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Mise en avant des Auto-édités / Fractures familiales de Jean-Luc Rogge
« Dernier message par Apogon le jeu. 04/04/2024 à 17:25 »
Fractures familiales de Jean-Luc Rogge



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Imbroglio familial

1.   Laurent

Jeudi deux novembre 2017

Après avoir bien râlé, Laurence vient enfin de dénicher une place sur le parking contigu au bâtiment. Tout en coupant le moteur de la voiture, elle pousse un profond soupir et me lance un regard désolé. Je lui prends la main et la serre longuement. Que pourrais-je lui dire ?
Silencieux, nous sortons du véhicule et, engoncés dans nos vestes, nous nous dirigeons, transis par cette bruine froide et pénétrante qui nous accompagne depuis le matin, vers l’entrée principale de l’hôpital, vestige décrépit de la fin des années cinquante.
Tels des zombies, nous passons, presque sans la remarquer, devant la réceptionniste, une dame d’âge mûr au regard éteint et à l’air triste, perdue dans l’uniforme moche et difforme qu’elle est tenue de porter durant toute sa prestation.
Instinctivement, sans même nous concerter, nous ignorons l’ascenseur sur notre gauche et nous empruntons l’immense escalier de marbre situé au fond du hall.
Lorsque nous parvenons au premier étage, une pancarte nous indique la voie à suivre : couloir de droite. À peine quelques mètres à parcourir, et nous y sommes. Sur la gauche, une porte à double battant près de laquelle un téléphone est accroché au mur. Un écriteau est apposé près de l’appareil. Nous nous approchons et déchiffrons l’inscription : « Lors d’une première visite, veuillez signaler votre présence. »
Interloqués, nous hésitons un instant, puis Laurence, d’un geste maladroit, décroche le combiné. À peine l’a-t-elle saisi que la porte s’ouvre brusquement.
Le sourire aux lèvres, une dame âgée, aux cheveux gris bouclés, vêtue d’un tablier blanc, nous accueille.
— Monsieur Masure a été transporté ici par ambulance vers treize heures, lui dis-je, d’une voix blanche.
Elle acquiesce d’un léger hochement de tête.
— C’est tout au fond, à droite, nous dit-elle. Entrez, je vous en prie. Vous verrez, la chambre est agréable et lumineuse.
Le couloir, dans lequel elle nous entraîne, est assez large, mais long, tout au plus, d’une trentaine de mètres. Tout en la suivant, j’observe brièvement les lieux.
À l’entrée, directement sur la droite, est situé un local sans doute réservé au personnel. Derrière la vitre, assise bien droite devant l’écran d’un ordinateur, une jeune infirmière aux cheveux courts semble rêvasser. À notre passage, elle relève pourtant la tête et nous adresse un signe discret de la main. Surpris, je lui réponds d’un sourire forcé.
Nous passons ensuite devant les portes donnant accès aux premières chambres. Deux d’entre elles sont ouvertes. Dans la première, j’entrevois furtivement les jambes d’un malade alité et, dans la deuxième, je croise le regard éteint d’une personne occupée de s’alimenter. Un malaise obscur m’envahit !
Puis, au milieu du couloir, à nouveau sur la droite, une baie vitrée ouvre sur un local inattendu en cet endroit : j’y repère notamment une table de salle à manger, six chaises ainsi qu’un divan et deux fauteuils confortables. Bizarrement, un canari, enfermé dans une cage, y pépie allègrement. Je crois même aussi y remarquer un coin cuisine avec percolateur et frigo.
Tout s’entrechoque dans ma tête. Pour l’instant, mon cerveau se contente d’enregistrer, sans les analyser, les informations qui lui parviennent. De la sorte, j’estime à une dizaine, tout au plus, le nombre total de chambres du service. Nous atteignons enfin celle dans laquelle repose notre père. Et tandis que la dame en ouvre la porte et s’efface pour nous laisser y pénétrer, Laurence éclate en sanglots. Un trop-plein évident d’émotions la submerge.
— Un instant, je vous prie, dit-elle. Il faut que je me reprenne.
Habituée, à n’en point douter, à ce genre de réaction, la femme s’éclipse un instant et ressurgit aussitôt munie d’une boîte de kleenex qu’elle fourre d’office dans les mains de Laurence.
— Prenez tout votre temps, nous assure-t-elle. Je suis volontaire accompagnatrice ici et, si vous souhaitez quoi que ce soit, n’hésitez pas à m’appeler. L’infirmière vous rejoindra dans quelques minutes pour les formalités.
Je la remercie et, alors qu’elle s’éloigne et que Laurence tente, tant bien que mal, de reprendre ses esprits, j’observe ce couloir de clinique, si ordinaire, si conventionnel, et pourtant tellement singulier.
Et curieusement, alors que je lève les yeux et observe le plafond, il me semble que des centaines de spectres y déambulent paisiblement tout en m’épiant.
Et à cet instant précis, je frémis car, qu’on le veuille ou non, nous avons pénétré dans le couloir de la mort… celui dont on ne ressort habituellement que les pieds devant.
Et c’est sûr, dans quelques jours ou quelques heures, à soixante-cinq ans à peine, notre père va mourir ici même dans cette unité de soins palliatifs.
Chienne de vie ! 

2.   Maxime

Mercredi vingt-sept décembre 2017

Quand les flics ont défoncé la porte d’entrée d’un coup de masse et ont déboulé, aussitôt, dans notre logis, en vociférant comme des demeurés, j’ai cru rêver.
Le soleil venait de poindre à l’horizon et, malgré la saison, une journée délicieuse s’annonçait : froide, certes, mais lumineuse. Occupé à déguster une première tasse de café dans la cuisine, j’observais, comme presque chaque matin avant d’affronter les tracas quotidiens, les nombreux moineaux qui, tout en pépiant, se régalaient avec les graines déposées dans leur mangeoire. Évidemment, leur envol soudain aurait, peut-être, pu m’alerter mais, sans réelle raison de me sentir menacé, je n’y avais pas prêté garde.
En moins de deux, avant d’avoir pu esquisser le moindre geste, je me suis retrouvé plaqué au sol et menotté, les mains dans le dos, par trois malabars casqués.
— Mais c’est quoi ce bordel ? ai-je hurlé alors.
Pour toute réponse, et tandis que ses deux complices se mettaient à fouiller partout, l’un des lascars m’a agrippé les cheveux au-dessus de la nuque, m’a soulevé violemment la tête vers l’arrière et l’a projetée brutalement vers le sol. Instantanément, au contact du carrelage, mon arcade sourcilière droite a cédé et le sang s’est mis à gicler puis, très vite, à m’aveugler. Dès cet instant, la panique m’a envahi et des soubresauts m’ont secoué le corps.
« Maxime, ces mecs vont te buter, me suis-je dit. Ils ont cru repérer une cache de jihadistes et, les connards, ils se sont gourés de planque. Pas de bol, mec, c’est tombé sur toi ! »
J’en étais là, dans mes réflexions saugrenues, quand j’ai senti deux patoches me soulever du sol et me déposer, sans ménagement, sur une chaise.
— Ta meuf, elle est où, ta meuf ? m’a crié l’un des trois sauvages.
— Vous avez un mandat de perquisition ? ai-je cru bon de répondre.
Sans hésiter, il m’a balancé son poing dans la figure. Puis il a approché son visage du mien et m’a demandé :
— Cela vous suffit comme mandat ?
D’un seul coup, et bien qu’il m’eût vouvoyé, le peu de confiance qui me restait dans les forces de l’ordre de notre bon pays, s’est évaporé. J’ai levé les yeux vers lui et, malgré la multitude d’étoiles scintillantes qui m’empêchaient de le distinguer clairement, j’ai compris, à son regard sombre, qu’il n’était pas ici pour plaisanter.
— Elle s’est barrée, il y a huit jours, lui ai-je dit.
À ce moment, l’un de ses acolytes s’est approché de nous et lui a murmuré un truc inaudible à l’oreille. Sur le coup, il a semblé contrarié, puis il s’est ressaisi, il m’a saisi le menton et il m’a susurré, au plus près :
— Tout ceci, ce n’était rien qu’une petite visite de courtoisie, tu comprends. Rien d’autre qu’une petite visite de courtoisie. Imagine-toi si cela avait été une perquisition ! Et maintenant, écoute-moi bien. Si ta compagne, un jour ou l’autre, elle refait surface, t’as tout intérêt à nous prévenir. D’accord ?
— Mais je ne vous connais même pas, ai-je répondu, alors que j’étais pris d’un haut-le-cœur imputable à son haleine fétide.
— Ne te fous pas de ma gueule. Tu en connais beaucoup des commissariats dans le quartier ? a-t-il demandé, en me secouant légèrement.
J’ai hoché la tête négativement.
— Bien, m’a-t-il dit. Tu vois que tu comprends facilement quand tu veux. Eh bien, si ta donzelle réapparaît, tu te précipites chez nous et tu demandes l’inspecteur principal Renard.
— Renard, comme un… ai-je répondu.
Il a haussé les épaules et il m’a regardé lourdement, d’un air désespéré, le genre d’air que l’on prend quand, devant soi, traîne un infâme crétin. Puis, il s’est redressé et ils ont quitté la maison, tous les trois, comme si de rien n’était.
Après leur départ, j’ai patienté un peu pour tenter de reprendre mes esprits, puis, péniblement, je me suis relevé et je suis monté, tant bien que mal, dans ma chambre, au premier étage. Latifa ne s’y trouvait plus, bien sûr ! Alors, je suis redescendu et je me suis dirigé vers la salle de bains afin d’y prendre une douche. Toute la maison était, bien sûr, sens dessus dessous.
« Heureusement que maman ne voit pas cela », me suis-je dit.
Ensuite, le reste de la matinée me fut nécessaire pour me persuader qu’il ne s’agissait pas d’un cauchemar et que la femme de ma vie avait, bel et bien, disparu.

3.   Laurent

Lundi 1er janvier 2018

Soixante et un jours déjà !
— Bonne année, papa.
Il lève les yeux et me foudroie du regard. Je me liquéfie sur place. L’espace d’un instant, je redeviens le fils débile qu’il aurait préféré ne jamais concevoir. Son mépris à mon égard est incommensurable. Une chape de plomb s’abat sur mes épaules. Pourquoi mon père m’a-t-il toujours détesté ?
— Arrête de me débiter des âneries, tu veux, me dit-il, passablement énervé. Tu m’as vu ? Si tu veux être un rien serviable, aide-moi plutôt à mourir, espèce de…
Il arrête brusquement de m’agresser et redevient passif, absent.
Je ne réagis pas. Nulle raison de s’inquiéter. Les médecins nous ont prévenus, Laurence et moi : notre père souffre d’une forme de catatonie consécutive à sa tumeur cérébrale.
Catatonie, à l’époque, le terme m’avait plu !
— C’est un chat qui se promène près de la fenêtre ? me demande-t-il soudain, le sourire aux lèvres.
J’ai envie de hurler.
— Oui, lui dis-je, secoué.
Et commence, entre nous, une conversation délirante qui, tôt ou tard, dérapera malheureusement lorsqu’il assènera, d’un ton péremptoire, que sa chère épouse, ma mère, doit encore être occupée, à l’heure qu’il est, de se trémousser dans les bras d’un gigolo plutôt que de se trouver au chevet de son pauvre mari malade. Pauvre maman, décédée, il y a plus de dix ans déjà, à ses côtés, lors d’un carambolage sur l’autoroute alors qu’elle devait fêter son cinquante-cinquième anniversaire pas plus tard que le lendemain.
— Bonjour Philippe, vous désirez un potage avant le dîner ?
Delphine, une jeune infirmière, un peu potelée mais au regard éclatant, vient de pénétrer dans la chambre et crée une diversion bienvenue. Comme toujours, la fille respire la bonne humeur. « Comment cela est-il possible dans un tel environnement ? » me dis-je, souvent.
Au son de sa voix, le visage de papa s’illumine. Le revoilà prêt, pour quelques minutes, à revivre. Aussitôt, il replonge avec elle dans son jeu favori, celui de la séduction. Il récupère une partie de sa jeunesse. Il oublie ce foutu crabe qui lui dévore le cerveau. Cette fille, en cet instant, il l’adore, j’en suis sûr. Cela crève les yeux. Ah ! sacré papa.
L’unité de soins palliatifs dans laquelle il se trouve dispose de sept chambres et de huit lits. Tout y est centré sur le confort des malades, déclarés incurables. Ici, plus question de soigner : accompagnement optimal, soulagement immédiat, bien-être sont les maîtres-mots du service. La durée moyenne de séjour dans une chambre est d’une petite semaine : dernières nuitées en hôtel de luxe avant le grand saut !
Mais papa est un cas. Papa a toujours été un cas. Le corps décharné de cet homme usé, rongé par la maladie et qui, dans ses rares instants de lucidité, ne désire pourtant plus qu’une chose, mourir dignement, le plus rapidement possible, se révolte et résiste.
Et le gros hic, pour lui, est que sa volonté de mort assistée, position qu’il a pourtant tant prônée, toute sa vie, pour les malades incurables qui le souhaitent, ne peut être suivie. On croit toujours que l’on a le temps. Il l’a cru aussi et sa démarche n’a donc jamais été officiellement enregistrée et, à présent, le médecin, responsable de l’unité, estime qu’il n’a plus toutes les capacités intellectuelles requises pour décider lui-même en toute conscience de son futur.
En toute conscience de son futur ! Les bras m’en tombent…
Voilà donc pourquoi, doté de cet organisme puissant qui ne veut pas lâcher prise et qui, depuis qu’il est ici et que toute thérapie a été abandonnée, a même repris des forces, mon propre père, par la volonté d’une seule personne, se voit condamné à attendre, patiemment, la délivrance finale et à endurer d’inutiles souffrances psychologiques.
— Laurent, je t’en prie, ouvre-moi cette tirette.
— Désolé, je ne peux pas, papa. Il n’y a que les infirmières qui peuvent le faire.
Il gémit.
Il gémit et je frémis !
Il vient, pour la millième fois, de m’appeler au secours et je viens, pour la millième fois, de lui refuser mon aide.
J’ai honte ! Est-il humain de maintenir un être, sous prétexte que ses facultés cognitives sont altérées, enserré à longueur de journée, dans un drap-housse de sécurité à manches ?
— Salut, papa. Bonne année.
Par bonheur, Laurence, toute guillerette, vient de pénétrer dans la chambre et nous interrompt.
Toute contrariété disparaît instantanément du visage de papa. Son regard s’illumine. Il sourit gentiment à sa petite fille de quarante-deux ans, ma jumelle, sa préférée. Après nous avoir embrassés et pris de ses nouvelles, elle s’assied à son chevet, lui prend la main, et se met à subir patiemment, durant de longues minutes, ses jérémiades habituelles.
Puis, elle m’invite à passer chez elle le soir. Elle fera un gourmet. Je ne dois pas m’inquiéter : à part Manuel, son mari, et Axel, son ado de seize ans, mon filleul, il n’y aura personne. Je me dis que cela me changera les idées. J’accepte donc de bon cœur sa proposition et j’en profite pour me lever. Je fais la bise à mon père et je lui promets de revenir le lendemain matin vers onze heures… comme chaque matin maintenant depuis soixante et un jours.
Ensuite, très vite, je m’éclipse.
De l’air, vite de l’air !

4.   Maxime

Jeudi quatre janvier 2018

Dans la vie, aucun doute là-dessus, quand les emmerdes surgissent, elles surgissent. Et en série, évidemment ! La loi du même nom, sans doute.
Décidément, depuis le départ de Rémi, tout s’enchaîne. Et pas de la meilleure façon, malheureusement. À croire qu’il nous a jeté un mauvais sort, ce crétin. De la part d’un bon catho pratiquant, ce serait tout de même étonnant.
Je n’ai jamais vraiment compris comment maman a pu s’enticher de ce type et ensuite, surtout, le supporter pendant plus de quinze ans.
Huit jours déjà que les flics ont déboulé dans la baraque et toujours pas de nouvelle de Latifa. Depuis, j’ai bien dû tenter de la contacter dix mille fois sur son mobile. Et, dix mille fois, je suis tombé sur son foutu répondeur. Merde, je n’y comprends rien. Quand je me suis levé ce fameux matin, je la croyais pourtant profondément endormie. Eh bien, non ! Pouf ! un quart d’heure plus tard tout au plus, elle s’était envolée. Volatilisée, la belle, après l’irruption des cinglés. Merde, pourquoi s’est-elle barrée ? Qu’est-ce qu’ils lui voulaient, ces débiles ?
Ah ! c’est sûr, je brosse le bahut toute la semaine. Pas le cœur à fréquenter, comme si de rien n’était, mes potes et leurs vannes pourries.
Dehors, le ciel, d’un bleu limpide, en ce début d’après-midi, égaie la nature endormie. La température doit approcher les quinze degrés. Dur d’imaginer que l’on se trouve près de Lille, quelques jours seulement après la nouvelle année. Si papy était encore là, il me sortirait, c’est sûr, qu’il n’y a plus de saisons, qu’à son époque, aux alentours de l’Épiphanie, il gelait toujours à pierre fendre.
Dans le jardinet, dix mètres sur cinq, entouré de hauts sapins qui isolent celui-ci de ceux, similaires — maisons ouvrières obligent — des voisins, quelques oiseaux, suspendus au filet vert contenant leur pitance, se disputent les dernières graines. Je me dis qu’il faudra que je pense à en racheter.
Pff, cette baraque tombe en ruines. Maman est venue s’y installer avec papy et mamie en 97 quand ils ont quitté le nord de la France pour la Belgique. Est-ce pour ne pas être dépaysés qu’ils ont choisi de s’installer dans cette rue de Mouscron, parallèle à la frontière ? Il paraît qu’à l’époque, déjà, la maison n’était plus toute fraîche. J’y suis né quelques mois plus tard. Maman m’a souvent parlé de son accouchement : à l’ancienne, à domicile, sur la table de la salle à manger, avec une sage-femme. Tout cela à l’aube du vingt et unième siècle. Je rêve !
Je consulte les comptes Facebook, Instagram et Twitter de Latifa : rien n’y a été modifié, ni ajouté depuis une semaine. Elle se terre. Pour quelle raison ?
Un bref coup de sonnette me fait sursauter. Je passe dans le couloir et je m’approche à pas feutrés de la porte d’entrée qui a été réparée de toute urgence avant-hier par le père de l’un de mes potes, un bon bricoleur, pour près de deux cents euros. À cette occasion, la carte bancaire de maman m’a été, une nouvelle fois, bien utile. Je crains toutefois, si elle ne peut reprendre assez vite le boulot, que ses réserves s’amenuisent rapidement et que ses comptes passent dans le rouge. Mais je n’avais pas le choix car, dans le quartier, quiconque souhaite passer une nuit tranquille s’enferme chez lui à double tour.
Avant d’ouvrir, je jette prudemment un coup d’œil par le judas : le facteur !
— Bonjour. Je me suis permis de sonner car votre boîte aux lettres déborde et il m’est quasi impossible d’encore y déposer du courrier, me dit-il, d’un ton neutre mais en souriant.
Joliment surpris par une telle sollicitude, je le remercie sincèrement et justifie vaguement mon oubli par l’absence prolongée de ma mère de la maison.
— Vous savez, les boîtes pleines attirent les voleurs, me dit-il encore, compréhensif, avant de me saluer et de tourner les talons.
Je vide la boîte : quelques factures, deux catalogues publicitaires et un nombre incalculable de prospectus ont suffi à attirer l’attention sur moi. Hormis les lettres, que je dépose sur le buffet, je jette immédiatement le reste à la poubelle. Quel gâchis !
Ensuite, je m’affale dans le fauteuil, allume machinalement la télé et me mets à zapper systématiquement. Puis, alors qu’une douce torpeur commence à m’envahir devant ces images qui défilent, mon GSM se met à vibrer et la photo de Latifa s’affiche sur l’écran avec la mention : vous avez un nouveau message !
Mon cœur s’emballe !

5.   Latifa

Mercredi trois janvier 2018

Cette ordure, je savais qu’elle ne me lâcherait pas si facilement !
Serait-ce mon sixième sens qui, une nouvelle fois, m’a permis de m’en sortir ou cette obligation, depuis toujours, d’être aux aguets, de devoir me méfier de tous et de tout ? Quoi qu’il en soit, dès que j’ai entendu ce léger crissement de pneus, presque imperceptible, sur le gravier de l’allée du garage, suivi aussitôt par un bruit de portières se refermant discrètement, j’ai pressenti que quelque chose clochait. On ne se gare pas de cette manière pour rendre une visite de courtoisie aux amis !
Après un rapide coup d’œil à la fenêtre, j’ai compris que mon instinct ne m’avait pas trompée et qu’il n’y avait pas une seconde à perdre puisque, chacun le sait, une voiture munie de gyrophares qui stationne devant votre domicile, présage rarement le meilleur.
En moins de deux, sans même prendre le temps d’enfiler une culotte, j’ai mis mon training, saisi mon GSM et mon portefeuille, et je me suis éclipsée, en empruntant la toiture plate de la chambre arrière, puis l’échelle de secours qui aboutit dans le jardin.
On n’est jamais trop prudent ! Surtout si l’on traîne d’énormes boulets. Cette issue, je l’avais repérée et je me l’étais assurée, il y a quatre mois déjà. Le soir même, en fait, où, Maxime et moi, nous avons couché ensemble pour la première fois.
Ah ! Maxime…
Une semaine déjà.
Bon, si je ne veux pas me retrouver avec une peau complètement gercée, il faut que je me décide à sortir de cette baignoire.
— Mathilde, tu me passes une serviette, ma belle ?
Là, je me marre car elle va râler. Ah ! ma demande va la faire bondir, la Mathilde, j’en suis sûre. Ouais, le cœur sur la main mais soupe au lait comme pas deux, cette nana.
Vu la situation pour le moins biscornue dans laquelle je suis fourrée, l’heure n’est pourtant pas vraiment aux réjouissances, j’en conviens, mais je ressens un tel besoin de décompresser, de me détendre en ce moment…
Oups ! la voilà qui surgit.
— Tu te fous de ma gueule Latifa ? Tu ne peux pas me lâcher deux minutes ? Tu ne pouvais pas prévoir que tu ressortirais obligatoirement mouillée de cette foutue baignoire et qu’il te faudrait ensuite quelque chose pour t’essuyer ? Non mais, et en plus de la serviette, tu ne veux pas, aussi, que je t’essuie le dos et, pendant que j’y suis, que je te fasse un petit massage en prime ?
— Je t’aime, ma Mathilde. Jamais, je n’oublierai tout ce que tu as pu faire pour moi, tu sais, lui dis-je, d’un ton câlin.
— Ouais, ouais. Et puis cache-toi, t’es trop belle avec ta peau ambrée et tes petits nichons en poire. Tu me donnes vraiment envie, tu sais. Ah ! vraiment, quelle idée de craquer pour ce jeunot. Tu n’en avais pas assez bavé avec les mecs ?
— Lui, c’est une autre histoire. C’est encore un gamin, tu sais. Il est tellement sensible, tellement idéaliste, tellement innocent. Et puis il a déjà assez de soucis pour le moment avec sa mère, non ?
— Ouais, bien sûr, mais si tu veux mon avis, et même si tu ne le veux pas, je te le donne quand même, t’es pas claire dans cette histoire. Que tu lui laisses imaginer qu’il est tombé, comme par magie, sur une sainte-nitouche, ce n’est pas fameux, tu sais.
— Oh ! arrête, Mathilde. Tu crois que c’est facile d’avouer, de but en blanc, à quelqu’un que tu aimes, qu’il se trompe du tout au tout sur toi. Qu’en réalité, t’es pas une réfugiée en situation irrégulière, que t’es jamais montée sur un bateau, que t’es pas arrivée ici clandestinement, mais de ton plein gré, aux bras d’un mec qui t’avait monté la tête, qui te baisait divinement trois fois par jour, qui t’avait promis monts et merveilles mais qui, finalement, t’a balancée, comme une chienne, sur le trottoir. Tu crois que c’est facile d’avouer que ta vie n’a rien d’un long fleuve tranquille. Qu’un salaud est à tes trousses. Qu’elle ne te lâchera pas si facilement, cette charogne.
— Évidemment, ma belle, je sais que ce n’est pas facile. T’en as vécu de fameuses galères, tu aspires à te poser. Mais mets-toi à la place de ce pauvre gamin qui voit débarquer les flics chez lui et qui n’y comprend que dalle. Faut qu’il sache, tout de même. Et ce branleur de Renard, tu y as songé ? Faut s’en occuper avant qu’il ne ressurgisse.
— Oui, c’est sûr, tu as raison, Mathilde. Je sais parfaitement que cette situation ne peut plus durer. Je sais qu’il faut que je crève l’abcès, très vite, même au risque que tout s’infecte, irrémédiablement. Demain, je le contacte. Promis, juré !
— Allez, sors de ce bain, ma puce. L’eau doit être glacée maintenant.
— J’y ai droit à ce massage ?

6.   Latifa

Vendredi cinq janvier 2018

— Alors tu te sers de moi depuis le début. Notre aventure, ce n’était rien que du pipeau. J’y croyais pourtant, tu sais, à notre histoire. Je t’aimais comme un fou, moi. Ah ! on peut dire que tu m’as bien entubé. Et merde, dire que depuis quatre mois, je me tape une pute.
Il tremble légèrement. Il a du mal à contenir la rage qui le submerge. Il doit me détester. Il me déteste. Comment pourrais-je lui en vouloir ?
Nous sommes installés, face à face, à une petite table circulaire, près du bar, loin des baies vitrées, dans le coin le plus retiré de la brasserie dans laquelle je lui avais fixé rendez-vous à treize heures. La salle est bondée mais personne ne nous prête attention.
Il a beaucoup de mal à contenir ses larmes. Il est naturellement beau, mais sa détresse le rend magnifique. Je voudrais m’approcher, le toucher, lui exprimer l’amour sincère que j’éprouve pour lui, mais je n’ose bouger. Comment pourrait-il encore supporter le moindre contact physique avec moi après les mensonges que je viens de lui confesser ?
— Maxime, mon amour, je te répète que jamais, je n’ai voulu me servir de toi, lui dis-je, désolée. Souviens-toi du soir où tu m’as rencontrée. J’étais assise, prostrée sur un banc, dans la salle d’attente de la gare. Toi, t’avais passé la journée à Tourcoing et tu venais de rentrer avec le dernier train. Je ne t’ai pas adressé la parole. C’est toi qui, je ne sais toujours pas pour quelle raison, t’es approché de moi et m’as demandé si j’avais besoin de quelque chose. Quand je t’ai entendu, je me suis méfiée et j’ai d’ailleurs failli, avec les dernières forces qui me restaient, t’envoyer sur les roses. Mais quand j’ai levé les yeux vers toi, j’ai vu, tout de suite, que t’étais différent de tous les salauds que j’avais pu côtoyer jusqu’alors.
— T’étais crevée d’avoir trop baisé, en fait, réplique-t-il durement.
— Ne sois pas blessant. C’est toi, finalement, qui as imaginé cette histoire de réfugiée. Et comme je ne réagissais pas trop à tes questions cette nuit-là, tu t’es chargé de fournir toi-même les réponses. T’as tout suggéré, même la traversée jusqu’en Italie et la noyade de mes parents. Je n’ai eu qu’à t’approuver en inventant, au fur et à mesure, quelques détails pour rendre le truc tout à fait crédible. Tu sais Maxime, à ce moment-là, j’ai trouvé ta version de cette séquence de ma vie tellement plus dure, mais tellement plus belle aussi, que celle que j’avais eue à affronter réellement, que je me suis laissé emporter par ton délire.
— Ouais, j’ai été con, mais je m’étais quand même dit que tu t’exprimais rudement bien pour une demandeuse d’asile originaire d’un minuscule village du Haut Atlas.
La colère l’a quitté. Son visage est redevenu serein. Il me fixe, l’air triste, de ses yeux pers, si particuliers, si envoûtants. Je sens l’hésitation le gagner. La partie n’est peut-être pas définitivement perdue. Je me glisse dans la brèche.
— Maxime, lui dis-je, je t’ai menti, d’accord, mais sache que je ne regrette rien car ce mensonge m’a permis de te connaître et de découvrir l’amour, le vrai. Si je t’avais raconté mon histoire, il y a quatre mois, ne me dis pas que tu serais resté une seconde de plus à mes côtés. Tu m’aurais lâchée et oubliée aussitôt.
Il baisse la tête.
— T’as sûrement raison, me répond-il, indécis.
— Maxime, je reprends aussitôt, avant que la faille ne se referme, il n’y a pas de hasard dans la vie. Il n’y a pas plus de quatre mois, à vingt-deux ans, j’ai rencontré, comme par magie, après avoir déjà bien galéré dans ma putain d’existence, un jeune mec de dix-neuf piges, bien sous tous rapports. Et là, lors de cette rencontre particulière, il s’est passé un truc rare : malgré tous les déboires que j’avais pu connaître précédemment avec les hommes, je flashe immédiatement sur lui. Et miracle, lui aussi, il flashe sur moi. Un vrai signe du destin, je te dis, car depuis, lui et moi, nous vivons tous deux sur un petit nuage. Alors, je t’assure qu’aujourd’hui, de mon côté, je ne suis pas prête à le lâcher. S’il veut bien oublier mes dérapages et m’accorder à nouveau sa confiance, sois certain que, jamais, il ne le regrettera.
— Je ne sais sincèrement plus où j’en suis, Latifa, me répond-il. Tu te rends compte aussi bien que moi que tout ce micmac n’est pas facile à avaler. Je t’adore, tu t’en doutes, mais il me faudra, à coup sûr, un certain temps pour digérer.
Puis, après un moment d’hésitation, il ajoute :
— Mais tu as raison, mon amour, nous sommes destinés l’un à l’autre, j’en suis persuadé, moi aussi, et, quoi qu’il ait pu se passer, nos chemins ne se sépareront jamais.
Tout en prononçant ces dernières paroles, il m’a saisi la main et il se met à la caresser tendrement.
Le romantisme de ce mec me sidère !
Et là, à ce moment précis, moi, habituellement si forte, je sens que je vais craquer.
— Bon, il faut que j’y aille, me sort-il alors. J’ai promis à maman de passer la voir.
— Comment va-t-elle ? lui dis-je, penaude.
— Ne t’inquiète pas, elle en viendra à bout de son crabe, répond-il.
Puis il se lève, s’approche de moi, abaisse son visage à hauteur du mien et, malgré le monde qui nous entoure, m’embrasse langoureusement sur la bouche.
Ensuite, il fait mine de s’éloigner mais, après quelques pas, il s’arrête brusquement, tourne les talons, revient vers moi et il me demande :
— Et finalement, qu’est-ce que les flics ont à voir avec toute cette affaire si t’es pas recherchée ?
2
Résumé :

Lorsqu'un adolescent est découvert crucifié sur une plateforme au milieu du lac de Lambecq, les villageois sont consternés. Qui a pu commettre un acte aussi odieux ?
La même nuit, la sœur de la victime disparaît.
A-t-elle été enlevée par l'assassin de son frère ?
La capitaine de police Agnès Demare est envoyée sur place afin de prêter main-forte aux gendarmes. Ses faits et gestes sont relayés sur les réseaux sociaux par Jade, une célèbre influenceuse lilloise.
Pour ces deux femmes que tout oppose, une enquête tentaculaire commence.
La soif de vérité emporte Agnès et Jade dans un tourbillon où la proie n'est pas toujours celle que l'on croit.
Méfiez-vous, la toile diabolique de Gérard Saryan va encore vous prendre au piège !


Mon avis :

Tout d’abord, je tiens à remercier les Éditions Taurnada pour leur confiance, et de m’avoir permis de découvrir ce roman au résumé aussi intriguant qu’attractif.

Pour avoir dévoré le précédent ouvrage de l’auteur, pour les plus curieux, ma chronique ici : Sur un arbre perché, il n’est pas indispensable d’avoir lu le premier pour appréhender et apprécier son petit dernier. Sauf que, comme il s’agit de la suite, vous serez en difficulté pour comprendre aisément les tenants et les aboutissants de cette histoire.

 À Lambecq dans l’Indre, Guillaume, un jeune adolescent de 19 ans est découvert crucifié sur une plateforme au milieu du lac. Comme si cela n’était pas assez, la même nuit, sa sœur Betty, a elle aussi disparu et demeure introuvable.
Que s’est-il passé dans ce village d’apparence tranquille ? Pourquoi se retrouvent t’il soudain être le théâtre d’une bien sordide affaire ?
Ces quelques lignes posées, le ton est donné ; notre curiosité est piquée au vif ; les questions taraudent notre esprit en ébullition.
Où sont-ils passés ? Que leur est-il arrivé ?
La petite a-t-elle fui suite au massacre de son frère ? En a-t-elle été témoin ?
À moins que le meurtrier s’en soit également pris à elle pour la faire taire ? Dans ce cas, pourquoi avoir tué Guillaume, laissé son corps apparent, et n’avoir pas fait de même avec Betty ?
Pourquoi deux enfants innocents sont-ils la proie de cette personne malveillante ?
Le prologue à peine avalé, nous voici plongés, happés, enferrés au cœur d’une intrigue des plus sombres, à la manière d’un puzzle diabolique retors et fascinant, dont les pièces nous échappent et refusent de s’emboîter.
Fraichement débarquée de Dijon après avoir été évincée de son commissariat suite à un cancer, nouvellement divorcée et célibataire avec ses deux enfants, c’est ce que va devoir découvrir la capitaine Agnès Demare, appuyée par les gendarmes assignés à ce dossier épineux. Choses saugrenue, mais directement téléguidé par son supérieur, elle va devoir se coltiner bien malgré elle une influenceuse qui la suivra dans ses moindres faits et gestes. Le but ? Partager le quotidien des enquêteurs sur les réseaux sociaux dans le but de promouvoir les métiers de la police et de la gendarmerie.
Commence alors une enquête des plus complexe pour la jeunes femme et les forces de l’ordre en présence.
Qui est à l’origine de ses exactions ?
Qui a pu commettre un acte aussi odieux au point de vouloir s'en prendre à des jeunes sans défense ?
Surtout qu’on ne peut s’empêcher de faire le lien avec une précédente affaire toujours non élucidée à ce jour, celle de la petite Maëva six ans, disparue elle aussi dans d'étrange circonstances au même endroit, il y a huit ans déjà.
Ces faits sont-ils reliés aux énigmes en cours ?
Très vite, une autre intrigue va interférer la première, la suite du précédent opus où, pour rappel, le serial killer transformiste « La demoiselle », avait été arrêté par Agnès et un de ses collègues il y a quelques années. Après son arrestation, ce dernier  avait tenté de se suicider, et était tombé dans le coma. Aujourd’hui, au bout de trois ans de calvaires pour les familles des victimes, il vient de se réveiller et prétend être amnésique et semble traumatisé par la révélation de ses crimes passés. Vérité, simulation ou mensonges éhontés ? Bien entendu, une telle posture n’est pas vraiment du goût de la partie adverse.
Dans une savante alternance, entre passé/présent, Paris, Orléans et Lambecq, nous allons donc suivre les deux intrigues en parallèle, le procès de ce fameux serial killer et l’enquête en cours, ce, dans un casse-tête des plus obscur.
Alors, y aurait-il un rapport avec ce dernier meurtre ?
Toutes ces affaires sont-elles liées ?
Dans ce récit addictif, protagonistes et lecteurs, tout le monde sera mis à rude épreuve. Des indices, des fausses pistes, des doutes, des retournement de cerveau de toutes natures… il sera difficile de défaire les nœuds de cette affaire sans s’arracher un maximum de cheveux.
Grâce à une écriture tantôt fluide et percutante, tantôt acérée et entraînante, les pages se tournent à toute allure ; nous voulons savoir, connaître la conclusion que nous a concoctée l’écrivain. Il nous faudra cependant rester bien attentif afin de ne pas perdre le fil devant la complexité et la densité des informations distillées. Les chapitres courts et rythmés, avec toujours un point de tension ou un rebondissement en toute fin, renforce le suspense, donnant une sensation d’immersion totale.
Les personnages, quant à eux, sont fort bien travaillés, et servent parfaitement le récit. On s'attache à certains et on en déteste d'autres. L’incursion dans leur vie privée en dehors de l’enquête donne un plus indéniable au récit déjà dense et tentaculaire. De péripéties en péripéties, de révélations en révélations, nous retenons ainsi notre souffle, jusqu’au dénouement final inattendu, en parfait accord avec l’ensemble. Cela augure-t-il d’une suite possible ?
Alors, nos protagonistes arriveront-ils à dénouer tous les fils de cette sordide affaire ?
À vous de le découvrir ;)
De mon côté, vous l’aurez compris, j’ai beaucoup aimé ce roman, qui malgré une construction particulière, a réussi à m’embarquer dans son univers addictif.
Alors, si vous aimez les récits palpitants, à l’intrigue subtile mais retorse, les histoires qui bousculent, ébranlent vos croyances… Foncez, ce thriller est fait pour vous ! Vous passerez un excellent moment de lecture :pouceenhaut:

Ma note :

:etoile: :etoile: :etoile: :etoile: :etoilegrise:



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Espace de discussions / Re : Les phobies
« Dernier message par Apogon le dim. 24/03/2024 à 00:15 »
La pistanthrophobie est la peur de faire confiance aux gens en raison d'expériences passées avec des relations qui ont mal tournées.
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Mise en avant des Auto-édités / Entre-deux de Marjolaine Sloart
« Dernier message par Apogon le jeu. 21/03/2024 à 16:52 »
Entre-deux de Marjolaine Sloart



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Chapitre 1

   Depuis sa terrasse, Frida observe toutes les particules de vie. Vêtue d’une longue robe en satin noir qui met en valeur ses courbes généreuses, elle montre son dos nu. Autour de son cou, un boa de couleur bordeaux s’accorde avec délice avec son rouge à lèvres. Elle porte négligemment son fume-cigare à la bouche tandis que de son autre main, elle ouvre brusquement son éventail. Elle réfléchit à la grande fracture qui a éloigné tous les êtres humains de l’Unité pour les disperser en d’innombrables fragments. Toute songeuse, cette passionnée de peinture s’approche de son chevalet. Pour le moment, elle se consacre à des univers fantastiques. Attirée par la démesure et la folie, elle s’apprête à utiliser des pigments rouges pour exprimer la face infinie de l’existence. Mais lassée tout à coup, elle y renonce provisoirement, car ses idées ne sont pas suffisamment claires. Elle réalise que la discussion qu’elle a eue la veille avec Esteban l’a démoralisée. Il la fatigue avec son esprit cartésien. Pourtant, la soirée s’annonçait de bon augure. Il lui promettait depuis si longtemps d’aller déguster du homard à « L’horizon marin », ce nouveau restaurant qui faisait sensation. Ils s’étaient installés face à l’océan, la température était douce et tout portait à croire qu’ils passeraient un bon moment dans ce lieu branché. Mais une fois de plus, elle était déçue de constater qu’ils ne se comprenaient pas. Leurs avis divergeaient trop souvent. D’un côté, il la trouve rêveuse, la tête dans les nuages, mais de l’autre, il ne tarit pas d’éloges à son sujet. Il lui dit tout le temps qu’elle est son empêcheuse de tourner en rond.
   Ils habitent tous deux en bord de mer. Frida voue une admiration sans bornes à Salvador Dalí. C’est en venant visiter son exposition qu’elle est tombée amoureuse de la région et qu’elle a quitté sans regret sa ville natale. Elle est née à Barcelone, mais vit depuis une dizaine d’années à Llafranc, une petite ville côtière dans la province de Gérone. Esteban, quant à lui, est un enfant du pays qu’elle a rencontré lors du marché dominical où il vendait des légumes. Il a tout de suite tapé dans l’œil de Frida, son charme naturel l’a subjuguée elle ne sait trop comment. Pourtant ce soir, fâchée, elle l’a laissé sur le pas de porte de sa maison.
   Plus elle y réfléchit et plus elle doute de cette relation. Ils sont trop différents. Elle songe à rompre, elle rêve de croiser un être qui la sublimerait et non quelqu’un qui la ramène constamment à hauteur des pâquerettes. Quel sens aura sa vie si elle ne change pas de direction ? Quand elle tente de se propulser dans le futur, si elle est honnête avec elle-même, elle ne s’y voit pas avec son marchand de légumes. Frida s’imagine avec son alter ego et pourquoi pas un être arrivé d’une autre dimension, néanmoins bien ancré ici et maintenant, un homme qui la transporte et qui permet à leurs esprits de fusionner, de ne faire plus qu’un. Étendue sur son lit, elle laisse le sommeil l’emporter dans d’étranges rêves. Demain, elle y verra plus clair.
   Un rayon de soleil vient lui réchauffer le front, elle voudrait le chasser et se rendormir, mais elle doit terminer son dernier tableau qui s’ajoutera à sa collection. Puis elle partira pour quelque temps à Barcelone. Elle doit revoir un galeriste avec qui elle s’est liée alors qu’il était en vacances dans la région. Ils ont sympathisé, elle lui a montré ses toiles et il a tout de suite été convaincu. Selon lui, elle a un immense potentiel. Il a invité toute la haute société de Barcelone ce samedi pour saluer son talent. Frida est moins persuadée que lui, mais elle y va sans appréhension. Quoi qu’il arrive, elle n’a rien à perdre.
   Tandis qu’elle apporte quelques retouches à sa dernière peinture, elle songe à la soirée de la veille. Il est grand temps de quitter Esteban. Tant pis s’il ne comprend pas, elle a pris sa décision parce qu’elle aspire à autre chose. Après avoir nettoyé ses pinceaux, elle saisit son portable et l’appelle. Pas de réponse. Il est sûrement occupé, mieux vaut lui laisser un message :
   — Salut, Esteban, c’est Frida. Je sais que ce n’est pas la meilleure façon de rompre, mais voilà, j’ai fait le point et j’ai réalisé que nous étions trop différents. Je n’arrive pas à me projeter dans notre relation. Plus nous avançons, plus elle devient conflictuelle. Tu dois l’admettre. Je préfère que nous restions des amis et que chacun se donne la possibilité de rencontrer une personne qui lui convienne mieux. C’est tout ce que je désirais te dire. Bonne chance, on se recroisera certainement, tâchons de nous comporter en adulte. Bye…
   Elle raccroche soulagée et elle sourit : j’aurais dû faire cela depuis longtemps, pense-t-elle.
   Tout est empaqueté et chargé dans sa voiture. En début d’après-midi, un camion a emporté toutes les toiles qu’elle exposera à Barcelone. Frida tire la porte de chez elle. Si tout se passe bien, elle sera absente un mois. Elle profitera de son séjour pour voir sa famille et rencontrer quelques amis chers à son cœur. Elle monte dans son véhicule, embraye et démarre en douceur. Elle craint toujours d’écraser « Pépito », le chat de sa voisine qui a la fâcheuse habitude de se cacher sous le moteur. Manifestement, il n’est pas là, elle peut donc accélérer. Ces deux-là, c’est une histoire d’amour, le petit chaton s’installe dans sa maison comme s’il était chez lui et elle le laisse faire. Souvent, il passe la nuit couché sur son lit, mais elle n’en a jamais parlé à sa propriétaire de peur qu’elle ne l’enferme et l’empêche de lui rendre visite. Elle quitte Llafranc et se dirige vers l’autoroute. Son plaisir est un peu gâché par tous les textos et tentatives d’appel d’Esteban. Lui visiblement ne veut pas rompre et il essaie par tous les moyens de la convaincre. Frida reste persuadée qu’elle a pris la bonne décision. Avant de partir, elle lui a envoyé un dernier mot et par dépit, a bloqué son numéro. Elle espère qu’elle a été claire cette fois. De toute façon, il va se faire à l’idée, car il ne la verra pas pendant un moment. Cela devrait le calmer un peu, du moins c’est ce qu’elle espère.
   Après quelques heures de route, elle arrive à destination. Elle a rendez-vous chez une amie qui l’héberge le temps de l’exposition et ensuite elle rejoindra Juan, le galeriste. Il l’attend, ils doivent mettre en place ses œuvres et elle tient à être présente afin de restituer à chaque tableau son âme, car la lumière est très importante. Frida souhaite impressionner les personnes qui visiteront son vernissage vendredi. Rien ne doit être négligé et Juan adhère à sa vision des choses.
   Elle parque son véhicule non loin du magasin et s’y rend à pied, et lorsqu’elle pousse la lourde porte, une sonnerie signale son entrée. Cela ne l’empêche pas de se manifester.
   — Juan, tu es là ?
   Elle entend du bruit au fond de la galerie et s’avance en examinant l’endroit. Elle y voit très bien toutes ses créations, le lieu lui semble parfait. Ses chaussures à talon résonnent à chacun de ses pas, suffisamment pour que l’homme qui se tient dans son modeste bureau vienne à sa rencontre.
   — Frida, comment s’est passée la route, pas trop de circulation ?
   — Non, plutôt tranquille. Mes tableaux sont bien arrivés ?
   — Oui, tout est là-bas.
Il lui montre le fond du local.
   — Bien, alors on commence, je suis impatiente de voir ce que cela donne.
   — OK, en avant toute.
   La galerie est très grande et s’étend sur trois salles. Dans une, se trouve l’exposition d’un autre peintre, lui aussi déniché par Juan. Son vernissage remonte à plus de quinze jours, ces tableaux resteront encore là deux semaines. Dans la pièce attenante, une collection de sculptures est mise en évidence, essentiellement des portraits de femmes africaines, c’est une expo permanente. Dans la dernière salle, Frida présentera ses réalisations. L’endroit est spacieux et lumineux, idéal pour y pendre tous ses œuvres. Après plusieurs heures de labeur, ils sont satisfaits du résultat.
   — OK, tout est disposé, je m’occupe de la réception et je t’attends aux alentours de 16 h, vendredi.
   — D’accord, faisons ainsi. À bientôt, Juan.
   Elle a deux jours d’oisiveté devant elle. Pour commencer, elle compte aller chez ses parents qui résident à côté de Barcelone. Sa mère ne peut plus guère se mouvoir à cause d’un AVC. Elle a perdu la motricité du côté gauche, elle ne se déplace plus qu’en chaise roulante. Son père gère la maison comme il peut avec l’aide de son autre fille qui vit non loin d’eux.
   Ils sont heureux de la revoir après plusieurs mois d’éloignement. Frida est absorbée par son art, au point où elle oublie qu’elle a une famille. Peindre lui prend tout son temps. Lorsqu’elle crée, elle est habitée, elle perd la notion du temps et de l’espace, sa main devient le prolongement de son âme, elle est comme connectée à quelque chose d’invisible, elle entre en transe et en omet de se nourrir. Chaque tableau a une aura cosmique. Elle ne sait pourquoi, mais elle dessine souvent un couple. La femme est blonde avec de longs cheveux, dos à dos avec un homme qui, lui, arbore une crinière brune ainsi qu’une courte barbe. Les deux portent de grands manteaux blancs. Toutes ses œuvres ont quelque chose de mystique.
   Ses parents ont promis de se rendre au vernissage du vendredi. Ils arriveront à l’ouverture, car sa maman se fatigue très vite. Sa sœur les accompagnera avec son mari. Frida se réjouit de leur montrer son travail. Elle les quitte avec regret car c’est toujours bon d’être tous ensemble.

***

   Elle vient de rejoindre Juan, qui l’aide à mettre en place les derniers préparatifs. Deux jeunes femmes sont là pour faire le service. Elles ont réceptionné les amuse-bouche pour l’apéritif offert durant la soirée. D’ici peu, les premiers invités arriveront. Frida est tendue, elle craint que ses tableaux ne plaisent pas. Elle porte une robe rouge qui épouse son corps, sa chevelure retombe harmonieusement sur sa tenue. Elle a mis autour de son cou un collier avec des perles de bois d’olivier, c’est un cadeau qu’elle a reçu d’un ami il y a fort longtemps. Juan la trouve radieuse et la rassure.
   La soirée est bien avancée et elle obtient tant d’éloges qu’elle finit par comprendre que ce qu’elle peint plaît vraiment. Elle a déjà vendu plusieurs toiles et pas à n’importe quel prix. Juan a été intraitable sur ce sujet, il les a estimées à une valeur dont elle n’aurait jamais osé rêver. Elle est en pleine discussion avec un amateur qui lui fait du charme en la complimentant. La galerie est bondée, le bruit est assourdissant, les gens causent fort pour s’entendre. Et là, presque tout s’arrête quand elle aperçoit un individu qui entre dans l’espace telle une apparition. Il marche lentement, sûr de lui et de l’effet qu’il produit. Ses longs cheveux bruns débordent sur ses épaules, une barbe de trois jours encadre un visage d’une réelle beauté, il porte un manteau et est chaussé d’une paire de bottes.
   Elle voit Juan qui s’approche du nouveau visiteur. Ils se font l’accolade comme de vieux amis, ils conversent ensemble et ils se dirigent vers elle. Son cœur fait un soubresaut tellement elle est troublée.
   Juan lui annonce :
   — Frida, laisse-moi te présenter Raul.
Le jeune homme l’observe et lui tend la main.
   — Juan m’a beaucoup parlé de vous, heureux de faire enfin votre connaissance, Frida !
   Subjuguée, elle lui offre sa main, il la porte à sa bouche et l’effleure avec un léger baiser.
   Frida est perturbée. Pour masquer sa gêne, elle lui propose de découvrir ses peintures.
   Tandis qu’elle lui montre ses œuvres picturales, elle le contemple. Sans comprendre pourquoi, elle ressent une étrange sensation de familiarité, un lien profond qui se tisse. La perception est puissante, comme si elle avait enfin trouvé sa place, comme si sa vie s’illuminait en branchant sa prise dans la bonne fiche. Une douce vague de bien-être l’envahit, la berçant tendrement.
   — Vos tableaux sont magnifiques, il faut que je vous montre ceux que je peins. Je ne suis pas aussi doué, c’est juste pour le plaisir, mais vous allez être surprise.
   — Si vous le dites, avec plaisir !
   Raul ne la lâche pas de la soirée, elle ne se plaint pas, au contraire. Les derniers visiteurs ont quitté l’exposition. Ne restent plus que Juan, Raul, les deux extras et Frida. Ils remettent tout en ordre et Juan fait l’inventaire de tout ce qu’elle a vendu. Plus de la moitié de ses tableaux ont trouvé acquéreurs. C’est une belle réussite et en tout cas, cela va renflouer son compte en banque un peu à sec. Frida est ravie. Raul lui propose de la raccompagner. Elle n’a pas le courage de lui dire non, bien que sa voiture ne soit pas loin. Sa tête lui suggère de ralentir, mais son cœur, lui, s’emballe. Elle se laisse guider, elle croit déjà qu’elle peut lui faire entière confiance. C’est comme une évidence, ces choses que les sens savent bien avant que l’esprit ait le temps d’y apporter son analyse. Elle fonctionne ainsi, Frida, au ressenti, et elle se trompe rarement.

Chapitre 2

   L’enfance de Frida s’était déroulée en France. Son père était maçon et travaillait dur sur les chantiers, sa mère faisait des ménages. Les deux étaient arrivés à Menton dans les années 1980 et grâce à un cousin, ils avaient rapidement pris leurs marques. Frida et sa sœur suivirent leur scolarité en français tandis qu’en parallèle elles apprenaient leur langue maternelle, soit l’espagnol, dans une école hispanique. Durant les vacances d’été, elles retournaient à Barcelone où leurs parents avaient un spacieux appartement.
   Frida s’était souvent sentie différente de sa famille. Elle avait des centres d’intérêt distincts, une soif d’exploration et de fantaisie qui n’était pas beaucoup encouragée à la maison. Elle passait des heures à dessiner et à peindre, captivée par la magie de son inventivité. Ses parents étaient fiers de ses créations, mais ne comprenaient pas toujours son besoin de solitude pour les réaliser.
   Elle se souvenait d’avoir ressenti pour la première fois un sentiment de décalage pendant un voyage en Espagne alors qu’elle était enfant. Elle était émerveillée par la beauté et la chaleur de Barcelone, mais elle se sentait étrangère dans son propre clan. Elle parlait parfaitement l’espagnol et avait du mal à s’intéresser aux conversations familiales animées. Elle était heureuse de s’isoler et dès qu’elle pouvait, elle partait arpenter la ville pour explorer l’univers de Gaudí.
   À l’école, Frida était une élève brillante, mais discrète. Elle aimait apprendre de nouvelles choses, mais préférait travailler seule plutôt qu’en groupe. Elle appréciait particulièrement les leçons d’art, où elle pouvait laisser libre cours à sa créativité. Ses croquis étaient souvent remarqués par ses professeurs et ses camarades de classe, mais Frida se sentait parfois gênée par l’attention qu’on lui portait.
   Elle adorait passer du temps dans sa chambre à dessiner ou elle sortait explorer la nature près de chez elle. Elle aimait être entourée des animaux qui la rassuraient et l’inspiraient. Son esprit curieux et imaginatif lui permettait d’inventer des histoires et des personnages fantastiques.
   Frida s’entendait bien avec sa sœur aînée, même si elles étaient très différentes l’une de l’autre. Sa frangine était extravertie et sociable, tandis que Frida était réservée et timide. Elles partageaient néanmoins une passion commune, la danse classique. Toutes les deux suivaient des leçons depuis leur plus tendre enfance.
   La jeune femme était fascinée par l’histoire de l’art et par les grands artistes comme Van Gogh, Monet, Salvador Dalí et Miró. Elle passait des heures à feuilleter des livres sur ce sujet et à visiter des musées, assimilant tout ce qu’elle pouvait sur ces hommes légendaires. Elle s’intéressait particulièrement à Dalí, qui avait vécu à Figueras et y avait construit un musée.
   Malgré sa passion pour les arts, Frida se sentait constamment dépourvue de soutien au sein de son foyer. Ses proches la percevaient toujours comme étant distante, comme si elle était absente de leur monde et existait dans une autre dimension, pour reprendre les termes de sa mère.
   Frida s’efforçait d’expliquer à ses parents son amour incommensurable pour tout ce qui touchait au milieu artistique, son désir ardent de dessiner et de peindre, mais ils semblaient incapables de saisir la profondeur de ses aspirations. À leurs yeux, l’art n’était qu’une voie futile, dépourvue de sérieux professionnel, et ils nourrissaient le souhait que leur fille embrasse une carrière plus stable et conventionnelle.
   En dépit de ces obstacles, Frida refusait de se laisser abattre. Elle persistait dans sa voie, trouvant un refuge dans l’expression de sa créativité. Pour elle, c’était un moyen de s’évader de la dure réalité de sa vie, de la pression écrasante exercée par ses parents pour qu’elle s’engage dans des domaines plus conformistes.
   Pourtant, parfois, la voix de sa mère résonnait dans sa tête et elle doutait de sa passion. Elle se demandait si elle était vraiment assez douée pour réussir dans la peinture. C’était compliqué de ne pas se sentir soutenue et encouragée à la maison, mais heureusement, elle avait trouvé un cercle d’amis et de mentors dans le monde de l’art qui l’appuyaient et la guidaient.
   Sa maman, en particulier, avait beaucoup de peine à comprendre son intérêt pour des choses aussi frivoles. Elle lui rabâchait que pour pouvoir vivre de la peinture, il fallait être connue, que ce métier était un crève-la-faim, et même si elle reconnaissait qu’elle n’avait pas tout à fait tort, Frida poursuivait sa route, happée par un désir bien plus profond que toutes les théories bien huilées de sa mère.
   Malgré tout, Frida l’aimait et elle s’efforçait de chercher à lui prouver qu’elle pouvait prospérer dans sa passion artistique. Elle se souvenait encore de la fierté qu’elle avait ressentie lorsque sa mère avait vu ses dessins exposés pour la première fois et qu’elle avait réalisé que sa fille avait un vrai talent.
   Frida savait que la voie vers la réussite dans le monde des arts était difficile, mais elle était prête à travailler dur pour y arriver. Sa passion inébranlable pour la création la déterminait à poursuivre ses idéaux, malgré les doutes et les pressions de sa famille.
   La jeune femme était de nature rêveuse et la peinture lui permettait de s’évader. Lorsqu’elle peignait, elle entrait dans une forme de transe et plus rien ni personne ne l’atteignait, elle s’échappait par ce biais des tracasseries quotidiennes et que cela plaise ou non à ses parents, son chemin était tout tracé. Quand elle était fatiguée d’entendre les jérémiades de sa famille, elle s’installait dans son atelier, prenait ses pinceaux et se laissait porter par l’inspiration. Elle avait appris à ne pas céder à ses pensées, aux voix négatives qui tentaient de la décourager, elle devait croire en elle-même et poursuivre son propre sentier. Elle avait trouvé sa voie, c’était devenu une passion, et elle était prête à la suivre, où que cela la mène.

Chapitre 3

   Raul avait passé toute son enfance en Galice. Ses géniteurs, au contraire de ceux de Frida, étaient des artistes. Son père effectuait de la ferronnerie d’art, il était très connu dans sa région, mais également à l’étranger où un bon nombre de ses pièces étaient vendues à de riches propriétaires. Sa mère donnait des cours de sculpture et excellait dans ce domaine. Raul avait été élevé par ses grands-parents bien que ses parents fussent très présents dans son existence, mais comme ils œuvraient tous les deux, c’était sa grand-maman qui prenait soin de lui durant leurs absences. Encadré par l’art, très jeune, il s’était intéressé à la création de vitraux et il était parti en Italie suivre un atelier à Murano afin d’apprendre le travail du verre pour enchaîner ensuite avec une école d’art à Rome. Fort de ses diverses expériences, il était rentré chez lui et s’était mis à son compte. Depuis, il vivait de sa passion. Il aimait s’inspirer des plus grands maîtres et dès qu’il le pouvait, il sillonnait l’Espagne.
   Cela faisait un bon moment qu’il souhaitait venir à Barcelone afin de voir les vitraux de la Sagrada Familia, le manque de temps l’en avait empêché. Il désirait les observer dans la basilique, qui était un symbole de l’architecture moderne catalane et le fruit de l’imagination d’Antoni Gaudí.
   Raul fabriquait des vitraux en suivant un processus complexe qui nécessitait des compétences spécialisées. Tout d’abord, il concevait le vitrail en dessinant un croquis ou en recourant à un programme informatique. En second lieu, il choisissait les teintes et segmentait le verre coloré en formes précises avec une scie adaptée ou une machine de découpe. Les morceaux de verre étaient ensuite assemblés en utilisant du ruban de cuivre ou adhésif, puis soudés ensemble. Enfin, le vitrail était nettoyé et des éléments décoratifs pouvaient être ajoutés pour donner de la texture et de la profondeur. Bien que le processus fût long et laborieux, le résultat était une œuvre d’art magnifique et bariolée qui pouvait durer toute une existence. Il avait déjà à son actif plusieurs pièces et les commandes abondaient.
   À ses heures perdues, il peignait des aquarelles en s’inspirant de ses rêves nocturnes. Il avait l’impression de vivre deux vies, aussi intenses l’une que l’autre. Il n’osait parler à personne de ce qu’il expérimentait la nuit. Certainement qu’il passerait pour un fou s’il venait à raconter ses songes diurnes.
   Lorsque Juan lui avait proposé de visiter son exposition en lui expliquant qu’il lui présenterait sa dernière découverte artistique, il n’avait pas hésité vu qu’il était sur place et qu’il avait du temps à tuer. Raul ne s’attendait pas à se retrouver face à une apparition. Il fut troublé, mais n’en montra rien.
   Ce que Frida n’imagine pas, c’est que les nuits de Raul sont peuplées d’étranges songes et que dans ceux-ci, elle est la principale protagoniste. Alors que leur destin les amène à se croiser pour de vrai, Raul ne peut résister à l’attraction magnétique qu’il ressent envers elle. Il se demande si ce qu’il vit est réel ou simplement un rêve éveillé. Il désire tirer tout cela au clair. Peut-être qu’en ayant une franche discussion avec la jeune femme, il en saura plus. Il ne la lâche pas de peur qu’elle s’échappe, l’abandonnant dans un abyssal désarroi. Pendant qu’ils font plus ample connaissance, il la dévore des yeux. Frida en est presque gênée, pourtant elle se laisse envoûter par le charme dévastateur de Raul. Durant toute la soirée, il est son ombre, elle ne peut lui consacrer le temps qu’il mérite, car elle est souvent abordée par de potentiels acheteurs et acheteuses. Ces dernières aiment ce que dégagent ses œuvres et poussent leur mari à l’achat. Elle leur doit une fière chandelle.
   Ils sont là sur le trottoir et Raul lui propose d’aller prendre un dernier verre. La jeune femme devrait refuser, dans le fond, elle le connaît si peu, mais encore une fois, elle dit oui, sans réfléchir.
   Il lui saisit la main et l’entraîne sur une terrasse encore ouverte à cette heure tardive.
   — Que veux-tu boire ?
   — Une sangria, et toi que désires-tu ?
   — La même chose.
   Il passe commande et réclame également quelques tapas. Elle l’étudie, éprouve un grand trouble. Elle ne comprend pas ce qui lui arrive.
   Assis face à face, ils s’observent. Frida finit par détourner le regard, car elle se sent rougir.
   — Frida, d’où vient ce prénom ?
   Il demande cela alors que la serveuse dépose devant eux les boissons bien fraîches et la nourriture.
   — C’est ma mère qui a insisté pour m’appeler de la sorte. Lorsqu’elle était plus jeune, elle correspondait avec une fille qui se nommait ainsi et avec laquelle elle avait une forte connivence. Elles se sont même rencontrées une fois à Paris et puis elles se sont perdues de vue et en son souvenir, elle souhaitait se remémorer son amie à travers moi. C’est bizarre, ne trouves-tu pas ? Je ne suis pas fan de mon prénom, mais ma mère dit que cela veut dire étymologiquement parlant : pouvoir de la paix.
   Frida lui fait une jolie grimace et Raul s’esclaffe.
   — Santé au pouvoir de la paix !
   — Et toi, tu connais la signification de ton prénom ?
   — J’avais cherché une fois, je crois que c’est « loup renommé ».
   — Alors, tu es un prédateur, je devrais peut-être fuir ?
   Elle lui sourit de façon désarmante. Ils le savent tous deux, cette rencontre est la fusion de leur âme. Il n’y a plus d’espace-temps, cela se déroule dans une autre dimension et ce n’est pas peu dire.
   Raul la contemple, il y a tant de choses qui passent dans ses yeux qu’elle en est mal à l’aise.
   — Pourquoi me regardes-tu ainsi ?
   Elle exprime cela en baissant son visage.
   — Il faut que je te montre quelque chose.
   Il saisit son téléphone, cherche dans ses photos et il lui dévoile ses esquisses.
   — J’ai essayé de dessiner ce que je voyais en songes.
   Elle en reste bouche bée.
   — Incroyable ! Comment se fait-il ?
   Elle est empruntée et se tait.   
   — Si je savais… Je n’ai pas la moindre réponse, mis à part que je rêve de toi depuis de nombreuses années et qu’à force, j’ai voulu retenir ce qui subsistait de mes nuits au réveil. J’ai entrepris de les peindre afin d’obtenir ces aquarelles. Et il lui montre des images d’elle, de celle qui le hante depuis longtemps.
   — Il y a certainement une explication, c’est très perturbant.
   Elle sent au fond d’elle qu’elle n’a rien à craindre, cet homme est là pour une bonne raison. Laquelle ? Ni lui ni elle ne le savent, mais ils vont tenter de le découvrir. Quoi qu’il en soit, Frida a mis de côté sa sagesse, elle se laisse envoûter par Raul et dès ce moment-là, elle décide qu’elle le suivra où qu’il aille. Il y a des alliances que l’on ne peut expliquer et celle-là en fait partie.
   Ils se parlent comme s’ils se connaissaient depuis une éternité, elle lui raconte son parcours et lui fait de même. Ils ne voient pas le temps passer et c’est la serveuse qui les sort de leur bulle en réclamant qu’ils paient l’addition.
   Frida n’a aucune hésitation lorsqu’il lui prend la main et l’emmène dans sa chambre d’hôtel. Cela ressemble à un remake d’elle ne sait quoi, mais son cœur bat la chamade, c’est l’hymne à la vie qu’elle ressent dans tout son corps.
   Il y a des connexions que l’on ne vit qu’une fois dans son existence. Elles ne sont pas explicables, car elles viennent d’une dimension qui n’est certainement pas terrestre. Seuls ceux qui l’expérimentent peuvent comprendre ce que sont en train de goûter Frida et Raul. Les mots ne peuvent le relater, cela se passe bien au-delà de ce que la portée humaine à l’habitude d’éprouver. Il faut la traverser pour la saisir, c’est une sorte d’onde amoureuse d’où rien ni personne ne peut les sortir. Ils sont dans leur bulle, un univers entier qui les entoure, laissant sans surprise les gens à leur triste vie. Pourtant Frida et Raul ont l’occasion d’exister dans cette réalité, et par le biais d’un événement tragique, Raul comprendra ce qu’il est censé faire, mais pour l’instant ils ne font qu’un dans cette rencontre unique et merveilleuse.
   Aucun des deux ne songe à parler dans ce moment charnel où ils puisent une énergie hors norme, ils se donnent l’un à l’autre, avides des caresses que leur corps ne cesse de demander. Il n’est pas nécessaire d’expliquer que leur nuit n’en fut pas une, ils ne restèrent allongés que pour mieux se découvrir et c’est seulement à l’aube que leurs corps repus s’endormirent paisiblement.
Après cette soirée, Frida et Raul se sont revus à plusieurs reprises. Ils ont exploré Barcelone ensemble, visitant les musées, les galeries d’art, les clubs de musique. Ils ont bavardé de tout et de rien, de leurs rêves, de leurs peurs, de leurs passés. Les heures s’écoulent alors qu’ils se promènent dans la ville, se tenant la main. Sans un mot, ils communiquent en silence, anticipant leur besoin de manière naturelle.
Frida, chaque jour, découvre cet homme sorti de nulle part. Elle n’en revient pas de vivre une relation aussi parfaite. Elle est surprise d’entrevoir à quel point Raul est prévenant et attentionné, veillant à ce qu’elle soit à l’aise à tout moment.
Ils passent leurs nuits à parler, à rire, à s’embrasser. Frida est étonnée de la facilité avec laquelle elle s’est dévoilée, ne laissant presque aucune zone d’ombre entre eux. Elle se sent bien avec Raul, comme si elle le connaissait depuis toujours. Lorsqu’ils font l’amour, toutes sortes d’émotions les traversent, c’est une fusion inexplicable, passionnée et tendre à la fois. Frida a compris que Raul est l’homme de sa vie.
   Toutefois, le jeune homme croit qu’un bonheur excessif peut être troublant et préjudiciable, et malheureusement, cette appréciation sera renforcée lorsqu’un accident dramatique se produira.
   Cela fait presque trois semaines qu’ils se fréquentent assidument, et bientôt Frida devra rentrer à Llafranc. Raul aussi devra retourner d’où il vient, il doit régler bon nombre d’engagements pris avant sa rencontre avec Frida. Il ne peut s’y soustraire. Dans l’immédiat, le jeune homme doit mettre sa vie sentimentale en parenthèse. Frida, elle, est plus libre, elle devrait pouvoir rapidement le rejoindre. Ils sont tristes à l’idée de se quitter, mais cela ne sera que pour mieux se retrouver.
   Frida, qui pourtant s’était promis de consacrer du temps à sa famille, n’a pas tenu sa parole. Elle s’est laissé emporter par cette relation grandissante et exclusive au détriment des siens. Elle a un peu honte, songeant qu’ils comprendront lorsqu’ils réaliseront à quel point Raul est merveilleux. Ainsi pour se faire pardonner, l’avant-veille, elle a convoqué sa famille, elle s’est sentie obligée de leur présenter son amoureux. Sa mère est un brin fâchée. Dès lors, pour couper court, la jeune femme a convié ses parents, sa sœur et les siens au restaurant, car elle souhaite leur faire rencontrer Raul. Cette soirée s’est révélée tout simplement magique. Le repas exquis, les rires contagieux et même quelques pas de danse sont venus égayer la nuit. Tous sont subjugués par la présence de cet homme exceptionnel. Elle en ressent une satisfaction profonde, une fierté douce et intime.   
   Leur dernière nuit s’écoule, leurs corps enlacés tissant des souvenirs tendres. Le sommeil leur échappe, ils sont avares des ultimes heures qu’ils chérissent, conscients que le temps s’étirera avant leur prochaine rencontre. Les mots se font rares, la mélancolie effleure leur cœur, mais l’espoir de se retrouver bientôt dissipe l’ombre de cette attente.
   — Tu m’appelles dès que tu arrives chez toi ?
   — Oui, je t’enverrai un texto.
   — Ne crains rien, le chemin est court et j’ai l’habitude du trajet.
   Raul la regarde avec tristesse.
   — Je sais, mais je préférerais être là avec toi plutôt que de m’éloigner.
   Elle lui sourit tendrement.
   — Ce n’est qu’une question de temps, nous éprouverons tellement de plaisir à nous retrouver. Cela mérite bien un petit sacrifice, ne penses-tu pas ?
   — Certes !
   Il est devant elle, et il la prend dans ces bras pour un ultime baiser avant qu’elle n’entre dans sa voiture.
   Elle s’installe au volant et démarre l’auto, lui fait un signe de la main et s’engage sur la route qui la ramène chez elle.
   Avant de quitter Barcelone, Raul doit régler encore quelques affaires ; ensuite, il fera comme Frida, grimpera dans son véhicule et partira à l’opposé de son amour. Il a un pincement au cœur, même s’il se sent légèrement ridicule.
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Mise en avant des Auto-édités / Le Fantôme des Innocents de Alexandre Page
« Dernier message par Apogon le jeu. 07/03/2024 à 17:34 »
Le Fantôme des Innocents de Alexandre Page



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-I-

En 1780, une rue en particulier donnait à voir les deux visages de Paris. Peut-être parce qu’elle était l’une des plus anciennes voies de la ville, elle en avait absorbé les contrastes, tournant l’une de ses faces vers la vie, la joie, le bruit et l’animation, et l’autre vers la mort, le chagrin, le silence et la prière. La rue de la Ferronnerie, en effet, se trouvait prise entre ce que Paris avait de plus vivant, puisqu’elle voisinait avec les Halles, dont elle était, pour ainsi dire, une ramification, et de plus funèbre, car le cimetière des Innocents pourléchait l’un de ses flancs. Depuis que Philippe-Auguste avait transféré la foire Saint-Laurent à l’emplacement d’un modeste marché, en 1181, le quartier des Innocents n’avait cessé de se peupler de marchands, de badauds, se transformant en une fourmilière grouillante à l’agitation frénétique. Le carreau des Halles avait fini par devenir trop étroit, serré qu’il était entre la rue de la Tonnellerie et l’actuelle rue Rambuteau, et les commerçants et artisans avaient ouvert leurs échoppes à ses abords. Ainsi étaient nées la rue de la Poterie, la rue de la Friperie, la rue de la Lingerie, la rue de la Ferronnerie, et tant d’autres encore, chaque corporation ayant le désir de s’installer en ces lieux, parfois même, jusqu’au cœur du cimetière des Innocents, si bien que Philippe-Auguste l’avait finalement ceint de murailles pour séparer les morts des vivants. Vaine tentative ! Nulle part ailleurs à Paris la vie et la mort n’étaient si indissociables. Le carreau des Halles des poissonnières criardes était aussi la place du pilori où logeait le bourreau de Paris. Le sang des décollés avait arrosé cette place des siècles durant, et les Parisiens avaient applaudi ici le démembrement du traître Colinet de Pisex en 1411. Parce que son convoi se trouvait à l’arrêt, piégé rue de la Ferronnerie par la cohue régnante, Henri IV avait reçu à la poitrine et à la gorge le poignard assassin de Ravaillac. Lorsque ce n’étaient pas les convois royaux qui s’attardaient en ces lieux, il s’agissait des convois funèbres qui participaient quotidiennement au tohu-bohu du quartier. Même la volonté d’un monarque ne pouvait séparer les vivants des morts, et à l’ombre des charniers emplis d’ossements qui servaient de clôture au cimetière des Innocents, s’étendaient des boutiques et des échoppes. Comme un rappel de la fragilité de l’existence et de la fugacité des plaisirs temporels, toutes les élégantes de Paris venaient chercher leurs toilettes et leurs parfums dans ces commerces dédiés à l’apparat féminin guettées par deux-cent-mille orbites creuses. Cependant, les morts n’étaient pas seuls à épier, et beaucoup d’orbites pleines faisaient de même !
Preuve de l’attirance des contraires, tandis que derrière les murs noirs du cimetière pourrissaient les chairs, blanchissaient les os, que leurs relents méphitiques constituaient une chape brumeuse constante au-dessus des rues avoisinantes, sur le pavé, allant et venant dans un ballet continu, trottinaient les filles les plus vivantes de Paris. Évidemment, il y avait les nobles dames, mais plus que ces dernières, rêves inatteignables lorsqu’elles présentaient quelques intérêts, les coursières et les boutiquières de mode retenaient l’attention. On venait s’habiller rue de la Ferronnerie, les hommes comme les femmes, mais les femmes surtout, et pour servir ces dames, il y avait des demoiselles, les « trottins de Paris ». Elles se caractérisaient par leurs charmes, leur bon goût, les parfums suaves qu’elles exhalaient dans leurs courses après s’être échappées des boutiques imprégnées d’odeurs de musc et de violette. Beaucoup de ces trottins n’aspiraient qu’à devenir, à l’image de leurs aînées, Madame du Barry et Louise O’Murphy, favorites royales, ou du moins, la préférée d’un homme riche et puissant. Par chance, il y en avait beaucoup rue de la Ferronnerie. Ils conduisaient volontiers leurs épouses dans les magasins de mode locaux dans le but de lorgner à loisir leurs futures maîtresses. Les « trottins » étaient des filles aussi belles et éphémères que les papillons, car elles finissaient très vite par rejoindre un des luxueux lupanars du quartier dissimulés derrière une fausse enseigne, ou pour les plus chanceuses, le confort d’un hôtel particulier entretenu aux frais de leur amant.
Eusèbe Finet avait constaté la nature fugitive des trottins depuis qu’il demeurait rue de la Ferronnerie, et ce n’était pas de long temps. En moins d’un mois, il avait assisté à un renouvellement presque entier de la population des coursières de mode, et parmi celles qui battaient le pavé aux premiers jours de son emménagement, il s’en trouvait maintenant qui descendaient des carrosses armoriés formant file le long de la rue. En voyant cela, il soupirait parfois de ne pas être né femme, de ne pas être né avec les mêmes atours et moins encore avec les mœurs légères de ces papillons gracieux qui leur ouvraient si facilement les portes du confort matériel et des milieux les plus influents. Ce spectacle lui avait déjà inspiré ces vers :

À la mignonne, les plaisirs et la fortune,
Et les joies de Cythère pour seule coutume ;
Au poète, la faim et la paille opportune,
Et les lointains lauriers d’une gloire posthume.

Eusèbe Finet, en effet, était poète, du moins aspirait-il à l’être en un temps où la poésie ne faisait plus recette. En France, en 1780, on ne versifiait plus que pour le théâtre et la politique, et Eusèbe Finet, lui, était en quelque sorte un préromantique. Il faisait dans l’ode et l’élégie. Il lui fallait des émotions, des sentiments, idéalement sous forme de tempêtes et de cataclysmes. À défaut, voir les coursières en bas de la rue suscitait chez lui une mélancolie inspirante, car leur joliesse contrastait vivement avec la tristesse de sa situation. Finet était un jeune homme d’une fringante vingtaine à qui aurait magnifiquement convenu les brocarts et les soieries mouchetées que l’on faisait alors pour les costumes des notables. Il avait une belle silhouette, le mollet souple, des cheveux longs et bruns, soyeux mais un peu flottants, ce qui lui donnait des airs troubadours lorsqu’ils s’échappaient de la queue de cheval qu’il nouait sur sa nuque. Il n’était pas peu fier de cette chevelure, mais il aurait aimé un postiche bourgeois et faire déborder de son chapeau à la suisse un chapelet de boucles blanches poudrées à la manière des gens d’importance. Mais de brocarts, de soieries, de postiches, il n’en voyait que dans la rue, car lui n’avait rien de tout cela dans sa chambrette sous le comble. Il portait des vêtements bien taillés, un frac ajusté, mais ils étaient de laine et n’arboraient pas de ces beaux boutons précieux laissant deviner la bourse chargée de leur propriétaire. Toutefois, avec cette garde-robe, Finet paraissait encore riche par rapport au mobilier bancroche qui l’environnait. Un buffet bas, un poêle, deux chaises, une table, un lit, les ustensiles de première nécessité, c’était là à peu près tout ce que renfermait la chambrette qu’éclairait une mesquine fenestrelle. Ce mobilier n’était même pas celui de Finet ; il n’était pas chez lui. Il louait au mois ces modestes appartements, dont il s’accommodait pour l’heure, puisqu’il espérait bien ne pas y demeurer trop longtemps. Eusèbe Finet, en effet, avait de grandes aspirations, et dans l’attente de les toucher du doigt, il s’était installé dans les environs du cimetière des Innocents pour se livrer à la seule activité qui permettait aux auteurs sans le sou de survivre avant l’avènement du journalisme : l’écriture publique.

-II-

Eusèbe Finet n’était pas né pauvre, et si dans sa jeunesse une diseuse de bonne aventure avait osé lui prédire qu’il vivrait un jour dans une misérable cambuse, il lui aurait probablement ri au nez, assuré qu’elle se moquait de lui. Moins d’un an avant son emménagement rue de la Ferronnerie, Finet était encore étudiant en droit à l’université de Paris, et sans doute serait-il devenu avocat ou notaire en persistant dans cette voie que désirait lui voir emprunter son père, un riche fermier d’Étampes. Ce père avait nourri de grandes ambitions pour son fils à l’intelligence prometteuse, et dans un premier temps, Eusèbe Finet avait accepté de suivre ses études sans renâcler, obtenant même d’honorables résultats grâce à son esprit vif et clair. Toutefois, un grain de sable avait fini par gripper le rouage. Il tenait tout entier dans l’influence corruptrice de l’atmosphère parisienne sur une nature impressionnable et rêveuse. En arrivant à Paris, le jeune homme avait d’abord mené une existence studieuse, loin des divertissements et du bruit de la capitale, puis, petit à petit, prenant ses aises, il avait fait des rencontres, était allé au théâtre, s’était enivré avec des poètes, avait partagé un billard avec des prosateurs, s’était mis lui-même à griffonner des vers, se découvrant un talent insoupçonné. Il avait commencé à les souffler aux oreilles des demoiselles, constatant qu’ils n’étaient pas sans effet sur leurs bonnes grâces, et de découverte en découverte, il avait fini par se dire qu’il était plus agréable d’écrire de la poésie pour capturer l’attention des dames, que de constituer des actes administratifs pour de vieilles badernes. Il n’avait donc pas tardé à mettre un terme à ses études, annonçant sa décision à son père par une lettre aux airs de plaidoirie. Il y exprimait également sa volonté de devenir « maître poète », insistant sur le mot « maître » qu’il espérait suffisant pour compenser tout ce que contenait de dilettante et de marginal celui de « poète ». Comme preuves de son sérieux, il avait adjoint à sa longue épître quelques-unes de ses premières œuvres, sans recevoir toutefois l’attention escomptée. En retour, son père lui avait intimé l’ordre de poursuivre ses études de droit, expliquant que dans le cas contraire, il le priverait de l’argent dont il le gratifiait. Finet avait hésité un instant. Il avait une belle chambre à Paris, il n’avait pas à se soucier de son manger et pouvait même se consacrer à de coûteux loisirs. Perdre le soutien paternel, c’était perdre ce confort, mais ainsi que la jeunesse en général, Finet ne soupçonnait pas les difficultés à vivre ses rêves. Il s’imaginait réussir très vite à placer ses poèmes, à être remarqué par un généreux mécène. Il ne voyait pas d’obstacle majeur à son choix de vie, puisqu’il se savait un grand talent. C’était précisément parce qu’il avait une très haute estime de son talent qu’il ne se comparait pas aux poètes de ses relations qui lui confiaient leurs misères. Fort de ses certitudes, Finet avait accepté le marché de son père, renonçant à la fois à ses études de droit et à sa rente d’étudiant. Limitant ses dépenses, consacrant ses jours et souvent ses nuits à composer des vers, ciselant un sublime sonnet destiné aux colonnes du Mercure de France, la première des revues littéraires du pays, lue par tout ce qu’il y avait de plus cultivé et distingué dans la belle société des Lumières, il n’avait pas supposé devoir attendre la gloire plus longtemps que la réponse du rédacteur en chef de la noble gazette. Pourtant, la réponse du rédacteur en chef, qui était alors Jean-François de la Harpe, lui avait signifié un refus. Désarçonné par cette réponse imprévue, Finet ne s’était pas laissé abattre, et il avait écrit un autre poème, refusé également. Prenant conscience de viser trop haut, il en avait envoyé à quelques éditeurs de moindre envergure, sans davantage de succès. Ces échecs eurent le mérite de faire comprendre à Finet que personne ne voulait de poésie, tout du moins, de sa poésie passionnée qui, pour plaire aux dames, ne seyait pas aux classes sociales élevées qui n’aspiraient qu’à la philosophie, aux débats théologiques et politiques, aux réflexions intellectuelles et métaphysiques, sujets qu’il s’interdisait d’aborder, tant ils lui semblaient contraires à la spontanéité émotionnelle de la poésie. En faisant ce constat, Finet avait plongé dans la mélancolie, gagné par le sentiment que chez les gens dont il réclamait l’attention, apprécier une ode lyrique et avouer l’apprécier revenait à paraître futile en société, et même un peu bête.
À défaut de manifeste politique ou de traité philosophique, il avait alors entrepris la composition d’une tragédie théâtrale en vers, mais après plus d’un mois de travail, le premier acte tardait à être achevé, et le peu qu’il avait écrit sonnait à ses oreilles comme son œuvre la plus médiocre. Ne le supportant plus, il l’avait déchiré, déterminé à le refaire, mais à ce moment, plongeant le nez dans sa bourse, il l’avait trouvée vidée de moitié. Par souci d’économie, il avait déménagé une première fois pour une chambre plus modeste, dans un quartier moins coûteux, à un étage moins noble, rabotant son train de vie sans toutefois gagner en inspiration. À cet instant, il aurait pu écrire à son père, lui demander pardon et tenter de recouvrer son statut d’antan, mais Eusèbe Finet avait déjà perdu beaucoup trop de sa fierté en constatant qu’il se retrouvait dans la situation des poètes qu’il avait moqués pour se délester du peu qu’il lui restait. Aussi, en réunissant ses dernières économies, il avait fini par louer la chambrette misérable qu’il occupait de fraîche date au quatrième étage, sous le comble d’un vieil immeuble étroit de la rue de la Ferronnerie.
Le hasard ne l’avait pas fait échouer ici, aux abords du cimetière des Innocents. Il lui fallait de l’argent pour payer son logeur, sa nourriture, et surtout, de quoi écrire. Il ne lui était plus possible de consacrer sa plume seulement à la quête d’une gloire hypothétique. Puisque ses dernières économies avaient filé, il devait maintenant employer ses talents pour subvenir à ses besoins immédiats. Le quartier des Innocents s’avérait idéal pour cela, étant, depuis des siècles, celui des écrivains publics de Paris, si bien que l’on donnait généralement à ceux qui exerçaient cette activité, le surnom de « secrétaires des Innocents ». Il se trouvait même, sur le côté ouest du cimetière, un « charnier des écrivains », non parce que dédié aux trépassés de la profession, mais parce que les arcades qui le soutenaient abritaient sous elles une succession de petites échoppes d’écrivains publics. Cette activité, Finet n’avait jamais imaginé la pratiquer un jour, car elle était à ses yeux ce que le peintre d’enseignes est au maître peintre, ou le ferblantier à l’orfèvre. Il ne voyait rien dans ce métier qui touchât à l’âme, au spirituel, comme le grand art se doit de le faire, mais seulement la réponse à des besoins temporels et communs auxquels il ne désirait pas consacrer ses pimpantes années de jeunesse. Cependant, il en était arrivé à un point où il ne pouvait faire autrement, et tout en détestant les besoins temporels, il était encore trop humain pour faire pleinement abstraction des siens. La soupe, le pain, le mauvais papier et l’encre dont il le couvrait, tout cela ne tombait pas du ciel. Aussi, il s’était résolu à devenir, un temps et uniquement une partie de ses journées, écrivain public, en ayant l’assurance que ce métier le répugnerait tant qu’il lui donnerait le coup de fouet nécessaire à la réalisation de la grande œuvre qui le tirerait rapidement de ce cul-de-sac. Il en était convaincu, s’il n’avait pas réussi jusqu’alors, ce n’était pas par manque de talent, mais parce qu’en vivant sur les rentes paternelles, il s’était montré trop oisif, n’avait pas puisé, au fond de lui, toutes les ressources qu’il pouvait déployer. Aussi, mettant un peu plus sa fierté de côté, après avoir loué sa chambrette, il avait installé son échoppe près de l’entrée sud-est du cimetière des Innocents, à l’angle que formaient alors la rue Saint-Denis et la rue de la Ferronnerie.

-III-

Échoppe, c’était le terme couramment employé pour désigner les boutiques des écrivains publics, mais il était surtout question de baraques, de guérites, voire de simples étals montés parfois en une seule journée et démontables à loisir pour être remontés à un autre endroit, lorsque le propriétaire du mur contre lequel ils s’appuyaient ne tolérait plus leur présence. L’activité d’écrivain public avait cela de séduisant qu’elle nécessitait peu de matériel et moins encore l’adhésion à une corporation professionnelle, puisque le métier n’était pas réglementé, et même considéré, avec dédain, comme une industrie buissonnière. Ainsi, n’importe qui ayant appris à lire et à écrire pouvait s’improviser écrivain public et mettre ses services au profit du petit peuple illettré, de plus en plus égaré dans un siècle qui avait imposé de façon croissante le document administratif dans tous les aspects de la vie. La seule contrainte de la profession était d’occuper un endroit passant, au plus près des foires et des rues commerçantes, près des églises et des lieux de pouvoir, là où ne la jugeait point trop parasite. Le cimetière des Innocents s’avérait parfait, puisqu’au cœur du quartier des Halles, ses murs sombres et suintants n’étaient réclamés par personne. Finet avait fait le tour du cimetière à la recherche d’un emplacement intéressant, et il avait fini par le trouver dans le voisinage d’une entrée secondaire du sinistre lieu, constatant, après plusieurs passages, qu’une cabane restait toujours vide. Constituée grossièrement de planches et de toiles peintes et tendues, elle formait comme une loge avec un comptoir donnant directement sur la rue. Au-dessus de ce comptoir, une enseigne avait été clouée, mais elle avait été retirée. Seules les marques des clous témoignaient de sa présence passée. Finet avait compris que son propriétaire l’avait abandonnée. C’était chose fréquente, lorsque l’écrivain public obtenait finalement un poste de secrétaire, d’archiviste dans une institution, ou encore, lorsqu’en grimpant le cursus honorum de la profession, il devenait le scribe attitré de quelques ministères ou tribunaux et travaillait en chambre. Finet avait donc pris possession des lieux, installé à côté de deux confrères et rivaux qui virent sa venue avec des yeux suspicieux et inquiets. Il peignit et cloua lui-même l’enseigne de sa boutique, sobrement nommée : « Eusèbe Finet – écrivain en tout – ».
Être voisin du cimetière des Innocents n’avait rien d’agréable. Le mur de pierre qui fermait l’un des côtés de la cabane était humide, moussu, et puisqu’elle se trouvait près d’une entrée, des courants d’air glaciaux portaient continuellement les effluves morbides qui émanaient du cimetière. Souvent, un sifflement sinistre se faisait entendre, agaçant et inquiétant. Il s’élevait des charniers, lorsque le vent soufflait dans les montagnes d’ossements qu’ils renfermaient. Les fossoyeurs mettaient dans ces immenses greniers les squelettes exhumés de terre pour faire la place nécessaire aux nouvelles inhumations. 
En dépit de l’inconfort de l’emplacement, Finet s’estimait chanceux d’avoir une place à cet endroit, car il était passant, et il n’y avait pas besoin de faire beaucoup d’efforts pour recevoir ses premiers clients. Il eut rapidement l’occasion de le constater. Du reste, peut-être que son physique avenant l’aida dans son prompt succès, puisque la plupart de ceux qui sollicitaient les écrivains publics étaient des solliciteuses. En effet, les travaux dont s’occupaient les écrivains publics relevaient surtout de la responsabilité des dames. Lettres de bonnes fêtes, lettres de bons vœux, billets d’invitation étaient leur apanage, et même quand il était question d’affaires masculines, leurs maris, parce qu’ils ne savaient pas écrire ou ignoraient les formules appropriées, les envoyaient souvent auprès de l’écrivain public pour qu’il rédigeât les réclamations diverses que le petit peuple, en ce temps, adressait massivement au souverain, à ses ministres et à tous les représentants du pouvoir. La rédaction de placets constituait la majeure partie de l’activité de l’écrivain public, car pour tous ses infimes ou grands malheurs, et il y en avait beaucoup, la population quémandait de l’aide au gouvernement. Ainsi, Finet, comme un prêtre, écoutait la clientèle qui se confiait à lui, qui lui racontait ses infortunes, ses difficultés, lesquelles relevaient quelquefois de la simple broutille avec un voisin qu’un solliciteur voulait voir réglée par le roi en personne, et d’autres fois du drame le plus noir, lorsqu’il s’agissait de demander de l’argent pour une maison incendiée ou suite à une invalidité qui plongeait tout un foyer dans la détresse. Finet en entendait de toutes sortes et avait parfois le sentiment d’écrire de drôles de choses. Il en lisait également, car si ces placets recevaient miraculeusement une réponse, on s’empressait de venir le voir pour qu’il pût en faire lecture. Si la réponse était favorable, on le remerciait, on le félicitait, on lui promettait de prier pour lui, il arrivait même qu’on lui donnât un pourboire. Lorsqu’elle était défavorable, et c’était plus fréquemment le cas, on l’accablait d’injures, on l’accusait d’avoir mal rédigé le placet, on tirait sur le messager, et suivant une habitude rapidement adoptée, Finet adjoignit au matériel d’écriture qu’il portait avec lui chaque matin à sa loge un coutelas à sa ceinture pour se prémunir des situations les plus dangereuses.
Une autre part importante de son activité tenait aux lettres d’amour qu’on lui dictait ou qu’on lui demandait de composer en suivant quelques indications. Là aussi, la plupart de ses clients étaient des clientes, généralement des servantes et coursières de mode du quartier qui lui racontaient leurs amourettes et lui faisaient lire, en certaines occasions, les lettres qu’elles avaient elles-mêmes reçues et qui n’étaient pas toutes rédigées d’une écriture approximative. Il se trouvait nombre d’histoires adultères, de secrets inavouables et de récits pornocrates dans toute la correspondance que ses clientes lui confiaient sans retenue, mais si une règle régissait à peu près la profession d’écrivain public, c’était bien celle du devoir de discrétion.
Écrire des lettres d’amour n’était pas la part la plus désagréable du métier pour Finet qui, à l’inverse de ses rivaux, pour l’essentiel d’anciens marchands ruinés, des professeurs en manque de chaire ou des étudiants sans le sou, se sentait moins à l’aise avec l’écriture administrative que celle des sentiments. En écrivant ces lettres, il avait l’impression de ciseler son style et il abordait l’exercice avec sérieux, même lorsqu’il n’était payé que cinq sous. Cependant, il ne perdait pas de vue sa véritable vocation. Il n’avait aucunement l’envie de demeurer dans la rue toute sa carrière durant en bradant son talent pour payer sa soupe et son pain, et s’il trouvait pittoresque la vie des petites gens, il aspirait plutôt à passer du temps dans de beaux salons, auprès d’aristocrates spirituels en mesure d’apprécier vraiment ses textes. Il en rêvait et se languissait d’attendre, sentant que dans l’humidité et le froid de la rue, entre les murs nus et moisis d’une méchante chambrette, à manger mal une soupe trop claire et un pain trop noir, on vieillissait plus vite que nulle part ailleurs.
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Mise en avant des Auto-édités / Des mots d'amour pliés en deux de Laurie Heyme
« Dernier message par Apogon le jeu. 22/02/2024 à 17:14 »
Des mots d'amour pliés en deux de Laurie Heyme



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Roman

À mes sœurs,
Les piliers de ma vie.

À Iliana et Noémie,
À cette relation que vous avez su construire.

« Le papillon. Ce billet doux plié en deux cherche une adresse de fleur. »
Jules Renard.


Prologue


Toutes les trois assises en tailleur, elles admirent la falaise d’Aval éclairée par la pleine lune. Il fait un temps à décorner les bœufs, les bourrasques qui balaient l’herbe haute les pousseraient presque à s’envoler. C’est à peine si elles arrivent à s’entendre, et leurs hurlements se perdent dans les rouleaux que la mer emporte contre les rochers.
Selon l’endroit où elles se placent, les parois ont un profil différent et racontent une autre histoire. Combien de fois leur a-t-il dit de faire de même dans la vie, d’apprendre à changer de point de vue pour mieux appréhender une situation difficile ?
C’est ce que les sœurs Verdier essayent de faire au beau milieu de la nuit, trouver une issue, une sortie, une solution à leurs ennuis. Les mots de leur grand-père volent avec le vent jusqu’à leurs oreilles. Il murmure d’ouvrir grand les yeux et de laisser le fond du cœur les guider. Pas facile quand ce dernier est grillé d’avoir trop donné, trop aimé, trop excusé.
Leur existence s’apparente à la météo de cette nuit de mars, une tempête inattendue, un cataclysme soudain, un cyclone passé incognito au contrôle radar. Et pourtant, il faut faire face. Elles étaient seules à la barre de chacun de leur bateau, mais ce farceur de Marius avait sans doute prévu qu’une telle chose arriverait. Il connaissait bien ses petites chipies, il en avait arpenté des sentiers par ici avec chacune d’entre elles. Il devait pressentir qu’elles emprunteraient toutes des chemins éloignés et qu’il faudrait y remédier.
Les falaises sont le miroir de ce qu’elles doivent franchir, ce grand saut dans le vide, cette avancée dans l’inconnu, cette peur du lendemain. Et puis il y a cette route qui se profile, celle qu’on n’a pas imaginée, celle qui pourrait être mieux.
Jusqu’à maintenant, aucune n’a songé à traverser ça ensemble, main dans la main. Adèle a toujours prié pour que ça arrive un jour. Elle n’a sans doute pas souhaité leur malheur pour voir se dessiner la sororité de ses filles. Elle n’a sûrement pas voulu le sien.
Le sable se met à virevolter, fouettant leurs visages. Gommage garanti. Il s’engouffre dans leurs narines, dans leur bouche, et se glisse dans leurs cheveux. Au loin, le ciel est sombre et clair à la fois. Des éclairs dansent au beau milieu de ce spectacle en noir et blanc, offrant l’opportunité au tonnerre de s’annoncer. Un, deux, trois. Elles comptent jusqu’à dix après la dernière étincelle, avant d’entendre un grand fracas et de sentir la pluie s’abattre sur elles comme de fines lames.
Quelques papillons blancs tachetés d’orange volent à leurs côtés, cherchant un abri eux aussi. Les aurores, papillons annonciateurs de printemps, symboles du recommencement. Par un battement d’ailes, ils marquent le début d’un nouveau cycle.
Le thermomètre peine à grimper, ces derniers jours, l’humidité mêlée à la fraîcheur nocturne les obligent à battre en retraite. Les trois sœurs ne sont pas assez couvertes pour faire face au déchaînement des éléments. Elles se lèvent dans un grand éclat de rire, se prennent la main et se mettent à courir à toute vitesse. L’une se prend les pieds dans un caillou, tandis qu’une autre trébuche sur une branche sortie de terre. Elles s’effondrent sur le sol, sans cesser de glousser.
Adèle fulminerait de les voir trempées jusqu’aux os. Et puis non, Adèle ne dirait rien. Car elle se réjouirait de les découvrir unies, enfin. Mais à quel prix ?



Partie 1
L’œuf


Chapitre 1
Iris

« C’est étrange, elle cherche toujours à s’échapper d’une cage dont elle seule a la clef. »
(Candice Bellini)



C’est un matin ordinaire, un matin comme tous les autres. Le même train-train se met en route au démarrage de la journée, les mêmes habitudes, le même petit déjeuner, le même empressement au vu de l’heure qui tourne, et puis les mêmes phrases.
« Thao, arrête de rêvasser, Thao, mange ta tartine, Thao, fais attention, tu mets de la brioche partout, Thao, va te brosser les dents, Thao, dépêche-toi un peu, on va être en retard. »
Iris active le pilote automatique dès l’instant où elle appuie sur le bouton du réveil afin de l’éteindre. Il est rare qu’elle le laisse hurler très longtemps. En général, à peine la sonnerie a-t-elle retenti que ses yeux s’ouvrent sans peine, comme si elle n’avait pas dormi du tout.
Elle soulève la couette, s’assoit et pose le pied droit sur le sol. C’est un réflexe, une sorte de superstition ancrée en elle. Ne jamais commencer la journée du pied gauche ! Après avoir fait son lit au carré, tiré les rideaux et ouvert les volets, elle file se préparer avant de réveiller son fils, âgé de sept ans.
Depuis qu’il est entré dans sa vie, tout est encore plus millimétré. Iris le récupère chaque midi et à toutes les sorties d’école. Son quotidien tourne autour de lui, de son mari et de sa maison. Elle s’octroie tout de même des séances de yoga plusieurs fois par semaine, mais seulement si son intérieur est nettoyé et rangé. Elle astique jusqu’à ce que ça brille.
Elle ne sait pas vraiment d’où lui vient ce besoin viscéral de propreté, elle n’a pas toujours été maniaque ; d’ailleurs, personne dans sa famille ne l’est, ni ses parents ni ses sœurs. Ce serait même plutôt le contraire, un joyeux bazar perpétuel.
Bizarrement, la satisfaction de voir son home sweet home rutilant est toujours de courte durée. S’ensuit un immense sentiment de vide, aussitôt interrompu par la remise en route du pilote automatique. Il lui permet de ne pas réfléchir à sa vie et à ce qu’elle en fait, car Iris n’a pas spécialement aspiré à cette routine bien huilée.
Avant de rencontrer David, son mari, elle avait des rêves plein la tête et des ambitions démesurées. Mais allez savoir pourquoi, l’amour a tout balayé d’un coup, sans vraiment être une béquille quand elle en a éprouvé le besoin. Elle n’a pas vu venir le piège de cette vie rangée se refermer sur elle. Désormais, elle préfère afficher un bonheur lisse et parfait en apparence plutôt que montrer les failles et les fissures créées par ses multiples regrets.

***

Il est 8 h 45 quand elle franchit le seuil de la maison, se considérant déjà très en retard sur le programme qu’elle s’est fixé. Elle a été retenue par la maman d’un des camarades de Thao devant la grille de l’école, celle-ci lui proposant d’aller boire un café pour faire plus ample connaissance. Iris a décliné, prétextant un rendez-vous médical dans l’heure, alors que c’est avec ses chiffons et son plumeau qu’elle a rancard. Nous sommes lundi et, après un week-end mouvementé, la maison est sens dessus dessous. David a organisé un barbecue ce dimanche avec des amis et des collègues, ça a duré jusqu’à pas d’heure. Exit le sport pour ce matin, il faut qu’elle s’attelle au rangement de la cuisine et de la terrasse, avant d’aller récupérer sa progéniture dans quelques heures.
Mais avant toute chose, la vue du panier à linge qui déborde la hérisse. Elle compte bien profiter des températures clémentes annoncées aujourd’hui pour tout faire sécher à l’extérieur. Elle se dirige vers la buanderie pour laver en priorité les affaires de travail de son mari. Comme chaque fois, elle met du détachant sur le col de ses polos qu’elle tourne ensuite sur l’envers. Elle fait de même avec les pantalons, tout en prenant soin de vider leurs poches. Il a le don de toujours laisser traîner des pièces de monnaie à l’intérieur, ce qui provoque un bruit du tonnerre une fois la machine en route. Minutieusement, celles de devant sont vérifiées, sans oublier celles de derrière.
Cette fois, ce n’est pas de l’argent qu’Iris trouve, mais de nombreux tickets de caisse, le genre de papiers qui finissent déchiquetés sur tous les vêtements si on oublie de les retirer. Elle les pose sur l’étagère entre la lessive et l’adoucissant, lance le programme à 30 °C, s’apprête à les jeter, se ravise, les déplie sans regarder ce qui est écrit, puis les replie tels qu’elle les a trouvés.
Finalement, entre deux battements accélérés du cœur, elle décide de les placer négligemment sur la console de l’entrée. David s’en occupera en rentrant, elle verra bien ce qu’il en fait. Elle remet l’autoguidage en route, pour ne surtout pas penser à ce qu’ils contiennent, et pour calmer ses nerfs qui s’agitent sans discontinuer.

***

Ce soir-là, le chef de famille rentre bien plus tard que d’habitude. Il jette ses bottes pleines de terre devant l’étagère à chaussures, prétextant avoir été retenu sur un chantier. Il s’excuse vaguement de ne pas l’avoir prévenue et l’embrasse du bout des lèvres.
— J’ai passé une de ces journées, je suis crevé ! Je monte me changer. C’est bientôt prêt ? Je meurs de faim, dit-il en arrachant un énorme morceau de la baguette de pain posée sur l’îlot central.
Iris regarde les miettes se disperser et l’observe discrètement déposer ses clés dans le vide-poches. L’oignon qu’elle est en train d’émincer passe le plus mauvais quart d’heure de sa vie sous la lame tranchante de son couteau. David marque un temps d’arrêt devant la liasse de tickets, tout en continuant à semer des particules de pain le long de son chemin. Il introduit dans sa bouche le dernier bout restant et les ouvre sans un bruit, puis les glisse dans la poche de sa veste accrochée à la patère de l’entrée. Il se retourne, lui sourit, comme si ce moment n’avait pas existé, et monte les escaliers d’un pas lourd. Elle le devine pénétrer dans la chambre de Thao et parvient à entendre le rire de leur fils céder sous les chatouilles de son père.
Pendant ce laps de temps, la veste de son mari lui fait de l’œil, les chaussures pleines de terre aussi, les miettes de pain n’en parlons pas. C’est plus qu’elle ne peut supporter. Après l’oignon, c’est au tour des carottes de subir l’état de nervosité qui monte en elle depuis sa découverte.
Deux options s’offrent à elle si elle veut se calmer : fouiller pendant qu’il est à l’étage pour en avoir le cœur net ou prendre la pelle et la balayette pour ramasser ces morceaux qui gisent sur le sol alors qu’elle a tout nettoyé un peu plus tôt.
La minuterie du four l’extirpe de ce dilemme, et c’est la pelle qu’elle saisit car, au fond d’elle, elle sait déjà qu’il a recommencé et que choisir la première solution n’apaisera rien du tout, bien au contraire.


Chapitre 2
Rose

« Parfois, dans les moments difficiles, tout semble s’écrouler. Le monde glisse sous nos pieds. C’est dans ces moments-là qu’il faut chercher au fond de soi la force de résister. Surtout, ne pas se laisser aller, et croire en nous.
Parce que tous, sans exception, sommes capables de nous relever et de nous battre contre ces moments qui nous font tant douter. »
(Auteur inconnu)



Tous les matins, c’est la course. Yvan part aux aurores tandis que Rose gère les petites. Les apprêter, les déposer à l’école, avant d’enfourcher sa bicyclette et de pédaler le plus rapidement possible afin d’être à l’heure au travail. Malheureusement, elle a beau tenter de préparer ses vêtements et ceux des filles la veille, le petit déjeuner sur la table, les cartables, son sac avec les dossiers du jour, il y a toujours une fausse note. Elle commence donc sa journée en nage et en retard.
Heureusement pour elle, leur père gère la sortie scolaire du soir, elle peut ainsi se permettre de finir plus tard et de rattraper ses heures manquantes. Parfois, elle se demande combien de temps encore elle va tenir à ce rythme-là. Elle a mis au monde un enfant malgré son planning bien rempli, mais elle en a deux à sa charge, et ça, elle ne l’avait pas vraiment prévu.
Ils se sont connus il y a douze ans. À cette époque, ils étaient au tout début de leur vie active et pas très sûrs de vouloir faire un bout de chemin ensemble, surtout du côté d’Yvan. C’était pour eux une histoire sans lendemain, un peu de quoi s’amuser, rien de plus. Alors ils ont joué quelque temps au jeu du « ensemble, plus ensemble, pas vraiment ensemble » jusqu’à atteindre le niveau du « pourquoi pas ». Entre-temps, chacun était libre d’aller voir si l’herbe était plus verte ailleurs. Après tout, ils ne s’étaient rien promis, surtout pas l’exclusivité.
Le jour où Yvan a réalisé qu’il était fou amoureux de Rose a coïncidé avec celui où il a reçu un coup de fil d’une aventure passagère avec une annonce bien particulière : il allait être papa. Rose s’est alors retrouvée en couple, et belle-mère par la même occasion. Parce qu’elle était éperdument amoureuse elle aussi et qu’elle aurait tout accepté, y compris ça.
Les choses se sont compliquées quand le bébé est né. Sa mère, Adeline, ne souhaitait pas s’en occuper. Ses moyens financiers limités, son parcours familial chaotique et certaines addictions l’empêchaient d’envisager cette maternité dans les meilleures conditions. Yvan, lui, désirait pleinement assumer son rôle de père, sans pour autant donner une quelconque suite à leur histoire. Passer d’un coup d’un soir à une vie de famille ne lui avait même pas effleuré l’esprit. Alors, avec Rose, ils ont accueilli Salomé, avant de concevoir à leur tour le fruit de leur amour, Emma.
Depuis, chacun a trouvé son rythme petit à petit, sa place dans cette famille recomposée, et Rose ne fait aucune différence entre leurs deux princesses. Même si Salomé n’est pas sortie de son ventre, elle la considère comme sa fille, et elle redoute le jour où sa mère biologique se réveillera et viendra la récupérer. Yvan soutient qu’il n’a aucune nouvelle, qu’il n’a même pas son numéro de téléphone et qu’elle a été très claire quand elle l’a déposée chez lui. Mais Rose ne le croit pas. Il reste toujours cette part d’ombre chez Yvan, ce voile noir qui passe dans son regard fugacement, ces moments où elle n’est pas sûre qu’il lui dise la vérité. Elle reste persuadée qu’il s’interroge sur la place inexistante de cette mère d’une nuit et qu’il repousse le jour où Salomé sera en âge de poser des questions sur sa conception.
Rose a justement souhaité garder sa place de belle-mère depuis le début. Malgré les innombrables discussions avec son compagnon sur le sujet, elle a toujours refusé que sa belle-fille l’appelle maman, estimant que pour la construction de sa vie future il valait mieux être transparent là-dessus.
Quand elle était toute petite, Salomé avait du mal à prononcer certaines lettres. Rose la revoit courir dans l’appartement en couche-culotte avec son biberon, chantant des « oz, oz » à tue-tête, les R étant trop compliqués pour sa petite voix fluette de l’époque.
Dans leur entourage, tout le monde la considère comme un membre de la famille à part entière. Ses grands-parents maternels la gâtent tout autant que Thao et Emma. Seule Iris semble réticente et dubitative face aux choix de sa petite sœur, mais le jour où Rose attendra ses bénédictions pour agir n’est pas né.
Ce dimanche est justement l’occasion de tous se réunir au domicile familial, Salomé fête ses dix ans. Iris sera là avec Thao, mais sûrement sans David. Il trouve toujours une excuse pour ne pas être présent à ce genre d’évènement. Trop de travail, un autre engagement, un rhume. Sa sœur semble ne plus savoir quoi inventer comme prétexte. Violette, la petite dernière de la fratrie, sera de la partie aussi.

***

Il est 9 h 10 quand Rose pénètre dans l’open space, essoufflée comme si elle avait couru un marathon. Elle allume son ordinateur, accroche son sac sur le portemanteau, retire sa veste et file à la machine à café. Elle est sûre d’y retrouver ses collègues, complices et amies, Magalie et Joséphine.
— Salut, les filles ! Ça va, je n’ai rien raté ce matin ? demande Rose en déposant une bise sur leurs joues respectives.
— Hey, salut, Rose ! Ne t’inquiète pas, la big boss est en conf call dans le bureau depuis une bonne demi-heure. Elle ne se rendra même pas compte de ton retard ! la rassure Joséphine.
— J’en peux plus, les filles, je vous jure, j’ai beau essayer, il me manque toujours dix foutues minutes ! Comment vous faites, vous, avec toute votre marmaille ?
— Tiens, ton café sans sucre ! Ben, je dirais qu’on a un mari à portée de main à cette heure-là ! Sinon, on serait exactement dans la même galère que toi ! rétorque Magalie. Les filles, je file, j’ai un rendez-vous téléphonique dans deux minutes avec une agence de presse. À plus dans le bus !
— Mag, je t’ai déjà dit non avec cette expression !
Magalie lève le majeur à l’attention de Joséphine, sans se retourner, et disparaît dans l’ascenseur. Après un fou rire, elles reprennent le fil de leur conversation.
— Une sainte, tu es une sainte, Rose, je te l’ai toujours dit ! J’espère seulement qu’Yvan s’en rend compte !
— Mais non, Jo, je ne fais rien de plus qu’endosser mon rôle de maman, comme vous !
— Et ton rôle de belle-maman, ne l’oublie pas ! Je suis sûre qu’à la pause-déjeuner tu vas encore courir partout pour les préparatifs de l’anniversaire de Salomé, je me trompe ?
— Oh ! il me manque que quelques petits achats de dernières minutes à faire, trois fois rien !
— Une sainte, c’est bien ce que je dis !

***

La journée touche à sa fin et le soleil commence à décliner. L’immeuble de l’agence est situé plein sud et chaque soir donne l’occasion d’un spectacle nouveau. Le plateau ouvert se pare d’une lumière dorée qui réchauffe les lieux, avant de laisser les bureaux et les ordinateurs dans le calme et la pénombre.
Tous ses collègues ont déjà quitté leur poste depuis bien longtemps. Rose a un gros projet à terminer, et entre ses retards du matin et les pauses du midi à rallonge, elle n’avance pas beaucoup ces derniers temps. Elle a l’impression de patauger, d’être enlisée dans des sables mouvants.
Elle travaille dans cette agence de publicité depuis la fin de ses études, c’est un peu sa deuxième maison. Mais le vent risque de tourner bientôt, car de nouveaux associés sont entrés dans la danse et semblent bien moins souples et compréhensifs que la cheffe de service qui l’a recrutée à l’époque.
Elle repense à cette discussion en salle de pause ce matin. Très souvent, Joséphine la pique avec quelques remarques sur son investissement dans la famille, notamment par rapport à sa belle-fille. Son amie est convaincue qu’elle en fait beaucoup trop pour cette enfant. Rose a pris l’habitude de chasser d’un revers de main ces réflexions, trouvant totalement normal ce qu’elle donne au quotidien. La petite fille le lui rend si bien.
Malgré tout, un doute l’envahit parfois, surtout après des journées pareilles où elle n’a pas eu une minute à elle. Elle termine de ranger ses dossiers en cours, enfile sa veste, attrape ses nombreux sacs de courses du midi et se demande bien comment tout va tenir sur sa bicyclette. Avec un peu de chance, si elle pédale vite, elle sera rentrée pour le dîner. Il lui faut juste trouver un semblant d’énergie pour le trajet du retour. Elle resterait bien encore un peu là, à contempler le soleil se coucher. Au moment où elle se sent prête à lâcher prise et à se rasseoir quelques instants, la sonnerie de son téléphone la coupe dans son élan.
— Allô, chérie ? Tu es déjà partie du bureau ? questionne Yvan d’un ton pressant.
— Non, j’allais justement prendre l’ascenseur, pourquoi ?
— Tu peux t’arrêter en chemin acheter des tranches de fromage pour les croques de ce soir ?
— Yvan, je suis hyper chargée déjà, descends chez l’épicier ! lui répond Rose, un poil exaspérée.
— Je ne peux pas, les filles font leurs devoirs, elles sont affamées et je dois gérer un truc pour le boulot.
Ces temps-ci, cette expression l’horripile, il a toujours un truc à gérer pour le boulot. Et puis d’abord, c’est quoi un truc ? Comme s’il ne pouvait pas trouver un autre mot ! Agacée, Rose abandonne l’option de se prélasser encore un peu sur sa chaise. Les croque-monsieur n’attendent pas !


Chapitre 3
Violette

« Nous avons tous un peu le cœur brisé, mais d’après ce que je sais,
les crayons cassés peuvent toujours colorier. »
(Auteur inconnu)



C’est le dixième entretien d’embauche qu’elle passe. À trente-quatre ans, Violette ne pensait pas en arriver là. L’agence Web pour laquelle elle travaillait depuis cinq ans a mis la clé sous la porte avec cette foutue crise sanitaire et l’a reléguée sur le marché de l’emploi. Il faut bien le reconnaître, ce n’est plus ce que c’était, surtout dans son domaine.
Violette a toujours été discrète, et ce métier de l’ombre lui a tout de suite plu. Sa disponibilité lui a permis d’assurer les astreintes du soir et du week-end, au grand bonheur de ses collègues en couple ou parents. Ce qui n’est pas son cas.
Ce matin, elle postule un poste de webmaster dans une grosse structure, tout ce qu’elle déteste. Mais pour le moment, vu les piètres retours, elle n’a pas le choix, il faut qu’elle retrouve un emploi. Elle n’aimerait pas devoir en parler à ses parents et encore moins à ses sœurs. Personne n’est au courant de sa situation professionnelle actuelle.
Après avoir patienté dans le hall du siège de la société, non loin d’autres candidats, elle entend enfin son nom, se lève et suit la secrétaire qui l’installe dans une grande pièce aseptisée. Seule une immense table, entourée d’une dizaine de chaises, emplit les lieux, ainsi qu’un énorme vidéoprojecteur positionné devant les fenêtres.
Violette patiente, se ronge un peu les ongles, remet sa veste en place, vérifie dans un petit miroir de poche qu’elle n’a rien entre les dents ou qu’un peu de rouge à lèvres ne dépasse pas. Cette couleur, ce n’est pas du tout elle, mais elle tente le tout pour le tout pour décrocher ce job.
Un jeune homme, pas beaucoup plus âgé qu’elle, pénètre dans la pièce, tout sourire, et s’installe face à elle, muni de son CV. Il se présente, puis l’entretien commence par un point sur les missions attendues et les compétences recherchées. L’échange se passe plutôt bien, Violette se sent à l’aise et en confiance. Elle prend sur elle et tente d’écraser un peu sa timidité pour se vendre du mieux qu’elle peut. Elle se croit tirée d’affaire quand il finit par poser quelques questions sur sa vie personnelle, ce qui lui semble assez surprenant dans de telles circonstances.
— Ah ! encore une chose, ça n’apparaît nulle part sur votre CV. Êtes-vous mariée ? Avez-vous des enfants ?
Violette tente de masquer sa surprise face à cette interrogation. Depuis quand faut-il mentionner ce genre d’informations sur un curriculum vitæ ? Ne sachant pas trop où le responsable des ressources humaines veut en venir, elle essaye de lui répondre le plus naturellement possible, avec tout l’aplomb qu’elle peut trouver au fond d’elle.
— Je suis célibataire et je n’ai pas d’enfants. Pourquoi cette question ?
— Comptez-vous avoir des enfants dans les années qui viennent ?
Les joues de Violette s’empourprent de gêne tant ces mots la bousculent. L’homme qui se trouve face à elle manage des êtres humains. À priori, il est censé faire preuve d’un minimum de psychologie et de tact. Mais visiblement, ça ne fait pas partie de ses qualités. Il n’imagine pas une seconde qu’il rouvre une blessure qu’elle pensait à jamais refermée.
— Madame Verdier ?
— Oui, excusez-moi, je suis un peu déroutée par votre question, mais rassurez-vous, je ne compte pas avoir d’enfants du tout… s’entend-elle énoncer d’une traite.
— Je me permets de vous la poser, car à votre âge et à cette période de votre vie, ce genre de choses arrive et nous avons absolument besoin de quelqu’un qui soit entièrement disponible pour le poste. Nous souhaitons une certaine pérennité et voulons éviter le turn-over, et ce qui peut en découler. Je vous remercie de m’avoir répondu avec franchise et honnêteté, je pense que nous allons nous revoir très rapidement.
La jeune femme l’observe se lever de sa chaise, comme s’il lui avait juste parlé du temps qu’il fait dehors. En vérité, il vient sans le savoir de lui arracher des bouts de sa vie d’antan. Elle se lève à son tour et se laisse raccompagner dans le hall, hagarde. Il lui serre la main et lui conseille de garder son portable à proximité.

***

Violette s’apprête à remonter chez elle après avoir passé les deux dernières heures assise sur ce banc qu’elle affectionne dans le petit parc situé en bas de son immeuble. C’est un des seuls du secteur dénué de parc à jeux, elle préfère le calme aux bruits des enfants. En repensant à son entretien, elle ne comprend toujours pas ce qu’il s’est produit. Elle ne s’attendait pas à un tel bond dans le passé en s’y rendant. Tout lui est revenu, tout. Lui, elle, ce bébé, cet ultimatum, ces choix et cette douleur qu’elle espérait avoir enfouis loin, très loin dans son subconscient. Un fardeau qu’elle a toujours porté seule. Ses parents n’en ont jamais rien su, ses sœurs encore moins.
Elle se rappelle ce fameux jour où elle s’est rendue seule au planning familial. Elle avait d’abord essayé d’appeler Iris, en vain, et tenté de joindre Rose ensuite. Elle espérait qu’au moins une des deux serait disponible pour l’accompagner dans ce moment douloureux. Ses coups de fil étaient restés sans réponses et, pire encore, personne ne l’avait jamais recontactée ce jour-là. C’était il y a dix-sept ans.
Elle sent son portable vibrer au fond de sa poche et reconnaît aussitôt le numéro du recruteur. Il l’appelle pour lui signifier qu’elle est prise pour le poste et qu’elle peut passer dès le lendemain après-midi pour signer son contrat. Violette pousse un soupir de soulagement, mais son malaise grandit. L’unique raison pour laquelle il l’a choisie, au-delà de son expérience et de ses compétences, est évidente.
Violette est célibataire et ne veut pas d’enfants, plus jamais. Et elle devra y penser chaque jour quand elle se rendra dans son nouveau bureau, elle n’arrivera pas à faire autrement.


Chapitre 4
Adèle

« Il n’est pas vrai que nous avons peu de temps, mais nous en avons déjà beaucoup perdu… Nous n’avons pas reçu une vie brève, nous l’avons faite telle… Ce qui fait la vie brève et tourmentée, c’est l’oubli du passé, la négligence du présent, la crainte de l’avenir ; arrivés à l’extrémité de leur existence, les malheureux comprennent trop tard qu’ils se sont, tout ce temps, affairés à ne rien faire. »
(Sénèque)



Cher journal,
Tu dois penser que je suis trop vieille pour en tenir un, mais ce n’est pas grave je ne t’en veux pas. C’est vrai qu’avoir un journal intime, c’est plutôt un truc de jeune fille. Il faut croire qu’à cinquante-six ans, j’en suis toujours une au fond de moi, malgré les cheveux blancs qui s’amoncellent çà et là.
Chaque fois que je termine un cahier, je me dis que cette fois c’est le dernier, et puis c’est plus fort que moi, j’en entame un nouveau. Je ne peux pas m’en empêcher. À raison de trois par an depuis l’âge de quinze ans, je te laisse imaginer les caisses qui s’accumulent dans le garage.
Je les ai tous gardés, mon objectif est de les léguer à mes filles lorsque le Tout-Puissant aura décidé que mon heure sera arrivée. Leur histoire en héritage. Elles y retrouveront le récit de notre rencontre avec leur père, mais aussi de nombreux moments de leur enfance. Si seulement mes écrits pouvaient les souder un peu, les rassembler.
Mais je ne vais pas mourir tout de suite, j’ai encore du temps devant moi, alors je dois attendre avant d’assister à ce miracle.
Eh oui, cher journal, à mon grand désespoir, j’ai eu beau essayer, je n’ai pas réussi. Iris, Rose et Violette ne s’entendent pas du tout. Je crois même qu’elles se détestent. Je les vois bien faire semblant lors de nos rares moments en famille. Mais je ne suis pas dupe. Mon cœur de maman en est meurtri et blessé. Je me demande bien ce que j’ai raté.
Nous avons pourtant toujours tout fait de façon juste avec Hubert. Jamais plus pour l’une ou pour l’autre. La même chose pour tout le monde, la même dose d’amour répartie équitablement, le même temps consacré à chacune.
C’est ce que ma mère avait fait pour mes sœurs et moi, ce que ma grand-mère avait vécu aussi avec ses propres sœurs. De génération en génération, les lignées fraternelles ont toujours été très proches et j’envisageais de perpétuer la tradition, en leur mémoire.
Je crois que sans m’en rendre compte j’ai vécu sous la coupe de cette pression que je me suis infligée, étant la seule de la fratrie à avoir enfanté. Je ne voulais pas briser ce que mes aïeux avaient construit, je refusais d’échouer. Alors j’ai porté le poids de mes ancêtres pendant tout ce temps, mais je dois bien admettre que certaines recettes toutes faites ne fonctionnent pas à tous les coups.

— Adèle, les filles sont là ! crie Hubert depuis le rez-de-chaussée.
— J’arrive, j’ai presque fini !
Adèle referme son cahier qu’elle glisse dans le tiroir de sa coiffeuse. Elle s’observe dans le miroir et remet quelques mèches de cheveux en place. Elle espère de tout cœur que cette journée se passera bien. Voilà cinq mois qu’elle n’a pas eu ses filles réunies sous son toit. Elle va tâcher de profiter de ces retrouvailles et de faire abstraction des remarques assassines qui peuvent fuser. Elle a compris depuis bien longtemps qu’intervenir ne fait qu’envenimer les choses, alors elle applique une méthode imparable, elle change de sujet et fait comme si de rien n’était.

***

Adèle descend les marches du perron de la demeure familiale. Cette maison, dont elle a hérité lors du décès soudain de ses parents, a vu grandir ses filles. Elle espérait la voir toujours remplie d’enfants qui courent, de bruits de fourchettes et d’assiettes, de grandes tablées, de week-ends en famille, de vacances avec les petits-enfants. Hélas, il n’en est rien, malgré ses nombreuses tentatives.
Pourtant, ce n’est pas l’espace qui leur manque désormais. La maison est construite sur trois étages, quatre chambres restent désespérément vides malgré les réaménagements faits afin de les moderniser. Avec Hubert, ils ont même effectué quelques travaux pour l’installation d’une salle de bains supplémentaire au deuxième.
C’est vrai qu’ils habitent dans une zone reculée de la région parisienne, non loin de Fontainebleau, de sa forêt et de son château. Elle sait que pour ses filles qui vivent à Paris ou en proche banlieue ça paraît le bout du monde. Iris vient en voiture, tout comme Violette. En revanche, Rose et Yvan empruntent les transports en commun avec leurs deux filles sous le bras.
Elle leur a d’ailleurs proposé de venir dès le vendredi soir et de dormir ici afin d’éviter la fatigue d’un aller-retour dans la même journée. L’occasion pour les enfants de profiter d’un peu de calme et de verdure, et du jardin où ils ont placé une balançoire quand Salomé a été en âge d’en faire. Mais chacune a trouvé un prétexte, un dîner le samedi, du travail à terminer, un empêchement de dernière minute, des courses à faire.
Adèle chasse ses idées noires et s’empresse de venir aider Iris qui se débat avec le coffre de sa voiture qu’elle veut fermer.
— Ma chérie, ça va, tu as fait bonne route ? Coucou, mon petit Thao ! Viens faire un bisou à mamie.
Comme à son habitude, le petit garçon se cache dans les jupons de sa mère. Il voit tellement peu ses grands-parents qu’il met un temps infini à venir vers eux. Il finit toujours par le faire au moment où sonne l’heure du départ.
— Un enfer sur la route, ce matin ! Pourtant c’est dimanche, je ne comprends pas !
— Laisse-moi t’aider, je sais comment faire, nous avons le même problème avec la fermeture du nôtre, intervient Hubert en embrassant sa fille et en agitant sa main devant le capteur installé à côté de la plaque d’immatriculation.
— Et David, il n’a pas pu venir ? s’enquiert Adèle.
— Non, il est sur un gros dossier à rendre pour hier ! Il bosse jour, nuit, soir et week-end. Un véritable courant d’air !
Adèle observe sa fille qui, une fois de plus, joue de jovialité et de désintéressement pour faire passer la pilule à sa mère. Finalement, les rares fois où ils voient leur gendre correspondent aux rares fois où ils les invitent chez eux, c’est-à-dire quasiment jamais. David est un gentil garçon, mais Adèle se demande si sa fille est vraiment heureuse avec lui. Elle n’a jamais osé aborder le sujet.
Tandis que la voiture de Violette pénètre dans la cour, le téléphone d’Hubert se met à sonner. C’est sans doute Rose et Yvan qui sont arrivés à la gare et qui attendent qu’on vienne les chercher. Mais pourquoi ni Iris ni Violette ne pensent à les prendre au passage ? Chaque fois c’est pareil ! se dit Adèle en observant tout ce manège.
Violette descend de voiture, embrasse son père, enlace sa mère, chatouille Thao et salue sa sœur d’un ton glacial. Le bal des sœurs Verdier a commencé.

***

Il est plus de 21 h quand Adèle termine d’essuyer la dernière assiette. La fête était réussie. Salomé, Emma et Thao étaient contents de se retrouver. Leurs babillages et leurs rires, dont l’écho résonne encore dans l’enceinte de la maisonnée, ont fait plaisir à entendre. Elle ne sait pas quand elle les reverra, sûrement lors d’un prochain anniversaire. Cette pensée l’attriste, mais elle tente de conserver ces quelques heures de bonheur qu’elle a grappillées aujourd’hui.
Elle a observé ses filles tout au long de la journée. Elle s’est souvenue qu’à l’époque le couple avait tout planifié. Deux ans d’écart entre chacune, pas moins, pas plus. Un bon compromis dans leur évolution en tant que parents, une possibilité qu’elles puissent bien s’entendre et avoir des atomes crochus, sans être trop éloignées les unes des autres.
Son mari la rejoint dans la cuisine, après avoir terminé de ranger les tables et les chaises installées pour l’occasion sur la terrasse. Ce soleil inattendu du mois de septembre leur a permis de profiter de l’extérieur grâce à une température agréable.
— Oh ! je connais cette petite mine, Adèle, qu’y a-t-il ?
— Comment as-tu trouvé tes filles, aujourd’hui ? lui demande-t-elle immédiatement, heureuse qu’il lui permette d’aborder le sujet.
— Je dirais comme d’habitude ! Iris est toujours aussi rigide avec Thao, Violette toujours aussi silencieuse et Rose gravite entre les deux. La routine !
— Tu as vu la façon dont Iris a réagi quand Rose et Yvan sont arrivés ? Parfois je ne comprends pas notre aînée ! Et puis le cadeau de Salomé, on en parle ? Je me demande si elle ne le fait pas exprès !
— Adèle, on en a déjà discuté maintes fois, ici même, dans cette cuisine. Arrête de te faire du mouron pour rien. Peut-être que les choses changeront, peut-être pas. Tu n’y peux rien, nous n’y pouvons rien. Nous avons fait ce qui nous semblait juste et bon pour elles. Tu ne peux pas diriger leurs sentiments, ce ne sont pas des marionnettes !
Adèle se réfugie dans ses bras, le torchon mouillé dans ses mains tremblantes. Elle aimerait tant réussir à passer outre la situation, mais elle n’y arrive pas. Elle va trouver une solution, elle a déjà une petite idée derrière la tête et se garde bien d’en parler à Hubert. Vu l’ampleur des potentiels dégâts, nul doute qu’il désapprouverait.


Chapitre 5
Iris

« L’esprit de l’homme est ainsi fait que le mensonge a cent fois plus
de prise sur lui que la vérité. »
(Érasme)



Ce repas dominical était un vrai supplice, Iris est tranquille pour quelques mois. Les prochaines retrouvailles familiales auront lieu pour les huit ans de Thao, juste avant Noël. Heureusement qu’ils ne célèbrent que les enfants, sinon ce serait sans arrêt. Entre ça et les fêtes de fin d’année, c’est déjà bien assez.
Une fois de plus, elle s’est trompée de cadeau pour Salomé. Rose lui avait pourtant donné le nom précis du jouet par message, mais elle a choisi quelque chose qui était visiblement à côté de la plaque. Elle a bien senti l’exaspération de sa sœur quand celle-ci lui a demandé si elle pouvait l’échanger.
— Iris, je n’ai pas du tout le temps d’y aller, tu pourrais t’en occuper ?
— Je ne sais pas si je vais pouvoir, et puis quand est-ce que je vais te le donner ?
— Bon, passe-moi le ticket alors, je vais me débrouiller.
— Je n’ai pas pensé à le prendre, je te fais une photo en rentrant, si tu veux.
— Sérieusement, Iris, tu penses que le magasin va accepter un échange avec un ticket de caisse en photo ?
— Je te l’enverrai par la poste, dans ce cas, tu me redonneras ton adresse.
— Très bien ! Ne tarde pas trop à me le faire parvenir, s’il te plaît.
Ce n’est pas parce qu’Iris est femme au foyer qu’elle n’est pas occupée, contrairement à ce que Rose insinue. Elle en a assez de ces sous-entendus, sans compter ses remarques sur l’absence de David. Comme si le couple qu’elle formait avec Yvan était parfait ! Certes, il est toujours présent à tous les repas et les dîners, mais quand Iris pense à ce que sa sœur a accepté par amour, élever l’enfant d’une autre, c’est quelque chose qu’elle n’aurait jamais été capable de faire.

***

David est parti sur un chantier à Nantes toute la semaine, elle se retrouve seule avec Thao. Ce matin, elle a finalement accepté d’aller boire un café avec Nathalie, la maman d’Arthur. C’était un moment agréable pendant lequel elle a eu l’impression d’avoir un semblant de vie sociale. Concrètement, Iris est très seule. Toutes ses amies de fac ont pris d’autres routes bien éloignées de la sienne. Les amitiés se sont délitées pour totalement disparaître. Elles se sont revues quelques fois, sans avoir plus rien à se dire. Et puis il y a eu cette fois de trop, celle où elles se sont permis de porter un jugement sur ses choix de vie. Iris ne l’a pas supporté, elle se souvient encore de cette soirée et de la crise de nerfs qui a suivi.
Depuis, elle a essayé de se lier d’amitié avec quelques mamans de l’école, mais chaque fois que ça allait plus loin, Iris refusait d’organiser des goûters, d’inviter les copains le week-end, et elles se sont vite lassées des propositions allant toujours dans le même sens. Et puis elle a eu du mal à accrocher, à se laisser aller. Sans son pilote automatique, elle est perdue. Il lui faut ses rituels qui lui donnent l’impression de maîtriser un tant soit peu son mental et son environnement. Dès qu’elle sort un peu de son tracé habituel, elle sait ce qui l’attend.
Le téléphone se met à retentir dans le silence de la maison. Iris décroche, personne au bout du fil. Il lui semble percevoir une respiration au loin, mais elle n’en est pas sûre. C’est encore un de ces démarchages commerciaux, elle va finir par faire couper cette ligne qui ne lui sert à rien. Au moment où elle s’apprête à monter pour ranger la chambre de Thao, la sonnerie chante de nouveau à tue-tête. Décidément ! Toujours personne, seul le mutisme lui répond. Elle se rappelle alors que c’est arrivé à plusieurs reprises ce mois-ci, il faudra qu’elle en parle à David.
Iris regarde l’heure déjà bien avancée de la matinée, elle va être en retard pour son cours de yoga, elle était absente à deux reprises la semaine dernière. Elle s’occupera des jouets de son fils cet après-midi et décide d’enfiler sa tenue préférée. Il faut qu’elle garde un corps svelte et tonique afin d’être désirable aux yeux de son mari, mais il faut aussi qu’elle évacue ce trop-plein qui ne va pas tarder à déborder.

***

Iris se gare sur la dernière place restante du parking. Elle peste en sortant de la voiture à l’idée de devoir récupérer son tapis dans le coffre. Elle va encore passer ses nerfs sur la fermeture de plus en plus capricieuse. Le nez en l’air pour tenter de faire marcher le capteur du haut, elle ne prête pas attention à la demoiselle enceinte installée sur un banc, non loin de la porte d’entrée du club de sport. Celle-ci se lève en apercevant Iris et s’approche timidement.
— Excusez-moi, balbutie-t-elle.
Iris réussit enfin à verrouiller sa voiture et tourne son regard dans sa direction.
— Je peux vous aider ?
— Vous êtes bien Iris Graveland ?
— Oui, c’est moi, répond-elle en la toisant de la tête aux pieds.
— Est-ce qu’on pourrait s’installer quelque part dans un endroit tranquille ? Il faudrait que je vous parle.
— Je n’ai pas le temps, mon cours commence dans cinq minutes. Est-ce qu’on se connaît ?
— Vous non, mais moi oui…
Iris perd patience et sent à nouveau cette boule furieuse se former au creux de son ventre. Cela fait plusieurs jours qu’elle prend sur elle, il faut qu’elle aille décharger sa colère, sous peine d’exploser. Elle ne voudrait pas que ce soit Thao qui paie les pots cassés. C’est en ça que le yoga l’aide beaucoup, à canaliser et à contrôler ses émotions. Elle repense à l’autre fois dans la cuisine, quand ses nerfs ont lâché. Heureusement, elle était seule à la maison et personne n’a assisté à ce carnage. Les couverts ont voltigé jusqu’au sol, ainsi qu’un gros saladier, brisé en mille morceaux. Elle s’était dit qu’elle choisirait quelque chose d’incassable pour évacuer sa colère la prochaine fois, car elle l’adorait, et ramasser les débris lui a pris un temps fou, elle en retrouve encore. Comme une piqûre de rappel.
— Je finis dans une heure, vous n’avez qu’à m’attendre.
La jeune femme reste interloquée face à cette répartie autoritaire et retourne s’asseoir sur le banc. Iris l’observe à travers les vitres fumées du sas d’entrée. Elle enrage, tout en espérant qu’elle se décourage et qu’elle s’en aille. Pas un seul instant elle ne se demande ce qu’elle lui veut, elle sait déjà. Son ventre arrondi ne laisse aucun doute.

***

Une heure et quart plus tard, Iris aperçoit la jeune femme, toujours assise sur le banc.
— Vous êtes encore là ?
— Je vous ai attendue, comme vous me l’aviez suggéré, répond la petite brune au visage constellé de taches de rousseur.
— Venez, je dois aller chercher mon fils à l’école. Montez, dit-elle en désignant la porte côté passager.
La jolie brunette semble étonnée par cette proposition. Ce n’est sûrement pas ce qu’elle avait prévu, mais elle s’exécute. Un silence s’installe dans l’habitacle, vite remplacé par la radio et ses publicités répétitives. Iris baisse le volume, enfile ses lunettes de soleil et démarre.
— Comment vous vous appelez ? lui demande-t-elle.
— Quelle importance ça a ?
— J’ai besoin de savoir à qui j’ai affaire.
— Vous n’êtes pas curieuse, vous ne voulez pas connaître la raison pour laquelle je vous ai attendue ?
— Je le sais déjà, alors on va s’épargner des détours inutiles. Dites-moi juste depuis quand ça dure.
Sans avoir donné son prénom, la jeune femme raconte pendant le trajet comment elle en est arrivée là. Durant ces trente minutes de route, Iris perd tout le bénéfice de sa séance de relaxation. Elle sent à nouveau le volcan gronder en elle, et cette fois elle sait bien que l’éruption va être longue et extrêmement douloureuse, brûlant tout sur son passage. La limite de l’acceptable vient d’être largement dépassée. Elle ne va plus pouvoir faire semblant de ne pas voir l’éléphant qui l’attend en plein milieu de la pièce.


Chapitre 6
Rose

« L’amour est fait de hasard et de chance. À une bretelle de la vie, il est là, offrande sur le chemin. S’il est sincère, il se bonifie avec le temps.
Et s’il ne dure pas, c’est qu’on s’est trompé de mode d’emploi. »
(Yasmina Khadra)



La nouvelle vient de tomber, la direction a accepté un jour de télétravail par semaine. Rose exulte et pense déjà à négocier une seconde journée. Ce serait le rêve de déposer les filles à l’école, puis de remonter à l’appartement pour travailler depuis chez elle, en pyjama si ça lui chante. Mais pour le moment, il va falloir se contenter de ce répit dans le rythme effréné du quotidien. Elle se positionne sur le lundi, ce qui lui permettra de prolonger un peu le repos du week-end et de profiter d’Yvan, en télétravail ce jour-là également. Elle imagine déjà leurs déjeuners le midi, ou encore leurs pauses crapuleuses, et se réjouit de cette bouffée d’oxygène.
Pour marquer le coup, elle décide de lui faire la surprise dès le lundi suivant. Ces deux dernières semaines, ils n’ont fait que se croiser. Il travaille sur un projet de construction de logements écoresponsables, c’est la dernière ligne droite. Rose a l’habitude. Quand c’est comme ça, plus rien d’autre ne compte, alors elle prend sur elle tout en assumant la totalité des tâches du foyer, en plus de son job à plein temps.
Certaines personnes pensent que la répartition dans leur couple n’est pas équitable, que Rose porte trop de choses sur son dos, des responsabilités qui ne lui appartiennent pas. Elle devine dans le regard de leurs amis, de ses collègues, de ses parents, qu’elle en fait beaucoup pour ses petites épaules. Ces temps-ci, des cernes se creusent sur son visage, les kilos peinent à s’accrocher sur son corps frêle. Son attention lui fait parfois défaut, surtout sur son vélo, quand la liste de tout ce qu’elle a à réaliser dans sa journée se déroule mentalement devant ses yeux. Plus d’une fois, elle a manqué se faire renverser, sans que les automobilistes y soient pour quoi que ce soit.
Ils savaient tous les deux que leur vie serait parfois rock’n’roll. Chacun est investi dans sa carrière professionnelle et il faut pouvoir faire de même dans sa vie personnelle, surtout avec les enfants. Mais la balance a penché sans cesse de son côté pour équilibrer tout ça, et les poids sur sa nacelle commencent à peser lourd. Elle le sent bien, mais refuse de le considérer.

***

Comme chaque matin, Rose feint de se préparer en sifflotant. Elle est bien plus joyeuse que d’habitude, tout le monde remarquerait un changement à venir dans la journée qui s’annonce. Tout le monde, mais pas Yvan. Il est plongé dans ses plans, une erreur de mesure l’oblige à recommencer toute une partie de son travail. Il est debout depuis cinq heures et déjà épuisé. Emma et Salomé disent au revoir à leur papa, tout en mettant leurs cartables sur le dos. Il lève enfin la tête de son bureau, installé vers les grandes baies vitrées dans un coin du salon, et va se resservir un café. Il s’approche de ses filles, se met à genoux et ouvre les bras pour un câlin collectif. Rose observe son petit monde avec tendresse et a hâte de se retrouver dans ses bras elle aussi. Mais pour garder le suspense jusqu’au bout, elle fait mine de s’habiller, comme si de rien n’était. Il dépose un baiser furtif sur ses lèvres et repart, muni de son mug, derrière les hautes plantes vertes qui font office de paravent.
— Rose, tu pourras t’arrêter au pressing pour récupérer mes chemises, en rentrant ce soir, comme tu passes devant ? J’en ai besoin pour ma présentation de jeudi.
— Tu ne veux pas y aller ? Ça te ferait sortir un peu ! Je suis sûre que tu vas rester enfermé toute la journée, et tu sais comment c’est ! Il te faut des pauses sinon tu n’avances pas !
— Aujourd’hui, je ne bouge pas de là, il faut que tout soit bouclé mercredi soir ! Et avec cette boulette que je viens de découvrir, je vais devoir bosser jour et nuit. S’il te plaît, ma chérie d’amour ! la supplie-t-il.
Elle déteste quand il l’appelle comme ça. Ma chérie, ma chérie d’amour, mon amour. Il le fait uniquement quand il a quelque chose à lui demander. Le reste du temps, c’est Rose, ni plus ni moins. Les effusions d’amour n’ont jamais été leur mode de fonctionnement, ils s’aiment et n’ont besoin d’aucun sobriquet superflu pour se le prouver. Mais justement, les utiliser dans certains cas l’horripile encore plus.

***

Vingt minutes plus tard, elle remonte les escaliers jusqu’au troisième étage et introduit la clé dans la serrure, un sourire aux lèvres. Curieusement, la porte est fermée à double tour. Elle se rappelle très bien l’avoir claquée un peu trop fort en partant. Elle pénètre dans l’appartement sur la pointe des pieds, s’attendant à trouver Yvan assis derrière son bureau. La tasse de café qu’il s’est servi à ras bord est encore fumante, ses plans sont étalés en désordre, parsemés de morceaux de gomme et de crayons à papier divers, mais le fauteuil, lui, est vide.
Surprise, Rose passe chaque pièce en revue, aucune trace de son compagnon. Elle décide de lui téléphoner, il a sûrement dû se rendre à l’agence pour une urgence, ou peut-être qu’il a tout simplement écouté son conseil et pris l’air pour aller au pressing. Aucune sonnerie, le serveur vocal lui propose d’emblée de laisser un message après le bip. D’instinct, Rose raccroche sans un mot et s’installe sur la table de la salle à manger afin de commencer sa journée de travail.

***

Trois heures plus tard, n’y tenant plus, elle tente de le rappeler, mais son téléphone est toujours coupé. Il est bientôt l’heure de déjeuner et, sur un coup de tête, elle appelle Joséphine et Magalie pour leur proposer de les rejoindre à leur QG officiel.
Après trente minutes de trajet à vélo, Rose arrive au café où elles ont l’habitude de se retrouver une fois par semaine.
— Alors, ma belle, tu en as déjà assez du télétravail ? lui dit Joséphine en débarrassant la chaise de ses affaires pour qu’elle s’installe à côté d’elle.
— On va dire que tout ne s’est pas passé comme je l’imaginais pour cette première matinée !
— Yvan a refusé la pause-café-câlin, c’est ça ? chuchote Magalie.
— Yvan s’est surtout volatilisé ! Je suis rentrée de l’école et il n’était plus là !
— Mais je croyais que c’était sa journée de télétravail à lui aussi ?! s’exclame Joséphine.
— Il a dû avoir un rendez-vous ou une réunion de dernière minute. En tout cas il est injoignable !
— Tu fais trop de choses à la fois, ma Rose, il t’en a sans doute parlé alors que tu devais être occupée ! dit Magalie pour la rassurer.
— Allez, prends un verre de rosé, ça te détendra !
Rose essaye d’avoir le cœur léger et de ne pas leur parler de l’alarme qui s’est mise à hurler dans son esprit. C’est sûrement ça, parfois elle fait tellement de tâches différentes au même moment que son attention s’en trouve amoindrie, ce qui lui a valu plus d’une fois des oublis, heureusement sans conséquence. Le déjeuner terminé, elle n’a pas le cœur à pédaler en sens inverse, surtout après un verre de vin, et préfère retourner au bureau. Sa cheffe la regarde d’un air surpris, mais sans chercher à comprendre pourquoi elle se trouve ici plutôt que chez elle. Rose ne le sait pas elle-même.
La sortie d’école approchant, elle tente une nouvelle fois de joindre Yvan, afin d’être sûre qu’il récupère les filles comme à son habitude. Au bout de trois sonneries, il décroche enfin.
— Allô, oui !
— Salut, tu es à la maison ?
— Oui pourquoi ? Je n’ai pas bougé depuis ce matin, je n’en peux plus ! Il va me falloir un bon massage ce soir, mon corps est tout endolori d’être resté assis si longtemps !
Le sang de Rose se glace. Elle espérait une tout autre réponse qu’un mensonge.
— Rose ? T’es là ?
— Oui, oui.
— Pourquoi tu m’appelles ?
— Je sais plus, j’ai oublié. Faut que je te laisse. À ce soir !
7
Mise en avant des Auto-édités / Un petit tout au paradis de Fat
« Dernier message par Apogon le jeu. 08/02/2024 à 17:21 »
Un petit tout au paradis de Fat



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Un Petit Tout Au Paradis.


- Barrez-vous devant !!!
Avant d’avoir eu le temps de me retourner sur l’injonction de la voix, un coup dans l’épaule me fait pivoter et perdre l’équilibre.
– Put…
Trou noir.

Tout est noir autour de moi. Un noir profond, épais, impossible à trouer, sans une once de vie.
J’essaye de cligner des yeux sans sentir mes paupières, de toucher mon corps sans sentir mes mains…
C’est quoi ce bordel ?!?

Je panique, sentiment différent dans une impression plus qu’une action. Pas de battements intempestifs du cœur, pas de sueurs froides, aucun tremblement ni soubresaut.
Putain je suis morte !?!
Ou pire dans le coma ?!?
S’il vous plaît, pas dans le coma ! Je ne veux pas être un poids pour mes enfants…

Mes enfants !?! Oh là là, ils doivent être en panique totale…
Faites que je sois morte… S’il vous plaît ?!?
Allez concentre-toi, fais un effort, bouge !!!

Rien à faire, je ne sens plus mon corps, je dois être morte, non ?
Et si c’est le cas, où est la lumière au bout du tunnel ? Pourquoi je ne me vois pas d’au-dessus ?
Plus je réfléchis plus je suis perdue…

Depuis combien de temps suis-je là ?

Le temps, notion de base de l’humain, s’est arrêté. Enfin, il continue à s’égrener je suppose mais seule dans le noir, sans variation du soleil, comment le mesurer ?

Conditionné depuis bien avant sa naissance par le calcul du temps de grossesse dans la datation des étapes de construction physique, date de création calculée en intra-utérin par la taille de l’os du tibia, viabilisé en fonction de la grosseur de la boite crânienne, l’humain se soumet au facteur temps.

À sa naissance, par sa régulation dans des biberons toutes les trois heures, les positions assises à six mois, dent et premiers mots à cette même date, debout à douze, le temps jalonne son évolution sous la surveillance des parents très attentifs au respect de chaque étape.

Après son arrivée sur terre, dès trois ans environ, obligation des huit heures de sommeil, l’enfance nous apprend la notion de gestion du temps et les parents la notion de retard. Le ‘Dépêche-toi, on va être en retard’, assené devant toutes les écoles, humains format réduit courant aux côtés de leur référent, sans comprendre l’obligation ni le stress généré.
Le temps scolaire se met en place, les apprentissages du langage oral et écrit, des outils pour structurer la pensée, d’activités physiques et artistiques et enfin d’exploration du monde.

L’heure de l’école, des devoirs, du bain, du dîner et celui du coucher découpent la journée, optimisant le temps par tranches de vingt-quatre heures.
L’adolescence voit arriver l’horloge hormonale et son lot de changement physique amenant à finir le cycle de la vie par la création du terrain propice à celle-ci, grossesse, naissance, rebelote…
Pour finir par l’horloge biologique, limitant le délai d’incubation de l’adolescence, date de péremption notée uniquement sur les œufs féminins…

J’ai couru pour tout ça, et après ?
Le temps de la mort ?

Mon cerveau se perd dans la réflexion… Complétement débile de philosopher sur le temps vu la situation !?!

Un point blanc apparaît au loin. Il semble se rapprocher, s’élargissant au fur et à mesure. Le tunnel ? Non, un tunnel ne bouge pas. Peut-être que c’est moi qui bouge ?
- Bienvenue ! Entends-je de la forme ovale arrêtée devant moi.
La ligne de délimitation bouge par la vibration de la voix.
- Bienvenue ?!? M’insurge-je. – Vous êtes sérieux ? Où je suis là ? Je suis morte ? C’est ça, hein ? Je suis morte ! Où dans le coma ? Dites-moi que je ne suis pas dans le coma ?
- Calme-toi…
- Calme-toi ?!? Je fulmine. - Vous êtes sérieux ?
- Je vais tout te dire, calme la voix.
N’aie aucune peur…

Je regarde la forme dont le centre me renvoie tantôt une bouche, pulpeuse et rose, tantôt un œil d’un vert profond en fonction de l’action.
Impossible de définir l’âge ou le sexe, le timbre de voix uniforme n’apporte aucune indication non plus.
- D’abord je me présente, je suis Diamant.
- Ah… Ok… Je suis…
Sur le bout de la langue, rien ne sort. Bordel, c’est quoi mon nom ?
- Tu es Améthyste… Affirme la voix. – Amé si tu permets.
- Heu… Cela ne me dit rien… Je cherche dans mes souvenirs. Faute de mieux, Amé… Hum… Pardon mais, je suis morte ?
- Regarde…
Un point s’ouvre devant nous sur une scène de vie. Je reconnais mes enfants, agrippés l’un à l’autre devant un corps allongé recouvert d’un drap dont le visage apparaît.
Voilà la confirmation que je suis morte.
Ouf ! je me sens soulagée paradoxalement.

Je remarque une forme, à priori humaine, composée de particules noires derrière mes enfants. – Qu’est-ce que c’est ?
- C’est le père de tes enfants.
- Pourquoi est-il comme ça ? Tout noir…
- Parce qu’il a choisi le côté obscur.
- Hein ?!?
- Il a choisi de poursuivre un mauvais but dans la vie…
- L’argent ?
- Je ne sais pas, je ne suis pas son ange… Peut-être…
- Son ange ? ça veut dire que vous êtes le mien ?
- Oui.
- Donc ici, c’est le paradis ?
- Le paradis n’existe pas, il a été inventé par l’humain.
- L’enfer aussi alors ?
- L’enfer aussi, c’est ça.
L’échange aussi absurde que flippant me saisit, étincelles mentales fusantes face à une entité calme et mesurée, accentuant ma perception folle du discours.
- Calme-toi.
- Pardon ?!?
- Tu fais des étincelles.
- Des étincelles ? Ah bon ?!?
- Calme-toi je te dis.
L’auréole de mon interlocuteur se modifie, apportant plus de pique à la forme, confirmant un début de ras-le-bol annoncé par la phrase.
- Et comment je fais ? J’interpelle… Je ne respire même plus !
Diamant disparait ne laissant qu’un point dans le noir.
Pouf !
- Ah ben bravo ma vieille, je m’énerve.
T’es toute seule maintenant, t’es bien avancée comme ça, hein ?!?

Je continue un moment à maugréer.
Faute d’adversaire, je capitule et focalise mon esprit sur les infos en ma possession.
Je suis morte, ça ne commence pas bien ! Je suis Améthyste, aucun souvenir de ce prénom ! Diamant est mon ange…
Mais comment croire à tout ça ?!?

- En Acceptant. Déclara Diamant réapparaissant comme il était parti.
Pouf !
- Facile à dire… Je bougonne - On est où ici ? Et je suis morte comment ?
- Nous sommes au ciel ou plutôt dans l’espace, explique Diamant, - Au-dessus du ciel. Ici nous sommes des étoiles et … Tu as été bousculée par une trottinette…
- Une trottinette ?!? Shootée par une trottinette… La honte !!! Je m’exclame.  Des étoiles ?!? Comme celles qu’on voit de la Terre ?
- C’est ça...
- Et elles brillent grâce à quoi ? Au soleil ?
- Les étoiles ont leur propre lumière, elles n’ont pas besoin d’un astre pour briller.
- Ça remet en cause toutes les religions ça ! Une étoile… Donc pas de vie après la mort ? Enfin, pas de résurrection ou de réincarnation comme elles le promettent ?
- Exactement. Cela a été inventé par les hommes, pour eux-mêmes, afin de contrer leurs instincts primaires, de les contrôler en imposant une doctrine. Les soumettre sans y succomber. Et cela marche pour certains.
- Pas pour le père de mes enfants si je comprends bien…
- Non, hélas.
- C’est fou… J’ai toujours vu les gens prier pour obtenir quelque chose, la santé, l’argent, l’amour… Moi, j’ai toujours prié pour obtenir la sérénité, c’est-à-dire ne rien avoir qui perturbe mon esprit, ni en bien, ni en mal, les deux étant dangereux à mon avis.
Et là vous me dites qu’il n’y a pas de vie après la mort… Beaucoup vont être déçus ! Je suis déçue !!!
- Ah mais, Il y a une vie après la mort mais pas comme le pensent les humains.
- Comment alors ?
- Tu verras lors de l’initiation… Nous n’en sommes pas encore là.
- Ah… Et nous en sommes où là ?
- À la période de deuil pour tes proches et celle de l’acceptation pour toi. Bien que je croie que ce soit déjà fait pour toi.
- Quoi ?
- L’acceptation.
- Vous croyez ? Je demande dubitative.  Et je dois faire quoi alors maintenant ?
- Maintenant tu vas aller visiter et dire au revoir à la Terre pendant trente jours. Après tu reviendras et nous commencerons ton initiation.
- Visiter et dire au revoir, d’accord… J’essaye d’imaginer. – Et comment je fais ?
-  Deux façons. La première avec ceux qui te connaissent et qui pensent à toi et puis ceux que tu as juste croisés… Quand ton prénom est prononcé, une bulle de vie sur terre s’ouvre sur la personne concernée. Il en sera ainsi jusqu’à ce que la dernière personne qui t’a connue soit en vie…
- Tous ne vont pas mourir en trente jours ? Si ?
- Non, bien sûr que non. C’est juste la méthode. Ne t’inquiète pas, les humains oublient facilement.
- Je ne sais pas si cela me rassure, il s’agit de ma vie quand même !
- Première étape… Accepter.
Pouf ! Disparu.

Je me retrouve seule face à cette espace vide et noir, paradoxalement plus rassurant qu’à mon arrivée.
Je suis morte et pas de tunnel.
Je suis morte et pas de lévitation ni de paradis.
Je suis déçue.
Pas d’être morte mais que cela soit si basique, moins spectaculaire que je ne l’avais pensé. Les réponses calmes et posées de Diamant ne m’aident pas à accepter. En même temps être morte, c’est déjà en soi un gros morceau à avaler…
Et puis il y a l’initiation ?!? Je ne sais ce que c’est mais cela veut dire que ma vie, d’une certaine manière, n’est pas finie…

Perpétuité sans remise de peine sur terre ok… Mais après !?!
Je ne sais pas si cela me fait vraiment plaisir…

Le repos éternel, après une vie aussi agitée que la mienne, était un but en soi et là BIM ! Initiation…

Toute une carrière à faire des missions d’intérim, à changer de monde à chaque fois avec des règles différentes de gestion et de politique, et là BIM ! Initiation…

J’avais imaginé autre chose et comme d’habitude, il vaut mieux ne rien imaginer et être surpris de tout plutôt que l’inverse.
Le verre à moitié plein quoi !

En pensant au verre, j’avais aussi imaginé mourir d’une maladie longue, me permettant de boire et manger à nouveau n’importe quoi, avec la meilleure excuse du monde puisque fatale et là encore déception…

Depuis ma reprise de conscience, si je peux dire, ni faim, ni soif, aucune envie de rien. Un vide renvoyant à celui environnant.

Maintenant il faut que je dise au revoir à la terre et à ma vie d’humain.

Une bulle de vie s’ouvre. Je reconnais mes enfants, mon appart. La table regorge de bouffe, que des gens, se regardant dans des demi-sourires, entourent dans un silence de mort, la mienne.
- S’il vous plaît… Appelle mon fils la bouche tordue de peine contenue, - Je vous remercie d’être venus pour rendre hommage à notre mère. Je suis sûr qu’elle aurait apprécié. Nous vous connaissons tous plus ou moins directement et, comme dirait maman, avec ce point commun qui vous lie, la gentillesse. C’est la qualité qu’elle préférait chez l’être humain sans distinction de CV ou niveau social… Que dire d’elle ? Je pense que le mieux serait que chacun raconte sa rencontre ou une histoire qu’il a partagée… Avec elle…
La voix se casse.

Je reconnais des gens, les histoires s’enchaînent les unes aux autres. Beaucoup de rires, peu de profondeur… Derrière chaque visage, je vois le moi profond. Certains en adéquation avec la peine ressentie, d’autres dans la culpabilité des actes ou pensées passés...
L’humain a cette faculté incroyable de rire alors qu’il pleure ou de pleurer alors qu’il se réjouit…

En tant qu’esprit ? Je vois et constate que mes doutes, vivante, sont confirmés, morte !
Tant pis pour moi…

Je m’approche de la bulle et me retrouve propulsée dedans.  Un maillage serré de traits verts quadrille la pièce. Quézaco ???

Je passe au travers de l’un et reçoit une conversation téléphonique. Je suis le trait et remonte vers une personne sur le balcon !?!
Au point de croisement, les ondes s’entrechoquent, téléphoniques, télévisuelles et web, recouvrant le ciel de vert, conséquence d’une communication à outrance, relayée par les satellites. Plus de nuages, la planète n’est plus bleue… Mais verte !

Et dire que les scientifiques nous affirmaient que c’était inoffensif…
Une fumisterie de plus !

Dans la pièce, la culpabilité de certains envers moi, regrettant trop tard la manipulation, le vol, la malversation dont ils m’ont fait leur victime, le tout dans une réalité non exprimée que je ressens malgré tout.

Les pardonner ?
Qu’ils se pardonnent à eux-mêmes !

Ceux-là n’ont pas tout le corps en particules noires mais la bouche, les yeux et les oreilles sont déjà contaminés…

Ils n’entendent, ne voient ou ne disent… Que de la merde !
Bien fait !

Je savoure cette petite vengeance dont ils n’ont même pas conscience ! Ils m’ont menti, utilisant à des fins personnelles ma gentillesse ; ils m’ont dénigrée dans mes choix de vie ; jugée parce que je ne courais pas après l’argent ou la gloire et là, ils larmoient sur ma mort pour se donner bonne conscience…
Pouah ! Ça me donne la nausée !

Je m’approche de l’un deux. Son corps m’aspire à l’intérieur. Ce n’est même pas sur ma mort qu’il pleure mais sur sa propre vie, étriquée, uniquement constituée d’envie de tout sans jamais se satisfaire de rien…

Et pourtant…

Les Pharaons, avec leur vision de l’au-delà, nous ont donné une leçon.
Vingt à vingt-cinq ans de construction pour leurs pyramides, momification du corps, enfermés avec les besoins matériels hypothétiques d’or ou d’argent, accompagnés de leurs esclaves et même de leurs animaux de compagnie …

Malgré les pièges et leur construction, leurs tombeaux ont été pillés, les laissant figés en position debout, derrière des vitrines, pour le plus grand plaisir des touristes de passage, mitraillant de leurs téléphones portables, faisant des selfies …

Pas de paix, pas d’oseille, tout ça pour ça !!!

- Barre-toi de là !!! J’hurle et imagine mon auréole entourée d’étincelles. Mon cri doit projeter des feux d’artifices…
La personne investie sursaute, signe qu’elle m’a entendue, m’expulsant d’elle et de la bulle de vie.
J’accuse le choc, coup de poing énergétique et la regarde de l’extérieur s’enfuir de la pièce, terrorisée.

- Qu’as-tu fait ! Intervient Diamant en apparaissant.
- J’ai été projetée dans la bulle de vie…
- Tu n’es pas encore autorisée à descendre sur Terre.
- Je ne savais pas…
- Il est aussi interdit d’entrer dans le corps d’un humain. Continue-t-il. - Jamais !
Les pointes entourant son aura donnent le ton, Diamant n’est pas content.
- Et je le sais comment moi que c’est interdit ?!? Hein… J’ai été propulsée dans la bulle ! Tout était vert et je ne sais pas pourquoi ! Et puis il y avait cette personne avec les yeux, la bouche et les oreilles pleins de particules noires. Je me suis approchée et BIM ! J’étais dans son corps et j’entendais toutes ses pensées ! J’ai crié et là, je suis revenue ici instantanément et vous, vous m’engueulez …
Je vous préviens cela ne va pas le faire !!!
- Tu as raison j’aurais dû être avec toi. Se calme-t-il. - Je vais répondre à toutes tes questions.
- Heu… Je me calme à mon tour, étonnée de l’ascenseur émotionnel violent. - Alors déjà pourquoi tout est vert…
- Ce sont les ondes, toutes les ondes… Normalement tu n’aurais pas dû les voir, l’initiation t’élevant au-dessus des fréquences utilisées sur Terre …
- Des fréquences rendant tout vert… Quand je pense qu’on nous disait que c’était inoffensif, ces soi-disant experts… Des escrocs !
8
Résumé :

À Lyon, au cimetière de Loyasse, un homme est retrouvé assassiné près de la tombe d'un célèbre guérisseur. Découvert par sa mère, tout porte à croire que ce meurtre n'est que le début d'une longue cabale déclenchée contre la famille Daventure.
De par sa complexité, cette nouvelle affaire est un défi de taille pour le commandant Nathalie Lesage et son équipe.
Dans les rues d'un Lyon aussi secret que mystérieux, où la petite histoire va croiser la grande, cette enquête va bouleverser la vie de notre héroïne…
Un thriller percutant sur lequel plane l'ombre de Raspoutine, personnage historique qui continue à intriguer et stimuler l'imaginaire collectif…


Mon avis :

Tout d’abord, je tiens à remercier les Éditions Taurnada pour leur confiance, et de m’avoir permis de découvrir ce roman au résumé attractif.

Pour avoir dévoré les précédents ouvrages de l’auteur, pour les plus curieux, mes chroniques ici : Une arête dans la gorge, La quatrième feuille, Néréides, il n’est pas indispensable d’avoir lu les précédents pour appréhender son petit dernier ; vous ne serez juste pas en mesure de suivre et d’apprécier l’évolution du personnage principal.

Dans ce dernier opus, nous retrouvons donc avec plaisir la solitaire mais néanmoins attachante Nathalie Lesage, commandante à la PJ de Lyon. Si dans sa profession celle-ci demeure intuitive, exigeante, efficace, avec un caractère bien trempé il en est tout autre dans sa vie personnelle. Secrète, fragile, marquée par de nombreuses blessures antérieures, elle n'accorde que très peu sa confiance, constamment réfugiée derrière sa solide carapace.
Et si cette quatrième aventure placée sous couleurs de rencontres multiples était le départ d’une transformation, de nouvelles résolutions, voire le déclencheur d’un possible renouveau ?

C’est sous une chaleur accablante, qu’après l’Occitanie, et de retour sur Lyon, la policière et son équipe sont envoyés sur une scène de crime des plus atroces. Cimetière de Loyasse, une mère retrouve le cadavre de son fils battu à mort, à proximité de la tombe d'un célèbre guérisseur : Maître Philippe, incarnation possible du célèbre et sulfureux Raspoutine.
Cette énigme posée, le ton est donné ; notre curiosité est piquée au vif ; les questions taraudent notre esprit en ébullition.
Comment se fait-il que ce soit cette dernière qui trouve le corps de son proche ? Était-ce prémédité, ou juste une simple coïncidence ?
Ensuite, comment l’homme, Benoit Daventure, a-t-il pu atterrir dans ce lieu alors que le cimetière était fermé ? 
Aussi perdus et perplexe que nos protagonistes , nous voici plongés, happés, enferrés au cœur d’une intrigue  complexe mais fascinante à la manière d’un puzzle funèbre, dont les pièces nous échappent et refusent de s’emboîter.
Les investigations démarrent laborieusement ; nos enquêteurs s’interrogent face aux circonstances de la mort, mais aussi aux comportements troublants de la respectée mais énigmatique famille Daventure. Ainsi, même si au premier abord, la matriarche et sa tribu paraissent« bien sous tous rapports », nos policiers vont très vite détecter des comportements, des agissements étranges et dysfonctionnels.
Par exemple, même si aucun ennemi apparent n’aurait été trouvé du côté du défunt, il semblerait que ce dernier soit adepte de pratiques sexuelles hors du commun. Ces goûts originaux, auraient-ils pu le mener à sa perte ?
Quant à la mère, comment expliquer que cette maman, pourtant si proche de ses enfants, si proche de Dieu, soit dans l’impossibilité de ressentir la moindre affliction à cette affreuse découverte, alors que  le corps de son enfant gît à côté d'elle ?
Comment se fait-il qu’elle préfère au contraire se recueillir et nettoyer la tombe de cette célébrité locale, réputé pour sa médecine exotique et ses capacités de médiumnité ?
Qui est donc ce Maître Philippe qu'elle idolâtre sans cesse ? Quels liens entretient-t-elle avec lui ?
Pourquoi s’en prend-on à cette prestigieuse famille ainsi qu’à ses membres ? règlement de compte ? Vengeance ?
Quelle horribles secrets ces gens peuvent-ils bien cacher ?
Opiniâtre est résolue, Nathalie, toujours accompagnée de Cyrille, son fidèle et charismatique coéquipier, vont œuvrer tambour battant pour faire jour sur cette affaire des plus complexes.
Pour autant, ont-ils vraiment pris conscience du dangereux bourbier dans lequel ils ont mis les pieds ?
Sa proximité et son empathie pour la jeune Romy ne va-t-elle pas entraver, ou pire, compromettre la résolution de ce dossier ?
Notre duo de choc parfaitement complémentaire devra faire preuve de ruse, de rigueur, de témérité, et surtout, savoir démêler le vrai du faux s’ils veulent toucher au but afin de résoudre cette épineuse affaire.
Leurs recherches les mèneront dans les méandre d’une société secrète pratiquant le Martinisme, sur les pas d’un hypothétique Raspoutine peu scrupuleux et prêt à toutes les vilénies pour parvenir à ses fins.
Une course haletante mélangeant légende lyonnaise, ésotérisme, références historiques, et secrets de famille au cœur de la belle ville de Lyon, qui, à elle seule, jouera l’un des rôles des plus importants de cette histoire.
Alors, réussiront-ils à rassembler et imbriquer toutes les pièces de ce puzzle tordu et macabre afin de découvrir la vérité ?
Dans ce récit addictif, tout le monde sera mis à rude épreuve. Des indices, des doutes ; des incertitudes, des fausses routes ; des manipulations et des mensonges de toutes sortes… Il sera difficile de défaire les nœuds de cette affaire sans y laisser quelques plumes.
Grâce à une écriture tantôt fluide et percutante, tantôt acérée et entraînante, nous faisons corps avec les personnages. Fort bien campés, attachants ou détestables, ils servent parfaitement le récit. Nous tremblons pour eux, apprécions leurs actions, ou condamnons certains de leurs comportements abjects… bref, l’immersion est totale. Les chapitres sont courts et rythmés. Les pages défilent à toute allure et on veut savoir, connaître le fin mot que nous a concocté l’auteur.
Entre mensonge et faux-semblants, de rebondissements en fausse piste, nous retenons ainsi notre souffle, et attendons l’explication du dénouement final, qui en surprendra plus d’un.
Retrouver Nathalie  fut un vrai plaisir. L’évolution de son personnage, l’incursion dans sa vie personnelle, le développement de cette autre facette de sa personnalité, apporte une véritable profondeur au récit. Hâte de voir, maintenant, comment l’auteur dans son prochain opus, va envisager la progression psychologique de son héroïne.
Vous l’aurez compris, j’ai beaucoup aimé ce thriller intense et bien rythmé, la plongée au cœur d’un univers méconnu et peu abordé, sans oublier la  qualité de l’intrigue et la manière dont elle a été menée.
Alors, si vous aimez les romans qui sortent des sentiers battus, de ceux qui vous secouent, vous glacent le sang ou vous révulsent tout en vous faisant réfléchir sur les travers de l’espèce humaine…. foncez, ce livre est fait pour vous ; vous passerez un excellent moment de lecture :pouceenhaut:  :

Ma note :

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9
Bonjour à tous :)
Ça faisait longtemps ^^ Mais aujourd’hui, il y a du nouveau 😁
Annonce de taille effectuée par Pierre-Etienne Bram (Auteur) @pebramauteur sur X (anciennement Twitter) concernant nos amis indépendants et leurs difficultés à trouver des salons qui les acceptent😓
Trouvé par ses soins, voici donc un lien non exhaustif regroupant les dates et les lieux qui font exception et où un AE peut proposer ses ouvrages en salon 👍
Merci à lui pour ce partage que je relaye, et bonne découverte 💡
https://blog.bod.fr/promouvoir/evenements-salons-du-livre/
10
Avis : auteurs auto-édités / C. 19 de Jean-Claude Michot
« Dernier message par Antalmos le ven. 12/01/2024 à 07:51 »
Intrigue originale de Jean-Claude Michot, inspiré par les événements de 2020, d'où le titre, et dont on ressort après lecture, rassurés que ce n'est qu'une fiction. Mais ne dit-on pas que la réalité dépasse souvent la fiction ? Alors un bon conseil ne sera pas de trop : si vous trouvez une clé USB, laissez-là où elle est, ça vaut mieux. C'est ce qu'aurait dû faire Max qui menait une vie tranquille jusque-là avec Estelle, et qui, en prenant connaissance du contenu de la clé, à ouvert la boîte de Pandore. Leur vie est désormais en danger.  Une puissante organisation répartie dans le monde est prête à tout pour récupérer la fameuse clé et éliminer toute personne mettant en péril leur funeste projet pour l'humanité. Et voilà notre couple parti sur les routes pour tenter d'échapper aux tueurs lancés à leurs trousses. Comment tout cela va finir ? Je vous laisse le découvrir en lisant ce court roman (ou longue nouvelle) où un dénouement inattendu, surprenant même, vous attend.
Le style fluide de l'auteur, sans prise de tête, entrant rapidement dans le vif de l'histoire, des événements qui s'enchaînent très vite avec de jolies descriptions sur les lieux visités par les différents protagonistes, une tension maintenue jusqu'au bout, concourent au plaisir de lecture. Bravo à l'auteur.
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