Auteur Sujet: La Bulle aux Rêves de Lyne Caputo  (Lu 10393 fois)

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La Bulle aux Rêves de Lyne Caputo
« le: jeu. 31/12/2020 à 16:55 »
La Bulle aux Rêves de Lyne Caputo


A Christine, Meg et Tiffany,
Qui parsèment d’étoiles mes bulles de rêves.




Prologue :
Des soucis d’été
au goût sucré de l’espoir

1

L’accident de voiture n’avait laissé aucune trace physique autre que des bleus en quantité. Surtout au niveau de la cage thoracique, où désormais en plus d’être douloureux, ces épanchements de sang formaient sous la peau une carte multicolore, qui se teintait du noir le plus profond en son centre pour finir par se diluer en toutes les nuances d’un jaune hideux en périphérie de ce vaste hématome, qui depuis quelques jours recouvrait la quasi-totalité du ventre de Lili.
Psychologiquement, et surtout émotionnellement, c’était une toute autre question. Cinq jours après avoir négocié le rond-point d’une petite ville anglaise dans le sens attendu dans une commune française, Lili n’avait toujours pas repris le volant par peur de commettre un nouvel impair en conduisant. James la pressait de remonter à cheval, comme il aimait à le répéter, jour après jour. Ce qui à la longue avait fini par se révéler être aussi drôle qu’agaçant, vu que ni l’un ni l’autre n’éprouvait de passion pour l’équitation. Et surtout parce que tout comme James, Lili n’avait même jamais tenté de monter sur le dos d’un de ces animaux, qui ne lui inspiraient que des craintes certaines ; en tout cas quand il s’agissait de les chevaucher. Les flatter, les caresser, ou leur donner quelques friandises, pouvait à la rigueur passer pour un moment agréable, à condition que l’animal soit docile, et non pas aussi ombrageux que le dernier que Lili avait eu à approcher lors d’un concours hippique où elle s’était rendue pour faire plaisir à une de ses élèves.
Même Wendy avait fait sa réapparition. Peut-être pour se faire pardonner sa longue absence des derniers mois. A moins que parce que ses relations avec Peter n’étaient désormais plus au beau fixe, c’était avant tout pour fuir son domicile qu’elle rendait à présent visite à Lili aussi souvent qu’elle le pouvait; parfois même plusieurs fois par jour. L’aspect le plus désagréable dans son attitude empressée était que la jolie rousse n’en cessait plus de lui proposer de la conduire où elle le souhaitait. Ce qui n’arrivait que très rarement, car Lili n’avait vraiment envie d’aller nulle part. Enfin, pour être totalement honnête, nulle part en Angleterre.
L’été s’allongeait en pente douce. Le temps était agréablement chaud pour ce mois de juillet, et comme d’habitude, elle avait beau savoir que la fin de la belle saison telle qu’elle était inscrite au calendrier civil était encore bien éloignée, elle ne pouvait s’empêcher de ressentir, en raison de la rentrée scolaire qui aurait lieu dans un peu plus d’un mois, que c’était autant la fin prévisible des vacances que de cet été qui la laissait glacée à la fois dans son corps et dans son âme.
Lili avait accepté de reprendre son poste à l’école publique de la ville, mais absolument pas de retourner travailler pour le cours privé de James. Même si cette fois-ci, elle aurait dû y être payée. Oh! Pas grassement ! Loin de là même. Mais c’était toujours mieux de se voir offrir un poste avec salaire, que de revivre ces mois où elle avait enseigné à la Saint Thomas School for Boys, sans aucune contrepartie financière. Ou autre.
Son ressentiment à l’égard de son mari était toujours bien trop fort pour qu’elle envisage de lui faire plaisir sur ce point. Ou tout autre d’ailleurs.
James ne lui parlait jamais de sa fuite en Louisiane à la toute fin du printemps dernier. Il ne voulait rien savoir sur ce qui s’était passé dans cette contrée lointaine. Ni même connaître, ou chercher à comprendre, les raisons qui avaient poussé sa femme à fuir ainsi. Ce silence convenait parfaitement bien à Lili, qui avait déjà assez de mal à tenir Wendy à distance. Son amie restait persuadée qu’un homme se cachait derrière cette escapade. Et elle aurait tant aimé tout apprendre à son sujet. Evidemment, Wendy n’avait pas tout à fait tort sur ce point, mais comment Lili aurait-elle pu admettre l’existence de la charmante hallucination qui l’avait visitée au cours de l’année passée ? La scolaire, toujours pas l’année civile. Etre prof modifiait définitivement la perception du calendrier.
Si Lili s’était laissée aller aux confidences, Wendy aurait sans doute recommencé à parler de psychiatre, et peut-être même d’enfermement ; surtout si Peter décidait de s’en mêler à nouveau. Qu’un homme se cache derrière cette fugue, c’était une histoire que Wendy aurait adoré s’entendre raconter, à condition que cette aventure ne mette pas en scène une existence tout aussi inexplicable que celle liée à ces apparitions insensées, dont l’origine et le sens se refuseraient sans doute à elle à jamais. Aussi son secret restait-il bien enfoui dans le cœur de la jeune femme. Et alors qu’elle avait cru qu’au fil du temps et des jours, le manque allait se faire moins mordant, il n’avait au contraire eu de cesse de grandir. Peut-être au fond, n’était-ce même pas les bleus qui lui faisaient ainsi mal à la poitrine. Peut-être était-ce au contraire son cœur, qui face à l’absence, saignait.
« Je vais rentrer tard ce soir. »
Si absorbée qu’elle l’était par ses pensées, Lili mit de longues secondes à noter que James lui avait parlé et qu’il attendait maintenant sa réponse.
«Oh! Je vois, dit-elle, justement parce qu’elle n’avait aucune idée de ce qu’il venait de lui dire.
– Tu sais combien ces réunions de préparation pour la rentrée sont importantes à Saint-Thomas... »
Lili faillit lui rétorquer qu’elles n’étaient pas plus importantes que dans une autre école, mais comme elle n’avait qu’une seule envie, que James quitte la maison au plus vite, elle se garda de répondre.
« Ne m’attends pas ce soir. »
Et son mari se retourna sans dire autre chose, ce qui là aussi lui convenait très bien. Enfin, il sortit de la maison sans ajouter un seul mot.
Il était tôt encore, même pas 19 heures, mais Lili avait déjà envie d’aller se coucher. Aussi, par commodité, mit-elle son besoin de dormir sur le compte de l’accident, un accident après tout encore bien récent. Son corps lui demandait du repos. Quoi de plus normal. Pour en finir avec ces pensées inutiles, elle chassa enfin de ses réflexions l’idée que, pendant qu’elle dormait, au moins le manque se faisait-il moins fort.
Pas comme en cet instant où après avoir monté les escaliers qui menaient au premier, avec toutes les précautions dues à ses côtés blessées, Lili pénétra dans sa chambre, ses pensées tournées vers celui, qui elle l’espérait, allait revenir hanter ses rêves. Elle était encore si perdue au fond d’elle-même qu’elle faillit ne pas comprendre l’image que ses yeux étaient en train de renvoyer à son cerveau.
Brutalement, et dans un sursaut si violent qu’il faillit lui arracher un cri de douleur, avant que toutes les souffrances, physiques ou non, ne soient reléguées bien vite au second plan, Lili laissa enfin ce nom qu’elle avait retenu avec tant de force franchir ses lèvres :
« David. »
Parce que là, assis sur le lit, souriant de ce sourire un peu maniaque, mais si plein de vie, se tenait bel et bien David.
« Oh David ! » lâcha-t-elle encore, le soulagement aussi présent dans sa voix qu’il l’était maintenant dans tout son être.

* **

« David ! répéta Lili, soudain gagnée par une énergie qu’elle avait crue à jamais disparue. Tu... tu existes pour de bon. »
Et alors qu’il lui adressait un clin d’œil, sans quitter le lit sur lequel il était confortablement assis, la jeune femme se ressaisit et tenta une fois de plus de donner corps à l’être impossible qui se tenait en face elle et qui lui renvoyait l’image d’un gosse heureux de constater que la surprise qu’il avait planifiée était à la hauteur de ses espérances.
« Tu es bien là, tenta Lili. Je veux dire, même si tu n’es qu’une hallucination, tu es bien présent... »
Elle stoppa, à court d’idées, plutôt que de mots, et elle regarda David se lever vivement et venir à sa rencontre. Quand il la saisit dans ses bras et qu’il l’enserra bien fort, Lili ne put retenir un faible gémissement de douleur. Il s’écarta aussitôt d’elle et lui fit face, baissant la tête pour mieux se plonger dans son regard, clairement inquiet à présent. Son éclatant sourire avait disparu, et ses yeux dans ce visage redevenu sérieux, renvoyèrent l’incompréhension qui l’habitait.
Sans tarder, Lili saisit David par les avant-bras et commença à lui expliquer, le plus vite qu’elle pouvait : « Ce n’est rien. J’ai juste eu un accident et j’ai
encore mal aux côtes... »
Elle le lâcha ensuite pour pouvoir soulever son
pull, juste un peu, pour ne pas dévoiler la totalité des dommages physiques qu’elle avait subis, mais aussi par pudeur. Une pudeur un peu enfantine dont elle prit conscience de façon aiguë.
David baissa les yeux et au vu de sa physionomie, elle comprit qu’il était sincèrement touché de ce qui lui était arrivé. A son tour, il leva une main qu’il approcha avec lenteur du ventre de Lili jusqu’à ce que le bout de ses doigts effleure doucement sa peau et provoque par ce geste des frissons, qui combinaient à la fois le plaisir d’être touchée par lui et l’âcre douleur montant des terminaisons nerveuses sous la peau ; une peau, qui réagissant à ce doux contact, se hérissa en une chair de poule féroce, à laquelle Lili se força à vite trouver une cause pour ne pas laisser la gêne s’installer en elle. Enfin, pas plus qu’elle ne l’était déjà.
« J’ai un peu froid. », annonça-t-elle en rabaissant le pull sur son ventre.
David la regarda, droit dans les yeux, comme lui seul savait le faire.
« Je suis désolé, dit-il avec cette intensité qui lui était propre et qui menaça de faire chavirer à nouveau le cœur de Lili. Je suis désolé, répéta-t-il. Mais pas que pour ça. Il est arrivé quelque chose... »
Intriguée, Lili se focalisa sur ce que sa charmante apparition essayait de lui dire.
« Je crois, reprenait David qu’un drame s’est passé à la plantation. Je ne sais pas bien quoi. Il hésita, puis annonça finalement comme on le ferait d’une excuse. Quand tu es partie, j’ai perdu toute possibilité de voir et de comprendre la vie... »
Lili faillit se servir de cette nouvelle pause pour lui dire que si quelqu’un avait bien disparu, c’était lui et absolument pas elle, mais David semblait avoir des choses tellement plus importantes à lui révéler qu’elle choisit de garder le silence.
« Prépare-toi, termina-t-il, sans même chercher à lui expliquer pourquoi il lui délivrait une telle mise en garde. Prépare-toi. »
Et cette fois-ci, si vite que si elle avait cligné des yeux en cet instant, elle ne se serait aperçue de rien, Lili le vit disparaître devant elle, à l’image d’un hologramme dont on aurait coupé la source. En réaction, elle porta les mains à ses côtes, y appuya légèrement pour vérifier qu’elle ne rêvait pas. Puis, elle grimaça, avant d’enfin se laisser aller à sourire. Certes, David venait de littéralement se dématérialiser devant ses yeux, mais il était revenu. Il lui était revenu. Et c’était bien la seule chose qui comptait. S’il avait pu la rejoindre encore une fois, c’est qu’elle ne devait plus douter qu’il n’allait pas la quitter.
Sa joie se fit si profonde que Lili, qui avait d’ores et déjà oublié la mise en garde, se laissa tomber assise à l’exact endroit que David avait occupé. Et elle éclata de rire, d’un rire plein d’une satisfaction, dont cette fois-ci elle ne se soucia même pas de trouver l’origine, tant elle était évidente.

2

Le mur avait disparu. Non, pas disparu. Maintenant que David prenait le temps d’y réfléchir, ce mur avait plutôt semblé s’écrouler. Même si ce qui importait au bout du compte, c’était que le résultat reste le même : cet obstacle infranchissable qui n’avait aucun sens n’était plus là, mais vraiment plus là du tout. A la différence des autres fois, où cette muraille sans fin s’était par instant ouverte pour lui livrer passage sous la forme d’une fente élargie en son centre par la force de... De quoi justement ? De la volonté de Lili? De son besoin de lui? Et cette hypothèse à laquelle il avait abouti, faute de mieux, n’était-elle pas une conclusion des plus ridicules? Surtout que la première fois où l’ouverture sur le monde s’était produite, Lili n’avait pas même idée de qui il était.
Mais désormais, le mur n’était plus là. Paradoxalement, Lili ne l’était pas plus. Seule la plantation lui faisait face, majestueuse et aussi belle qu’elle l’avait toujours paru à ses yeux. Au pied de ce promontoire sur lequel elle était bâtie, il se tenait, droit, le vent qui jouait dans les mèches de ses cheveux lui rappelant qu’il avait bel et bien repris contact avec la réalité.
David fit un pas en avant. Rien ne se passa. Il était toujours là. Il regarda alors la mousse espagnole qui se balançait dans les arbres au rythme du vent qui gagnait en force. Le gris intense de cette mousse se découpait sur un ciel d’un bleu pâle, parsemé de striées blanchâtres. L’humidité était intense. Il la ressentait sur sa peau, dans le tissu de son pantalon de coton blanc, et jusque dans ses cheveux qui semblaient s’imprégner de cet air embrumé.
Il fit un nouveau pas en avant. Toujours rien. Toujours pas de Lili en vue. Son cœur sauta un battement, mais son visage resta de marbre.
Le mur ne reviendrait plus. En tout cas, il l’espéra de toutes ses forces. Etre présent un instant, puis comprendre qu’on avait disparu, disparu au vrai sens du terme, aucune pensée, ni aucune réalité, en tout cas aucune de celles qui faisaient que vous étiez vous n’étant désormais possible, allait finir par le rendre fou. Cet état d’absence, de disparition, de mort, ne pouvait être compris, et pris en compte, il avait fini par l’apprendre à ses dépens, que lorsqu’il était de retour. De retour, et dans l’attente cruelle de s’effacer à nouveau. Et voilà que maintenant, ce qui n’avait pas de sens venait de mettre un point final au phénomène. Il le savait. C’était aussi simple que cela.
L’air dans le lointain sembla se déchirer. A présent, des lumières, blanches et bleues, striaient l’horizon. Et le son strident des sirènes de police atteignit avec une seconde de décalage ses oreilles.
Des voitures de police arrivaient à la Bulle aux Rêves.
David pensa à Lili. Son cœur se serra, mais pas en raison du manque. Soudain, il eut peur. Et dans l’instant, il pensa aussi qu’elle devait être bien en sécurité dans sa chambre, loin de la Louisiane.
Sa vue se brouilla. Il cligna très fort des paupières. La lumière avait baissé en intensité. Et David ne comprit pas l’image que ses yeux lui renvoyaient, sinon qu’il s’agissait à nouveau d’un mur. Un mur qui n’était plus blanc, mais taupe. Son cœur s’affola, pendant que son esprit se décidait à enregistrer le fait qu’il était confortablement assis, sur un lit sans doute, et qu’une porte découpée dans le mur taupe s’ouvrait, et s’ouvrait pour laisser entrer Lili.
Là, il comprit, et le sourire éblouissant qui naissait sur ses lèvres, même s’il s’adressa à Lili, naquit avant tout du bonheur que devait éprouver tout prisonnier dont on vient d’ouvrir la porte de la cellule à jamais.
A moins que ce soit jusqu’à sa prochaine erreur. Une erreur impossible à prévoir, ou pire, à tout simplement anticiper.

Pour rappel : lien vers le tome 1 ICI
"J'ai décidé d'être heureux parce que c'est bon pour la santé" (Voltaire)

 


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