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Le serment de Angelo Casilli
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Apogon:
Le serment de Angelo Casilli
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Citations
Quand les hommes choisissent de tuer des innocents pour parvenir à leur fin, il s’agit toujours de meurtres.
Elizabeth Anscombe.
La violence inassouvie cherche et finit toujours par trouver une victime de rechange.
René Girard.
Prologue
Non, ce n’était pas normal, rageait-il en tapant des pieds pour se réchauffer. Quelque chose clochait. Que pouvait-elle bien faire ? Cette attente prolongée près de l’étang de la Ballastière, non loin du domicile de madame Gauthier, n’était pas prévue au programme et il ne s’était pas vêtu cette fois en conséquence. Son imperméable gris, même boutonné jusqu’au cou, ne lui assurait pas une protection efficace contre ce froid d’automne. Seules ses mains gantées et bien enfoncées dans ses poches étaient épargnées par le froid. Il ressentait même une petite chaleur agréable. Ce n’était pourtant pas pour cette raison qu’il avait chaussé ses gants avant de sortir de son véhicule, mais pour ce qu’il s’apprêtait à faire. Éviter de laisser des empreintes sur les lieux de son passage était une mesure de sécurité indispensable à son activité, tout comme planquer sa Clio sur un parking à une centaine de mètres du lieu de son forfait. C’étaient encore pour les mêmes raisons que Brice avait choisi ce poste d’observation. Il pouvait surveiller le domicile de madame Gauthier tout en gardant une certaine distance pour ne pas attirer l’attention. Tout avait été soigneusement préparé, mais rien ne se déroulait comme prévu. Il était à deux doigts de tout laisser tomber.
Même ce vent frais qui venait de faire son apparition semblait lui aussi s’être levé pour l’encourager à partir. Mais il n’était plus question pour lui de reporter l’opération à plus tard. Le temps pressait. On était vendredi et il ne pouvait pas s’offrir le luxe de patienter encore jusqu’à lundi. Ses dernières « visites » n’avaient pas été très fructueuses et ses maigres économies avaient fondu comme neige au soleil. Il lui fallait absolument se renflouer aujourd’hui s’il voulait manger. C’était une question de survie. C’était ainsi que Brice justifiait ses actes. À quarante-quatre ans, il avait déjà une solide expérience derrière lui. Ses surveillances répétées lui avaient appris que le couple ne possédait pas de chien, ce qui était un atout non négligeable. Les volets étant toujours fermés, ses repérages l’avaient aussi renseigné sur le matériel dont il devrait disposer pour forcer la porte à l’arrière de la maison. Il était fin prêt pour passer à l’action.
Oubliant momentanément le froid, il se mit à rêver en observant cette demeure d’architecture moderne isolée des autres. Il espérait bien y trouver cette fois quelques billets ou autres objets de valeur qu’il pourrait revendre à bon prix. Perdue dans ses pensées, une autre image s’imposa malgré lui dans son esprit : celle du visage de madame Gauthier. Cette proximité régulière avec elle au fil des jours avait créé un lien indicible qu’il ne parvenait pas à chasser. Dès le premier regard, il avait tout aimé en elle, son élégance, ses attitudes, et dans sa manière de se déplacer. La classe à l’état pur. Le genre de fréquentation qu’un raté comme lui n’aurait jamais, se disait-il.
Le vent frais le ramena à la réalité. De rage, il repoussa d’un geste violent son sac en bandoulière sur le côté et sortit pour la troisième fois la main de sa poche pour vérifier l’heure : quatorze heures trente. Elle aurait dû être sortie depuis un petit moment maintenant. Trois semaines, qu’il surveillait chaque jour ses habitudes et celles de ses proches qui ne se résumaient au final qu’à son mari. Elle faisait toujours à pied le trajet de son domicile à l’agence immobilière où elle travaillait et vice versa. Il connaissait ses horaires par cœur. Arrivée chez elle à douze heures dix, départ pour l’agence à treize heures cinquante avant de rentrer vers dix-huit heures dix. C’est cette dernière tranche horaire qui l’intéressait : le moment où elle repartait sur son lieu de travail pour l’après-midi. Pour ce qui était des horaires de son mari, il y avait peu de chance de se faire surprendre par lui. Il partait tous les jours tôt le matin et revenait en fin d’après-midi au volant de sa Mercedes-Benz CLS 320. Rien n’avait changé en deux semaines. Au point qu’il en était venu à limiter ses temps de présence ces derniers jours entre midi par sécurité. Il se contentait d’attendre qu’elle soit rentrée à son domicile avant de retourner dans son véhicule, puis revenait à treize heures trente-cinq pour la voir repartir à son travail.
Ce n’est vraiment pas de bol, se disait-il, qu’elle décida justement aujourd’hui de modifier ses habitudes. Une réflexion s’imposait. Quelles que puissent être les raisons qui l’auraient poussée à sortir plus tôt, ça faisait son affaire, mais il devait aussi envisager la possibilité qu’elle soit toujours à l’intérieur. Avait-elle pris congé ? Était-elle malade ? Brice l’avait vue arriver à pas rapides et elle ne lui avait pas donné l’impression d’avoir une défaillance quelconque. Dans tous les cas, il devait maintenant s’en assurer et deux options s’offraient à lui : retourner à l’agence pour vérifier sa présence à travers la baie vitrée ou sonner à sa porte. La première représentant une perte de temps considérable, il opta pour la solution la plus rapide. Il trouverait bien un prétexte quelconque si elle venait à lui ouvrir. Cette pensée lui arracha toutefois une grimace. Ça sous-entendait qu’après s’être exposé, il devrait repousser l’opération de plusieurs jours pour se faire oublier, voire chercher une autre cible, ce qui était inenvisageable au vu des contraintes de temps liées à sa préparation. Il traversa la route en chassant cette idée de son esprit, puis monta les quelques marches qui menaient à la porte d’entrée et appuya sur la sonnette où était inscrit monsieur et madame Gauthier.
Personne ne se manifesta. Il recommença plusieurs fois avec insistance avant de retourner à sa position initiale. Il jeta un dernier coup d’œil aux alentours pour s’assurer qu’il n’y avait personne, puis se rendit à l’arrière de la maison face à la porte. En sortant la perceuse sans fil de son sac, il se réjouit d’avoir choisi ce quartier tranquille aux habitations espacées. Il était conscient que malgré tous les soins apportés à préparer son coup, des surveillances aux repérages, en passant par les filatures, il restait une inconnue de taille : il ignorait si la maison était équipée d’un système d’alarme ; mais ça faisait partie des risques inhérents à son activité. Par chance, ce ne fut pas le cas. Après avoir percé le barillet, ce dernier n’opposa aucune résistance à s’activer avec un tournevis. Une fois à l’intérieur, l’absence d’odeurs d’un plat quelconque le conforta dans son idée que madame Gauthier était certainement partie se restaurer à l’extérieur. Guidé par sa lampe torche, il se retrouva dans le salon et resta immobile, à l’affût d’un son suspect indiquant une présence, tout en balayant la pièce du faisceau lumineux. C’était toujours le même rituel et la mélancolie le gagnait à chaque fois. Il s’imaginait être chez lui, affalé dans ce canapé d’angle au châssis en bois massif, face au téléviseur de dernière génération. Il n’en avait jamais vu d’aussi grand. À vue d’œil, il devait bien faire soixante-dix pouces. La bibliothèque en manguier massif attira tout juste son attention. La maison lui renvoyait sa condition sociale. Une vie minable dans un studio minable d’un quartier minable. Il soupira et porta son regard sur tout ce qui comportait des tiroirs. En bon professionnel, il les fouilla méthodiquement un par un. Sa patience fût récompensée, il trouva dans l’un d’eux une montre Monster de chez Seiko, surnommée ainsi en raison de ses lignes et ses formes brutes. Encore dans son écrin, Brice en déduisit que le mari ne devait la porter qu’à certaines occasions. Un sourire s’afficha sur son visage en l’estimant à plusieurs centaines d’euros. Tout en la faisant glisser délicatement dans la poche de son imperméable, il se voyait bien trouver encore quelques bijoux précieux dans les commodes d’une des chambres du haut pour compléter son butin. Il emprunta les escaliers et à mi-chemin, une porte ouverte sur sa gauche l’invitait déjà à entrer. Il s’avança jusqu’à l’encadrement avant de s’arrêter pour balayer lentement la pièce de sa lampe torche. Lorsque le lit se trouva dans le champ du faisceau lumineux, Brice resta quelques secondes figé dans cette position, puis fit le trajet inverse à reculons, manquant de justesse de dégringoler dans les escaliers. Quand il arriva en bas, il était déjà tout en sueur, la respiration haletante et les jambes flageolantes. Il devait quitter cette maison au plus vite. Si on le trouvait ici, il risquait une condamnation bien plus lourde qu’un simple vol par effraction. Il se dirigea précipitamment vers la porte arrière d’où il était venu, puis s’arrêta et se retourna, hésitant, déchiré par l’envie de fuir ou de prévenir quelqu’un. Non, il ne pouvait décemment pas la laisser comme ça. Brice était peut-être un voleur, mais pas un salopard. Bien qu’il n’y ait plus rien à faire pour madame Gauthier, il se devait de prévenir la police. Il épargnerait ainsi à son mari de faire l’horrible découverte. S’il appelait d’ici, on ne risquerait pas de remonter jusqu’à lui et il aurait bien le temps de filer. Il revint sur ses pas et se posta devant le téléphone fixe, la lampe torche calée sous son bras gauche. Il hésita encore un court instant avant de saisir le combiné et composer le dix-sept. Une voix féminine se fit entendre.
— Allo ! Police secours, j’écoute.
Au moment de répondre, Brice enleva d’un geste fébrile son gant gauche et le positionna sur le microphone du téléphone pour camoufler sa voix. Il prit une longue inspiration en secouant la tête. Il n’aurait jamais imaginé un jour alerter lui-même la police lors d’un cambriolage.
La voix de son interlocutrice se fit plus pressante.
— Allo ! Parlez, s’il vous plaît !
— Écoutez-moi ! Une femme est morte. Elle a été assassinée à son domicile.
— Que dites-vous ? Vous avez bien parlé d’un meurtre ?
— Oui, un meurtre.
— Vous avez été témoin de ce qui s’est passé ?
— Non.
— Que faites-vous à son domicile ? Vous êtes un proche de la victime ?
Brice déglutit avant de répondre.
— Non.
Un silence en retour, court, mais éloquent, traduisait l’incongruité de la situation.
— Bien, donnez-moi son adresse et attendez sur place l’arrivée des secours. Je vais vous demander également votre identité.
— Écoutez, vous trouverez l’adresse à partir de ce numéro d’appel, lâcha-t-il avant de raccrocher.
Il utilisa encore son gant comme d’un chiffon pour nettoyer le combiné, puis sortit la montre de sa poche et la posa à proximité du téléphone. C’était une façon symbolique pour lui de nier toute participation au meurtre. Il quitta ensuite la maison sans demander son reste.
De retour dans sa Clio, Brice réalisa à peine ce qu’il venait de se passer. Il resta, il ne sait combien de temps, prostré devant le rétroviseur intérieur à observer son teint livide. Au loin, le son des sirènes le fit sursauter. Un regard sur sa montre lui indiqua quinze heures trente. Il patienta encore plusieurs minutes avant de démarrer son véhicule et quitter le parking pour rejoindre la grande route. Sur sa gauche, les gyrophares des secours et de la gendarmerie tournoyaient devant la demeure de madame Gauthier. Il s’apprêta à prendre la direction opposée, mais une force incontrôlable le poussa à repasser une dernière fois devant son domicile. Il ne pouvait s’empêcher de penser qu’il y a à peine quelques heures, elle était encore vivante, et maintenant on l’emmenait dans un sac mortuaire. Tout a basculé approximativement entre midi vingt-cinq et treize heures trente. Que s’était-il passé ? Sans pouvoir l’expliquer, la mort de cette femme qu’il avait côtoyée à sa façon pendant plusieurs jours l’avait affecté. Il commençait à culpabiliser d’avoir quitté son poste de surveillance. Il n’aurait peut-être pas pu la sauver, mais il aurait pu donner la description de son meurtrier à la police de manière anonyme.
Il guetterait désormais la moindre information sur ce crime et ne trouvera la paix que lorsque son assassin aura été arrêté.
Il aurait voulu avoir comme dernière image de madame Gauthier, celle d’une femme d’une élégance rare et à l’allure gracieuse. Mais au lieu de ça, c’était l’image d’une femme recroquevillée sur son lit, la tête tombante et les yeux exorbités, qui hantaient son esprit.
Sa mort provoqua un déclic chez Brice. Il se jura d’arrêter son activité de cambrioleur avant d’accélérer et de quitter définitivement ce quartier.
Une journaliste ambitieuse
Juin 2015
Au siège de la N.T.A, une chaîne télévisée, la journaliste, Isabel Dupin, saisit le premier journal sur la pile qui trônait sur son bureau sans lâcher des yeux son téléphone « spécial » qui restait désespérément muet. Elle contrôla pour la énième fois le volume de la sonnerie pour s’assurer qu’il était bien au maximum. Elle attendait un appel de son correspondant anonyme sur le portable réservé exclusivement pour « lui ». Tout le monde savait au sein de l’entreprise de qui il s’agissait ou du moins tous ses collègues se doutaient de la fonction qu’il occupait : il était policier au commissariat d’Antalville. Pour son émission, « pleins feux sur le crime », qu’elle avait lancée il y a un an, elle avait besoin de matière première pour l’alimenter. Son objectif : être au plus près d’une scène de crime pour pouvoir intervenir en temps réel et filmer « l’évènement ». Qui mieux qu’un policier, étant toujours le premier sur les lieux, pouvait l’alerter rapidement ? Le bruit courait qu’elle y mettait les moyens. Ses assistants, Mathieu et Stéphane, connaissaient les consignes : être toujours sur les starting-blocks, caméra sur l’épaule, prêts à décoller, sinon la foudre s’abattait sur eux.
Elle reprit la lecture du journal qu’elle tenait entre les mains et s’arrêta sur les gros titres : « L’ÉTRANGLEUR AUX FOULARDS VIENT DE FAIRE UNE NOUVELLE VICTIME À GRÂCEVILLE ».
Pour la journaliste, c’était encore une occasion ratée de produire une émission sur le tueur en série. Grâceville était bien trop loin pour être rapidement la première sur place et elle ne connaissait personne susceptible de la prévenir.
Ses collègues connaissaient l’ambition qui la dévorait. Mathieu et Stéphane lui rapportaient des médisances à son égard. Certains allaient jusqu’à prétendre qu’elle serait prête à payer l’étrangleur aux foulards pour venir « exercer » sur Antalville. Les mauvaises langues ont encore de beaux jours devant elles.
Pour aujourd’hui encore, son téléphone ne sonnera pas.
Une vieille affaire
Octobre 2016
Je ralentis en me rapprochant de la demeure. Je tenais à arriver aussi discrètement que possible pour ne pas trahir ma présence et me laisser le temps de me mettre en « position ». Si j’avais pu couper le moteur et me laisser porter sur une pente douce, je l’aurais fait. J’aurais pu aussi, me direz-vous, arrêter la voiture bien avant d’arriver près de la propriété et faire le reste à pied. Mais paradoxalement, j’avais besoin de mon véhicule pour me faire entendre. Oui, je voulais que ce soit seulement à un moment précis pour que je puisse profiter pleinement de cet instant.
J’ouvris lentement la portière et sortis du véhicule. Mon rythme cardiaque commença à s’affoler. La main posée sur la portière, je guettai la fenêtre du deuxième étage à droite. J’étais prêt à recevoir une décharge d’émotions. Le bruit que fit la portière en se refermant donna le signal.
La raison, la seule qui donnait encore un sens à mon existence, apparut à la fenêtre lorsqu’elle s’ouvrit.
— Papa ! Attends, je descends.
Je sais, ça a un côté théâtral. Mais ça faisait trop longtemps que j’attendais ce moment. Près d’un an. Une éternité.
Je ne saurai probablement jamais comment une jeune fille de dix-sept ans a pu se retrouver en bas en quelques secondes pour m’ouvrir la porte et se jeter dans mes bras. Pas plus que je ne comprendrai comment j’ai pu la délaisser pendant près d’un an. Je ne cherche pas d’excuses auprès des évènements tragiques qui ont bouleversé ma vie. J’aurais dû être présent auprès de ma fille après la disparition de sa mère et surmonter cette épreuve ensemble.
Mais on ne peut pas réécrire l’histoire. On n’a pas le pouvoir de changer le passé, mais on a celui d’éviter de refaire les mêmes erreurs. Je retrouvais ma fille Jenny et c’était tout ce qui comptait pour moi maintenant. Elle était tout ce qui me raccrochait encore à la vie. Son étreinte me réchauffait le cœur. Je n’étais plus le commissaire Lewis, exerçant à la brigade criminelle d’Antalville et traquant les criminels, mais simplement un père.
Une dame aux cheveux gris-argenté apparut sur le seuil de la porte en souriant. Pierre, mon beau-père, l’embonpoint bien prononcé, se plaça discrètement à ses côtés avant qu’elle ne se jette sur moi en m’embrassant chaleureusement.
— Pourquoi n’as-tu pas appelé ? me demanda Martha en faisant référence à mon court séjour à l’hôpital. Nous serions venus te chercher.
— Bah, je ne voulais pas vous déranger pour ça. Et puis, la Laguna a rendu l’âme.
— Oh, peu importe. Nous aurions trouvé un moyen de passer te prendre.
— Je n’en doute pas, Martha.
— Oh toi, tu voulais faire la surprise à quelqu’un.
Son regard fit rapidement un aller-retour en direction de ma fille. Ma belle-mère aussi attendait ce moment depuis longtemps de nous voir réconciliés.
— Elle n’a pas arrêté de nous parler de toi pendant ces quelques jours et de ce qu’il s’est passé « là-bas ».
— J’espère qu’elle ne vous a pas trop embêtée avec ça.
— Mais non, penses-tu !
Puis, elle rajouta en penchant la tête vers moi :
— Tu es devenu son héros.
J’échangeai un sourire complice avec ma fille qui avait bien sûr entendu.
— Merci de t’être occupé de Jenny pendant mon séjour à l’hôpital, Martha. Je sais que je n’ai pas été très présent ces derniers temps, désormais tu nous verras plus souvent. Pour aujourd’hui, je te l’enlève encore, mais je te la ramènerai demain matin.
— Ne te préoccupe pas pour ça. Il est bon que vous passiez beaucoup de temps ensemble.
— Oui, mais pour demain matin, je vous ai préparé quelque chose.
Je me tournai vers mon beau-père.
— J’espère que tu seras là, Pierre ?
— Bien sûr, Jack. Je peux bien laisser mes parties de belote de temps en temps.
Martha ne ratait jamais une occasion de titiller son mari. C’était peut-être là le secret de longévité de leur couple. Un grand sourire s’afficha sur son visage et ajouta d’un ton enjoué :
— Moi, je suis sûre qu’il sera là. Il veut surtout vous montrer sa nouvelle voiture. On va la chercher cet après-midi.
Le visage de mon beau-père s’empourpra et il partit dans un éclat de rire tout en secouant la tête.
— Je me sens beaucoup plus rassuré maintenant lorsqu’il va rejoindre ses amis sur Brennange, poursuivit Martha.
— Je m’en doute. Je suis impatient de la voir. Donc, le programme de demain, ce sera resto et ensuite, petite balade sur la place des arts. Enfin, si ton genou le permet, Martha.
— Oui, ne t’inquiète pas. Ça va beaucoup mieux maintenant.
La place des arts. Pour beaucoup, elle était maintenant devenue synonyme de tragédie. Les terribles évènements qui s’y sont déroulés resteront encore dans les mémoires pendant longtemps. Mais pour ma part, elle sera toujours liée à un moment heureux de mon existence où nous y emmenions Jenny, Linda et moi, lorsqu’elle était petite.
— À demain, mamie, fit-elle encore une fois en montant dans la voiture.
Pendant qu’on s’éloignait, elle ne lâcha plus sa grand-mère des yeux jusqu’à ce qu’elle soit hors de portée de vue, puis elle se tourna vers moi.
— Tu sais, papa…
Elle marqua une pause. Je jetai un regard furtif dans sa direction.
— Tu voulais me dire quelque chose ?
— Après ce qui est arrivé sur la place des arts, j’ai pris conscience d’une chose.
Je crois que je devinais de quoi il s’agissait.
— Je n’imaginais pas à quel point tu exerçais un métier aussi dangereux.
Je tentai de minimiser les risques inhérents à ma profession.
— Bah ! Tous les métiers peuvent être dangereux, Jenny. Un accident est vite arrivé quand on n’est pas vigilant. Mais tu ne dois plus penser à ça.
— Oui, mais pour toi, ce n’est pas pareil, tu traques les criminels comme cet affreux Apollon. Il aurait pu te tuer.
Le ton de ma voix se radoucit.
— Écoute ! Ta mère et moi avons tout fait pour te préserver de ça. Il faut quelqu’un pour les arrêter et je ne suis pas le seul à le faire. Tu es en âge de comprendre maintenant, mais tu n’as pas à t’inquiéter.
— C’est ce que m’a dit Henry.
— Henry ? demandai-je étonné.
— Oui, il était passé prendre de mes nouvelles et j’en ai profité pour lui poser des questions. Je me souviens que l’année dernière, tout le monde parlait de ce sale type qui étranglait des femmes avec un foulard. Je voulais savoir si c’était toi qui l’avais arrêté. Il m’a dit que personne n’était arrivé à l’avoir et que toi, tu l’avais retrouvé en peu de temps.
— Je crois qu’Henry parle beaucoup trop.
— Ne lui en veux pas ! C’est moi qui ai insisté.
— Connaissant Henry, tu n’as pas dû insister longtemps. Et pour répondre à ta question, c’est moi qui étais chargé de le retrouver, mais loin de moi l’idée de m’attribuer tout le mérite. Personne ne peut résoudre une affaire tout seul, Jenny. On forme une équipe à la brigade et tout le monde a son rôle à jouer. Pour Apollon, Richard nous a fortement aidés dans cette enquête. Paul a pris des risques pour m’aider et je ne te parle pas de Henry, Tom, Rudy ou Chris. Sans oublier Léa.
Je m’arrêtai sur Léa. Je n’oublierai jamais ce que je lui dois.
— Sans son aide, nous n’aurions jamais pu l’arrêter.
En réalité, sans elle je serais mort.
— Mais personne n’aurait eu le courage de faire ce que tu as fait. Je suis fière de toi, papa.
Je lui répondis en souriant.
— Ben voilà, fallait commencer par là. Moi, je suis encore plus fier de toi, Jenny. Ce que tu as fait demandait beaucoup plus de courage. C’était à moi de prendre soin de toi et malgré tout ce que je t’ai fait subir, tu es revenue vers moi. Je n’oublierai jamais cet instant où tu as couru vers moi. Aucune force au monde n’aurait pu te retenir. Tu as fait ce que j’aurais dû faire. Tu es resté auprès de moi pour me soutenir quand j’en ai eu le plus besoin.
Des larmes commençaient à rouler sur ses joues.
— J’ai eu peur qu’il t’arrive quelque chose, papa.
Je lui pris la main.
— Je sais ma puce. Mais c’est fini maintenant. Oublions tout ça !
Le premier lieu où nous nous rendîmes fut bien entendu le nouveau cimetière d’Antalville où reposait Linda. Sur sa tombe, l’abondance de chrysanthèmes, de cyclamens ou autres bruyères, témoignait de l’affection que tout le monde portait à ma femme. Jenny se serra tout contre moi. Je n’arrivais pas à détacher mon regard du visage souriant de Linda en médaillon. Je n’arrêtais pas de me répéter : pourquoi elle ? Pourquoi nous l’a-t-il pris ? Je repensais à ce jour maudit où c’est arrivé. Je n’avais rien pu faire pour la sauver. Justice a été faite, mais ça ne me l’a pas rendu.
Et maintenant, il fallait réapprendre à vivre. Pour Linda, pour Jenny, il fallait aller de l’avant.
C’est ce que nous avons fait. Nous n’avions jamais été aussi proches et aussi complices que cette journée-là. J’ai savouré chaque seconde passée avec ma fille. Ses rires résonnent encore dans ma mémoire.
Je sais maintenant qu’il y aura d’autres journées comme celle-là. Beaucoup d’autres.
Le soir, après avoir souhaité bonne nuit à ma fille, je regagnais ma chambre, exténué. Allongé sur le lit, je repensai à l’affaire de l’étrangleur aux foulards dont m’avait parlé Jenny. Une affaire qui avait secoué Antalville. Elle allait aussi remettre en question toutes mes convictions sur les êtres humains. Comment pouvait-on s’en prendre à tant de victimes innocentes ?
Lorsqu’il fut appréhendé et que la vérité éclata, tout le monde ne parlait plus que de ça. Un tel disait : « mon Dieu ! Pourquoi toutes ces victimes ? Comment peut-on en arriver là ? » Un autre disait : « pour moi, il n’aimait pas les femmes. Qu’on ne vienne pas me dire le contraire ! »
Partout, dans les lieux publics, jusque dans les rues, tout le monde y allait de ses commentaires. Mais personne n’avait de réponses à toutes les questions qu’ils pouvaient se poser. Aujourd’hui encore, je pourrais vous raconter l’affaire dans ses moindres détails, que je fusse présent ou non sur les lieux, puisque j’étais chargé de l’enquête et que j’avais accès à tous les témoignages. Mais je serais incapable de vous expliquer comment on peut arriver à une telle folie meurtrière. Ce n’était pas mon rôle. Moi, je savais seulement que je devais l’arrêter. J’en avais fait la promesse et je l’ai tenue.
Pendant toute mon enquête, je me demandais quel visage pouvait avoir un être capable de tels crimes monstrueux. Je me souviens de la réponse qu’avait donnée un spécialiste des tueurs en série à un journaliste qui lui avait posé la question : si c’était écrit sur leur visage qu’ils sont des assassins, ce serait beaucoup plus facile pour la police de les arrêter. Rien n’était plus vrai. Ils ressemblent à monsieur tout le monde.
Mais laissez-moi vous raconter toute l’histoire.
Bien qu’ayant mené l’enquête jusqu’à son terme, la difficulté serait de situer avec précision quel jour ont eu lieu les premiers évènements qui germaient sournoisement quelque part et me prédestinaient un jour à m’embarquer dans cette terrible affaire. Pourtant, il faut bien situer le début d’une histoire quelque part. Je laissai mon esprit vagabonder et me retrouvai propulsé en juillet 2015, un soir où je rentrais chez moi pour retrouver ma petite famille.
La seule raison qui me pousse à me replonger dans cette période trouble est que ma femme, Linda, à ce moment-là, était encore de ce monde. Et je serais prêt à retourner tous les jours en enfer pour la revoir.
Elle me manque tellement.
marie08:
« Le serment » est le troisième roman de Angelo Casilli que je lis et je n’ai pas été déçue. Une fois de plus, l’auteur a placé dans son roman tous les éléments d’un excellent thriller. Très vite, j’ai été captivé par une intrigue aux rebondissements multiples et au suspense magistralement distillé au fil des pages. Le tout servi par la plume efficace, agréable et fluide de Angelo.
Dans ce dernier opus, qui se déroule un peu plus d’un an avant les terribles événements relatés dans « Le tueur invisible », nous retrouvons le commissaire Jack Lewis et sa fille, faisons connaissance avec sa femme et de deux de ses amis, des copains d’enfance, dont l’un est gendarme et l’autre vigile.
L’histoire : prenez un serial killer, surnommé l’étrangleur aux foulards par les médias, parce qu’il signe ses crimes en laissant sur ses victimes le foulard qui a servi à les tuer, mettez-le dans la même ville que Jack Lewis, confiez-lui alors l’affaire, et la chasse à l’homme commence.
Mais je n’en dirais pas plus pour ne rien spoiler.
Si vous aimez les thrillers où l’intrigue jongle avec rebondissement, suspense et émotion, ce roman est pour vous.
Quant à moi, je remercie Angelo Casilli pour m’avoir fait passer un excellent moment de lecture.
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