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Mise en avant des Auto-édités / Neurotoxines de Magali Chacornac-Rault
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Neurotoxines de Magali Chacornac-Rault Les enquêtes de Matthew Colins et Anna Lafont





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Résumé :

Anna Lafont, Matthew Colins et leur fils, Tom, sont rentrés à Washington et essaient de se reconstruire après leur rencontre avec le Boucher et le Caméléon.
Cette étape est délicate pour l’ensemble de la petite famille, toutefois, c’est le profileur qui éprouve le plus de difficultés à reprendre le cours de sa vie, il s’en veut de n’avoir pas su protéger les siens et s’est promis que cela ne se reproduirait plus.
Lorsqu’un mystérieux tueur en série le replonge dans son douloureux passé, sème des cadavres autour de lui et s’approche dangereusement de sa famille, Matthew Colins n’a d’autre choix que de repartir sur le terrain avec ses collègues du FBI et affronter ses craintes…



Prologue

Il est vrai que trouver des victimes n’est pas si complexe. En entendant les témoignages de grands tueurs en série comme Ted Bundy ou Jeffrey Dahmer, on se dit que ce n’est pas possible, se mettre un bras en écharpe n’est pas suffisant pour piéger quelqu’un… Eh bien si ! Il n’est même pas nécessaire d’avoir recours à la force, au charme ou à la supercherie. Il suffit de jeter son dévolu sur une personne et de l’observer quelques minutes, lire sa gestuelle, analyser son langage corporel pour ensuite l’aborder en usant subtilement, presque inconsciemment, de postures et de manières similaires aux siennes. Elle trouvera en vous une image rassurante, une sorte d’âme sœur qui ne peut lui vouloir du mal.
Avant de découvrir cela, il a fallu quelque temps d’essais, user d’abord de stratagèmes inspirés de célèbres tueurs qui donnent de belles réussites, la plupart du temps… Cependant, ce n’était pas satisfaisant. Les gens sont tellement crédules, il est si simple de faucher leur vie que ça finit par perdre de son intérêt. Et que dire des tueurs qui s’en prennent aux ombres, à ces individus qui n’existent déjà plus pour la société tels que les SDF, les prostituées, les toxicos… Quel plaisir y a-t-il à prendre une vie qui ne compte pour personne ?
Le plus difficile, ensuite, est de ne pas perdre la confiance inspirée à la proie, sinon, on retombe inévitable-ment dans le primitif et le bestial, avec la violence, la force, et alors, rien ne se passe comme désiré, tout devient à la fois trop simple, trop rapide et, pourtant, tellement plus compliqué. Tout est si fluide, si aisé lorsque la victime agit de son propre chef, lorsqu’elle coopère avec enthousiasme à la mise en scène de sa propre fin.

*

Lorsque Stephen met la clef dans la serrure, il est 22 heures passées. Sharon n’a pas répondu à ses appels, ni à ses messages, et il imagine trop bien ce qui l’attend. Sa com¬pagne est furieuse.
Ce n’est pas le bon soir pour rentrer si tard, mais il n’a pas réussi à boucler plus tôt le dossier urgent sur lequel il travaille depuis des semaines. Après leur dispute de ce ma¬tin, Stephen ne sait pas comment Sharon va réagir. Il hésite entre l’indifférence et la crise, et n’arrive pas à décider ce qu’il préfère affronter.
Avec un soupir résigné, il passe la porte en lançant :
— Chérie ! C’est moi, je suis désolé de rentrer à cette heure tardive, promis, demain, je t’emmène au restaurant. J’ai enfin terminé ce dossier et je suis certain qu’on remportera le contrat !
Il pose sa sacoche et retire sa veste. Aucune réponse ne lui parvient, pourtant, Sharon n’est pas couchée, il l’entend dans la cuisine. Elle est peut-être moins en colère qu’il le croyait.
— Tu n’aurais pas dû m’attendre pour souper, mais ça me fait plaisir. J’avais peur que tu m’en veuilles…
Le silence pesant et le bruit continu des couverts qui piquent l’assiette rendent l’atmosphère lugubre. Stephen perd son sourire et se dirige lentement vers la cuisine, il appréhende maintenant de se prendre le plat de spaghettis dans la figure.
Le salon est plongé dans le noir et la lumière qui filtre de la cuisine est faible et vacillante.
Il s’avance jusqu’au seuil où il observe la pièce à travers une semi-obscurité. Les bougies de deux candélabres illuminent faiblement la salle. Elles sont déjà en grande partie consumées et la cire qui coule le long du pied donne un aspect plus sinistre que romantique. Une rose rouge trône au centre de la table et des pétales sombres s’éparpillent autour. Stephen distingue à peine sa fiancée qui n’a pas relevé la tête à son approche. Elle continue à piquer ses aliments de façon désordonnée.
Doucement, il ose briser le silence :
— Sharon, tout va bien ?
Aucune réaction. Il sait que quelque chose n’est pas nor¬mal. Ses yeux cherchent ceux de sa femme tandis que sa main tâtonne pour allumer l’interrupteur. Il appuie sur le bouton mais rien ne se produit. Il n’a d’autre choix que d’avancer, pas à pas, en demandant, presque suppliant :
— Sharon, chérie, parle-moi ? Tu es bizarre, tout est bizarre ! Tu me fais peur…
Stephen s’approche encore, la main tendue prête à se po¬ser sur le bras de sa compagne pour qu’elle cesse de piquer frénétiquement son assiette, qui est d’ailleurs presque vide. Il glisse avant de l’atteindre et se rattrape de justesse à la table. Il a failli s’étaler par terre. Il baisse les yeux et dé¬couvre une flaque sombre et visqueuse aux pieds de Sharon.
— Tu es malade ma chérie ? demande Stephen de plus en plus anxieux.
Toujours aucune réponse. L’homme ressort précipitamment de la pièce et allume toutes les lampes de l’appartement. À son grand soulagement, elles fonctionnent, seule celle de la cuisine est grillée. Il revient sur ses pas, passable¬ment exaspéré par l’attitude de sa compagne, lorsqu’il remarque des empreintes de semelles. Ce sont ses propres traces, rouge sang. Il observe ses chaussures, elles sont ma¬culées d’un sang sombre qui a déjà commencé à coaguler. Il se précipite à la cuisine et découvre alors la scène dans toute son horreur.
La lumière met en évidence le sang qui colle les cheveux blonds et fins de Sharon. Ses yeux bleus, habituellement si expressifs, sont totalement vides, elle ne regarde même pas ce qu’elle fait. Les gestes de sa main droite sont anar¬chiques, entrecoupés de petits tressautements, tandis que son bras gauche pend comme s’il était mort. La peau en a été retirée et la chair est à vif. La même ablation a été pratiquée sur le cou et le plastron. Stephen voudrait prendre sa com¬pagne dans ses bras et lui dire que tout ira bien, pourtant, il en est incapable. Il n’arrive plus à bouger.
Alors qu’il fixe Sharon, les yeux embués de larmes, il comprend au son émis par la fourchette, qu’elle s’est enfin fichée dans un morceau de viande. Il observe sa fiancée porter la nourriture à sa bouche et ce simple geste le rassure, peut-être n’est-ce pas si grave. C’est alors qu’il remarque sur l’aliment un symbole qu’il connaît bien car il fait partie du tatouage que Sharon porte sur l’épaule. En un éclair, il comprend qu’elle est en train de manger sa propre peau. Il se retrouve plié en deux à vomir sur ses chaussures déjà souillées de sang.
Il voudrait reprendre son souffle mais n’y parvient pas. Il attrape son téléphone dans la poche de son pantalon et compose difficilement le 911. Il est totalement incohérent, proche du malaise. Il espère que les secours arriveront rapidement.
Lorsque Sharon tourne légèrement la tête, Stephen dé¬couvre un trou béant sur le côté gauche du crâne de sa com¬pagne. Qui a bien pu mutiler de la sorte sa douce et tendre fiancée ? C’en est trop pour lui, il s’effondre contre le mur. Tout cela n’est pas possible, ce doit être un cauchemar.

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Washington, fin novembre.

Cela fait quatre mois qu’Anna Lafont, Matthew Colins et leur fils Tom sont rentrés à Washington. Ils ont peu bougé de leur petit appartement, heureux de retrouver leur univers et leurs amis. La famille ne s’agrandissant pas, ils ont abandonné leur projet de déménagement. Ils ont, de toute façon, besoin de garder leurs repères et la stabilité rassurante de leurs habitudes.
Le jour de la rentrée des classes, Matthew était anxieux. Pour des raisons de sécurité, il n’accompagne jamais son fils dans des lieux publics. Il évite qu’on le voie sortir de l’immeuble accompagné de sa femme et de son petit garçon. S’ils doivent se déplacer en famille, ils utilisent une voiture aux vitres teintées, garée dans le parking situé en sous-sol, où Anna s’installe à l’arrière avec Tommy.
L’école de Tom n’étant qu’à quelques rues de chez eux, à peine plus loin que le jardin d’enfants qu’il fréquentait jusqu’ici, le trajet se fait à pied. Savoir son fils et sa femme loin de lui pour la première fois depuis sa confrontation avec Le Boucher a été difficile. Pourtant, Anna n’a pas hésité une seconde, pour elle, c’était une évidence et son rôle de ma¬man. Elle n’a même pas eu l’impression d’être plus sur ses gardes qu’à l’ordinaire. Seul à la maison, Matthew trépignait, jetant régulièrement un regard par la fenêtre afin d’apercevoir la silhouette d’Anna. En la voyant revenir sou¬riante, il a ressenti un immense soulagement.
Le profileur sait qu’il n’y a pas de raison valable à son angoisse, aucune menace ne pèse sur lui actuellement, ce¬pendant, il n’arrive pas à se contrôler. Matthew n’a toujours pas repris son poste au sein du FBI, il n’arrive pas à se résoudre à laisser sa famille. Il s’en veut toujours terriblement de les avoir mis en danger et de ne pas avoir été là pour les protéger. Il n’a pas l’habitude des journées passées enfermé, l’inactivité lui pèse, même s’il s’octroie de longues séances à la salle de sport. Rapidement, il a repris le profilage sur dossier afin de s’occuper. Mais ce premier jour sans Tommy à la maison a été une vraie torture, il était incapable de se concentrer sur son travail, son esprit revenant toujours à son fils, se demandant ce qu’il faisait et si tout allait bien.
Le voyant ainsi agité, Anna en a profité pour le pousser à retourner sur le terrain. Elle n’aime pas voir son mari dans cet état. Sa place était, est et sera toujours à courir après les pires monstres que porte cette terre afin de la rendre un peu plus sûre pour les êtres qu’il chérit. Cependant, elle n’a pas réussi à le convaincre.
La rentrée de Tom à l’école s’est très bien déroulée. Anna redoutait la séparation qui aurait pu rappeler au petit garçon le douloureux départ de sa maman de la grotte dans la montagne cévenole, mais il n’en a rien été. Tom ne garde aucun traumatisme de leurs vacances mouvementées et cela ras¬sure Anna. Le nouvel écolier s’est rapidement fait des copains et il s’attelle consciencieusement à ses devoirs dès qu’il rentre à la maison.
Retrouver son piano a été pour Anna un véritable bonheur. Jouer, recouvrer le pouvoir apaisant de la musique et de ses doigts qui courent sur le clavier est ce qui lui a le plus manqué à sa sortie de l’hôpital. La musique a toujours été son refuge lorsqu’elle va mal. Elle a, cependant, vraiment pris conscience de son état quand elle s’est remise à jouer et écouter les chansons de Jean-Jacques Goldman en boucle. Cet artiste français, sa voix et surtout ses mots ont été pour elle la présence paternelle qu’elle avait perdue brutalement à cause de la maladie. Ces textes sur l’aboutissement des rêves ont bercé son adolescence et lui ont permis de s’accrocher et de se surpasser pour atteindre son objectif de carrière et avoir la vie qu’elle souhaitait.
Aujourd’hui, elle a, à nouveau, besoin de ce soutien pour surmonter ses blessures, ses peurs et la perte de confiance en elle. Elle puise la force de se reconstruire dans sa famille, mais ce n’est pas suffisant. Les frissons que lui procurent, après tant d’années et tant d’écoutes, certaines paroles et certains riffs de guitare prouvent que ces chansons font partie de son être pour toujours. Elle est, bien évidemment, suivie par un psychologue du FBI, toutefois, elle a l’impression que les séances de thérapie ont bien moins d’actions positives sur elle que la musique.
Jour après jour, Anna reprend le dessus et pour continuer à avancer, pour éloigner cette peur qui parfois la paralyse, elle doit retrouver une vie normale, une vie active, elle doit s’occuper l’esprit et arrêter de ressasser, de remettre en question les choix et les décisions qu’elle a pris dans le feu de l’action. Depuis que Tom passe ses journées à l’école, Anna ressent le besoin de reprendre ses recherches.
Afin de préparer Matthew, en douceur, à cette idée, elle commence par se remettre dans l’écriture d’articles qu’elle n’avait pas eu le temps de finir ou de rédiger avant leur départ pour la France. Anna est heureuse de constater que sa concentration est bonne. Lorsqu’elle s’enferme dans sa bulle pour travailler, son attention ne vagabonde pas, elle n’est pas happée par des souvenirs, des images qu’elle souhaite¬rait oublier mais qui resurgissent trop souvent, la prenant au dépourvu.
De son côté, Thomas Grant, le chef d’équipe de Matthew, subit de fortes pressions de la part des dirigeants du FBI pour qu’il prenne un nouvel agent afin de remplacer le profileur. Thomas temporise, il s’est promis de ne pas brusquer Matthew. De plus, il est, pour lui, inconcevable de remplacer l’agent Colins qui est l’un des meilleurs éléments du FBI. Même en simple consultant à distance, le profileur est toujours plus efficace que la plupart des agents qu’il pourrait recruter et qu’il faudrait ensuite intégrer et former.
Pourtant, Thomas ne sait pas combien de temps encore ses supérieurs mettront avant de passer outre son avis. Il sent que certains cherchent à le pousser vers la sortie et attendent qu’il commette une erreur pour le mettre d’office à la retraite. Pour le moment, personne n’ose agir, son équipe a le meilleur taux de résolution d’enquêtes, mais cela risque de ne pas durer si Matthew ne réintègre pas rapidement le groupe. Sur le terrain, son absence se fait sentir, un homme en moins, ce n’est pas anodin.

Ce soir, aucune victime potentielle n’était digne d’intérêt, elles étaient toutes si écervelées, futiles, paumées, prêtes à suivre n’importe qui pour deux minutes d’attention ou quelques secondes d’excitation.
Sa pratique devient de plus en plus fine et son exigence toujours plus grande. Ce soir, la solitude sera sa compagne. Ce n’est pas un problème, enchaîner les meurtres n’a aucun sens. Ce qui est jouissif, c’est d’augmenter la difficulté, la perversion des actes. Tuer n’est pas une fin en soi, parfois, ses proies restent vivantes mais dans l’incapacité de dénoncer. Prendre des risques est un jeu grisant.

2

Nouvelle-Orléans, Loyola University, 3 décembre.

Elle se réveille, une fois de plus, avec ce sentiment de malaise, comme si quelqu’un l’observait pendant son sommeil. Pourtant, ce matin encore, il n’y a personne dans son appartement. Elle a ressenti ce trouble pour la première fois il y a trois ans, juste après avoir appris qu’elle n’obtiendrait pas le poste qui lui revenait de droit. Elle avait alors mis cela sur le compte du stress et de la colère, pourtant, au lieu de s’améliorer avec le temps, cela s’amplifie. Elle est allée voir le psychologue de la faculté, mais il n’est rien ressorti de ces séances, il lui a même certifié qu’elle avait finale¬ment accepté son éviction à la tête du service et c’est effectivement ce qu’elle éprouve.
Alors qu’elle se rend à son bureau sur le campus universitaire de Loyola, elle ne cesse de se retourner. Elle éprouve cette étrange sensation d’être suivie. Inconsciemment, elle accélère le pas. Ses talons qui frappent le béton et qui ré¬sonnent contre le mur font monter sa panique, il lui semble entendre son poursuivant, ses pas parfaitement calés dans les siens. Elle tremble, par réflexe, elle resserre les pans de son manteau et en relève le col, mais cela ne change rien. Le froid n’est pas le responsable.
Elle arrive en sueur devant son bureau, enfonce la clef dans la serrure, s’engouffre dans la pièce en ouvrant la porte juste le nécessaire à son passage puis la verrouille à nouveau derrière elle. Elle se comporte comme une paranoïaque, ce¬pendant, se savoir à l’abri l’aidera à se calmer. Elle a l’impression que la crise dure plus que d’ordinaire. Elle est fatiguée et travaille sur un cas complexe que personne n’a encore étudié. Tout cela peut expliquer son état d’anxiété.
Elle se laisse choir dans son fauteuil en cuir et s’efforce de respirer calmement. Personne ne doit la voir comme ça. Cela ne ferait que conforter leur opinion.
À 55 ans, le professeur Jane Colson doit toujours se battre pour faire ses preuves. Elle a été la première femme dans son milieu d’étude et, après avoir dû prouver qu’elle était à la hauteur à cause de son sexe, elle doit maintenant batailler à cause de son âge.
Elle a été recrutée dans les années quatre-vingt-dix, à l’âge d’or des tueurs en série. À cette époque, ils fascinaient et l’étude de leur personnalité était toujours en plein développement. Après son doctorat en psychologie et criminologie, Jane a été embauchée par le professeur Fay. Il l’a choisie sur son physique, disant à qui voulait l’entendre qu’à compétences égales, il préférait travailler avec une jolie femme. Elle était flattée et les connaissances de Fay la fascinaient, aussi, il ne lui a pas été bien difficile de la mettre dans son lit. Elle a très vite compris qu’il ne quitterait jamais sa femme, pourtant, leur relation a duré dix ans. Ensuite, il s’est lassé et elle aussi.
Fay avait une intelligence rare, mais il était buté et il n’a jamais voulu la laisser entrer dans une prison. Il lui a catégoriquement refusé la possibilité de rencontrer les tueurs qu’elle étudiait, de discuter en tête à tête avec eux. Elle a toujours dû se contenter d’enregistrement car, soi-disant, les établissements pénitentiaires sont trop dangereux pour une femme.
Après leur rupture, Fay a engagé une secrétaire d’à peine 25 ans. Une jeune fille magnifique. Il lui a fait des avances qui n’ont jamais abouti. En dix ans il avait quelque peu perdu de sa prestance et cette gamine ne saisissait rien à ses recherches, son intelligence n’avait aucun pouvoir sur elle. Jane était assez satisfaite de voir la jeune femme repousser son patron qui ne comprenait pas pourquoi il n’arrivait pas à la séduire.
Lorsque Fay a quitté la direction du département de criminologie, Jane a espéré enfin accéder aux détenus qu’elle étudiait, toutefois, son successeur était tout aussi vieux jeu. Il y a trois ans, elle aurait dû prendre la tête du département, elle était la plus ancienne, la plus expérimentée, mais le poste lui a échappé sous prétexte de rajeunir les dirigeants. Son nouveau chef ne veut toujours pas qu’elle se rende dans les institutions de réclusion, prétextant son manque d’expérience dans le domaine et son âge. Que fera-t-elle si un prisonnier l’agresse ?
Il est vrai qu’elle semble fragile, de petite taille et menue, elle paraît plus jeune que son âge. Sans enfant, son corps n’a pas subi les affres des grossesses et son travail peu physique l’a préservée. Les rides de son visage sont encore assez discrètes pour être gommées par le maquillage et sa chevelure châtain a, peu à peu, tourné au blond au fil du temps et des colorations qui cachent ses cheveux complètement argentés.
À son âge, elle plaît encore, son charme attire les hommes de tous âges. Nombreux sont ceux qui se retournent encore sur elle dans la rue, pourtant, les relations amoureuses ne l’intéressent pas. Elle aime sa solitude et ses petites habitudes de vieille fille. Elle ne supporterait pas de faire les compromis qui sont nécessaires au bon fonctionne¬ment d’un couple. La seule condition qui pourrait la faire changer d’avis, c’est un esprit brillant, fascinant, à la limite du génie, toutefois, cela est devenu une denrée rare. Les jeunes gens lui semblent insipides, manquant cruellement de personnalité et de culture, tandis que les hommes de son âge sont restés coincés dans un carcan rigide où la femme ne doit pas être trop cultivée, n’a d’autre rôle que de les mettre en valeur et ne peut les surpasser dans aucun domaine, si ce n’est celui limité aux quatre murs de la maison. Elle n’a jamais été ni une bonne ménagère ni une bonne cuisinière et si elle n’a pas eu d’enfant, c’était par choix et non à cause des aléas de la vie.
Ressasser tout cela ne mène à rien. Si elle veut se calmer, elle doit faire le vide dans son esprit, un état presque second qu’elle n’atteint que lorsque qu’elle est plongée dans son travail d’analyse.
Elle sort de son tiroir un grand calepin et un petit dicta¬phone qui a au moins 25 ans. Elle rembobine la bande. Hier, elle a écouté l’entretien dans son intégralité afin d’avoir une idée d’ensemble. Maintenant, elle doit analyser bout par bout les réponses de cet homme qui a violé et égorgé pas moins de vingt et une femmes de 20 à 38 ans et neuf adolescentes de 15 à 18 ans. Elle travaille sur bande magnétique et non numérique car le cas qu’elle analyse actuellement est ancien, ce tueur a sévi à la fin les années 90 et a été arrêté en 2001. L’enregistrement qu’elle a en sa possession date de sa garde à vue durant laquelle il a tout avoué avec moult détails.
Cela fait des années qu’elle s’est spécialisée dans la psychologie des tueurs en série d’Amérique du Sud parce qu’elle parle couramment espagnol et, quitte à ne pas les rencontrer, autant traverser les frontières, surtout que des pays comme la Colombie ont leur lot de monstres. Quelques-uns ont eu une notoriété mondiale comme Barbosa, Lopez ou Garavito qui ont avoué des centaines de meurtres, mais de nombreux sont restés dans l’ombre, pourtant, ils sont tout aussi intéressants à analyser.
Ces pays où sévissait la guérilla ont permis à de nombreux tueurs en série d’agir en toute légalité ou, tout du moins, sous le couvert d’une cause qui semblait juste à certains. Toutes les guerres, tous les conflits de quelques natures qu’ils soient ont, depuis la nuit des temps, traîné dans leurs sillages de grands tueurs en série dont les actes sont passés inaperçus, rendus légitime par le combat. Elle aimerait analyser ces hommes, se confronter à eux.
Lorsqu’on frappe à la porte, elle sursaute. Plongée dans son écoute, elle n’a pas vu l’heure. Comme tous les matins à 10 heures tapantes, Charlie Woods, son second, vient lui apporter un thé. Elle reprend le contrôle de ses nerfs, lisse sa jupe puis va ouvrir :
— Votre porte était fermée à clef ? s’étonne l’homme d’à peine quarante ans.
— Oui, j’ai dû le faire par réflexe… je me barricade toujours dès que je rentre chez moi, je ne devais pas être bien réveillée en arrivant ce matin.
Charlie, en parfaite condition physique, vêtu d’un jean et d’un tee-shirt moulant, s’avance et pose la tasse sur le coin du bureau. Jane l’observe en se demandant pourquoi il ne l’attire plus. Ils ont pourtant pris occasionnellement du bon temps ensemble. La dernière fois qu’elle l’a invité à passer la nuit chez elle remonte à plusieurs mois maintenant. Elle sait qu’il la trouve encore à son goût malgré les années qui passent. Il cherche régulièrement à attirer son attention, cependant, elle n’y arrive plus. L’emballage est, certes, magnifique, mais il manque la finesse de l’esprit. Prendre simple¬ment son pied au lit avec une rencontre d’un soir est acceptable, cependant, il lui faut plus que cela dans une relation, même sans réel engagement.
Contrairement à ce que peuvent laisser penser les apparences, elle n’a pas choisi son assistant pour son physique avantageux mais pour son prénom, Charlie, qui était le diminutif de Charles Manson.


L’excitation gagne doucement, cependant, un manque de prudence peut faire fuir la proie. Cet homme n’est pas par¬fait, mais il y a si longtemps… qu’il fera une victime acceptable. Il a accordé sa confiance si facilement, si rapidement, que le jeu en a perdu de sa sensualité. C’est pourtant un homme intelligent, d’âge mûr, loin de la naïveté, fardeau de la jeunesse et de l’inexpérience.
Le cocktail de curare et neurotoxines agit peu à peu, il a déjà du mal à bouger et parler. Il restera conscient tout au long du supplice qui lui sera infligé. Au final, la mort ou la vie, la décision n’est pas encore prise. Cela dépendra du dé¬roulé de la séance et du plaisir qui l’accompagne, de l’envie que sa proie a de combattre aussi. Il est normal de laisser vivre les personnes qui se battent et d’achever celles qui ont déjà renoncé.
Avec ses gestes désordonnés, l’homme renverse la bouteille de Bordeaux qu’il a ouverte en l’honneur de leur amitié naissante. Le verre brisé sert d’arme de fortune particulièrement efficace. Quel plaisir de perforer la chair avec, de transformer ce type en un porc-épic hérissé de multiples morceaux de verre. Pour réaliser quelque chose de convenable, il faut fracasser d’autres objets en variant les formes et les couleurs.
Cette soirée est un véritable défouloir, une improvisation totale et une belle réussite. Elle s’achève malheureusement trop vite lorsqu’une artère est perforée par inadvertance, semant des jets carmin, accompagnant le paroxysme du plaisir. La victime, jusqu’ici consciente, s’éteint, sans un mot, sans une supplique, juste des larmes baignant son visage. Le curare anesthésie les muscles non la douleur.

3

Washington, 13 décembre.

L’équipe dirigée par Thomas Grant se réunit au complet pour toutes sortes d’occasions afin de passer des moments conviviaux, loin de l’ambiance pesante du terrain où les agents risquent leur vie. Ils se sont retrouvés chez Sarah Kramer pour Thanksgiving. Le repas préparé par son mari était un véritable régal et Anna a peur de ne pas être à la hauteur. Elle reçoit les coéquipiers de Matthew pour fêter Noël. Ce repas se fait quelques jours avant le 25 décembre afin de laisser à chacun la possibilité de se retrouver en fa¬mille pour cette journée spéciale. Anna s’est portée volontaire, elle aime recevoir l’équipe, ils passent toujours un très bon moment tous ensemble. Habituellement, ce sont des repas conviviaux, informels, sans les adolescents de Sarah qui préfèrent rester chez eux. C’est la première fois que Noël se fait dans leur petit appartement et elle se met la pression.
Elle multiplie les occasions de retrouvailles, elle sait que Matthew a besoin de ses collègues et elle espère qu’il repartira rapidement sur le terrain. Pour ce faire, elle a décidé de reprendre le travail au laboratoire du FBI dès le 4 janvier. Si elle n’est plus à la maison, son mari n’a aucune raison d’y rester enfermé. De toute façon, elle se sent prête et elle doit bien avouer que la perspective d’aider Matthew à retourner au bureau la motive. Elle a l’impression qu’il s’est fait la promesse ridicule d’être toujours à quelques pas d’elle et de Tom pour les protéger, même si ce n’est pas possible. Elle voit bien que son mari n’est pas à sa place à tourner en rond dans l’appartement. Il dort mal et ses yeux sont parfois si éteints que ça lui fait mal au cœur. Depuis que Tom est à l’école et qu’elle travaille de longues heures par jour sur ses articles, Matthew s’est plongé dans le profilage sur dossier de façon intensive, seulement, il a rattrapé le retard que son équipe avait accumulé et les nouveaux cas se font rares. De plus, il les traite si rapidement qu’il n’a vite plus rien pour l’occuper. La période des fêtes arrive donc à point pour lui changer les idées et Anna compte bien tout faire pour y parvenir.
Après avoir récupéré Tom à l’école, Anna l’emmène choisir le sapin de Noël. Comme chaque année, Tommy a les yeux qui pétillent et beaucoup de mal à arrêter son choix, Anna prend donc la décision finale pour que les autres clients n’attendent pas trop longtemps dans le froid. L’em¬ployé élague sur sa demande quelques branches afin que l’arbre ne soit pas trop touffu puis elle règle son achat. Il sera livré à son domicile en fin de journée. Le retour se fait presque au pas de course, Tom a hâte d’aller chercher les cartons contenant les décorations qui sont rangés à la cave. Anna est heureuse de voir la joie de son petit garçon. Lorsqu’ils approchent de l’immeuble, elle remarque que Matthew est à la fenêtre. Il les guette, inquiet. Sa gaieté s’envole. Elle a besoin de parler à quelqu’un, elle appellera Thomas dès qu’elle en aura l’occasion.
À peine la porte passée, Tom se jette dans les bras de son père et s’applique à lui décrire, dans les moindres détails, l’arbre qu’il a choisi. Ensuite, père et fils se rendent à la cave et reviennent les bras chargés de cartons de toutes tailles.
Ce soir, le garçon n’arrive pas à se concentrer sur ses devoirs, il est bien trop excité. Il attend avec impatience le sapin qu’il espère avoir le temps de décorer avant de devoir se coucher. Lorsque l’interphone s’anime, Tom s’exclame, euphorique :
— Le sapin est là ! Le sapin est là !
— Calme-toi, mon chéri ! le tempère Anna, avant d’appuyer sur le bouton pour ouvrir la porte du hall de l’immeuble.
Matthew observe sa famille, ces moments de bonheur sont si précieux pour lui, il a failli perdre tout cela. Il se sent chanceux. Voir les yeux de son fils et de sa femme étinceler n’a pas de prix pour lui et il consent à tous les sacrifices pour être certain de pouvoir continuer à les serrer dans ses bras aussi longtemps qu’il vivra, sachant qu’il compte vivre aussi vieux que possible. Le profileur sent qu’il a un sourire béat sur le visage. Il s’arrache difficilement à la contemplation de cet instant de quiétude pour descendre chercher l’arbre.
Le livreur l’attend en trépignant, pressé de continuer sa tournée. En découvrant le sapin, Matthew soupire, il est en¬core plus grand que celui de l’an dernier. Il signe le reçu de boucles illisibles puis se débat avec les branches et les aiguilles dans l’escalier. Arrivé en vue du troisième et dernier étage, il découvre Tom sur le pas de la porte qui l’encourage à grimper les marches plus vite. Matthew lui sourit tout en lui demandant de rentrer. Au moment de franchir le seuil, le père de famille hésite, il craint d’abîmer les branches de la base qui sont vraiment très longues et Tom s’alarme :
— Il est trop grand, il ne passe pas ?
— Si, il passera, ne t’inquiète pas mon bonhomme, je veux juste faire ça proprement, ce serait dommage de casser des branches, tu as choisi le plus beau et le plus grand, sans aucun doute.
Après un instant de réflexion, le garçon se tourne vers sa maman et demande :
— Tu crois qu’on aura assez de boules et de guirlandes pour le décorer ? S’il est plus grand que l’an dernier, on risque d’en manquer…
Anna pouffe, il y a de quoi surcharger deux arbres dans les cartons, mais elle sait que, comme chaque année, Tom trouvera un moyen pour qu’elle accepte d’acheter de nouvelles décorations.
Le sapin à peine posé au salon, Tom farfouille déjà dans les cartons à la recherche des trésors qu’il souhaite installer. Les bras chargés, il observe ses parents qui s’agitent à fixer le pied et stabiliser l’ensemble avant de faire tourner l’arbre sur lui-même pour trouver le meilleur profil. Une fois satis¬faits, ils se reculent et Tom prend les choses en main. Le sapin se couvre rapidement de couleurs et de lumières, sur¬tout à hauteur d’enfant, pour la partie inaccessible, le garçon donne ses instructions aux adultes qui s’autorisent quelques fantaisies personnelles.
L’heure tourne et Anna décide d’aller préparer le dîner, sinon, Tom se couchera trop tard et il lui sera difficile de le réveiller demain matin. Les vacances arrivent bientôt, elles seront les bienvenues pour son fils que le rythme scolaire fatigue bien plus que le jardin d’enfant.
Lorsque le repas est prêt, le sapin est entièrement décoré et il est difficile de voir encore quelques aiguilles vertes dé¬passer, pourtant, après avoir contemplé son œuvre durant tout le temps du souper, Tom finit par annoncer d’un ton très sérieux :
— Je crois que je sais ce qu’il manque à notre sapin.
Anna et Matthew se regardent, perplexes, pour eux, il ne manque rien, il y a même beaucoup trop de choses. Sans attendre la réaction de ses parents, il poursuit :
— Il n’y a pas de guirlandes blanches pour faire la neige. Tu sais, Maman, comme sur le sapin de la place quand on revient de l’école…
Anna acquiesce et son fils s’exclame :
— Si on en rajoute deux ou trois, ce sera parfait !
Anna et Matthew rient de bon cœur et approuvent. Demain, Tom et Anna passeront acheter des guirlandes blanches en sortant de l’école. Le garçon, comblé, accepte d’aller se coucher sans rechigner et s’endort pendant que son papa lui lit, comme chaque soir, une histoire.

Les jours qui suivent, Anna et Matthew sont bien occupés par la confection du repas de Noël. Anna a mis les petits plats dans les grands et Matthew l’aide de son mieux. Il aime la complicité qui les unit et passer de longs moments seul avec sa femme le rend joyeux. Lorsqu’il était sur le terrain, à l’autre bout du pays des semaines entières, il avait peu l’occasion pour ces instants de connivence. Ils ont aussi choisi et commandé les cadeaux de Tom et il est impatient de les lui offrir. Avoir du temps lui permet de s’impliquer pleinement dans tous les moments importants de sa vie de famille et il se rend compte à quel point Anna avait tout géré jusqu’ici.
Le repas s’organise le premier jour des vacances. Tous les membres de l’équipe sont attendus pour midi. Comme à l’accoutumée lors de leur réunion chez le profileur, les invités arriveront par le parking souterrain afin de passer inaperçus.
Le premier à se présenter est Patrick Baker, le spécialiste de l’équipe pour tout ce qui est informatique, écoute et mouchards. Il s’est mis sur son trente et un, mais, même avec une chemise, il fait toujours beaucoup plus jeune que son âge. Dès que Tommy le voit, il lui saute dans les bras et l’emmène dans sa chambre pour lui montrer ses nouveaux jouets. Patrick a à peine le temps de s’extasier sur la décoration de la table et de remercier Anna pour l’invitation. Tout en se laissant tirer par Tom, il fourre un paquet cadeau dans les mains de Matthew. Patrick ne pense pas à apporter une bouteille de vin ou un bouquet de fleurs, mais il n’oublie jamais d’arpenter les magasins de jouets pour gâter Tom. Il est resté un grand enfant. Matthew dépose le paquet emballé de rouge et de vert sous le sapin.
Très vite, la sonnette retentit à nouveau, c’est Miguel Paz qui se présente avec un magnifique bouquet de roses. Alors que Matthew le fait entrer, son coéquipier n’a d’yeux que pour Anna. Miguel, en mode flatteur, la complimente sur sa tenue, la décoration et tout ce qui se présente. Anna rit. Matthew ne sait pas flatter ainsi les gens et n’a pas envie d’essayer, il préfère l’honnêteté. En ce moment précis, il sait, cependant, que Miguel est parfaitement franc dans ses compliments, pourtant, Anna ne le croit pas, il en fait trop, mais c’est ce qui participe à son charme. En plus du bouquet, Miguel, qui est le parrain civil de Tom, a apporté un gros paquet qu’il dépose sous l’arbre chargé de boules colorées avant de crier bien fort :
— Où est mon filleul préféré ? Si je n’ai pas mon bisou de bienvenue dans les trente secondes, le Père Noël ne pas¬sera pas !
Tom arrive en courant, se jette dans ses bras et annonce :
— Tu sais bien que je ne crois pas au Père Noël. Papa m’a raconté toute l’histoire, l’origine de ce conte populaire et tout, tu veux que je t’explique ?
Miguel rit et lève le petit garçon à bout de bras.
Thomas Grant arrive sur ces entrefaites. Anna a discuté avec lui et ils ont décidé de pousser un peu Matthew à retourner au travail. Thomas a été surpris de l’appel à l’aide d’Anna et aussi soulagé. Il l’apprécie beaucoup et il est flatté qu’elle se tourne vers lui pour des conseils. Ils échangent un regard complice lorsqu’il vient la saluer et lui recommander de mettre la bouteille de Champagne qu’il a apportée au frais.
Quelques minutes plus tard, c’est Sarah Kramer qui se présente avec son mari et ses deux ados qui ne semblent pas particulièrement enchantés de passer leur journée entre des adultes et un petit garçon d’à peine six ans.
Les discutions vont bon train, l’ambiance est joyeuse, tout le monde trouve rapidement sa place. Les garçons de Sarah prennent leur rôle de grand frère d’un jour très au sérieux et Tom est ravi d’avoir toute leur attention. Ils lui font aussi découvrir des « musiques de grands » et des jeux qu’ils ont sur leur Smartphone.
Alors que l’après-midi est déjà bien avancé et que les convives finissent difficilement la bûche confectionnée par Anna, cette dernière annonce qu’elle reprendra le travail dès la rentrée des classes. L’ensemble de ses amis l’encourage et la félicite, elle en a presque les larmes aux yeux. Cette équipe, qui est la seule famille de Matthew, est aussi devenue la sienne, ils l’ont adoptée sans aucune réticence. Ils sont tous si gentils et bienveillants tant avec elle qu’avec Tommy. Son petit garçon a plus de tontons et tatas que la plupart de ses camarades alors que ses parents n’ont aucune famille. Le savoir entouré réconforte Anna. Il trouvera toujours une oreille attentive pour l’écouter ou de bons conseils s’il en a besoin.
Avant même que Thomas rebondisse sur l’information, Miguel donne une bourrade dans le dos de Matthew en disant joyeusement :
— Ça veut dire que toi aussi tu reprends du service ! Tu nous as manqué, l’équipe sans toi, ce n’est pas pareil !
Tous les yeux sont tournés vers Matthew qui hésite, il est flatté de ce soutien et ne sait comment annoncer qu’il ne compte pas revenir, en tout cas, pas tout de suite.
Décelant son hésitation, Thomas enfonce le clou :
— Ton retour sera une vraie délivrance, le chef va enfin arrêter de me harceler !
Matthew hausse un sourcil interrogateur invitant son ami à développer :
— Ça fait plusieurs semaines maintenant qu’il me de¬mande de recruter un autre agent, il ne veut rien entendre quand je lui explique que je ne souhaite personne d’autre que toi, que même en consultant tu es bien plus efficace que n’importe qui…
— Ouais, il m’en a parlé, annonce Miguel, il m’a presque menacé en disant que si notre taux de résolution d’enquêtes continue à chuter, il démantèlerait l’équipe, je ne l’ai pas pris au sérieux, mais vu ce que tu viens de dire, je ne sais plus que penser.
— Pourquoi tu ne m’as rien dit ? demande Thomas, stupéfait.
— Bah, j’ai cru qu’il se foutait de moi, je me vante si souvent de notre taux de réussite… c’est vrai qu’il a baissé, avec un homme en moins, on est plus lents…
— Il est hors de question qu’on touche à notre équipe, assène Patrick, nous sommes bien plus que de simples col¬lègues qui travaillent ensemble !
Tous acquiescent, y compris Matthew qui n’avait pas pris conscience des conséquences de son absence prolongée. Ce dernier se tourne vers sa femme qui lui sourit et l’encourage d’un léger signe de tête, les yeux pétillants. Après avoir pris une longue inspiration, il annonce :
— Je reviens travailler au bureau, mais je ne vais pas sur le terrain, mes horaires seront ceux des gratte-papier, je souhaite continuer à profiter de ma famille.
Thomas approuve et enchaîne :
— Cela devrait calmer un peu le grand patron et puis, si tu te charges de la paperasse, je pourrai être plus présent sur le terrain…
L’épée de Damoclès qui pèse sur l’équipe a un peu re¬froidi l’ambiance, mais cela ne dure pas. Le repas se termine en début de soirée et Anna répartit les restes. Chaque convive a de quoi manger au moins pour le lendemain. Patrick, qui ne cuisine jamais, a, comme d’habitude, droit à une double ration et il remercie chaleureusement Anna pour cette attention.
Les départs s’échelonnent. Sarah, qui prend la route le lendemain pour passer les fêtes chez ses parents, s’éclipse la première, suivie de près par Miguel qui va retrouver sa petite amie du moment. Sa liaison n’est pas assez sérieuse pour présenter sa compagne à l’équipe, il n’a d’ailleurs jamais présenté une femme à ses collègues, elles ne font que de courts passages dans sa vie. Patrick, dont les parents arriveront dans quelques jours, et Thomas, qui n’a plus de relation avec sa famille, s’attardent. Cette journée a été une véritable réussite et Anna est heureuse.
Au moment de se coucher, Tom raconte à ses parents que les enfants de Sarah ont, eux aussi, des règles de sécurité à respecter, ça l’a surpris et ça lui a fait plaisir de ne pas être le seul. Cette remarque décide Anna à mettre plus souvent Tom en relation avec les fils de Sarah. Visiblement, la différence d’âge ne pose pas trop de problème et ils ont beau¬coup en commun. Tom a besoin de les côtoyer.
 

Du sang, du sang, il y a du sang partout. Cette odeur ferreuse fait palpiter les narines, le rouge sombre captive et le goût ravive les instincts primitifs.
Le sang met en joie, ou en panique, tout dépend si l’on est le bourreau ou la victime. Il réveille aussi les peurs primales et l’instinct de survie.
Le sang est le fleuve de vie, rouge, visqueux, sage ou turbulent. Lorsqu’il s’échappe et sort de son lit, la mort est prête à frapper. Une mort sans une goutte de sang versée n’a pas de sens, elle ne ramène pas à l’origine de la vie. La naissance est violente et douloureuse, la mort doit l’être tout autant !

4

Nouvelle-Orléans, Loyola University, 20 décembre.

En plus de son thé, aujourd’hui, Charlie lui apporte des coupures de presse parlant de tueurs en série. Ces articles proviennent du monde entier et Jane les épluche afin de trouver de nouveaux sujets d’études. Il y a trente ans de cela, on lui en apportait toutes les semaines, les monstres fascinaient les reporters aussi bien que le public et cet attrait incitait à passer à l’acte pour obtenir son moment de gloire. Actuellement, cet engouement est retombé. Il y a toujours des personnes qui sont fans des serial killers, mais le monde, en général, préfère les ignorer, s’imaginer en sécurité.
Le FBI a aussi participé à cette désescalade lorsqu’il a généralisé le recrutement de psychologues spécialisés sous le beau nom de profileurs. Ces agents ont fait en sorte de frustrer leurs détenus en tenant la presse éloignée et en ayant recours à des procès à huis clos. De plus, les nouvelles tech¬niques d’enquête permettent une identification plus rapide des meurtriers, peu arrivent encore à faire des centaines de victimes. Une dizaine, c’est déjà un bon score… À l’ère des réseaux sociaux, il en faut plus pour déchaîner les foules.
Jane reçoit donc maintenant ces coupures de presse deux fois par an seulement. C’est pour elle à chaque fois un réel bonheur, elle espère trouver dans ces articles son prochain sujet d’étude, un cadeau de Noël en quelque sorte. Quel¬qu’un qui fera battre son cœur pendant plusieurs mois, dont la voix bercera ses journées et où l’analyse des horreurs qu’il a commises fera avancer la connaissance et aidera à éradiquer ses semblables.
Sans plus attendre, le professeur Colson se met à décortiquer les photocopies une à une. Elle lit attentivement les quelques lignes et essaie de comprendre les motivations de l’homme, les raisons de son passage à l’acte. S’il n’y a aucune zone d’ombre, elle passe au suivant. Elle cherche un individu énigmatique afin de percer et de mettre au jour ses réelles motivations. Si l’article n’est pas assez complet, elle se connecte alors à la base de données fédérale et demande l’accès au dossier. Les journalistes restent souvent vagues car peu informés, il arrive aussi qu’ils laissent parler leur imagination et s’éloignent de la vérité.
Après plusieurs heures de recherche infructueuse, elle décide de faire une pause. Charlie a fait, comme à l’accoutumée, du zèle en triant les articles par zones géographiques. Elle vient de finir tous ceux concernant l’Amérique du Sud. Elle enlève ses lunettes et se masse les tempes. La migraine n’est pas loin et elle espère la repousser jusqu’au moment où elle se couchera. Elle a encore mal dormi cette nuit, elle s’est réveillée en sueur à 4 heures du matin et a découvert qu’elle avait oublié de verrouiller sa porte à clef, cela ne lui arrive jamais. Elle n’a plus réussi à fermer l’œil après ça, même avec l’aide de sa bouteille de rhum vanille pour se dé¬tendre. Elle en paie le prix maintenant, pourtant, elle salive rien qu’à l’évocation de prendre un verre d’alcool. Elle se sent tellement anxieuse depuis quelques mois qu’elle savoure les moments où elle lâche prise.
Elle se lève en soupirant, s’étire puis observe son apparence dans un miroir de poche. Satisfaite de son reflet, elle sort du bureau. Alors qu’elle rejoint la salle de détente, Charlie s’empresse de la rattraper et de la questionner :
— Alors, vous avez trouvé quelque chose d’intéressant ?
— Je n’ai pas encore tout épluché, j’avais besoin d’une pause, cependant, j’ai fini les pays hispanophones et il n’y a rien, malheureusement. Il me reste l’Europe et l’Asie à étudier, mais quand bien même, je ne suis pas compétente…
— Vous êtes la meilleure, Jane, terriblement brillante, si un cas vous intéresse, il suffit de faire appel à un traducteur… ensuite, l’analyse, c’est la même pour tout le monde, non ?
— Oui, Charlie, c’est la même.
Jane sourit, elle aime les flatteries même lorsqu’elles proviennent de quelqu’un qui ne comprend rien à ce qu’elle étudie.
Arrivée dans la salle, elle salue les quelques collègues présents et se laisse tomber avec grâce sur un canapé moelleux. Elle est la seule femme et, qui plus est, la plus âgée. Tout le monde est bienveillant à son égard, mais elle n’a lié d’amitié avec personne.
L’un des hommes raconte sa dernière entrevue avec un sociopathe qui a été inculpé pour six meurtres. L’entendre parler des réactions du type en taule, des insultes et des tentatives d’intimidation l’énerve. Elle saurait gérer tout cela probablement mieux que ce blanc-bec, encore couvert d’acné, qui fanfaronne devant ses collègues qui jouent aussi aux gros durs alors qu’ils ont tous eu la trouille, un jour ou l’autre, devant le regard d’un monstre. La pression ne lui fait pas peur, elle n’a peur de personne. Cette réflexion la fait frissonner, elle doit pourtant bien s’avouer que ce n’est pas tout à fait vrai. Peu à peu, une anxiété s’est emparée d’elle au fil des mois et de l’accumulation de petits faits étranges, de sensations oppressantes. Elle balaie cette idée de son esprit et demande à Charlie qui l’observe :
— Pouvez-vous me préparer un thé, s’il vous plaît ?
— Tout de suite, Jane.
Elle ne se souvient plus à quel moment il s’est mis à l’appeler par son prénom au lieu de professeur Colson. Aujourd’hui, ce détail l’agace, en fait, tout l’agace, ce n’est pas une bonne journée.
Elle essaie de s’impliquer dans la conversation d’un col¬lègue qui doit déposer au tribunal. Elle connaît bien le juge qui s’occupe du dossier, aussi, elle lui donne quelques petits tuyaux. Ce jeune maître de conférences vient d’arriver dans leur unité de recherche et d’enseignement. C’est la première fois qu’il se retrouvera à la barre et il semble stressé. Lorsque Charlie lui tend sa tasse de thé, il a un air renfrogné, il n’apprécie pas qu’elle accorde de l’attention à d’autres hommes, il est jaloux et il faut dire qu’il y a de quoi. Bien que beaucoup moins musclé de corps, le visage est plus fin et plus harmonieux que celui de Charlie, et les yeux sont d’un bleu profond. Sans même y réfléchir, elle suggère à son nouveau collègue de jouer de son physique d’ange auprès du jury. Cette remarque met le jeune homme mal à l’aise, de plus, il ne saisit pas comment appliquer ce conseil.
Après cette pause, Jane se penche à nouveau sur les articles. Elle survole rapidement ceux traitant de l’Asie, de toute façon, elle n’en maîtrise pas les cultures. L’obstacle n’est pas la langue mais les coutumes, les religions, les rites ancestraux qu’il faut avoir en référence. Elle n’a plus ni le temps ni l’envie d’étudier tout cela.
Elle passe enfin au dernier paquet, celui de l’Europe, qui lui semble bien plus fourni qu’habituellement. Visiblement, il n’y a aucun article concernant l’Espagne, sinon, Charlie les aurait mis sur le devant de la pile. En feuilletant, elle comprend rapidement pourquoi ce lot est si volumineux, en plus des articles parus dans la presse américaine, il y aussi des photocopies d’articles français. Elle suspend son geste lorsque son regard tombe sur une photo. Elle l’étudie de plus près, persuadée de connaître ce visage. Pourtant, c’est impossible, s’il s’agit bien de l’homme à qui elle pense, cela signifie qu’il n’a pas changé du tout au cours des quinze dernières années. Elle se focalise sur le texte, elle ne com¬prend pas le français, mais cela importe peu, c’est un nom qu’elle cherche. Elle en trouve plusieurs qui ne lui disent rien et, enfin, elle voit celui qu’elle attendait : Matthew Colins.
Jane lit alors attentivement l’article américain qui n’a filtré que dans un tout petit journal de la Nouvelle-Orléans. Il y a peu de détails, l’encart explique seulement qu’un tueur en série a été arrêté en France après avoir transité par l’aéroport de Lafayette. Aucun nom n’est mentionné. Elle se penche donc sur les coupures de presse françaises, bien plus nombreuses. Elle pourrait demander à l’un de ses collègues de les traduire, la plupart des personnes travaillant dans l’unité ont étudié cette langue, pourtant, elle préfère se dé¬brouiller seule. Un sourire s’est dessiné sur son visage de¬puis qu’elle a découvert cette photo, son cœur s’est emballé, elle ne sait pas ce qu’elle espère, qu’il ait le rôle de chasseur ou de proie.
Elle choisit de commencer par le seul article où le portrait de Colins apparaît. Elle tape aussi vite qu’elle le peut les phrases dans Google Traduction. Rapidement, elle com¬prend le fond de l’article. Elle a déjà en sa possession un point essentiel pour continuer ses recherches, le nom du tueur en série interpellé : Le Boucher.
Elle délaisse alors les coupures de journaux pour la base fédérale où elle déniche tous les renseignements qu’elle souhaite. Matthew Colins, son premier étudiant qu’elle n’a pas su garder malgré la fascination qu’il exerçait sur elle, est devenu profileur au FBI. Il est donc toujours du bon côté de la barrière, du moins, en apparence… Elle en est presque déçue, elle est persuadée qu’il aurait fait un fabuleux tueur en série. Sa disparition, après avoir soutenu sa thèse, avait conforté tous ceux qui travaillaient avec elle à l’époque dans le fait qu’il était instable, proche de la rupture, prêt à basculer au premier déclencheur.
Jane se replonge avec nostalgie dans ses souvenirs. Elle se remémore ce jeune homme déterminé, n’ayant que faire des apparences. Elle revoit aussi ses yeux verts qui la fascinaient et qu’elle s’était promis d’arriver à soutenir un jour. À l’époque, elle avait dans les 35 ans et lui, presque dix ans de moins. Malgré sa liaison avec Fay, elle avait tenté de le séduire sans parvenir à attirer son attention. Elle était pour¬tant au sommet de sa beauté et savait user de ses charmes. Lorsque le jeune Matthew Colins avait demandé à changer de directeur de thèse afin de pouvoir côtoyer et interroger lui-même des tueurs en série, Fay s’était fait un plaisir d’accepter. Il l’avait ainsi éloigné de sa maîtresse. Pourtant, il était le premier à conforter les soupçons d’instabilité psychologique de l’étudiant, non par pure jalousie, son argumentation était fondée et il était heureux d’avoir un tel spécimen à observer, sans cela, il l’aurait viré tout simplement.
Lorsqu’elle avait rencontré Matthew la première fois et qu’elle lui avait demandé ce qui motivait son envie de travailler avec des monstres, il avait répondu :
— Comprendre ces personnes dont les actes sont monstrueux, les arrêter et rendre les rues plus sûres me paraît essentiel et pour cela, il faut les étudier, entrer dans leur tête, découvrir ce qui les pousse à commettre de telles atrocités. Prévoir et anticiper leurs réactions éviterait des souffrances inutiles.
Ces quelques mots avaient rappelé Jane à l’ordre, aucun être humain n’est un monstre, nous sommes tous fait de la même chair et du même sang, seuls nos actes nous différencient, aucun nouveau-né n’est foncièrement mauvais. De plus, le jeune homme offrait d’aller bien plus loin que simplement comprendre ces personnes, il proposait carrément d’entrer dans leur esprit et cela l’avait fait frémir. Personne ne veut se retrouver dans la tête d’un tueur en série.
Elle chasse ses souvenirs et procède à des recherches sur le profileur. Elle trouve peu de renseignements sur Internet, ce dernier et son équipe évitent au maximum d’apparaître dans les médias. Frustrée, elle décide de quitter son bureau, mais avant, elle remplit une demande d’accès au dossier complet du Boucher, elle épluchera ce cas et espère, par ricochet, découvrir des informations sur son ancien étudiant.

2
Avis : auteurs édités / Les gardiens de son coeur - Sophia Di Lorenzo
« Dernier message par marie08 le lun. 20/05/2024 à 09:30 »
Nous faisons connaissance avec Mélissa, journaliste dans un magazine féminin. Entre son métier qu’elle aime avec passion et sa meilleure amie, Anna, Mélissa serait totalement épanouie s’il ne lui manquait le prince charmant. Chose étrange, toutes les nuits ou presque, elle fait le même rêve. Un rêve que le destin va peut-être réaliser aux dires de sa meilleure amie, cartomancienne à ses heures.

En attendant, le destin va, un jour, lui faire croiser la route d’un bel italien, Adriano. Et c’est le coup de foudre. Mais peut-être que la vie d’Adriano n’est pas aussi simple qu’il y paraît. Peut-être cache-t-il un secret ? Peut-être que finalement le danger va de pair avec Adriano ?
Pour le savoir, je vous invite à lire cette belle romance. L’écriture de Sophia est agréable et fluide et les rebondissements assez nombreux pour vous tenir en haleine jusqu’à la fin.
Alors, si j’ai un conseil à vous donner, ne passez pas à côté de ce roman.

Merci Sophia Di Lorenzo pour cette belle histoire d’amour.


https://www.amazon.fr/gardiens-son-coeur-1-ebook/dp/B09XZKCBWY/ref=tmm_kin_swatch_0?_encoding=UTF8&dib_tag=se&dib=eyJ2IjoiMSJ9.XlCkryMnI04Kb-yhscB_3_sB53zXV_lWwzk4NfqFjQSZOgHu8PXwR-E3Qe0km-NJmT54ceQUH3AZYoj7rs0ImtbYJMbJPCDGtXyilMEi4kArymQicrY85Oy66RBycF9f7Mjx8ltAHRX__wSff7IUWMx6Se-X_EwmYVqGznc-HeyYRGMZKcNzBV0d4W0ldPyXDK-HSKghPoP1AXZR66lFp6es33eCu2k0sPgl5mRoAHIKX9JNrtdmftNyD-7ge6kUeF0vkNhbwBkWRIcbYY0OsTxAHi5NjT-k5MeYSV_NIfI.F3zv-e4e9KsH3UVaVB3sYvYsLjcvDGeOIZ9elDTGwLk&qid=1716190312&sr=8-1

3
Mise en avant des Auto-édités / L'insouciance des cerfs volants de Marjorie Levasseur
« Dernier message par Apogon le jeu. 16/05/2024 à 17:23 »
L'insouciance des cerfs volants de Marjorie Levasseur



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  Prologue 

La porte de la librairie venait de se refermer sur Josie dans un tintement de clochette. Célia avait eu bien du mal à convaincre son employée et amie de l’abandonner seule dans le petit local de la rue Nicolas Fouquet , mais elle avait fini par céder. Célia ne voulait pas se laisser contaminer par l’angoisse de Josie. Son commerce se situait dans un quartier où les manifestants n’avaient aucun intérêt à se trouver. Ils défilaient plutôt dans les grandes artères parisiennes, là où ils étaient susceptibles de bloquer le plus de monde possible et, surtout, d’être vus et entendus. Et puis, elle avait encore quelques cartons à déballer en vue de l’installation des nouvelles parutions de la rentrée littéraire. Célia n’était pas près de retrouver son minuscule appartement nanterrien, elle avait du pain sur la planche si elle voulait que tout soit prêt à temps.
Elle embrassa du regard l’agencement de l’intérieur de cette petite boutique qui était la sienne depuis bientôt un an et sourit. L’endroit avait tellement changé depuis la mort de Pierre, son grand-père paternel. La librairie était passée d’une décoration ultra moderne aux néons aveuglants à un lieu plus cosy aux lumières tamisées et chaudes. Célia avait longtemps hésité avant de tout transformer, mais sa grand-mère Garance – la veuve de Pierre, qui vivait désormais dans un petit village reculé de Bretagne, d’où elle était originaire – lui avait dit que son aïeul aurait aimé qu’elle modifie les lieux à son goût.
Alors Célia avait demandé à son père, menuisier de son état, d’orner les murs du commerce d’une multitude d’étagères de style ancien. Les néons avaient laissé place à des appliques rétro, la peinture blanche des cloisons avait été recouverte de boiseries et les contremarches de l’escalier qui menait à l’étage étaient revêtues d’un habillage portant les titres des livres que Célia affectionnait tout particulièrement. Et force était de constater que les lecteurs qui franchissaient l’entrée de la boutique appréciaient son ambiance chaleureuse et le sourire bienveillant des deux jeunes femmes qui y officiaient. C’était la librairie dont elle avait toujours rêvé…
Célia laissa échapper un soupir et se dirigea dans la réserve où étaient stockés les paquets qu’elle devait déballer. À peine eut-elle débarrassé le premier de son large ruban adhésif qu’elle entendit la clochette de la porte retentir de nouveau.
— Tu as oublié quelque chose, Josie ? lança-t-elle avant de reposer le cutter sur le carton pour revenir dans le local principal. Oh… Bonjour, Messieurs… Je peux vous aider ?
Les trois hommes qui se tenaient debout devant la bibliothèque dédiée à la science-fiction n’avaient rien des lecteurs qu’elle avait coutume de voir entrer dans sa librairie. Ils étaient vêtus de noir, les joues mal rasées et le regard pas franchement avenant, mais son grand-père lui avait inculqué qu’il ne fallait pas se fier aux apparences et que les appétits livresques les plus gourmands pouvaient émerger des personnes les plus inattendues. En avançant de quelques pas dans leur direction, Célia ne se départit donc pas de son sourire quand elle ajouta :
— Vous cherchez un livre en particulier ?
Ce fut à ce moment qu’elle la vit. Une longue barre de fer que le plus grand d’entre eux, un homme blond à la mine sinistre, tenait fermement contre sa jambe. Il n’essayait même pas de la cacher.
Des casseurs… Ils viennent probablement de la manif, se dit Célia qui tentait tant bien que mal de maîtriser le tremblement soudain de ses mains.
Instinctivement, la jeune femme recula d’un pas, même si elle était bien consciente que retourner dans la réserve, qui ne possédait pas de porte à verrouiller ni de seconde issue, était comme se tirer une balle dans le pied. Il était plus prudent de rester dans la boutique et d’essayer de parlementer. C’était ce que son grand-père aurait fait, à n’en pas douter, seulement l’ancien libraire n’avait pas son gabarit. Il en imposait du haut de son mètre quatre-vingt-dix et sa grosse voix en impressionnait plus d’un. Célia était seule face à ces trois individus dont les intentions lui paraissaient soudain plus que louches.
— Il sait pas lire, ricana l’un d’entre eux en désignant l’homme armé de la barre.
— Ferme-la, guignol ! aboya ce dernier sans quitter Célia du regard.
Il fit un pas en avant.
— Je… je n’ai pas eu beaucoup de clients aujourd’hui, la caisse est presque vide. Mais prenez tout, ça m’est égal…
— Tu crois que c’est la caisse qui m’intéresse ? dit-il en s’approchant si près de Célia qu’elle put sentir son haleine empestant la bière bon marché.
— Hé ! Qu’est-ce que tu fous, mec ?! On a dit qu’on cassait un peu, qu’on embarquait le fric et basta, non ?
— Mais on pourrait s’amuser aussi…
Le regard empreint de lubricité qu’il laissa glisser sur le corps de la jeune femme la fit tressaillir. Elle avait longtemps hésité avant d’enfiler cette robe le matin même, sachant pertinemment qu’elle attirerait les œillades et les sifflements de types lourdauds sur son trajet. Mais les températures étaient caniculaires ce jour-là et elle refusait de permettre à ces harceleurs de rue de prendre le pouvoir et de l’empêcher de s’habiller comme elle le souhaitait. Mais subir les assauts de mâles émoustillés en public était une chose, se retrouver seule face à trois hommes dans sa librairie lui faisait amèrement regretter ses revendications de liberté.
Le grand blond s’immobilisa et se tourna vers ses compères.
— Elle est bien roulée, non ?
Les acolytes échangèrent un regard incertain. Célia profita de ce moment pour s’éloigner un peu du prédateur.
— Hep ! Où tu vas, ma jolie ?
Il la retint par le bras et l’attira contre lui. Ce ne fut plus seulement la bière qu’elle sentit à ce moment-là, ni la sueur de cet homme, mais l’odeur de sa propre peur. Elle lança un œil affolé en direction des deux complices, mais ils semblaient aussi peu rassurés qu’elle. Ce fut à ce moment qu’elle comprit réellement qui était le leader du trio. Le grand blond à la barre de fer les terrorisait tout autant qu’elle.
— Tant pis pour vous, les gars… Moi, je vais me faire plaisir, lâcha-t-il avant de plaquer sa bouche contre la sienne.
Célia tenta tant bien que mal de repousser son agresseur de toute la force de ses bras, mais il était plus robuste qu’elle, beaucoup plus fort. Et quand sa langue força la barrière de ses lèvres, elle ne put réprimer un haut-le-cœur. L’homme resserra son emprise et l’accula de son corps jusqu’à la réserve. Avant de quitter la pièce principale de la librairie, il s’adressa une dernière fois aux deux autres :
— Vous ne laissez personne entrer, c’est compris ?!
Célia n’entendit pas leur réponse. D’ailleurs, avaient-ils seulement répliqué quoi que ce soit ? Elle tenta à nouveau de repousser son agresseur :
— Lâchez-moi ! Mais lâchez-moi !
— Chut… Allez ma belle, ça va te plaire, crois-moi…
— Au secours !
La violence de la gifle qu’il lui asséna lui fit perdre l’équilibre et elle atterrit sur le sol, amortissant sa chute de son bras. L’homme brandit alors la barre de fer qu’il tenait toujours dans sa main gauche.
— Si tu cries encore, pétasse, j’hésiterai pas à m’en servir !
La paume sur sa joue meurtrie, Célia resta comme pétrifiée. Elle imaginait sans mal qu’il mettrait sa menace à exécution. Ce n’était pas le genre de type à accepter qu’on lui tienne tête.
— S’il vous plaît… supplia-t-elle. Prenez la caisse et partez, je ne dirai rien, je vous le jure…
Ses derniers mots finirent dans un murmure. L’homme posa la barre sur un carton, s’agenouilla près d’elle et la fixa avec ironie.
— Je m’en tape de la caisse, jolie rouquine. C’est toi que je veux…
Célia secoua la tête et souffla plusieurs fois le mot « non » comme une litanie. Il n’en eut cure. Sans qu’elle le réalise vraiment, elle se retrouva allongée sur le sol, continuant à repousser vainement ce corps lourd qui ne désirait qu’une chose, prendre possession d’elle. Elle eut l’impression d’étouffer quand il posa d’autorité sa main sur sa bouche et releva sa robe de l’autre.
Quand son agresseur écarta violemment ses jambes pour se placer entre elles, le cerveau de Célia se mit soudain sur pause. Elle cessa de se débattre, ne ressentit plus rien, n’entendit plus aucun son si ce n’est celui, lointain, d’une clochette…
Et puis, le noir complet.

 
  Chapitre 1er 

Un peu plus d’un an plus tard
— Je ne comprends pas pourquoi tu les as teints. Ce roux était vraiment magnifique…
Célia continua de brosser sa chevelure en souriant au reflet de sa grand-mère dans le miroir.
— La couleur auburn n’est pas si éloignée du roux, Mamie. Tu trouves que ça ne me va pas ?
Garance s’approcha de sa petite-fille et vint prendre place à côté d’elle sur le petit banc de sa coiffeuse. Elle l’entoura de ses bras et lui murmura à l’oreille :
— Brune, blonde, rousse ou auburn… peu importe, ma chérie. Tu seras toujours jolie comme un cœur ! J’aimerais cependant être sûre que tu as décidé de choisir une autre teinte pour de bonnes raisons…
Le sourire de Célia se fana imperceptiblement. Sa grand-mère la connaissait si bien !
Un peu plus d’un an auparavant, Célia avait opéré des changements radicaux dans sa vie, et le chantier avait commencé par son apparence physique. La jeune femme n’avait pas juste opté pour une couleur capillaire différente, mais, en public, ne portait plus ses cheveux que tressés. Il était bien fini le temps où elle laissait sa chevelure caresser librement ses épaules. Même celles-ci étaient désormais cachées et ce n’était pas seulement dû au climat plus frais et humide de la Bretagne. Sa garde-robe aussi avait pris un virage à 180 degrés. Célia mettait les vêtements les plus couvrants possibles, même en été.
Elle ne voulait plus attirer l’attention des hommes sur elle. Elle cherchait, non pas à s’enlaidir, mais à dissimuler tout ce qui faisait d’elle une femme. Tout cela parce qu’un jour, un prédateur avait franchi la porte de sa librairie parisienne, avait trouvé la « jolie rouquine » qu’elle était à son goût et cru avoir des droits sur son corps.
Elle s’était alors dit qu’en s’expatriant au fin fond de la Bretagne, dans le petit village natal de sa grand-mère paternelle, le risque serait moins grand de rencontrer ce genre de type. Ce n’était pas ici qu’elle allait croiser des blacks blocks ou des harceleurs. Dans cette bourgade, tout le monde se connaissait et se respectait, et la moyenne d’âge masculine avoisinait les soixante-quinze ans. À moins de rencontrer un papy pervers, il y avait donc, selon Célia, peu de chances qu’elle se fasse de nouveau sexuellement agresser.
Car c’était bel et bien d’une agression sexuelle dont elle avait été victime, même si l’homme qui voulait abuser d’elle n’avait pu aller jusqu’au bout de son forfait. C’était ce qu’on lui avait raconté une fois que ce type avait été appréhendé et qu’elle avait repris connaissance, allongée sur la causeuse à deux places qui trônait dans le petit coin lecture qu’elle avait aménagé dans sa librairie.
« Pas de pénétration », lui avait confirmé un médecin qui travaillait aux urgences, là où l’avaient escortée deux agents de police alors qu’elle était encore en état de choc.
Pas de pénétration, non. Pourtant, pour Célia, cela revenait au même. Elle s’était sentie salie, humiliée… Ça ne changeait rien qu’il n’ait pas eu le temps d’entrer en elle. Il lui avait volé son intimité, sa dignité, sa confiance. Il l’avait giflée, mise à terre et elle avait cru étouffer sous son poids. Il avait fait du seul endroit où elle était elle-même, où elle pensait être en sécurité, son sanctuaire, le lieu qu’elle aimait le plus, une antichambre de la douleur et du cauchemar.
Célia n’avait plus jamais remis les pieds dans sa librairie, déléguant à son père le soin de la mettre en vente. Cette boutique si chère au cœur de son grand-père disparu, elle avait préféré s’en débarrasser. Et cela avait été un véritable déchirement.
Lorsqu’elle était arrivée chez sa grand-mère, après être restée trois semaines sans sortir de son petit appartement situé en région parisienne, les premiers mots qu’elle avait prononcés avaient été pour Pierre Daunel. Elle avait eu l’impression de trahir son aïeul et en avait demandé pardon à Garance, mais celle-ci l’avait encore une fois rassurée. Il aurait compris que désormais ce lieu rappelait trop de mauvais souvenirs à Célia.
— C’est une phase de transition, Mamie. Ça ira mieux dans quelque temps…
— Ça fait plus d’un an, ma chérie…
— Je vais à mon rythme.
— Oui, bien sûr, mais si tu acceptais l’aide d’un professionnel…
— J’ai seulement besoin de me sentir en sécurité auprès de gens en qui j’ai confiance. C’est ce que je suis venue chercher ici. Il me faut juste encore un peu de temps.
— En région parisienne, il y avait tes parents aussi.
— Tu… regrettes de m’avoir accueillie chez toi ? demanda Célia, des trémolos dans la voix.
— Pas du tout, je suis très heureuse de t’avoir auprès de moi. Tu seras toujours chez toi, ici. Mais tu parles des gens en qui tu as confiance. Ce n’est pas le cas pour ton père et ta mère ?
— Je… ne pouvais pas rester là-bas, il fallait que je m’éloigne… Toi aussi, tu as quitté Paris après la mort de Papy.
— C’était différent, Célia. Je ne me suis jamais sentie parisienne, tu le sais bien. Ton père est un adulte, il avait sa vie. J’avais besoin de retrouver mes racines, ma Bretagne. Pierre était la seule raison qui me faisait y demeurer. Pour toi, il s’agit davantage d’une fuite, Célia.
Les doigts de la jeune femme se crispèrent sur sa brosse. Elle ne voulait pas se disputer avec sa grand-mère. Elle savait que celle-ci avait un caractère fort et ne mâchait pas ses mots. Et si, les premiers mois, elle avait fait preuve d’indulgence et de bienveillance envers sa petite-fille, Garance pensait à présent que Célia se devait de réagir et de reprendre sa vie en main. Elle le lui faisait comprendre de manière plus ou moins subtile, mais les faits étaient là.
Célia commença à tresser sa longue chevelure désormais auburn et les attacha avec un simple élastique noir avant de se lever.
— Je te promets d’y réfléchir, mais là je vais être en retard à la bibliothèque, Mamie. Je vais y aller… dit-elle en venant plaquer un baiser sur la joue de son aïeule.
Sa grand-mère la retint en posant une main sur son bras et planta son regard bleu acier dans le sien.
— Je t’aime, ma Célia, n’en doute jamais. Je souhaite juste ton bonheur.
La jeune fille lui sourit avec tendresse.
— Moi aussi, je t’aime Mamie G.

 
  Chapitre 2 

Le village où vivait Garance Daunel, née Quemener, était un des rares à n’avoir pas suivi le mouvement quand une décision ministérielle avait autorisé, quelques années auparavant, les communes à revenir à la semaine des quatre jours de classe. Le mercredi matin, la petite bibliothèque au toit de chaume était donc désertée par les enfants. C’est pourquoi Célia fut surprise lorsqu’un garçon d’une dizaine d’années fit son entrée sur les coups de 10 heures.
Le teint blafard et le cheveu hirsute, le gamin portait un blouson bleu un peu grand pour lui et un jean troué au genou gauche. À chacun de ses pas, aussi discrets que ceux d’un chat, il semait sur son passage ce que Célia identifia comme des brins d’herbe ou de la paille dont ses vêtements semblaient recouverts.
— Bonjour ! lança-t-elle.
L’enfant, qui progressait à pas comptés en direction du rayon jeunesse, s’immobilisa et tourna lentement la tête vers Célia.
— B’jour, lâcha-t-il avant de l’ignorer totalement et de parcourir une des étagères.
Célia l’observa un moment, se demandant si elle devait le rejoindre pour l’interroger sur sa présence en ces lieux alors qu’au vu de son âge, il aurait dû se trouver en classe avec ses autres camarades. Elle finit toutefois par se dire que cela ne la regardait pas s’il faisait l’école buissonnière. Étant gamine, elle aussi aurait préféré passer son temps au milieu des livres plutôt que sur les bancs d’une salle de cours. Même si elle était une bonne élève, sa nature rêveuse prenait souvent le dessus et les histoires qu’elle découvrait dans ces milliers de pages avaient toujours fait son bonheur.
Et puis, plus elle le regardait et plus elle se disait qu’elle ne l’avait jamais vu à la bibliothèque. Elle accueillait régulièrement les quelques enfants du village et ceux des alentours et elle était certaine que ce n’était pas un habitué. Alors, pourquoi l’embêter s’il n’était que de passage ? Célia retourna donc à son travail d’enregistrement des nouveautés sur l’ordinateur hors d’âge qui, par miracle ce jour-là, avait décidé de fonctionner.
Il se passa près d’une heure sans que personne d’autre ne franchisse le seuil de la bibliothèque. Les journées de Célia étaient assez calmes. Elle se demandait encore pourquoi le maire avait tellement tenu à embaucher quelqu’un à plein temps pour remplacer mademoiselle Leblanc, la septuagénaire qui officiait là avant elle, bénévolement qui plus est. Bien sûr, cette dernière avait bien mérité de se reposer après plusieurs années de bons et loyaux services, mais ce n’était pas la question. Augmenter les plages horaires d’ouverture n’était pas nécessaire. Célia soupçonnait sa grand-mère d’y être pour quelque chose.
En effet, Garance était une grande amie du maire et il était fort probable qu’elle l’ait supplié de lui faire une fleur en proposant un poste rémunéré à sa petite-fille qui traversait une mauvaise passe et avait besoin d’être occupée et de se sentir utile. Célia savait pouvoir compter sur la discrétion de Garance et elle était certaine qu’elle n’en avait pas révélé davantage sur ses… déboires parisiens. Mais elle n’aimait pas l’idée d’avoir été pistonnée pour obtenir un travail et encore moins qu’on la prenne suffisamment en pitié pour la payer à occuper un poste qui l’avait été jusqu’ici bénévolement.
Elle avait longuement réfléchi avant d’accepter la proposition de sa grand-mère, et puis elle avait fini par convenir que de cette manière, elle aurait moins l’impression d’être un poids pour son aïeule. Elle logeait chez celle-ci, il était normal qu’elle donne sa part. Elle avait donc dit oui à condition que Garance la laisse prendre en charge les courses.
Le cœur du métier de bibliothécaire était le même que celui de libraire : conseiller les gens, les diriger vers des lectures qu’ils n’auraient peut-être jamais découvertes sans un petit coup de pouce, recueillir leurs avis et ressentis, à leur retour… De cette façon, Célia avait le sentiment de n’avoir pas totalement abandonné son ancienne profession. La passion des livres était toujours solidement ancrée en elle et n’était pas près de la quitter.
— Pardon, Mademoiselle…
Célia sursauta. En levant le nez de son clavier, elle vit le garçon qui se tenait devant son bureau, un roman à la main.
— Euh… oui ?
— Il manque des pages, dit-il en posant l’objet ouvert devant elle.
Célia fronça les sourcils, contrariée.
— Oh… c’est vrai ?
La jeune femme prit avec soin le vieil exemplaire du chef-d’œuvre de Saint-Exupéry entre ses doigts. Bon nombre des ouvrages de cette bibliothèque étaient là depuis des décennies et les « nouveautés » qui venaient rejoindre les étagères étaient déjà souvent un peu abîmées. Célia pestait sans arrêt contre le peu d’égard de certains lecteurs envers les livres.
— Je… je vais le mettre de côté pour l’instant. Tu veux que j’essaie de te trouver un autre exemplaire ?
— Il n’y a que celui-là.
— Ah…
— J’aimerais vraiment le lire…
Célia leva les yeux sur le jeune garçon et lui sourit, compréhensive.
— C’est l’une de mes toutes premières lectures. Et il m’arrive encore d’en relire certains passages quelques fois. Je l’aime beaucoup. Je vais voir si on peut se le procurer, ajouta-t-elle en tapant sur son clavier.
— Vous l’aurez dans combien de temps ? demanda-t-il sans attendre qu’elle ait vérifié.
— Je ne sais pas. Une bibliothèque ne fonctionne pas comme une librairie. Je dois faire une liste et la commande doit être approuvée par monsieur le maire.
L’enfant soupira, frustré.
— C’est pas grave, lâcha-t-il en baissant la tête. Je vais prendre autre chose.
Et il s’en retourna vers le coin jeunesse, en traînant des pieds.
Célia ressentit un pincement au cœur face à son évidente déception. Elle avait vu beaucoup de gamins passer dans cette bibliothèque, mais aucun ne lui avait semblé aussi triste à l’idée de ne pas pouvoir lire un livre. Elle réfléchit. La librairie la plus proche se trouvait à une cinquantaine de kilomètres de là, mais elle imaginait déjà sa grand-mère la tancer pour avoir pris l’initiative d’acheter ce livre sur ses deniers personnels… surtout un roman dont elle possédait un exemplaire dans sa chambre.
Un large sourire étira les lèvres de Célia. Mais oui, c’était ça la solution ! Elle allait lui prêter le sien !
Tu t’emballes, Célia, lui cria sa petite voix intérieure. Ce gosse n’est même pas du coin. S’il t’emprunte ton livre, tu ne le reverras jamais !
« Mais s’il le lit ici, je pourrai garder un œil sur lui… »
— Attends !
Le garçon tourna son visage vers elle.
— Tu… as la possibilité de repasser cet après-midi ?
Il revint vers elle en hochant la tête.
— Oui, je peux.
— OK. Je ferme la bibliothèque à midi, mais j’ouvre à 14 heures. J’apporterai mon édition du Petit Prince et tu pourras le lire ici, si tu le souhaites. Qu’en dis-tu ?
Le regard bleu du gamin s’illumina d’un coup.
— Vous feriez ça ?
— Oui, bien sûr ! Je compte sur toi pour en prendre soin par contre. J’y tiens beaucoup, c’est mon grand-père qui me l’a offerte.
— Vous pouvez me faire confiance, je ne l’abîmerai pas ! Merci beaucoup ! s’exclama-t-il avant de faire demi-tour pour se diriger vers la sortie.
— Hé ! Je ne connais même pas ton prénom !
Il la regarda une dernière fois et puis, après une légère hésitation, lui répondit.
— Gabin. Je m’appelle Gabin.
Et il disparut derrière la porte en bois.

 
  Chapitre 3 

Célia l’avait attendu tout l’après-midi, mais Gabin n’avait pas montré le bout de son nez. D’autres enfants étaient venus, accompagnés de leurs parents ou de leurs grands-parents, mais elle n’avait pas revu l’étrange garçon et en avait été dépitée. Sa réaction l’étonnait elle-même. Elle ne le connaissait ni d’Ève ni d’Adam et pourtant ce gamin l’avait touchée. Les brèves minutes durant lesquelles ils avaient échangé, son enthousiasme lorsqu’elle lui avait proposé de lui prêter son exemplaire du livre de Saint-Exupéry afin qu’il puisse le lire l’avait marquée. Comment cela était-il possible ?
Ce jeune garçon l’intriguait, elle devait bien l’avouer. Sa présence dans cette petite bibliothèque de village l’avait sortie de son train-train quotidien et son air un peu mystérieux avait suscité en elle une curiosité, un intérêt qui l’avaient réveillée.
Depuis plusieurs mois, Célia s’engluait dans une routine dont elle avait, au tout début, apprécié le confort. Elle était venue chercher la sécurité en Bretagne, elle l’avait trouvée, mais ce n’était pas la seule chose qu’elle avait obtenue en se terrant dans ce village. Ici, la vie n’était pas aussi trépidante que celle qu’elle avait connue en Île-de-France, l’ennui la gagnait souvent.
Célia aimait beaucoup sa grand-mère, elle appréciait de travailler au milieu des livres – d’une manière certes différente qu’en librairie, mais peu importait –, pourtant il lui manquait quelque chose. Ses amis, les sorties, l’effervescence de la Capitale, la non-nécessité de prendre sa voiture pour aller faire les courses ou aller consulter un chirurgien-dentiste…
Sans s’en rendre compte, elle était devenue une vraie citadine. Et si elle adorait la Bretagne et tout ce que celle-ci pouvait offrir de beautés, elle ne se voyait pas y vivre toute son existence… du moins pas dans ce village reculé qui ne proposait pas de réelles opportunités d’évolution professionnelle aux jeunes de son âge.
Célia n’avait que vingt-quatre ans et elle n’avait qu’un désir : réussir un jour à dépasser ses peurs pour aller de l’avant. Mais il était encore trop tôt, elle ne se sentait pas assez forte pour reprendre sa vie en main. Pour l’instant, elle se laissait porter. Elle fuyait. Sa grand-mère avait bien raison sur ce point.
Lorsqu’il apparut clairement à Célia, cinq minutes avant l’heure de fermeture, que Gabin ne viendrait finalement pas, elle se résigna à faire un dernier tour parmi les rayonnages pour s’assurer qu’aucun ouvrage ne traînait sur les tables avant d’éteindre son ordinateur puis les lumières. Elle quitta les lieux, l’esprit préoccupé, et verrouilla la porte.
 
Du coin de l’œil, Garance observait Célia qui triait d’un air distrait les différents ingrédients de sa salade. Depuis son retour à la fermette, Célia semblait perdue dans ses pensées. Elle l’avait aidée à préparer le repas, mais alors qu’elle était habituellement très bavarde et lui racontait les menus événements de sa journée, Célia n’avait quasiment pas ouvert la bouche.
— Tout va bien, ma chérie ?
La jeune fille sursauta en entendant la voix de Garance.
— Hum ? Pourquoi cette question ?
— J’ai l’impression que quelque chose te tracasse. Tu es particulièrement songeuse, ce soir.
— Oh… je pensais juste à ce garçon qui est passé à la bibliothèque, ce matin.
Le regard insistant de sa grand-mère incita Célia à poursuivre. Elle lui raconta donc sa rencontre avec Gabin, ses vêtements élimés, son allure nonchalante et surtout sa promesse non tenue.
— Alors, c’est ça que tu es venue chercher, ce midi ! Eh bien… peut-être a-t-il eu un imprévu, tout simplement… À quoi ressemble-t-il ? Tu es sûre de ne l’avoir jamais vu auparavant ?
— Certaine. Je connais tous les gamins du coin, c’est la première fois qu’il entrait dans la bibliothèque. Il est assez grand, les cheveux blonds, la peau très pâle et les yeux bleu clair. Oui… il a vraiment de jolis yeux, extrêmement expressifs. Il doit avoir une petite dizaine d’années.
— Et tu dis qu’il se nomme Gabin ? insista Garance en tentant de se remémorer si elle avait déjà entendu ce prénom dans le village.
— C’est le prénom qu’il m’a donné, oui. D’ailleurs, maintenant que j’y repense, il a eu l’air d’hésiter avant de m’avouer comment il s’appelait…
— Ah oui ? Tu crois qu’il t’a menti ? Pour quelle raison ?
— Menti, non, pas vraiment. C’est juste que… J’ai eu le sentiment qu’il n’était pas sûr de vouloir me communiquer cette information.
Garance fronça les sourcils.
— C’est étrange, effectivement…
— Oui… Ou alors c’est mon imagination débordante qui me joue des tours, reconnut Célia sur un ton fataliste.
— Imagination… ou intuition. Et cette dernière ne t’a jamais fait défaut ! En tout cas, je pense que tu devrais arrêter de t’inquiéter. Son absence de cet après-midi a sûrement une raison toute simple. Ne te mets pas à envisager qu’il lui est arrivé une catastrophe. Je te connais… ajouta-t-elle avec un clin d’œil en se levant pour aller ranger son assiette dans le mini lave-vaisselle.
— C’est plus fort que moi, Mamie… Ce gamin sort de nulle part, il n’était accompagné d’aucun adulte et la façon dont il était habillé me laisse penser que sa famille ne doit pas rouler sur l’or…
Garance revint s’asseoir à table et posa une main sur celle de sa petite-fille.
— Tu ne peux pas sauver tout le monde.
— Je n’essaie pas, je…
— Célia… Quand tu travaillais à Paris, tous les jours, tu achetais un sandwich au sans-abri qui s’était installé sous une porte cochère dans la rue de la librairie.
— Et alors ? Les gens passaient sans même le regarder ! Ce n’est tout de même pas un crime de tendre la main à ceux qui sont dans le besoin ! D’ailleurs, maintenant que j’ai quitté la région parisienne…
— Stop, Célia ! Ne commence pas à t’imaginer le pire concernant ce pauvre homme ! Ce n’est pas parce que tu n’es plus là pour lui offrir ce casse-croûte qu’il lui est arrivé malheur.
— Mais…
— Non… insista Garance sur un ton réprobateur.
Célia reposa sa fourchette et baissa les yeux sur son assiette. Elle n’avait pas mangé grand-chose, mais désormais tout appétit l’avait désertée. Elle détestait se faire sermonner ainsi par sa grand-mère. Elle n’était plus une fillette, bon sang !
— Tu ne vas pas te mettre à bouder tout de même ?
Célia lui lança un regard noir.
— Je ne boude pas, Mamie. Mais quand tu dis ça, j’ai l’impression d’entendre Maman et je n’ai pas besoin de ça… Je me sens infantilisée. Je pensais que toi, au moins, tu comprendrais ma façon de voir les choses. Papy, lui, m’encourageait toujours à laisser parler mon cœur.
Garance ferma les yeux et prit une grande inspiration, comme si elle essayait de s’apaiser. Lorsqu’elle les rouvrit, Célia ne lut plus ni désapprobation ni agacement dans son regard.
— Je suis désolée, ma chérie. Je ne cherche pas à t’infantiliser, mais je m’inquiète pour toi et je voudrais que tu réagisses, que tu avances. Songe à toi avant de te préoccuper de personnes que tu ne reverras peut-être jamais de ta vie. C’est important. TU es importante, toi aussi.
La jeune femme sourit à sa Garance.
— Et concernant ta mère… je suis certaine qu’elle ne pense pas non plus à mal lorsqu’elle te… bouscule un peu. Elle t’aime autant que je t’aime, c’est juste qu’elle ne supporte pas de te voir malheureuse…
— Je… ne suis pas malheureuse, je…
— Mais tu n’es pas heureuse, la coupa Garance. Moi, je meurs d’envie de retrouver la Célia d’avant, celle dont le visage était sans cesse illuminé d’un sourire et qui était toujours partante pour s’amuser. Celle qui adorait s’apprêter pour sortir, rencontrer des gens de son âge… C’est cette Célia que je veux que tu redeviennes.
— C’est… difficile.
— Mais pas impossible.
Célia regarda Garance. Elle aurait aimé lui faire plaisir et permettre à celle qu’elle était, avant son agression, de refaire surface, seulement elle n’y parvenait pas. Pas encore. Se faire du souci pour ce sans-abri et pour le jeune Gabin était peut-être une manière d’oublier ses propres problèmes. Il n’en demeurait pas moins que cette inquiétude n’était pas feinte. Célia était sincère, dans tout ce qu’elle entreprenait, dans ce qu’elle ressentait, elle ne pouvait faire autrement.
Elle se leva de table, vida les restes de son assiette dans la poubelle avant de mettre sa vaisselle avec celle de sa grand-mère dans le petit appareil électroménager. Elle se tourna alors vers Garance qui n’avait pas bougé.
— Je comprends que Maman et toi vous fassiez du souci, mais laissez-moi gérer les choses à ma manière. Me presser ne changera rien. Et si j’ai envie de m’en faire pour de parfaits inconnus… c’est mon droit le plus absolu.
Et elle sortit de la cuisine sans permettre à sa grand-mère de répliquer.
4
Avis : auteurs auto-édités / Rien de grave, je t'assure de Jean-Luc Rogge
« Dernier message par Antalmos le lun. 13/05/2024 à 09:21 »
Après avoir lu "Dérapages inattendus" que j'avais adoré, de Jean-Luc Rogge, auteur de nombreux recueils de nouvelles, j'avais hâte de découvrir son unique roman "Rien de grave, je t'assure" et comme je m'y attendais, connaissant la plume fluide et efficace de l'auteur et sa capacité à créer des personnages et des situations intéressantes, je n'ai pas été déçu. L'intrigue débute dans un premier temps autour d'une famille, apparemment sans histoires, dont nous faisons connaissance indépendamment avec chaque membre, à travers des chapitres courts. Le titre prend sa source dans un écart de conduite du père, Pascal, qui tente de minimiser son erreur, et qui est loin de se douter des répercussions qu'elle aura sur toute sa famille. Les masques tombent, les vrais visages se révèlent, des drames vont se jouer, la mort rôde autour de chacun des protagonistes. Si l'histoire tourne dans un premier temps autour de la disparition d'Adeline, la femme de Pascal, qui vit mal la situation, la deuxième partie se concentre essentiellement sur Louise, leur fille, qui décide de tout plaquer et va tenter de refaire sa vie en Espagne avec la complicité d'Amélie, sa tante. Mais de nouveaux drames vont se jouer, la mort n'a pas dit son dernier mot.
J'ai particulièrement apprécié la construction des chapitres, écrits à la première personne, passant successivement d'un personnage à l'autre et qui permet au lecteur de s'immiscer dans la tête de chacun d'eux.
En résumé, je vous invite, si vous ne le connaissez pas encore, à découvrir cet auteur à travers ce roman riche en personnages et en rebondissements.
5
Avis : auteurs édités / E L - Jérôme Segguns
« Dernier message par marie08 le sam. 11/05/2024 à 13:24 »
Un thriller ésotérique

C’est le premier roman que je lis de cet auteur et je n’ai vraiment pas été déçue. Bien au contraire, il m’a tenu en haleine du début à la fin.
Mais avant de vous partager mon ressenti, je tiens à saluer l’énorme travail que Jerôme Segguns a dû effectuer pour écrire ce roman où l’historique fait corps avec l’ésotérisme.

Nous sommes en Cisjordanie. Pia, une jeune archéologue, accompagnée de son frère, de quelques étudiants et des hommes de la région, fait une découverte défiant l’entendement humain :  l’incontestable chainon manquant qui relie les hominidés aux hommes.
Dès lors, bon nombre de questionnement et d’interrogations d’ordre spirituel accompagneront non seulement la protagoniste, mais également le lecteur dans une quête de la vérité riche en rebondissements et en suspense.

L’énigme est si bien menée qu’il nous est impossible de lâcher le livre avant de connaître le dénouement.

La plume de l’auteur est une très belle découverte. A tous les amateurs d’histoire, d’archéologie et de mystère, je recommande vivement ce roman.

Merci Jérôme Segguns pour cette incroyable aventure.
https://www.amazon.fr/El-J%C3%A9r%C3%B4me-Segguns/dp/2956169815/ref=tmm_pap_swatch_0?_encoding=UTF8&dib_tag=se&dib=eyJ2IjoiMSJ9.ISmAFkx0lWOPqoWX2WsA8IOTRGTKZXk7i-688hFA_vw.2Hg-TBsrcPUMbBoDD6RzFSrV1uhNOSuycMBMVsfLByo&qid=1715426566&sr=8-2






6
Avis : auteurs édités / L’écho de nos jours – Florence Tholozian
« Dernier message par marie08 le sam. 11/05/2024 à 13:18 »
Un beau voyage
A la suite d’une rupture amoureuse, Saskia décide de s’octroyer quelques jours de vacances sur la côte. Un jour, parcourant un marché, elle achète un panier dans lequel elle découvre un petit bout de papier avec quelques mots en anglais rédigés par la personne qui a fabriqué le sac. Intriguée, elle fait des recherches et découvre que le message vient de Bali. Signe du destin ou pas, elle décide de partir pour retrouver la personne du sac.

Dès lors, Florence Tholozian, l’autrice, avec sa belle plume, nous emmène pour de longues pérégrinations dans l’île de Bali, nous enivrant d’odeurs et de saveurs exotiques, nous plongeant dans le quotidien des balinais pour nous faire partager leur culture et leurs traditions, le tout enveloppé d’une certaine philosophie de vie qui n’est pas sans lui redonner une autre vision de son existence.

Je n’irais pas plus loin pour ne rien dévoiler de l’intrigue.
Aussi, me contenterais-je de vous recommander vivement ce roman. Vous ferez un très beau voyage.

Merci Florence Tholozian pour m’avoir fait voyager aussi loin.


https://www.amazon.fr/L%C3%A9cho-nos-jours-Florence-Tholozan/dp/2382111100/ref=sr_1_1?__mk_fr_FR=%C3%85M%C3%85%C5%BD%C3%95%C3%91&crid=2KMLBNSZAP5W5&dib=eyJ2IjoiMSJ9.C23Ju3h5aVeV9_ExKmHnIXcW1MzkmzVCt2dXOrOKHYg6vGD6FwOAuUZJSFkm-YiiAiEHD0tgjHVrHaO5ECHOlApsOH1O6OcyHB5bxztnmc9U2Z3JQ4DfNp6QAu44uKL0J_0tDblmHK5EN12RtFh9fldehOu4V-J5cX05LB9QdU6RW00iI9fpNfGkMJ79yTa4v6v22BztqWpCUJQ_lDFDance1SF89UeLB_UvIUOXsceLyG2ydn71zTjIk9oz6VRw3W9kFdP54GKHJs4U2vgmnJvQvtoJ8ljbxVtH4yhVlBY.EGry9VxTFsmfcbBFs7FaQXSjFgy5y8CjSgaBVfWWEbg&dib_tag=se&keywords=l%27%C3%A9cho+de+nos+jours&qid=1715426429&sprefix=l%27%C3%A9cho+de+nos+jours%2Caps%2C90&sr=8-1


7
Avis : auteurs édités / Sept jours chez papa – Mireille Maquoi
« Dernier message par marie08 le sam. 11/05/2024 à 13:15 »
Une histoire émouvante
J’ai découvert ce roman à la suite d’un concours et je n’ai pas été déçue de sa lecture.
Ce roman dont le thème est la garde alternée, relate une semaine de la vie d’une petite fille chez son père. Il se présente en deux parties. Une première partie avec le point de vue de Louise, sept ans, qui entame un compte à rebours dès qu’elle doit aller chez son père et sa nouvelle compagne, et une seconde partie qui relate l’avis du père.

Les mots choisis par l’auteure, Mireille Maquoi, sont criants de vérité et d’émotions. On a vraiment l’impression d’entendre une petite fille de sept ans nous confier son mal-être face à un quotidien dont elle ne veut pas. Et cependant, elle sait pertinemment qu’elle est aimée par son père tout comme Floriane, sa belle-mère, qu’elle surnomme l’Etrangère.

On est également ému face au point de vue de Richard, son père, et on se rend compte que ce n’est pas toujours facile de se parler ou de se comprendre. Mais il n’est pas indifférent au mal-être de sa fille, il est tout simplement dépassé.
C’est un roman tendre, délicat, émouvant, et d’une belle plume, que je vous recommande vivement.

Merci Mireille Maquoi pour cette magnifique histoire.

https://www.amazon.fr/Sept-jours-chez-Mireille-Maquoi/dp/B0C88Z67WG/ref=sr_1_1?__mk_fr_FR=%C3%85M%C3%85%C5%BD%C3%95%C3%91&crid=240OJVROO9XZH&dib=eyJ2IjoiMSJ9.LSqiPccS1cKh16nZcT8qc5IZVwE7KtZWBEAJdSXlZKQrHR2EyxKwXWB8OxA7Awx4W4Kz8wREdImGau633wXTSA.8OaTtjxFEQ7E97tFCTx1ur0wzMi2oPqAgkUsuSa8I4Q&dib_tag=se&keywords=sept+jours+chez+papa&qid=1715426191&sprefix=sept+jours+chez+papa%2Caps%2C95&sr=8-1


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Avis : auteurs auto-édités / Quand la vie nous donne des ailes - Perrine Marche
« Dernier message par marie08 le sam. 04/05/2024 à 11:18 »
Une magnifique leçon de vie.

Le retour que je fais concerne l’ensemble des trois romans de Perrine Marche.
En accord, avec l’autrice, j’ai préféré attendre de lire les trois tomes avant de partager mon ressenti.

Et quel ressenti !
Les premiers mots qui me viennent à l’esprit sont :  quelle belle et merveilleuse leçon de vie, nous offre l’autrice Perrine Marche.

Avec le premier tome - Et soudain la vie bascule - nous faisons connaissance avec Maeva, une adolescente de treize ans qui a intégré une section sport étude afin d’accéder au plus niveau. Le sport étant plus qu’une grande passion, c’est sa raison de vivre. Un jour, bouleversée par une conversation qu’elle surprend entre sa mère et sa grand-mère, elle s’enfuit de la maison et là, tout bascule. La suite je vous la laisse découvrir.

Le second tome - La vie, L’amour, Les emmerdes - nous plonge quelques années plus tard. Treize ans pour exact. La vie n’a pas épargné Maeva, que ce soit physiquement ou affectivement. Mais son courage est toujours là, sous-jacent qui veille et revient à la surface dès qu’elle en a besoin. Va-t-elle un jour connaître autre-chose ? Va-t-elle un jour construire ou plutôt reconstruire sa vie ? Vous le saurez en lisant cette seconde partie.

Avec le troisième et dernier volet – Quand la vie nous donne des ailes - nous partageons les joies, les peines, et les interrogations du couple Maeva et Will. Ils veulent fonder une famille, mais y arriveront-ils ? Maeva saura-t-elle être mère ? Saura-t-elle se débrouiller ?

Tout au long de ma lecture, j’ai ri, frissonné, et pleuré avec Maeva ainsi que les personnages qui gravitent autour d’elle. Perrine Marche sait si bien jouer et composer avec les émotions que nous sommes totalement immergés dans cette histoire qui se déroule sur plusieurs années. Nous vibrons avec Maeva. Nous nous énervons avec elle. Nous aimons aussi grâce à elle.

Merci infiniment, Perrine Marche, de nous avoir fait partager votre amour de la vie et votre courage de toujours vous battre pour aller de l’avant.
Aussi, je ne peux que vous conseiller de lire ces trois romans.

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9
Mise en avant des Auto-édités / Réapprendre à vivre de Marie Barrillon
« Dernier message par Apogon le jeu. 02/05/2024 à 17:26 »
Réapprendre à vivre de Marie Barrillon



Pour l'acheter : TheBookEdition 


Citations :


« La dureté de son regard s’atténuait parfois d’une fugitive expression de bienveillance… »
(Ruse, Éric Naulleau)

« Il faut être deux blessés pour se rencontrer […] être deux errances, deux âmes perdues. Si l'une est forte, elle écrase l'autre, elle finit par l'achever. »
(On ne voyait que le bonheur, Grégoire Delacour)

« Je n’ai qu’un cœur et je n’ai pas envie qu’on me l’abîme. »
(L’horizon à l’envers, Marc Levy)



« Les personnages et les situations de ce roman étant purement fictifs, toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite. »


Réapprendre à vivre


Roman

 
Mot de l’auteur :

Dans un monde où les connexions oscillent de plus en plus entre éphémère et superficialité, il arrive que des êtres se rencontrent dont l’issue parvient à un véritable rapprochement. Toutefois, il existe des instants à effets magiques où les deux âmes qui se rencontrent se nouent d'une manière révélatrice et même profonde.
Comme si un petit ange s’était placé au-dessus de leur âme pour orchestrer cette rencontre inattendue, puis les guidait l'un vers l'autre à travers les sinuosités de la vie. Est-ce le hasard, est-ce le destin ? Peu importe la raison, ce qui compte, c'est la beauté de cette union et le bonheur qui résulteront de cette rencontre.
Cette alliance entre ces deux êtres ne se limitant pas à une simple attraction physique ou à des intérêts communs allant bien au-delà de cet aspect. C'est une corrélation permettant à deux âmes de se trouver une correspondance dans une compréhension mutuelle qui outrepasse la simple communication.
Lorsque les conditions permettent à ces deux personnes de se rapprocher ainsi, il se déploie une harmonie naturelle qui se crée entre les personnes concernées. Elles se complètent, se soutiennent et se comprennent sans qu’il y ait nécessité parfois de se parler. Leurs cœurs battent au même rythme comme synchronisé par un lien invisible, mais particulièrement puissant.
Un tel rapprochement ne s’affranchit pas des défis qui se présentent parfois trop souvent. Comme toute relation, il impose un certain travail et des efforts, de la patience et de la compréhension. Néanmoins, ce qui rend ce lien si spécial, c'est la volonté de chacun cherchant à surmonter les adversités ensemble, quelles que soient les épreuves, main dans la main. Les accidents de vie ne sont pas insurmontables.
Au fil des jours, ce rapprochement entre Laurinne et Gabriel se renforce. Leur lien se creuse dans des profondeurs insoupçonnées, créant une certaine solidité pour les amener à résister aux tourments que l’existence a placés devant leurs pas. Laurinne et Gabriel progressent ensemble, apprenant l'un de l'autre, se guidant mutuellement pour devenir une meilleure version d'eux-mêmes.
Lorsque les circonstances les séparent physiquement, leur attache reste malgré tout intacte, grandissant même avec le temps. Ce qui les unit ne tient pas compte de la distance ou du temps. C'est un lien continuel, indestructible, impérissable, qui perdurera quoiqu’il arrive.
Finalement, la concomitance entre eux est une expérience enrichissante des plus précieuses et des plus belles qu’ils ont la chance d’avoir pour réapprendre à vivre. C'est un présent précieux que la vie met rarement sur votre parcours.
Cela dit, pour ceux qui reçoivent un tel cadeau dans leur existence, c'est une source de bonheur et d'affection infiniment réconfortante.


Chapitre I


Accrochée à son chariot de course à quatre roues, Marie-Louise Genlain déambule sur le trottoir en longeant les murs. Elle se parle à elle-même régulièrement dans la rue parce qu'elle trouve que c'est mieux que de penser dans le silence et ça lui évite d’entendre le vacarme des automobiles. Automobile, un mot qui se perd. Elle se pose des questions, souvent, mais ne fait pas les réponses parce qu'elle ne les trouve pas, ça la bassine de chercher à son âge. Elle croit même parfois qu'il n'en existe pas. Si elle avait dû en trouver, ce serait fait depuis bien longtemps.

Marie-Louise Genlain est une de ces grands-mères peu communes. D’un tempérament oscillant entre farces et moqueries souvent vêtues de pulls et autres écharpes qu’elle prenait plaisir à tricoter en toute paisibilité, peut-être ses seuls moments de calme, elle ne fait pas pour autant l’impasse sur la sagesse qu’elle a acquise au fil des années.
Elle mène souvent son petit monde comme elle seule a le secret. Ce n’est pas son âge, pense-t-elle souvent, qui doit lui dicter ses aventures. Ses escapades rocambolesques sont légendaires que ce soit au marché ou à l'église et sont régulièrement le sujet de conversation favori des habitants du quartier. Elle est connue pour ajouter des légumes, des fruits ou simplement ce qui se trouve à sa portée dans les paniers de ses comparses, amusant ainsi la galerie et les vendeurs. Les farces sont son credo. Puis, elle affectionne particulièrement se moquer des uns et des autres, toujours gentiment, sur les bancs de l'église avant, pendant et après la messe du dimanche, ce qui avait le don d’agacer monsieur le curé.

Elle égrainait ses jours avec une âme libre entre frivolité et passion autant qu’avec audace, toutes situations lui étaient tout simplement inspirantes. D’ailleurs, à son âge, elle fait l’admiration des personnes qui la connaissent la percevant comme une force de la nature et avec le temps sa folie intérieure encore plus intensément que dans ses jeunes années. Ce qui définit vraiment Marie-Louise finalement, c'est son esprit indomptable tout comme irrésistible et sa joie de vivre contagieuse. Elle croit fermement qu'il n'y a pas d'âge pour s'amuser, se faire plaisir et elle est une véritable source d’inspiration pour tous ceux qui ont la chance de croiser son chemin. Malgré son âge avancé, Marie-Louise n'a aucunement l'intention de ralentir. Elle est fermement persuadée qu'on n'est jamais trop vieux pour vivre pleinement sa vie, et elle est déterminée à profiter de chaque instant jusqu'au dernier qui lui sera donné. Temps qu’elle prend comme un cadeau du ciel ou d’ailleurs.

Tranquillement, un peu chaotique, elle se dirige vers le marché où l'attendent quelques autres mamies du coin, qui ont plus de chance qu'elle, imagine-t-elle, quoi que..., ajoute-t-elle de sa petite voix affirmée. Les gens qui la croisent la regardent d'un air attendri, parfois. Mais, le plus souvent d'un air étrange, comme s'ils la prenaient pour une déjantée. Ça l'amuse, Marie-Louise, ça la fait rire et son rire s’avère souvent contagieux, vraiment, qu'on la prenne pour une folle dingue. N’est pas zinzin qui veut le faire croire. Puis, faire semblant et voir que les gens y croient dur comme fer, c’est assez jouissif, presque une madeleine de Proust ! À ces derniers, elle leur tire la langue, comme le font les enfants à l'arrière des voitures quand vous passez à côté. D'ailleurs, à ces enfants mal élevés, elle leur fait des grimaces, de celles qu’elle a continuellement en réserve, et les plus horribles qu'il lui est possible d'en faire, pour leur apprendre à ces petits garnements en manque total de bonne éducation parentale ! De son temps, ça ne se passait pas comme ça. Un écart de ce genre et c’était une tartignole assurée. Pour ceux qui ont l'air le plus méchant, elle enlève son dentier pour leur montrer ses gencives roses et toutes vides avec les lèvres rentrées. Ça fait un peu sorcière comme dans Blanche-Neige. Les marmots vont se plaindre à leur « môman ». Ça marche à tous les coups, et elle rigole à toutes gencives. Fichus marmots !

Plus que deux rues à traverser, puis elle pourra se reposer deux minutes sur le banc à proximité du marché. On est dimanche, et ce jour-là est rarement joyeux pour Marie-Louise. La loge de sa gardienne chérie est fermée. Il faut bien qu’elle se repose cette belle enfant. Alors, pas de Laurinne aujourd’hui, c’est sa tristesse de fin de semaine. Il lui faut trouver à s’occuper pour passer le temps. Direction le marché, ses comparses y seront peut-être déjà, parce qu'elle n'est pas en avance, Marie-Louise, ce matin. Elle a veillé tard dans la nuit entre un roman déprimant et des programmes télévisés tout aussi désespérants.

Y a pas idée de ne même pas penser aux gens insomniaques ! Pas seulement les vieux, parce qu'il n'y a pas que les vieux qui ne dorment pas la nuit. Il y a ceux qui n'ont rien compris à la vie, ceux qui se trouvent en souffrance parce qu'ils n'ont pas eu de chance, ceux qui veulent tout et qui n'ont rien, mais qui ne font rien pour que ça change et qui se lamentent en pleurant sur leur sort, ceux qui culpabilisent parce qu'ils n'ont pas fait ce qu'il fallait ou qu'ils n'ont pas fait ou pas su faire les bons choix. À chacun sa condition.

Et puis, il y en a d'autres, d'autres et d'autres encore. Pour Marie-Louise, ce n'est rien de tout ça, c'est juste la vieillerie. Quand on prend de l'âge, on dort moins, elle en est persuadée. Lorsqu’on est vieux, on ne compte plus le temps de la même manière. On accorde moins d’importance à certaines choses, et plus à d’autres. On finit par aimer des choses que l’on a toujours détestées et par en détester d’autres qu’on avait toujours aimées. Le sens de la vie change de priorités.

-   Parce que quand on est vieux, on sait d'instinct qu'il n'y en a plus pour longtemps. On ne compte plus en décennies, on décompte en années, et encore quand ce n'est pas en mois. Alors, on veut profiter du temps qu'il nous reste sans savoir à quel moment tout va s'arrêter, dit-elle tout haut.

Le mieux, c'est pendant le sommeil se dit-elle, mais voilà, elle ne veut pas partir, Marie-Louise, pas encore. Alors, elle fait en sorte de ne pas trop dormir, au cas où, sait-on jamais, si la faucheuse décidait subitement d'être en avance ! Si elle dort, elle ne la verra pas venir. Alors, dormir un peu, oui, mais pas trop.

-   Je n’ai pas fini de vivre, moi, dit-elle tout haut en secouant la tête tout en traversant la rue sans même regarder ni à droite ni à gauche et encore moins le feu ou si le petit bonhomme est vert ou rouge. D'ailleurs, a-t-on vraiment fini de vivre au sens propre du terme ? formula-t-elle encore en secouant la tête. 
-   Eh ! Mamie, tu veux mourir ou quoi, hurle un automobiliste qui a manqué de lui rentrer dedans.
-   Ben non, justement, p'tit nigaud, c'est justement ce que j'étais en train de me dire, l'enguirlande-t-elle en lui faisant un doigt d'honneur avec son auriculaire. Parce que le majeur, c'est vulgaire, et dans son idée, c'est pour les cas extrêmes.

Elle voit le banc au loin. Il était temps ! Plus les jours passent, plus elle constate que ses jambes ont du mal à la porter, pourtant elle n'est pas grosse ni lourde. Juste un petit peu d’embonpoint sans plus, juste un peu moins fine et légère qu'à vingt ans. Et le docteur lui-même, avec tous ces diplômes étalés sur le mur, alignés au millimètre, lui a dit, pas plus tard qu'avant-hier.

-   Vous êtes en pleine forme, Madame Genlain, en pleine forme. Si vous continuez comme ça, vous allez m'enterrer !
-   Mais j'espère bien, docteur Berrier, qu'elle prononce Beurrier, rien que pour l'enquiquiner.

Y a pas idée d'avoir un nom pareil, un nom à coucher dehors un soir de pleine lune ! pense-t-elle, tout bas dans ces cas-là, parce que... faut pas non plus faire exprès de blesser les gens, surtout ceux qui vous soignent, quoique… ! Parce qu'ils pourraient se « tromper » dans les posologies ou les médicaments et vous endormir sans même que vous vous en rendiez compte. Qui ne sait pas qu’en prenant de l’âge, les comprimés deviennent nécessaires ? Il ne faut pas faire confiance à n'importe qui ! La sournoiserie peut se cacher partout, et surtout là où vous ne l’attendez pas.

Maintes fois, le docteur Berrier l'avait reprise sur la prononciation de son nom, puis il a cessé, à force d'entendre Marie-Louise lui dire qu'il n'y avait rien à faire, quand ça ne veut pas rentrer, ça ne rentre pas ! C'est comme vouloir faire entrer un bœuf dans un trou de souris, tu peux essayer autant que tu veux, quand ça ne veut pas, ça ne veut pas !

Voilà ! Plus qu'un mètre ou deux et elle se glissera entre la Mémé et la Nine.

La Mémé, c'est Aimée Circus et la Nine, c'est Antonine Labroux. Elle les a vues de loin, Marie-Louise, discutant en mettant leur main devant leur bouche comme quand on fait des messes basses. Y serait pas ravi le curé, s'il voyait ça ! Choqué, il en perdrait sûrement son latin et peut-être même son col blanc !

C'est Marie-Louise qui les a rebaptisées la Mémé et la Nine, parce que ça l'amuse de nommer les gens autrement que par leur nom ou leur prénom. Et puis faut dire que ces deux comparses, elles ont des noms pas très folichons, limite des noms à coucher dehors un soir de pleine lune, elles aussi. Si elle ne les connaissait pas depuis si longtemps, sûre qu'elle ne leur ouvrirait pas sa porte en entendant leurs noms. Mais, bon, elles sont gentilles, ça compense. Et comme elle est futée, Marie-Louise, elle arrive toujours à les embringuer dans des situations rocambolesques pour ensuite se marrer en les regardant se dépatouiller de loin après avoir pris la tangente.

Après ça, la Mémé et la Nine, elles lui font la tête. Oh, pas longtemps ou alors elles n'ont plus la notion du temps qui passe ou qui stagne. Parce que ça ne dure jamais plus de quelques heures. Quand elles reviennent sonner à sa porte, elles se rabibochent toutes les trois et elles rigolent comme des tordues sur la situation en question. C'est pas comme avec la Jaja, de son nom Janine Dutuit, elle, elle est moins conciliante, moins facile à faire tourner en bourrique. Difficile de faire tanguer sa boussole !

Par contre, Lorette Lelou dit la Lotte et Josette Lecoeur, dit la Jose, elles ne sont pas les dernières pour se mêler au groupe quand elles ont la forme. L'une comme l'autre sont les plus fragiles. Faut dire, ce sont aussi les plus vieilles des vieilles de leur vieux groupe. Parfois Marie-Louise, elle tremble un peu, parce que la Jose, elle l'aime plutôt bien. Mais depuis quelque temps, elle semble filer un mauvais coton. Elle espère qu'avec l'arrivée du printemps elle va revivre comme un rosier buisson, pas comme un rosier couvre-sol, ce serait le pompon et même la fin des haricots, la fin des fins pour la Jose.

Et pour être honnête, Marie-Louise elle n'a pas envie de faire le tour du cimetière du coin. Déjà qu’elle s’y rend régulièrement pour visiter son défunt mari, il manquerait plus qu’elle fasse un défilé de tombes ! Vous imaginez ça, un jubilé de tombes, non, mais allons ! Et puis, il fait un peu froid ces temps-ci, c'est pas un temps à enterrer un mort, il faut un peu de soleil pour réchauffer le cœur douloureux des vivants qui restent.

Quant à la Nine, alors qu'un jour pluvieux Marie-Louise palabrait avec la Jaja sur un banc de l'église, toutes deux emmitouflées dans des manteaux deux fois trop lourds pour elles, elle dit :

-   Ils avaient sûrement abusé du ratafia les parents de la Nine pour l'affubler d'un prénom pareil ! Y a pas idée, tout de même !
-   Meuh non, avait rétorqué la Jaja en pouffant pour ne pas se faire remarquer, parce que ça ne se fait pas de se moquer, surtout dans la maison du Saint-Père ! Et le père Potron, le curé, il n'apprécierait pas du tout.
-   Qu'est-ce que tu en sais, toi ? s’exclama un peu fort Marie-Louise pour contrer volontairement et sans retenue aucune la discrétion voulue de la Jaja.
-   Bah, parce qu'elle me l’a dit pourquoi elle s'appelle Antonine, pardi !
-   Et… ? T'accouches ou t'attends la pleine lune ? Allez, confesse !
-   Pff… c'est malin, tiens ! Ça ne m'étonne pas de toi ! Non, en fait ses parents étaient persuadés qu'ils allaient avoir un garçon, alors ils avaient choisi Antonin comme prénom. Et comme à l'arrivée, c'était une fille, ils n'ont pas cherché plus loin que le bout de leur nez.
-   Ben oui hein, pourquoi chercher midi à 14 heures quand il suffit d'ajouter juste une lettre pour transformer un prénom masculin en prénom féminin ! surenchérit Marie-Louise. Y a pas de quoi se fatiguer les méninges quand on peut faire aussi simple. Et puis, faut bien dire aussi qu’à cette époque, question réflexion, certains n’étaient pas vraiment bien lotis.
-   Et ils ont fait pareil avec sa sœur, continua la Jaja. De Marcel, c'est devenu Marceline ! pouffa-t-elle encore.
-   Ah, trois lettres cette fois ! Heureusement qu'ils n'ont pas eu cinq filles, parce qu'avec trois lettres de plus à chaque fois, j'ose même pas imaginer le résultat ! rirent-elles en cœur.
-   Ben si, justement, ils ont eu cinq filles ! Jean est devenu Jeannette, Michel s'est métamorphosé en Micheline et Paul s'est transformé en Paulette.
-   Eh bien, une grosse limace le père, à ce que je vois ! ne put s'empêcher d'ironiser Marie-Louise.
-   Pourquoi tu dis ça ?
-   Bah, il paraîtrait, j'ai lu ça dans un magazine chez le docteur Beurrier, que les spermatozoïdes qui font les filles sont lents, mais qu'ils vivent plus longtemps, donc plus résistants que ceux qui font les garçons selon le docteur Ericsson dans sa méthode brevetée en 1975. Ceux qui font les gars sont trop fragiles, les pauvres choux, même s'ils sont rapides, ils manquent sérieusement de résistance. Voilà le pourquoi nous les filles on va plus tranquillement, qui va piano va sano et va longtemps. Même si le rapport hommes femmes reste à peu près égal. J'invente rien ! Y feraient bien d’en prendre de la graine ces Messieurs !
-   Mouais… si tu l'dis ! Chut, v'là l'curé !
-   T'as raison la Jaja, c'est le moment de s'en payer une tranche ! s'esclaffa Marie-Louise. On ne va pas laisser passer ce moment dominical jubilatoire.

Sur ce, le père Potron étant arrivé pour commencer la messe, un silence s'installa sous le toit du Bon Dieu. Marie-Louise et ses copines n'étaient pas forcément croyantes. Non, elles venaient à l'église comme elles auraient pu aller ailleurs. C'est juste que ça leur passait le temps. Ça les occupait, et en même temps elles pouvaient voir de leurs yeux comment allaient les gens, les autres vieux qu'elles ne côtoyaient pas, en l'occurrence. Parce qu’au fond, faut pas se leurrer, pensait secrètement Marie-Louise, à l’église il y avait une grande concentration de vieux, pour ne pas dire QUE des vieux.

On se demandait bien où pouvaient être les jeunes. Et les voir tous ces vieux agglutinés, ça leur faisait des sujets de discussions, ou de moqueries, pour après. Parce que ces cinq mamies, elles en avaient sous le chapeau des âneries à faire. Elles ne manquaient pas de réserves. Et quand on leur demandait pourquoi elles cumulaient les sottises, elles répondaient avec un aplomb hors norme et un sérieux époustouflant que c'était leur manière à elles de laisser une trace sur cette terre avant leur départ qui arriverait bien trop tôt. Elles étaient même parvenues à se persuader que ça leur permettait de garder la forme, et donc de vivre encore plus longtemps. Il n’était pas question pour elles de quitter le navire maintenant, elles avaient encore du stock à écouler en bêtises. 

-   Et puis, qu'a-t-on à faire à nos âges ? Enquiquiner le monde, y a pas plus drôle occupation ! lançait Marie-Louise à la cantonade.

Arrivée au banc, Marie-Louise ne put que constater que la Jose et la Lotte manquaient à l'appel. Elle se glissa entre la Mémé et la Nine, en bousculant un peu cette dernière en des termes moqueurs :

-   T'as pris un peu de gras, la Nine. Faut veiller à manger plus de fruits et légumes, hein !
-   Mais non, je n'ai pas pris un gramme ! se défendit-elle.
-   Han han, dit Marie-Louise dubitative. Tu ne me feras pas prendre des vessies pour des lanternes ! Je t'ai vu l'autre jour au City Market, les petits gâteaux par-ci, les crèmes par-là et pas les crèmes de nuit, non, les crèmes glacées. Et puis, les flans de « La laitière » et les petites confitures « Bonne maman », ma bonne dame !
-   Mais, Marie-Louise, ce n'était même pas pour moi !
-   Ah oui, c'est vrai, c'est pour tes petits-enfants que ta chère progéniture oublie de t'amener depuis si longtemps que tu ne sais même plus quel âge ils ont !
-   Oui, c'est pour eux, en prévision.
-   Et comme tu ne les verras pas plus maintenant qu'avant, voyant qu'ils n'arrivent pas, tu mangeras tout. Et hop, un peu plus de gras ! Tu vois, je te l'ai dit que tu prenais du gras.
-   Je ne vais pas non plus attendre que ça se périme !
-   Des excuses, des excuses, pour te donner bonne conscience !
-   Mais, pas du tout… répondit la Nine prise en défaut comme on prend un gosse la main dans le sac ou dans le pot de confiture.
-   Au fait, la Nine, surenchérit Marie-Louise en faisant un clin d'œil à la Mémé, j't'avais pas vu au City Market.
-   Oh, j'y crois pas, tu prêchais le faux pour savoir le vrai, c'est ça ?
-   Tout juste, comme d'habitude ! Avec toi, ça marche toujours, tu cours comme un lapin de garenne, et encore, je suis sûre qu’il irait moins vite que toi ! ria-t-elle.
-   J'me demande toujours comment on fait pour te supporter !
-   Bah, parce que vous m'aimez bien. Avec moi, vous ne vous ennuyez jamais. Sans moi, vos vieux jours sur la pente descendante seraient tristes à mourir.
-   C'est pas totalement faux !
-   Bien sûr que ce n’est pas faux. Cesse d’avaler les mots, nom d’une pipe. Et puis, j’ai toujours raison, parce que je ne dis que des vérités. Bon, mes p'tites vieilles, on se le fait ce marché ?
-   Oui, allez, on y va, répondirent les deux copines en chœur.

Les trois mamies se levèrent comme un seul bloc et s'engagèrent dans les allées du marché côte à côte, obligeant les gens bienveillants, ou non, à se pousser pour leur céder le passage, même s’ils doivent le faire en pestant à contrecœur. C’est le respect que d’accorder la priorité aux vieux. Mais justement, le respect existe-t-il encore ? Il se perd d’année en année.

Peu importe, elles veulent passer et ne se gênent pas pour faire ce qu’il faut afin d’y parvenir. Elles ont assez de décennies dans leurs bagages pour savoir comment faire. Les emplettes peuvent commencer, et… les farces aussi ! De ces farces qu’elle avait en réserve à tout moment. Les idées farfelues s’éveillaient en même temps qu’elle au matin. Elle prouvait ainsi que l'âge n'est qu'un chiffre, que l'esprit peut rester jeune tant qu'on le nourrit de rires et de plaisanteries, de bonnes choses donc. Et ainsi, elle continuerait à semer le rire et à cultiver la joie pendant de nombreuses années encore quand son entourage, conciliant lui, mettait son comportement sur le dos de l'âge. Mais, comme elle refusait de se laisser enfermer dans les stéréotypes associés à son âge, préférant plutôt vivre sa vie avec une joie et une exubérance contagieuses, ça lui passait au-dessus du caberlot.

Ces mamies en vadrouille, tous les commerçants du marché les connaissent, ceux de l'avenue aussi. À chacun de leur passage, tous se demandent à chaque fois quelle sera la blague, la farce ou la facétie du jour. Tous savent aussi que la meneuse n'est autre que Marie-Louise. Et tour à tour, ils ne se font pas prier pour se faire complices de cette mamie pleine de vie. Rien n'était calculé, Marie-Louise agit au feeling, c'est bien plus drôle de faire les choses à l'instant T avec une spontanéité parfaitement assumée.

Aujourd'hui d'ailleurs, elle a jeté son dévolu sur la Nine. Elles allaient de bon cœur toutes les trois, et même s’il en manquait deux, la Jose et la Lotte, Marie-Louise était bien décidée à se payer une tranche de rire sur le dos d'une des deux présentes. Elle attend ces moments-là avec une intense impatience. Il lui en faut peu pour s’amuser, au détriment de ses amies, et s’il n’y a rien qui se présente, elle provoque la chose ou l’évènement qui la fera rire autant qu’une gamine devant un clown.

Boitillantes, elles voguaient du poissonnier au boucher en passant par le charcutier et le primeur. C'est chez ce dernier que la Nine fit les frais des facéties de Marie-Louise. Avançant à la queue leu leu, la Mémé devant, puis la Nine et enfin Marie-Louise fermant la marche.

La Nine portait son panier accroché à son bras, et au fur et à mesure qu'elles avançaient, Marie-Louise y glissait discrètement un poivron, une tomate, une courgette, mais aussi une pomme, une orange, une banane. Lorsque vint son tour de commander ce qu'elle souhaitait à l'étal des fruits et légumes, Marie-Louise l’interpella :

-   Joli, la Nine ! Tu vas prendre une bricole, alors que t'as déjà rempli ton panier ! Si c'est pas honteux à ton âge !
-   Oh, la chipie ! T'es une vraie gamine ! Pardonnez-lui, dit-elle en s'adressant au vendeur, horrifiée qu'on la prenne pour une voleuse et en lui rendant les fruits et légumes se trouvant dans son panier, elle n'a plus toute sa tête.
-   Mais si, j'ai toute ma tête ! Je n’ai pas encore une drôle de trogne ! Encore heureux !
-   Alors, c'est encore plus grave ! s'exclama la Nine.
-   C’est pas en m’accusant de sénilité naissante que tu vas faire croire en ton honnêteté, qui laisse à désirer, soit dit en passant !
-   Oh, mon Dieu, elle est insupportable ! dit-elle au primeur qui déjà riait de la situation.

Mais, la Nine le sait, chaque sortie avec Marie-Louise est source d’âneries. Comment faisait-elle pour avoir autant d'énergie, là était la grande question. Les cinq copines ont autour de quatre-vingt-cinq ans, et Marie-Louise est la plus jeune du lot aussi bien en âge que dans son comportement.
Mais, ce que personne ne savait, c'est qu'une fois seule chez elle, Marie-Louise rongeait son frein. À l'extérieur et en compagnie des autres, c'était une forme de combat qu'elle menait contre sa tristesse. C'était une des raisons pour lesquelles elle prenait chaque jour comme un cadeau, Marie-Louise, parce que des galères, elle en avait traversé plus qu'elle ne pourrait les compter. Elle en a essuyé plus qu'à son tour, et sa serpillière mentale n'éponge plus depuis des lustres.

Longtemps elle a mangé son pain noir, comme on dit. À présent, elle engloutit son pain blanc, et même de la brioche ! Elle l’a bien mérité ! Ces jours sont devenus doux, mais pour arriver à ce résultat, il lui a fallu en faire des deuils, et pas des plus heureux ni des plus simples. Tout va mieux depuis qu'elle a décidé, du moins depuis qu’elle avait pris le parti de tirer un trait sur les personnes qui s'évertuaient à polluer son quotidien. Et depuis qu'elle s'est résolue à tirer un trait également sur ceux qu'elle s'acharnait à retenir, mais qui ne voulaient pas, ou plus, d'elle, ceux qui l’a reniaient aussi, elle en a retenu que la vie, on ne la traverse pas toujours, et même rarement, avec les personnes que l'on souhaite ou que l'on aime. On la traverse d'abord pour soi.

Quand on vous veut du mal sans ménagement, qu'on vous fait subir la misère sans un moment de répit, il faut s’écarter, point à la ligne ! La vie, on la vit pour soi, pas pour les autres. Et si c'est sans ces autres, eh bien, qu'ils aillent au diable ou en enfer ! Elle, Marie-Louise, elle n'a pas froid au point de les rejoindre, elle préfère la blancheur du paradis. Ça aussi elle l’a bien mérité !

Et puis de toute façon, la terre ne manque pas de personnes à aimer, qui ne demandent que cela et qui vous le rendent au centuple. De ces personnes qui ne vous jugent pas parce qu’elles savent que personne n’est parfait, encore moins l’être humain qui n’a plus grand-chose d’humain. Et que le plus souvent on est amené à faire comme on le peut plutôt que comme on le veut. On a tous des actions regrettables, volontaires ou non, dans les placards de nos vies. Le tout est de savoir vivre avec sans en être pollué et d’en retenir les leçons qu’elles nous apportent, de savoir se remettre en question sans attendre les jugements des uns et des autres, souvent mal intentionnés, ni rendre responsable autrui de ce qui a pu nous arriver dans le passé.

Il n’est nul besoin d’attendre d’être jugé par les autres pour avancer, s’améliorer, se corriger au besoin. Et encore moins par ceux qui n’ont pas traversé les mêmes situations, n’ont pas eu votre vie avec ses hauts et ses bas. Nous ne sommes pas en mesure de savoir comment il nous serait donné de réagir dans une situation ou face à un évènement auquel nous n’avons pas été confrontés. Alors dans ce cas, le jugement est forcément erroné, voire biaisé, la plupart du temps, injuste même, et par la même occasion douloureux pour la personne jugée.

Après avoir fait ce constat, et l’avoir subi aussi à maintes reprises durant son existence, Marie-Louise part du principe que l’on n’a aucun droit au jugement sur ses « congénères ». À chacun sa vie, et de ce fait chacun en fait ce qu’il veut avec tous les tenants et les aboutissants ainsi que toutes les conséquences qui s’y rapportent tant que cela n’interfère pas sur celle des autres et que cela ne leur génère aucun mal ni aucun désagrément. À chacun ses peines, ses joies, son expérience et ses responsabilités.

Après les commissions au marché, le petit plaisir de ces dames est de s'arrêter prendre un café à la brasserie de la place, même si c'est mauvais pour leur cœur et leurs artères, c’est toujours bon pour leur moral. Et là encore, c'est la grande rigolade. Le patron et les serveurs les accueillent toujours avec le sourire. Ils s’enquièrent de la santé des absentes, papotent un peu avec elles. Parmi les serveurs, Marie-Louise aime bien les serveurs, l’un qu’elle appelle Cacahuète parce qu’elle ne parvient pas à retenir son prénom ni même à le retenir, toujours agréable et souriant. Et puis Maurice, qu’elle prononce Meurice. C'est un gamin pour elle, un peu moins que Cacahuète, même s’ils ne sont pas vraiment tout jeunes tous les deux. Ils ont tout de même près de quarante ans de moins qu'elle. Maurice est amusant. Sa peau est colorée, ses cheveux bruns tout bouclés lui arrivent aux épaules et il est mince comme une ficelle à rôti. Il est gentil, jamais en colère et toujours souriant.

Maurice s'approche pour prendre la commande. La Mémé fait mine de réfléchir, mais Marie-Louise intervient :

   Trois cafés allongés, comme d'habitude.

Maurice s'éclipse. La Mémé proteste :

   Dis donc, Marie-Louise, je peux choisir quand même !
   Oui, mais on sait tous que tu réfléchis dix minutes pour au final prendre comme d'habitude. Alors, j'anticipe ! dit-elle un peu ironique.

La Mémé se renfrogne, bien qu'elle sache pertinemment que son amie a raison. Pour détendre l'atmosphère, Marie-Louise leur raconte une blague, et là, c'est le pauvre Maurice qui en fait les frais. Toutes trois rigolent comme des tordues. De derrière son bar, le patron les regarde avec tendresse et un sourire tout en disant à Maurice :

   C'est beau d'avoir quinze ans à quatre-vingts balais !

Maurice revient avec les consommations sur son plateau de service. Il dépose les tasses et les verres d’eau avec délicatesse devant chacune de ces dames. Marie-Louise ne résiste pas bien longtemps.

   Mon p’tit Maurice, dit-elle. Sais-tu pourquoi tu as la peau colorée ?
   Ben, je suis né comme ça !
   Évidemment, Maurice, mais là n’est pas ma question !

Maurice fait mine de réfléchir pour entrer dans le jeu de cette mamie hors du commun, pour ne pas dire hors norme, et qu’il affectionne particulièrement. Il sent bien que la blague du jour, elle est pour lui.

   Non, je ne sais pas, finit-il par dire.

Marie-Louise est satisfaite, et même absolument ravie, car elle va pouvoir sortir sa blague. Elle a tant cherché, et trouvé à force de réflexion, pour en trouver une qui colle parfaitement à Maurice.

   Parce que tu as trop mangé de yaourt au chocolat. Tu pousses le bouchon un peu trop loin, Maurice, s’exclame-t-elle en riant.

Maurice rigole, mais en réalité Marie-Louise sait pertinemment que le pauvre garçon n’a rien compris.

Maurice retourne au comptoir, et comme effectivement il n’a pas compris la blague, il la raconte au patron. Ce dernier éclate de rire. Devant l’air ahuri du serveur, le patron lui explique la publicité télévisée du yaourt au chocolat avec le garçonnet et le poisson rouge nommé Maurice passée quelques décennies auparavant. Maurice comprend alors, et éclate de rire à son tour.

Vient ensuite le tour de Michel, un client qui ne manque jamais de les saluer avec beaucoup de respect et de gentillesse. C’est un petit Monsieur d’une soixantaine d’années que Marie-Louise prend un malin plaisir à taquiner.

   Bonjour mesdames, dit-il à nos trois comparses attablées.
   Bonjour Monsieur Michel, dirent en chœur la Mémé et la Nine.
   Bonjour petit nain, s’esclaffa Marie-Louise en s’adressant à Michel.
   Oh, dirent encore en chœur la Mémé et la Nine, outrées.

Michel ne put que faire une mimique résolue, constatant comme toujours que cette grand-mère l’avait rebaptisé de manière définitive.

   Ad vitam aeternam ? répondit Michel.
   Ad vitam aeternam ! répondit Marie-Louise avec un sourire qui se voulait enjôleur.

À quoi bon lutter ! pensa Michel. Il en avait pris son parti et n’en voulait pas à cette dame avec qui finalement il rigolait bien. Ils auraient pu être mère et fils avec les quelque vingt-cinq années qui les séparaient. Mais, en son for intérieur, Michel espérait bien être aussi en forme que Marie-Louise dans vingt-cinq ans. Toutefois, rien ne l’en assurait, ce n’était là qu’un souhait, bien que très fort, mais néanmoins qu’un souhait. De nos jours, on s’empoisonne d’un rien !

Ces petits moments partagés avec ses amies et les habitués du quartier à la terrasse de la brasserie de la place font du bien à cette octogénaire qui ne sait plus quoi échafauder pour s’occuper et qui sombre trop souvent dans ses pensées. Et pas toujours les meilleures ou les plus agréables. Pourtant des souvenirs, elle en a une tripotée, seulement se sont toujours les plus tristes ou les plus désolants qui resurgissent, comme s’ils avaient gommé les autres pour prendre leur place en mettant la pagaille dans la tête de Marie-Louise.

Le petit café avalé, la Nine décréta qu’il était bien temps de rentrer. Son épisode de sa série préférée l’attendait, et pour rien au monde elle ne voulait le rater. Qu’allait encore inventer le bel homme qui tenait le rôle principal ? Quelle entourloupe allait imaginer son ennemi ? Elle regrette l’époque de Dallas avec son indécrottable JR Ewing, la pauvre Sue Ellen et la sublime Paméla ou de Côte Ouest et Dynastie. Ces feuilletons à rebondissements étaient bien son petit plaisir. Des vies animées qui faisaient passer le temps. Rien à voir avec aujourd’hui où la télévision n’est plus qu’une boîte poubelle colorée, ultra moderne, mais sans grand intérêt
Il était donc temps de rentrer, et c’était bien le moment que Marie-Louise n’appréciait pas franchement, et même pas du tout ! Se retrouver toute seule, chez elle, lui procurait des sueurs la plupart du temps. Mais, elle ne le montrait pas, non jamais.

Elle était trop fière pour laisser entrevoir son malaise à son entourage, aussi petit qu’il puisse être. Et comme souvent, après être rentrées tranquillement bras dessus, bras dessous avec la Jose, elles se seraient séparées sur le palier, chacune rentrant dans ses pénates. Mais, la Jose avait fait l’impasse aujourd’hui. Marie-Louise rentrerait seule avec sa tristesse en écharpe.

Après avoir passé une soirée tristounette la veille, Marie-Louise avait hâte de prendre l’air, pour ne pas dire prendre le large. Elle alla toquer à la porte de la Jose. D’abord doucettement, puis plus fort, car quoi qu’elle en dise, la Jose avait parfois la feuille difficile.

   Oui, oui, voilà, voilà, j’arrive !
   Ah, quand même, s’exclama Marie-Louise quand la porte s’ouvrit enfin.
   Ah, c’est toi !
   Ben oui, pourquoi, tu attendais le Bon Dieu ?
   Hum, très drôle ! Entre ! Tu veux un jus ?
   Ben, pourquoi pas, suis pas venue pour rêver de la prochaine lune !
   Décidément, t’es vraiment intraitable !
   On ne t’a pas vue aujourd’hui pour le marché ? T’as fait la grasse matinée ou quoi ?
   Honnêtement, je n’étais pas très en forme. J’ai préféré rester tranquille. Une fois n’est pas coutume.
   D’accord, je comprends. Tu nous as quand même un peu manqué outre le fait que je me suis un peu inquiétée.
   Tant que c’est un petit peu, tout va bien !
   Bon, dis-moi, vu que je ne peux pas saluer notre petite gardienne, si on allait faire une promenade sur la plage ? propose Marie-Louise.
   On n’a plus l'âge de se baigner ! dit la Jose d'un air narquois.
   Qui t’a parlé de se baigner, m'enfin ! Et puis, j'aime pas me baigner dans la mer, comme dit Renaud les poissons niquent dedans !
   Oh ! s'exclame la Jose, t'as pas honte d’être aussi crue, Marie-Louise !
   Ben quoi, c'est une vérité !
   Le Bon Dieu ne va pas être content !
   Oh, le Bon Dieu tu sais, depuis qu'on porte des masques, il est sourd !
   N'importe quoi ! Ils sont quand même un peu utiles les masques. Et comme tu veux pas faire le vaccin...
   Oui, je te l'accorde pour les masques. Mais, leur vaccin, ils peuvent se le garder bien gentiment pour les peureux !
   Pourtant, à nos âges, ils protègent.
   De quoi ? Tu vas dans les concerts, toi ?
   Non.
   Dans les boîtes de nuit ?
   Non.
   Voir des matchs de foot ?
   Non. Ça va, tu vas pas tout énumérer !
   Non, mais, comme on sort plus de notre train train et qu'on ne voit pas foule, on risque pas grand-chose, surtout qu'on respecte bien les gestes barrières !
   Et à la maison du Bon Dieu, hein, y a du monde !
   Ah, tu vois qu'il est sourd, celui-là, et même aveugle, sinon le virus machin ne rentrerait pas dans sa maison. Il pourrait quand même mieux protéger ses ouailles, que je te dis !
   Ma pauvre Marie-Louise, c'est devenu une drôle d'époque ! Mais, t'as pas tort, le Bon Dieu nous oublie un peu ces derniers temps.
   Ces derniers temps ? J'adore ! T'es trop gentille. Moi, il a jamais trop pensé à moi, alors ce qu'il peut bien penser quand j'ai le verbe cru, ça me passe au-dessus de la timbale !
   Alors, pourquoi tu viens à la messe ?
   Pour voir du monde, papoter, et écouter les âneries qu'il fait dire à Mr le curé ! Ça vaut bien le déplacement ! Et puis, on sait jamais, des fois qu’il se rappelle que j’existe. Enfin… pas trop tout de même… il pourrait lui prendre l’idée de me rappeler, et je suis pas encore prête pour le grand saut !
   T’as encore des rêves à ton âge ?
   Des rêves, non. Mais, j’ai ma p’tite Laurinne.
   Ah, Laurinne ! C’est quelqu’un cette petite pour avoir réussi à te faire chavirer.
   J’aime cette petite. Et je me dis souvent que j’ai de la chance d’avoir une « chose » à laquelle il est si dur de dire adieu. Alors, c’est pas le moment de partir, pas encore, on a des attaches toutes les deux.
   Je sais que tu l’aimes, cette jeune fille. Y a pas plus évident, vu le temps que tu passes avec elle.
   T’es jalouse, ma parole !
   Mais, pas du tout, Marie-Louise, pas du tout. Au contraire, ça me fait plutôt plaisir de te voir nager dans le bonheur quand tu parles d’elle.
   Ah, le bonheur ! Je l’ai longtemps cherché, ce filou, et j’ai compris que plus tu le cherches, plus il se cache, et moins tu le trouves. Plus tu le souhaites, plus il inonde un horizon loin du tien, et te tourne le dos. Plus tu le désires, plus il se fait attendre. Plus tu le supplies, plus il fait la sourde oreille.
   Pourtant, avec la petite Laurinne, tu y es, non ?
   Ça a mis du temps avant que je tente de la découvrir, j’avais peur que ça ne passe pas. Tu sais bien que j’ai été longtemps condamné à souffrir autant que j’ai vécu et pour ce qu’il me reste à vivre, j’ai fini par me lancer. Et mon audace n’avait finalement que trop tardé, parce que cette enfant est une merveille de beauté, et pas que physiquement !
   Ce que je vois, c’est qu’elle sait te mettre en joie.
   Il n’y a qu’en provoquant la joie que nous pouvons faire taire les douleurs. Il n’y a qu’en laissant une chance au bonheur que les malheurs passés s’estompent et cèdent leur place. Il n’y a qu’en pensant positif que le négatif s’effacera.
   Ouh la, tu fais dans la philosophie, de mieux en mieux !
   Ha ha, ça t’en bouche un coin !
- Même pas ! Avec toi, plus rien ne me surprend !

À peine avait-elle terminé leur café que les voilà parties en direction de la plage. La loge resterait fermée, alors Marie-Louise la saluerait à son retour le lendemain. Les deux grands-mères aimaient marcher sur la plage quand elle était encore vide de tout promeneur, cette sensation que produisait le sable chatouillant la plante de leurs pieds. Ce grand espace désert, c’était leur plaisir matinal. Un peu comme si le monde leur appartenait pour l’éternité. Cette éternité qu’elles n’avaient pas, pas plus qu’à quiconque.


Chapitre II

Après une attente particulièrement longue teintée d’impatience, le soleil daignait enfin faire une franche apparition. Celle-ci était si prononcée que l’on aurait dit une véritable délivrance pour lui. Et, dans le même temps, une incontestable souffrance pour les gens, parce que trop soudaine et trop violente.
Laurinne avait ouvert un œil, puis l’avait aussitôt refermé, trop agressé par les rayons qui traversaient la vitre de la fenêtre venant inonder son lit. Maintes fois, elle s’était dit qu’il lui faudrait changer son lit de place ou alors suspendre des rideaux occultant à sa fenêtre à cause de ces matins parfois trop brûlants. Pas forcément toujours agréables au réveil. Et puis, elle oubliait de mettre cette idée à profit.

Elle avait beaucoup d’idées comme ça, Laurinne. Des idées qui apparaissaient soudainement pour s’échapper tout aussi rapidement qu’elles étaient venues. Elles émergeaient pour s’évaporer dès la minute suivante. Elle remettait à plus tard, fréquemment, et cela pouvait durer longtemps. Il lui fallait un bon coup de nerf pour déclencher sa motivation afin d’agir en conséquence suivant les situations qu’elle devait mettre en application.
Laurinne prenait la vie comme elle se présentait, au jour le jour, tout en évitant de s’attacher aux choses extérieures à son existence ou aux personnes qu’elle n’avait pas soigneusement choisies. Elle ne s’attachait pas non plus outre mesure aux évènements qui ne la touchaient pas de près ou auxquels elle n’accordait pas grande importance. Les babioles de la vie comme elle se plaisait à les nommer, surtout celles de la vie des autres, ne méritaient pas qu’on perde du temps, et ce temps pour la jeune femme était précieux. Très tôt, très jeune, elle avait compris que les jours étaient comptés dans la vie de chacun.
Nous savons quand nous arrivons, nous en fêtons même la date anniversaire chaque année, mais nous ignorons quand nous devrons repartir. Nous ne savons pas le nombre de jours, de mois, d’années qui nous ont été alloués, ce qui est le plus grand mystère de chaque vie. Elle en avait déduit qu’il fallait agir en fonction des priorités de chaque moment. Toutefois, question priorités, il y a les véritables, mais aussi celles que l’on s’impose de moindre grande importance, volontairement ou non. Au sein de ces dernières, il fallait faire le tri pour qu’elles n’engloutissent pas le temps qui nous était imparti, parce qu’il ne fait de cadeau à personne, celui-là, et ne revient jamais sur ces pas ou en arrière. Ce temps perdu est peut-être celui qui nous manquera au bout du compte, à la fin lorsque nous arriverons au bout de la ligne, qu’elle fût droite ou sinueuse tout du long.
Après ce moment de méditation matinale, qu’elle appréciait presque chaque jour, qu’elle mettait du cœur à développer, elle se retourna dans son lit pour ne plus être face à la fenêtre, afin d’éviter l’agression des rayons du soleil à l’ouverture de ses paupières. Il était à présent sept heures trente, par conséquent grand temps de se lever pour entamer cette nouvelle journée qu’elle espérait tranquille. Là aussi aucune précipitation n’accaparait ses actes, rien ne la tirait en avant.

Elle savait qu’elle devait avancer, alors elle mettait invariablement un pied devant l’autre, faisait un acte après l’autre, sans jamais se poser la moindre question. Certaines questions sont absolument inutiles, surtout lorsqu’elles sont récurrentes ou quand elles viennent assombrir une journée à peine entamée. Elles nous envahissent et grappillent des minutes qui seraient bien plus profitables si elles étaient employées à autre chose.
Comme chaque matin, à huit heures quinze elle était prête à partir. À peine dix minutes de marche pour arriver à sa loge qu’elle ouvrait invariablement à huit heures trente. Laurinne était loin d’imaginer ce qui l’attendait à son arrivée.
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Mise en avant des Auto-édités / En quête d'un héritage de valeur de Sophie Herrault
« Dernier message par Apogon le jeu. 18/04/2024 à 17:17 »
En quête d'un héritage de valeur : Et si les réponses étaient ailleurs... de Sophie Herrault




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***
La vie ne se trouve pas toujours là où on le croit.
***
 
Prologue
Le vieil homme contemplait son verre, perdu dans ses pensées. Il ne regrettait pas ses choix, bien au contraire. La vie lui avait offert tout ce qu’elle avait de plus précieux et de magnifique. Et même si les événements ne s’étaient pas toujours présentés de la façon dont il l’aurait voulu, il aurait aimé avoir, malgré tout, plus de temps pour en profiter. L’existence humaine est trop courte, se dit-il, mais c’est ce qui constitue à la fois son charme et son essence.
Quelques questions restées sans réponse le lancinaient encore. Peut-on respirer le parfum d’une rose sans se piquer les doigts ? La vie aurait-elle pu être autre, aurait-elle pu être d'autant plus merveilleuse avec des choix différents ? Ce dont il était certain, c’était qu’une lettre pouvait en changer l’issue. Le passé semblait si proche et si lointain à la fois…
 
Première partie
***
Tu iras là où ton cœur te porte…
***
 
Là où tout commence

« La vie nous laisse le choix d'en faire un accident ou une aventure. »
Anonyme

Je la regardai avec étonnement. Les phrases employées me semblaient incongrues compte tenu des circonstances. Dehors, le soleil s’affichait sur la ville, complètement indifférent à mon sort. Je cherchai à mettre un mot sur les émotions qui me submergeaient : de la tristesse, de la colère, un sentiment de trahison ? Tout cela était confus dans mon esprit. Mes yeux se posèrent de nouveau sur elle. Les questions tournaient en boucle dans ma tête. Pourquoi cela arrivait-il maintenant ? Pourquoi décider de m’apprendre la vérité aujourd’hui de cette façon ? Qu’allais-je choisir de faire ?
Dans le miroir, un homme brun d’une trentaine d’années me regardait, un pli amer au coin des lèvres. La nuit trop brève avait marqué les traits fatigués de son visage et son costume froissé.
J'abandonnai, sur la table, la lettre que je tenais dans mes mains. Les rayons du soleil s’accrochaient à la fenêtre. Chapeau et lunettes attendaient un simple geste de ma part pour sortir.
***
Comment m’étais-je retrouvé dans cette petite ville perdue au fond d’une vallée ? Je n’arrivais plus à me souvenir quand j’avais basculé et pris ma décision. Était-ce la curiosité, l’envie de comprendre ce qui s’était passé en me rendant sur les lieux, le besoin de justifier ma propre attitude ? À bien y réfléchir, cela n’avait plus d’importance maintenant que j’étais sur place.
Amazonia avait été découverte par un explorateur français en 1561. Cette terre bénéficiait d’un climat chaud et humide, propice au développement de sa forêt équatoriale. Comme de nombreux territoires disposant de ressources naturelles et minières, elle avait été colonisée grâce au massacre d'une partie de la population indigène… La convoitise des richesses d’autrui avait toujours primé sur la vie humaine. Il en était ainsi depuis la nuit des temps, et ce lieu n'avait pas fait exception.
Même si la modernité s'était fait une place au fil des ans, cette contrée avait su conserver sa culture et ses traditions. Les autochtones, de la tribu des Yalinem, occupaient en majorité la forêt et tentaient de rester fidèles à leur mode de vie, en dépit de l’occidentalisation croissante. C'était du moins ce qu'indiquait internet lorsque j’avais réalisé quelques recherches pour savoir où je mettais les pieds.
J’étais venu jusqu’ici sans trop savoir à quoi m’attendre, un peu par obligation. Je fus surpris par la douceur de l’air, le parfum et la couleur des fleurs. Était-ce un heureux présage ?
La plaque à côté de la porte indiquait que j’étais au bon endroit. Tant que je n’étais pas entré, je pouvais encore faire marche arrière et retrouver ma vie d’avant. Il y aurait bien sûr le vide laissé par le questionnement et l’incertitude. Étais-je capable d’en accepter le prix ? C’était un tournant dans mon existence. En avoir conscience apportait de la solennité à l’acte que j’étais sur le point de réaliser. Déterminé malgré tous mes doutes, sans savoir quelles seraient les conséquences de mon geste, je sonnai.
***
Tout alla très vite. Je fus de nouveau dehors avec encore plus d’interrogations qu’en arrivant. Des émotions contradictoires se disputaient la place. J’avais l’impression d’être l’objet d’un canular. Pourtant, tout était écrit noir sur blanc. J’avais même signé le document ! À ce moment-là, ma main avait semblé déconnectée de mon cerveau. C’est en voyant mon nom, en bas de la dernière page, que j’avais pris conscience de ce que cela impliquait concrètement. Dans quoi m’étais-je réellement engagé ?
 
La madone

« La foi : une croyance absurde dans l'éventualité de l'improbable. »
H. L. Mencken

Je survolai le document que le notaire m’avait remis un peu plus tôt dans l’après-midi. Ce dernier avait été très clair : si je voulais toucher l’héritage, je devais auparavant remplir toutes les conditions suspensives. Je n’étais pas sûr d’avoir bien compris ce qui m’était demandé et je voyais encore moins comment y parvenir. « Mila acceptera peut-être de vous aider », avait indiqué l’officier public, après avoir recueilli ma signature. Un peu désappointé et énervé, je n’avais pas réussi à obtenir plus de précisions de sa part.
L’après-midi touchait à sa fin et le soleil baissait sur l’horizon. La fatigue me fit bâiller. Encore bouleversé par l’enchaînement des événements qui m’avait précipité ici et les émotions qui continuaient à me peser, le courage me manquait pour me lancer à la recherche de « Mila ».
Le notaire m’avait recommandé un logement, que mon père louait lorsqu’il séjournait dans cette ville. Bien qu’extrêmement spartiate en comparaison de ma propre chambre, la pièce n’étant pourvue que d’un simple lit et d’une commode, elle était joliment décorée avec des tapis de couleur déposés sur le sol. Un tableau représentant une madone en prière était accroché au mur. Pour une raison inexpliquée, je m’y sentais bien, en paix après cette journée éprouvante. Je m’allongeai sur le matelas et fermai les yeux quelques instants.
***
Je me réveillai en entendant le chant d’un coq. Épuisé, je m’étais endormi sans manger et mon estomac se rappela à moi en gargouillant bruyamment. La lumière du soleil était encore tamisée, d’une magnifique couleur dorée. La journée s’annonçait belle. Cela me mit de bonne humeur. La maîtresse de maison m’avait préparé un succulent petit déjeuner et je me sentis ragaillardi. Bien qu’elle soit serviable, elle était peu bavarde. Ma tentative, pour en savoir plus sur Mila, fut rapidement stoppée par un haussement d’épaules signifiant son indifférence ou son désintérêt pour ce sujet. Resté seul, je regagnai ma chambre pour récupérer quelques affaires. Le visage de la vierge recueillie attira mon attention. Sans trop en connaître la raison, je lui adressai une supplique silencieuse pour que je puisse trouver Mila facilement. La sérénité que je percevais dans l’expression de son regard m’apaisa une nouvelle fois, comme si elle soutenait ma quête. Je quittai la pièce avec un regain d’énergie.
***
Dehors, la petite ville s’était animée. De chaque côté de la rue, des vendeurs proposaient des légumes et des fruits de saison, des volailles, des paniers… J'observai ces gens et leur pauvre tentative pour essayer de survivre au quotidien. Quelle vie misérable. J’étais bien heureux d’avoir échappé à cette existence…
Je les questionnai les uns après les autres au sujet de Mila. Ils me regardèrent tous comme si ma demande était extravagante ou que je les importunais. Je me faisais chasser d’un revers de la main comme une mouche indésirable et ils oubliaient tout aussitôt ma présence pour servir, en souriant, la personne suivante. Ma frustration et mon dépit grandissaient au fur et à mesure que je progressais au travers des étals. Ayant interrogé toutes les personnes présentes, fatigué par la chaleur à laquelle je n’étais pas encore habitué, je finis par m’asseoir sur un banc situé à l’ombre. J’étais exaspéré. Pourquoi personne ne me répondait ? Qu’est-ce qui n’allait pas chez eux ?
— En l’occurrence, vous ne vous posez pas la bonne question… insinua une voix féminine.
Je pris alors conscience que j’avais parlé à voix haute. Celle qui m’avait répondu portait une jupe colorée qui soulignait sa taille fine, et une blouse écrue à manches courtes laissant deviner une poitrine ferme et galbée. Brune de peau, ses longs cheveux noirs retenus par une tresse dans le dos, je découvris alors son visage et ses yeux vert d’eau, où je me perdis un instant. Bien qu’elle ne corresponde pas à mon type de femme, je lui trouvai un charme certain et la qualifiai de belle en mon for intérieur. Elle me rappelait vaguement quelqu’un, sans toutefois lui associer un souvenir en particulier.
Son regard intense semblait vouloir lire en moi et cela me mit mal à l’aise. Elle paraissait amusée par la situation, ce qui eut le don de m’énerver encore plus.
— Et selon vous, quelle est la question que j’aurai dû poser ? répliquai-je, crispé.
— Qu’est-ce qui ne va pas chez VOUS… me rétorqua-t-elle, doucement.
— Vous êtes là pour me faire la morale ? Qu’est-ce que vous voulez au juste ? dis-je, de plus en plus irrité par son attitude.
— Votre réaction est intéressante… murmura-t-elle, pensivement.
Elle se mit à rire, me tourna le dos et s’éloigna. J’étais en colère contre elle. Je n’appréciais pas vraiment l’idée que quelqu’un se moque ouvertement de moi de cette façon. Qu’est-ce qu’ils avaient tous ici à réagir comme ils le faisaient ? Qu’elle aille au diable…
La journée s’éternisa sans que j’obtienne plus d’informations. Je retournai voir la propriétaire de mon logement pour négocier une nuit supplémentaire. En pénétrant dans la chambre, le regard de la femme en prière se fit ironique. Qu’est-ce que tu croyais ? Qu’il suffisait de s’adresser à un tableau pour voir ses vœux exaucés ? Non, bien sûr que non ! Je n’étais tout de même pas aussi crédule.
Mon côté cartésien et pragmatique reprit le dessus. Je décidai de retourner voir le notaire le lendemain. Après tout, il semblait être le seul à connaître Mila. Quand nous nous étions vus la première fois, j’étais sur la réserve et un peu secoué émotionnellement. J’avais eu du mal à m’exprimer. Mais demain, me dis-je, je suis sûr que j’arriverai bien à le convaincre de me donner d’autres informations.
 
Mila

« Des inconnus ne sont jamais que des proches que l’on ne connaît pas encore. »
Mitch Albom

– Les cinq personnes que j’ai rencontrées là-haut
Durant mon sommeil, la jeune femme aux yeux verts de la veille était revenue me hanter, répétant inlassablement cette même question : « Qu'est-ce qui ne va pas chez vous ? » Elle repartait chaque fois en riant et, pour une raison que je ne m’expliquais pas, j’attendais impatiemment qu’elle réapparaisse. Le chant du coq suspendit mon rêve. Je me levai cependant, passablement excédé de n’avoir pas su remettre cette fille à sa place, ni dans la réalité ni dans mon rêve de la nuit.
Toujours aussi peu encline à discuter, la propriétaire m’avait juste déposé de quoi déjeuner sur la table et s’en était retournée à ses occupations. Cela m’arrangeait. Je préférais être seul plutôt que de devoir supporter de nouveau son attitude, somme toute méprisante, à mon égard. Vivement que toute cette histoire puisse être conclue rapidement…
Le notaire eut la gentillesse de bien vouloir m’accorder quelques minutes de son temps, très précieux selon ses termes. Dépité, je me retrouvai de nouveau dans la rue en moins de temps qu’il n’en fallait pour le dire. Je n’avais réussi à lui soutirer que ces frugales paroles déclarées sur un ton ironique :
— Je n’ai jamais dit que Mila vous aiderait, seulement qu’elle accepterait peut-être de le faire. D’après ce que je comprends, vous avez questionné tout le monde. Reste pour vous à espérer qu’elle se manifeste. Cependant, vous avez bien fait de repasser. J’ai oublié de vous donner ça hier, me dit-il en me tendant un appareil photo argentique et plusieurs pellicules inutilisées. Cela appartenait à votre père et bien qu’il ne le mentionne pas sur le testament, je sais qu’il aurait voulu que je vous les remette.
J’avais juste eu le temps de le passer autour de mon cou avant qu’il ne me mette dehors.
Le soleil annonçait déjà une journée étouffante. Un petit garçon s’amusait avec une pierre qu’il faisait rouler avec un bâton. Je m’approchai de lui, essayant d’être rassurant, pour éviter qu’il ne me file entre les pattes.
— Bonjour petit. Sais-tu où est Mila ? Est-ce que tu pourrais me montrer quelqu’un qui la connaît ? demandai-je, le plus doucement possible.
Mon cœur bondit dans ma poitrine lorsque je le vis tendre un doigt tremblant pour me montrer quelqu’un de dos, un peu plus loin dans la rue. Je m’élançai aussitôt vers la silhouette désignée, sans plus me préoccuper du gamin.
— Vous ! m’écriai-je en découvrant la jeune femme qui m’avait interpellé la veille.
— Vous ! fit-elle en écho d’un ton un peu hautain.
— Le petit garçon là-bas m’a laissé entendre que vous connaissiez Mila, dis-je sans tenir compte de sa réaction, prêt à tout pour obtenir l’information tant convoitée.
— C’est effectivement le cas.
— Je la cherche. J’ai besoin d’elle pour m’aider à trouver différentes choses.
Elle me regarda comme si elle attendait la suite. J’avais pourtant l’impression d’avoir été clair dans ma demande. Était-elle donc stupide à ce point ?
— J’ai besoin de son aide et a priori, elle seule pourrait le faire, insistai-je.
— Qu’est-ce qui vous fait croire ça ? interrogea-t-elle, curieuse.
— C’est Maître Esperanza lui-même qui m’en a fait part, rétorquai-je un peu méprisant, pensant que ce n’étaient pas ses affaires.
— Charlie ?! répliqua-t-elle, surprise.
— Si Charlie est Maître Esperanza, alors oui, c’est bien lui, dis-je, de plus en plus énervé par ses questions. Vous pouvez m’aider, oui ou non ?
— Changez d’attitude et j’y réfléchirai… déclara-t-elle fermement, comme si j’étais en cause.
— Que je change d’attitude avec vous ?!! Je ne comprends pas, m’écriai-je en serrant les poings. C’est vous qui…
Je ne terminai pas ma phrase. Elle venait de fermer les yeux et expirait lentement l’air de ses poumons, comme si elle cherchait à se calmer. Les traits de son visage s’adoucirent. Mais malgré les apparences, j’eus l’intuition que j’avais provoqué en elle une forme de lassitude. Sa réaction me laissa perplexe. J’avais l’impression d’être redevenu un enfant qui ne réalise pas la faute qu’il a commise et se sent démuni. Elle ouvrit les yeux, sonda le fond de mon âme, à mon grand désarroi, et prit une grande inspiration :
— C’est d’accord, je vais vous aider, dit-elle d’une voix résignée.
— Vous savez où je peux la rencontrer, dis-je en retrouvant le sourire.
— Bien sûr ! Vous suivez ce mur, droite, droite, droite, gauche, gauche et une fois passée la porte bleue, droite, droite. Je suis sûre que vous la reconnaîtrez aisément.
— Merci, du fond du cœur, répliquai-je soulagé, en répétant les consignes données, à voix haute pour mieux les mémoriser.
— C’est bien ça, me confirma-t-elle. Passez-lui le bonjour de ma part.
Elle eut à peine le temps de terminer sa phrase que je m’élançai dans la direction indiquée.
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