Posté par: cnslancelot5930
« le: jeu. 18/11/2021 à 10:20 »Suite et fin de La montagne aux mille yeux
La Nouvelle-Zélande
Le pays de Nouvelle-Zélande était sombre, l’épaisse forêt et la brume ne laissant pas passer la lumière du soleil sur cette terre désolée. Il y avait la plage de galets verts au sud, le petit chemin de roche calcaire et le petit pont en pierre qui séparait la côte de la dense forêt dont les teintes habituellement vives étaient devenues ternes et mélancoliques. Il y avait plus haut nord, les marais où la végétation se faisait plus sauvage, plus agressive. Au-delà, tout était recouvert d’un épais brouillard jusqu’à la région montagneuse. Le pilote de l’avion les déposa sur la plage et repartit en leur indiquant qu’il reviendrait les chercher plus tard. Le vent en provenance du large rapportait l’essence marine aux narines de nos protagonistes. Ils attendirent, regardèrent l’avion disparaître derrière l’horizon puis empruntèrent la route menant aux bois. Les porteurs emboîtèrent le pas à John, Helen et Marc ; marchant vite en dépit de leurs bagages. Helen s’arrêta au moins toutes les cinq minutes lorsqu’elle entendait un son suspect et même son mari eut du mal à la rassurer. Il faut dire que lui aussi n’était pas serein, car son instinct lui disait que quelque chose de malsain planait dans l’air. Ils sommèrent aux porteurs d’accélérer et sortir de la forêt. La sensation d’être observé demeura pourtant un bon moment et lorsqu’ils passèrent les marais Helen crut voir quelque chose courir, là entre les hautes herbes ; quelque chose de gros et de difforme. Elle jura que ça avait trois têtes ressemblant à celle d’un rat et un corps défiant la logique des lois naturelles. Elle préféra toutefois ne pas y faire allusion et continua à suivre le groupe, silencieuse. Ils durent lutter tant bien que mal contre l’agressivité végétale, mais réussir à sortir sans encombre. Ils atteignirent le brouillard que Marc redoutait, car cela le plongeait dans un inconnu qui le terrifiait, car il le savait vivant et dangereux. John ramassa une branche morte au sol et s’apprêta à l’embraser quand il fut stoppé net par sa femme qui redoutait que cela n’attire quelque force obscure, là dans la brume. Il se ravisa donc et faisant confiance à Hamilton pour les guider il jeta le bâton à terre. Ce dernier leur fit signe de s’arrêter, alerte à tout bruit étranger au leur. Puis quand il fut certain ou presque (car nul ne savait ce qui se cachait là-dedans) qu’aucun danger ne pointait à l’horizon, il ordonna aux porteurs de continuer et demanda à John et Helen de les suivre prudemment.
Marc était nerveux et tremblait par moment, si bien qu’il devait se retenir à John ou à Helen. Ils évitaient tous de regarder en direction de la montagne comme s’ils s’attendaient à y voir l’horreur profanatrice, rongeuse de toute conscience humaine et de toute raison, les plongeant dans une sorte de delirium sans fin et sans fond. Toutefois, l’un des porteurs risqua un coup d’œil en direction du pic, s’arrêta net et poussa un hurlement qui alerta le reste du groupe, pointant du doigt le sommet de la montagne. Malgré la mise en garde de Marc, ils risquèrent un regard. Helen hurla à son tour en voyant l’ombre gigantesque, la silhouette ailée. Nul doute que c’était un oiseau, mais sa taille ne manqua pas d’apeurer et de choquer. Là-haut, la brume se faisait moins opaque et les faibles rayons du soleil révélèrent une créature d’un rouge vif et vert, les couleurs étincelant sous la lueur de l’astre de feu. La créature répondit par un cri strident, ravivant de douloureux souvenirs chez monsieur Hamilton. Puis comme pour répondre à l’appel de la bête, une myriade de points luisants les fixaient maintenant et avec une telle intensité malsaine qu’ils en furent mal à l’aise. Ils étaient encore dans la brume et ne distinguaient la chose que très faiblement, mais John en avait une infime idée quant à ce que c’était, des yeux. Ces yeux plongèrent dans les leurs et ils se sentirent partir dans les tréfonds cosmiques de l’univers lui-même. Ils étaient comme hypnotisés, happés par cette puissance, une puissance diabolique qui leur montra des choses que nul homme n’aurait souhaité voir ; ils leur montrèrent la fin de toute chose. Quand ils revinrent à eux, Helen était en proie à des délires sur des événements qu’ils avaient déjà oubliés… mais pas elle, non… elle se souvenait de l’horreur et elle sentait plus que jamais l’approche de la mort. Ils voulaient continuer leur route vers la montagne, mais cela provoqua l’hystérie de Helen qui tenta de se débattre tant bien que mal des prises de Marc et son mari. Un effroi d’une intensité si violente pouvait se lire dans ses yeux alors qu’on la trainait de force. John ne comprenait pas un tel comportement de la part de sa femme et demanda à Marc de s’arrêter un instant. Il prit sa compagne par les épaules et plongea son regard dans le sien. Il tenta de lui murmurer des mots réconfortants, mais elle ne cessait de dire des choses insensées sur une quelconque fin du monde.
Au-delà de la montagne, la fin de toute chose
Les porteurs regardaient la pauvre dame, complètement tétanisés. L’un d’eux laissa tomber son portage et s’enfuit en courant. Un autre faillit le suivre, mais fut retenu par monsieur Hamilton qui lui somma d’aller en éclaireur au sommet. Le porteur hésita, une étrange sensation le parcourait comme s’il s’attendait au pire là-haut. Voyant les Sherpas trop apeurés pour continuer la route, ils décidèrent de retourner à la plage.
Soudain, Helen fut prise de convulsions intenses et s’écroula au sol. Elle avait les traits tirés en une horrible grimace et les yeux révulsés. Marc et John tentèrent de la ramener à un état raisonnable, mais rien n’y faisait. Puis elle commença à délirer à nouveau au sujet de la Fin.
« Mort… là-bas… au sommet… le grand Arkul… ça dévore tout… horrible… horrible !
— Qu’est-ce qu’elle raconte ? demanda John à Marc.
— Je l’ignore, répondit Marc qui semblait tout aussi perdu que lui. Je ne suis jamais allé au-delà, la peur m’avait fait faire demi-tour quand j’y suis allé la première fois.
— Chérie… chérie ! tenta-t-il pour la ramener à un état de conscience stable.
Rien n’y fit. La pauvre était en proie à une démence, un dédale dont elle ne trouvait pas la sortie. Elle continua à hurler des choses qu’un esprit sain aurait jugé blasphématoires. Enfin, elle finit par s’évanouir.
— Que fait-on ? demanda John.
— Je pense qu’elle devrait rentrer ; je vais prévenir le pilote.
— Et nous ?
— Nous nous devons de continuer, répondit Hamilton le regard grave. Il le faut.
— Vous pensez que ça va aller pour elle ?
— Je l’ignore, avoua Marc. Mais nous ne pouvons pas nous permettre d’abandonner, ne croyez-vous pas ? »
John réfléchit un instant, pesa le pour et le contre de la situation. Son cœur balançait entre rester avec sa femme et continuer ce voyage qu’il avait tant planifié. Il avait du mal à se décider et s’était perdu depuis un moment dans ses réflexions avant d’être ramené de ses pensées par Hamilton. Il décida de laisser son épouse aux mains d’experts et de continuer son voyage. Ils confièrent Helen aux deux porteurs trop effrayés pour continuer.
Devant lui, la montagne à la forme incongrue se dressait majestueusement. John ne savait pas pourquoi, mais il ne pouvait regarder en direction du sommet et tremblait à l’idée de lever les yeux. Aussi entama-t-il son ascension la tête baissée, suivi de Marc et le dernier porteur qui avait bien voulu rester avec eux.
Une demi-heure plus tard, ils avaient déjà fait la moitié du chemin et John commençait à sentir la fatigue arriver. Il proposa à Marc de s’arrêter un peu, mais ce dernier lui dit que la nuit allait bientôt tomber et qu’il valait mieux continuer tant qu’il faisait encore clair pour voir où ils allaient. Soudain, le porteur fut pris d’une panique assez violente et regardait, glacé de tétanie, en direction du ciel maintenant dégagé. John curieux de savoir de quoi il retournait risqua un coup d’œil. Marc leva aussi les yeux au ciel et une certaine crainte le foudroya le cœur qu’il retint de bondir hors de sa poitrine. Sa peur fut justifiée lorsqu’il aperçut la chose qui l’avait effrayé il y a de cela quelques années ; l’ombre titanesque, la bête ailée qui plongea encore une fois le monde dans les ténèbres, cachant le soleil de son énorme corps. John distinguait à peine la créature tant elle était haute dans le ciel, mais sut deviner ses formes. Il s’agissait d’un mélange grotesque de rapace et de dragon aux couleurs qu’il devina assez vives. La créature poussa son hurlement perçant et fondit droit sur le pic de la montagne. Elle se posa puis son regard scruta l’horizon brumeux. Elle passa devant l’épais buisson derrière lequel s’étaient cachés Marc, John et le porteur sans les voir. Toutefois la bête avait dû les percevoir, car elle poussa un autre hurlement avant de descendre plus bas pour mieux observer. Elle se stoppa à quelques mètres du buisson et huma l’air. Soudain un autre petit animal sortit de derrière les fourrées, un rat à trois têtes, créature hideuse, mais qui tombait à pic, car le titan ailé porta son attention sur celui-ci. Il regarda le petit monstre courir vers un autre bosquet plus bas en aval et repartit. John se risqua à jeter un coup d’œil ; il était parti. Ils reprirent alors leur ascension. Marc commençait à se sentir de plus en plus nerveux à mesure qu’ils approchaient du sommet. John également. Quant au porteur, n’en parlons pas ; il était complètement terrorisé. Au bout d’une heure environ ils atteignirent enfin le pinacle de la montagne. Lorsqu’ils regardèrent de l’autre côté, John fut pris d’un horrible malaise. Marc regarda ce qui avait bien pu créer une telle contrariété et quand il vit les monceaux de cadavres en décomposition d’animaux en tout genre, qu’aucune vie ne subsistait plus au-delà, il comprit. John repensa aux paroles de sa femme et c’était ça qui le rendait nerveux. Marc posa une main hésitante sur son épaule, lui aussi était fort incommodé par la situation et n’avait plus qu’une seule envie, repartir de ce lieu maudit qui transpirait la mort. Ils retournèrent à la plage et Marc contacta l’avion qui les rapatria en ville.
La femme de John les attendait à l’hôpital ; elle ne se souvenait plus de comment elle était arrivée là. Marc laissa John en tête à tête avec sa compagne et repartit chez lui. Ils se retrouvèrent quelques jours plus tard au pub. Ils prirent un whisky qu’ils sirotèrent doucement. Marc brisa la glace en lançant le sujet de leur séjour en Nouvelle-Zélande. Il évoqua ce qu’ils avaient vu là-bas, mais John ne se sentait pas d’humeur.
Toutefois, Marc ne put s’empêcher d’évoquer la créature dont l’existence même ne saurait être tolérée même sur une planète comme celle-ci. Son discours sur la bête attira un homme assis deux tabourets plus loin. L’homme en question se rapprocha d’eux et s’excusant de les déranger il les interrogea sur cette fameuse bête qu’ils avaient aperçue.
« Cette créature que vous avez vue… j’en ai déjà entendu parler, dit l’homme.
— Où ça ? demanda John curieux.
— De la bouche de quelques locaux qui se transmettent de génération en génération des histoires sur certaines créatures que seuls leurs ancêtres auraient vues. Ils l’appellent, si je me souviens bien, Arkul.
— Arkul ? demanda Marc. N’est-ce pas le nom que votre femme a évoqué là-bas, John ?
— Si, il me semble bien que ce soit ce nom-là, répondit John.
— L’Arkul, reprit l’homme, est une créature qui fascine autant qu’elle effraie de par sa nature. Il y avait un peuple qui vivait là-bas avec leurs troupeaux, mais quand cette bête de l’enfer est apparue, elle a tout détruit sur son passage, n’apportant que mort et désolation sur une terre qui semblait auparavant pleine de vie. Seuls quelques hommes auraient réussi à en réchapper et ce sont eux qui aujourd’hui transmettent les histoires, les légendes. Certains vous diront ceci : « Arkul nakmet drea » ; ce qui signifie l’Arkul apporte la fin. »
L’Arkul
L’homme continua à parler de l’Arkul et des choses qu’il avait apprises à son sujet. La créature ne serait pas originaire de Calium, mais serait venue des confins de l’univers par un trou de ver il y a de cela des années. Certains scientifiques et astronautes auraient démontré qu’elle venait de la treizième galaxie et qu’elle serait responsable de la disparition de plusieurs étoiles dans cette partie de l’espace. Un guerrier aurait, malgré la peur que suscitait la bête, réussi à la blesser, assez pour l’immobiliser pendant des décennies. Le dragon-rapace au plumage rouge vif et au torse vert émeraude était considéré aussi bien comme un dieu que comme une calamité. La fin, le dévoreur d’étoiles ; tant de noms lui ont été donnés par les anciens Néo-Zélandais. L’homme dit qu’ils craignaient que le titan ne se rétablisse et qu’il ne commence à apporter la mort sur son passage.
John et Marc écoutaient l’histoire, fascinés autant qu’effrayés. Ils posaient des questions telles que pourquoi leur planète ou encore depuis combien d’années ce monstre vivait et s’il s’éteindrait un jour.
L’homme leur répondit qu’elle avait dû trouver leur monde complètement par hasard lors d’un de ses nombreux voyages et qu’elle devait être vieille de plusieurs milliards d’années si on s’en référait à la fréquence à laquelle les planètes et les étoiles disparaissaient. Il leur dit même sans pour autant le confirmer que la créature était dépourvue de pénis était tout vraisemblablement une femelle ; cela il l’avait entendu de la bouche d’un autochtone. Il y avait aussi ces petits êtres qui l’auraient suivi, des gobe-gobes aux yeux multiples qui observaient depuis la haute montagne. Ces bêtes étaient dépourvues de toute conscience morale et ne pouvaient être effrayées par l’Arkul ni même la menace qu’il représentait pour notre monde. Aussi avaient-ils appris à vivre en symbiose. Les gobe-gobes étaient les yeux et oreilles du géant dragon-rapace et ce dernier les nourrissait du reste des cadavres qu’il laissait sur son chemin.
Marc repensa à ces milliers de lueurs bleutées et en conclut qu’il devait s’agir de ces petits démons. L’homme confirma cette pensée et ajouta qu’ils avaient eu de la chance, que la providence les avait épargnés. John ajouta que la providence avait l’apparence d’un rat à trois têtes. En effet, sans l’intervention de cette bête grotesque qui avait détourné l’attention de l’Arkul, ils ne seraient sûrement pas là à en discuter avec cet inconnu. L’homme leur conta ensuite un rêve qu’il avait fait, qu’il craignait que cela ne devienne leur triste réalité ; il leur parla de la fin de tout. John en était pétrifié rien qu’en imaginant la chose. De plus, quand l’homme leur affirma qu’il avait vu la créature mettre bas, ils en restèrent bouche bée, la peur les retenant de tout commentaire. Ils redoutaient en effet que ces cauchemars ne soient que la partie émergée d’un gigantesque iceberg, un monolithe de glace qui ne tarderait pas à refaire surface un jour ou l’autre, apportant mort et folie. L’homme n’en dit pas plus et décida de prendre congé après leur avoir offert un dernier verre. Il s’excusa du dérangement et s’en alla.
Le cauchemar d’Helen
Quelques semaines plus tard, Helen ne s’était toujours pas remise de sa terrible vision et même si maintenant elle n’en avait que des bribes, elle avait peur. Aussi n’osait-elle pas dormir de crainte que ces visions ne reviennent la hanter. Elle restait là, assise dans le fauteuil du salon et complètement perdue. John tenta plusieurs fois de la raisonner, sans grand succès. Un jour, il décida de se rendre à la pharmacie et lui rapporta quelques somnifères. Il en dilua dans une tisane qu’il lui présenta. Elle ne se douta de rien et but d’une traite le breuvage. Elle s’endormit au bout de quelques minutes. John resta à ses côtés pour être certain qu’elle dorme. Elle semblait agitée dans son sommeil, fort agitée. John ne savait pas quoi, mais quelque chose la maintenait dans une certaine tétanie. Il savait qu’elle rêvait et que son rêve devait en être horrible tant elle s’en retournait dans son lit. John lui prit la main et elle se calma un instant.
Soudain, elle se réveilla en sursaut, agrippant fermement le bras de son mari. Elle se mit à parler de l’Arkul et que la fin approchait. Elle le regarda d’un air grave et lui dit qu’ils n’auraient jamais dû faire ce voyage, qu’ils avaient réveillé une force qui les dépasse de loin et qu’ils allaient en payer le prix fort. Elle lui dit que quelque chose de terrible se profilait à l’horizon et qu’il fallait qu’ils partent. Partir ? Mais pour aller où ? Ils n’avaient aucun endroit où fuir cette calamité cosmique qui effrayait tant sa femme. Ne sachant pas quoi faire ni quoi dire, il lui proposa de se rendormir et qu’il resterait à ses côtés. Elle craignait cependant de fermer les yeux et de se retrouver plongée en plein cauchemar une nouvelle fois. Elle finit pourtant par s’endormir, trop fatiguée de lutter contre le sommeil.
Lorsque ses yeux se rouvrirent, ce fut pour découvrir une vaste prairie de fleurs en tout genre ; rouge, orange, bleu, il y en avait de toutes les couleurs. Elle pouvait presque sentir leur doux parfum enivrer ses sens et elle se laissa tomber au sol, portée par la mélodie du vent qui soufflait dans les feuillages. La chaleur du soleil lui caressait le visage quand soudain le ciel se couvrit d’immenses nuages. La douce chaleur laissa alors place à un froid glacialement mortel qui meurtrit sa peau qui commençait à s’écailler et partir en lambeaux. Puis elle entendit ce hurlement strident et vit le ciel se déchirer en deux. D’un trou béant du continuum espace-temps surgit la bête. Toutes les fleurs se mirent à faner et les arbres à perdre leurs beaux feuillages. L’air si doux et parfumé devint nauséabond, agressivement pestilentiel. Tout devint morne et terne autour d’Helen, la végétation, l’air même se mouraient. La créature atterrit net devant elle et quand elle plongea son regard dans le sien, elle vit toute l’horreur sidérale, une partie de l’espace qu’elle aurait souhaité ne jamais connaître. Elle vit les entités célestes de Shin-Raggoth, Yûgordt, Astrotephis et Narkil. Ces quatre déités se disputaient les quatre coins de l’univers et dans un souci de le réduire, car trop expansible, ils avaient donné naissance au dévoreur Arkul. Elle vit également les textes prophétiques, les images subliminales révélant des horreurs que l’esprit fragile de la pauvre Helen ne sut contenir sans tomber dans une certaine démence. Elle en hurla à se déchirer la voix.
« Il… trop tard… tout détruire… Shin-Raggoth, Yûgordt, Astrotephis, Narkil… tous ils attendent !
— Ils attendent quoi ? demanda John fort inquiet et perdu quant à ce qu’il fallait faire. »
Mais elle ne répondit pas et épuisée de toute cette agitation, elle succomba.
Quand elle se réveilla le lendemain, elle ne se souvenait plus de rien et constatant que son lit était mouillé elle demanda à son mari comment cela se faisait. John ne sut quoi lui répondre et prétendit ne pas savoir. Elle le sonda un instant, perplexe puis lui demanda avec un sourire auquel il ne pouvait résister s’il ne pouvait pas lui monter quelque chose à manger, car elle avait fort faim. Il alla donc lui chercher son café et ses croissants qu’elle engloutit voracement. John la sentait nerveuse, anxieuse et quand il lui demanda, elle répondit qu’elle n’en savait rien, mais que c’était comme si quelque chose avait chamboulé son esprit, quelque chose de lointain et de malsain, une chose dont elle désirait ne pas se rappeler. John la regarda toujours inquiet puis il lui sourit et posa un baiser sur son front. Elle s’en sentit légèrement rassurée.
Terre désolée, ville tombée
Quelques jours plus tard, des nouvelles assez inquiétantes au sujet d’une ville nommée Deadhill se firent entendre à la radio et aux informations. Il s’agissait d’une ville située à un bon cinq cents kilomètres de là où ils vivaient. Selon les journalistes la ville qui se situait en abord d’une très haute colline aurait été poussée dans le vide avec tout ce qui l’entourait par une force titanesque durant la nuit. Lorsqu’on demanda à deux des survivants qui avaient heureusement réchappé à la catastrophe, ils ne surent quoi répondre, car tout s’était passé si vite qu’ils n’avaient pas eu le temps de voir. Certains émirent l’hypothèse d’un tremblement de terre qui aurait propulsé une partie de la colline déjà fragilisée dans le vide. D’autres réfutèrent cette théorie, car aucune secousse n’avait été ressentie dans les villes alentour et s’il y avait eu un séisme assez puissant pour causer un tel cataclysme, cela aurait eu un impact plus important. Il y eut aussi cette étrange rumeur comme quoi l’espace même se serait déchiré en deux au-dessus de la ville au moment précis où celle-ci sombra dans les flots. Et des hurlements stridents à vous arracher les tympans se firent entendre là-haut dans le vide intersidéral.
Au petit matin, il ne restait plus qu’une terre en désolation. Tout aux alentours avait pourri et les arbres avaient brûlé on ne sut comment. Les créatures des bois avaient bien évidemment fui depuis longtemps et aucune n’avait succombé aux flammes. Les quelques rescapés étaient encore sous le choc et les on-dit sur quelque légende aussi vieille que la venue de l’Homme sur la planète allèrent bon train. Certains évoquèrent même le pays que l’on n’ose nommer tant il effraie par son étrangeté déconcertante qui défiait la logique, avec cette brume qui ne disparaissait jamais, ces arbres qui semblaient pousser dans des directions inconvenantes et ses plantes dont les racines sortaient de leur cime. Sans parler de celles qui paraissaient se mouvoir dans l’eau sombre et glaciale. On évoqua la montagne dont la forme allait au-delà de toute description scientifiquement raisonnable.
John reconnut la Nouvelle-Zélande où il y a de cela un mois il s’était rendu avec sa femme et le vieux Hamilton. Il pensait savoir ce qu’il s’était passé, mais sa raison l’empêchait d’y croire tant tout cela lui paraissait complètement dingue. Helen, quant à elle, fut prise d’une terrible crise et les yeux grands écarquillés, elle fixait l’écran de la télévision. Elle se rappela son rêve et de sa bouche sortir les mots blasphématoires de quelques divinités aux mœurs quasi sataniques. Elle revit la déchirure dans le ciel, l’Arkul. Et elle sut ce que cela signifiait… la fin.
John tenta de calmer son angoisse avec une petite plaisanterie à laquelle elle ne put rigoler.
« Avec un nom comme Deadhill, elle ne pouvait que mal finir, tu ne crois pas ? »
Helen ne répondit pas et se contenta d’un léger sourire. Elle tenta tant bien que mal de cacher son angoisse, mais John n’était pas dupe et il savait que quelque chose la travaillait. Elle se leva et alla dans la salle de bain qu’elle verrouilla pour prendre une douche.
Un drame sanglant
John ne voyant pas sa femme sortir de la salle de bain où elle s’était enfermée depuis maintenant plus d’une heure commença à s’inquiéter. Il alla à la porte et toqua plusieurs fois, appelant le nom d’Helen. Ne l’entendant pas répondre, il tambourina plus fort et plus nerveusement. Il devint vraiment anxieux et affolé à l’idée que quelque chose de grave ait pu se produire, là derrière cette porte. Il continua à hurler de toutes ses forces tout en forçant la poignée. La peur était maintenant à son paroxysme ; plus de doute possible, quelque chose était arrivé, quelque chose de terrible. Il força de plus en plus fort jusqu’à ce que la porte cède. Lorsqu’il put enfin entrer dans la salle de bain, ses yeux s’écarquillèrent face à l’horreur qui s’offrit à lui. Il aurait voulu hurler à la mort, mais il était beaucoup trop choqué par ce qu’il voyait pour pouvoir émettre le moindre son.
Là, dans la baignoire, gisait son épouse Helen. Elle avait les veines ouvertes et s’était tranché la gorge avec une lame venant d’un des rasoirs de son mari. Elle baignait maintenant dans son propre sang. Avant de se donner la mort, elle avait eu le temps d’écrire sur le mur… Arkul nakmet drea. John en était tout retourné et il ressentit comme un coup violent à l’estomac et se mit à rendre ses tripes. Il alla, paniqué, jusqu’au téléphone et appela la police et les secours. Sa voix tremblait d’un mélange de rage et de frayeur. Il savait au fond de lui… sa femme était morte. Cependant dans un accès de panique, sa raison lui avait dit d’appeler les urgences.
Les autorités ne tardèrent pas à arriver et John les conduisit, toujours sous le choc, vers la scène du drame. Ils prirent des photos, tentèrent de relever des empreintes et posèrent les questions habituelles. John leur répondit du mieux qu’il put en essayant de garder son calme vue la situation. Il ne pouvait cependant pas s’empêcher de trembler et de bégayer nerveusement. Dès qu’ils eurent fini avec la scène, ils demandèrent au pauvre John de les accompagner au poste pour déposition.
Là-bas, il leur raconta l’histoire d’Arkul et ce qu’il en croyait. Il leur parla de la Nouvelle-Zélande et de ce qu’il avait entendu de la bouche des gens et de sa femme. Il leur parla de légendes et de mythes sans queue ni tête et ils avaient du mal à le prendre au sérieux et se demandaient s’il ne fallait pas l’interner. On rédigea tout de même sa plainte sans oublier aucun détail et on le relâcha, lui indiquant qu’il serait convoqué au tribunal où il sera jugé pour cette triste et sanglante affaire.
Quelques jours plus tard, John reçut la visite de la police. Il ne résista pas et les suivit. Au tribunal, John devant une foule incrédule dut raconter toute cette folle aventure ; il parla de la montagne, des plantes qui semblaient vivantes ou poussaient à l’envers, de la brume qui ne disparaissait jamais, mais surtout il leur parla de la bête. Cette bête dont parlaient ces stupides légendes et que seuls les plus ingénus pouvaient croire. Malheureusement, il était face à une caste bien supérieure d’érudits et ils avaient du mal à avaler toute cette folie. Pour eux, soit sa femme était sujette à une quelconque maladie mentale soit, pire, il était responsable. Le temps lui sembla tellement long qu’il crut y être depuis des jours. Et il devait faire face aux regards foudroyants du juré. Aucun ne crut son histoire et cela malgré les témoignages qu’ils jugèrent comme étant tout sauf logiques ou scientifiques.
Heureusement pour lui, on n’avait aucune preuve pouvant le condamner et il savait qu’on n’en trouverait pas. Pourtant il se sentait mal. Puis les choses s’empirèrent lorsque l’affaire sortit du tribunal et arriva aux oreilles de ses concitoyens. Il fut traité de fou, de monstre et on lui tourna le dos. Il aurait pu aller voir le seul qui aurait été de son côté, Marc, mais ce dernier était mort il y avait deux jours de cela, dans son sommeil.
Voilà donc pourquoi il s’était retrouvé en haut de cet immeuble, les yeux perdus dans le vide, attendant le moment propice pour sauter. Il attendit un long moment et en proie au doute puis se décida pour le grand plongeon. Dans sa chute il ne vit pas sa vie défiler, mais des images d’une horreur cosmique innommable, des images de terreur apocalyptique et il sourit content d’échapper aux catastrophes à venir…la fin du monde.
La Nouvelle-Zélande
Le pays de Nouvelle-Zélande était sombre, l’épaisse forêt et la brume ne laissant pas passer la lumière du soleil sur cette terre désolée. Il y avait la plage de galets verts au sud, le petit chemin de roche calcaire et le petit pont en pierre qui séparait la côte de la dense forêt dont les teintes habituellement vives étaient devenues ternes et mélancoliques. Il y avait plus haut nord, les marais où la végétation se faisait plus sauvage, plus agressive. Au-delà, tout était recouvert d’un épais brouillard jusqu’à la région montagneuse. Le pilote de l’avion les déposa sur la plage et repartit en leur indiquant qu’il reviendrait les chercher plus tard. Le vent en provenance du large rapportait l’essence marine aux narines de nos protagonistes. Ils attendirent, regardèrent l’avion disparaître derrière l’horizon puis empruntèrent la route menant aux bois. Les porteurs emboîtèrent le pas à John, Helen et Marc ; marchant vite en dépit de leurs bagages. Helen s’arrêta au moins toutes les cinq minutes lorsqu’elle entendait un son suspect et même son mari eut du mal à la rassurer. Il faut dire que lui aussi n’était pas serein, car son instinct lui disait que quelque chose de malsain planait dans l’air. Ils sommèrent aux porteurs d’accélérer et sortir de la forêt. La sensation d’être observé demeura pourtant un bon moment et lorsqu’ils passèrent les marais Helen crut voir quelque chose courir, là entre les hautes herbes ; quelque chose de gros et de difforme. Elle jura que ça avait trois têtes ressemblant à celle d’un rat et un corps défiant la logique des lois naturelles. Elle préféra toutefois ne pas y faire allusion et continua à suivre le groupe, silencieuse. Ils durent lutter tant bien que mal contre l’agressivité végétale, mais réussir à sortir sans encombre. Ils atteignirent le brouillard que Marc redoutait, car cela le plongeait dans un inconnu qui le terrifiait, car il le savait vivant et dangereux. John ramassa une branche morte au sol et s’apprêta à l’embraser quand il fut stoppé net par sa femme qui redoutait que cela n’attire quelque force obscure, là dans la brume. Il se ravisa donc et faisant confiance à Hamilton pour les guider il jeta le bâton à terre. Ce dernier leur fit signe de s’arrêter, alerte à tout bruit étranger au leur. Puis quand il fut certain ou presque (car nul ne savait ce qui se cachait là-dedans) qu’aucun danger ne pointait à l’horizon, il ordonna aux porteurs de continuer et demanda à John et Helen de les suivre prudemment.
Marc était nerveux et tremblait par moment, si bien qu’il devait se retenir à John ou à Helen. Ils évitaient tous de regarder en direction de la montagne comme s’ils s’attendaient à y voir l’horreur profanatrice, rongeuse de toute conscience humaine et de toute raison, les plongeant dans une sorte de delirium sans fin et sans fond. Toutefois, l’un des porteurs risqua un coup d’œil en direction du pic, s’arrêta net et poussa un hurlement qui alerta le reste du groupe, pointant du doigt le sommet de la montagne. Malgré la mise en garde de Marc, ils risquèrent un regard. Helen hurla à son tour en voyant l’ombre gigantesque, la silhouette ailée. Nul doute que c’était un oiseau, mais sa taille ne manqua pas d’apeurer et de choquer. Là-haut, la brume se faisait moins opaque et les faibles rayons du soleil révélèrent une créature d’un rouge vif et vert, les couleurs étincelant sous la lueur de l’astre de feu. La créature répondit par un cri strident, ravivant de douloureux souvenirs chez monsieur Hamilton. Puis comme pour répondre à l’appel de la bête, une myriade de points luisants les fixaient maintenant et avec une telle intensité malsaine qu’ils en furent mal à l’aise. Ils étaient encore dans la brume et ne distinguaient la chose que très faiblement, mais John en avait une infime idée quant à ce que c’était, des yeux. Ces yeux plongèrent dans les leurs et ils se sentirent partir dans les tréfonds cosmiques de l’univers lui-même. Ils étaient comme hypnotisés, happés par cette puissance, une puissance diabolique qui leur montra des choses que nul homme n’aurait souhaité voir ; ils leur montrèrent la fin de toute chose. Quand ils revinrent à eux, Helen était en proie à des délires sur des événements qu’ils avaient déjà oubliés… mais pas elle, non… elle se souvenait de l’horreur et elle sentait plus que jamais l’approche de la mort. Ils voulaient continuer leur route vers la montagne, mais cela provoqua l’hystérie de Helen qui tenta de se débattre tant bien que mal des prises de Marc et son mari. Un effroi d’une intensité si violente pouvait se lire dans ses yeux alors qu’on la trainait de force. John ne comprenait pas un tel comportement de la part de sa femme et demanda à Marc de s’arrêter un instant. Il prit sa compagne par les épaules et plongea son regard dans le sien. Il tenta de lui murmurer des mots réconfortants, mais elle ne cessait de dire des choses insensées sur une quelconque fin du monde.
Au-delà de la montagne, la fin de toute chose
Les porteurs regardaient la pauvre dame, complètement tétanisés. L’un d’eux laissa tomber son portage et s’enfuit en courant. Un autre faillit le suivre, mais fut retenu par monsieur Hamilton qui lui somma d’aller en éclaireur au sommet. Le porteur hésita, une étrange sensation le parcourait comme s’il s’attendait au pire là-haut. Voyant les Sherpas trop apeurés pour continuer la route, ils décidèrent de retourner à la plage.
Soudain, Helen fut prise de convulsions intenses et s’écroula au sol. Elle avait les traits tirés en une horrible grimace et les yeux révulsés. Marc et John tentèrent de la ramener à un état raisonnable, mais rien n’y faisait. Puis elle commença à délirer à nouveau au sujet de la Fin.
« Mort… là-bas… au sommet… le grand Arkul… ça dévore tout… horrible… horrible !
— Qu’est-ce qu’elle raconte ? demanda John à Marc.
— Je l’ignore, répondit Marc qui semblait tout aussi perdu que lui. Je ne suis jamais allé au-delà, la peur m’avait fait faire demi-tour quand j’y suis allé la première fois.
— Chérie… chérie ! tenta-t-il pour la ramener à un état de conscience stable.
Rien n’y fit. La pauvre était en proie à une démence, un dédale dont elle ne trouvait pas la sortie. Elle continua à hurler des choses qu’un esprit sain aurait jugé blasphématoires. Enfin, elle finit par s’évanouir.
— Que fait-on ? demanda John.
— Je pense qu’elle devrait rentrer ; je vais prévenir le pilote.
— Et nous ?
— Nous nous devons de continuer, répondit Hamilton le regard grave. Il le faut.
— Vous pensez que ça va aller pour elle ?
— Je l’ignore, avoua Marc. Mais nous ne pouvons pas nous permettre d’abandonner, ne croyez-vous pas ? »
John réfléchit un instant, pesa le pour et le contre de la situation. Son cœur balançait entre rester avec sa femme et continuer ce voyage qu’il avait tant planifié. Il avait du mal à se décider et s’était perdu depuis un moment dans ses réflexions avant d’être ramené de ses pensées par Hamilton. Il décida de laisser son épouse aux mains d’experts et de continuer son voyage. Ils confièrent Helen aux deux porteurs trop effrayés pour continuer.
Devant lui, la montagne à la forme incongrue se dressait majestueusement. John ne savait pas pourquoi, mais il ne pouvait regarder en direction du sommet et tremblait à l’idée de lever les yeux. Aussi entama-t-il son ascension la tête baissée, suivi de Marc et le dernier porteur qui avait bien voulu rester avec eux.
Une demi-heure plus tard, ils avaient déjà fait la moitié du chemin et John commençait à sentir la fatigue arriver. Il proposa à Marc de s’arrêter un peu, mais ce dernier lui dit que la nuit allait bientôt tomber et qu’il valait mieux continuer tant qu’il faisait encore clair pour voir où ils allaient. Soudain, le porteur fut pris d’une panique assez violente et regardait, glacé de tétanie, en direction du ciel maintenant dégagé. John curieux de savoir de quoi il retournait risqua un coup d’œil. Marc leva aussi les yeux au ciel et une certaine crainte le foudroya le cœur qu’il retint de bondir hors de sa poitrine. Sa peur fut justifiée lorsqu’il aperçut la chose qui l’avait effrayé il y a de cela quelques années ; l’ombre titanesque, la bête ailée qui plongea encore une fois le monde dans les ténèbres, cachant le soleil de son énorme corps. John distinguait à peine la créature tant elle était haute dans le ciel, mais sut deviner ses formes. Il s’agissait d’un mélange grotesque de rapace et de dragon aux couleurs qu’il devina assez vives. La créature poussa son hurlement perçant et fondit droit sur le pic de la montagne. Elle se posa puis son regard scruta l’horizon brumeux. Elle passa devant l’épais buisson derrière lequel s’étaient cachés Marc, John et le porteur sans les voir. Toutefois la bête avait dû les percevoir, car elle poussa un autre hurlement avant de descendre plus bas pour mieux observer. Elle se stoppa à quelques mètres du buisson et huma l’air. Soudain un autre petit animal sortit de derrière les fourrées, un rat à trois têtes, créature hideuse, mais qui tombait à pic, car le titan ailé porta son attention sur celui-ci. Il regarda le petit monstre courir vers un autre bosquet plus bas en aval et repartit. John se risqua à jeter un coup d’œil ; il était parti. Ils reprirent alors leur ascension. Marc commençait à se sentir de plus en plus nerveux à mesure qu’ils approchaient du sommet. John également. Quant au porteur, n’en parlons pas ; il était complètement terrorisé. Au bout d’une heure environ ils atteignirent enfin le pinacle de la montagne. Lorsqu’ils regardèrent de l’autre côté, John fut pris d’un horrible malaise. Marc regarda ce qui avait bien pu créer une telle contrariété et quand il vit les monceaux de cadavres en décomposition d’animaux en tout genre, qu’aucune vie ne subsistait plus au-delà, il comprit. John repensa aux paroles de sa femme et c’était ça qui le rendait nerveux. Marc posa une main hésitante sur son épaule, lui aussi était fort incommodé par la situation et n’avait plus qu’une seule envie, repartir de ce lieu maudit qui transpirait la mort. Ils retournèrent à la plage et Marc contacta l’avion qui les rapatria en ville.
La femme de John les attendait à l’hôpital ; elle ne se souvenait plus de comment elle était arrivée là. Marc laissa John en tête à tête avec sa compagne et repartit chez lui. Ils se retrouvèrent quelques jours plus tard au pub. Ils prirent un whisky qu’ils sirotèrent doucement. Marc brisa la glace en lançant le sujet de leur séjour en Nouvelle-Zélande. Il évoqua ce qu’ils avaient vu là-bas, mais John ne se sentait pas d’humeur.
Toutefois, Marc ne put s’empêcher d’évoquer la créature dont l’existence même ne saurait être tolérée même sur une planète comme celle-ci. Son discours sur la bête attira un homme assis deux tabourets plus loin. L’homme en question se rapprocha d’eux et s’excusant de les déranger il les interrogea sur cette fameuse bête qu’ils avaient aperçue.
« Cette créature que vous avez vue… j’en ai déjà entendu parler, dit l’homme.
— Où ça ? demanda John curieux.
— De la bouche de quelques locaux qui se transmettent de génération en génération des histoires sur certaines créatures que seuls leurs ancêtres auraient vues. Ils l’appellent, si je me souviens bien, Arkul.
— Arkul ? demanda Marc. N’est-ce pas le nom que votre femme a évoqué là-bas, John ?
— Si, il me semble bien que ce soit ce nom-là, répondit John.
— L’Arkul, reprit l’homme, est une créature qui fascine autant qu’elle effraie de par sa nature. Il y avait un peuple qui vivait là-bas avec leurs troupeaux, mais quand cette bête de l’enfer est apparue, elle a tout détruit sur son passage, n’apportant que mort et désolation sur une terre qui semblait auparavant pleine de vie. Seuls quelques hommes auraient réussi à en réchapper et ce sont eux qui aujourd’hui transmettent les histoires, les légendes. Certains vous diront ceci : « Arkul nakmet drea » ; ce qui signifie l’Arkul apporte la fin. »
L’Arkul
L’homme continua à parler de l’Arkul et des choses qu’il avait apprises à son sujet. La créature ne serait pas originaire de Calium, mais serait venue des confins de l’univers par un trou de ver il y a de cela des années. Certains scientifiques et astronautes auraient démontré qu’elle venait de la treizième galaxie et qu’elle serait responsable de la disparition de plusieurs étoiles dans cette partie de l’espace. Un guerrier aurait, malgré la peur que suscitait la bête, réussi à la blesser, assez pour l’immobiliser pendant des décennies. Le dragon-rapace au plumage rouge vif et au torse vert émeraude était considéré aussi bien comme un dieu que comme une calamité. La fin, le dévoreur d’étoiles ; tant de noms lui ont été donnés par les anciens Néo-Zélandais. L’homme dit qu’ils craignaient que le titan ne se rétablisse et qu’il ne commence à apporter la mort sur son passage.
John et Marc écoutaient l’histoire, fascinés autant qu’effrayés. Ils posaient des questions telles que pourquoi leur planète ou encore depuis combien d’années ce monstre vivait et s’il s’éteindrait un jour.
L’homme leur répondit qu’elle avait dû trouver leur monde complètement par hasard lors d’un de ses nombreux voyages et qu’elle devait être vieille de plusieurs milliards d’années si on s’en référait à la fréquence à laquelle les planètes et les étoiles disparaissaient. Il leur dit même sans pour autant le confirmer que la créature était dépourvue de pénis était tout vraisemblablement une femelle ; cela il l’avait entendu de la bouche d’un autochtone. Il y avait aussi ces petits êtres qui l’auraient suivi, des gobe-gobes aux yeux multiples qui observaient depuis la haute montagne. Ces bêtes étaient dépourvues de toute conscience morale et ne pouvaient être effrayées par l’Arkul ni même la menace qu’il représentait pour notre monde. Aussi avaient-ils appris à vivre en symbiose. Les gobe-gobes étaient les yeux et oreilles du géant dragon-rapace et ce dernier les nourrissait du reste des cadavres qu’il laissait sur son chemin.
Marc repensa à ces milliers de lueurs bleutées et en conclut qu’il devait s’agir de ces petits démons. L’homme confirma cette pensée et ajouta qu’ils avaient eu de la chance, que la providence les avait épargnés. John ajouta que la providence avait l’apparence d’un rat à trois têtes. En effet, sans l’intervention de cette bête grotesque qui avait détourné l’attention de l’Arkul, ils ne seraient sûrement pas là à en discuter avec cet inconnu. L’homme leur conta ensuite un rêve qu’il avait fait, qu’il craignait que cela ne devienne leur triste réalité ; il leur parla de la fin de tout. John en était pétrifié rien qu’en imaginant la chose. De plus, quand l’homme leur affirma qu’il avait vu la créature mettre bas, ils en restèrent bouche bée, la peur les retenant de tout commentaire. Ils redoutaient en effet que ces cauchemars ne soient que la partie émergée d’un gigantesque iceberg, un monolithe de glace qui ne tarderait pas à refaire surface un jour ou l’autre, apportant mort et folie. L’homme n’en dit pas plus et décida de prendre congé après leur avoir offert un dernier verre. Il s’excusa du dérangement et s’en alla.
Le cauchemar d’Helen
Quelques semaines plus tard, Helen ne s’était toujours pas remise de sa terrible vision et même si maintenant elle n’en avait que des bribes, elle avait peur. Aussi n’osait-elle pas dormir de crainte que ces visions ne reviennent la hanter. Elle restait là, assise dans le fauteuil du salon et complètement perdue. John tenta plusieurs fois de la raisonner, sans grand succès. Un jour, il décida de se rendre à la pharmacie et lui rapporta quelques somnifères. Il en dilua dans une tisane qu’il lui présenta. Elle ne se douta de rien et but d’une traite le breuvage. Elle s’endormit au bout de quelques minutes. John resta à ses côtés pour être certain qu’elle dorme. Elle semblait agitée dans son sommeil, fort agitée. John ne savait pas quoi, mais quelque chose la maintenait dans une certaine tétanie. Il savait qu’elle rêvait et que son rêve devait en être horrible tant elle s’en retournait dans son lit. John lui prit la main et elle se calma un instant.
Soudain, elle se réveilla en sursaut, agrippant fermement le bras de son mari. Elle se mit à parler de l’Arkul et que la fin approchait. Elle le regarda d’un air grave et lui dit qu’ils n’auraient jamais dû faire ce voyage, qu’ils avaient réveillé une force qui les dépasse de loin et qu’ils allaient en payer le prix fort. Elle lui dit que quelque chose de terrible se profilait à l’horizon et qu’il fallait qu’ils partent. Partir ? Mais pour aller où ? Ils n’avaient aucun endroit où fuir cette calamité cosmique qui effrayait tant sa femme. Ne sachant pas quoi faire ni quoi dire, il lui proposa de se rendormir et qu’il resterait à ses côtés. Elle craignait cependant de fermer les yeux et de se retrouver plongée en plein cauchemar une nouvelle fois. Elle finit pourtant par s’endormir, trop fatiguée de lutter contre le sommeil.
Lorsque ses yeux se rouvrirent, ce fut pour découvrir une vaste prairie de fleurs en tout genre ; rouge, orange, bleu, il y en avait de toutes les couleurs. Elle pouvait presque sentir leur doux parfum enivrer ses sens et elle se laissa tomber au sol, portée par la mélodie du vent qui soufflait dans les feuillages. La chaleur du soleil lui caressait le visage quand soudain le ciel se couvrit d’immenses nuages. La douce chaleur laissa alors place à un froid glacialement mortel qui meurtrit sa peau qui commençait à s’écailler et partir en lambeaux. Puis elle entendit ce hurlement strident et vit le ciel se déchirer en deux. D’un trou béant du continuum espace-temps surgit la bête. Toutes les fleurs se mirent à faner et les arbres à perdre leurs beaux feuillages. L’air si doux et parfumé devint nauséabond, agressivement pestilentiel. Tout devint morne et terne autour d’Helen, la végétation, l’air même se mouraient. La créature atterrit net devant elle et quand elle plongea son regard dans le sien, elle vit toute l’horreur sidérale, une partie de l’espace qu’elle aurait souhaité ne jamais connaître. Elle vit les entités célestes de Shin-Raggoth, Yûgordt, Astrotephis et Narkil. Ces quatre déités se disputaient les quatre coins de l’univers et dans un souci de le réduire, car trop expansible, ils avaient donné naissance au dévoreur Arkul. Elle vit également les textes prophétiques, les images subliminales révélant des horreurs que l’esprit fragile de la pauvre Helen ne sut contenir sans tomber dans une certaine démence. Elle en hurla à se déchirer la voix.
« Il… trop tard… tout détruire… Shin-Raggoth, Yûgordt, Astrotephis, Narkil… tous ils attendent !
— Ils attendent quoi ? demanda John fort inquiet et perdu quant à ce qu’il fallait faire. »
Mais elle ne répondit pas et épuisée de toute cette agitation, elle succomba.
Quand elle se réveilla le lendemain, elle ne se souvenait plus de rien et constatant que son lit était mouillé elle demanda à son mari comment cela se faisait. John ne sut quoi lui répondre et prétendit ne pas savoir. Elle le sonda un instant, perplexe puis lui demanda avec un sourire auquel il ne pouvait résister s’il ne pouvait pas lui monter quelque chose à manger, car elle avait fort faim. Il alla donc lui chercher son café et ses croissants qu’elle engloutit voracement. John la sentait nerveuse, anxieuse et quand il lui demanda, elle répondit qu’elle n’en savait rien, mais que c’était comme si quelque chose avait chamboulé son esprit, quelque chose de lointain et de malsain, une chose dont elle désirait ne pas se rappeler. John la regarda toujours inquiet puis il lui sourit et posa un baiser sur son front. Elle s’en sentit légèrement rassurée.
Terre désolée, ville tombée
Quelques jours plus tard, des nouvelles assez inquiétantes au sujet d’une ville nommée Deadhill se firent entendre à la radio et aux informations. Il s’agissait d’une ville située à un bon cinq cents kilomètres de là où ils vivaient. Selon les journalistes la ville qui se situait en abord d’une très haute colline aurait été poussée dans le vide avec tout ce qui l’entourait par une force titanesque durant la nuit. Lorsqu’on demanda à deux des survivants qui avaient heureusement réchappé à la catastrophe, ils ne surent quoi répondre, car tout s’était passé si vite qu’ils n’avaient pas eu le temps de voir. Certains émirent l’hypothèse d’un tremblement de terre qui aurait propulsé une partie de la colline déjà fragilisée dans le vide. D’autres réfutèrent cette théorie, car aucune secousse n’avait été ressentie dans les villes alentour et s’il y avait eu un séisme assez puissant pour causer un tel cataclysme, cela aurait eu un impact plus important. Il y eut aussi cette étrange rumeur comme quoi l’espace même se serait déchiré en deux au-dessus de la ville au moment précis où celle-ci sombra dans les flots. Et des hurlements stridents à vous arracher les tympans se firent entendre là-haut dans le vide intersidéral.
Au petit matin, il ne restait plus qu’une terre en désolation. Tout aux alentours avait pourri et les arbres avaient brûlé on ne sut comment. Les créatures des bois avaient bien évidemment fui depuis longtemps et aucune n’avait succombé aux flammes. Les quelques rescapés étaient encore sous le choc et les on-dit sur quelque légende aussi vieille que la venue de l’Homme sur la planète allèrent bon train. Certains évoquèrent même le pays que l’on n’ose nommer tant il effraie par son étrangeté déconcertante qui défiait la logique, avec cette brume qui ne disparaissait jamais, ces arbres qui semblaient pousser dans des directions inconvenantes et ses plantes dont les racines sortaient de leur cime. Sans parler de celles qui paraissaient se mouvoir dans l’eau sombre et glaciale. On évoqua la montagne dont la forme allait au-delà de toute description scientifiquement raisonnable.
John reconnut la Nouvelle-Zélande où il y a de cela un mois il s’était rendu avec sa femme et le vieux Hamilton. Il pensait savoir ce qu’il s’était passé, mais sa raison l’empêchait d’y croire tant tout cela lui paraissait complètement dingue. Helen, quant à elle, fut prise d’une terrible crise et les yeux grands écarquillés, elle fixait l’écran de la télévision. Elle se rappela son rêve et de sa bouche sortir les mots blasphématoires de quelques divinités aux mœurs quasi sataniques. Elle revit la déchirure dans le ciel, l’Arkul. Et elle sut ce que cela signifiait… la fin.
John tenta de calmer son angoisse avec une petite plaisanterie à laquelle elle ne put rigoler.
« Avec un nom comme Deadhill, elle ne pouvait que mal finir, tu ne crois pas ? »
Helen ne répondit pas et se contenta d’un léger sourire. Elle tenta tant bien que mal de cacher son angoisse, mais John n’était pas dupe et il savait que quelque chose la travaillait. Elle se leva et alla dans la salle de bain qu’elle verrouilla pour prendre une douche.
Un drame sanglant
John ne voyant pas sa femme sortir de la salle de bain où elle s’était enfermée depuis maintenant plus d’une heure commença à s’inquiéter. Il alla à la porte et toqua plusieurs fois, appelant le nom d’Helen. Ne l’entendant pas répondre, il tambourina plus fort et plus nerveusement. Il devint vraiment anxieux et affolé à l’idée que quelque chose de grave ait pu se produire, là derrière cette porte. Il continua à hurler de toutes ses forces tout en forçant la poignée. La peur était maintenant à son paroxysme ; plus de doute possible, quelque chose était arrivé, quelque chose de terrible. Il força de plus en plus fort jusqu’à ce que la porte cède. Lorsqu’il put enfin entrer dans la salle de bain, ses yeux s’écarquillèrent face à l’horreur qui s’offrit à lui. Il aurait voulu hurler à la mort, mais il était beaucoup trop choqué par ce qu’il voyait pour pouvoir émettre le moindre son.
Là, dans la baignoire, gisait son épouse Helen. Elle avait les veines ouvertes et s’était tranché la gorge avec une lame venant d’un des rasoirs de son mari. Elle baignait maintenant dans son propre sang. Avant de se donner la mort, elle avait eu le temps d’écrire sur le mur… Arkul nakmet drea. John en était tout retourné et il ressentit comme un coup violent à l’estomac et se mit à rendre ses tripes. Il alla, paniqué, jusqu’au téléphone et appela la police et les secours. Sa voix tremblait d’un mélange de rage et de frayeur. Il savait au fond de lui… sa femme était morte. Cependant dans un accès de panique, sa raison lui avait dit d’appeler les urgences.
Les autorités ne tardèrent pas à arriver et John les conduisit, toujours sous le choc, vers la scène du drame. Ils prirent des photos, tentèrent de relever des empreintes et posèrent les questions habituelles. John leur répondit du mieux qu’il put en essayant de garder son calme vue la situation. Il ne pouvait cependant pas s’empêcher de trembler et de bégayer nerveusement. Dès qu’ils eurent fini avec la scène, ils demandèrent au pauvre John de les accompagner au poste pour déposition.
Là-bas, il leur raconta l’histoire d’Arkul et ce qu’il en croyait. Il leur parla de la Nouvelle-Zélande et de ce qu’il avait entendu de la bouche des gens et de sa femme. Il leur parla de légendes et de mythes sans queue ni tête et ils avaient du mal à le prendre au sérieux et se demandaient s’il ne fallait pas l’interner. On rédigea tout de même sa plainte sans oublier aucun détail et on le relâcha, lui indiquant qu’il serait convoqué au tribunal où il sera jugé pour cette triste et sanglante affaire.
Quelques jours plus tard, John reçut la visite de la police. Il ne résista pas et les suivit. Au tribunal, John devant une foule incrédule dut raconter toute cette folle aventure ; il parla de la montagne, des plantes qui semblaient vivantes ou poussaient à l’envers, de la brume qui ne disparaissait jamais, mais surtout il leur parla de la bête. Cette bête dont parlaient ces stupides légendes et que seuls les plus ingénus pouvaient croire. Malheureusement, il était face à une caste bien supérieure d’érudits et ils avaient du mal à avaler toute cette folie. Pour eux, soit sa femme était sujette à une quelconque maladie mentale soit, pire, il était responsable. Le temps lui sembla tellement long qu’il crut y être depuis des jours. Et il devait faire face aux regards foudroyants du juré. Aucun ne crut son histoire et cela malgré les témoignages qu’ils jugèrent comme étant tout sauf logiques ou scientifiques.
Heureusement pour lui, on n’avait aucune preuve pouvant le condamner et il savait qu’on n’en trouverait pas. Pourtant il se sentait mal. Puis les choses s’empirèrent lorsque l’affaire sortit du tribunal et arriva aux oreilles de ses concitoyens. Il fut traité de fou, de monstre et on lui tourna le dos. Il aurait pu aller voir le seul qui aurait été de son côté, Marc, mais ce dernier était mort il y avait deux jours de cela, dans son sommeil.
Voilà donc pourquoi il s’était retrouvé en haut de cet immeuble, les yeux perdus dans le vide, attendant le moment propice pour sauter. Il attendit un long moment et en proie au doute puis se décida pour le grand plongeon. Dans sa chute il ne vit pas sa vie défiler, mais des images d’une horreur cosmique innommable, des images de terreur apocalyptique et il sourit content d’échapper aux catastrophes à venir…la fin du monde.