Muette de Emily Thibault
Même si j'ai l'impression de bien dormir, je sens une main sur mon épaule. Ma mère… Ou un voleur ! J'ouvre de grands yeux. La lumière est allumée, je me sens aveuglé. Doucement, je me redresse, mon dos me fait mal, je suis resté trop longtemps dans une position trop inconfortable. Je fais craquer mon dos pour me sentir mieux.
— Est-ce que je t'ai fait peur ?
— Assez.
Dès que j'ai ouvert les yeux, c'est comme si tous mes sens étaient revenus. J'ai senti son parfum, j'ai donc su que ce n'était pas un voleur. Son parfum est si particulier. Piper l'embêtait tellement pour avoir le même. Cela faisait longtemps que je ne l'avais pas senti, parce qu'elle refusait de le porter, je pense qu'il lui rappelait trop ce qu'elle a perdu. Moi aussi, je l'aimais bien ce parfum et je suis content que ce soir elle l'ait mis. Elle a fait un grand pas en avant, je le sais.
— Bonne soirée mam's ?
— Oui. J'ai apprécié. Tu devrais aller te coucher dans ton lit, ce sera mieux que sur la table.
— Oui, sûrement.
Je vais pour commencer à rassembler mes affaires jusqu'à ce que je me rende compte que quelque chose à changer. Ce n'était pas comme ça quand je me suis endormi. Oui, j'étais bien sur mon dessin, alors que là, il n'est plus sous mes bras. Je la fixe, est-ce qu'elle a regardé ce que j'ai dessiné ? Tout de même, je rassemble mes feuilles.
— Je suis contente de te voir à nouveau dessiner.
— Je suis content de dessiner à nouveau, dis-je.
En la regardant, je me rends compte que ça lui brûle les lèvres de me demander qui j'ai dessiné tout comme moi ça me brûle de lui demander avec qui elle était ce soir, qui est-ce de si important pour qu'elle remette du parfum.
— C'est une fille de la classe, annonçais-je en lui montrant le dessin.
— Montre lui, je suis sûre que ça lui ferait plaisir.
— Ce n'est pas comme ça que l'on drague une fille aujourd'hui. Il t'avait dessiné ?
— Qui ? Ton père ? Oh non, il dessinait comme un pied ! Je ne sais pas de qui tu tiens ce talent.
— D'accord.
Je tarde à me lever pour aller me coucher dans mon lit. Elle a l'air de le remarquer. Il y a trop de questions qui s'emmêlent dans ma tête, c'est le vrai bordel.
— Est-ce que tu vois quelqu'un ?
Voilà, c'est dit, je ne pouvais plus garder cette question pour moi. Maintenant, je ne me sens pas si bien que ça, est-ce que ce n'est pas à une mère de demander cela à son fils et pas l'inverse ? Elle prend son temps pour me répondre, elle va même se faire couler un thé pour venir s'asseoir à la table avec moi.
— Je suis contente que tu poses cette question, je ne savais pas comment le faire venir dans la conversation.
Pour simple réponse, je ris nerveusement, comme si je suis soulagé qu'elle ne le prenne pas mal.
— Oui, tu as raison. Je vois quelqu'un.
Je hoche la tête à sa révélation, qui n'en ai pas vraiment une, car c'est ce que je pensais. Elle boit une gorgée de son thé pour une nouvelle fois faire tarder la réponse. Elle a répondu à ma question, mais j'ai envie d'en savoir plus et je pense qu'elle l'a compris. Mais en la regardant, j'ai l'impression qu'elle cache plus qu'une simple relation.
— Je ne sais pas comment te le dire.
— Oh maman !
— Je fréquente une femme, avoue-t-elle.
Je la regarde, perplexe. Je ne pensais pas du tout qu'elle était de ce genre-là. Je pensais qu'elle aimait les hommes, mais peut-être qu'elle a été dégoûtée par le comportement de certains. Une femme ? Pourquoi une femme ? Où l'a-t-elle rencontrée ? J'ai l'impression d'être son parent, je ne dois pas lui poser toutes les questions que je me pose.
— Ça te dérange Xander ?
— Euh… Non, je ne pense pas. Tu fais ce que tu veux, je pense que tu es assez grande pour savoir quoi faire.
Je gagne un rire un peu niais. Vu son âge, bien sûr qu'elle sait ce qu'elle fait… Ou peut-être pas. Peut-être que c'est le contraire de la certitude de ses actions. Si ça se trouve, elle est complètement perdue et la seule personne qui a su répondre à ses demandes, c'est cette femme. Ou est-ce en rapport avec Piper ? Ce serait bizarre mais totalement possible. Pourquoi pas ? Après tout, elle ne vit plus qu'avec un garçon maintenant, elle ne peut plus jouer à s'échanger ses fringues avec sa fille.
— Je l'ai rencontrée au travail.
A nouveau, je la dévisage. Je sais ce qu'elle fait comme travail, elle fait le ménage chez des gens, qu'ils soient plus ou moins riches, plus ou moins jeunes. Elle ne me parle jamais de ce qu'elle fait là-bas, d'avec qui elle parle.
— Comment ça ?
Elle se racle la gorge avant de le répondre.
— C'est l'une des propriétaires des maisons dans lesquelles je travaille. Elle s'appelle Michelle.
Dès qu'elle me donne son prénom, il y a un sourire qui apparaît sur son visage. Elle doit la rendre heureuse. Puis elle devient rouge, j'ai envie de rire, on dirait une adolescente.
— Elle est mariée ?
Je pose la question qui fâche parce que je ne vois pas l'intérêt d'avoir quelqu'un qui fait le ménage chez soi si on est célibataire et pas vieille. Elle rougit encore plus et baisse la tête vers son thé.
— Oui, murmure-t-elle.
— Maman ! Tu es l'amante de cette femme !
— Oui et alors ?
— Ça ne se fait pas !
— Je sais… Vraiment, je sais que je ne devrais pas faire ça mais… Mais on parle bien, on rit ensemble. Elle me fait me sentir bien quand je suis avec elle, même contre elle.
— Je ne veux pas de détails. Tu n'aimerais pas que si tu étais avec elle, elle ait une amante !
— Je ne suis pas son stupide de mari qui ne rentre jamais avant dix heures du soir.
— Fais attention maman.
— Roooh ! Je sais ce que je fais.
— Je ne crois pas.
— Occupe toi de ta belle que tu dessines, me lance-t-elle sans que je m'y attende.
— Tu n'as pas le droit de me dire ça, de changer de sujet. Je ne suis pas amoureux d'elle.
— Ben moi je suis amoureuse de ma patronne, j'y peux rien. Tu comprendras assez rapidement que ça ne choisit pas ! Sinon je n'aurais pas eu de relation avec ton père.
Amoureuse ? Déjà ? Sûrement qu'elle travaille chez elle depuis un long moment. Oui, elle a eu le temps de la connaître. Est-ce qu'elle la connaissait avant l'année dernière ? Est-ce qu'elle a réussi à l'aider alors que moi j'en étais incapable.
— Si elle te rend heureuse. De toute façon, ici, tu ne l'es plus.
— Détrompe toi Xander, j'adore être ici avec toi. Je t'aime tellement, tu le sais.
— Mais je ne suis pas Piper.
— Comme elle n'était pas toi. Je vous aimais tellement, vous étiez beau ensemble. Elle me manque beaucoup. J'essaie juste de me sortir la tête de l'eau.
— Je sais.
— Je suis entrain d'y arriver. J'aimerais tellement que toi aussi t'y arrive.
— Mais tu mets trop d'envie en cette femme, dis-je en haussant le ton. Je ne veux pas que tu sois à nouveau triste s'il y a quelque chose qui ne se passe pas comme tu le voulais. Et si au final elle reste avec son mari et qu'elle te dégage. Tu as assez souffert à cause de l'autre !
Elle me regarde avec de grands yeux et je continue mon discours pour ne pas perdre le fil.
— Je suis content que tu t'en sortes, j'en suis limite jaloux mais si tu redeviens triste, je n'arriverais toujours pas à t'aider ! Je suis incapable de te rendre heureuse, moi tout seul. J'y arrivais qu'avec Piper ! Maintenant je suis seul, complètement seul !
Elle pose sa tasse sur la table, se lève de sa chaise et vient me prendre dans ses bras. Je ne sais pas vraiment pourquoi, mais je fonds en larmes. Elle mérite tellement d'être heureuse que si cette relation se termine, elle sera anéantie et moi aussi par la même occasion. Elle caresse mes cheveux et murmure les mots doux d'une mère.
— Va te coucher mon grand, tu es fatigué. Ça ira mieux demain.
J'ai envie de rire parce que c'est tellement irréel. Demain ça ira mieux. Qu'est-ce qui ira mieux demain ? Ma sœur va réapparaître ? Non demain sera juste un autre jour où j'irai au lycée, où je me ferai passer pour quelqu'un que je ne suis pas à cause d'une envie de pouvoir de ma première année. Rien n'ira mieux demain.