* Texte brut fourni par l'auteur
Chapitre 1
Coudes appuyés sur la table, mains soutenant la tête, je ne pouvais décoller les
yeux du texte.
« J’aurais bien voulu savoir ce que ce charabia voulait dire ? Je ne comprenais
pas ! »
Je me versai une rasade de vodka et en bu une gorgée. Le liquide se répandit dans
tout le palais puis alla flirter auprès de la luette, pour tout à coup chuter dans mon
œsophage, me procurant une chaleur réconfortante bien qu’inhabituelle. Tout aussi
inhabituelle était ma situation. J’avais beau fouillé ma mémoire et ne trouvais rien
qui soit en rapport avec ce débarquement en Antarctique. Je me versai à nouveau un
verre de cette vodka mystérieuse. En reposant la bouteille, elle heurta le coupe-
papier, je la rattrapai in extremis avant qu’elle ne se renverse sur mon bureau. Je
remarquai alors une goutte qui s’était échappée du goulot et commençait à glisser
lentement le long de la paroi de verre. Fasciné, je suivais son périple, en me
demandant si elle changerait de direction. Mais son destin était tout tracé : elle
passerait inexorablement entre les deux initiales énigmatiques. Je ne sais pas ce qu’il
me prit, mais mon doigt, comme mû par une force extérieure, se précipita et
recueillit la goutte que je portai instinctivement à la bouche. Tout s’était passé
tellement vite que je ne me rendis pas compte que le doigt n’avait pas simplement
arrêté la goutte dans son mouvement mais avait aussi effleuré les deux
lettres mystérieuses ; ce qui provoqua dans ma tête une succession de flashs.
Fermant aussitôt les yeux, j’essayai de chasser ces images déformées, mais je ne
pus empêcher la matérialisation de l’une d’elles : une porte froide et grise dans un
couloir sombre, sans âme et sans vie.
Je me levai d’un bond, pour tenter d’échapper à cette vision. Réfugié près de la
fenêtre, je constatai l’émergence du crépuscule et vécu soudainement le temps
suspendu. Revoyant Jasper Griffiths je repensai à ce vieux dicton anglais : « Red sky
1at night is the shepherd’s delight…1 » qui me réconforta. Seulement, la vision ne me quittait pas et elle se mêlait à présent au ciel rouge couleur de sang. Le passé
rejoignait le présent mais celui-ci ne tarderait pas à basculer dans l’autre monde,
dans l’autre nuit. Ce pourrait-il alors que le passé soit la lumière de ma nuit à venir ?
Je retournai m’asseoir, et allumai ma lampe, une belle lampe de mineur en cuivre,
un souvenir du temps où mon père travaillait dans la mine de kaolin à Saint Austell en
Cornouailles. Bien entendu je l’avais transformée afin de l’adapter aux temps
modernes. La lumière diffusée plongeait intensément au centre du manuscrit,
adoucissant ses contours et jetant les objets disséminés sur le reste de mon bureau,
au cœur d’une ombre tamisée de petits éclats luminescents.
Délicatement, je fis pivoter la page et découvris le titre du chapitre suivant.
1 Ciel rouge le soir est gage de beau temps le lendemain