Bonjour à tous !

J'espère que vous allez bien.
Aujourd'hui je vous propose la première partie de
La montagne aux mille yeux, histoire que vous pouvez retrouver dans mon recueil
L'île du bout du monde et autres univers.
En vous souhaitant une excellente lecture, n'hésitez pas à me dire ce que vous en avez pensé.
LA MONTAGNE AUX MILLE YEUXSuicide Se tenant au bord d’un immeuble haut d’une quarantaine d’étages, John Herbert regardait dans le vide. En bas une foule de gens s’était agglutinée au pied de l’immeuble pour voir ce qu’il se passait. Elle hurlait des mots sourds aux oreilles de John qui avait l’esprit entièrement ailleurs. Il ne prêtait, en effet, aucunement attention à ceux d’en bas et semblait perdu dans ses réflexions. Il regardait quelque chose au fond de cet abîme assourdissant, quelque chose que lui seul pouvait voir et il en tremblait de tout son être. Son corps entier était raide ; ses cheveux, ses poils étaient hérissés et la sueur coulait de son front et de sa nuque. Il était en parfaite tétanie.
Je sais ce que vous vous demandez. De quoi avait-il donc si peur ? Que faisait-il en haut de cet immeuble ? Y sera-t-il poussé par la folie ?... Comme je peux vous comprendre. Si vous le souhaitez, je vous conterai une bien triste histoire. Pour l’instant, revenons à notre John.
Il se tenait donc là, le regard perdu dans le vide et contemplait avec une certaine mélancolie la foule qui se tenait là en bas. Ils criaient, le suppliaient sûrement ; il n’aurait su le dire, car il ne pouvait voire même refusait d’entendre. Il ferma les yeux et une myriade d’images lui vinrent à l’esprit. Ce n’était pas de belles images, loin de là. Non, c’était plutôt des images sordides, tellement affreuses que l’enfer à côté aurait pu ressembler à un éden. Il vous faudra un peu de patience avant de savoir de quoi il retourne ; pour le moment vous vous contenterez, impuissant, de regarder ce pauvre John sauter.
Il essayait de chasser ces horribles images de son esprit, tentant de les remplacer par des souvenirs joyeux. Il repensa à la douceur des caresses de sa femme, ses tendres baisers, son parfum qui lui rappelait ô combien les champs de lavande du voisinage. Il se rappela l’odeur des cookies sortant du four, le goût du chocolat fondant dans la bouche. Il les adorait ces cookies ; ça et les chansons que lui chantait son épouse, accompagnée de sa guitare. Elle avait la voix douce, le timbre était clair et sans fausses notes et c’était cela, parmi tant d’autres choses, qui avait séduit John Herbert. Il laissa venir à lui ces images, ces souvenirs heureux quand soudain il la revit. Elle était revenue, la chose qui l’effrayait tant et qui l’avait poussé à grimper tout en haut de cet immeuble et à faire face au vide. En regardant en bas il crut voir la chose tapie dans les abîmes, au travers d’un épais brouillard jaunâtre et dont l’odeur qu’il dégageait était si horrible qu’il en vomit. Il la regardait avec peur et dégoût, ainsi qu’une certaine rage. Cette rage s’adressait cependant plus à lui-même qu’à la créature. Il s’en voulait de l’avoir laissée pénétrer ses rêves, car il ne savait par quel odieux stratagème elle avait réussi à pénétrer ceux de sa femme. La pauvre avait été retrouvée morte dans la salle de bain, la gorge tranchée. Elle baignait, inerte, dans son propre sang. John eut un choc terrible et était complètement paniqué. Il n’avait su que faire à part appeler la police et il en avait regretté son geste. En effet le policier qui l’avait interrogé n’avait pas cru à son histoire et pour lui John était coupable. Il eut beau plaider, hurler son innocence, mais rien n’y fit, on l’arrêta pour meurtre. On n’avait pas retrouvé l’arme du crime, mais aussi aucune trace d’effraction, ce qui laissait présumer que monsieur Herbert ne pouvait être que seul responsable de ce crime.
Son avocat plaida le suicide, mais pour les quelques témoins présents cela n’avait pas le moindre sens, car madame Herbert était une femme comblée et pleine de vie qu’elle croquait à pleine dent. Pour eux il ne faisait aucun doute que le responsable de ce drame était John. D’autres témoignèrent de l’amour que le pauvre homme éprouvait envers sa défunte femme ; qu’il était impossible qu’il ait pu commettre un tel acte. John lui ne sut quoi dire pour sa défense et faute de preuve, on le relâcha. Il passa après ça une longue et dure semaine. Il dut en effet subir constamment les assauts de ses voisins et leurs enfants. Il avait beau clamer son innocence, les gens refusaient d’entendre et continuaient à le traiter de meurtrier, assassin et autres mots pas très sympathiques à son égard. Puis il y eut ces nuits hantées par de terribles visions de ce qu’il avait vu là-bas, dans les montagnes reculées de Nouvelle-Zélande. Ou du moins ce qu’il avait cru y voir. Ces images n’eurent de cesse de le tourmenter. Au bout de quelques jours, il craqua. Il ne pouvait supporter davantage les insultes de ceux qu’il croisait dans la rue ; ni même le visage de sa femme qui le harcelait en lui reprochant de n’avoir pas su la sauver. Le pauvre culpabilisait et il s’en voulait à mort. Voilà pourquoi il s’était retrouvé en haut de cet immeuble, prêt à sauter. Il ferma les yeux… un… deux… trois, puis il fit le grand plongeon. Il revit sa vie défiler devant ses yeux puis plus rien, il fut envahi par les ténèbres éternelles.
Là où tout commence Automne 3050, John Herbert était assis sur sa chaise, derrière son bureau. Il vivait au premier étage d’une immense librairie dans laquelle il passait le plus clair de son temps, à ranger les livres ou bien à les dévorer durant ses pauses. Il était patron d’une grande chaîne de magasins spécialisés dans les vieux bouquins qui avait ouvert ses portes vers 2026 – 2027. Les ouvrages qu’il vendait dataient de bien avant cette époque et étaient pour lui une source de culture inestimable. Ce qu’il adorait par-dessus tout c’était les récits d’aventures tels que ceux de Christophe Colomb, James Cook et bien d’autres explorateurs de la vieille ère, mais également les voyages imaginaires comme ceux de Gulliver. Il était aussi fasciné par les récits de science-fiction, surtout ceux traitant de croisières intergalactiques, de guerres cosmiques et d’espèces extraterrestres. Au jour de John, ce genre d’aventures n’avait plus rien d’extraordinaire, mais prises dans leur contexte, elles le captivaient. En effet, les voyages dans l’espace à bord de gigantesques vaisseaux n’étaient plus qu’une simple chimère, un rêve de conteur, mais bel et bien une réalité. On avait même découvert une nouvelle planète habitable du nom de Calium 3000, donné en hommage à celle qui l’avait trouvée.
Sur Calium 3000, le climat était toujours tempéré et les pluies pouvaient durer pendant plusieurs mois sauf sur une infime partie du côté sud-est où il était plutôt tropical et où la chaleur de son soleil tapait si fort que la température y était trop élevée pour que la nature puisse s’y développer correctement. Il y avait là-bas des montagnes à perte de vue qu’aucun homme n’avait osé escalader. Comme le pays en question avait été découvert par les colons néo-zélandais, il avait été tout simplement rebaptisé Nouvelle-Zélande. L’endroit était d’une telle austérité que nul ne voulait y aller.
John, lui, vivait toujours sur terre, ravagée par les retombées de météorites qui avaient détruit une grosse partie du globe, laissant aux paysages un aspect apocalyptique. La majorité de la population avait dû fuir sur Calium 3000, mais John et quelques-uns avaient décidé de rester. Il avait choisi le métier de bouquiniste et avec l’argent amassé et mis de côté il avait fait construire la plus grande librairie du monde, assez pour contenir tous les livres ayant été écrits durant ces cent dernières décennies. Elle montait jusqu’à plusieurs étages et allait à quelques kilomètres en dessous du sol. Tout en bas il y avait la réserve des archives que nul ne pouvait consulter, pas même John qui de toute façon ne l’aurait jamais fait, car trop peureux de descendre jusqu’en bas. Les sous-sols étaient humides, pleins de toiles d’araignées et de rats ; ce dont il avait horreur. La nuit, alors qu’il dormait dans la chambre du premier étage, il disait entendre comme une respiration lente ainsi que des chuchotements. Bien évidemment il pensait que tout cela était dû à son imagination débordante comme le lui rappelait souvent sa femme, Helen et il n’y prêtait pas plus attention même si ces murmures avaient en eux quelque chose de dérangeant.
Un soir alors qu’il rêvassait dans son lit, il entendit comme un bruit venant d’en bas. Un genre de couinement sinistre et terrifiant, à vous faire dresser les poils. Il hésita longtemps avant de se décider à descendre, car il craignait de ne plus jamais remonter. Il prit l’ascenseur et descendit jusqu’au treizième sous-sol. Il arriva devant une porte où il était inscrit « zone interdite ». John savait qu’il ne pouvait pas y entrer, car il ne faisait pas partie du personnel autorisé. Cependant, il fallait qu’il voie ce qui faisait tout ce bruit, là caché dans la réserve et il entra. Il arriva dans un long couloir au bout duquel il y avait une autre porte. Il avança dans le corridor et entra dans la pièce. Il y avait des étagères à perte de vue sur lesquelles reposaient des classeurs d’archives plus ou moins récentes. Il déambula de rayon en rayon à la recherche du bruit lorsqu’il l’entendit au fond d’une rangée. Il se rapprocha de celui-ci, qui se faisait intense, quand tout à coup il s’arrêta. Les couinements firent place au silence et John se trouvait maintenant devant une boîte sur laquelle étaient inscrits les mots suivants : « archives top secrètes de Calium 3000 ». John prit la chose dans ses mains et s’assit par terre. Il l’ouvrit. Elle contenait des notes ici et là qu’il s’empressa de lire. Tous ces papiers traitaient de la planète sur laquelle l’Homme s’était enfui lors du grand cataclysme et plus particulièrement d’un lieu à l’atmosphère rigoureuse et angoissante. Cela parlait également d’une chose tapie dans les montagnes et à en croire ce qu’il était écrit, c’était quelque chose de vraiment terrible pour être épelé par des mots. Il y avait une chose qui effrayait les scientifiques et cela piqua la curiosité de monsieur Herbert.
Le lendemain, il discuta avec sa femme Helen, lui annonçant qu’il avait l’intention de partir pour Calium 3000. Elle appréhenda, bien sûr, mais finit par se résoudre à devoir quitter la Terre pour une autre planète qui lui était totalement étrangère. Monsieur Herbert vendit sa librairie et avec ses économies amassa assez d’argent pour s’offrir un voyage. Six mois passèrent avant qu’ils ne prennent le vaisseau qui allait les conduire vers leur nouvelle demeure.
En route pour Calium 3000 Madame Herbert étant un poil stressée pour conduire laissa le volant à son mari. Ils arrivèrent dans le Dakota du Sud où une gigantesque base spatiale avait été construite. Ils firent porter leurs bagages au vaisseau qu’ils allaient emprunter pour leur voyage et durent patienter environ une demi-heure avant de pouvoir monter à bord. Ils allèrent s’asseoir à la terrasse d’un café et madame demanda à son époux :
« Je ne comprends pas pourquoi tu as voulu quitter tout ce qu’on avait pour aller sur une planète qui nous est complètement étrangère.
— Je ne saurais te dire, mais hier soir je suis allé dans la réserve qui se trouve au dernier sous-sol et j’y ai trouvé quelque chose qui m’a interloqué, répondit John.
— Et quelle est-elle ? s’enquit madame Herbert.
— Je l’ignore Helen, mais je serais curieux de le découvrir.
John porta sa tasse de café encore chaud aux lèvres et but une gorgée avant de reprendre :
— Tout ce que je sais c’est que ça se trouve sur cette planète… Calium 3000, quelque part dans les montagnes.
— Et tu veux tout abandonner parce que tu as vu ça écrit dans je ne sais quel carnet ? Notre vie ? Notre foyer ?
— J’ai depuis longtemps admiré les plus grands explorateurs qui comme nous avaient dû quitter tout ce qu’ils avaient pour partir à la découverte de nouvelles contrées, de nouveaux mondes, répondit John.
Une lueur d’excitation prit naissance dans son regard.
« Alors quand j’ai lu ça, qu’il existait un endroit que nul homme n’osait visiter, je me suis dit que je pourrais être ce nouvel explorateur. »
Helen ressentit l’enthousiasme de son mari à mesure qu’il parlait et n’osa pas le contredire. Elle termina son chocolat et jeta un coup d’œil à sa montre ; il était presque l’heure. Elle appréhendait vraiment ce voyage, mais elle s’abstint de tout commentaire pouvant irriter la joie de John. Elle se leva, lui faisant signe de venir et ils se rendirent jusqu’au vaisseau. John était tellement pressé et excité qu’il ne se rendait même pas compte qu’il marchait beaucoup trop vite pour sa femme, la laissant loin derrière. Elle l’appela, le sortant de ses pensées et il se retourna. Il l’attendit devant la zone d’embarquement, impatient de monter à bord. Elle pressa le pas en voyant son empressement. Ils confièrent leurs sacs au bagagiste et passèrent le portillon de sécurité avant d’emprunter l’escalator menant jusqu’à la porte du vaisseau. Ils entrèrent dans un grand couloir sur les côtés duquel se trouvaient des pièces (sûrement les appartements des voyageurs et autre). Ils se rendirent à celle dont le numéro était inscrit sur leur billet et entrèrent. Ils se trouvaient dans une immense salle au milieu de laquelle se trouvait une grande table où on avait dressé le couvert. Vers la gauche se trouvaient un canapé et deux fauteuils de couleur vermeille entourant une autre table plus petite devant servir pour l’apéritif. Enfin, vers le côté droit de la pièce, se trouvait un lit à baldaquin assez spacieux pour accueillir quatre personnes. Les couvertures étaient d’un rouge légèrement plus vif et les drapés en dentelle étaient tirés.
John ne pouvait s’empêcher de s’amuser du contraste entre le côté futuriste du vaisseau spatial et le côté fort archaïque des chambres. Cela donnait un curieux mélange, mais Helen et lui adoraient le chic de la chose. Leurs bagages étaient posés au pied du lit ainsi qu’une note de bienvenue sur le matelas. Monsieur s’allongea, laissant à sa femme le soin de déballer leurs affaires. Elle termina par ranger les serviettes, les produits de soin et de beauté dans la salle de bain et rejoignit son époux dans le lit.
Ils avaient depuis longtemps quitté l’atmosphère terrestre et se trouvait à présent dans les ténèbres cosmiques, la faible lueur des étoiles éclairant à peine la pièce dans laquelle ils dormaient. Dans l’espace le temps ne s’écoule plus de la même façon, il n’y a point de jour ni de nuit. Cela ne gêna pourtant pas notre couple, perdu dans ses contrées oniriques. Ils ne se rendirent même pas compte que dans leur sommeil on les avait plongés dans un état cryonique afin de conserver leur corps pendant plus de vingt ans.
En l’an 3075, le vaisseau atterrit enfin sur Calium 3000 à l’aérogare de Boston II puis notre couple prit l’aérobus jusqu’à leur nouvelle ville de Kaktarat, nom donné à la pierre que l’on y trouvait en abondance. La pierre en question était d’une couleur bleutée légèrement plus foncée que le Lapis Lazuli de la Terre. La nuit, on pouvait la voir briller, étinceler sous les étoiles. La ville était entourée d’une dense végétation rosâtre dont les fleurs sauvages dégageait un parfum que nul n’avait jamais connu ; aussi loin que remontaient ses souvenirs. C’était aux équinoxes que les arbres étaient le plus fleuris, la période même où John et Helen Herbert avaient emménagé. Helen aimait lire sous le grand amnyosia sauvage aux grandes fleurs jaunes dont les pétales longs étaient tombants et d’où s’écoulait, en hiver, le doux nectar qui gelait au contact du sol, laissant derrière lui des flaques dorées brillant sous le soleil rouge.
John, lui, errait de taverne en taverne en questionnant les clients sur le lieu maudit qu’était la Nouvelle-Zélande. Malheureusement aucun ne daigna répondre à celui qu’ils considéraient comme un étranger. Certains frissonnaient à l’évocation de la montagne et prétendaient ne rien y connaître à ces histoires. John décida donc d’aller consulter les archives de la ville, du pays ainsi que tout article de journaux mais là encore il fit chou blanc. À croire que l’on eut voulu taire l’existence de cette calamité dont le nom prenait source dans l’inconscient de tout un chacun, dans les plus terribles des cauchemars. La chose en était oubliée au réveil, laissant quelques bribes imperceptibles comme venant du lointain sidéral. Il se rendit alors dans la ville suivante la plus proche, mais là encore personne ne sut lui répondre. Il retourna bredouille à l’aérobus et attendit l’arrivée de ce dernier, tenant compagnie à un homme assez âgé. Le vieil homme voyant la mine déçue du pauvre Herbert lui demanda :
« Excusez-moi si je puis me montrer indiscret, mais pourquoi cet air déconcerté ?
— Vous ne m’êtes pas indiscret, répondit John. Au contraire vous faites bien de me poser la question. Voyez-vous, je suis à la recherche d’information concernant ce lieu, ce pays que l’on a baptisé Nouvelle-Zélande, car j’ai entendu qu’il s’y serait passé des choses étranges.
— Ah, cette Nouvelle-Zélande, dit le vieil homme dont quelques souvenirs semblaient refaire surface à l’évocation de ce nom.
— Vous connaissez l’endroit ? demanda John qui sembla reprendre du peps.
— Si je le connais ? Pour sûr mon p’tit ! J’y suis même allé.
— Vous y êtes allé ?!
— Oui. Cela remonte à environ une trentaine d’années, lorsque j’étais encore jeune, vigoureux et en soif d’aventure. En ce temps-là, j’adorais voyager, partir à la découverte de terres inconnues et inexplorées. Aussi avais-je décidé de partir à la conquête d’un pays où nul autre n’aurait osé s’aventurer. Lors de mes recherches, je suis tombé sur plusieurs articles parlant de cette Nouvelle-Zélande que vous avez recherchée. Tout comme vous ce que j’en lus avait piqué ma curiosité et j’en avais questionné les gens susceptibles de me donner plus de détail quant à cet endroit qui avait tant effrayé ceux qui s’y étaient rendus, mais aucun d’entre eux n’avait osé m’en dire davantage et me fuyait comme si j’étais la plus terrible des infections. Ne pouvant obtenir de réponse je décidai alors de me rendre moi-même en ces lieux ; moi seul et mon gros sac, car nul n’avait voulu m’y accompagner…
— Et qu’y avez-vous découvert ?
— Attendez mon garçon, j’y arrive. Ne soyez donc pas si pressé, de toute façon le bus n’arrivera pas avant une bonne heure.
— Excusez-moi… Allez-y, continuez.
Et le vieil homme continua son récit.
Ce qui se cache au-delà Ce que John entendit de la bouche du vieillard le glaça d’un indescriptible effroi qu’il ne sut contenir tant la chose contée en était terrifiante. Ce n’était pas tant ce que l’homme avait vu là-bas qui terrifiait John, car il n’avait pas vraiment vu mais plutôt perçu, ressenti quelque chose. Il lui raconta que durant tout le voyage d’aller et de retour il s’était senti épié, observé par une chose invisible, quelque chose qui lui faisait froid dans le dos. Le fait d’être plongé dans l’inconnu impalpable le faisait tomber dans un abîme d’angoisse sans fond d’où il ne lui aurait été pas possible de s’échapper. Il se souvint qu’il faisait nuit et qu’un épais brouillard obstruait sa vision. Il avait dû avancer à tâtons avec pour seul repère le sommet de la montagne qui l’oppressait tant par sa taille que par sa forme. Le vent était glacial et violent et bien que l’homme fût robuste à l’époque, il avait dû lutter contre le cyclone. Il avait cru même percevoir, au travers des sifflements de la tempête, quelques murmures indistincts et de sourds grognements annonciateurs de quelque chose d’horrible se profilant à l’horizon. Puis, l’air se fit plus dense et soudain nauséabond et l’homme raconta que jamais dans sa vie il n’avait senti pareille chose. Il dut se battre pour ne pas vomir à cause des effluves qui lui donnaient la nausée. Il continua néanmoins sa route, autant curieux qu’effrayé de voir ce qu’il y avait au-delà malgré les maux de cœur. L’air au bout d’une demi-heure était redevenu sain et respirable et le brouillard était un peu dissipé. Devant lui se dressait l’imposante montagne à la forme indescriptible et dérangeante. Le vieil homme ne sut dire pourquoi, mais face à ce pic titanesque il s’était senti anxieux. Sûrement parce qu’il sentait quelque chose le transpercer du regard, une chose cachée tout là-haut guettant sa future proie. Il avait cette désagréable impression d’être nu et d’entendre les murmures moqueurs de la foule que son esprit s’amusait à imaginer.
John était curieux d’en apprendre davantage et ne cessait de couper la parole au vieillard, le noyant de questions en tout genre. Il désirait notamment en savoir plus sur ce qu’il y avait au-delà de la montagne et sur cette chose si angoissante qu’on ne pouvait voir. Le vieil homme lui fit signe de se taire et d’écouter la suite. Il en était arrivé au pied de la montagne, à se demander si oui ou non il devait aller plus loin. Il avait décidé qu’il était allé trop loin pour penser à faire demi-tour et donc continua, prenant la route serpentueuse bordée par des arbres morts. Il avait la sensation que plus rien de vivant ne subsistait en ces lieux et que ce qui l’était était tout sauf naturel, comme venant d’un affreux cauchemar dont il aurait aimé se réveiller. La végétation était terne, cassante et les feuilles qui devaient normalement donner ce teint rosé avaient depuis disparu, emportées par le vent et le temps. Seule une mousse grisâtre avait résisté. Une mousse qui dégageait une désagréable odeur, quoique moins mauvaise que celle qu’il avait pu sentir lorsqu’il était encore pris dans le brouillard. Il continua son récit et sa route en n’omettant aucun détail de ce que ses yeux avaient vu ce jour-là. Il alla même jusqu’à décrire la qualité de la roche qui était étrangement poreuse. Il n’osa cependant, malgré l’insistance de John, parler de la montagne elle-même ni de sa forme qui l’effrayait encore aujourd’hui. Il lui dit simplement que même le diable en personne n’aurait su infliger une telle vision d’horreur et que la regarder trop longtemps pouvait vous rendre dingue. Aussi n’eut-il pas pu finir sa description des lieux, car il avait fini son ascension les yeux au sol. Il en était arrivé à la moitié quand soudain le ton de sa voix se fit plus hésitant, tremblant. Puis ce fut tout son corps qui fut pris de spasmes incontrôlés. Il lui fallut un bon quart d’heure pour se calmer et reprendre son histoire. Il parla de l’effroyable hurlement qu’il avait entendu, un cri strident qui lui avait transpercé les tympans. Il se souvint qu’il tremblait, recroquevillé, les mains sur les oreilles. Puis le bruit s’était tu et il avait regardé en direction du sommet. Ce qu’il y vit le tétanisa ce jour-là. Une ombre s’était envolée ; une ombre immense qui cachait la lune, plongeant le pauvre homme dans les plus sombres et atroces des ténèbres. La chose poussait de longs cris perçants et ses battements d’ailes étaient assez puissants pour soulever la roche et les arbres. Il était tombé à la renverse et regardait la créature avec de grands yeux ébahis quitter l’horizon. Il s’était empressé de se relever et n’avait pas attendu qu’elle revienne. Il continua sa route sans prêter attention à ses angoissantes impressions. Lorsqu’il atteignit enfin le sommet, il regarda par en bas. Le brouillard recouvrait encore tout le paysage sauf une petite partie en bord de mer. Il en était arrivé au moment où il avait cru apercevoir une bien étrange créature disparaître derrière l’épaisse brume. Il l’avait suivi du regard et ses yeux avaient rencontré la myriade de lueurs bleutées qui semblaient toutes le fixer dans la nuit. Il entendit alors ces inquiétants murmures qui l’appelaient, l’attiraient tel un papillon sous la lumière. Il ne donna pas plus de détails et dut arrêter son récit, car le bus venait d’arriver. John devrait découvrir par lui-même les mystères qui entouraient cette montagne. Il salua le vieil homme quand le bus s’arrêta devant chez lui et descendit rejoindre sa femme.
Une Helen convaincue John sortit la clef de la poche de son blouson et ouvrit la porte. Sa femme l’attendait dans le salon, assise dans le fauteuil en train de lire un livre sur l’histoire de Calium 3000. Elle leva les yeux du bouquin et le salua d’un sourire. Elle lui montra du doigt l’assiette sur la table avant de replonger dans sa lecture. John termina son repas et rejoignit Helen. Il désirait lui parler de son envie d’aller en Nouvelle-Zélande, ce lieu mystique et mystérieux qui éveillait l’effroi chez les personnes qui entendaient son nom. Sa curiosité et sa témérité le poussaient à penser et agir de la sorte. Sa femme était hésitante ; elle avait entendu de bien inquiétantes choses concernant cette région maudite. La convaincre de venir avec lui n’allait pas être chose facile et il avait du mal à trouver ses mots. Elle croyait aux folles rumeurs et en avait une peur bleue. On lui avait parlé des choses qui rampaient, de la bête hurlante et d’autres choses cachées par le brouillard, épais et puant, sentant la mort. Il continua à chercher ses mots puis finit par lui dire :
« Nous ne serons pas seuls, tu sais ; tenta-t-il pour la rassurer.
— Et qui serait assez fou pour oser nous accompagner, demanda-t-elle, dubitative.
— Je l’ignore encore, mais je compte bien trouver, répondit-il sans vraiment être convaincu lui-même.
— En gros, tu n’en sais pas plus.
— Je n’ai pas dit ça. En fait, je pensais à quelqu’un, mais je ne sais pas s’il acceptera ; il est déjà allé là-bas et je ne suis pas sûr qu’il veuille y retourner, mais il serait un excellent guide.
— Je n’sais pas, vraiment. Ce n’est pas que je ne veux pas y aller mais vu tout ce qu’on raconte… J’ai peur, tu comprends ?
— Moi aussi j’ai mes appréhensions. Ma raison me dit de ne pas partir, mais ma curiosité, ma soif de découverte m’y poussent.
— Et ton guide, est-il fiable ?
— Je l’ignore. Je viens juste de le rencontrer, mais il connaît l’endroit alors j’ai pensé à lui. Et puis même s’il en parlait avec une certaine frayeur je suis sûr de pouvoir l’en convaincre.
— Tu en es vraiment sûr ? demanda Helen dont la voix trahissait son incertitude.
— Oui, répondit John, lui mentant à moitié.
Helen réfléchit un instant, pesant le pour et le contre. Son cœur balançait entre l’envie de suivre son mari dans cette folle aventure et la peur qu’elle ressentait face à l’inconnu. Elle fut ramenée de ses réflexions par la voix de son homme.
— Alors ?
— Je… je suis d’accord, finit-elle par dire, non sans appréhension. »
John était ravi de sa réponse et l’embrassa sur le front en signe de remerciement. Il fouilla ensuite la poche de son pantalon à la recherche du numéro du vieil homme. Le réseau était assez saturé sur cette planète et contacter l’homme s’avéra être une tâche insurmontable. Il essaya pendant une heure au moins, mais il n’arriva à joindre personne. Il finit par laisser tomber, se disant qu’on le rappellerait plus tard puis sortit en ville, acheter tout ce qu’il fallait pour une expédition. Il déambula dans les rues à la recherche de magasins où il pourrait trouver grands sacs, trousses de secours, set de piquenique, sacs de couchage, etc. Il questionna les passants, mais aucun d’entre eux ne daigna répondre. Il faillit donc abandonner quand il aperçut une boutique où l’on pouvait lire sur la devanture, chez Spencer’s : bric à voyage, pour des voyages réussis.
Il entra et se dirigea vers le comptoir derrière lequel se tenait un homme de taille moyenne et assez trapu, portant une chemise à carreaux rouge et blanche ainsi qu’une salopette marronne. L’homme jugea John du regard, le sondant de la tête aux pieds avant de lui demander :
« Qu’est-ce qui vous amène ?
— Ma femme et moi partons en expédition d’ici peu et je voudrais savoir si vous vendiez tout le matériel nécessaire, demanda John
— Nous avons en effet tout ce qu’il faut au niveau du troisième rayon en partant de la droite, lui répondit le vendeur.
— Je vous remercie.
— C’est moi… »
John se dirigea alors vers le rayon en question où il trouva tout ce dont il avait besoin pour son excursion. Il paya le vendeur qui le remercia puis prit la route du retour. En chemin, son téléphone sonna. Il décrocha au vieil homme qui l’appelait.
« Allo, John, dit-il.
— Allo… euh…, commença John.
— Je m’appelle Marc, Marc Hamilton, reprit le vieil homme.
— Marc ? D’accord. Bonjour.
— Je vous rappelle, car j’ai vu que vous avez essayé de me joindre un peu plus tôt dans la journée.
— En effet. Je me suis permis de vous contacter, car ma femme et moi avions décidé de nous rendre en Nouvelle-Zélande et comme vous y êtes déjà allé, je me suis demandé si vous accepteriez de nous y accompagner… Je sais que c’est sûrement beaucoup pour vous, vu votre expérience concernant ce lieu, mais je n’ai que vous sous la main.
— Je n’sais pas trop… Je n’ai pas un très bon souvenir de ma dernière excursion et rien que de penser y retourner me fout les jetons. C’est une expérience assez horrible et éprouvante, vous savez.
— Je vous paierai s’il le faut, proposa John. J’ai plus que ce qu’il en faut pour satisfaire vos besoins le restant de vos jours.
— Oh, vous savez je suis presque au bout de ma vie et je ne pense pas que votre argent me soit d’une quelconque utilité.
— Comment puis-je vous convaincre ? demanda John, insistant.
— Il y a bien une chose. Je voudrais revoir les vieilles landes de l’ouest ; celles où j’avais l’habitude de me rendre avec ma défunte femme. J’aimerais revoir ces paysages verts à perte de vue.
— C’est d’accord. Si vous acceptez de nous accompagner, je vous y emmènerai moi-même. »
Sur cette entente John raccrocha le combiné et continua son chemin. Sa femme l’attendait sur le seuil.
Marc Hamilton Marc avait au long de son existence vécu dans les vertes landes de Stratford, situées à l’ouest du globe. Il avait hérité d’un petit cottage sur la falaise que les autochtones avaient coutume d’appeler Hillsberry en raison des baies qui y poussaient en abondance. Il l’avait habité avec sa femme Élisabeth dite Lisa. Un jour il en eut marre de cette monotonie et bien qu’il aimât son pays et son amour, il avait ressenti le besoin d’aventure. Il avait, dans ses jeunes jours, eu soif de nouvelles découvertes, de récits à raconter aux enfants qu’il n’aura malheureusement jamais. La cause ? La stérilité de sa femme. Cela ne l’avait pas déçu et il n’en aimait pas moins sa compagne, mais il avait eu cet irrépressible besoin de changer d’air, d’aller voir ailleurs. Le monde lui avait lancé un appel et il lui avait répondu. Il était en ce temps documentaliste et adorait découvrir de nouvelles choses pour nourrir ses connaissances. Il avait entendu de la bouche des locaux parlé de La Nouvelle-Zélande et de ces paysages que l’on disait maudits, sataniques. La légende était née de la bouche d’un vieillard et de son ami. Le vieillard était devenu ivrogne sûrement pour oublier (ou du moins essayer) l’horreur dont il avait été le témoin et on eut du mal à le prendre au sérieux par la suite, préférant croire à la démence d’un vieil homme désœuvré. Il lui eut fallu l’appui de son compagnon de route et de quelques autres hommes qui auraient prétendu s’être rendus en ces lieux profanes pour que l’on commence à y croire. On parla à monsieur Hamilton des bruits étranges tapis dans la brume, de ces ombres cachant la lumière du soleil, plongeant le pays dans les ténèbres les plus opaques que l’on n’ait jamais perçu. On lui parla aussi des rampants, des nuisibles qui vous entraient dans les oreilles et s’installaient dans votre cerveau en vous montrant des choses que vous n’oseriez même pas imaginer. Puis il y avait ces yeux, des centaines, des milliers, qui vous observaient depuis la montagne. Marc avait pris soin de prendre note de tout ce qu’on avait pu lui raconter ce jour-là au pub et était rentré chez lui la tête et son journal emplis de récits fantastiques, horrifiques.
Quelques mois plus tard, il partait avec seulement un baluchon et son carnet de croquis ; carnet qu’il perdra dans sa fuite. Il était parti là-bas bien plus longtemps que le temps lui-même aurait laissé supposer et quand il retourna chez lui après un long et pénible voyage en ce qu’il considérait être l’enfer, ce fut pour trouver une Élisabeth morte, rongée par la vieillesse. Il ne put jamais expliquer le pourquoi du comment et même s’il en avait une infime idée, celle-ci lui parut trop absurde pour être partagée. Il ne parla jamais de ce qu’il vit là-bas et on dut faire confiance et s’en remettre à ses écrits. Un jour, il confia son journal à son ami James Everett qui de son côté transmit l’histoire à qui voudrait bien l’écouter. Seuls les plus crédules y croyaient et par un affreux procédé du téléphone arabe, donnaient des versions toutes aussi farfelues les unes que les autres. Tout ce que l’on s’accordait à dire c’était que le pays en question était maudit et on le ferma au public. Marc avait cependant réussi à obtenir un droit de passage grâce à sa carte de documentaliste. Les avertissements ne l’avaient pas retenu dans sa démarche de parcourir les monts de Nouvelle-Zélande et il ne regrettera que bien tard de ne pas en avoir tenu compte. Ce ne fut pas ce qu’il vit qui le changea pendant toutes ses années de réclusion, car il ne vit rien ; mais plutôt l’angoisse face à cette horreur invisible, les bruits, les choses qui rôdent dans le brouillard et cette désagréable sensation d’être épié de tout côté. Il en avait fait une crise d’agoraphobie et évitait donc la foule et le regard des gens. Il vécut seul depuis, ayant quitté le pays et les ragots à son sujet pour Kaktarat et sa petite bourgade paisible. On ne se rappela plus par quel procédé, mais tout ce qu’il avait rapporté de son périple se retrouva sur Terre, dans les archives de l’une des plus grandes librairies ; librairie qui appartint à celui qu’il allait par une bien étrange coïncidence rencontrer sous le nom de John Herbert. Jamais il n’aurait pensé y retourner et si ce n’avait pas été pour revoir les landes où sa femme est enterrée, il aurait refusé. Il avait peur, ça oui ; et pourtant quelque chose en lui le poussait vers ces contrées infernales telle une force à laquelle il ne pouvait se soustraire. Il se prépara physiquement et mentalement pour son voyage, peut-être le dernier avant le retour au pays. Quelques jours plus tard, il était prêt à partir accompagné de monsieur et madame Herbert. Ils durent louer leur propre avion, car personne n’était assez fou pour les y emmener. La fortune de John avait suffi à convaincre trois porteurs, mais pas plus. Au bout de douze heures de vol, ils arrivèrent enfin en Nouvelle-Zélande.