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Mise en avant des Auto-Édités => Mise en avant des Auto-édités => Discussion démarrée par: Apogon le jeu. 29/07/2021 à 16:41

Titre: Tendre Trésor d'Andréa Michel
Posté par: Apogon le jeu. 29/07/2021 à 16:41
Tendre Trésor d'Andréa Michel

(une idyll€ sous contrôl€)



Chère lectrice, cher lecteur,
Merci infiniment d’avoir choisi Tendre Trésor.

Vous croyez que la romance d’une fonctionnaire du fisc, c’est tout sauf glamour ? Laissez-moi vous conter les tribula-tions de l’espiègle (et un brin gaffeuse) Géraldine Boudin.
Si son histoire feel good était une recette de cuisine, j’imagine que je pourrais la présenter ainsi :
Dans une marmite bucolique des Hauts-de-France, versez les ingrédients.
– une inspectrice des impôts atypique, légèrement aigre douce ;
– un beau gosse énigmatique, un peu amer ;
– un brocanteur viril en diable, au goût corsé.
Ajoutez une louche de situations cocasses, une bonne pincée de cachotteries.
Saupoudrez de quiproquos. Mélangez, laissez mijoter à feu doux.
Relevez de méchants qui déchirent les papilles, pimentez de rebondissements épicés.
Chauffez jusqu’à ébullition.
Laissez tiédir 1 minute et… retournez !
Un plat truffé de clins d’œil au monde de l’art et à la culture populaire. À déguster sans modération, jusqu’au twist final.

Je vous souhaite un très bon divertissement en compagnie de Géraldine Boudin.

Je tiens par ailleurs à souligner que cette comédie n’est ni une autobiographie ni une satire de l’administration fiscale. Que tous les faits, les personnages et la plupart des lieux sont issus de mon imagination. Et que les fonctionnaires ne badi-nent pas avec la déontologie.



L’homme est ponctuel. Il se gare devant l’adresse indiquée, dans la rue principale d’Ailles, observe la charmante longère picarde aux briques et tuiles rouges. Il penche sa tête ronde et chauve vers la boîte aux lettres, lève un sourcil perplexe.
— Alexia GUI-DU-CCI, épèle-t-il à voix haute.
Il scrute la cour par-dessus le grillage, puis se décide à fran-chir le portail laissé entrouvert.

Une femme brune et élancée, à l’aube de la cinquantaine, ouvre la porte de la maison. Le visiteur la trouve toujours jolie, malgré l’expression grave qui se dégage de son doux visage. Elle regarde vers la rue d’un air inquiet.
— Si j’avais dix ans de moins et un physique de jeune pre-mier, je me serais sans doute fait des idées, glousse-t-il. Une proposition de rendez-vous au domicile d’une si charmante dame, et à cette heure…
Elle se force à sourire avec bienveillance à cet homme à la bouille joviale qui lui fait du plat en rigolant. Un petit jeu sans conséquences auquel ils étaient habitués quelques années aupa-ravant, ce qui ne les empêchait pas de s’affronter farouche-ment sur les dossiers. Elle jette un dernier coup d’œil par-dessus son épaule et s’empresse de le faire entrer.
— Je peux vous offrir quelque chose à boire ?
L’homme de loi décline l’offre d’un hochement de tête et va droit au but :
— Alors, mademoiselle Boudin, qu’est-ce qui vous arrive ? Dites-moi tout…
— J’ai besoin de vos services, Maître, répond-elle du tac au tac. J’en ai besoin de toute urgence, et en toute confidentialité.

Première partie
Déclarations et sentiments

« La déclaration d’impôt peut passer pour le contraire d’une déclaration d’amour : on en dit le moins possible. »
Jacques STERNBERG



Je m’appelle Alexia Guiducci, j’ai 49 ans. Je suis romancière d’origine italienne.
C’est du moins ainsi que je me présente, à Ailles et dans les environs.

Mon âge, c’est le bon.

Par contre, Alexia, c’est mon deuxième prénom ; Guiducci n’est pas tout à fait mon véritable patronyme non plus… Mais Géraldine Boudin, c’est sensiblement moins glamour, vous ne trouvez pas ? Heureusement, on ne peut pas vraiment dire que je porte bien mon nom, même si je n’ai pas une allure de top model. Il n’en demeure pas moins que Boudin, à moins d’être charcutier, c’est loin d’être vendeur.
Je n’ai pas non plus d’ascendance transalpine : je suis une Picarde pure souche, quoique sans l’accent chti. Un jour à la boulangerie, j’ai surpris une conversation peu flatteuse à pro-pos de ma voisine allemande ; par esprit de provocation, j’ai trouvé amusant de m’inventer des origines étrangères, mais paradoxalement, je constate que cela m’attire la sympathie des gens : italienne, ça plaît. Depuis, je m’amuse souvent à écouter les villageois s’exprimer devant moi en picard, persuadés que je ne comprends pas un traître mot.
Enfin, je ne suis pas franchement écrivain. En tout cas, pas encore, bien que ce soit placé en bonne position sur ma liste de projets. En vrai, je suis inspectrice des impôts. Existe-t-il pro-fession moins fascinante et plus impopulaire (à part peut-être, contrôleur SNCF pendant les grèves) ?

Il y a quelques mois, en m’installant dans le village de mon enfance où plus personne ne me connaissait, je n’ai eu aucune envie de raconter que Géraldine Boudin, fonctionnaire aux Finances publiques, venait de prendre la décision de tout pla-quer pendant un an.
Je suis devenue Alexia Guiducci, romancière.

Saveurs d’antan

La commune de Moranvillers comporte, en tout et pour tout, deux commerces : un salon de coiffure, et un café, Chez Jacqueline, très cosy avec ses vieux objets et affiches d’époque, qui fait aussi petite restauration sur place ou à em-porter et relais de La Poste.
Chez Jacqueline, en fait c’est chez Jacqueline et Albert, le couple de patrons. Fidèle au poste derrière son zinc, elle m’accueille avec sa bonne humeur habituelle tandis que lui, à quelques mètres, refait le monde avec deux clients : la poli-tique économique du Gouvernement, la résorption du chô-mage et le fait qu’il « suffit de traverser la rue pour trouver du travail »… Albert m’adresse un signe amical sans toutefois interrompre sa diatribe, ce qui m’arrange : je m’en voudrais d’écourter un débat, de toute évidence essentiel à la survie de la France.
Difficile de leur donner un âge précis, je dirais une bonne soixantaine. Un look un peu désuet, elle avec sa mise en plis impeccable et lui sa moustache à la Hercule Poirot, on dirait les incarnations de Mamie Nova et Papy Brossard.
— Albert a préparé des ficelles picardes, je t’en ai mis de cô-té, au cas où.
Adorable Jacqueline. Si gentille et attentionnée, et qui m’a si bien cernée en peu de temps.
Sans attendre ma réponse, elle se dirige vers la cuisine mais brusquement elle s’arrête net, les yeux braqués sur l’extérieur. Son sourire s’accentue encore lorsque la porte s’ouvre, sur un client que je vois pour la première fois.

Je reste bouche bée. Non seulement il détonne complète-ment des habitués des lieux, mais il est de surcroît… absolu-ment canon ! La quarantaine a priori, une allure svelte, che-veux bruns ondulés, les yeux bleu clair, il a de faux airs du chanteur Marc Lavoine, en un peu plus jeune. Les écouteurs de son iPod pendent négligemment autour de son cou. Branché mais classe.
D’habitude moins diserte que son mari, Jacqueline s’engage de suite dans un colloque avec le nouveau venu, au point d’en oublier ma présence et l’objet de ma visite. Je ne suis pas près de déguster mes ficelles picardes. Le fait qu’elle fasse passer ce type en priorité alors que j’étais là avant lui titille mon impa-tience, mais je me reprends aussitôt : rien ne presse. Je dois absolument m’ancrer dans le crâne que j’ai tout mon temps, désormais.

Tout en détaillant l’Apollon sans en avoir l’air, je songe à mon amie Valérie. Sans doute hausserait-elle un sourcil nar-quois en constatant qu’avec son allure de cadre dynamique, il ne fait pas très « couleur locale ».
— Mlle Alexia est la jeune romancière dont je t’ai parlé l’autre jour.
Tiens, Jacqueline a discuté de moi avec le bel inconnu. Je note aussi le « mademoiselle » qui souligne ma situation de célibataire ; à 49 ans, on ne m’avait pas désignée ainsi depuis bien longtemps ! Je me présente.
— Alexia Guiducci.
— Philippe Hurtebise.
Je manque de pouffer au son de sa voix fluette ; rien à voir avec le timbre chaud et masculin auquel je m’attendais. Je lui tends la main, il la prend d’une poignée molle en me regardant à peine. Il embrasse Jacqueline puis Albert et salue les clients, qui ont l’air de le connaître aussi. Après quoi il ouvre sa besace et en sort une poignée de flyers qu’il pose sur le comptoir.
— Comme prévu, pour le festival.
— Merci, mon grand, répond Albert. Il devrait y avoir du monde, cette année encore. Le beau temps, ça donne envie aux gens de sortir et de s’amuser.
— Si tu vois Franck, intervient Jacqueline, dis-lui que je passerai la semaine prochaine voir ce qu’il a chiné de nouveau.
— D’accord, je lui transmettrai.
Le beau Philippe tourne les talons, gratifie l’assemblée d’un « bonne journée » aimable mais sans plus, et quitte le café. Si ma vie était une comédie romantique, il s’avérerait sans doute être l’homme de ma vie à la fin de l’histoire. Pour l’heure, je ne lui ai pas fait grand effet.
— Philippe est un très gentil garçon, même s’il est un peu timide, affirme Jacqueline qui peine à masquer sa déception.
— C’est vrai, il est très gentil ! s’esclaffe Albert. Y a juste un hic : t’arriveras jamais à le caser. En tout cas, sûrement pas avec une femme ! (Elle lève les yeux au ciel, il ricane de plus belle et nous prend tous à partie) Voyez-vous, il n’y a que deux personnes au monde qui ne savent pas que Philippe est pédé : Philippe, et ma femme !
Ah, ben voilà ! Tout s’explique.
L’un des clients entonne la chanson d’Aznavour :
— Je suis un homo, comme ils disent.
Tout le monde éclate de rire, y compris Jacqueline… et moi, bien obligée.

*

Me voici de retour à Ailles. Chez moi, ou devrais-je dire, chez mes grands-parents, autrefois.
Je déballe les ficelles picardes de leur emballage en alumi-nium, les dispose dans un plat micro-ondable et lance deux minutes à la puissance maxi. En attendant, mon regard balaie la pièce autour de moi : un vaste séjour de 50 m² ouvert sur la cuisine aménagée et équipée. À part l’électroménager, qui était là à mon arrivée, et mon salon de jardin en plastique, on ne peut pas dire que le mobilier soit surabondant. Idem pour les bibelots, les tableaux sur les murs, ou tout ce qui pourrait de près ou de loin personnaliser un peu cet intérieur. Pourtant, cela fait presque six mois que j’ai emménagé…

J’ai cherché à m’éloigner de Blainville début 2018, quand mes problèmes au boulot sont devenus de plus en plus lourds à endurer ; je ne supportais plus d’y croiser des collègues régu-lièrement. La première solution qui m’est venue à l’esprit con-sistait à déménager. J’ai commencé à regarder les petites an-nonces immobilières. D’abord, juste comme ça, sans trop y croire. Puis, j’ai contacté des agences, effectué quelques vi-sites… Comme disait jadis mon amie Valérie, en parlant des mecs (avant de rencontrer son cher Jean-Jacques) : « Tant qu’on n’y est pas, on peut rêver. » Il y a d’abord eu la fermette « totalement rénovée » dans laquelle certains murs compor-taient encore par endroits des parpaings apparents. J’ai arrêté de chercher après la visite de la « superbe propriété au calme », située juste à côté d’un élevage d’oies et de canards. Dépitée, j’ai conclu que l’adage de Valérie s’appliquait aussi bien aux habitations qu’aux rencontres amoureuses : tant qu’on n’a pas vu, on peut rêver. Pourtant, quelques mois plus tard, j’allais tomber par hasard sur une longère à Ailles. Le village de mes vacances d’enfant, celui où mon père allait pêcher. La maison de ses parents.
Ce jour-là, ma moto n’avait pas démarré au quart de tour, mais toujours mieux que sa conductrice, qui avait mis des heures avant de se décider à faire cette balade. Je n’avais pas de but précis, à part celui de recharger les batteries, au sens propre comme au figuré. Tout ce que je voulais, c’était rouler. Je conduisais sans trajectoire déterminée, là où ma 125 me menait. À la sortie de Bailly, j’ai pris la direction « Moranvil-lers », puis « Ailles ». Je n’y étais pas revenue depuis des an-nées. Des dizaines d’années. Poussée par la curiosité, j’ai voulu voir à quoi ressemblait désormais l’ancienne maison de mes grands-parents.
« À louer ». En arrivant à quelques mètres de la grille, j’ai aperçu le panneau de l’agence immobilière. J’ai ralenti, j’ai garé la moto sur le trottoir et soulevé la visière de mon casque pour mieux voir. De l’extérieur, à une trentaine de mètres en retrait de la route, elle était comme dans mon souvenir. Mais en mieux.
À la mort de mon grand-père, la fermette avait été vendue en l’état. De toute évidence, les propriétaires qui lui avaient succédé l’avaient rénovée, en lui conservant néanmoins le style typique des longères picardes. Les briques de la façade avaient dû être rejointoyées récemment, les dépendances bardées de clin, la vieille clôture rouillée remplacée par un portail en fer forgé. Être tombée par hasard sur cette maison, la découvrir disponible et sentir mon cœur battre à nouveau sous son charme m’est apparu comme un signe du Destin : ce serait l’endroit idéal pour me ressourcer.

Grande sœur exemplaire vs cadette immature

Septembre, pour la plupart des gens, est synonyme de fin : fin des vacances, reprise du boulot et rentrée des classes, les enfants qui pleurent, les parents qui stressent. Pour moi, sep-tembre 2018 n’est que le commencement. Nouvelles aven-tures, réalisation de mes rêves et projets. Nouvelles rencontres aussi peut-être, je l’espère. Bref, c’est le début de mon année sabbatique.

Dans le programme de ma nouvelle vie bien remplie, écrire un futur best-seller est une chose nécessaire mais non suffi-sante : je dois aussi nourrir mon esprit d’expériences intellec-tuelles et artistiques de haut niveau. Un petit festival de mu-sique à deux pas de chez moi, c’est parfait pour une première immersion culturelle.
J’ai sous les yeux le flyer que Jacqueline m’a glissé l’autre jour dans le cabas, avec les ficelles picardes. Elle a bien souli-gné, avec un clin d’œil appuyé et comme s’il s’agissait d’un secret d’État, que son « tchiot » Philippe faisait partie de l’équipe d’organisateurs.

À ma grande surprise, Valérie a accepté de m’accompagner. Il faut dire que j’ai quelque peu accentué la notoriété de cette manifestation, qui « accueille d’excellents groupes musicaux reconnus dans le milieu professionnel » (c’est en tout cas ce que j’ai lu dans l’honorable feuille de chou locale). Nous de-vons nous retrouver sur place. Valérie Pichon, née Martin, est mon amie d’enfance. Je me demande toujours comment deux nanas si dissemblables que nous ont pu rester aussi proches depuis tout ce temps. Imaginez, en bruit de fond, le générique de la série Amicalement vôtre :

• Weight Watchers versus Nutella
– À part la forte poitrine, Valérie est une blonde toute mince, perpétuellement au régime ;
– Brune à petits seins, j’adore manger, de préférence tout ce qui est gras.

• Bouillon de culture versus bouillon Knorr
– Professeure des écoles, mon amie est un puits d’érudition doublé d’une parfaite ménagère désespérante ;
– Je suis beaucoup plus branchée « culture popu-laire télévisuelle » et plats cuisinés.

• Appartement témoin versus publicité pour La Foirfouille
– Les Pichon possèdent un superbe appartement dans le quartier huppé de Blainville ;
– Je vis dans une maison à la campagne où trônent toujours des cartons pas déballés.

• Plan de vie versus plan B
– Valérie a planifié son existence comme d’autres tracent leur plan de carrière. À l’âge de 34 ans, son chemin a croisé (par ma faute) celui de Jean-Jacques Pichon, fonctionnaire plein d’avenir qui l’a épousée et lui a donné un fils, Elendil. Avant lui, elle se définissait comme « une biche effarouchée » ; le comble pour quelqu’un qui a fini par se marier avec un féru de chasse.
– Toujours célibataire à 49 ans, je papillonne d’une relation à l’autre sans jamais vraiment m’attacher. Sans jamais verser une larme, quoi qu’il en soit.


Sur l’estrade, le premier groupe a commencé à jouer du jazz manouche. Le public tape des mains en rythme sur les accords de guitare et de contrebasse. Sous le barnum, des tables ont été installées dans le fond pour permettre à ceux qui le souhaitent de manger tout en écoutant la musique. Je balaie l’endroit des yeux pour voir si j’aperçois mon amie. Ma bonne humeur s’envole d’un coup : elle est venue avec son bidochon de mari. Qui est aussi, accessoirement, un de mes anciens collègues. Je me compose une figure aimable de circonstance.
— Vous êtes arrivés depuis longtemps ?
— Non, ça fait un quart d’heure, répond Valérie. On t’a gardé une place.
— Ouaip, et c’était pas gagné ! grogne sa moitié. Y a pas beaucoup de chaises et un putain d’péquenaud voulait piquer celle-là.
Mauvais plan. Jean-Jacques Pichon est un être que j’ai le plus grand mal à supporter : hautain et méprisant (Valérie ap-pelle ça de « l’autorité naturelle »), il s’excite souvent pour parler de ce qu’il aime par-dessus tout (la chasse) ou de ce qu’il déteste (les Arabes), avec une tendance dans ces cas-là à entamer chaque phrase par des « putain de ». Comme moi, il est fonctionnaire aux Finances publiques, sauf que lui est « chef de brigade », il encadre une équipe de vérificateurs qui réalisent les contrôles fiscaux. Au bout de quelques minutes attablée avec eux, à écouter Jean-Jacques pérorer tout en dévo-rant sa carbonade flamande, j’ai déjà envie de regarder ma montre. Ah, mais c’est vrai, je n’en porte plus depuis que j’ai arrêté de bosser. Je m’éclipse vers la buvette.
Derrière le bar, j’aperçois Jacqueline et Albert ; je leur adresse un signe amical mais ils ne me remarquent pas, débor-dés par les commandes qui affluent. Je réussis à attraper une carte des consommations sur le comptoir. En me retournant, je bouscule un type qui émet un bougonnement. Marc Lavoine. Celui de Jacqueline bien sûr, pas le vrai.
— Ah, c’est vous ? Euh, bonjour.
Apparemment il m’a reconnue, c’est déjà ça.
— Bonjour. Vous allez bien ?
— Ça va. Le festival démarre bien, je crois…
— Absolument ! Super ambiance ! dis-je avec un enthou-siasme un peu exagéré.
— …
— Les musiciens sont top et on voit que l’organisation est très rigoureuse.
— Ah oui, acquiesce-t-il d’un air absent. Alors, vous vous plaisez à Moranvillers ?
— Oh oui, je profite à fond… Mais en fait, moi j’habite Ailles…
— …
— Un village tout à fait charmant aussi.
— …
— Mon seul souci, c’est que la maison est presque vide, il faudrait que je meuble un peu.
C’est d’ailleurs ce que je fais depuis cinq minutes avec cette conversation.
— Vous avez essayé d’aller chez Pozzo di Borgo ?
— Euh… non. Chez qui ?
— La boutique de Franck Pozzo di Borgo à La Ferté. C’est un brocanteur. Si vous avez besoin d’acheter des meubles, ou à peu près n’importe quoi, je vous conseille d’aller jeter un coup d’œil chez lui (Il adresse un signe de tête à un homme déguisé en Blues Brothers). Faut que je vous laisse… (Il s’éloigne mais revient sur ses pas). La Ferté-les-Roses, dans la rue principale. C’est même ouvert le dimanche. Vous ne pou-vez pas le rater, il a toujours un tas de bric-à-brac sur le trot-toir.
Philippe Hurtebise s’éloigne en direction du musicien. Je re-joins les Pichon sous le barnum. Le deuxième groupe, dont le type en Blues Brother est le chanteur, s’installe et enchaîne des morceaux entraînants. Devant la scène, quelques spectateurs ont quitté leurs chaises pour danser sur Think d’Aretha Fran-klin. Je meurs d’envie d’aller les rejoindre, je tente de motiver Valérie mais ma proposition tombe à plat. Quant à Jean-Jacques, qui considère le public de cette soirée comme « un troupeau de ploucs », il s’est finalement trouvé des affinités avec son voisin de table, chasseur lui aussi.
Bon, je n’ai pas tout perdu : je repars avec une adresse à La Ferté machin chose où je suis censée trouver des meubles bon marché.

Rencontre du deuxième type

Entre la pancarte et le bazar sur le trottoir, il ne m’a pas fallu longtemps pour repérer la brocante de La Ferté-les-Roses. Je franchis la porte cochère, j’arrive dans un corps de ferme. En face, un bâtiment plein de charme, à la façade brique et pierre, sans doute l’habitation. Au fond de la cour à droite, un vaste hangar ouvert, dont l’entrée est encombrée de tout et de rien.
— Bonjour ! Y a quelqu’un ?
Je m’approche de la maison. Pas de sonnette ; je frappe à la porte, pas de réaction. Je m’aventure vers le hangar. Je retente un « Bonjour ! », qui reste toujours sans réponse, à part l’écho de ma voix. Il est près de midi, apparemment la « boutique » est ouverte mais je ne vois personne pour accueillir les clients potentiels. Au moins, voilà un commerçant qui n’a l’air tour-menté ni par son chiffre d’affaires ni par l’insécurité rurale.
J’entre timidement. Je n’en crois pas mes yeux : c’est comme un vide-greniers géant qui s’étale sur une superficie de 500 m² au bas mot. « Si vous avez besoin d’acheter des meubles, ou à peu près n’importe quoi », a dit Philippe Hurte-bise ; sur ce point au moins, il avait raison. J’ai rarement vu un tel étalage de choses aussi hétéroclites, de qualité inégale et en vrac. Je traîne parmi les vêtements, bijoux fantaisie, vaisselle et objets divers. Dans le coin vaguement dédié au mobilier, les livings Conforama côtoient des buffets de style industriel, un canapé Roche Bobois et une table basse vintage en céramique, que je trouve splendide.
J’entends du bruit vers l’entrée du hangar, une respiration forte et saccadée. Sûrement le maître de céans, enfin disposé à s’occuper de moi. Ce doit être un vieux monsieur, ou bien un asthmatique, ou… Je réprime un cri d’effroi. Sur le sol se dé-tache l’ombre, effrayante, d’un énorme molosse. Surtout ne pas paniquer. Planquée derrière les rayonnages, je tente une approche tout en douceur :
— Alors, Pépère, il est où, ton maître ? Tu vas pas me bouf-fer, hein ? (Bon sang, il a l’air d’avoir des crocs d’enfer !) Ohé ! Y a quelqu’un ?
Aucune réponse humaine, mais j’entends toujours le monstre haleter à deux mètres de moi. Incapable de faire un pas en avant, je tends le cou pour voir à quoi il ressemble… La terrifiante créature, une saucisse sur trois pattes, me dévisage en bavant et en remuant la queue. Je la caresse un peu puis je sors du hangar, suivie de près par ce sacré chien de garde. Je con-tourne la maison jusqu’à un pré situé derrière les bâtiments.
À une vingtaine de mètres, un homme torse nu, à la barbe naissante et aux cheveux courts poivre et sel (un peu plus sel que poivre), est en train de brosser un étalon noir très grand, à la robe luisante. Malgré toute la grâce de l’animal, c’est surtout son soigneur que mes yeux se mettent à scanner, tandis que l’unité centrale qui me sert de cerveau l’analyse à la manière d’un Terminator :
– Genre : masculin (très masculin)
– Taille : au moins un mètre quatre-vingt cinq
– Poids : moyen (très légères poignées d’amour)
– Âge : dans les 55 ans ?
Je m’attarde sur son torse bronzé, la toison qui ombre sa poitrine, ses bras musclés, ses grandes mains qui ondulent sur la croupe… inconsciemment, je m’humecte les lèvres. Hmm, je donnerais cher pour être à la place du cheval…
La petite chienne infirme claudique vers son maître avec un jappement joyeux, mettant un terme à mes divagations. L’homme se retourne, s’aperçoit de ma présence. Il me fait signe d’aller dans la maison, et ajoute un « V » avec l’index et le majeur signifiant, je suppose, « j’arrive dans 2 minutes ».
J’entre dans le couloir. Les murs sont chargés de reproduc-tions en tous genres et d’étagères pleines de bibelots. Mon re-gard s’arrête net sur une peinture énigmatique, composée de gribouillis rouge sang sur des barbouillages très sombres qui semblent représenter des membranes et des viscères. En haut à gauche se détache une inscription : « Cotylédons ». Cette toile mériterait d’être utilisée comme thérapie pour toutes les femmes en mal de progéniture. Elle m’inspire l’envie d’ouvrir le gaz mais je n’arrive pas à en détacher mes yeux. Je suis tou-jours plantée devant lorsque le brocanteur arrive, effective-ment au bout de deux minutes… plus, au moins dix supplé-mentaires.
— Ça vous plaît ?
Je quitte la croûte des yeux pour observer l’homme à ma guise, son visage buriné, ses yeux noirs mutins. Je le trouve encore plus attirant de près. Normalement je déteste poireauter, mais son sourire chaleureux achève de me rappeler à l’ordre : après tout, je ne suis pas pressée.
— Ça vous plaît, ce que vous voyez ? répète-t-il.
J’ai vaguement dans l’idée que sa question concerne le ta-bleau mais ce que je vois à l’instant, c’est qu’il a enfilé un T-shirt sous lequel je devine sa musculature.
— Oh, oui ! fais-je dans un soupir lascif.
Il se racle la gorge, semble troublé.
— Je suis désolé mais celui-là n’est pas à vendre. En re-vanche, je peux vous communiquer l’adresse de la galerie où l’artiste expose.
— L’artiste ? C’est un créateur local ?
— Absolument ! confirme-t-il en bombant le torse d’un air satisfait.
Il s’en est fallu de peu que je gaffe en exprimant tout le bien que je pense de ce truc désolant ! Je lève à nouveau les yeux vers la toile pour lui chercher désespérément un quelconque intérêt. Je distingue vaguement la signature, formée de deux lettres : DM.
— Oh ! Eh bien… enchantée ! « DM », c’est ça ?
Il opine du chef et s’éclaircit la voix avant de répondre :
— Oui, mais ce ne sont pas mes initiales, c’est un pseudo-nyme. Un nom d’artiste, si vous préférez.
J’avais compris !
— Et ça signifie quoi ?
— Chut, c’est mon jardin secret. Je m’appelle Franck. Franck Pozzo di Borgo.
— Alexia Guiducci.
Je lui tends la main, il la serre entre les siennes et ne la lâche plus. J’observe au passage qu’il ne porte pas d’alliance.
— Origines italiennes ?
— Euh, oui… mais, euh, lointaines. Vous aussi ?
— Corses ! réplique-t-il en redressant la tête avec fierté (Il ne m’a toujours pas rendu ma main, qu’il se met à tapoter avec délicatesse). Eh bien, soyez la bienvenue dans ma modeste boutique, chère Alexia (Tiens, on s’appelle déjà par nos pré-noms ?) Je prends toujours grand soin de mes visiteurs mais vous, vous aurez droit à un traitement tout particulier… (Je le fixe tout en récupérant ma main à regret, émoustillée mais per-plexe). Une Italienne et un Corse, nous sommes un peu cou-sins, précise-t-il avec un clin d’œil. Ne sommes-nous pas deux immigrés dans cette fichue Picardie, Mlle Guiducci ?
J’approuve d’un hochement de tête, en essayant tant bien que mal de dissimuler mon embarras. Disons qu’Alexia Gui-ducci, c’est en quelque sorte mon nom d’artiste à moi…

Un camarade qui en impose

Mon ancien coéquipier Gabriel Gestien est de passage sur la Côte d’Opale pour effectuer le contrôle d’un restaurant. Nous ne nous sommes pas vus depuis plusieurs années mais je sais qu’il sévit toujours à la DNV, la direction nationale des Vérifi-cations, où nous avons débuté ensemble. Partagée entre ma volonté de tourner la page des Finances publiques et une irré-pressible envie d’entendre des potins sur d’anciens collègues, j’ai accepté de le retrouver au Crotoy.

Il fait toujours aussi chaud qu’en août. Dans la petite ville côtière vidée de ses touristes en ce début octobre, seule l’absence d’animation rappelle que nous sommes hors saison. Je me demande quelle sera la réaction de Gaby à l’annonce de mon break professionnel. Dans ma tête, deux petites voix s’affrontent : la première, que j’imagine sous la forme d’un ange Gabriel rassurant, martèle que j’ai fait le bon choix :
— T’étais au bord de l’implosion, changer de vie était LA décision qui s’imposait.
La seconde (Gaby le maléfique), me sermonne :
— Lâcher son boulot par les temps qui courent, faut vrai-ment être inconsciente !
Mon conciliabule intérieur s’interrompt quand j’aperçois Gaby (le vrai) face au port. Les cheveux épars, la cinquantaine bien tassée même s’il aime se la donner « toujours djeuns », il m’adresse un sourire carnassier qui lui donne des airs de smi-ley. Nos retrouvailles sont amicales mais aussi brèves que si nous nous étions vus la veille. Nous décidons de déjeuner en terrasse, face au port.
— Une année entière de liberté ! s’enthousiasme-t-il. T’as total raison, on n’a qu’une vie !
En fin de compte, mon ambitieux et néanmoins sympa-thique vieux complice ne semble pas me juger. Il lève son verre à mon congé sabbatique et se lance dans un laïus sur la place démesurée qu’on accorde de nos jours à la carrière :
— « Une étrange folie possède les classes ouvrières dans les nations capitalistes, cette folie s’appelle l’amour du travail », cite-t-il sur un ton pédant. Si tu veux mon avis, les gens de-vraient relire plus souvent L’Éloge de la paresse de Jules La-forgue.
Je suppose qu’il veut parler du Droit à la paresse de Paul Lafargue mais je ne relève pas. Pas plus que je ne souligne l’incongruité à proférer des termes comme « classe ouvrière » en dégustant son foie gras poêlé dans ses fringues hors de prix, et cependant trop swags…

Sur le quai, le poissonnier alpague un marin pêcheur. Leurs éclats de voix se répercutent dans ma tête. L’espace d’un ins-tant, je suis comme téléportée des mois en arrière, au centre des Finances publiques de Blainville. Face à un homme en proie à une fureur incontrôlée… Gabriel Gestien me ramène en 2018.
— Qu’est-ce que tu comptes faire, après ? Tu devrais reve-nir bosser à la DNV, on formait un super binôme, tous les deux !
— C’est vrai que sur le plan professionnel, c’étaient mes plus belles années, admets-je.
— On assurait grave ! Tu te souviens, ce dirigeant qui avait détourné plus de trois briques dans sa boîte : il avait pris cher grâce à nous, il avait bien le seum !
Dans mon souvenir, mon ex-coéquipier était un jeune cadre divertissant qui multipliait les blagues potaches avec une fausse distance irrévérencieuse. Mais sous ses airs de ne jamais rien prendre au sérieux, c’était surtout un vérificateur redoutable-ment efficace.


À la fin du déjeuner, je le raccompagne à sa voiture, un SUV flambant neuf tout à fait caractéristique de la classe prolé-taire. Nous nous promettons de rester en contact.

Le calme est revenu, de paisibles retraités flânent le long de la berge. Je décide de prolonger cette journée et l’espiègle sen-sation de faire l’école buissonnière par une promenade en bord de mer.

*

Avec l’été indien qui s’est incrusté dans la région, je savoure la fraîcheur ombragée de la forêt de pins avant de serpenter à travers les dunes de sable parsemées d’oyats.

Quand je marche, cela doit m’oxygéner les méninges parce que les idées pour mon roman me viennent sans arrêt, beau-coup plus que face à mon ordinateur. J’ai des tas d’images dans la tête, des lieux de scènes, des bribes de dialogues, des personnages. À la sortie de la pinède, j’ai une illumination : et si, au lieu d’une pure fiction, j’écrivais l’histoire d’une nana qui prend une année sabbatique et change de vie ? Je n’aurai aucun mal à trouver de quoi raconter : son ascension sociale, son brillant parcours, puis ses désillusions, le drame, et sa des-cente aux enfers. Rien ne m’empêche d’en rajouter un peu dans le pathos… Excellente idée ! Je sors mon calepin de mon sac à dos et m’empresse d’écrire : « RÉCIT AUTOBIOGRA-PHIQUE ». Après quoi je m’étire langoureusement et me badi-geonne de crème solaire. Je m’en étale sur les jambes, puis je remonte : cuisses, bras, épaules. Poitrine, cou. Je lève les yeux. Et c’est là que je le vois.

Un type se tient debout, au milieu des dunes, en train de m’observer. Il est torse nu, en maillot de bain, plutôt grassouil-let ; sous sa casquette, je devine un visage rond et rougeot ; il n’a pas l’air très vieux et… mon Dieu, quelle horreur ! Tout bien considéré, il ne fait pas que mater, il… De toute évidence, ce qu’il tient à la main n’est pas un flacon d’écran total ! Fissa, je remballe tout dans le sac à dos et déguerpis sans demander mon reste. Je termine tranquillement l’après-midi à la plage en me promettant, dès le lendemain, de faire un saut à l’armurerie pour renouveler mon arsenal d’autodéfense.

Les feuilles qui tombent

De retour au bric-à-brac de La Ferté-les-Roses, j’ai droit à un accueil presque aussi agréable que la première fois. « Presque » dans la mesure où, bien que m’ayant reconnue, Franck Pozzo di Borgo me souhaite la bienvenue en m’appelant « Alicia ». N’empêche, il a l’air content de me re-voir, tout comme Paupiette, sa chienne à trois pattes qui me fait la fête.
— Je dépose ça à l’intérieur et je suis tout à vous, annonce-t-il en prenant une caissette pleine de pommes. Vous aimez les fruits ? Venez, je vais vous en donner.
Dans l’entrée de la maison, j’évite de lever les yeux vers la déprimante peinture aux viscères sanguinolents. Mon regard se pose alors sur un guéridon où s’entasse du courrier. Avec l’automne, les jours raccourcissent et les feuilles tombent… notamment, les feuilles d’impôts : je reconnais instantanément le logo du ministère. Pendant que le Corse s’éclipse, je ne peux résister à la curiosité : trois, quatre avis de taxes foncières… Eh, ça rapporte, la brocante !
Il revient au bout de quelques minutes, m’offre un sac de goldens de son jardin puis m’accompagne dans le hangar. J’explique que je veux meubler ma maison, que je préférerais du bois clair, quelque chose de chaleureux (Pas comme son tableau… mais ça, je m’abstiens de le préciser). Il me montre un buffet haut, un confiturier et une étagère en pin naturel massif. Je mets une option sur le tout, en indiquant qu’il me faut un peu de temps avant de me décider. En fait, c’est tout réfléchi, j’ai juste besoin d’une excuse pour revenir.

*

Deux jours plus tard, je me repointe à la boutique et j’achète donc ces meubles en pin, ainsi que la table basse en céramique et le canapé Roche Bobois, sur lequel j’obtiens une bonne re-mise. J’indique qu’il me faudrait trouver une table et des chaises se mariant bien avec ce style. Le brocanteur répond qu’il va chiner pour moi, je ne dois pas m’inquiéter, il trouve-ra rapidement et pour un bon prix. Je m’apprête à demander s’il connaît un transporteur mais il anticipe ma requête et pro-pose, en regardant ma moto, de venir me livrer à domicile. Je lui communique mon numéro de portable et mon adresse, en songeant que je dois enlever l’étiquette « G. Boudin » sur ma boîte aux lettres. Nous convenons qu’il passera chez moi en fin de journée.

*

Il est 19 h 30 lorsque sa camionnette entre dans ma cour. Parfait timing pour lui proposer de prendre un apéritif, voire de dîner avec moi.
À cette fin, j’ai fait le plein de plats préparés chez Jacque-line, me suis ruinée en vin et en alcool (n’y connaissant rien, j’ai acheté parmi les bouteilles les plus chères). Je suis vêtue d’une jupe droite fendue et d’un cache-cœur.
— Vous êtes ravissante ! s’exclame le Corse en me scannant des pieds à la tête.
— Je peux vous offrir quelque chose ?
— Hmm… Oui, tout porte à le croire, susurre-t-il d’une voix aussi chaude que mes joues.
Franck Pozzo di Borgo s’approche de moi d’une démarche assurée, me serre contre lui. Il glisse une main derrière ma nuque pour attirer mon visage contre le sien et m’embrasse goulûment. Je sens son autre main se faufiler dans la fente de ma jupe et remonter…
— Je vais décharger, murmure-t-il tout en mordillant le lobe de mon oreille.
— Oh, oui, je… HEIN ?!
— Je vais décharger les meubles, répète-t-il, vous me direz où on les installe.

Désolée… Je rembobine :
Le brocanteur arrive en fin d’après-midi, au volant d’une fourgonnette dont le rétroviseur a été rafistolé avec du chatter-ton. Il est accompagné d’un type qui descend à son tour par la portière « conducteur » (apparemment le côté « passager » ne s’ouvre pas) ; un mec qui pue la clope à trois kilomètres et me dit à peine bonjour. Je les accueille vêtue de ma jupe fendue et de mon haut décolleté. J’ai prévu, en cas de besoin, de justifier ma tenue par un rendez-vous bidon que j’aurais eu le matin avec mon éditeur ; précaution parfaitement inutile, car je n’ai droit à aucune question ni commentaire. Les deux hommes vident le pick-up, placent le mobilier aux endroits que je leur indique puis ils déclinent poliment l’apéritif ou le café que je leur propose et repartent au bout d’à peine une demi-heure.

Je me retrouve seule, affalée dans mon tout nouveau canapé Roche Bobois, sirotant du marsala aux amandes, les pieds po-sés sur ma table basse vintage. Dans ma tête, Gaby le Malé-fique s’amuse à agiter les avis de taxe foncière du Corse comme s’il distribuait des tracts électoraux. Je cligne des yeux pour chasser cette image insistante.

Le pari

— Bonjour, ma grande. J’ai fait de la flamiche ce matin, ça t’intéresse ?
Je souris à Jacqueline en salivant par avance, à sentir les ef-fluves de poireau et de muscade.
— Plutôt deux fois qu’une !
— Alors, le festival, ça t’a plu ? Vous avez passé une bonne soirée ?
— Euh… oui. C’était super.
— Apparemment, t’as bien accroché avec Philippe… Il est adorable, hein ?
— Tu ne peux pas les laisser tranquille, non ? la taquine Al-bert.
— Toi, t’as pas des courses à faire ? se rebiffe-t-elle.
— C’est bon, j’y vais. Je vous laisse cancaner, les filles.
Mes bistrotiers préférés m’amusent au plus haut point. En fait, ils me rappellent un peu mes parents, en version rustique et troisième âge. Jamais d’accord sur rien, jamais l’un sans l’autre. Elle m’invite à prendre place au comptoir en me pré-parant une grande tasse de chocolat, puis elle se plante face à moi avec un air de conspiratrice.
— Philippe n’a rien raconté, il est tellement secret. Mais je vous ai vus discuter…
— Ah bon.
— C’est un beau garçon, tu ne trouves pas ? Et il a une bonne situation.
— Ah oui ? demandé-je en manifestant un intérêt largement simulé.
— Il est ingénieur, il crée des jeux vidéo, explique-t-elle avec la même fierté que s’il travaillait dans l’humanitaire. Tu es bien célibataire ?
J’avale une grande gorgée de chocolat, histoire de m’accorder quelques secondes pour réfléchir. Si on s’en tient aux faits, oui, je suis libre comme l’air ; oui, Hurtebise est beau mec, et non, je n’ai pas de petit ami. Cela étant, j’ai horreur qu’on cherche à me forcer la main. Étrangement, l’image de Franck Pozzo di Borgo passe furtivement dans mes pensées.
— Je voudrais te raconter quelque chose, poursuit Jacque-line d’un air mystérieux sans même attendre ma réponse. Mais d’abord, tu dois me faire deux promesses.
— Lesquelles ?
— Jure-moi de ne pas répéter ce que je vais te dire, et aussi de pas te fâcher.
Devant tant de mystères, j’oscille entre une légère appréhen-sion et l’envie d’éclater de rire. Je lève néanmoins la main droite et dis :
— Je le jure.
— Alors, voilà : tu sais, dans le temps, Philippe venait sou-vent ici quand il n’avait pas école. J’étais un peu comme sa nounou. Tu comprends, avec Albert on n’a pas eu d’enfants, alors on s’est beaucoup attachés à ce tchiot…
— Hmm hmm…
— C’est un garçon tellement doux et sensible. Il a toujours été solitaire, il préférait venir chez nous que d’aller à la garde-rie ou en colonies de vacances. En grandissant, ça n’a pas tel-lement changé, il est toujours aussi discret et… (Sauvage ? Asocial ?) indépendant. Si bien qu’on ne le voit jamais avec personne.
— Il n’a pas d’amis ?
— Si, il a quelques copains, enfin surtout un : Karim. Un Tunisien, mais très bien élevé (je choisis de ne pas relever cette dernière précision, raciste sur les bords). Ce que je veux dire, c’est que Philippe n’a quasiment jamais eu de fiancée. À part une fois, il y a longtemps. Une espèce de fille aux cheveux filasse, très mauvais genre !
Je réprime un sourire et recentre le sujet.
— Albert a l’air de penser qu’il serait homo… Ça te déran-gerait si c’était le cas ?
Jacqueline marque une hésitation, puis elle hoche la tête d’un air navré.
— Non. Enfin, pas vraiment. Mais ça m’ennuie de le voir toujours seul. Je voudrais qu’il soit heureux, c’est tout. Albert et les autres, ils se moquent de moi, alors l’autre jour, je sais pas ce qui m’a pris, j’ai lancé comme qui dirait, un défi : j’ai parié avec eux que Philippe aurait une petite amie avant la fin de l’année.
Je commence à craindre la chute de l’histoire.
— Et je ne dois pas me fâcher parce que… c’est avec moi que tu espères le caser ?
— Vous iriez si bien ensemble tous les deux !
Je pèse mes mots pour ne pas la froisser.
— Jacqueline… Je suis très flattée que tu aies pensé à moi (en même temps, il n’y a pas pléthore de femmes célibataires dans les environs), mais ça ne va pas être possible.
— Pourquoi pas ?
— D’abord (je suis sûrement un peu plus vieille que lui) rien ne prouve que je lui plaise. Et surtout, je suis très bien comme ça, je veux garder ma liberté.
— Tu s’rais pas obligée de te marier avec. Vous pourriez juste… vous rapprocher.
Mon sourire en coin lui signifie que je ne suis pas dupe.
— Ou alors, flirter en public pour que tu gagnes ton pari.
— Si ça marche je te reverse 20 % des gains.
— Jacqueline !
— Pardon ! Tu me trouves indigne ? Oh, par pitié, ne m’en veux pas !
— Mais non, tout va bien.
Elle me serre les doigts avec fébrilité ; je la trouve touchante. Immorale, mais touchante.
— Alexia, je t’en prie, oublie tout ce que je viens de dire.
Je pose mon autre main sur les siennes en arborant un air faussement choqué.
— 30 %.
Elle me fixe d’un regard incrédule, mais reprend vite ses es-prits.
— 25.
— 25 %, et des plats cuisinés à l’œil pendant un mois.
— Trois semaines.
— Adjugé.

Escort judiciaire

Le soleil ruisselle dans mon jardin, pas un nuage pour le masquer. Je suis concentrée à fond sur l’écriture de mon ro-man. Bon, pour tout dire, je poursuis surtout ma phase de re-cherches didactiques : conseils de romanciers célèbres aux écrivains en herbe, tutos qui promettent de faire de vous la prochaine J. K. Rowling… Et rien n’interdit de se documenter dans son transat, confortablement installée à l’ombre d’un pommier…

La sonnerie de mon téléphone me tire de mes profondes ré-flexions (je me réveille en sursaut). J’ai dû m’assoupir un ins-tant, bercée par le doux babillage des mésanges. Je m’étire lan-goureusement. Pas envie de décrocher…
Assis dans l’herbe à quelques mètres de moi, un petit chat noir est en train de m’observer, j’ai l’impression que ses yeux jaunes m’enjoignent de prendre l’appel. Le téléphone, pour moi maintenant, c’est un peu comme la montre : un objet bien trop associé à mon ancienne vie. Celle dans laquelle je courais tout le temps sans jamais, pour autant, avoir l’impression d’être à la hauteur. Aujourd’hui, rien ne m’oblige à être disponible H 24. Le chaton semble me lancer un regard accusateur… Bien sûr que non ! Ce n’est qu’un vieux réflexe dans ma (mauvaise) conscience d’Occidentale pour qui l’oisiveté est condamnable. Et c’est juste un adorable minet intrigué par le « bip » de mon Smartphone. Je me lève tout doucement et tente de m’approcher sans l’effrayer. Craintif, il s’enfuit.
J’écoute ma messagerie vocale.
— Hmm, bonjour Alicia… Vous m’aviez dit que vous cher-chiez une table et des chaises dans le même style que les buf-fets et, hmm, je crois que j’ai trouvé quelque chose qui pour-rait peut-être vous convenir. Alors, voilà, hmm, si vous avez le temps de passer un de ces jours… Enfin, bref, je vous les mets de côté.
Franck Pozzo di Borgo. Il ne se présente pas mais je recon-nais tout de suite sa voix grave, légèrement rocailleuse. Et ce tic consistant à s’éclaircir la voix quand il est mal à l’aise. Je me sens brusquement nerveuse, sans savoir si cela tient au fait que :
a) il s’est donné la peine de chercher des meubles pour moi, c’est trop chou ! (en même temps, c’est un peu son gagne-pain…) ;
b) il est en train de mâchouiller un chewing-gum tout en parlant ;
c) il se trompe encore de prénom.

*

Le ciel est limpide, l’air toujours aussi doux. Quand j’arrive au bric-à-brac, le brocanteur viril en diable est en train de dis-cuter dans la cour avec un grand brun dont la silhouette ne m’est pas inconnue ; je devine leur conversation amicale. Je m’approche timidement jusqu’à ce qu’il me remarque et me fasse signe de les rejoindre. L’autre homme se retourne ; je reconnais Philippe Hurtebise. Son pantalon de toile beige et sa chemisette parfaitement repassée contrastent avec le T-shirt Star Wars de son vis-à-vis.
— Ah, tiens, bonjour ! me lance-t-il d’un ton presque guille-ret.
— Vous vous connaissez ? s’étonne Pozzo di Borgo en nous dévisageant tour à tour.
— En fait, dis-je, c’est ce monsieur qui m’a vanté votre adresse.
— Ah, tu me fais de la pub ? semble s’étonner le brocan-teur. Sympa, ça !
— Le festival vous a plu ? me demande le « sosie » de Marc Lavoine, sans relever.
— Absolument ! Je me suis régalée.
Hurtebise me gratifie d’un sourire flatté.
— C’est vrai ? Si ça vous dit, il y en a un autre le week-end prochain, à Guillaumont (il se tourne vers le Corse). Bien, je vais vous laisser. À plus !
Pozzo di Borgo lui passe une main amicale sur la nuque avant de le regarder s’éloigner ; une lueur étrange vacille dans ses yeux noirs.
— On dirait que vous avez un rencard, me taquine-t-il.
— On n’a pas dû entendre la même conversation. Si c’était une proposition de rendez-vous galant, c’était la pire qu’on m’ait jamais faite !
— Allez savoir… Philippe est un jeune homme discret et sans doute un peu timide… En tout cas, c’est quelqu’un de bien.
Qu’est-ce qu’ils ont tous à vouloir me caser avec ce type ?
— Vous cherchez à nous marier ?
— Non, rassurez-vous, je n’ai pas pour habitude de m’immiscer dans la vie des gens. Mais il est plutôt beau gosse, non ?
— Oh si, mais… Est-ce qu’il ne serait pas un peu… pré-cieux ?
— Précieux ? Vous voulez dire homosexuel ? (Il sourit. Oups ! J’ai encore dû gaffer…). Comme je vous le disais, Phi-lippe est quelqu’un de très discret. Je serais bien en peine de vous renseigner sur ses fréquentations… mâles ou femelles.
— Han, han. Et vous ?
Je me sens rougir, la question est sortie toute seule de ma bouche. Le Corse éclate de rire.
— Moi ? Vous me demandez si je suis pédé ?
— Euh, non, je… me demandais si vous… alliez aussi à ce festival le week-end prochain.
— Ah bon, dit-il en reprenant son sérieux. Ce serait avec plaisir, mais je me lève tôt le lendemain : je serai à la réderie de Bailly-lès-Neuville… La braderie, si vous préférez.
Je feins d’avoir appris quelque chose : Guiducci ne connaît peut-être pas la dénomination picarde des vide-greniers mais Boudin, elle, sait parfaitement de quoi il s’agit. Je prends mon air le plus convaincant :
— J’adore ça, chiner, moi aussi ! Je pourrais peut-être vous accompagner ?
Il esquisse un sourire en coin.
— Je n’y vais pas pour acheter, j’y serai comme exposant. Faut bien mettre un peu de beurre dans les épinards. (Je prie pour qu’il évite de vanter son chiffre d’affaires au black). Pas-sez donc me voir, se contente-t-il de conclure.

*

Le dimanche, en Picardie, ce n’est pas seulement le jour fé-rié, c’est aussi celui des réderies. Cette fois, je ne me suis pas déplacée à moto. Aujourd’hui j’ai sorti le grand jeu, la tenue de « vraie fille » : robe courte à bretelles avec décolleté plon-geant sur soutien-gorge rembourré, sandales à talons mettant en valeur mes jambes bronzées fraîchement épilées, chevelure supposée glamour selon la technique (presque) maîtrisée du coiffé-décoiffé.
Avec l’été qui perdure, l’ambiance du vide-greniers est cha-leureuse dans tous les sens du terme. J’arpente les allées depuis déjà un moment, ces chaussures de ville commencent à me faire mal aux pieds, quand j’aperçois enfin l’objet de ma con-voitise. Je m’arrête à quelques mètres et feins de parcourir un dépliant publicitaire qu’on vient de me fourrer dans les mains. Franck Pozzo di Borgo discute avec un client potentiel qui s’intéresse à un lampadaire à 10 euros. Une femme les inter-rompt pour demander le prix d’un lot de vaisselle ancienne.
— 50 euros, répond le brocanteur. C’est de la porcelaine anglaise, très rare.
La femme passe son chemin, sans chercher à négocier. L’homme revient à la charge pour le luminaire, je l’entends en offrir 5 euros ; le Corse baisse à huit (univers impitoyable…). Il tourne la tête, me voit et me sourit. Mon estomac se serre ; je m’efforce d’afficher une attitude détachée quoique chaleu-reuse.
— Bonjour ! Alors, ça marche, les affaires ?
— Très bien ! Et vous, comment allez-vous ?
Sur son stand, j’observe des machins du siècle dernier avec cadrans et combinés, vestiges d’une époque étrange où un télé-phone ne servait qu’à parler avec des gens. Saisie d’une bouf-fée de nostalgie, je m’apprête à en prendre un mais un grand dégarni me prend de court.
— 70 euros, annonce Pozzo di Borgo. Les modèles orange sont plus rares.
Je me rappelle avoir entendu, dans une émission de déco des plus sérieuses, que ce genre d’objets vintage pouvait en effet être particulièrement recherché. L’homme soupèse l’appareil, l’examine sous tous les angles.
— Hmm hmm, je sais, acquiesce-t-il en connaisseur.
Sur une deuxième table sont étalés des accessoires d’équitation. Des images du Corse, en train de brosser son su-perbe étalon noir, passent devant mes yeux. Je soulève une cravache, machinalement.
— Vous montez ? me demande-t-il.
Mon cœur s’emballe.
— Euh… Hein ? Monter, où ça ?
— À cheval. Vous montez à cheval ?
— Ah, euh, oui.
— Ça vous tenterait de faire une balade un de ces jours ?
Cas de conscience : mentir ou pas sur mon niveau équestre ? D’un côté je m’imagine trottinant à ses côtés, lui en tenue de cow-boy méga viril… De l’autre, je ne suis pas mon-tée sur un bidet depuis les années 1990 !
— Avec grand plaisir, quand vous voulez…
Pas de panique. Il faut juste que je reprenne quelques cours, en formule accélérée.
— OK pour soixante-dix, dit l’homme en sortant des billets de son portefeuille.
Je fais taire la petite voix de ma conscience professionnelle qui se demande si tous ces règlements en espèces sont bien déclarés. Le client paie et s’en va avec son téléphone. Enfin seuls. Je pose mon sac par terre et feins d’examiner une assiette en experte :
— Combien pour cette porcelaine anglaise ?
— Cinquante centimes.
— Je voulais dire, combien pour tout le lot ?
— Pour l’ensemble ? 10 euros. Je vous le laisse pour 8.
Il se fiche de moi ? Je l’ai entendu annoncer « cinquante » il n’y a pas dix minutes. Une nouvelle cliente potentielle s’est approchée, elle se fait pressante pour que je me pousse. Je re-cule d’un pas et me prends les pieds dans mon sac. Cette idiote s’écarte juste au même moment ; je m’affale par terre, la tête dans un carton de vêtements, les quatre fers en l’air, jupette au vent. Je ne prévoyais pas de donner au Corse l’occasion de voir ma petite culotte dans de telles circonstances ! Il se préci-pite pour m’aider à me relever.
— Ça va, vous n’avez rien ? s’enquiert-il affolé comme si j’étais moi aussi en porcelaine.
Autour de nous, les passants me jettent des regards plus amusés que compatissants. Mortifiée, j’attrape la main qu’il me tend et dépoussière ma robe en évitant son regard.
— Tout va bien.
Étourdie par ma chute, je tangue un peu ; Pozzo di Borgo m’attrape par les hanches avec une fermeté maladroite. Nous restons ainsi sans bouger pendant deux ou trois secondes, une bouffée de chaleur m’envahit. Je suis partagée entre l’envie de rester là indéfiniment, prisonnière de ses mains, et celle de m’enfuir en courant.
J’annonce que je vais acheter la vaisselle, plus pour me donner une contenance que pour l’intérêt que je porte à cette porcelaine, au demeurant très jolie. Le Corse me lâche lente-ment, je ramasse mon sac et sors un billet de cinquante ; il me rend 42 euros.
— Il n’y a pas une erreur ?
— Aucune.
Je hoche la tête, pensive. Cherche-t-il à me faire un cadeau sans oser le dire ou a-t-il tantôt essayé d’arnaquer la cliente ? Ou alors, il m’imagine totalement fauchée et me prend en pi-tié ? Bien sûr, je ne roule pas sur l’or, mais j’ai quand même assez d’économies pour financer mon année sabbatique. Les badauds ont repris leur chemin ; je fais de même, mon carton de vaisselle bradée sous le bras.

*

Depuis qu’Alix avait vécu son épisode de surmenage, l’idée de faire une longue pause professionnelle s’immisçait en elle de plus en plus souvent, et de plus en plus profondément. Quand sa vie professionnelle commença à partir en vrille, l’envie se transforma en idée fixe, s’imposant dans son esprit comme une évidence : il était temps de changer de vie. La magistrate comprit que déménager pour ne plus être amenée à croiser ses collègues ne serait pas suffisant. Le désamour de son métier comme de ses congénères s’était mué en véritable aversion pour une majorité d’entre eux. Elle devait couper les ponts avec cet environnement dans le-quel elle éprouvait la sensation de suffoquer, littéralement.

La vache ! C’est chiant comme la pluie ! Les fausses bonnes idées… Initialement prévu pour être un polar, mon roman a bifurqué vers le récit autobiographique depuis que j’ai eu cette inspiration subite en bord de mer. C’est ainsi que mon héroïne, Alix, juge d’instruction chargée de l’enquête, est devenue une nana à demi neurasthénique dégoûtée par son job. Je relis les quelques feuilles dont j’ai péniblement accouché ces dernières semaines. Développements à n’en plus finir sur les états d’âme de mes protagonistes, dialogues insipides, descriptions façon nature morte et catalogue Les trois Suisses… Bon sang ! Plus assommant, je meurs ! Ces lignes déprimantes et rébarbatives sont-elles le reflet de la femme que je suis devenue ? Non, c’est vraiment pas possible, je ne peux pas imposer la torture de pages aussi indigestes à mes futurs fans hypothétiques.
Je pense à Franck Pozzo di Borgo, ce Corse impossible qui me fait tant fantasmer. C’est décidé, je laisse tomber l’autobiographie. Je vais plutôt écrire une comédie romantique. Roulement de tambour, voici mon nouveau pitch :
À la croisée de Pretty woman et Proposition indécente, l’histoire d’amour entre Alix Poirrier, jeune magistrate, et Franck Perello, un chef d’entreprise qui la croit indigente suite à un quiproquo. Se prenant au jeu, elle dissimule son train de vie et sa véritable profession et, sur un coup de tête, se fait passer pour une escort-girl.
Je trouve cocasse de l’intituler : Escort judiciaire.

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