verts, une bouche pulpeuse et porte une légère cicatrice sur l'une de ses pommettes. Elle est vêtue d’une chemise blanche mal fermée qui s’ouvre sur son corset dont des seins généreux cherchent à s’échapper à chacun de ses mouvements. Elle a un corsaire noir en partie recouvert de cuissardes beiges.
— Je m’appelle Marinarha. Et toi jeune nain, quel est ton nom ?
— Je me nomme Kédal, Kédal le Grand ! Cette dernière précision déclenche l’hilarité des convives.
— Kédal le Grand, qu’est-ce qui t’a conduit jusque sur mes terres, en Fleurya ? — Je fuis la grande purge.
— La grande purge ? Qu’est-ce que ceci ?
Kédal raconte à l’assemblée attentive que, depuis des dizaines de lunes, les nains disparaissent ou sont exterminés. Des camps entiers ont été rasés, attaqués par des hordes de harpies. Certains survivants racontent que les plus jeunes sont emportés alors que les adultes sont systématiquement tués. Kédal avait trouvé refuge chez son cousin, sur l’île qui abritait leur congrégation, mais elle a été attaquée à son tour. Cette fois, les harpies étaient accompagnées de mages qui ont incendié les fortifications, poussant les fuyards à se réfugier dans des grottes. Alors, l’un des mages a secoué la montagne qui s’est délestée de son sommet, ensevelissant la plupart des nains sous des tonnes de roches. Kédal s’est embarqué sur un navire humain qui avait fait escale. Une fois au large, lorsque les marins l’ont découvert, ils ont craint que les harpies ne les poursuivent. Ils l’ont mis dans un canot et il est arrivé sur cette île. Mais alors qu’il venait d’acheter un poney, elles sont arrivées. Un groupe de harpies qui devait le suivre depuis le départ. Kédal raconte la fuite jusqu’à l’intervention de Hioule.
À la fin de son récit, les rires ont tout à fait cessé et la femme a reposé son verre. Celui qui se nomme Fitelli pose la main sur l’épaule du nain.
— Je suis désolé, poveraccio piccolo !
— Ton cousin, c’est le chef de ta confrérie ? Celui qui se nomme Fronsombre ?
— Se nommait, oui, c’était lui, mais il n’est plus. C’est lui qui m’a aidé à atteindre le
navire et pour me laisser le temps de me cacher, il a affronté des dizaines de ces horreurs. Sa hache a fendu quelques crânes noirs avant de céder.
Marinarha prend le temps d’assimiler la nouvelle. Elle se lève, attrape un pichet de vin et se dirige vers sa tente.
— Obocco, assure-toi que notre invité est bien installé. Reposez-vous messire nain, ici, vous êtes à l’abri.

Le loup se lève et la suit alors qu’un homme s’approche de Kédal.
— Venez avec moi, je vais vous indiquer où dormir.
— Messire Obocco, elle a semblé troublée en apprenant la nouvelle de la mort de
Fronsombre.
— C’était un de ses amis, elle a remporté quelques batailles à ses côtés. Marinarha
ne l’avouera pas, mais messire Kédal, vous venez de lui faire grande peine.
Le nain jette un dernier regard vers les pans de la tente à présent fermés pensant que c’est la providence qui l’a conduit en ces lieux.

***

Pogam guide Okriana, Arkel, Valué et Ariom à travers les rues. À cette heure du jour, l’animation rend la circulation compliquée et la petite troupe peine à avancer. Pogam s’amuse des regards étonnés et des coups de coude d’Okriana à Arkel chaque fois qu’elle découvre une chose nouvelle : un fruit inconnu, un étal de vêtements, un nain, des femmes portant de larges robes qui semblent n’avoir rien d’autre à faire que d’acheter des bijoux. Pogam se souvient encore de sa surprise lorsqu’il a découvert Dhalifa et voir ses amis aussi décontenancés que lui à l’époque, l’amuse.
Au détour d’une rue, ils arrivent sur une grande place. Pogam leur annonce que les quartiers du Prévôt se trouvent dans le grand bâtiment de l’autre côté. Ils accélèrent, soulagés d’être enfin arrivés, mais soudain, Okriana s’arrête. Elle n’a aucun doute, à part l’estrade qui manque, c’est la place sur laquelle elle est venue lors de sa cérémonie de la Révélation. C’est sur cette place que sa sœur hazadhul, Sasha, était jugée. Remarquant qu’elle est restée en arrière, Ariom fait demi-tour.
— Et alors, qu’est-ce que tu fais ?
— Rien. Un instant, j’ai cru reconnaître l’endroit... — Impossible ! Allons, viens !
Il lui attrape le bras et l’entraîne.
Une fois devant le Prévôt, Pogam présente Okriana, précisant qu’elle est reine de son continent d’origine. Cette nouvelle semble laisser le dignitaire indifférent. Il sourit à chacun d’entre eux et tapote les doigts sur le parchemin qu’ils ont interrompu, visiblement impatient d’en reprendre la rédaction. C’est finalement Okriana qui prend la parole.
Nouveau monde, nouvelles règles

— Comme vous l’avez compris, nous venons d’arriver et notre premier souci est de savoir comment fonctionne cet endroit et... Le magistrat l’interrompt.
— Jeilfen, cet endroit s’appelle Jeilfen. C’est le nom de l’île principale et de sa capitale, ainsi c’est plus simple.
— L’île principale ?
— Oui, Jeilfen est un archipel regroupant des milliers d’îles. Ces terres sont toutes à conquérir, mais retenez que gagner sa terre est l’unique moyen de prétendre au titre de noble. Ainsi, il ne suffit pas d’être bien né pour jouir des avantages de la noblesse.
— Et si l’on ne souhaite pas guerroyer ?
— Ceux qui ne peuvent réunir une armée doivent se mettre au service des seigneurs, comme mercenaires. Aucun séjour durable n’est possible sinon, à moins d’être artisan ou marchand.
— Comment se déroulent les combats ?
— La méthode est identique pour tous : un certain nombre de seigneurs, accompagnés de soldats, sont envoyés sur une île. Une fois arrivés, ils doivent soumettre les populations autochtones, avec ou sans alliés. Alors, les combats commencent. Pour que la terre soit réputée pacifiée et détenue, un seigneur seul ou associé à deux autres maximum doit en revendiquer la victoire.
— On doit se battre les uns contre les autres ?
— C’est cela. Cependant, nous préférons éviter que les seigneurs et dames soient systématiquement tués aussi, il suffit de défaire les armées ennemies. Les nobles vaincus sont escortés jusqu’à un navire qui les rapatrie ici.
— Et une fois la paix signée, que se passe-t-il ?
— Vous m’envoyez le traité ainsi, il sera enregistré dans la bibliothèque des propriétés et affiché quelques lunes sur la place publique. Vous pourrez alors disposer de votre nouvelle terre comme il vous plaira et si vous aimez les batailles, vous pourrez recommencer aussi souvent que vous le souhaitez.
— Dans quel but ? s’interroge Ariom.
— Certains seigneurs se sont mis en tête de détenir plus de terres que les autres, une espèce de concours. Sinon, il y a aussi les besoins des confréries qui peuvent exiger de conquérir certaines îles pour s’en approprier les richesses.
— Des confréries ? Qu’est-ce que c’est ?
Cette fois, c’est Valué qui pose la question provoquant un long soupir agacé du Prévôt.
— Bien ! Pour résumer, les nains ont leur confrérie, les humains aussi, les femmes qui n’aiment que les femmes, les vampires, les bardes, les... Bref, si vous souhaitez revendiquer une identité quelconque avec d’autres personnes, vous montez une confrérie pour vous retrouver entre vous. Vous devez juste la déclarer ici.

— Vous dites que les îles sont habitées, que deviennent les habitants, ceux qui vivaient là avant ? s’étonne Okriana.
— Hé bien, disons que c’est laissé à discrétion des gagnants et de la nature des indigènes...
— Vous n’intervenez en aucun cas ? Vous ne vous souciez pas de savoir si ces actes entraînent l’extinction de certains peuples ou races ? insiste-t-elle agacée.
— Non, pas même lorsque tous les belligérants sont tués ainsi, tout le monde a sa chance !
— Sauf que les autochtones n’ont rien choisi, eux !
— Chaque continent a ses règles, je ne me permettrais pas de porter un jugement négatif sur les vôtres ou sur la manière dont vous gérez votre monde ! lui répond sèchement, le Prévôt.
Lorsque les bras chargés de rouleaux divers, le groupe sort de l’ambassade, ils sont tous un peu assommés par la masse et la nature des informations recueillies. Le Prévôt leur a signifié leur inscription pour la conquête d’une nouvelle île : Nostréya. Ils ont à peine quelques lunes pour profiter de la capitale avant leur départ en bateau.
Pogam les conduit jusqu’à une auberge tenue par des religieux ayant l’habitude de recevoir des nobles. Après s’être répartis dans plusieurs chambres, ils se retrouvent à la taverne principale pour un repas. Lors du dîner, ils reviennent sur les indications du Prévôt et sur le prochain départ. Ariom informe sa sœur qu’il ne souhaite pas les accompagner, car il se juge peu adapté aux défis militaires et préfère explorer les lieux pour se familiariser avec les coutumes locales.
En réalité, le jeune prince veut, en toute discrétion, entreprendre des recherches pour retrouver les Vépiraés.
À la fin de leur dîner, ils voient arriver plusieurs seigneurs dans la taverne qui échangent des politesses ainsi que quelques boutades sur des batailles passées ou anecdotes diverses. Certains se font remarquer par leur voix puissante là où d’autres semblent rester en retrait, observant et commentant à peine les conversations. Le groupe de nouveaux venus ne passe pas longtemps inaperçu et c’est Pogam qui répond au guerrier qui les interpelle sur la raison de leur venue. Le pirate évoque avec malice le désir de combattre pour une terre, ce qui semble convenir à tous les curieux.
À un moment, un homme portant un long manteau sombre vient poser une chaise tout près de la reine pour s’asseoir presque contre elle. Arkel saisit la garde de son poignard, mais Okriana lui fait signe de ne pas bouger. L’étranger croit-il que cela signifie qu’il a carte blanche ? En tout cas, dans la seconde qui suit, il pose sa main au-dessus du genou de la jeune femme puis la remonte en appuyant fermement, le long de la cuisse, ses yeux brillants d’envie. Okriana le dévisage, lui sourit puis vient poser sa main sur la sienne tout en se penchant vers son oreille, le temps de lui murmurer quelque chose. Il se lève alors

brutalement. Il secoue la main, hurle, gesticule, tombe puis se relève le bras en feu courant vers la fontaine dans laquelle il se jette. Dans la taverne, les discussions ont cessé et tous les regards convergent quelques instants vers le petit groupe.
Un homme, portant la cape des mages et qui n’a rien raté de la scène, s’adresse à la salle. — On peut dire que certains idiots brûlent d’amour pour les belles femmes !
Tout le monde s’esclaffe. Les conversations reprennent et le mage s’incline légèrement vers Okriana qui lui rend son salut d’un signe de tête.
Plus tard dans la soirée, Okriana rejoint sa chambre promettant à la petite souris sur son épaule que le lendemain matin, elles iront chevaucher hors de la ville. Avant de se séparer, ils ont tous convenu de ce que le rang d’Okriana et d’Ariom devait être gardé secret. Inutile d’attirer la convoitise ou le danger dans ce monde qui semble régi par des lois bien étranges... Pour des étrangers !

***

Nostréya
Simurgh fait des cercles au-dessus de la colline. Okriana, restée dans son campement, est allongée, veillée par Arkel. À l’aide de son Haza de possession animale, elle dirige son wakri et explore chaque jour les lieux grâce à lui et ce qu’elle voit aujourd’hui ne la rassure pas. Les grottes en dessous du volatile sont occupées par des non-vivants. Les prémices de fortifications apparaissent tout autour et si rien n’est fait, cette place sera bientôt inexpugnable. Alors que Simurgh fait un dernier passage, il remarque un homme caché par de la végétation, équipé d’une longue-vue, il observe également l’endroit. Sans aucun doute, il s’agit de l’espion d’un autre seigneur.
Depuis leur arrivée sur Nostréya, ils ont découvert cinq ennemis. Ils en ont déjà attaqué et éliminé deux puis se sont emparés de leur matériel.
Quant à leur propre base, Arkel a astucieusement choisi leur emplacement au bord d’une large falaise limitant les accès pour les belligérants ainsi que la quantité de bois nécessaire à la construction des remparts. Les prisonniers faits lors des assauts précédents ont grossi les rangs des bâtisseurs et combattants, encore un avantage indéniable à en juger par l’état des autres campements jusque-là détectés.
Lorsque l’espion adverse se décide à s’en retourner, Okriana demande à Simurgh de prendre de la hauteur pour le suivre discrètement. Assez rapidement, l’oiseau repère les quartiers du seigneur auquel appartient l’espion, lieux qui semblent jouir d’un développement exceptionnel. L’emplacement se trouve être idéal, à la cime d’une

petite montagne, dans laquelle des grottes, ainsi que de larges escarpements, offrent des refuges naturels. Le tout a été aménagé, renforcé et au sommet, ce qui sera sous peu une vaste tour est en cours d’achèvement. Le wakri vient se poser sur un pin énorme, pour laisser le temps à Okriana de détailler les environs, mais soudain, une flèche frôle l’oiseau qui s’envole aussitôt. Un second projectile passe tout prêt, Simurgh change de cap évitant de justesse deux autres flèches. Okriana, consciente que la taille de son wakri en fait une cible trop facile, lui intime de foncer vers les archers, ce qu’il fait.
En contrebas, sous l’impulsion de leur capitaine, les soldats ajustent leurs tirs lorsque l’animal fait volte-face et plonge vers eux. Un frisson parcourt les hommes, mais le capitaine leur ordonne de tirer. Simurgh replie les ailes, projetant son corps à une vitesse folle vers le sol. Arrivé à quelques mètres, il se redresse, ouvre les ailes et tend ses pattes vers l’avant. Il attrape deux archers, reprend de l’altitude, vire à droite et les lâche sur un autre groupe de soldats. C’est la panique lorsque l’oiseau décide d’attaquer à nouveau. Affolés, tous se mettent à courir dans tous les sens alors que le capitaine leur hurle de tenir la position. Mais alors que Simurgh ouvre à nouveau les ailes se préparant à en faucher d’autres, une voix forte s’élève.
— Assez ! Par pitié, nous sommes alliés !
L’oiseau tourne la tête et un éclair vient le frapper.
Okriana se redresse, haletante. La connexion avec Simurgh est rompue. Arkel comprend aussitôt que quelque chose est arrivé à l’oiseau. Il appelle les Hazadhuls et Valué, ainsi, en à peine quelques minutes, ils sont tous à cheval.
Illya et Okriana guident les cavaliers vers le nord de l’île. À la tombée de la nuit, des lumières en hauteur leur indiquent qu’ils sont presque arrivés. Ils décident d’attaquer sans attendre et empruntent le chemin qui conduit au sommet. À mi-parcours, des torches apparaissent visiblement portées par un groupe qui vient vers eux. Sans hésitation, chacun se saisit de son arme, prêt à en découdre. Un dernier virage et ils feront face à la cohorte qui vient à leur rencontre. Okriana, qui vire la première, voit des hommes à cheval au pas qui ne semblent pas enclins au combat. Celui en tête lève le bras faisant signe de s’arrêter. Illya ralentit bientôt imitée par tous les chevaux. Okriana reconnaît alors l’homme qui mène le cortège. Il s’agit de celui qui est intervenu dans la taverne après l’incident, celui qui portait une cape des mages. Arrivée à sa hauteur, elle ne montre aucune sympathie.
— Où est mon wakri ?
— Wakri ? Il doit s’agir de votre oiseau... Je vais vous conduire à lui, jeune fille, si vous rengainez votre sabre.
— Et pourquoi ferais-je ça ?
— Mais je vous l’ai dit, parce que nous sommes alliés ! — Nous n’avons pas d’alliés ici, intervient Arkel.

— Je le sais Messire, et c’est regrettable, car voyez-vous, vous allez être attaqués dans deux lunes et sans mon aide, rien ne pourra vous sauver.
C’est maintenant Pogam qui s’avance :
— Comment savez-vous cela ?
— Parce que l’on m’a invité à la fête, comme assaillant, et que j’ai promis d’y être,
j’ai juste oublié de préciser le rôle que je souhaitais y jouer...
— Pourquoi nous aider ? demande Okriana.
— Mais parce que vous êtes une énigme, et que je sens que votre venue ici revêt
des intérêts tout autres que la simple conquête insulaire.
— J'ai presque envie de vous retourner le compliment...
— Ne préférez-vous pas venir jusqu’à mes quartiers, constater que votre oiseau va
bien ? Ainsi nous pourrons converser plus agréablement.
Le groupe de la reine échange quelques mots, les Hazadhuls font demi-tour afin de retourner assurer la défense du camp alors que Valué, Okriana, Arkel et Pogam décident de suivre le mage.
Arrivée au pied de la tour, Okriana constate en effet que cet endroit est une forteresse naturelle et ce n’est pas le regard inquiet d’Arkel qui lui indiquera le contraire. Il est évident qu’il sera difficile de refuser l’alliance avec ce seigneur. Un cri aigu attire la reine, elle trouve Simurgh enchaîné par les pattes, un sac noué sur sa tête. Leur hôte fait signe à ses hommes. Les soldats du mage viennent dénouer les nœuds pendant que d’autres ouvrent les bracelets de métal. Sitôt libéré, l’oiseau ouvre les ailes et secoue la tête pour se défaire de ce masque, puis il s’envole. L’oiseau passe au- dessus de la reine et va se poser sur le grand pin.
Okriana s’inquiète.
— Est-il blessé ?
— Non, j’ai juste dû l’endormir afin qu’il cesse de massacrer mes archers. Enfin, nous avons préféré l’attacher, car nous nous doutions que son ou sa propriétaire viendrait le chercher. Je suis ravi que ce soit vous. Suivez-moi.
L’homme les invite à le suivre dans une grotte. Un couloir étroit débouche bientôt sur une vaste salle dont la voûte s’ouvre, formant une cheminée qui permet de laisser brûler un feu sans risquer d’étouffer. Elle a été aménagée avec les quartiers du maître des lieux. Une petite tente abrite son lit, une autre, son bureau et une dernière qui sert de laboratoire équipé de divers alambics, pierres, plantes, boules de visions.
À droite, une table avec des chaises à laquelle il les invite à prendre place. Il fait un signe et sitôt, des adolescents apportent des fruits, de la viande et de la boisson, servant le tout généreusement. Pourtant, ni Okriana ni aucun de ses compagnons ne touche à rien. Constatant ce fait alors qu’il lève son verre pour trinquer, le mage paraît pendant une courte seconde, agacé. Il se ravise aussitôt et s’adresse à Okriana.

— J’ignore quelles sont les coutumes dans votre terre natale, ma chère, mais ici, il est d’usage de boire avec ses amis.
— Ce que je fais, chaque fois que l’occasion m’en est donnée, mais vous, mage, j’ignore qui vous êtes.
— Certes, quel idiot je fais ! Je me présente, je suis Magnist, Grand Sénéchal de l’Ordre des Justes. Et vous, belle enfant, qui êtes-vous ?
— Elle se nomme Okriana, intervient Pogam. Quant à ses amis ici présents, il y a Arkel, Valué, et moi-même, Pogam. Soyez sûr qu’aucun de nous n’est véritablement un enfant.
— Je n’en doute pas, et croyez bien que je ne voulais pas vous vexer, Reine Okriana. — Pourquoi pensez-vous que je suis reine ?
— Je vous ai observés, vous tous, à la taverne, et encore ce soir. Le respect que
porte chacun de vos compagnons à votre égard relève soit de votre statut royal, soit de la crainte que vous leur inspirez. Ma chère enfant, n’y voyez aucune nouvelle flagornerie de ma part, mais je doute que vous soyez une tueuse sanguinaire !
Okriana sourit à cette dernière remarque et se saisit de la coupe remplie, sitôt imitée par ses compagnons. Après avoir trinqué, les coupes sont vidées. La discussion peut reprendre et Magnist explique être venu sur cette île, accompagné de deux seigneurs de son Ordre. Leur unique objectif étant de permettre à Okriana de remporter cette terre afin de s’assurer qu’elle disposera d’un endroit, d’une base à elle, sur Jeilfen. Lorsqu’il est de nouveau interrogé sur ses motivations, il répond encore qu’il est certain que la venue de la reine n’est pas un hasard et qu’il doit, en qualité de Sénéchal de l’Ordre des Justes, tout mettre en œuvre pour épauler les grands projets de paix.
La conversation se poursuit une bonne partie de la nuit et quand, au petit matin, les invités se préparent à repartir, Magnist vient saluer Pogam.
— Cher Pogam, je détecte en vous une véritable intelligence et une réelle sagacité, sachez les utiliser pour conseiller Okriana, elle doit apprendre à user de diplomatie. — Vous êtes habile Magnist, sans aucun doute, mais vous vous trompez sur elle.
— À quel sujet ?
— Le respect que nous lui portons tous n’est pas lié à son titre.
— Serait-ce donc une tueuse sanguinaire ?
— Je vous souhaite de ne jamais savoir répondre à cette question.
Sur le chemin du retour, Okriana échange avec Pogam et ils arrivent tous deux à la même conclusion : cette alliance est nécessaire même s’ils pressentent une grande ruse et surtout, une soif de pouvoir chez le Grand Sénéchal de l’Ordre des Justes.
Ariom cherche Vépiraés

***

Le guerrier fait signe à Ariom de le suivre.
Cet homme, que Pogam a payé le jour de leur départ pour Nostréya, s’est avéré être digne de confiance, malgré son air bourru et son manque de vocabulaire. Le jeune pirate a passé un marché avec lui : il devait accompagner partout Ariom, le défendre et s’assurer qu’il reste en vie. Apparemment, Pogam l’a rencontré lors de sa première venue ici et lui a rendu un grand service, c’est pourquoi ce guerrier semble si dévoué.
Cela fait deux lunes qu’ils chevauchent, car un marchand a affirmé avoir fait négoce avec des femmes de petite taille, vêtues de noir, dans un village à l’ouest. Ariom veut absolument retrouver celle avec qui il a partagé quelque vingt et une nuits alors qu’il était encore sur Hazadef. Sans pouvoir s’en expliquer, il est persuadé qu’un enfant est né de cette liaison fugace.
La forêt s’éclaircit enfin, les premières maisons apparaissent.
— Il était temps, soupire Ariom. Il va faire nuit et je n’aurais pas aimé devoir encore dormir dans cette obscure forêt !
Son compagnon émet un grognement dont il lui est impossible d’affirmer s’il s’agit d’une approbation ou non.
Ils mettent pied à terre et enroulent les rênes des chevaux aux barrières. Malgré l’obscurité qui grandit, aucune torche ne brille dans le village. Ils avancent prudemment, mais chaque mètre leur renvoie la désagréable sensation que l’endroit est abandonné.
Armé de son épée, le guerrier désigne ce qui devait être une auberge, également plongée dans le noir. Arrivés devant la porte, ils trouvent celle-ci entravée, solidement fermée de l’extérieur à l’aide de cordes. Ariom commence à pester, mais l’homme lui pose la main sur la bouche lui montrant des traces de sang séché à leurs pieds. D’instinct, ils reculent et au même instant, une main décharnée apparaît entre les planches, cherchant frénétiquement à les attraper.
La surprise est telle que le jeune Ariom a basculé en arrière. Bientôt, des coups répétés secouent la porte. Encouragés par l’odeur des proies, les monstres tambourinent violemment.
Sans échanger un seul mot, les deux compères font demi-tour et courent vers leurs montures alors que dans leur dos, un fracas indique que la porte vient de céder. Des goules se ruent alors dehors.
Une horde affamée, humant l’air, bavant, fouillant le sol à quatre pattes, cherchant de droite et de gauche, lorsque l’une d’elles les voit. Elle couine et accélère sa course sitôt suivie par les autres. Ariom commence à monter sur son cheval, mais le guerrier lui attrape le bras pour le jeter au sol avant de détacher les montures, de leur fouetter l’arrière-train, pour les envoyer vers les horreurs qui se rapprochent.
Le temps qu’il se relève, Ariom est tiré de nouveau par le bras dans la première maison puis l’homme commence à barricader la porte. Le guerrier pousse des meubles

contre les ouvertures lorsque les hurlements des chevaux s’élèvent, recouvrant quelques instants les grognements infâmes.
— Allume un feu dans la cheminée. Ces goules ont peur du feu et quand elles auront terminé ce repas, elles voudront passer au suivant !
Passé l’étonnement d’entendre son compagnon faire une phrase, Ariom acquiesce et s’empresse de réunir de quoi faire jaillir les flammes.
Durant de longues heures, ils sont restés sans échanger le moindre mot, subissant les sons infâmes de succions, de mastication ou autres bruits de chair que l’on arrache. Il leur fallait résister aux images que cela faisait naître dans leur esprit, ne pas penser qu’il pourrait s’agir de leur propre corps.
Ils ont pris les pieds des chaises, les ont taillés en pointe avant de les coincer dans l’enchevêtrement du mobilier. À l’orée du jour, Ariom a senti la fatigue l’envahir. Il a fermé les yeux, un bref instant, juste deux minutes, avant d’être sorti de son sommeil par le guerrier. Reprenant ses esprits, il constate que la porte a cédé, ainsi que les meubles positionnés en remparts. Une forme sombre s’avance vers eux, baignée d’une lumière matinale, Ariom ne parvient pas à distinguer le visage des assaillants. Le guerrier se place devant lui et lève le bras, mais stoppe aussitôt son geste.
— Dame Siwen ? Que faites-vous ici ? — Ne traînons pas. Suivez-moi !
Le guerrier fait signe à Ariom qui lui emboîte le pas à la suite de leur mystérieuse alliée. Le groupe traverse le village. En passant, Ariom constate que les goules ont été massacrées, toutes décapitées, leur corps reposant près des carcasses des chevaux dévorés. À l’extrémité du village, une cohorte paraît les attendre. La femme fait un signe de tête à un homme en armure qui leur désigne deux chevaux. Bientôt, les cavaliers empruntent un chemin qui serpente jusqu’à rejoindre une large allée. Une demi-lune se passe sans qu’aucun mot ne soit échangé et lorsqu’il pénètre dans la cour d’un manoir, Ariom ne sait quoi penser.
Il descend de sa monture et suit le guerrier. Ils sont conduits vers l’entrée. Leur hôtesse retire son long manteau puis les invite dans un vaste salon. Là, Ariom se risque enfin à poser une question.
— Qui devons-nous remercier ?
— Je suis Siwen, des mers du Nord. Siwen de Landal, exactement.
— Merci dame Siwen, merci de nous avoir tirés de cet enfer et de nous accueillir.
Sommes-nous chez vous ?
— En effet, Messire Ariom.
— Comment connaissez-vous mon nom ?

— Votre nom m’a été donné par la brume, ainsi que votre destination, et le danger que vous encouriez. C’est pourquoi je suis venue vous chercher.
— Vous êtes une magicienne pour ainsi connaître l’avenir ?
— Non, messire Ariom, je ne suis qu’une simple immortelle.
— Immortelle ? Qu’est-ce que ceci ?
— Un vampire ! lui répond le guerrier, avant d’ajouter : Et l’un des plus redoutables !
Ariom, qui ne semble pas connaître cette race, dévisage la femme qui s’approche de lui. Elle est grande, mince, sa peau est claire, laiteuse, ses yeux sont verts et ses cheveux roux tirant franchement sur le rouge sont longs et noués dans une élégante tresse. Son corps athlétique est cintré dans une tunique de couleur sombre. De ses doigts délicats, elle replace une mèche rebelle derrière son oreille.
— À vrai dire, prince Ariom, je vous cherchais. — Pourquoi ?
— Parce que je sais ce que vous avez fait.
— Et, qu’ai-je fait ?
— Vous avez permis que ma race perdure ! ***
Retour à la capitale
Kédal aperçoit, soulagé, les faubourgs de Jeilfen. Depuis leur départ de Fleurya, il y a eu le trajet à cheval jusqu’au bateau, puis la mer durant deux jours. Deux longs jours durant lesquels ils ont peu dormi, secoués par d’immenses vagues et saoulés par un vent tempétueux. Encore presque trois jours ensuite à nouveau à cheval, car ses guides ont préféré éviter le port de la capitale qu’ils soupçonnent d’être surveillé par ceux qui sont à l’origine de l’extermination des nains.
La troupe stoppe à l’entrée de la ville et laisse les chevaux. Marinarha fait signe à Kédal de la suivre et comme si chacun savait exactement ce qu’il a à faire, ils se séparent. Fitelli part dans une ruelle, suivi de quelques comparses. Obocco file seul dans une autre artère de la ville, laissant le nain avec la femme et le loup, car le reste des troupes se dispersent tout à fait.
— Où vont-ils tous ?
— Se renseigner. Un homme seul posant des questions est moins repérable qu’un groupe menant enquête. Qui plus est, la plupart de ces malandrins n’ont aucun engagement avec moi, certains vont donc probablement s’enrôler avec d’autres seigneurs ou dames.
— Comment ? Ils ne sont pas vos guerriers ?
— Non, messire nain, chez les Zangaras, chacun est libre de venir et de partir, quand il le souhaite.
— Les Zangaras ! Vous êtes des Zangaras ? demande-t-il médusé de cette nouvelle.

— Oui Kédal, tu n’avais pas deviné ? Tu es moins malin que tu veux bien le croire !
— C’est que, ils sont réputés artistes, voleurs, conteurs et surtout lâches... Jamais conquérants et encore moins soucieux du devenir des autres.
Marinarha rigole franchement ce qui fait réaliser à Kédal combien il vient de se montrer maladroit. Elle s’arrête et lui pose la main sur l’épaule.
— Kédal, promets-moi de ne jamais dire la vérité au sujet de mon peuple.
— Mais... Pourquoi ? Je ne comprends pas ?
— Parce qu’il est impossible de vivre sereinement avec le poids de l’honneur sur les
épaules. Allons, pressons-nous, nous y sommes presque.
Kédal comprend alors qu’elle se dirige vers les quartiers du Prévôt. Parvenu à l’entrée de la bâtisse, Hioule stoppe et renifle le sol puis il regarde Marinarha, les babines frémissantes. Elle acquiesce et demande à Kédal de se tenir prêt à courir à la moindre alerte.
Le Prévôt les accueille dans son grand bureau d’un œil distrait, occupé à signer des parchemins de sa longue plume rouge dont il plonge délicatement la pointe dans l’encre avant chaque paraphe.
— Prévôt, je viens ordonner une enquête.
— Qui est le plaignant ? répond-il sans relever la tête.
— Messire Fronsombre Millevies.
— La nature de la requête ? continue-t-il, toujours aussi indifférent. — Purge totale.
Cette fois, le Prévôt a stoppé son geste et relève enfin la tête pour observer le trio qui se tient devant lui. Il repose la plume, croise les mains sur le parchemin, puis dévisage Kédal.
— Vous n’êtes pas Messire Fronsombre, me semble-t-il ?
— Non, Prévôt, je suis son cousin, Kédal le Grand.
— Ah ! Ces nains ! Ils ont le sens de l’humour quand il s’agit de se baptiser ! Hé bien,
Messire Kédal ! pourquoi votre cousin ne vient-il pas lui-même exposer sa requête ? — Parce que Messire Fronsombre n’est plus de ce monde, intervient Marinarha.
— C’est regrettable, à plus d’un titre, et notamment lorsqu’il s’agit d’adresser une
requête au Prévôt, et ce, au nom d’un mort.
— Prévôt, l’enquête est demandée en son nom, car il était le protecteur du peuple
nain sur Jeilfen, peuple qui est actuellement chassé et tué. Elle doit donc être inscrite en son nom, à titre posthume, pour que les seigneurs volontaires puissent se faire connaître de vos services. Ainsi ils pourront protéger légalement les survivants et enquêter pour découvrir les raisons de cette purge, et si possible, la faire cesser.

— Dame Marinarha, vous voici bien au fait de nos lois ! lance le Prévôt, visiblement agacé. Vous n’êtes donc pas sans ignorer que ces mêmes lois interdisent l’introduction d’animaux sauvages dans la capitale, s’ils ne sont pas attachés ou enfermés dans une cage.
— Faites-vous référence à moi-même ou à mon chien ?
— Votre chien ?
— Hioule, que vous avez visiblement trop rapidement assimilé à un féroce loup, est
un chien d’une célèbre race chez les Zangaras, et à ce titre, il peut demeurer sans entraves.
— Comme c’est pratique !
— Et pour l’enquête ? s’impatiente Kédal.
— Elle sera annoncée et affichée, dès demain Messire nain.
Le trio fait demi-tour et se dirige vers la porte lorsque le Prévôt les interpelle.
— Il me faut également vous prévenir que Messire Fronsombre Millevies n’étant plus de ce monde, tous ses territoires pourront désormais être proposés pour conquête sauf, si bien entendu, l’armée de ses héritiers suffit à faire renoncer les postulants...
— Espèce de croque-sandales ! Vous savez très bien que je n’ai pas d’armée !
Kédal a traversé la pièce pour se tenir juste devant le grand bureau.
— C’est aussi la loi. Soit vous parvenez à dépêcher des guerriers pour défendre les terres jusqu’ici occupées par votre peuple soit elles seront conquises par d’autres. Sans compter que chacun connaît le don des nains pour découvrir des richesses, je pense que les volontaires vont se bousculer pour s’emparer des trésors miniers !
Kédal fulmine et la moue réjouie du Prévôt ajoute à sa frustration. Marinarha vient vers lui et l’invite d’un geste tendre à la suivre. Ils quittent le bâtiment sans échanger un seul mot, se dirigeant vers la taverne.
À l’intérieur, ils retrouvent Obocco qui est attablé avec un homme. Kédal les rejoint alors que Marinarha salue certains buveurs apparemment ravis de la revoir. Ces retrouvailles se font à l’aide de quelques verres, accompagnés de récits de batailles et d’anecdotes issues d’un passé visiblement agité. Le nain vide sa seconde chope lorsque Marinarha les retrouve enfin.
L’homme qui accompagnait Obocco est parti, mais avant, il a raconté avoir eu le bras brûlé à cause d’une jeune humaine arrivée il y a peu sur Jeilfen. Dans sa version, elle l’a agressé parce qu’il se refusait à elle, ce dont personne n’est vraiment dupe. Kédal sort soudain de sa mélancolie.
— Une humaine, avec des pouvoirs, accompagnée d’un jeune architecte ? Mais je les connais !
— Tu connais une humaine qui a des pouvoirs ? intervient Fitelli qui vient d’arriver.

Kédal révèle qu’il a rencontré, il y a déjà plusieurs centaines de lunes, un jeune aventurier, qui se disait architecte. Ils ont sympathisé et ont passé quelques lunes ensemble. Le nain lui servant de guide dans Jeilfen, enfin, surtout dans la capitale et les cités naines. Il explique que ce jeune aventurier venait d’un monde nommé Hazadef, monde dans lequel vivait une jeune princesse dotée de pouvoirs puissants, comme toutes les guerrières de ce monde. Kédal précise que le jeune homme souhaitait pouvoir l’emmener ici un jour.
— Tu te souviens de son nom ?
— Lui se nomme Pogam, et la princesse, Okriana. — Fitelli, veux-tu aller vérifier ?
L’homme sort rapidement de la taverne alors que Marinarha s’étonne que Kédal ait retenu les noms, surtout celui d’une femme jamais rencontrée.
— Oh ! mais Pogam en parlait tout le temps, car il l’aimait profondément. Il m’a tellement raconté leur vie, ce monde, son peuple, j’ai toujours rêvé de pouvoir y aller un jour.
Fitelli revient avec un parchemin arraché dans la main.
— Nostréya, depuis douze lunes, en son nom à elle.
— Remporté ?
— Non, ils ont débarqué sur Nostréya il y a douze lunes. Et... Magnist est avec eux.
Marinarha prend le parchemin pour vérifier ce que vient de lui annoncer Fitelli, elle parcourt les noms des seigneurs et arrête son doigt sur celui du Sénéchal ; elle soupire.
— Cette jeune personne attire décidément tous les cancrelats de Jeilfen !
— Alors que faisons-nous ?
— Demain, l’enquête sera annoncée au nom de Fronsombre. Recueillons les
volontaires et allons sur les territoires nains pour les défendre face aux harpies et autres charognes qui tenteront de s’emparer des restes.
— Et pour l’humaine ?
— Attendons de voir, si elle est réellement exceptionnelle, elle ne tardera pas à s’emparer de son premier continent.
Marinarha se lève et invite Kédal à aller se coucher. Elle longe le comptoir et claque le postérieur d’un seigneur salué précédemment qui répond en lui saisissant la taille et en l’entraînant vers la sortie.

***

Une victoire pour trois
Okriana retire la lame du corps sans vie et lance un éclair sur une goule qui rampait vers elle. Elle grimpe rapidement sur un rocher puis escalade le remblai pour faire face au reste des troupes. Le seigneur des lieux, un mage noir, psalmodie en direction des sans âme les encourageant toujours plus. Il fait tournoyer des flèches sombres au-dessus de lui qu’il envoie tour à tour contre les assaillants.
Soudain, il réalise qu’un sillon sanglant se dessine face à lui et que des éclairs se rapprochent dangereusement. Il rappelle ses sbires qui viennent se positionner en cercle tout autour pendant qu’il vise, de ses flèches argentées, l’humaine qui avance. Le premier projectile vient se planter dans le bras de la femme, qui geint une seconde avant de retirer la pointe de sa chair et de reprendre sa progression.
Elle court maintenant. Une esquive à droite puis à gauche, elle pose un pied sur un rocher, décapite une goule à chacun de ses mouvements et continue de sauter, rouler, zigzaguer. Le mage lance ses flèches, mais cette fois, aucune n’atteint la cible. Il enrage, incapable d’anticiper les mouvements de cette femelle. Les dernières goules se préparent à se jeter sur Okriana, elle lève son bras qui devient rouge, puis ferme le poing déclenchant l’embrasement des corps. Le mage noir recule, effrayé par les horreurs qui hurlent sous la morsure des flammes. Alors, la jeune femme enjambe les corps carbonisés puis vient placer la lame qui dégouline d’un sang épais et sombre sous la gorge du seigneur des lieux.
— Épargne-moi, femme, tu ne le regretteras pas.
— Je veux que tu danses d’abord.
— Que je danse ?
— Oui, n’as-tu pas aimé ma danse ? C’est la danse des Hazadhuls, montre-moi la danse des mages noirs.
— Les mages ne dansent pas, femme !
— Ah... C’est pour ça qu’ils sont si mauvais guerriers.
Sayf Almundra, le sabre de la reine, s’illumine juste avant de prendre la vie de celui qui régnait jusqu’à présent sur ces terres. Okriana nettoie la lame de son sabre, le regard perdu sur les corps éparpillés. Elle sort de l’enclave où s’était réfugié le mage et retrouve ses troupes. Quelques soldats ont succombé. Aucune Hazadhul n’a perdu la vie, les guerrières ayant bénéficié d’une efficace protection avec les flèches, toujours aussi rapides et précises, de Valué.
Arkel lui sourit. Si leurs alliés ont tenu leur promesse, ils viennent de conquérir leur première île.

De retour au campement, le constat est positif : Magnist a tenu sa parole et a défendu le camp de la reine alors qu’elle attaquait la forteresse sombre du seigneur de ces terres. Le Sénéchal n’est pas venu en personne, mais il leur a laissé une invitation pour le lendemain soir afin que soit officiellement pacifiée cette nouvelle terre. Après presque seize lunes, ils ont débarrassé cet endroit du mage noir qui faisait rayonner ses goules et quelques harpies depuis sa forteresse troglodyte. Ils ont, au passage, chassé des seigneurs venus conquérir ces terres et qui avaient pactisé avec le mal. Okriana est cependant triste, car malgré des restes de villages trouvés, cette île ne semble abriter aucune peuplade autochtone et elle redoute que si un peuple vivait là avant, il ait été décimé par celui qui commandait aux sans âme.
Enfin, il y a eu ce seigneur qui s’est présenté au camp d’Okriana pour offrir son aide. Il a cependant refusé de participer aux combats et a dit n’être venu qu’avec quelques pisteurs, dans le but de cartographier cette terre. Il était arrivé un matin, accompagné de deux hommes et avait proposé de fournir des données précises sur la topographie et la situation des autres seigneurs. Apparemment enclin à aider les nouveaux sur Jeilfen, il leur avait indiqué comment tirer meilleur profit des ressources de ces lieux.
La veille de l’assaut final, il était venu trouver Okriana pour la prévenir qu’il reprenait la mer.
— Si nous sommes victorieux demain, ce sera en partie grâce à vous seigneur. Ne voulez- vous pas revendiquer cette île en notre compagnie ?
— Votre bonté vous honore Okriana, mais je possède bien assez de terres dans cet archipel, et je serai ravi d’être invité par vous sur Nostréya à l’avenir, pour trinquer à votre premier continent.
— Pourquoi n’avoir pas voulu que je vous présente à mon allié, Magnist ?
— Parce que le Sénéchal se méfie de tout le monde et savoir que je vous aide aurait introduit le poison de la défiance entre vous et lui, et ça, je ne le voulais pas.
— Vous vous connaissez donc ?
— Certes.
— Mais vous ne vous appréciez guère ?
— Vous êtes perspicace !
— Et je suis certaine que vous ne me direz pas pourquoi vous ne vous aimez pas ?
— Si vous me le permettez jeune reine, la beauté et l’inexpérience ne suffisent pas à percer tous les secrets des hommes.
— Que voulez-vous ! Je m’en serai voulu de n’avoir pas tenté !
Pendant que Magnist s’avance vers elle, les bras ouverts, ravi de fêter leur victoire, Okriana se surprend à sourire. Elle accepte l’accolade et dépose même un baiser sur la joue de

l’homme qui reste un instant interdit par cette démonstration quelque peu étonnante, et sans conteste, hors protocole.
Arkel, Valué et surtout Pogam, lui jettent un regard réprobateur, mais elle hausse les épaules et suit le Sénéchal qui l’invite à la signature du traité de paix.
Nostréya est attribuée à Okriana, sous protectorat de l’Ordre de Justes. En effet, Magnist a indiqué souhaiter laisser l’île pleine propriété de la jeune reine. Il a juste demandé que le nom de son Ordre apparaisse comme protecteur de ce royaume.
— Et ceci vous permettra également de réclamer notre concours, si vous étiez un jour débordée par des assaillants ou toute autre catastrophe. Alors l’Ordre des Justes sera obligé de venir à votre secours.
— Secourir une jeune reine en détresse, je suis sûre que votre esprit chevaleresque frétille à cette idée !
Pour toute réponse, Magnist s’incline.
Pogam est assis seul depuis un moment, les yeux perdus dans son verre. Okriana enjambe le banc et vient s’asseoir face à lui. Elle claque sa coupe en métal contre celle de son ami et l’invite du regard à boire. Soudain, il comprend que pour la première fois depuis bien longtemps, les yeux de la reine semblent de nouveau briller. Elle lui sourit, passe ses doigts sur sa joue, glisse sa main sur sa nuque tirant délicatement sa tête vers elle puis sans un mot, elle l’embrasse. Ce baiser, si imprévu, si intense, réveille en Pogam le feu qui s’éteignait. Il lui saisit la taille pour la coller contre lui, brûlant d’un désir profond, oubliant que leur fougueuse étreinte est observée par tous les convives. Le silence s’étant fait autour d’eux, ils stoppent et parcourent l’assemblée du regard. Arkel lève son verre en leur direction, comme approuvant leurs retrouvailles. Valué pose ses doigts sur son front, signe de la bénédiction hazadhul. Mais alors que Pogam s’apprête à proposer à Okriana de rentrer au camp, il remarque le regard de Magnist.
Le Sénéchal ne bouge pas, tel un prédateur fixé sur sa proie, il regarde intensément la jeune femme. Il ne paraît même pas savoir que Pogam se tient juste à côté. Il la dévore des yeux et le jeune homme reconnaît la lueur du désir. Au même instant, Okriana remarque la même chose, ce qui provoque une espèce de gène si bien qu’elle se dégage de Pogam et se lève.
Tout bouillonnant, l’architecte vient se planter devant Magnist.
— Elle pourrait être votre fille !
— Et vous, mon fils. Un problème ?
— Je vois comme vous la regardez, sachez je ne vous laisserai pas faire !

— Faire quoi ?
— Elle n’est pas pour vous, vous n’êtes pas à la hauteur.
— Je le sais, mais vous, le savez-vous ?
— Nous sommes faits l’un pour l’autre. Je le sais depuis le premier jour de notre rencontre. — Étiez-vous le père de l’enfant ?
Pogam sursaute et se saisit du bras de Magnist pour l’éloigner du groupe. Arrivé à ce qu’il juge être la bonne distance pour ne pas être entendus, il le lâche.
— Comment savez-vous ?
— Elle vit, se bat et aime comme quelqu’un qui a perdu quelque chose de précieux, et quoi de plus précieux qu’un enfant...
Tout en parlant, le Sénéchal pose la main sur l’épaule du jeune homme.
Pogam se radoucit et accepte l’invitation de Magnist à venir s’asseoir à l’écart. Un jeune garçon vient leur remplir leur coupe puis les laisse seuls.
— Elle a tant perdu, si jeune, et elle a tant souffert. — Vous ne m’avez pas répondu, étiez-vous le père ? — Non.
Magnist ne relève pas, il pose une fois encore sa main sur l’épaule du jeune homme qui a perdu toute sa fougue et qui regarde cette fois tristement Okriana, discutant avec Valué.
— Les Hazadhuls sont belles et courageuses, mais elle est leur reine. Et je sais que tous les hommes la désirent, même vous, je le vois bien, vous cédez à ses charmes... Même Borvo !
À l’annonce de ce nom, Magnist se fige une seconde.
— Qui ?
— Borvo, celui qui nous a aidés. Puis remarquant la mine étonnée du Sénéchal, Pogam lui demande s’il le connaît.

— Il est aussi connu que moi sur Jeilfen. Pourquoi ne pas m’avoir parlé de lui ?
— Je ne sais pas, c’est surtout Okriana qui a traité avec lui, mais moi je voyais bien comment il la regardait et...
— Il vous a aidés à quoi ?
Mais l’arrivée d’Okriana suspend la conversation. Elle indique qu’ils vont devoir rentrer à leur campement, pour laisser le temps aux troupes de Magnist de plier bagage et de prendre la mer. Mais alors qu’elle termine sa phrase, le Sénéchal la coupe sèchement.
— Pourquoi ne pas m’avoir parlé de Borvo ?
— Mais parce que je ne vous dois rien.
— Comment ? Et cette victoire ? Cette nouvelle terre ?
— Voyons Magnist, vous savez comme moi qu’avec ou sans vous, je l’aurais remportée. J’ai juste accepté de vous laisser l’impression d’être mon sauveur, car je vous sais sensible au sauvetage des ingénues, jeunes et jolies de préférence.
— Il suffit de votre arrogance, jeune fille !
Magnist s’est levé, rouge de colère, mais Okriana fait un pas vers lui.
— Non, il suffit de VOTRE arrogance. Vous vouliez m’aider, vous l’avez fait. J’ignore quels plans vous nourrissiez à mon encontre, mais sachez que je suis libre. Libre comme la flamme qui fait briller mon sabre. Libre comme les feux qui sortent de mes mains. Libre comme toutes les Hazadhuls et aussi vaste que soit votre influence en ces lieux, apprenez qu’il est stupide de défier les guerrières d’Hazadef.
Sans lui laisser le temps de répondre, Okriana remonte sur Illya, sitôt suivie de toutes les Hazadhuls qui jettent un regard de défi à l’homme resté debout. Il n’entend pas les salutations de Pogam, Arkel et Valué tant sa colère et sa frustration sont grandes.
Une fois revenu dans sa chambre, il marche quelques instants de long en large lorsque le sol se dérobe sous ses pieds. Il est aspiré dans un vortex de sable sombre et termine lourdement sa chute sur un sol rocailleux. Ses yeux clairs sont rougis. Il les frotte quelques secondes, puis réalise qu’une gueule béante se tient juste devant lui.
— Alors ?
— C’est fait, Monseigneur.
"J'ai décidé d'être heureux parce que c'est bon pour la santé" (Voltaire)

 


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