Auteur Sujet: L'instruction du cœur : T1 de Christelle Morize  (Lu 5668 fois)

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L'instruction du cœur : T1 de Christelle Morize
« le: jeu. 11/02/2021 à 16:44 »
L'instruction du cœur : T1 de Christelle Morize

Le sergent lui ouvrit la portière mais il n’y avait là aucun geste de galanterie. Quand elle fut dans la voiture, il claqua brutalement la porte avant de s’installer au volant. Il était d’humeur exécrable et la jeune femme en conclut qu’il n’avait pas adhéré à sa version des faits. Malgré tout, il demeura étrangement calme et ne lui accorda aucun regard durant tout le trajet.
Taliah se sentait à l’étroit dans l’habitacle. Le conducteur était bien trop grand et son bras effleurait le sien à chaque changement de vitesse. Troublée par ces frôlements anodins, la jeune femme observait son voisin à la dérobée. Une main sur le levier, l’autre sur le volant, Levinson était concentré sur sa conduite et pourtant il semblait ailleurs. Où était-il ?
Arrivé devant les grandes grilles noires, le sergent stoppa le véhicule à la hauteur du poste de garde. Vêtu en civil ou pas, il devait fournir une pièce d’identité puis signer le formulaire d’entrée. Il se pencha pour ouvrir la boîte à gants, obligeant sa passagère à se coller contre le dossier de son siège pour éviter tout contact gênant puis attrapa ses papiers. Il signa rapidement le carnet que le soldat de garde lui tendait et attendit patiemment que les grilles s’ouvrent pour entrer.
Il y avait une allée bordée de massifs floraux et une immense pelouse bien entretenue qui séparait le parking des premiers bâtiments du camp. Comme la nuit commençait lentement à s’installer, Taliah prit son sac et se dirigea vers les baraquements, espérant passer au travers d’une désagréable entrevue avec le sergent.
– Où allez-vous ? S’enquit froidement celui-ci. 
– Dans mes quartiers. 
Elle aurait certainement préféré être consignée dans le petit coin qu’était son espace de soldat.
– Non ! Suivez-moi ! Trancha Levinson d’une voix sans appel.
Il remonta l’allée à grandes enjambées, passa devant les bureaux principaux et traversa la cour qui menait aux maisonnettes. Complètement désorientée autant à l’intérieur qu’à l’extérieur puisqu’elle ne connaissait pas cette partie du camp, la jeune femme se contenta de suivre la haute silhouette. Si l’habit militaire semblait avoir été conçu pour lui, un simple jean délavé et un tee-shirt négligemment porté en dehors ne gâchait en rien les formes de son corps musclé.
Brad s’arrêta devant une porte affichant le numéro dix-sept et enfonça une clé dans la serrure. Il ouvrit en grand et s’effaça pour laisser entrer la jeune femme. Celle-ci hésita quelques secondes avant de pénétrer dans un couloir sombre. La porte claqua derrière elle, la faisant sursauter, puis la pénombre fut vite remplacée par une lueur vive. Toujours dans un silence insupportable, il passa devant elle et tourna vers sa droite dans ce qui semblait être la cuisine. Taliah allait avoir droit à une confrontation finalement et dans l’antre de son supérieur qui plus est.
Il tira une chaise qu’il écarta à environ un mètre de la table et frappa brutalement les quatre pieds en la reposant au sol. Le message était clair et la jeune femme déglutit difficilement en le voyant prendre place de l’autre côté.
– J’ai été agressée et c’est à moi qu’on fait subir un interrogatoire, pesta-t-elle en relevant le menton, d’ailleurs, je me demande si vous êtes habilité à faire ce genre de chose.
Il leva les yeux vers elle, plissant son regard d’un air menaçant.
– Je vous rappelle que vous avez signé pour un engagement de douze mois, ce qui fait de vous un soldat du corps des marines, lança-t-il sèchement, et tant que vous resterez dans cette base, c’est moi qui suis responsable de votre sécurité. Alors oui, j’avais le droit de porter plainte, oui, je suis autorisé à lire la déposition et oui, je suis en droit de vous posez des questions.
La jeune femme était au bord des larmes. Pour elle, le programme allait prendre fin. C’était une évidence qu’elle devait accepter. Et ce qui la chagrinait davantage était qu’elle allait perdre toute crédibilité devant cet homme dés qu’il entendrait la vérité. Elle prit place sur le siège aussi timidement qu’une jeune collégienne dans le bureau du directeur.
– Soyons clair, je ne nie pas que ce salopard vous ait agressé mais pourquoi le protégez vous ?
Il poussa un long soupir contrarié puis s’adossa contre sa chaise.
– Son nom ! Demanda-t-il d’un calme effrayant.
Taliah hésitait toujours. Elle se mordit la lèvre pour ne pas pleurer mais son regard humide trahissait ses émotions.
– Alan… Alan Prescott, finit-elle par répondre comme dans un murmure.
De l’autre côté de la table, le sergent demeurait impassible face à sa peine.
– Un petit ami jaloux, possessif ? Lâcha-t-il sur un ton acerbe.
– Violent… et alcoolique, ajouta la jeune femme d’une voix tremblante.
– Alors quoi ! Vous le laissez tomber et il vous pourchasse jusqu’ici.
– C’est beaucoup plus compliqué que ça, marmonna Taliah en essuyant sa joue du revers de la main.
Elle n’avait plus rien à perdre désormais.
– C’est mon ex-mari et… il refuse de signer l’ordre du juge.
Il pencha la tête comme s’il n’était pas certain d’avoir bien compris. La façon dont il la dévisagea fut encore plus douloureuse qu’une gifle pour la jeune femme.
– Vous êtes toujours mariée à ce type, c’est ce que vous êtes en train de me dire, s’étonna-t-il, réalisant enfin l’importance de cette révélation.
Il secoua la tête comme s’il cherchait à se réveiller puis passa une main nerveuse dans les cheveux.
– Bon sang, Arsher ! Qu’est-ce qui vous a pris ? Lâcha-t-il presqu’à lui-même.
Il lui adressa un regard borné, attendant manifestement une réponse de sa part. Taliah était éreintée, déboussolée par ce sentiment de honte qui la submergeait tout entière. La veille, il lui avait avoué apprécier sa franchise et maintenant, il faisait face à son plus grand mensonge. Désemparée, elle baissa le regard, ne pouvant plus retenir les larmes qui roulaient sur ses joues.
– Je venais de recevoir la décision du tribunal quand je me suis inscrite au programme, expliqua-t-elle sans oser lever les yeux, ça durait depuis deux ans déjà. Je n’y croyais plus. Jamais je n’aurais pensé qu’il refuserait de la signer.
Elle marqua une courte pause, le temps de calmer les sanglots qui étranglaient sa voix.
– Ce n’est qu’en arrivant à Bridgestone que je l’ai su… par le courrier de mon avocat, poursuivit-elle, il disait ne rien pouvoir faire. Alors, j’ai été chez Alan… à Pasadena et… ça s’est mal passé.
Même si son interlocuteur paraissait calme devant ses explications, il la détaillait d’un regard dur. Une fois de plus, il la jugeait sévèrement et à juste titre.
– L’œil au beurre noir, c’est lui ?
Elle se contenta de hocher la tête pour répondre. De son côté, Levinson marmonna quelque chose d’à peine audible. Il se pencha vers la table comme pour appuyer ce qu’il s’apprêtait à dire.
– Pourquoi vous n’en avez pas parlé ? S’énerva-t-il soudainement, ce n’était pas les occasions qui ont manqué pourtant.
 – Parce que j’avais peur d’être renvoyée du programme, parce que c’était le seul moyen pour moi de reprendre mes études et je ne voulais pas passer à côté.
Brad leva les yeux au ciel d’un air exaspéré puis poussa un soupir avant de se lever.
– J’ai l’impression de tourner en rond et je déteste ça, trancha-t-il d’un ton incisif.
Il ne la croyait pas. Qu’avait-elle espéré en lui avouant toute la vérité ? Une douleur lancinante revint marteler insidieusement ses tempes.
– Parlez-moi de l’autre !
– Quel autre ?
Il était maintenant furieux et plaqua brutalement les paumes des mains sur la table, faisant sursauter la jeune femme.
– L’autre type ! Celui que votre ex-mari veut saigner. Bordel, Arsher, arrêtez de me prendre pour un imbécile !
Taliah était à bout. Elle ne pouvait décemment plus supporter cette façon d’être jugée et insultée.
– Il n’y a pas d’autre type ! S’écria-t-elle, fatiguée de toutes ces accusations, il n’y en jamais eu, ni pendant mon mariage, ni après mais ça, Alan n’y a jamais cru.
Elle se leva d’un bond et poussa la chaise comme pour enlever tout obstacle entre elle et la sortie.
– Et c’était le sourire du serveur, la nuit de noces, continua-t-elle, se libérant d’une rage longtemps enfouie, le bonjour du livreur, les compliments de ses collaborateurs. Tout était prétexte pour m’insulter, me frapper, me détruire jour après jour. Il m’a tout prix. Ma jeunesse, ma dignité de femme, mon bébé. Et encore maintenant, il continue à pourrir mon existence et c’est encore vers moi qu’on pointe le doigt.
Déstabilisée mais surtout confuse d’avoir balancé d’une traite, tout ce qu’elle avait sur le cœur à la mauvaise personne, même si quelque part, Levinson l’avait poussée à bout, Taliah n’avait plus qu’une seule envie. Disparaître. Elle porta une main à sa bouche comme si elle venait de commettre un terrible impair et recula d’un pas.
– Je suis désolée, bafouilla-t-elle avant de tourner les talons.
Elle se dirigea vers la porte d’un pas décidé, cherchant à fuir tout regard humiliant. Une boule énorme venait de prendre forme au creux de son estomac, ainsi qu’une furieuse envie de pleurer.
– Où allez-vous ? S’enquit Brad en faisant le tour de la table, attendez ! 
Il réussit à saisir son bras et lui fit faire une rapide volte-face qui faillit faire perdre l’équilibre à la jeune femme. Celle-ci se retrouva coincée contre le mur, avec la désagréable sensation d’un déjà-vu.
– Je vous en prie, laissez-moi ! Le supplia-t-elle, en larmes.
Chacun de ses gestes visait à éviter qu’il la touche, presqu’à se coller contre la paroi comme pour disparaître à l’intérieur. Il parvint néanmoins à lui saisir les poignets pour l’immobiliser.
– Calmez-vous ! Lâcha-t-il d’une voix sèche, je ne vais pas vous faire de mal.
Exténuée, Taliah abandonna toute résistance, les joues rougies par la colère et la peur. Elle détourna ses yeux humides puis éclata soudainement en sanglots. Quelque peu confus, Brad eut pour réflexe de la libérer. Il comprit très vite que son comportement ne faisait que réveiller les cicatrices de cette femme meurtrie. Pendant un court instant, il ne sut quoi faire. Puis, avec le plus de délicatesse possible, il l’attira lentement contre lui pour ne pas la brusquer et la prit dans ses bras. Elle se laissa bercer, déversant silencieusement sa peine sur cette épaule offerte.
Ils restèrent ainsi un long moment avant que le jeune homme ne décide de s’écarter doucement. Il posa une main sur son épaule et se courba jusqu’à la hauteur de son regard.
– Je veux que vous m’expliquiez tout depuis le début.
Taliah se contenta d’agiter la tête même si elle n’était pas certaine d’avoir la force de prononcer le moindre mot. Un désordre insupportable régnait dans son esprit. Comment cet homme pouvait-il être aussi méprisable et l’instant d’après, montrer autant de compassion.
Il la croyait, pensa-t-elle, le cœur bondissant d’une émotion étrange. Ou était-ce tout simplement cette promiscuité qui lui donnait le vertige.
"J'ai décidé d'être heureux parce que c'est bon pour la santé" (Voltaire)

 


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