Auteur Sujet: La Femme-enfant de Lou Vernet  (Lu 9620 fois)

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La Femme-enfant de Lou Vernet
« le: jeu. 01/02/2018 à 17:12 »
La Femme-Enfant
Roman noir






Avertissement


Cette histoire n’est pas tout à fait vraie,
mais qu’est-ce que le mensonge
sinon l’espoir ou certaines fois la peur
qu’il le devienne.
Vrai.




Mieux vaut tuer un enfant au berceau
Que nourrir des désirs qu’on réprime.
 William Blake
(1757-1827)




D’abord tu t’engourdis.
Un verre, deux verres, le flacon. Comme tu n’es pas sûre que ce sera assez, tu additionnes une pilule, ou plus. Mais pas le tube. Si c’est un des moyens, ce n’est pas le seul.
Commence alors le voyage, vaste programme. Dans une sorte de « no man’s land », entre l’esquive et l’absence, un intervalle presque véniel, étrange et second où tu t’assoupis. Mais tu ne dors pas encore. Non. Tu commences à peine à diluer. Le bien, le mal, l’amour, la haine, toutes ces conneries qui ont fait ta peine et ton désespoir.
Paradis infernal !
Puis tu tâtonnes et tu le trouves. Il était là, en éveil, pas si loin. Dur et froid. Puissant et prometteur.
L’exorciseur !
Sa lame glisse une première fois. Tu l’aiguises au duvet de ta peau, juste à l’endroit de cette belle veine bleue. Tendue, offerte. Une seconde fois encore. Cet Opinel acheté trois francs six sous s’attarde et se languit. Tout est possible. Ce n’est plus ni froid ni chaud, ni mal ni bien. Cela est, tout simplement.
Alors tu fermes les yeux. Et tu descends loin en toi. Là où sont écrits tous les pourquoi du comment. Ce qui fait que t’en es arrivée là. Enormité absurde d’un malentendu originel.
Et tu tranches.
Net. D’un coup.
Même pas mal. Presque trop facile.
La couleur jaillit qui te soulage. C’en est presque vivant. Tout était si sombre, si continuellement noir.
Ton corps cède enfin et tu t’allonges. Tu hoquettes - ou tu soupires - puis tu t’endors. La souffrance s’écoule, se répand. Épaisse et chaude. Elle ne suinte plus, elle donne «libre cours.
C’est beau « libre cours ». Ça  veut dire sans barrage. A flot. Tant qu’il y en a.
Ce fiel qui battait à tes tempes et circulait sans raison se dissout. Envolé le poison. Libéré le venin.
Tes rêves sont là qui s’impatientent. Ils vont bien durer l’éternité.
C’est si court l’éternité quand on a à ce point espéré qu’elle nous délivrerait.

1

La première fois que j’ai écrit, c’était pour tromper la peur. Plus tard ce fut pour combler l’attente. Aujourd'hui, j’imagine leurrer la mort.
J’ai écrit mon premier roman à l’âge de 9 ans, sur un ticket de métro. J’avais trouvé l’acrostiche du mot « La Vie » et je pensais alors que j’avais tout dit. Plus rien, après ça, ne sortirait de moi.
Labyrinthe sans issue
Abri du néant
Verge branlante d’un
Imen saccagé
Erreur ou sacrifice ?
Je ne savais pas encore que « hymen » prenait un H et encore moins un Y. J’avais utilisé le « I », pointu et droit, sec et dur. C’est dire la façon que je venais d’apprendre le mot verge.
J’avais bien essayé, tout de suite après, d’écrire sur l’envers du même ticket, l’acrostiche du mot Mort. Je n’avais pas été plus habile que :
Morbide éventration,
O profanation
   Raison du plus fort
      Tue sans effort.

Une larme s’était brisée sur la tranche du ticket, entre la vie et la mort où normalement se joue l’existence. Il m’aurait fallu au moins un carnet entier pour qu’elle prenne de l’épaisseur. J’ai pensé à la chanson de Renaud : « Je voulais me faire tatouer un aigle mais on m’a dit y a pas la place. Alors je me suis fait tatouer un moineau. Bah quoi, y a des moineaux rapaces ! ».
Tout à fait moi. La femme-enfant.
   Je crois que c’est à partir de là que j’ai recommencé de mouiller mon lit. Ce qui n’était pas une bonne idée.
Ma mère, agacée, se figurant d’une provocation que je lui adressais personnellement (une rébellion à son autorité ?) a fini par rapporter un étrange appareil.
Une boîte rouge. D’environ dix centimètres. Plate et munie d’une ceinture qui enserrait la taille. Elle renfermait un mécanisme diabolique. Une languette de la taille d’un protège slip était raccordée. Il fallait la faire descendre chaque soir dans ma culotte. Contre mon sexe. De fils déchargeaient une impulsion électrique dès que je commençais à faire pipi. Elle appelait ça le « Stop Pipi ». Et moi une « Morbide Eventration ».
Ce n’était pas le premier de nos malentendus.
Juste un de plus !
J’ai lu que les trois éléments qui caractérisent le psychopathe en devenir sont : mouiller son lit, mettre le feu et torturer les animaux. Malheureusement, je n’ai jamais pu me résoudre à la violence. L’énurésie a amplement suffi à répandre chaque nuit la mauvaise sève qu’on avait tenté de m’inoculer. Et les larmes que je m’interdisais de faire couler.
   Il est vrai, j’aurais dû parler. C’eût été plus simple.  Mais est-ce que j’aurais pu ? Qu’aurais-je dit ?
Mes lèvres scellaient un secret que je ne pouvais dénoncer. La glu de son plaisir. Despotique.
Après tout, je l’avais sûrement cherché.
Il était gentil, cet instituteur !

 Plus tard, beaucoup plus tard, certainement trop tard, je l’ai fait. J’en ai parlé.
Ma mère m’a regardé effrayée et m’a dit : « prouve-le ».
A cet instant, j’aurais pu la tuer. Mettre le feu, la dépecer. Finir la trilogie que des années de silence avait contenue.
Et pourtant je n’ai rien fait.

Depuis elle sait que je la hais. Sait-elle jusqu’à quel point ?...
Et que je l’aime ? Là, c’est moi qui ne sais plus.
"J'ai décidé d'être heureux parce que c'est bon pour la santé" (Voltaire)

 


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