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Résumé de la discussion

Posté par: Apogon
« le: jeu. 26/05/2022 Ă  18:15 »

Incarnation-T2-Amalia de Daryl Delight



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Prologue

   â€” S’il ne veut pas Ă©coper de deux ans de prison ferme, il ferait mieux de plaider coupable.
   RaphaĂ«l ne sait pas pourquoi il a dĂ©crochĂ©. Il est presque vingt heures, un vendredi soir, et il se trouve toujours Ă  son bureau. Tout ce dont il a envie, c’est de prendre   une bonne douche avant de dĂ©guster un plat chinois qu’il se fera livrer.
   â€” Toutes les preuves sont contre lui, madame Costa, il n’y a aucun doute sur sa culpabilitĂ©. Essayer de mentir au juge ne fera qu’augmenter la peine.
   S’il n’est pas trop fatiguĂ©, il proposera Ă  Loretta de venir passer la nuit chez lui. Il est presque sĂ»r que ça ne se fera pas, car il est crevĂ© et risque de s’endormir devant la tĂ©lĂ©vision après son repas. Ils se verront demain, comme tous les samedis depuis presque un an, et ils feront des galipettes durant tout le week-end.
   â€” La victime l’a reconnu. Votre fils n’est mĂŞme pas capable d’enfiler une cagoule pour braquer une Ă©picerie. Et mĂŞme si on ne distingue pas clairement son visage sur la camĂ©ra de surveillance, il ne fait aucun doute que c’est lui. Les vĂŞtements qu’il portait ce jour-lĂ  ont Ă©tĂ© retrouvĂ©s dans son placard. La police a prĂ©levĂ© des empreintes sur le lieu du crime et ils les compareront assez vite avec les siennes.
   Au tĂ©lĂ©phone, Madame Costa semble sincère. Un peu naĂŻve au vu de la situation se dit RaphaĂ«l. Le fils de  cette femme est loin d’être l’ange qu’elle prĂ©tend connaĂ®tre.
   â€” Je passerai le voir lundi matin Ă  la première heure. La seule solution est qu’il admette son crime. Je tenterai de lui expliquer la situation pour qu’il change d’avis. Je vous assure que c’est pour son bien.
   Mais la mère de famille continue ses supplications. Elle parle vite avec un fort accent italien.
   â€” Je vous rappellerai demain, il se fait tard. Ne vous en faites pas, il est jeune et il n’y a pas eu de blessĂ©. S’il se tient Ă  carreau, il devrait s’en sortir. Je vous laisse. Essayez de vous reposer.
   RaphaĂ«l ne laisse pas son interlocutrice rebondir et coupe la communication immĂ©diatement. Une douche et un plat chinois, ce sont les seules choses auxquelles il pense.
   Il referme son classeur, le range sur l’étagère et Ă©teint l’ordinateur ainsi que les deux lampes aux extrĂ©mitĂ©s de son bureau. Alors qu’il quitte la pièce, la sonnerie du tĂ©lĂ©phone retentit. Cela doit ĂŞtre Madame Costa qui va vouloir qu’on lui rabâche ce qu’elle sait dĂ©jĂ . RaphaĂ«l n’y prĂŞte pas attention. Les livraisons Ă  domicile se terminent Ă  vingt-deux heures et il n’a pas envie de cuisiner ce soir. Madame Costa attendra lundi matin pour pleurnicher.
   Dans l’ascenseur, il se dit qu’il devrait appeler le restaurant pour passer commande. Le temps de prĂ©parer et de livrer, il sera rentrĂ© et aura pris sa douche. Puis il se souvient qu’il n’y a pas de rĂ©seau au sous-sol. Il tĂ©lĂ©phonera sur la route.
   Une secousse. RaphaĂ«l vacille et se rattrape Ă  la rambarde. Les lumières au plafond de la cage mĂ©tallique faiblissent jusqu’à mourir. La cabine est Ă  l’arrĂŞt, plongĂ©e dans le noir.
   â€” C’est pas possible ! Pas maintenant !
   RaphaĂ«l sort son portable de la poche intĂ©rieure de sa veste et l’utilise comme lampe torche. Aucun doute possible, c’est une panne de courant.
   Le bouton d’appel d’urgence est vert. Est-ce que ce truc marche mĂŞme sans Ă©lectricité ? Il en doute, mais s’acharne sur le bouton.
   â€” Allez, s’il vous plaĂ®t !
   Les nĂ©ons au-dessus de lui grĂ©sillent et se rallument. Un bruit de machine qui se met en marche lui fait reprendre espoir. Puis l’ascenseur se remet Ă  fonctionner.
   Fausse alerte. SoulagĂ©, RaphaĂ«l soupire.
   Les portes mĂ©talliques s’ouvrent enfin. Le parking est vide. Encore une fois, il est le dernier Ă  quitter l’immeuble. Il devrait sĂ©rieusement songer Ă  diminuer sa charge de travail.
   Il est presque arrivĂ© Ă  sa voiture quand une nouvelle panne de courant survient. Le noir complet durant quelques secondes. Puis les luminaires de secours prennent le relais. De faibles lueurs rouges l’entourent.
   â€” Très rassurant, souffle-t-il.
   Tout d’un coup, il comprend mieux ce que ressent sa secrĂ©taire. Après dix-huit heures, elle refuse de descendre seule de peur de se faire agresser dans ce sous-sol. Mais tout va bien. RaphaĂ«l est un homme. Il peut se dĂ©fendre en cas de besoin.
   Il pointe le plip sur son vĂ©hicule et presse le bouton oĂą figure un cadenas ouvert. Ses mains sont moites. Un « bip » retentit. Les portières se dĂ©verrouillent.
   Habituellement, RaphaĂ«l n’est pas du genre trouillard. Mais un avocat doit toujours rester sur ses gardes. Dans ce mĂ©tier, il vaut mieux surveiller ses arrières.
   Il accĂ©lère le pas, mais s’arrĂŞte net lorsqu’une silhouette sort de l’ombre et se poste devant la voiture. Elle reste plantĂ©e lĂ , immobile et menaçante comme peut l’être un Ă©tranger qui vous fixe sans raison.
   â€” Je peux vous aider ?
   RaphaĂ«l recule dĂ©jĂ  en posant la question. Il n’a aucunement envie de savoir ce que le type lui veut, car il est Ă©vident qu’il n’a pas affaire Ă  un vieil ami. Le type est plutĂ´t baraquĂ©, et surtout, RaphaĂ«l remarque qu’il tient une arme blanche dans sa main droite. Le manche est noir, la lame crantĂ©e. Ce n’est pas un simple couteau, mais plutĂ´t le genre qui sert Ă  Ă©ventrer un gibier. C’est un vĂ©ritable poignard de chasse.
   RaphaĂ«l sent ses poils se hĂ©risser. L’adrĂ©naline monte. Son instinct lui ordonne de fuir.
   Il fait volte-face et se met Ă  courir. Il est Ă  mi-chemin de l’ascenseur quand il jette un coup d’œil rapide par-dessus son Ă©paule. Le type le poursuit Ă  une cadence effrĂ©nĂ©e. C’est lĂ  qu’il remarque son visage.
   Oui, il connaĂ®t ce visage. Il ne sait plus oĂą il l’a vu, mais il ne lui est pas inconnu.
   Il appuie sur le bouton d’appel de l’ascenseur. Merde ! Il en avait oubliĂ© la panne de courant ! Il part Ă  droite, longe le mur de bĂ©ton et ouvre la première porte.
   Il arrive dans la cage d’escalier et grimpe les premières marches. Son poursuivant a gagnĂ© du terrain, il est juste derrière lui, sa prĂ©sence est palpable. Agir avant qu’il ne soit trop tard. Il est en hauteur, en position de force, attaquer est la meilleure dĂ©fense.
   Il se retourne et balance un coup de pied. Le type esquive d’un geste vif et contre avec un crochet. La lame fend l’air et siffle tandis qu’elle effectue un arc de cercle. La chemise de l’avocat se dĂ©chire, une entaille se dessine sur son torse, le sang gicle.
   RaphaĂ«l tombe sur le dos. Une forte brĂ»lure au niveau de la poitrine l’empĂŞche de profiter pleinement de ses mouvements. Il est toujours en position de force et, après avoir lâchĂ© un grognement, en profite pour envoyer un coup de talon. Sa semelle tape en pleine face et repousse son agresseur qui fait deux pas en arrière. Bien qu’il ait parfaitement visĂ©, son impulsion manquait de puissance. Le type reste debout et revient Ă  la charge.
   Alors qu’il tente de gravir l’escalier, s’aidant de ses mains pour se remettre debout, la lame se plante dans son mollet et ressort ensanglantĂ©e. RaphaĂ«l hurle, d’abord de douleur, puis pour appeler de l’aide.
   Mais personne ne viendra Ă  son secours. L’immeuble est vide.
   Il se relève tant bien que mal et monte difficilement deux marches. Un Ă©clair lui foudroie l’omoplate. Il s’écroule.
   Son agresseur le retourne sur le dos d’un geste brutal. Il le transperce de ses yeux diaboliques.
   Ce visage ! C’est bien lui, il le reconnaĂ®t ! MĂŞme si RaphaĂ«l a du mal Ă  y croire, il ne peut pas nier l’évidence. Ce n’est pas un rĂŞve, la douleur est lĂ  pour le prouver.
   â€” S’il vous...
   Il tente de supplier, mais sa gorge se noue, obstruĂ©e par le sang. Le goĂ»t du fer emplit sa bouche et il ne peut que cracher pour ne pas s’étouffer.
   Son assaillant lève le poing, le poignard haut dans les airs, la lame vers le sol.
   RaphaĂ«l secoue la tĂŞte. Son agresseur reste impassible. L’avocat se demande si ce type a une âme car son visage reste de marbre. Mais il sait que non car il connaĂ®t cet homme, il a Ă©tudiĂ© son cas et il a Ă©tĂ© prouvĂ© qu’il Ă©tait un vrai sociopathe.
   Mais comment peut-il ĂŞtre là ? C’est insensé !
   Puis le coup s’abat violemment. La lame s’enfonce au niveau de son nombril. Elle y reste, se niche entre ses entrailles. Puis elle remonte lentement, se frayant un chemin jusqu’à son estomac.
   RaphaĂ«l hurle, du moins il essaie, car aucun son ne sort de sa bouche. Son assaillant en profite pour plonger ses doigts entre ses dents. Il en ressort la langue qu’il pince avec fermetĂ©. Et il se sert de sa lame pour la charcuter comme un vulgaire morceau de viande.
   RaphaĂ«l n’a plus d’espoir. Trop fatiguĂ© pour lutter, il veut juste fermer les yeux. VoilĂ , c’est ça, s’endormir, ou plutĂ´t s’évanouir, et ne plus ressentir cette insoutenable souffrance. Dormir Ă  tout jamais.

Première partie

Séquelles

   Je me suis enfuie Ă  travers la forĂŞt sans savoir oĂą aller. Bruce Nilsen me pourchassait. Le couteau que je lui avais plantĂ© dans l’épaule n’avait pas suffi Ă  le dissuader de me poursuivre. J’ai zigzaguĂ© Ă  travers les arbres, dans la pĂ©nombre. Ă€ un moment, j’ai cru que je l’avais semĂ©. Puis j’ai trĂ©buchĂ© dans une espèce de fossĂ©.
   La police a dit qu’il avait commencĂ© Ă  creuser la tombe de Daniel. Parce que ce n’était pas l’endroit habituel oĂą il enterrait ses victimes. Bruce Nilsen avait son jardin secret, un lieu qu’il affectionnait, de l’autre cĂ´tĂ©, plus Ă©loignĂ© du manoir. Un cimetière oĂą il enterrait ses jolies fleurs après les avoir sĂ©questrĂ©es et violĂ©es pendant des jours, peut-ĂŞtre des mois. Daniel n’en faisait bien sĂ»r pas partie. L’obsession de Bruce Nilsen pour moi, comme l’ont prouvĂ© les photos qu’il gardait, l’avait forcĂ© Ă  se dĂ©barrasser de mon Ă©poux pour me garder rien qu’à lui.
   Je me suis cachĂ©e dans la fosse oĂą j’avais trĂ©buchĂ© et j’ai recouvert mon corps de terre. Quand ce psychopathe est arrivĂ© Ă  mon niveau, j’étais terrorisĂ©e. Impossible de bouger, de respirer. La semelle de sa chaussure s’est posĂ©e sur ma main et je me suis retenue de hurler Ă  cause de la douleur. Heureusement, il faisait sombre. Il n’a pas remarquĂ© que j’étais lĂ , sous ses pieds, et a continuĂ© son chemin.
   J’aurais pu attendre et tenter de fuir Ă  nouveau, mais je savais que je n’irais pas bien loin. J’étais perdue, loin de la ville. Il me rattraperait tĂ´t ou tard. C’était se battre ou mourir.
   Il Ă©tait dĂ©sormais dos Ă  moi. Je suis sortie de ma planque sans un bruit. J’ai attrapĂ© la pelle dont il s'Ă©tait servi pour creuser le trou par le manche et j’ai frappĂ© de toutes mes forces. Il s’est Ă©croulĂ© et j’ai cognĂ© une seconde fois. J’ai cru que j’en avais fini avec lui, que j’étais sauvĂ©e. Mais j’avais tort.
   En revenant sur mes pas, je l’ai entendu se relever. Bruce Nilsen ne renoncerait jamais. C’est lĂ  que j’ai su que je devrais le tuer si je voulais survivre.

Extrait de « J’ai échappé aux Nilsen »,
écrit par Amalia Scharff


Chapitre 1

   Elle monte les escaliers deux par deux et se rĂ©fugie dans la chambre. La porte se referme violemment après son passage. Elle tourne la clĂ©. Le cliquetis de la serrure la rassure Ă  peine. Elle se jette sur la table de chevet et en ouvre le tiroir.
   Son revolver est toujours armĂ©, six balles dans le barillet. Elle virevolte et le pointe droit devant.
   Elle s’attend Ă  ce que le chambranle de la porte explose, que l’intrus se prĂ©cipite Ă  l’intĂ©rieur de la pièce et lui saute dessus.
   Rien ne se passe. Silence complet. Pour l’instant...
   Son front perle de sueur, elle s’éponge rapidement en penchant la tĂŞte vers son bras. Son t-shirt est moite et lui colle dĂ©sagrĂ©ablement Ă  la peau. Des aurĂ©oles se dessinent sous ses aisselles. Elle est trempĂ©e comme si elle venait de courir un marathon.
   Ses mains tremblent, faisant tressauter le canon de son revolver. Elle baisse l’arme un court instant le temps de dĂ©tendre ses Ă©paules et reprend sa position de tir.
   Toujours rien, la porte est close et il ne tente pas de l’enfoncer, du moins pas encore.
   Elle reste Ă  l’affĂ»t du moindre bruit. Dès qu’il entrera comme un fou furieux et se prĂ©cipitera sur elle, elle appuiera sur la dĂ©tente, plusieurs fois s’il le faut.
   Elle prend une grande inspiration. Il faut se positionner correctement, elle n’aura qu’une seule chance.
   Elle vise le milieu de la porte. Impossible de le louper Ă  cette distance.
   Je suis prĂŞte !
   Elle ne l’est pas, on ne l’est jamais en cas d’agression, mais il faut bien qu’elle se donne du courage.
   Puis elle se souvient que l’homme est grand, très grand. Si elle laisse la mire Ă  ce niveau, elle le touchera au ventre et ce n’est pas assez pour le stopper. Ce type est coriace, physiquement comme moralement, il encaisse. Elle est bien placĂ©e pour le savoir, la dernière fois, il s’était relevĂ© Ă  plusieurs reprises.
   Alors elle vise plus haut, au niveau de la poitrine. Avec le recul de l’arme, le projectile devrait atteindre la tĂŞte.
   Parfait.
   Elle tire le chien du revolver en arrière. Une simple pression sur la dĂ©tente et le coup part.
   C’est bon, elle est prĂŞte Ă  l’accueillir.
   Amène-toi !
   Mais toujours rien. Elle n’entend mĂŞme pas l’escalier craquer sous ses pas.
   Une minute avant, elle se rĂ©veillait avec la gorge sèche. Elle avait dĂ» s’assoupir dans le canapĂ© devant le film. Elle s’était levĂ©e pour se servir un verre d’eau dans la cuisine. Puis, en se retournant vers le salon, elle l’avait vu.
   Il Ă©tait lĂ , devant elle, au fond de la pièce, sa silhouette dessinĂ©e dans la pĂ©nombre. Il sortait de derrière les rideaux et s’avançait vers la table Ă  manger. Puis son visage rempli de mĂ©pris lui Ă©tait apparu. Sa bouche grondait de vengeance tandis que ses yeux brĂ»laient d’un dĂ©sir malsain.
   Sauf que c’est impossible.
   Bruce Nilsen est mort !
   Elle aime se le rĂ©pĂ©ter quand les visions l’assaillent. Ce n’est pas tout le temps lui qu’elle aperçoit, parfois c’est la vieille qui revient la hanter. Mais Bruce est celui qui lui fait le plus peur.
   Tu l’as butĂ© cet enfoiré !
   Elle jurerait pourtant que c’était rĂ©el.
   Un cauchemar ! Tu as fait un cauchemar !
   Son corps ruisselant de sueur le prouve, ce n’était qu’un rĂŞve.
   Comme Ă  chaque fois que cela se produit, elle s’oblige Ă  revivre son calvaire pour s’en persuader. Elle dĂ©teste ça, mais c’est le seul moyen qu’elle a trouvĂ© pour se calmer.
   Elle ferme les yeux. Les flashs l’envahissent.
   Elle est assise sur une chaise, dans cette pièce cachĂ©e du manoir, sombre et humide, ses mains et ses pieds sont ligotĂ©s. Bruce Nilsen pose une main sur sa poitrine. Il gĂ©mit.
   Il est mort et enterré !
   Puis elle le revoit lui courir après, tenter de la rattraper dans la forĂŞt. Elle est perdue, si elle s’arrĂŞte elle sait qu’elle mourra. Elle trĂ©buche, la distance qui la sĂ©pare de son tortionnaire se rĂ©duit.
   Je suis vivante ! Je m’en suis tirĂ©e !
   Elle rouvre les yeux pour s’assurer qu’elle est bien en sĂ©curitĂ©, chez elle, dans sa chambre, une arme chargĂ©e dans la main.
   Les images dans sa tĂŞte sont insoutenables. Elle ne veut que se rappeler de la fin, une fin heureuse si on peut appeler ça comme ça. Elle doit l’être puisqu’elle est vivante.
   Lui par contre, il est mort !
   Elle ferme les paupières et retente l’expĂ©rience.
   Elle se revoit dans le hall du manoir, couverte de terre. Bruce s’approche Ă  grands pas. Elle tient fermement le couteau de cuisine sans le lui montrer. Il tente de la saisir par l’épaule. Elle se retourne et le poignarde en plein cĹ“ur.
   T’es en enfer !
   AllongĂ© par terre, la tĂŞte ensanglantĂ©e, Bruce Nilsen ne respire plus.
   Tu as eu ce que tu mĂ©ritais, salaud !
   Est-ce normal de se sentir mieux avec de telles images en tĂŞte ? Sa psychiatre dirait qu’elle a de sĂ©rieux problèmes. Et elle n’aurait pas tort.
   Ils sont morts !
   Elle rouvre les yeux. Elle est seule dans la chambre.
   Aucun bruit dans la maison. Personne ne tente d’enfoncer la porte.
   Un cauchemar. Elle a fait un cauchemar.
   Rien qu’un rĂŞve...
   Puis, Ă  son rĂ©veil, en allant Ă  la cuisine encore Ă  moitiĂ© endormie, le rĂŞve et la rĂ©alitĂ© se sont entremĂŞlĂ©s. Son cerveau lui a jouĂ© un tour, une fois de plus. Quand cela se produit, son instinct prend le dessus, comme si son esprit Ă©tait restĂ© bloquĂ© au manoir des Nilsen. Il lui faut un temps d’adaptation pour redevenir lucide.
   Elle arrive Ă  s’asseoir sur le lit bien que ses bras refusent de se baisser. Les mains crispĂ©es sur le revolver, son index collĂ© Ă  la dĂ©tente, elle expire longuement.
   Est-ce que Bruce Nilsen est vraiment dans la maison ?
   Non ! Les fantĂ´mes n’existent pas.
   Ses doigts se dĂ©lient enfin de la crosse. Ses muscles se relâchent. Elle repose l’arme.
   Elle n’a pas Ă©teint la tĂ©lĂ©vision dans le salon. Ce n’est pas grave, elle n’a pas le courage de redescendre, d’affronter de nouvelles visions. Cette nuit, elle dormira la lumière allumĂ©e et la porte de sa chambre fermĂ©e Ă  clĂ©. Le revolver restera sur la table de chevet, Ă  portĂ©e de main. Elle s’allonge et se blottit sous la couette.
   Cela fait trois ans qu’Amalia vit dans la terreur.

Chapitre 2

   Kelly Fresnel court Ă  grandes enjambĂ©es. Son visage aux joues Ă©carlates se reflète dans la vitre. Les Ă©couteurs dans les oreilles, la chanteuse Billie Eilish lui raconte que son petit ami est un mauvais garçon. Mais Kelly n’y prĂŞte pas attention, la musique n’est lĂ  que pour la motiver Ă  courir sans freiner le rythme.
   L’horloge digitale murale indique qu’elle galope depuis presque une demi-heure. Trente minutes de course tous les matins, c’est l’objectif qu’elle s’est fixĂ©. Elle s’y tient, et mĂŞme si c’était dur de tenir la cadence les premiers jours, elle y prend goĂ»t. Elle a remarquĂ© que cette dose de sport matinal la tonifiait pour la journĂ©e entière. L’endorphine que son corps produit durant ces trente minutes a un effet relaxant. Elle reste calme face aux situations de stress et sa forme physique en est amĂ©liorĂ©e. Et bon Dieu, qu’est-ce qu’elle dort bien la nuit !
   La session se termine. Elle pose le doigt sur le bouton « moins » et y reste appuyĂ©e deux secondes. Le tapis de course dĂ©cĂ©lère. Kelly marche dĂ©sormais. Puis la machine finit par s’arrĂŞter. Elle inspire profondĂ©ment par le nez et expire par la bouche jusqu’à ce que son pouls ralentisse tandis qu’elle Ă©ponge son cou dĂ©goulinant de sueur avec une serviette oĂą ses initiales sont brodĂ©es.
   Elle passe d’abord par la salle de bains pour prendre une douche, puis descend se servir un cafĂ© dans la cuisine. Elle remonte ensuite et passe, comme Ă  son habitude, dans le grand bureau qui se trouve Ă  cĂ´tĂ© de la chambre.
   Gilles, son mari et associĂ©, est avachi dans son fauteuil, les pieds posĂ©s sur le bureau. Il est dĂ©jĂ  en train d’éplucher les manuscrits.
   â€” Vingt pages et je m’ennuie dĂ©jĂ , dit-il en voyant Kelly entrer.
   â€” Et si tu continuais un peu au lieu de juger si peu de pages ?
   â€” Il faut accrocher le lecteur dès le premier chapitre !
   â€” Si ce manuscrit est sur ton bureau, c’est qu’il a passĂ© les premières phases de lecture.
   â€” On se demande bien comment une telle chose a pu arriver !
   â€” Donne-lui une chance.
   â€” Tu crois que les Ă©tudiants qu’on engage lisent vraiment les manuscrits. Non parce que ce n’est pas avec cette histoire de magie noire qu’on vendra des millions d’exemplaires. Rien que le rĂ©sumĂ© est bancal.
   â€” Une quatrième de couverture ne rĂ©vèle pas toutes les intrigues.
   â€” Si je lis la quatrième de couverture dans une librairie, je le repose directement sans le feuilleter. Et on ne veut pas que les clients reposent le livre, mais qu’ils passent Ă  la caisse !
   â€” Tu te souviens de ce qu’ils disaient pour Harry Potter. Tu vois le rĂ©sultat. On ne peut pas connaĂ®tre un succès Ă  l’avance. En plus, un rĂ©sumĂ© se modifie assez vite.
   Gilles porte sa cigarette Ă©lectronique Ă  ses lèvres, tire une Ă©norme bouffĂ©e puis recrache un nuage de fumĂ©e qui lui voile le visage.
   â€” Tu sais ce que les lecteurs attendent ?
   Bien que Kelly connaisse la rĂ©ponse, elle fait mine que non en haussant les Ă©paules.
   â€” Le prochain Amalia Scharff !
   Gilles a les yeux qui pĂ©tillent en prononçant le nom magique.
   â€” Ah oui ? Et pour raconter quoi ?
   â€” Sa vie, son quotidien, comment elle se reconstruit.
   â€” Son histoire a dĂ©jĂ  Ă©tĂ© publiĂ©e. Elle n’est pas autrice de vocation.
   â€” Les gens adorent sa plume, sa personnalitĂ©. C’est une survivante. Le public se fiche qu’elle parle de ces foutus Nilsen. Ils en ont dĂ©jĂ  assez avec tous les documentaires et reportages Ă  la tĂ©lĂ©vision. Ils veulent juste lire son prochain livre, la voir Ă©voluer, qu’elle aille de l’avant.
   â€” Elle doit trouver sa voie.
   â€” Qu’elle Ă©crive de la fiction si ça lui chante. De la fantaisie ou une romance. N’importe quoi !
   â€” Ça ne se fait pas du jour au lendemain. Laisse-lui un peu de temps.
   â€” Ça va bientĂ´t faire deux ans qu’on attend. Elle raconte ce qu’elle a envie, on s’en fout ! Si elle ne veut pas se mettre au boulot, j’attrape la première bouse qui passe sur mon bureau et je colle son nom dessus.
   â€” Chiche ?
   Il marque une pause, lève les sourcils et affiche un petit rictus. Il abandonne très vite son air sĂ©rieux qui ne trompe pas sa femme.
   â€” Non, bien sĂ»r que non. On est pas ce genre de maison d’édition.
   â€” Heureuse de te l’entendre dire.
   â€” On a une Ă©thique Ă  prĂ©server. Si ce n’était pas le cas, on aurait dĂ©jĂ  signĂ© une star de la tĂ©lĂ©-rĂ©alitĂ©. Dis-lui de nous pondre un nouveau livre, c’est tout. Je sais que ce ne sera pas parfait, mais on est lĂ  pour l’aider Ă  corriger ses erreurs.
   â€” Oui, je vais lui passer le message.
   Elle quitte le bureau de son mari pour rejoindre le sien qui se trouve Ă  l’autre bout du palier, en face de la salle de sport, et s’installe derrière son ordinateur. Il est neuf heures, un peu tĂ´t pour passer un coup de tĂ©lĂ©phone. Alors elle rĂ©pond Ă  ses courriels.
   Elle ne peut s’empĂŞcher de penser Ă  sa discussion avec Gilles. Amalia est la poule aux Ĺ“ufs d’or des Ă©ditions Fresnel. C’est Ă  elle qu’ils doivent leur notoriĂ©tĂ© aujourd’hui. Et c’est grâce Ă  son livre qu’ils vivent dans ce spacieux appartement.
   Il y a deux ans Ă  peine, ils habitaient encore dans un logement social. La maison d’édition peinait Ă  se faire une place et Ă  trouver son public. Ils publiaient quelques romans sur internet, mais les librairies les snobaient. Ce fut diffĂ©rent lorsque « J’ai Ă©chappĂ© aux Nilsen » fut annoncĂ©. Les lecteurs s’étaient ruĂ©s dessus et les libraires voulaient leur part du gâteau. La diffusion dans tout le pays Ă©tait assurĂ©e.
   Kelly avait rĂ©ussi Ă  contacter Amalia Scharff quelques mois après les Ă©vĂ©nements tragiques survenus au manoir des Nilsen. C’était son idĂ©e de publier un livre sur le rĂ©cit de la survivante. Les Nilsen faisaient fureur dans les mĂ©dias et Amalia Ă©tait considĂ©rĂ©e comme une hĂ©roĂŻne. Kelly avait prĂ©vu d’engager un auteur fantĂ´me pour lui prĂŞter sa plume. Amalia n’avait juste qu’à retranscrire les grandes lignes de son tĂ©moignage, la maison d’édition s’occuperait du reste.
   Puis, Amalia avait commencĂ© Ă  Ă©crire et, contre toute attente, son style s’était avĂ©rĂ© efficace. Il avait fallu retravailler le premier jet, mais dans l’ensemble, Amalia Scharff s’en Ă©tait plutĂ´t bien sortie. MĂŞme très bien, en rĂ©alitĂ©.
   Aujourd’hui, deux ans plus tard, les ventes ont fortement baissĂ©. Gilles et Kelly publient de nombreux auteurs, mais aucun n’arrive Ă  se hisser au rang de best-seller.
   Amalia est encore populaire. Kelly sait que le public adorerait retrouver Amalia Scharff dans leurs bibliothèques. Elle est convaincue qu’elle peut accoucher d’un excellent bouquin. Il faut juste la motiver un peu.
   Et c’est bien ce qu’elle compte faire.

Chapitre 3

   L’ordinateur portable est allumĂ© sur la table basse du salon. Le traitement de texte affiche une page blanche. Le curseur clignote en attente d’instructions.
   Amalia ne sait pas par oĂą commencer. Ses doigts glissent sur le clavier, mais impossible d’appuyer sur les touches. Qu’est-ce qu’elle peut bien raconter ?
   Aucune idĂ©e !
   Son livre n’est qu’un accident, un tĂ©moignage de ses mĂ©saventures. Si elle n’était pas retournĂ©e dans ce satanĂ© manoir, rien de tout ça ne serait arrivĂ©, et elle n’aurait jamais publiĂ© de livre. Elle n’a pas d’imagination et n’a jamais Ă©tĂ© douĂ©e en français. Alors pourquoi Ă©crirait-elle Ă  nouveau ?
   â€” Ils veulent savoir ce que tu deviens, lui dit souvent Kelly Fresnel.
   Ce qu’elle devient ? Une folle qui hallucine et ne peut pas passer une nuit sans rĂŞver du croque-mitaine. VoilĂ  ce qu’elle devient.
   OK. On essaie.
   Elle pianote sur le clavier et les mots apparaissent sur la page. Puis elle s’arrĂŞte.
   Tout le monde s’en fout ! C’est ce couple de psychopathes qui les a intĂ©ressĂ©s dans cette affaire, pas toi !
   Elle efface. La page redevient blanche. Elle n’a aucune bonne raison de raconter sa vie. Elle ferait mieux de trouver un boulot.
   Foutu syndrome de l’imposteur !
   Amalia a dĂ©couvert ce phĂ©nomène sur internet. Sauf que ce n’est pas un syndrome, c’est la vĂ©ritĂ©. Amalia est une imposture. Qui est-elle pour prĂ©tendre Ă©crire des romans ? Elle n’est personne ! Juste une victime que le voyeurisme malsain des journalistes a propulsĂ©e en tĂŞte des ventes. Pourquoi prendrait-elle la place de vrais auteurs ?
   C’est devenu une routine. S’asseoir devant l’écran blanc et gamberger sur sa notoriĂ©tĂ©. Très vite, elle rĂ©alisera qu’elle n’est pas autrice de vocation et elle abandonnera l’ordinateur.
   Le tĂ©lĂ©phone portable se met Ă  vibrer. L’écran s’illumine. Le nom de Lucien Bolard apparaĂ®t. Amalia rĂ©pond immĂ©diatement.
   â€” Bonjour, Lieutenant.
   â€” Comment allez-vous, Mademoiselle Delassalle ?
   Delassalle est son nom de jeune fille. Le divorce avec Daniel Scharff n’ayant jamais Ă©tĂ© prononcĂ©, Amalia est considĂ©rĂ©e comme veuve. Lorsque les mĂ©dias se sont emparĂ©s de l’affaire Nilsen, Amalia Ă©tait citĂ©e par son nom d’épouse. Elle est donc connue du grand public comme Ă©tant Madame Scharff. Et il Ă©tait logique de le garder comme pseudonyme pour son roman. Une idĂ©e de Kelly, son Ă©ditrice.
   â€” Je vais bien, Lieutenant, et vous ?
   Elle ne lui laisse pas le temps de rĂ©agir et enchaĂ®ne :
   â€” Laissez-moi deviner... comme un flic Ă  la retraite ?
   C’est ce que le lieutenant Bolard rĂ©pond Ă  chaque fois qu’Amalia lui pose la question.
   â€” Exactement ! Comme un flic Ă  la retraite. Mais Ă  vous Ă©couter, je crois comprendre que mon disque est rayĂ©.
   â€” Ne changez rien. C’est toujours un plaisir de vous entendre.
   Le lieutenant Bolard prend des nouvelles de la jeune femme tous les mois. Ils se sont liĂ©s d’amitiĂ© alors qu’il supervisait les recherches sur l’affaire Nilsen. Son dernier dossier avant sa retraite.
   â€” J’ai malheureusement une mauvaise nouvelle Ă  vous annoncer. RaphaĂ«l Cipriano est dĂ©cĂ©dĂ©.
   Le souffle d’Amalia se coupe un court instant. Est-ce qu’elle a bien entendu ?
   â€” Quoi ?
   â€” Il a Ă©tĂ© sauvagement assassinĂ©. On l’a retrouvĂ© les tripes Ă  l’air en bas de son cabinet. Et ce n’est pas tout. Son assassin lui a sectionnĂ© la langue.
   â€” Mon Dieu !
   â€” Oh mince, excusez-moi pour les dĂ©tails. Je me comporte encore comme un flic sur le terrain. Un ancien collègue m’a prĂ©venu ce matin. J’ai hĂ©sitĂ© Ă  vous en parler, mais vous l’auriez appris par la tĂ©lĂ©vision de toute façon.
   â€” Qui a fait ça ?
   â€” On ne le sait pas encore. Tout porte Ă  croire qu’il s’agit d’une vengeance. Il est devenu populaire après vous avoir reprĂ©sentĂ© dans les mĂ©dias. Il a dĂ©fendu des gens bien, et aussi des gens mauvais. Mais il est toujours restĂ© intègre. Un bon avocat se fait des ennemis, c’est inĂ©vitable. La police Ă©pluche les dossiers de ses clients et de ses adversaires en ce moment mĂŞme. Surtout ceux qui ont fait de la prison et qui pourraient lui en vouloir.
   Amalia reste sans voix. Après un petit temps d’attente, le lieutenant Bolard l’interpelle.
   â€” Tout va bien ?
   â€” Je suis juste un peu bouleversĂ©e par ce que je viens d’apprendre.
   â€” J’ai Ă©tĂ© dans le mĂŞme Ă©tat que vous. Je vous prĂ©viendrai de l’avancement de l’enquĂŞte. Et du jour de l’enterrement si vous souhaitez y assister. MĂŞme si je sais que vous ne voulez plus revenir dans le coin. Ne vous sentez pas obligĂ©e.
   Amalia a changĂ© de ville, pas trop loin pour rester dans la rĂ©gion, mais assez pour essayer de se reconstruire. Elle a dĂ©mĂ©nagĂ© après la publication de son livre. Son ancienne adresse Ă©tait connue de tout le monde Ă  cause des journalistes qui ne se privaient pas pour filmer la maison, par vengeance, peut-ĂŞtre, parce qu’Amalia refusait les interviews. Chaque semaine, elle recevait des lettres de fans. Certains l’admiraient et leur soutien Ă©tait touchant, mais il y a aussi eu des dĂ©traquĂ©s. Les admirateurs de la famille Nilsen la menaçaient sans cesse. Comment peut-on soutenir de tels psychopathes ? Amalia n’a jamais compris. Puis, il y a eu les obsĂ©dĂ©s qui voulaient la rencontrer. Ceux-lĂ  ne prenaient pas de pincette pour Ă©voquer leurs fantasmes. Certains  souhaitaient mĂŞme reproduire ce qu’elle avait vĂ©cu, allant jusqu’à lui proposer de  la sĂ©questrer en reprenant le rĂ´le de Bruce Nilsen. Ces gens sont fous !
   â€” En tout cas, continue Bolard, si vous passez par ici, Judith et moi serions ravis de vous inviter Ă  dĂ®ner.
   â€” C’est gentil, Lieutenant, mais il est prĂ©fĂ©rable que je reste Ă©loignĂ©e. Je ne veux pas raviver les mauvais souvenirs.
   â€” C’est comprĂ©hensible, jeune fille. Ce n’est pas moi qui vous en blâmerais. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, n’hĂ©sitez pas Ă  me passer un coup de fil.
   â€” Je n’y manquerai pas. Pareil, si je peux vous rendre service.
   Ce n’est qu’une formule de politesse. Amalia ne voit pas en quoi elle pourrait aider le lieutenant.
   De son cĂ´tĂ©, Lucien Bolard n’ose pas demander. Son regard se tourne vers la pile de feuilles posĂ©es sur son bureau. Lui, n’a pas eu de mal Ă  Ă©crire son roman. Un vieux rĂŞve qu’il a tenu Ă  rĂ©aliser. Il a bien un ordinateur, mais le texte a entièrement Ă©tĂ© rĂ©digĂ© sur une vieille machine Ă  Ă©crire. C’est comme ça qu’il idĂ©alise les Ă©crivains, les vrais, ceux qui l’ont fait rĂŞver quand il Ă©tait plus jeune. Ils pianotent sur des touches qui font un boucan pas possible Ă  chaque lettre qui s’inscrit Ă  l’encre indĂ©lĂ©bile sur le papier. Et lorsque c’est mauvais, ils retirent la feuille, la roulent en boule et la jettent Ă  la corbeille. Il a gaspillĂ© pas mal de papier, mais il vient de terminer sa première phase de relecture et aimerait qu’une maison d’édition le publie. La plupart des ex-flics le font, certains deviennent cĂ©lèbres. Après quarante ans de mĂ©tier dans le milieu, il sait comment se dĂ©roule une enquĂŞte et n’a pas hĂ©sitĂ© Ă  se servir de son expĂ©rience.
   Oui, Lucien Bolard aimerait que son roman policier soit sur les Ă©tagères des librairies. Mais il n’en dira rien Ă  Amalia pour le moment.

Chapitre 4

   Quand la communication s’interrompt, Amalia reste tout d’abord paralysĂ©e. Elle n’a pas voulu laisser paraĂ®tre ses Ă©motions au lieutenant, mais le meurtre de Cipriano la renvoie Ă  ses propres dĂ©mons.
   Sa main se met Ă  trembler. Lorsqu’elle tente de poser le tĂ©lĂ©phone sur la table, il lui glisse des mains et tombe sur le tapis persan. Elle suffoque et respire anormalement fort en cherchant Ă  ramener de l’air dans ses poumons. Une crise de panique, cela fait longtemps que ça ne lui est pas arrivĂ©. Elle a l’impression que sa cage thoracique se compresse, que ses cĂ´tes vont se briser et perforer ses organes.
   Respire, ma belle !
   Elle pense tout d’abord Ă  prendre un sac en papier pour calmer son hyperventilation, mais alors qu’elle se lève, elle manque de tomber.
   Ses yeux la trahissent. La rĂ©alitĂ© se dĂ©forme. Un voile lui floute la vue.
   Elle rejoint difficilement le couloir et monte les escaliers en titubant tout en se tenant des deux mains Ă  la rambarde. La boĂ®te Ă  pharmacie se trouve dans la salle de bains. C’est lĂ  oĂą sont rangĂ©s les mĂ©dicaments prescrits par la psychiatre en cas de crise de panique. Amalia n’en a ingurgitĂ© que quatre fois cette annĂ©e et elle pensait en avoir terminĂ©.
   Elle ouvre difficilement le placard au-dessus du lavabo, s’empare du flacon et fait sauter le couvercle qui rebondit sur la porcelaine. Elle renverse les cachets dans la         
paume de sa main, deux exactement, et les porte à sa bouche. Elle actionne le robinet, mets ses mains en coupe et avale les comprimés avec un peu d’eau.
   Calme-toi, ça va passer.
   Elle fait deux pas vers la serviette qui sèche sur le radiateur pour s’essuyer le visage. Ses jambes sont en coton. Des fourmis lui rongent les mollets.
   Le voile flou se dissipe lĂ©gèrement. Son front collĂ© Ă  la fenĂŞtre, elle respire un peu mieux.
   Dehors, les arbres sont de plus en plus nets.
   VoilĂ , c’est bientĂ´t fini. Inspire par le nez. Expire par la bouche.
   Est-ce qu’elle peut discerner l’abri de jardin ?
   Concentre-toi !
   Oui, elle l’aperçoit de plus en plus clairement. Le tranquillisant agit bien.
   Son attention se porte plus Ă  gauche. LĂ  oĂą il n’y a, normalement, que de la verdure, elle perçoit une forme humaine reconnaissable entre mille.
   Ton imagination ! Rien d’autre !
   Elle se frotte les yeux. C’est encore vague, mais elle distingue une vieille femme, de taille moyenne, les cheveux grisonnants.
   Non, pas elle...
   Amalia sait très bien de qui il s’agit. Oui, c’est cette vieille folle de Miss Nilsen.
   Elle n’est plus de ce monde !
   La vieille femme la fusille du regard. La duretĂ© de son visage ne laisse aucun doute quant Ă  ses intentions. Sa mâchoire serrĂ©e et ses sourcils froncĂ©s montrent qu’elle bouillonne de colère. Sa tĂŞte tremblote de droite Ă  gauche comme si elle retenait un cri. Ses dents se dĂ©voilent dans une grimace menaçante.
   Sur sa poitrine, des taches rouges apparaissent. Aux mĂŞmes endroits oĂą les plombs l’ont transpercĂ©e quand Amalia a tirĂ© cette cartouche de fusil. Les taches grossissent de plus en plus et maculent le chandail blanc jusqu’à le noyer complètement.
   Elle est morte !
   Puis Miss Nilsen se met Ă  courir en direction de la maison. Elle va vite, trop rapide pour une vieille dame.
   â€” Ce n’est pas rĂ©el ! grogne Amalia.
   La vieille folle a dĂ©jĂ  parcouru la moitiĂ© du terrain. Ses mouvements sont rigides comme ceux d’un soldat.
   Tout ça se passe dans ta tĂŞte !
   Miss Nilsen se rapproche puis se fige d’un coup, droite comme un I, juste en dessous de la fenĂŞtre. Elle ne quitte pas Amalia des yeux, la tĂŞte relevĂ©e vers le ciel. Ses lèvres se mettent Ă  bouger pendant que ses yeux s’écarquillent jusqu’à sortir de leurs orbites.
   Amalia a les oreilles qui bourdonnent depuis un bon moment. La voix de la vieille folle arrive Ă  s’immiscer entre les acouphènes. Amalia ne perçoit que des mots parmi ce brouhaha. Elle ne sait pas ce que raconte Miss Nilsen mais elle se bouche les oreilles pour ne pas le savoir.
   Assez ! hurle-t-elle dans sa tĂŞte.
   Pendant un instant, elle pense Ă  se rĂ©fugier dans sa chambre avec son revolver. Mais non, elle ne doit pas se cloĂ®trer, au contraire il faut faire face pour ne pas subir cette terreur le restant de sa vie. Elle a dĂ©jĂ  rĂ©ussi Ă  la combattre, elle le peut encore.
   Cette vieille folle est morte !
   Tout ça n’est qu’illusion. Ce n’est rien que son esprit qui revit un traumatisme.
   Amalia le sait, ce n’est pas rĂ©el, elle doit juste trouver le moyen d’apaiser sa conscience. La vision devrait s’estomper sous peu.
   Et pourtant, les mots deviennent de plus en plus clairs, ils rĂ©sonnent sous son crâne. Miss Nilsen l’insulte de tous les noms.
   â€” Tu n’existes pas ! Tu es six pieds sous terre !
   Amalia se rĂ©cite ces deux phrases en boucle comme une prière d’exorcisme pour repousser un dĂ©mon. Elle se dĂ©bat avec la voix de Miss Nilsen qui remplace la sienne dans sa tĂŞte.
   Salope.
   â€” Tu n’existes pas !
   T’es qu’une pute.
   â€” Tu es si pieds sous terre !
   Je vais te tuer.
   â€” Tu n’existes pas !
   Tu vas mourir pour ce que tu m’as fait !
   La voix perd de sa clartĂ©. Amalia hausse le ton.
   â€” Tu es six pieds sous terre !
   C’est de ta faute sale traĂ®nĂ©e si je suis morte !
   Puis la voix de Miss Nilsen semble s’éloigner.
   De ta faute !
   â€” Tu n’existes pas !
   La voix finit par s’évanouir dans le lointain jusqu’à s’éteindre.
   Le bourdonnement cesse Ă©galement. Durant un instant, c’est le silence complet.
   Amalia rouvre les yeux en espĂ©rant que la vieille folle ne soit plus lĂ .
   Et fort heureusement, c’est le cas.
   Amalia s’accroche au rebord de la baignoire et prend de grandes bouffĂ©es d’oxygène. Elle reste immobile, incapable de bouger.
   Elle pensait en avoir fini avec ces cauchemars et ces foutus tranquillisants. Et voilĂ  que les hallucinations la prennent par surprise. Mais elle doit rester positive, ce n’est qu’une rechute accidentelle liĂ©e Ă  une mauvaise nouvelle.
   Elle va rester lĂ  un petit moment, le temps de reprendre ses esprits, et tout ira très bien.