Auteur Sujet: L’écho des secrets de Marjolaine Sloart   (Lu 54725 fois)

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L’écho des secrets de Marjolaine Sloart 
« le: jeu. 27/04/2023 à 17:26 »
L’écho des secrets de Marjolaine Sloart 



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Chapitre 1

Avril 2022

Lucy feuilletait un journal, assise confortablement sur son canapé couleur lilas. Elle venait d’avoir 21 ans. Elle habitait une jolie maison de style victorien, composée de trois étages et de nombreuses pièces. Sa chambre, agencée avec goût par sa maman, décoratrice d’intérieur, était pour elle un endroit où elle aimait rêvasser, elle y effectuait ses révisions et passait des heures au téléphone avec ses amies.
C’était samedi, sa mère l’appela, elles souhaitaient toutes les deux se déplacer à Londres pour faire du shopping.
Sa famille habitait une petite ville : Kingston-Upon-Thames, au sud-ouest de Londres. Lucy était enfant unique.
Elle fréquentait tous les lieux indispensables à son éducation, les meilleures écoles, les courts de tennis, elle pratiquait l’équitation et s’aventurait au dressage, rien n’était trop beau pour leur princesse. Elle ne pouvait que les chérir tant elle était dorlotée. Sa vie ressemblait à un conte de fées.
Bien qu’elle ne sache pourquoi, elle éprouvait, par moments, des vagues de mélancolie alors qu’elle bénéficiait de tout ce qu’une jeune fille normalement constituée convoitait, elle ressentait un vide intérieur qu’elle ne maîtrisait pas, rien ni personne ne réussissait à apaiser ses angoisses.
Ce sujet la tracassait et elle l’abordait sans gêne avec sa maman qui essayait tant bien que mal de la rassurer, se sentant bien impuissante. Elle lui avait proposé de rencontrer une spécialiste dans le but de se faire aider. Fort heureusement, ses tourments étaient cycliques, toujours dans la période printanière, ils s’atténuaient avec la venue de l’été. Cela semblait étrange à Lucy et elle en avait parlé avec sa psychologue qui lui suggérait que, peut-être dans son inconscient, elle revivait une forme de traumatisme et que ça la mettait insidieusement dans cet état. Lucy n’avait aucun souvenir et le plus regrettable est que la date de son anniversaire, le 29 avril, faisait remonter quelques réminiscences, à croire qu’il s’était passé quelque chose de grave à ce moment-là. Cette période restait nébuleuse pour elle, et chaque année l’histoire se répétait.
Lucy acceptait la situation telle quelle, que pouvait-elle faire de plus ? Sa mère, pour la sortir de son marasme, avait une bonne parade et elle fonctionnait plutôt bien, du moins temporairement.
— Lucy, tu es prête ?
— Oui, je descends.
— Tiens, c’est arrivé pour toi ce matin par la poste.
Helen lui tendit une lettre que Lucy prit et tourna entre ses mains pour en trouver l’expéditeur. Au dos, des initiales y étaient écrites de couleur dorée.
— C’est certainement de la publicité, je regarderai cela plus tard.
Elle déposa celle-ci sur le buffet de l’entrée, enfila ses chaussures et une veste en jeans.
— Voilà, je suis prête.
Toutes deux partirent en direction de la gare et s’installèrent dans le premier train se rendant à Londres. Il y en avait deux par heure. Elles papotèrent de tout et de rien. Arrivées à destination, elles se déplacèrent vers la station de métro la plus proche, elles désiraient aller à Oxford Street. C’est avec ravissement qu’elles dépensaient sans compter ou presque. Le père de Lucy, avocat de métier, gagnait bien sa vie et sa mère n’était pas en reste. Sa réputation n’était plus à faire depuis qu’elle décorait certaines maisons dont la notoriété de leur propriétaire était en vogue.
Elles avaient leurs préférences pour tout ce qui touchait la mode, elles n’avaient pas besoin de se consulter pour se rendre directement dans leurs magasins favoris. Helen s’installa sur une chaise en attendant Lucy en plein essayage. Elle cherchait quelques tenues pour l’été.
En ce mois d’avril, la température ne dépassait pas encore les 20°. Le temps pluvieux et changeant était monnaie courante. En tout temps, le parapluie restait indispensable. Lucy prévoyait de voyager en Italie en août avec Vince, son amoureux. Elle désirait découvrir Milan, car elle escomptait faire un Erasmus en Italie et parfaire par là même ses connaissances linguistiques. À Londres, elle étudiait les langues et espérait devenir interprète. Elle parlait plutôt bien le français qu’elle avait appris après plusieurs séjours en France. Son avenir semblait tout tracé.
Lucy sortit de la cabine. Elle portait une petite robe à fleurs qui mettait en valeur la couleur de ses yeux, vert émeraude. Ses longs cheveux blonds tombaient sur ses épaules. Elle mesurait un bon mètre soixante-quinze, élancée et belle de surcroît. Elle faisait tourner les têtes tant bien masculines que féminines. Elle n’y prêtait guère attention, étant d’un naturel modeste.
— Alors comment me trouves-tu ?
— Magnifique, elle te va comme un gant. Prends-la.
— OK, j’en passe encore une et ensuite on ira boire le thé chez Harrods, tu veux bien réserver une table, je ne désire pas faire la queue, tu sais comment c’est le samedi.
— Bien sûr, ma chérie, je les appelle pendant que tu passes ta robe.
Lucy laissa sa mère, enfila un dernier habit qu’Helen approuva aussitôt.
Ce genre de journée plaisait aux deux femmes. C’était un moment de pure connivence. Tandis que James, le père de Lucy, se rendait au Centurion Golf Club pour y retrouver des clients et quelques amis avec lesquels il tentait de gagner en notoriété en fonction de ses swings. Chacun y trouvait son compte. Le soir, Maria, leur gouvernante, leur préparait un succulent repas où, c’était une règle, tous assistaient et depuis quelque temps, Vince se joignait à eux.
L’après-midi filait comme à chaque fois, elles arrivèrent vers dix-neuf heures à la maison. James les attendait, un verre de whisky dans la main.
— Alors ce shopping, vous avez trouvé de quoi vider mon compte en banque ?
Il dit cela en riant.
— Papa, tu nous connais, on ne dépense que pour mieux te plaire.
— Je n’en doute pas.
— Je vous laisse, je vais ranger mes achats dans ma chambre.
En passant dans le hall, elle récupéra la correspondance reçue le matin même. Elle déposa ses affaires, se changea afin d’être prête à sortir. Avant de joindre ses parents, elle ouvrit la lettre qu’elle avait jetée sur son bureau.
L’en-tête était celui d’un notaire. Cela l’intrigua. Elle prit connaissance du courrier.

***

Londres, le 3 avril 2022

Chère Mademoiselle,

Ma cliente m’a mandaté pour vous remettre certains documents vous concernant. Merci de prendre contact avec mon étude pour une prise de rendez-vous.

Dans l’intervalle, recevez, Mademoiselle, mes salutations distinguées.

                                                                                    Signé Me Athford


***

Sa curiosité était piquée à vif, que lui voulait-il ? Elle devrait prendre son mal en patience, car avant lundi, pas moyen d’en apprendre plus.
   Elle rejoignit ses parents, en omettant volontairement de parler de la missive. Elle préférait savoir de quoi il en retournait afin de ne pas faire de suppositions inutiles.
   Le carillon de la porte d’entrée sonna. Lucy cria à Maria qu’elle allait ouvrir, ce devait être Vince.
— Salut, mon chou.
Il s’avança et la serra dans ses bras.
— Bonjour ma belle, alors ta journée ?
— Parfaite, comme d’habitude. Viens, allons rejoindre mes parents.
Lucy connaissait Vince depuis plusieurs années, ils s’étaient côtoyés dans le même collège. Chacun menait sa petite vie et ils ne faisaient que se croiser sans se prêter plus d’intérêt que cela.
C’est au cours d’une réunion d’anciens élèves qu’ils se mirent à se fréquenter. Vince partageait son existence depuis deux ans. Il souhaitait devenir médecin et travailler par la suite dans le cabinet de son père. C’était un joli garçon, grand, bien bâti, il pratiquait le volleyball dans un club de Chelsea et il était régulièrement sollicité pour participer à des tournois avec son équipe. C’était un excellent joueur et un bon camarade. La saison prendrait fin dans un mois et il pourrait profiter de ses fins de semaine avec Lucy. Souvent le vendredi, il avait un match à disputer et de temps à autre, Lucy se déplaçait pour le soutenir. La soirée fut agréable et le repas à la hauteur de la réputation de leur gouvernante qui était un fin cordon bleu.
Lucy abandonna ses parents pour retrouver ses amis. Elle ne rentrerait que le dimanche en fin d’après-midi, car elle prévoyait de dormir chez son amoureux.
Durant le trajet, elle lui parla de la lettre.
— Tu ne devineras jamais le courrier que j’ai reçu aujourd’hui ?
— Non, en effet, comment le pourrais-je ?
— Figure-toi que dans un premier temps, j’ai cru que c’était de la publicité et puis j’ai réalisé qu’il s’agissait d’un notaire de Londres, il me demande de prendre rendez-vous, tu ne trouves pas cela bizarre ?
— Étrange, effectivement !
— Je l’appellerai lundi afin d’en connaître plus. J’espère juste que ce sont de bonnes nouvelles, j’ai peut-être un oncle caché en Amérique ?
Elle éclata de rire.
— Mais oui, ou une tante ?
— Je n’en sais rien, ça me trouble quand même.
— Alors, évite d’y songer, car tu n’auras pas de réponse avant ton coup de fil.
— Certes !
Il changea de sujet et aborda celui des vacances qu’ils devaient planifier ainsi que plusieurs choses à définir. Ils arrivèrent chez leurs amis et passèrent la soirée à se divertir avec des jeux de stratégie. Ils appréciaient tous les deux ce genre d’activité. À deux heures du matin, Lucy s’endormait sur sa chaise, elle ne rêvait que d’un lit, elle n’eut pas besoin de se montrer entreprenante pour convaincre Vince de rentrer.
Le lendemain, ils se promenèrent à Hyde Park. Le dimanche, ils aimaient y flâner, la nature au mois d’avril se parait de ses plus beaux atouts, les fleurs poussaient un peu partout dispensant des odeurs selon les encens des plantes, les arbres bourgeonnaient, l’endroit était bucolique, romantique et très reposant. Chaque visite était différente et c’était un émerveillement pour les enfants comme pour les adultes. Ils prenaient toujours du vieux pain qu’ils lançaient aux canards dans l’étang, ils s’amusaient de les voir voler pour tenter d’être l’un des premiers à engloutir le morceau à peine imbibé d’eau et qui n’avait pas eu le temps de ramollir.
Il était presque dix-sept heures lorsque Vince la déposait devant chez elle, Lucy l’embrassa et lui promit de le tenir au courant au sujet du notaire.
— Je t’appelle dès que j’en sais plus, ou je te laisse un texto.
— D’accord.
Elle lui fit signe de la main tandis qu’il s’éloignait dans son véhicule.

Chapitre 2

Octobre 1978


Diane s’installa dans l’amphithéâtre du campus. C’était la rentrée universitaire à Genève, elle entamait sa dernière année d’étude. Elle s’était inscrite en lettres, elle aimait bien manier les mots, elle s’imaginait journaliste ou quelque chose du genre. Elle verrait bien une fois qu’elle aurait sa licence en main. Depuis une année, elle était en couple avec Étienne. Elle avait 23 ans et lui 24. Il terminait également ses études d’architecture en juin. Les deux prévoyaient de se mettre en ménage. À ses heures perdues, Diane adorait tirer des portraits, car elle était plutôt douée, elle dessinait les visages des gens qu’elle offrait pour le plus grand plaisir de ceux qui les recevaient.
Elle l’avait rencontré à la bibliothèque tandis qu’elle cherchait un livre. Il l’avait interpelée en lui demandant s’il pouvait l’aider. En découvrant ce beau ténébreux, elle n’avait pas hésité une seconde à accepter sa proposition. Comme ils se voyaient fréquemment dans ce lieu silencieux, Étienne avait attendu le moment opportun pour lui suggérer de boire un café. Diane avait accepté d’un signe de la tête et ils étaient sortis afin de ne déranger personne.
Ils ne se quittaient plus depuis. Étienne habitait dans une garçonnière, financée par son père alors que Diane vivait encore chez ses parents, mais elle passait beaucoup de temps avec son amoureux. Ils se chérissaient comme on peut s’apprécier à cet âge, sans réflexion et au jour le jour.
Diane appréhendait tout de même de se mettre en ménage avec Étienne. En général, c’était une personne douce et charmante. Cependant, de temps en temps, il avait des coups de sang et s’emportait pour pas grand- chose. Cela l’effrayait, elle se demandait comment elle gérerait si la situation devenait plus compliquée. Elle l’avait vu jeter sa tasse pleine de café contre un meuble alors qu’il venait de recevoir un appel de sa mère, l’obligeant à rentrer pour le week-end. Elle prévoyait une réunion de famille à laquelle il espérait se soustraire. Sa maman avait été catégorique, en lui faisant clairement comprendre que tant que ce serait eux qui subvenaient à ses études, ils exigeaient en retour un minimum de sa part. Il avait raccroché et passé sa rage sur l’objet dans ses mains. Ce n’était pas bien malin, le récipient s’était brisé en plusieurs morceaux et le liquide s’était répandu un peu partout. Diane avait mis plus d’une demi-heure à nettoyer les dégâts. Entre-temps, Étienne s’était calmé, mais pas elle. Dans son for intérieur, ce genre de réaction la tétanisait et elle doutait qu’Étienne soit la personne avec laquelle elle s’imaginait être pour le restant de ses jours.
Comme elle en était amoureuse, elle acceptait ses petites crises bien qu’elle ne comprenait pas pourquoi il n’arrivait pas à se contrôler. Seul l’avenir lui confirmerait si vivre avec lui était le bon choix. Cela ne sous- entendait pas forcément qu’ils iraient jusqu’au mariage. Tenter l’expérience ne pouvait qu’être bénéfique pour les deux.
Durant les vacances de Pâques, elle prévoyait de retrouver sa cousine qui habitait dans un autre canton. Elles voulaient faire du ski. Le frère de la mère de Diane résidait en Valais où il était propriétaire d’un chalet. Nathalie, sa fille, avait demandé la permission à son père de l’utiliser. Diane prendrait le train et la rejoindrait à Sion, ensuite elles se rendraient à Zermatt.
Les deux cousines aimaient passer du temps ensemble. Elles recréaient le monde et surtout elles faisaient la fête. Étienne ne connaissait pas cet aspect du caractère de Diane. Il pensait que c’était une personne raisonnable et elle l’était tant qu’elle ne voyait pas Nathalie. Le père de cette dernière les appelait les brigands, c’était tout dire.
Lorsque Pâques arriva, Diane rejoignit Nathalie comme cela était prévu.
Elle transporta tout son matériel de ski et se trouva chargée comme un mulet. Nathalie l’attendait sur le quai de la gare.
—Salut, cousine, comment vas-tu, as-tu fait bon voyage ?
— Oui, merci !
Nathalie l’aida à mettre ses affaires sur un trolley et elles se rendirent sur la plateforme en partance pour Zermatt.
— C’est trop cool que tu sois venue. J’ai beaucoup d’amis en haut, on va s’amuser et je vais te présenter plein de gens.
— Génial ! Les pistes sont encore praticables ?
—Oui, ne t’inquiète pas pour cela, les conditions sont excellentes, il a neigé la semaine passée et puis la température est fraîche, donc on va pouvoir skier.
— Comment va Étienne ?
—Bien! Il a un gros travail à faire en prévision de ses examens. Le mieux est que je le laisse tranquille pour qu’il puisse travailler sans m’avoir dans les pattes. De toute manière, il est rentré visiter sa famille à Neuchâtel.
— Tu es célibattante alors ?
— Si l’on veut.
Et elles se mirent à rire.
Une fois arrivée à destination, Nathalie
appela un taxi qui les emmena au chalet de ses parents.
Elles s’installèrent dans la chambre de Nathalie. Le lit était suffisamment grand pour qu’elles y dorment toutes les deux. Elles pourraient ainsi papoter et profiter l’une de l’autre comme elles en avaient l’habitude.
Diane défit ses affaires et les rangea dans un placard libre.
— Tu as faim ?
—Un peu!
— Ce soir, on sort, alors je vais te préparer
des pâtes et une salade, ça te va ?
— Miam, cela me semble parfait !
— Si tu veux te rafraîchir avant, je descends
et je t’attends dans la cuisine ?
Diane se sentait crasseuse, elle avait été obligée de s’asseoir dans un wagon fumeurs et tous ses vêtements sentaient mauvais, ce qu’elle n’appréciait guère.
— Oh oui volontiers, je pue le vieux cigare. — D’accord, à tout de suite...
Diane laissa couler sur ses longs cheveux
blonds l’eau de la douche. Elle aimait cette sensation sur son corps, elle associait toujours ce moment à une forme de libération des énergies négatives. Elle ressentait le nettoyage autant extérieur qu’intérieur.
Elle sortit de la salle de bains, s’essuya avec un linge tout doux, en noua un autour de sa chevelure, s’habilla et rejoignit sa cousine.
— Hum, cela sent drôlement bon !
— Assieds-toi, c’est prêt dans deux minutes. Tu souhaites un verre de vin ?
— Avec plaisir, tu veux que je débouche une bouteille ?
— Oui, je l’ai posée derrière toi, le tire- bouchon est dans le tiroir.
— D’accord, je m’en occupe.
Elles passèrent à table et dégustèrent leur repas. — Alors que se passe-t-il ce soir ?
—On va aller dans un bar branché et
après, en fonction des gens que l’on rencontrera, on avisera pour la suite de la soirée.
— Cela me semble un joli programme.
Elles rangèrent la cuisine et se préparèrent pour quitter le chalet.
Il neigeotait malgré la saison, ce n’était que le début du printemps, donc, rien d’excep- tionnel. Pour sortir, elles se vêtirent en conséquence, elles ne voulaient pas tomber malades le premier jour de leurs vacances.
Le Tac-Oh-Tac était un lieu où la jeunesse avait pour habitude de se retrouver. La musique était bonne et il était facile de faire de nouvelles rencontres. À peine s’étaient-elles introduites dans le bar que Nathalie reconnut un groupe d’amis. Elle s’en approcha et ils les accueillirent chaleureusement. Elle leur présenta Diane.
Cette dernière connaissait quelques copines de Nathalie qu’elle avait côtoyées en plaine. Elles se saluèrent et les conversations reprirent de plus belle. C’est ce soir-là qu’elle croisa pour la première fois, Luc Bonvin.
Il arriva un peu comme elles, sur le tard, et il s’assit où il le pouvait, en l’occurrence à côté de Diane. Par la force des choses, ils entamèrent une discussion. D’emblée, elle fut subjuguée par le personnage. Le regard de Luc la transperça, ses yeux d’un bleu océan étaient les plus troublants que Diane ait eu l’occasion de voir. Luc était beau, tel un dieu grec. Ses cheveux noirs et frisés lui donnaient un air angélique et son sourire devait en séduire plus d’une.
Luc se montra curieux. Diane se sentit obligée de se dévoiler plus qu’elle ne l’aurait fait avec un parfait inconnu. Il savait y faire et elle lui raconta son parcours, où elle vivait et il en fit de même.
Diane se méfiait de ce genre de personnage, tout leur tombait trop facilement dans les mains. Malgré elle, Diane se laissa charmer, attirée par lui tel un aimant, pourtant elle était consciente qu’elle devait le fuir. Étienne faisait partie de sa vie et ils prévoyaient de se mettre en ménage, elle ne devait pas l’oublier.
Il se faisait tard, elle proposa à Nathalie de s’en aller. Demain elles voulaient skier, alors une bonne nuit de sommeil lui semblait nécessaire.
Elles quittèrent les amis de sa cousine et promirent de se retrouver sur les pistes. Sur le chemin du retour, les deux restèrent avares de paroles, chacune absorbée dans ses réflexions.
Nathalie finit par rompre le silence : — T’es-tu amusée ?
— Oui c’était sympa !
—Tu as fait une touche, Luc te dévorait du regard.
— Tu as remarqué cela ?
— Un peu, il ne t’a pas lâchée de la soirée et en plus, il m’a demandé de quel côté on pensait aller skier demain, donc tires-en les conclusions qui s’imposent !
—Ah bon, j’avoue je le trouve très séduisant, cependant il doit faire tourner la tête de toutes les filles, non ?
— Oui c’est vrai, mais c’est un ambitieux, je ne crois pas que ce soit un coureur.
— Tu n’as pas oublié que je suis en couple avec Étienne ?
—Absolument, toutefois tu n’es pas mariée...
Diane se sentait mal à l’aise.
— Alors, n’en parlons plus, je suis fatiguée, allons nous coucher.
Elle embrassa sa cousine et s’installa bien au chaud dans le lit.
Diane mit du temps à s’endormir, tourmentée par ses pensées qui la ramenaient sans cesse à Luc. Elle était fort troublée par le charisme que ce garçon dégageait. C’était plus fort qu’elle. Diane tenta d’être raisonnable et ne plus y songer, mais elle n’y arriva pas
Le sommeil la gagna finalement et lui octroya un peu de répit.
Le lendemain, les cloches de l’église la réveillèrent. Elle n’était pas habituée, elle les avait entendues toutes les heures et lorsque sa cousine fit une incursion dans la chambre, elle n’était absolument pas reposée.
— Allez debout là-dedans, c’est l’heure.
À voir la tête de Diane, Nathalie éclata de rire. —Ehbien,ilyenaunequin’apasbiendormi! — Grrr... maugréa Diane.
— À qui le dis-tu, ces foutues cloches qui
sonnent chaque heure m’ont presque gardée éveillée toute la nuit.
— Ne t’inquiète pas, tu vas vite t’y habituer. Ce soir après notre journée de ski, nous sommes invitées au carnotzet* de Julien. Il a prévu une fondue et il y aura toute la bande.
— Et comment sais-tu cela ?
—Nous en avons parlé la nuit dernière pendant que tu roucoulais avec Luc.
— Ah OK !
—Allez, lève-toi et viens me rejoindre pour le petit-déjeuner, tout est prêt, il ne manque plus que toi.
Elle soupira et se glissa hors du lit pour aller se passer de l’eau froide sur le visage, elle s’habilla et retrouva sa cousine.
Elles mangèrent du pain frais que Nathalie s’était donné la peine d’acheter à la petite épicerie proche du chalet, celui-ci était accompagné de confiture que sa mère confectionnait pour le plaisir de tous.
Après avoir bu son café, Diane se sentit nettement plus en forme et prête à dévaler toutes les montagnes environnantes.
Elles retrouvèrent leur bande aux pieds d’un départ de télécabine. Luc était là parmi les autres. Ils passèrent la journée à arpenter les pistes. Le temps était magnifique et le soleil au zénith. Chaque fois qu’il le pouvait, Luc s’arrangeait pour remonter sur les téléskis avec Diane. Il poursuivait son opération de séduction et Diane essayait mollement de le repousser. Elle réalisait que cela devenait difficile.
Les deux cousines rentrèrent au chalet, fatiguées. Elles s’astreignirent à une sieste afin d’être en forme pour la soirée qui s’annonçait.
Diane se sentit obligée de se justifier auprès de Nathalie par rapport à ce qui était en train de se passer avec Luc.
—Je me demande si je ne vais pas redescendre en plaine, je crains de faire une bêtise avec Luc.
— Ah non, tu ne vas pas me faire cela. Tu es jeune, tu as tout l’avenir devant toi et surtout tu n’es pas mariée à Étienne. Et parlons-en d’Étienne, tu ne crois pas que si tu étais convaincue, ni Luc ni personne d’autre ne pourrait te troubler ?
— Oui vu comme cela, tu as raison.
— Alors ce qui doit arriver, arrivera et tu aviseras à ce moment-là. Luc, c’est un très bon parti, son père à une grosse entreprise de métallurgie en Valais et je te l’ai dit, c’est un ambitieux. Il veut faire de la politique et il espère un jour devenir conseiller d’État et je te garantis qu’il y parviendra. Il est déterminé et droit comme un i, donc laisse-toi vivre. Personne ne saura rien si tu as un petit flirt avec lui.
— Certes, je dois l’admettre, je m’inquiète pour un rien.
Diane passa une semaine magique, son premier baiser l’avait culpabilisée, au deuxième, elle avait presque oublié Étienne, à la fin de son séjour, elle s’était retrouvée face à une réalité qu’elle ne pouvait fuir, elle s’était entichée.
Luc était au courant qu’elle fréquentait Étienne et qu’ils prévoyaient de se mettre en ménage. Il était tellement sûr de lui qu’il accepta de lui laisser le temps de peser le pour et le contre, afin de prendre les bonnes décisions quant à son avenir amoureux. Il ne souhaitait pas la bousculer et qu’elle lui reproche par la suite quoi que ce soit.

* Carnotzet : local en sous-sol aménagé pour boire des verres entre amis
"J'ai décidé d'être heureux parce que c'est bon pour la santé" (Voltaire)

 


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