Auteur Sujet: L'homme du parc de Marie Continanza  (Lu 107050 fois)

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L'homme du parc de Marie Continanza
« le: jeu. 28/09/2023 à 17:33 »
L'homme du parc de Marie Continanza



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CHAPITRE 1
Mercredi 5 février 2020

Il était à peine dix heures trente lorsque le taxi s’arrêta devant le grand portail métallique noir d’une villa cabourgeaise du XIXe siècle.
Assise à l’arrière, Camille laissa encore un instant son regard errer sur la bâtisse, avant de tirer son portefeuille de son sac à main et de tendre un billet de vingt euros au chauffeur, en lui disant de garder la monnaie. Celui-ci la gratifia d’un « merci, madame » saupoudré d’un sourire. Ensuite, il descendit du véhicule, alla ouvrir le coffre, en sortit un bagage et le déposa sur le sol. Tout en le remerciant, Camille saisit la valise par la poignée et la traîna jusqu’au portail.
Son cœur battait la chamade. Ses jambes étaient aussi molles que de la guimauve. À présent qu’elle approchait du but, elle n’était plus très sûre d’avoir pris la bonne décision. Elle arrivait à l’improviste, alors qu’ils avaient convenu de laisser leur histoire derrière eux et de ne plus avoir le moindre contact. Jamais.
Comment allait-il réagir en la revoyant ? S’en montrerait-il heureux ou, au contraire, serait-il contrarié et lui claquerait-il la porte au nez ? Et que dirait-il, quand il apprendrait la raison de sa venue ? La croirait-il seulement ?
Instinctivement, elle posa une main protectrice sur son ventre arrondi.
À l’annonce de sa grossesse, Camille avait immédiatement opté pour l’avortement. Mais les quelques heures passées avec cet homme demeuraient indélébiles dans sa mémoire. Elles avaient été tellement intenses, tellement merveilleuses qu’elle avait peu à peu changé d’avis. Jamais elle ne s’était sentie aussi vivante, aussi désirable qu’en faisant l’amour avec lui. Elle avait eu la sensation qu’ils formaient un tout indivisible.
Cependant, aujourd’hui plus qu’hier, elle ne parvenait pas à définir les sentiments qu’elle éprouvait pour lui. Était-ce réellement de l’amour, comme elle avait cru le ressentir quelques mois plus tôt, ou simplement de l’affection, conjuguée à une forte attirance ? Tout s’embrouillait dans sa tête. Ce dont elle était certaine, en revanche, c’était qu’il était différent de tous ceux qu’elle avait connus. Il dégageait quelque chose d’indéfinissable, d’indescriptible, qui la fascinait et l’émouvait à la fois. Quelque chose qui la pénétrait au plus profond de son âme.
Se débarrasser de cet enfant, cela aurait été comme l’effacer, lui, et cette extraordinaire journée de sa mémoire. Or, elle ne se sentait pas prête à oublier ce vécu, aussi bref fût-il. Non, jamais elle ne pourrait se résigner à enterrer cet épisode de sa vie !
Quand la réalité avait repris ses droits, des questions l’avaient hantée. Que devait-elle faire ? À qui fallait-il obéir : à la voix de la conscience ou à celle du cœur ? La première lui ordonnait de l’informer de sa paternité, la seconde lui dictait de se taire.
La décision était d’autant plus difficile à prendre qu’elle connaissait le passé de cet homme et que lui révéler la vérité risquait de lui faire beaucoup de mal. Mais si elle gardait le secret, c’était elle qui souffrirait, rongée par les affres de la culpabilité jusqu’à la fin de ses jours.
Que faire ?
Après en avoir longuement débattu avec elle-même, elle était arrivée à la conclusion qu’elle devait suivre la voix de sa conscience, quelles qu’en soient les conséquences.
Bien évidemment, elle ne lui imposerait rien. Ce bébé, il serait libre de l’accepter ou de le rejeter. Si tel était le cas, elle s’en irait sans nourrir la moindre rancœur envers lui, et plus jamais il n’entendrait parler d’elle ni de l’enfant.
Elle resserra son écharpe autour du cou, prit une profonde respiration et avança une main hésitante vers l’interphone. Une fois qu’elle aurait sonné, il n’y aurait plus de retour possible.
 
CHAPITRE 2
Sept mois plus tôt, samedi 6 juillet 2019

Quand Camille eut fini de suspendre tous ses vêtements sur des cintres, elle referma la porte de l’armoire blanc et bleu — qui n’était pas sans rappeler les couleurs du bord de mer —, prit la valise et la glissa sous le lit.
Il ne restait plus que les produits de toilette à ranger.
Elle s’empara de son vanity, bourré à craquer, et se rendit dans la salle de bains. Du regard, elle mesura une nouvelle fois l’espace, et un soupir de déconvenue franchit ses lèvres. La pièce était vraiment minuscule, comparée à celle de son appartement. Heureusement qu’elle contenait un meuble à tiroirs supportant la vasque et quelques rayonnages à moitié vides, autrement la cohabitation aurait relevé du parcours du combattant.
— Verriez-vous un inconvénient à ce que je prenne les deux étagères du haut ? lança-t-elle d’une voix forte.
— Prends celles que tu veux ! lui retourna Laura depuis la salle de séjour, sur la même tonalité.
Parfait !
Aussi méticuleusement et harmonieusement que si elle décorait la vitrine d’une parfumerie, Camille disposa tous les flacons, pots, tubes, cotons et autres produits de l’indispensable féminin dont elle ne se séparait jamais. Quand tout fut en place, elle recula de deux pas pour juger du résultat et sourit, satisfaite.
Finalement, Jérémy et Laura avaient raison. Elle serait bien ici. L’appartement était petit, certes, mais parfaitement agencé. De plus, comme ils lui avaient proposé de s’installer dans la chambre, elle était assurée de pouvoir s’isoler aussi souvent qu’elle le souhaiterait.
Elle alla ranger le vanity dans le bas de l’armoire avant de gagner la salle de séjour où le couple s’affairait ; l’un à transformer le clic-clac en lit, et l’autre à accrocher les vêtements dans le placard.
— Que fait-on après ? s’enquit Camille.
— On va se baigner, non ? répondit Laura d’un ton mi-interrogateur, mi-affirmatif, tout en jetant par-dessus son épaule un regard à son compagnon qui se débattait avec la housse de couette.
— Si vous voulez, rétorqua celui-ci sans lever le nez de sa tâche. Toutefois, permettez-moi de vous rappeler, mesdames, que le frigo est vide…
— On le remplira demain, l’interrompit Laura. Aujourd’hui, c’est journée resto, faut-il te le rappeler ?
Pour la jeune femme, c’était une tradition. Le premier jour des vacances, elle se refusait à toute besogne ménagère, hormis celle de défaire les valises. Une façon comme une autre de commencer le repos estival et de se sentir enfin hors de la routine.
Camille, quant à elle, avait seulement besoin de refermer la porte de son appartement pour rompre avec la monotonie du quotidien et pour apprécier le moindre instant de cette courte vie de farniente à sa juste valeur.
Libérée… délivrée… je ne suis plus du tout stressée…
Chacun son truc !
Comme à son habitude, Jérémy ne releva pas. Lorsque Laura avait décidé, il n’y avait rien à ajouter.
Ce comportement avait toujours exaspéré Camille. Que ce soit pour une femme ou bien pour un homme, elle supportait difficilement cet état de docilité, de résignation, ou même de servitude conjugale. Et Jérémy était incontestablement le plus beau spécimen de soumission qu’elle ait jamais connu.
Sans doute le pauvre garçon ne faisait-il qu’appliquer, seul, le conseil que l’on peut lire dans tous les guides pratiques de la vie sentimentale : « Un couple ne peut durer que si l’un et l’autre sont prêts à faire des concessions » ?
Selon les auteurs, cette phrase magique permettrait à l’amour de surmonter les obstacles. Peut-être était-ce vrai, peut-être pas. Quoi qu’il en soit, Camille définissait l’amour comme étant le ressenti d’une puissante émotion déclenchée par le cœur, et non comme une question d’apprentissage. Ses différentes expériences l’en avaient d’autant plus convaincue : des compromis, elle en avait fait, et pas qu’un peu. Résultat, elle était encore et toujours célibataire. Aussi s’était-elle persuadée que la longévité d’un couple relevait plutôt du destin que d’un guide pratique. Si deux êtres n’étaient pas prédestinés l’un à l’autre, rien ne pourrait consolider les bases d’un amour mutuel. C’était là la seule explication plausible à ses nombreux échecs. Aucun de ceux avec lesquels elle avait tenté une relation n’était l’homme de sa destinée.
Voilà ! tout était dit !
Inutile de faire l’abnégation de sa personnalité pour éviter les conflits. L’amour, c’est de savoir accepter de perdre ou de gagner face à l’autre, et non de s’abaisser pour qu’il remporte la victoire.
En dépit de cette conviction, cependant, elle n’avait pu s’empêcher de se forger un idéal masculin, qu’elle conservait secrètement, précieusement, dans un coin de son esprit, tel un portrait-robot. Mais au-delà d’une attirance physique, il devait posséder certaines qualités indispensables à son bien-être psychologique. Des qualités dont la liste s’allongeait au fil des rencontres.
Son idéal devait donc être fiable, fidèle, tendre, attentionné, responsable et aimant. Un homme banal, finalement, celui-là même que toute femme est amenée à croiser quotidiennement à la boulangerie ou au supermarché. L’ennui, pour Camille, c’est qu’elle avait beau aller chercher son pain et faire ses courses, jamais encore elle n’était tombée nez à nez avec le bellâtre de ses rêves. Néanmoins, elle gardait l’espoir de le voir surgir un jour ou l’autre, aussi majestueux qu’un prince charmant sur son splendide destrier blanc. Et ce jour-là, ses yeux brilleraient de millions d’étoiles, son ventre palpiterait comme une volée de papillons emprisonnés dans une cage, ses joues seraient aussi rouges qu’une pivoine, ses jambes fléchiraient, et pas un mot ne pourrait franchir ses lèvres.
En attendant ce jour béni, les années défilaient. Dans quelques semaines, le 16 septembre prochain, elle soufflerait ses vingt-neuf bougies. Eh oui ! déjà vingt-neuf ans et pas d’homme, ni d’enfant. De quoi devenir insomniaque, nuit de pleine lune ou non.
Pour l’heure, cependant, Camille avait en tête une autre préoccupation : sa présence dans cette station balnéaire de Normandie, chère à Laura et à Jérémy ; Cabourg. Un petit coin sympa où sa solitude sentimentale devait prendre fin, aux dires de ses amis.
Ces derniers s’étaient montrés si persuasifs qu’elle avait fini par y croire, elle aussi. C’est pourquoi elle avait dérogé à ses habitudes en acceptant de passer ses vacances dans le Nord-Ouest plutôt que dans le sud.
Que ne ferait-on pas pour une bonne cause ?
Toutefois, elle avait décidé que cette rencontre n’aurait pas lieu avant d’avoir mis tous les atouts de son côté. Certes, son corps avait déjà retrouvé une ligne presque parfaite grâce au sport, mais son teint était, à son goût, encore bien trop blanc, malgré les quelques séances d’UV auxquelles elle s’était astreinte non sans réticence, préférant de loin la chaleur du soleil à celle des lampes.
Par conséquent, n’ayant d’autre souci en tête que de poursuivre son hâle, elle approuva, pour une fois, l’autorité de Laura.
— Je vais mettre mon maillot ! annonça-t-elle joyeusement en tournant les talons.
De toute la collection qu’elle avait enfouie dans sa valise, un seul émergeait du lot : un deux-pièces rouge carmin. C’était sa dernière acquisition et aussi celui qui lui allait le mieux, du moins pour le moment. Sa petite poitrine était mise en valeur par un soutien-gorge à balconnet, et ses hanches à moitié dénudées par un slip brésilien n’en paraissaient que plus affinées. Elle contempla son reflet dans le miroir.
— Wouah ! un vrai corps de déesse ! S’ils ne tombent pas comme des mouches avec ça, alors je ne m’appelle plus Camille.
Pourquoi « ils » ? N’était-elle pas là uniquement pour un « il » ?
Avec ou sans « s », quelle importance, dès l’instant qu’elle attirait le regard ?
Elle tira ses cheveux en arrière et examina son visage à la recherche d’une nouvelle ride. Elle avait toujours paru plus jeune que son âge. Ses traits étaient joliment dessinés ; deux billes noisette, un petit nez court et des lèvres aux coins relevés qui lui donnaient un air coquin. Elle n’était pas du genre top model, surtout par sa taille, tout juste le mètre soixante, néanmoins elle appartenait à la catégorie des femmes agréables à regarder, celles qui retiennent l’attention.
Elle relâcha ses longs cheveux châtains, les secoua pour leur donner du volume et compara. Sans conteste, elle se trouvait beaucoup plus belle ainsi.
Une Vénus sortant de l’eau !
— Je suis prête ! chantonna-t-elle, tandis qu’elle enfilait un short en jean et un tee-shirt rose par-dessus son maillot de bain.
Laura, en revanche, ne l’était pas.
Comme d’hab ! maugréa Camille in petto.
Le temps était depuis l’enfance leur seul sujet de discorde. À croire qu’il ne s’écoulait pas de la même façon pour l’une et pour l’autre. Quand, chez elle, la minute valait soixante secondes, chez Laura, elle atteignait parfois cent vingt. Et cependant, elles avaient toutes les deux fréquenté les mêmes établissements scolaires, avaient eu les mêmes professeurs. Comme quoi, tout est une question d’appréciation…
Cessant de se lamenter, Camille mit à profit cette attente forcée pour fignoler son apparence. Un peu de couleur lui ferait du bien. Elle teignit ses cils d’une mince couche de mascara waterproof et raviva ses lèvres d’un rouge brillant.
Des cinq minutes annoncées par son amie, Camille dut patienter un bon quart d’heure avant qu’elle ne soit enfin prête. Fort heureusement pour elle, la plage n’était qu’à une soixantaine de mètres de l’appartement, autrement, elle aurait eu droit à un nouveau rappel temporel.
— L’avantage de cette ville, c’est ça, fit remarquer Laura alors qu’elles avançaient d’un pas rapide en dépit de la courte distance à parcourir. Franchement, tu ne trouves pas que c’est agréable de n’avoir pas à se soucier de son voisin ?
D’un large geste de la main, elle désigna l’immense étendue ocre, étrangement déserte en ce milieu d’après-midi. Camille acquiesça en souriant. En effet, comment ne pas apprécier une telle vision lorsque la plupart des plages du Sud sont prises d’assaut par des milliers de badauds collés les uns aux autres ? Ici, au moins, elle n’aurait aucun mal à délimiter ni à faire respecter son espace vital.
— Hummm ! que c’est bon ! s’exclama-t-elle après avoir retiré ses tongs.
— Quoi ?
— Le sable ! J’adore marcher pieds nus dans le sable. Ça me procure une sensation délicieuse, presque érotique. Tu as déjà fait l’amour sur la plage ?
Laura la dévisagea, les yeux écarquillés.
— Parce que toi, tu l’as fait ?
— Pas encore, répondit Camille d’un air coquin. Mais je compte bien essayer un jour. Il semblerait que le contact du sable, le roulement de la mer et la crainte d’être surpris décuplent le plaisir.
— Je veux bien le croire. Mais d’un point de vue hygiénique et légal, tu risques de choper une infection et d’aller en prison. Bonjour le plaisir, après ça.
— Tu as raison, je l’avoue. Pour autant…
— … cela ne t’empêchera pas de le faire, acheva Laura.
Camille éclata de rire.
— Comment as-tu deviné ?
— Je te connais, ma biche. Quand tu as une idée derrière la tête, personne ne peut t’en détourner.
— Ça fait partie de mon charme.
Quelques pas plus loin, elles trouvèrent l’endroit parfait pour étendre leurs serviettes. Elles se dévêtirent, plièrent soigneusement leurs vêtements et les rangèrent dans leurs sacs de plage respectifs. Une fois enduite de crème solaire, Camille s’allongea, au grand étonnement de Laura.
— Tu ne viens pas te baigner ?
— Pas dans l’immédiat. Je dois me préparer mentalement à affronter la température de la Manche.
Le rire de Laura fusa, haut et clair.
— Alors, prépare-toi bien, car, à moins d’une soudaine éruption volcanique sous-marine, elle ne risque pas de se réchauffer de sitôt !
Sur ce, elle pivota et se mit à courir vers la mer. Camille la regarda s’éloigner. À cet instant précis, un brin de jalousie l’envahit. Laura avait non seulement cinq centimètres de plus, ce qui en soi était peu de chose, mais elle avait également une silhouette à faire pâlir une Miss Univers. Et cela, sans régime aucun. Elle pouvait manger en abondance ce qu’elle souhaitait sans jamais prendre un gramme. Tandis que Camille, rien qu’à la vue d’une part de gâteau, prenait du ventre et des cuisses.
Que la vie est mal faite !
Soupirant, elle ajusta ses lunettes de soleil et inspecta la plage du regard. C’est alors qu’elle remarqua, à sa gauche, à quelques mètres d’elle, un homme qui la fixait avec insistance. Il devait avoir trente ou trente-cinq ans, un physique avantageux, un corps hâlé et un sourire à faire fondre un bloc de glace. Bien qu’il ne puisse discerner ses yeux derrière les verres fumés, Camille se sentit rougir comme une gamine et détourna aussitôt la tête. Mais ce bref contact visuel avait suffi à mettre ses sens en ébullition.
Il est seul… je suis seule… peut-être que…
Pour le séduire encore davantage, elle s’appuya sur ses coudes, prit une pose lascive digne d’une star sous les flashs des paparazzi, ferma les paupières et s’abandonna à la chaude caresse du soleil d’été.
Plusieurs minutes s’écoulèrent.
Qu’attendait-il donc pour l’aborder ? À moins d’être emportée par une vague, Laura était susceptible de revenir d’un moment à l’autre. Soudain, un doute l’assaillit. Était-ce vraiment elle qu’il avait regardée avec son sourire enjôleur ?
Elle n’eut pas le temps de pousser plus loin sa réflexion. Une voix masculine grave et sensuelle résonna tout près d’elle :
— M’accorderez-vous une petite place à vos côtés ?
Le cœur de Camille fit un bond dans sa poitrine. Elle se redressa sur son séant, comme mue par un ressort, et fut accueillie de plein fouet par le rire de Jérémy. Puis celui-ci se pencha vers elle, emprisonna son visage entre ses mains et l’embrassa affectueusement sur la joue. Elle le repoussa en le traitant d’idiot.
Merde ! il va croire que je suis en couple.
Instinctivement, elle tourna la tête vers l’inconnu, mais ne vit personne. L’homme s’était volatilisé, évaporé, tel un mirage.
Tant pis !
Elle ôta ses lunettes, les glissa dans l’étui et se leva.
— Le dernier dans l’eau paiera le resto, lança-t-elle à Jérémy avant de partir en courant vers la mer.
— Tricheuse ! lui cria-t-il.                                 
 
CHAPITRE 3
Dimanche 7 juillet 2019

Le jour commençait à poindre lorsque le réveil émit une série de bips. Bien qu’il fût réveillé depuis près d’une demi-heure, Jacques resta encore un moment allongé, les bras croisés sous la nuque, les yeux fermés, perdu dans ses souvenirs, avant de se décider à l’éteindre.
Il descendit du lit avec une aisance qui le surprit. Ce matin, bizarrement, toutes ses vieilles douleurs articulaires semblaient avoir disparu. La nuit lui aurait-elle offert une seconde jeunesse ? L’avait-elle transporté à l’époque de ses vingt ans ? L’impensable, l’irréalisable, peut devenir réalité. Pour Jacques, cette phrase n’était pas qu’une formule, elle était le reflet d’une vérité dont il avait été témoin, et à laquelle il n’avait cessé de se raccrocher.
Mais un regard jeté dans le miroir de la penderie le fit déchanter : son visage, encadré de cheveux blancs, coupés très court, portait encore et toujours les stigmates du temps.
Qu’importe le physique ! Qu’il en ait vingt ou bien soixante-quinze, il était le même homme. Le même Jacques qui avait vécu une aventure extraordinaire, tellement extraordinaire qu’elle avait changé radicalement le cours de son existence. Une aventure que bon nombre de personnes lui envieraient.
D’un pas alerte, il sortit de la chambre, remonta le couloir et pénétra dans son bureau. Au-dessus de sa table de travail, un grand calendrier était accroché au mur. La date du 7 juillet 2019 était entourée au feutre rouge et accompagnée d’un « C » majuscule, également au feutre rouge.
Tel un visiteur admirant un tableau dans un musée, Jacques se planta devant ce rectangle de carton. Son visage rayonnait de joie. C’était le jour J. Le jour qu’il attendait depuis une éternité.
Il tendit la main vers le calendrier et, de son index, il suivit le contour de la lettre, laissant un instant ses pensées dériver vers de lointains souvenirs, avant de les ramener sur la tâche qu’il devait accomplir.
Allez, mon vieux Jacques, il est temps de songer à ta mission !
Galvanisé par cette idée, il quitta ce lieu sacré, où seule la femme de ménage était autorisée à entrer, et se rendit dans la salle de bains.
Aujourd’hui, une attention toute particulière serait portée à son apparence.
Aujourd’hui, la perfection serait de mise jusqu’au bout des ongles.
Deux heures plus tard, il était fin prêt. Vêtu d’un costume gris clair sur une chemise blanche, agrémentée d’une cravate bleu marine, et parfumé d’une fragrance discrète, dégageant des arômes épicés, il était d’une élégance impeccable.
Il vérifia une dernière fois son reflet dans le lourd miroir doré accroché au-dessus de la cheminée de la salle de séjour, puis alla prendre le sac isotherme posé sur la table de la cuisine, s’empara de sa canne dont il glissa la lanière à son poignet gauche, et sortit de la maison.
Il y avait longtemps que la vie ne lui avait paru aussi douce, aussi belle, aussi merveilleuse et aussi riche de promesses.
Du regard, il balaya le jardin. La végétation resplendissait de couleurs et d’odeurs sous les rayons du soleil matinier. Tout semblait s’accorder pour lui procurer une sérénité sans pareille. Même le ciel s’était paré d’un bleu pur et sans nuages.
Il était tellement heureux qu’il avait envie de le clamer à l’univers entier.
Sa patience allait être bientôt récompensée.
Après avoir fermé le portillon à clef et mis le trousseau dans sa poche, il laissa derrière lui l’avenue de la Paix, s’engagea dans l’avenue de la République et, enfin, tourna à gauche sur l’avenue de la Mer, encore vierge de toute présence touristique à cette heure matinale. Mais déjà, les magasins commençaient à ouvrir et les garçons de café à installer des tables et des chaises en terrasse.
Saluant les uns, échangeant quelques mots avec les autres, Jacques s’achemina tranquillement vers le Jardin du Casino. Là, il alla s’asseoir sur le banc près du pavillon Charles-Bertrand, posa son sac isotherme et sa canne à côté de lui, puis, de la poche intérieure de sa veste, il sortit une vieille photo en couleurs, qu’il avait fait plastifier, et se mit à la caresser du bout des doigts, l’esprit noyé de souvenirs.
Tout était encore si vivant dans sa mémoire, si présent, qu’il avait l’impression que c’était hier.


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Re : L'homme du parc de Marie Continanza
« Réponse #1 le: lun. 27/11/2023 à 10:25 »
Quel plaisir de retrouver la plume de Marie Continanza que j'avais découvert dans L'autre vie de Sophie et La maison de Thomas. Avec L'homme du parc, l'autrice nous offre cette fois une romance dont juste la couverture annonce déjà la couleur. N'étant pas spécialement fan de ce genre, il ne fallait pas seulement le talent d'écriture de l'autrice pour me lancer dans cette lecture, mais connaissant son penchant pour le mystère et le paranormal, je m'attendais à découvrir bien plus qu'une romance. Je ne m'étais pas trompé et c'est ce qui en fait toute son originalité.
Le premier chapitre commence déjà comme je les aime : Camille, l'héroïne principale du roman, se rend en taxi devant une villa, prête à y rencontrer son occupant. Mais au moment où elle s'apprête à appuyer sur la sonnette, la main hésitante, mille questions se posent à elle. Pourquoi hésite t'elle à ce point ? L'autrice entretient le suspense en revenant quelques mois en arrière où l'on découvre Camille se rendant en vacances à Cabourg avec un couple d'amis, Laura et Jérémy, dans l'espoir d'y trouver l'amour. Et elle va le trouver. Mais un obstacle de taille va les empêcher de poursuivre leur relation. Arriveront-ils à le surmonter ? En dire plus serait spoiler, je vous invite donc à vous lancer dans cette très belle lecture et peut-être que comme moi, le dénouement vous surprendra. L'épilogue, quant à lui, vous réservera encore un dernier rebondissement, ce qui me fera dire : la boucle est bouclée.
En résumé, cette romance est une vraie réussite.

 


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