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Mise en avant des Auto-édités / L’écho des secrets de Marjolaine Sloart 
« Dernier message par Apogon le jeu. 27/04/2023 à 17:26 »
L’écho des secrets de Marjolaine Sloart 



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Chapitre 1

Avril 2022

Lucy feuilletait un journal, assise confortablement sur son canapé couleur lilas. Elle venait d’avoir 21 ans. Elle habitait une jolie maison de style victorien, composée de trois étages et de nombreuses pièces. Sa chambre, agencée avec goût par sa maman, décoratrice d’intérieur, était pour elle un endroit où elle aimait rêvasser, elle y effectuait ses révisions et passait des heures au téléphone avec ses amies.
C’était samedi, sa mère l’appela, elles souhaitaient toutes les deux se déplacer à Londres pour faire du shopping.
Sa famille habitait une petite ville : Kingston-Upon-Thames, au sud-ouest de Londres. Lucy était enfant unique.
Elle fréquentait tous les lieux indispensables à son éducation, les meilleures écoles, les courts de tennis, elle pratiquait l’équitation et s’aventurait au dressage, rien n’était trop beau pour leur princesse. Elle ne pouvait que les chérir tant elle était dorlotée. Sa vie ressemblait à un conte de fées.
Bien qu’elle ne sache pourquoi, elle éprouvait, par moments, des vagues de mélancolie alors qu’elle bénéficiait de tout ce qu’une jeune fille normalement constituée convoitait, elle ressentait un vide intérieur qu’elle ne maîtrisait pas, rien ni personne ne réussissait à apaiser ses angoisses.
Ce sujet la tracassait et elle l’abordait sans gêne avec sa maman qui essayait tant bien que mal de la rassurer, se sentant bien impuissante. Elle lui avait proposé de rencontrer une spécialiste dans le but de se faire aider. Fort heureusement, ses tourments étaient cycliques, toujours dans la période printanière, ils s’atténuaient avec la venue de l’été. Cela semblait étrange à Lucy et elle en avait parlé avec sa psychologue qui lui suggérait que, peut-être dans son inconscient, elle revivait une forme de traumatisme et que ça la mettait insidieusement dans cet état. Lucy n’avait aucun souvenir et le plus regrettable est que la date de son anniversaire, le 29 avril, faisait remonter quelques réminiscences, à croire qu’il s’était passé quelque chose de grave à ce moment-là. Cette période restait nébuleuse pour elle, et chaque année l’histoire se répétait.
Lucy acceptait la situation telle quelle, que pouvait-elle faire de plus ? Sa mère, pour la sortir de son marasme, avait une bonne parade et elle fonctionnait plutôt bien, du moins temporairement.
— Lucy, tu es prête ?
— Oui, je descends.
— Tiens, c’est arrivé pour toi ce matin par la poste.
Helen lui tendit une lettre que Lucy prit et tourna entre ses mains pour en trouver l’expéditeur. Au dos, des initiales y étaient écrites de couleur dorée.
— C’est certainement de la publicité, je regarderai cela plus tard.
Elle déposa celle-ci sur le buffet de l’entrée, enfila ses chaussures et une veste en jeans.
— Voilà, je suis prête.
Toutes deux partirent en direction de la gare et s’installèrent dans le premier train se rendant à Londres. Il y en avait deux par heure. Elles papotèrent de tout et de rien. Arrivées à destination, elles se déplacèrent vers la station de métro la plus proche, elles désiraient aller à Oxford Street. C’est avec ravissement qu’elles dépensaient sans compter ou presque. Le père de Lucy, avocat de métier, gagnait bien sa vie et sa mère n’était pas en reste. Sa réputation n’était plus à faire depuis qu’elle décorait certaines maisons dont la notoriété de leur propriétaire était en vogue.
Elles avaient leurs préférences pour tout ce qui touchait la mode, elles n’avaient pas besoin de se consulter pour se rendre directement dans leurs magasins favoris. Helen s’installa sur une chaise en attendant Lucy en plein essayage. Elle cherchait quelques tenues pour l’été.
En ce mois d’avril, la température ne dépassait pas encore les 20°. Le temps pluvieux et changeant était monnaie courante. En tout temps, le parapluie restait indispensable. Lucy prévoyait de voyager en Italie en août avec Vince, son amoureux. Elle désirait découvrir Milan, car elle escomptait faire un Erasmus en Italie et parfaire par là même ses connaissances linguistiques. À Londres, elle étudiait les langues et espérait devenir interprète. Elle parlait plutôt bien le français qu’elle avait appris après plusieurs séjours en France. Son avenir semblait tout tracé.
Lucy sortit de la cabine. Elle portait une petite robe à fleurs qui mettait en valeur la couleur de ses yeux, vert émeraude. Ses longs cheveux blonds tombaient sur ses épaules. Elle mesurait un bon mètre soixante-quinze, élancée et belle de surcroît. Elle faisait tourner les têtes tant bien masculines que féminines. Elle n’y prêtait guère attention, étant d’un naturel modeste.
— Alors comment me trouves-tu ?
— Magnifique, elle te va comme un gant. Prends-la.
— OK, j’en passe encore une et ensuite on ira boire le thé chez Harrods, tu veux bien réserver une table, je ne désire pas faire la queue, tu sais comment c’est le samedi.
— Bien sûr, ma chérie, je les appelle pendant que tu passes ta robe.
Lucy laissa sa mère, enfila un dernier habit qu’Helen approuva aussitôt.
Ce genre de journée plaisait aux deux femmes. C’était un moment de pure connivence. Tandis que James, le père de Lucy, se rendait au Centurion Golf Club pour y retrouver des clients et quelques amis avec lesquels il tentait de gagner en notoriété en fonction de ses swings. Chacun y trouvait son compte. Le soir, Maria, leur gouvernante, leur préparait un succulent repas où, c’était une règle, tous assistaient et depuis quelque temps, Vince se joignait à eux.
L’après-midi filait comme à chaque fois, elles arrivèrent vers dix-neuf heures à la maison. James les attendait, un verre de whisky dans la main.
— Alors ce shopping, vous avez trouvé de quoi vider mon compte en banque ?
Il dit cela en riant.
— Papa, tu nous connais, on ne dépense que pour mieux te plaire.
— Je n’en doute pas.
— Je vous laisse, je vais ranger mes achats dans ma chambre.
En passant dans le hall, elle récupéra la correspondance reçue le matin même. Elle déposa ses affaires, se changea afin d’être prête à sortir. Avant de joindre ses parents, elle ouvrit la lettre qu’elle avait jetée sur son bureau.
L’en-tête était celui d’un notaire. Cela l’intrigua. Elle prit connaissance du courrier.

***

Londres, le 3 avril 2022

Chère Mademoiselle,

Ma cliente m’a mandaté pour vous remettre certains documents vous concernant. Merci de prendre contact avec mon étude pour une prise de rendez-vous.

Dans l’intervalle, recevez, Mademoiselle, mes salutations distinguées.

                                                                                    Signé Me Athford


***

Sa curiosité était piquée à vif, que lui voulait-il ? Elle devrait prendre son mal en patience, car avant lundi, pas moyen d’en apprendre plus.
   Elle rejoignit ses parents, en omettant volontairement de parler de la missive. Elle préférait savoir de quoi il en retournait afin de ne pas faire de suppositions inutiles.
   Le carillon de la porte d’entrée sonna. Lucy cria à Maria qu’elle allait ouvrir, ce devait être Vince.
— Salut, mon chou.
Il s’avança et la serra dans ses bras.
— Bonjour ma belle, alors ta journée ?
— Parfaite, comme d’habitude. Viens, allons rejoindre mes parents.
Lucy connaissait Vince depuis plusieurs années, ils s’étaient côtoyés dans le même collège. Chacun menait sa petite vie et ils ne faisaient que se croiser sans se prêter plus d’intérêt que cela.
C’est au cours d’une réunion d’anciens élèves qu’ils se mirent à se fréquenter. Vince partageait son existence depuis deux ans. Il souhaitait devenir médecin et travailler par la suite dans le cabinet de son père. C’était un joli garçon, grand, bien bâti, il pratiquait le volleyball dans un club de Chelsea et il était régulièrement sollicité pour participer à des tournois avec son équipe. C’était un excellent joueur et un bon camarade. La saison prendrait fin dans un mois et il pourrait profiter de ses fins de semaine avec Lucy. Souvent le vendredi, il avait un match à disputer et de temps à autre, Lucy se déplaçait pour le soutenir. La soirée fut agréable et le repas à la hauteur de la réputation de leur gouvernante qui était un fin cordon bleu.
Lucy abandonna ses parents pour retrouver ses amis. Elle ne rentrerait que le dimanche en fin d’après-midi, car elle prévoyait de dormir chez son amoureux.
Durant le trajet, elle lui parla de la lettre.
— Tu ne devineras jamais le courrier que j’ai reçu aujourd’hui ?
— Non, en effet, comment le pourrais-je ?
— Figure-toi que dans un premier temps, j’ai cru que c’était de la publicité et puis j’ai réalisé qu’il s’agissait d’un notaire de Londres, il me demande de prendre rendez-vous, tu ne trouves pas cela bizarre ?
— Étrange, effectivement !
— Je l’appellerai lundi afin d’en connaître plus. J’espère juste que ce sont de bonnes nouvelles, j’ai peut-être un oncle caché en Amérique ?
Elle éclata de rire.
— Mais oui, ou une tante ?
— Je n’en sais rien, ça me trouble quand même.
— Alors, évite d’y songer, car tu n’auras pas de réponse avant ton coup de fil.
— Certes !
Il changea de sujet et aborda celui des vacances qu’ils devaient planifier ainsi que plusieurs choses à définir. Ils arrivèrent chez leurs amis et passèrent la soirée à se divertir avec des jeux de stratégie. Ils appréciaient tous les deux ce genre d’activité. À deux heures du matin, Lucy s’endormait sur sa chaise, elle ne rêvait que d’un lit, elle n’eut pas besoin de se montrer entreprenante pour convaincre Vince de rentrer.
Le lendemain, ils se promenèrent à Hyde Park. Le dimanche, ils aimaient y flâner, la nature au mois d’avril se parait de ses plus beaux atouts, les fleurs poussaient un peu partout dispensant des odeurs selon les encens des plantes, les arbres bourgeonnaient, l’endroit était bucolique, romantique et très reposant. Chaque visite était différente et c’était un émerveillement pour les enfants comme pour les adultes. Ils prenaient toujours du vieux pain qu’ils lançaient aux canards dans l’étang, ils s’amusaient de les voir voler pour tenter d’être l’un des premiers à engloutir le morceau à peine imbibé d’eau et qui n’avait pas eu le temps de ramollir.
Il était presque dix-sept heures lorsque Vince la déposait devant chez elle, Lucy l’embrassa et lui promit de le tenir au courant au sujet du notaire.
— Je t’appelle dès que j’en sais plus, ou je te laisse un texto.
— D’accord.
Elle lui fit signe de la main tandis qu’il s’éloignait dans son véhicule.

Chapitre 2

Octobre 1978


Diane s’installa dans l’amphithéâtre du campus. C’était la rentrée universitaire à Genève, elle entamait sa dernière année d’étude. Elle s’était inscrite en lettres, elle aimait bien manier les mots, elle s’imaginait journaliste ou quelque chose du genre. Elle verrait bien une fois qu’elle aurait sa licence en main. Depuis une année, elle était en couple avec Étienne. Elle avait 23 ans et lui 24. Il terminait également ses études d’architecture en juin. Les deux prévoyaient de se mettre en ménage. À ses heures perdues, Diane adorait tirer des portraits, car elle était plutôt douée, elle dessinait les visages des gens qu’elle offrait pour le plus grand plaisir de ceux qui les recevaient.
Elle l’avait rencontré à la bibliothèque tandis qu’elle cherchait un livre. Il l’avait interpelée en lui demandant s’il pouvait l’aider. En découvrant ce beau ténébreux, elle n’avait pas hésité une seconde à accepter sa proposition. Comme ils se voyaient fréquemment dans ce lieu silencieux, Étienne avait attendu le moment opportun pour lui suggérer de boire un café. Diane avait accepté d’un signe de la tête et ils étaient sortis afin de ne déranger personne.
Ils ne se quittaient plus depuis. Étienne habitait dans une garçonnière, financée par son père alors que Diane vivait encore chez ses parents, mais elle passait beaucoup de temps avec son amoureux. Ils se chérissaient comme on peut s’apprécier à cet âge, sans réflexion et au jour le jour.
Diane appréhendait tout de même de se mettre en ménage avec Étienne. En général, c’était une personne douce et charmante. Cependant, de temps en temps, il avait des coups de sang et s’emportait pour pas grand- chose. Cela l’effrayait, elle se demandait comment elle gérerait si la situation devenait plus compliquée. Elle l’avait vu jeter sa tasse pleine de café contre un meuble alors qu’il venait de recevoir un appel de sa mère, l’obligeant à rentrer pour le week-end. Elle prévoyait une réunion de famille à laquelle il espérait se soustraire. Sa maman avait été catégorique, en lui faisant clairement comprendre que tant que ce serait eux qui subvenaient à ses études, ils exigeaient en retour un minimum de sa part. Il avait raccroché et passé sa rage sur l’objet dans ses mains. Ce n’était pas bien malin, le récipient s’était brisé en plusieurs morceaux et le liquide s’était répandu un peu partout. Diane avait mis plus d’une demi-heure à nettoyer les dégâts. Entre-temps, Étienne s’était calmé, mais pas elle. Dans son for intérieur, ce genre de réaction la tétanisait et elle doutait qu’Étienne soit la personne avec laquelle elle s’imaginait être pour le restant de ses jours.
Comme elle en était amoureuse, elle acceptait ses petites crises bien qu’elle ne comprenait pas pourquoi il n’arrivait pas à se contrôler. Seul l’avenir lui confirmerait si vivre avec lui était le bon choix. Cela ne sous- entendait pas forcément qu’ils iraient jusqu’au mariage. Tenter l’expérience ne pouvait qu’être bénéfique pour les deux.
Durant les vacances de Pâques, elle prévoyait de retrouver sa cousine qui habitait dans un autre canton. Elles voulaient faire du ski. Le frère de la mère de Diane résidait en Valais où il était propriétaire d’un chalet. Nathalie, sa fille, avait demandé la permission à son père de l’utiliser. Diane prendrait le train et la rejoindrait à Sion, ensuite elles se rendraient à Zermatt.
Les deux cousines aimaient passer du temps ensemble. Elles recréaient le monde et surtout elles faisaient la fête. Étienne ne connaissait pas cet aspect du caractère de Diane. Il pensait que c’était une personne raisonnable et elle l’était tant qu’elle ne voyait pas Nathalie. Le père de cette dernière les appelait les brigands, c’était tout dire.
Lorsque Pâques arriva, Diane rejoignit Nathalie comme cela était prévu.
Elle transporta tout son matériel de ski et se trouva chargée comme un mulet. Nathalie l’attendait sur le quai de la gare.
—Salut, cousine, comment vas-tu, as-tu fait bon voyage ?
— Oui, merci !
Nathalie l’aida à mettre ses affaires sur un trolley et elles se rendirent sur la plateforme en partance pour Zermatt.
— C’est trop cool que tu sois venue. J’ai beaucoup d’amis en haut, on va s’amuser et je vais te présenter plein de gens.
— Génial ! Les pistes sont encore praticables ?
—Oui, ne t’inquiète pas pour cela, les conditions sont excellentes, il a neigé la semaine passée et puis la température est fraîche, donc on va pouvoir skier.
— Comment va Étienne ?
—Bien! Il a un gros travail à faire en prévision de ses examens. Le mieux est que je le laisse tranquille pour qu’il puisse travailler sans m’avoir dans les pattes. De toute manière, il est rentré visiter sa famille à Neuchâtel.
— Tu es célibattante alors ?
— Si l’on veut.
Et elles se mirent à rire.
Une fois arrivée à destination, Nathalie
appela un taxi qui les emmena au chalet de ses parents.
Elles s’installèrent dans la chambre de Nathalie. Le lit était suffisamment grand pour qu’elles y dorment toutes les deux. Elles pourraient ainsi papoter et profiter l’une de l’autre comme elles en avaient l’habitude.
Diane défit ses affaires et les rangea dans un placard libre.
— Tu as faim ?
—Un peu!
— Ce soir, on sort, alors je vais te préparer
des pâtes et une salade, ça te va ?
— Miam, cela me semble parfait !
— Si tu veux te rafraîchir avant, je descends
et je t’attends dans la cuisine ?
Diane se sentait crasseuse, elle avait été obligée de s’asseoir dans un wagon fumeurs et tous ses vêtements sentaient mauvais, ce qu’elle n’appréciait guère.
— Oh oui volontiers, je pue le vieux cigare. — D’accord, à tout de suite...
Diane laissa couler sur ses longs cheveux
blonds l’eau de la douche. Elle aimait cette sensation sur son corps, elle associait toujours ce moment à une forme de libération des énergies négatives. Elle ressentait le nettoyage autant extérieur qu’intérieur.
Elle sortit de la salle de bains, s’essuya avec un linge tout doux, en noua un autour de sa chevelure, s’habilla et rejoignit sa cousine.
— Hum, cela sent drôlement bon !
— Assieds-toi, c’est prêt dans deux minutes. Tu souhaites un verre de vin ?
— Avec plaisir, tu veux que je débouche une bouteille ?
— Oui, je l’ai posée derrière toi, le tire- bouchon est dans le tiroir.
— D’accord, je m’en occupe.
Elles passèrent à table et dégustèrent leur repas. — Alors que se passe-t-il ce soir ?
—On va aller dans un bar branché et
après, en fonction des gens que l’on rencontrera, on avisera pour la suite de la soirée.
— Cela me semble un joli programme.
Elles rangèrent la cuisine et se préparèrent pour quitter le chalet.
Il neigeotait malgré la saison, ce n’était que le début du printemps, donc, rien d’excep- tionnel. Pour sortir, elles se vêtirent en conséquence, elles ne voulaient pas tomber malades le premier jour de leurs vacances.
Le Tac-Oh-Tac était un lieu où la jeunesse avait pour habitude de se retrouver. La musique était bonne et il était facile de faire de nouvelles rencontres. À peine s’étaient-elles introduites dans le bar que Nathalie reconnut un groupe d’amis. Elle s’en approcha et ils les accueillirent chaleureusement. Elle leur présenta Diane.
Cette dernière connaissait quelques copines de Nathalie qu’elle avait côtoyées en plaine. Elles se saluèrent et les conversations reprirent de plus belle. C’est ce soir-là qu’elle croisa pour la première fois, Luc Bonvin.
Il arriva un peu comme elles, sur le tard, et il s’assit où il le pouvait, en l’occurrence à côté de Diane. Par la force des choses, ils entamèrent une discussion. D’emblée, elle fut subjuguée par le personnage. Le regard de Luc la transperça, ses yeux d’un bleu océan étaient les plus troublants que Diane ait eu l’occasion de voir. Luc était beau, tel un dieu grec. Ses cheveux noirs et frisés lui donnaient un air angélique et son sourire devait en séduire plus d’une.
Luc se montra curieux. Diane se sentit obligée de se dévoiler plus qu’elle ne l’aurait fait avec un parfait inconnu. Il savait y faire et elle lui raconta son parcours, où elle vivait et il en fit de même.
Diane se méfiait de ce genre de personnage, tout leur tombait trop facilement dans les mains. Malgré elle, Diane se laissa charmer, attirée par lui tel un aimant, pourtant elle était consciente qu’elle devait le fuir. Étienne faisait partie de sa vie et ils prévoyaient de se mettre en ménage, elle ne devait pas l’oublier.
Il se faisait tard, elle proposa à Nathalie de s’en aller. Demain elles voulaient skier, alors une bonne nuit de sommeil lui semblait nécessaire.
Elles quittèrent les amis de sa cousine et promirent de se retrouver sur les pistes. Sur le chemin du retour, les deux restèrent avares de paroles, chacune absorbée dans ses réflexions.
Nathalie finit par rompre le silence : — T’es-tu amusée ?
— Oui c’était sympa !
—Tu as fait une touche, Luc te dévorait du regard.
— Tu as remarqué cela ?
— Un peu, il ne t’a pas lâchée de la soirée et en plus, il m’a demandé de quel côté on pensait aller skier demain, donc tires-en les conclusions qui s’imposent !
—Ah bon, j’avoue je le trouve très séduisant, cependant il doit faire tourner la tête de toutes les filles, non ?
— Oui c’est vrai, mais c’est un ambitieux, je ne crois pas que ce soit un coureur.
— Tu n’as pas oublié que je suis en couple avec Étienne ?
—Absolument, toutefois tu n’es pas mariée...
Diane se sentait mal à l’aise.
— Alors, n’en parlons plus, je suis fatiguée, allons nous coucher.
Elle embrassa sa cousine et s’installa bien au chaud dans le lit.
Diane mit du temps à s’endormir, tourmentée par ses pensées qui la ramenaient sans cesse à Luc. Elle était fort troublée par le charisme que ce garçon dégageait. C’était plus fort qu’elle. Diane tenta d’être raisonnable et ne plus y songer, mais elle n’y arriva pas
Le sommeil la gagna finalement et lui octroya un peu de répit.
Le lendemain, les cloches de l’église la réveillèrent. Elle n’était pas habituée, elle les avait entendues toutes les heures et lorsque sa cousine fit une incursion dans la chambre, elle n’était absolument pas reposée.
— Allez debout là-dedans, c’est l’heure.
À voir la tête de Diane, Nathalie éclata de rire. —Ehbien,ilyenaunequin’apasbiendormi! — Grrr... maugréa Diane.
— À qui le dis-tu, ces foutues cloches qui
sonnent chaque heure m’ont presque gardée éveillée toute la nuit.
— Ne t’inquiète pas, tu vas vite t’y habituer. Ce soir après notre journée de ski, nous sommes invitées au carnotzet* de Julien. Il a prévu une fondue et il y aura toute la bande.
— Et comment sais-tu cela ?
—Nous en avons parlé la nuit dernière pendant que tu roucoulais avec Luc.
— Ah OK !
—Allez, lève-toi et viens me rejoindre pour le petit-déjeuner, tout est prêt, il ne manque plus que toi.
Elle soupira et se glissa hors du lit pour aller se passer de l’eau froide sur le visage, elle s’habilla et retrouva sa cousine.
Elles mangèrent du pain frais que Nathalie s’était donné la peine d’acheter à la petite épicerie proche du chalet, celui-ci était accompagné de confiture que sa mère confectionnait pour le plaisir de tous.
Après avoir bu son café, Diane se sentit nettement plus en forme et prête à dévaler toutes les montagnes environnantes.
Elles retrouvèrent leur bande aux pieds d’un départ de télécabine. Luc était là parmi les autres. Ils passèrent la journée à arpenter les pistes. Le temps était magnifique et le soleil au zénith. Chaque fois qu’il le pouvait, Luc s’arrangeait pour remonter sur les téléskis avec Diane. Il poursuivait son opération de séduction et Diane essayait mollement de le repousser. Elle réalisait que cela devenait difficile.
Les deux cousines rentrèrent au chalet, fatiguées. Elles s’astreignirent à une sieste afin d’être en forme pour la soirée qui s’annonçait.
Diane se sentit obligée de se justifier auprès de Nathalie par rapport à ce qui était en train de se passer avec Luc.
—Je me demande si je ne vais pas redescendre en plaine, je crains de faire une bêtise avec Luc.
— Ah non, tu ne vas pas me faire cela. Tu es jeune, tu as tout l’avenir devant toi et surtout tu n’es pas mariée à Étienne. Et parlons-en d’Étienne, tu ne crois pas que si tu étais convaincue, ni Luc ni personne d’autre ne pourrait te troubler ?
— Oui vu comme cela, tu as raison.
— Alors ce qui doit arriver, arrivera et tu aviseras à ce moment-là. Luc, c’est un très bon parti, son père à une grosse entreprise de métallurgie en Valais et je te l’ai dit, c’est un ambitieux. Il veut faire de la politique et il espère un jour devenir conseiller d’État et je te garantis qu’il y parviendra. Il est déterminé et droit comme un i, donc laisse-toi vivre. Personne ne saura rien si tu as un petit flirt avec lui.
— Certes, je dois l’admettre, je m’inquiète pour un rien.
Diane passa une semaine magique, son premier baiser l’avait culpabilisée, au deuxième, elle avait presque oublié Étienne, à la fin de son séjour, elle s’était retrouvée face à une réalité qu’elle ne pouvait fuir, elle s’était entichée.
Luc était au courant qu’elle fréquentait Étienne et qu’ils prévoyaient de se mettre en ménage. Il était tellement sûr de lui qu’il accepta de lui laisser le temps de peser le pour et le contre, afin de prendre les bonnes décisions quant à son avenir amoureux. Il ne souhaitait pas la bousculer et qu’elle lui reproche par la suite quoi que ce soit.

* Carnotzet : local en sous-sol aménagé pour boire des verres entre amis
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Avis : auteurs auto-édités / Bornéo Patrice de Fréminville
« Dernier message par Antalmos le lun. 24/04/2023 à 10:35 »
Bornéo est la première nouvelle que je lis de Patrice de Fréminville qui semble avoir trouvé sa voie dans ce format puisque chacun de ses trois ouvrages ne dépassent pas les quarante pages. Ayant connu l'auteur sur les réseaux sociaux, je ne fus donc pas surpris de découvrir ses thèmes de prédilection qui oscillent entre anticipation et science-fiction. Dans Bornéo, il est question de l'avenir de l'humanité et la question qui se pose est : les IA pourraient-elles un jour profiter de nos faiblesses pour devenir l'espèce supérieure ?
Question qui à elle seule fait déjà froid dans le dos tant on se demande finalement si ça ne pourrait pas bien finir par arriver un jour.
Difficile d'en dire plus sur une nouvelle de vingt-deux pages sans spolier, mais je dirais que l'auteur a un talent certain d'écriture pour nous plonger en peu de pages dans les conditions d'un monde apocalyptique et du devenir de l'humanité. Je ne peux donc que vous encourager à découvrir ses écrits, et à un prix symbolique de 0,89 €, pourquoi s'en priver ?
Je terminerai par un constat de l'auteur qui laisse déjà augurer de nouveaux écrits inédits :
" Non, tout n'a pas été écrit en matière de science-fiction. Il y a encore de nombreuses possibilités pour renouveler le genre ".
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Mise en avant des Auto-édités / Aliandra de Giovanni Portelli
« Dernier message par Apogon le jeu. 13/04/2023 à 17:53 »
Aliandra de Giovanni Portelli



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 D'UN LIVRE… À UNE BIBLIOTHÈQUE

Eh salut vous ! Je ne savais pas si vous finiriez par m'ouvrir, depuis le temps que vous traînez devant cet étal. Vous vous demandez sûrement ce que veut dire ce titre ? Auteur méconnu, couverture fruste, probablement le clone d'une histoire de science-fiction que j'ai déjà lu ou vu au ciné.
Et pourtant, si nous avons tant tardé à nous rencontrer, c'est bien parce que je ne ressemble en rien à ce que vous avez pu lire ou voir ailleurs. Ce qui me distingue des autres ? C'est justement que je fuis les codes du genre. Héros sans faille, méchant sans excuse, but clair et précis, très peu pour moi !
Je ne suis qu'un livre, certes. Vous m’oublierez sûrement, poussiéreux sous votre lit ou délaissé sur la banquette d'un train où je devrai patienter qu'une autre personne me saisisse. Je ne saurai rien de plus de vous que ce visage que vous m'offrirez le temps de votre lecture. Vous ne saurez de moi que ce que j'ai à vous livrer.
Le temps nettoie tout, inlassablement. Parfois, cependant, des instants nous marquent. J'espère faire partie de ceux-ci. L'époque où les livres étaient une fenêtre salutaire entre les esprits n'est pas totalement révolue, j'espère. Je les pense même plus libérateurs pour l'esprit que les virulentes vidéos véhiculées par les multiples médias modernes.
Je ne suis pas contre la modernité, attention. Cela rapproche les gens et réduit les distances. Simplement quoi de mieux qu’un livre pour rendre visite à votre seule pensée, votre imaginaire, votre identité quelque part ? Peu importe le récit que je vais vous soumettre, au fond. Ce qui compte, c'est ce reflet de vous qui vous attend. Ne manquez pas ces instants avec vous-même, c'est là mon souhait.
Longtemps je n’ai su déterminer à quel genre appartenait cette aventure. Elle présente certains aspects de la fantasy, de la science-fiction et du thriller, certes, mais du point de vue des narrateurs qui se partageront la tâche de vous la transmettre, il s’agit d’abord d’un témoignage. Le témoignage de leur propre vie, avec ses joies, ses peines, ses douleurs parfois indicibles. Il vous faudra capter parfois leurs silences autant que leur mots pour compenser ce que leurs regards ne pourront vous transmettre. Sur ce, bonne lecture... 

DU POINT DE VUE D’ALEX

2 février 2017
Vous éclairer sans être lourd sur la mythologie qui entoure l’univers d’Aliandra, j’aime autant vous prévenir, on a fait de notre mieux, mais on n’est pas toujours arrivé à un modèle de simplicité. Naturellement nous ne sommes que des personnages de fiction. Tout ce qui suit n’est que le fruit d’une imagination légèrement débridée par le fait de n’avoir reçu aucune influence dès l’enfance pour orienter sa façon de penser.
Votre réflexion s’est forgée au contact d’un milieu familial, religieux ou culturel, voire de tous à la fois. Dans mon cas, je n’ai joui que très peu des trois. Cela dit, comme je ne veux froisser personne et toucher le plus grand nombre, je ne peux pas prétendre que quoi que ce soit ici soit la représentation, même imagée, d’une quelconque réalité commune à la vôtre.
Même si pour vous rendre les choses accessibles, nous allons situer certains des événements qui vont suivre sur Terre, ce n’est que dans l’optique de vous faire entrer graduellement dans notre fantasmagorie. Tout ça pour arriver à la formule consacrée – c’est mon expression du moment, je risque d’en abuser ! – selon laquelle toute ressemblance avec des personnes existantes, ayant existé ou venant à exister ne saurait être que fortuite, blablabla !


SELON WRANGELLE OU PRESQUE...

02/02/2017
Merci Alex pour ces précisions ! Pour ce qui est du graduel, je ne fais pas dans l’escalator, plutôt dans la catapulte. Autant vous y préparer, vous allez certainement déguster les premiers temps. Toutefois si vous arrivez jusqu’à une certaine course-poursuite de 1974, sachez que le plus dur sera fait. Sur l’autre point, le côté « imaginaire » personnellement, je n’en ai rien à faire que cela vous heurte ou non.
Si vous savez lire, c’est que vous êtes bien assez grand pour faire le tri. Pour bien mettre les choses en place, je ne pense pas non plus que démarrer dans un trou à la campagne, pantoufles aux pieds, à regarder la télé pépère, cela nous mette dans l’ambiance requise. Non, à mon sens il faut remonter à l’origine du problème, sur une planète que j’ai longtemps considérée comme chez moi...
Si tu parles de Lhima, ils ne vont rien entraver, mais libre à toi, mes pauvres quarante piges ne peuvent rivaliser avec tes neuf mille ans d’expérience, après tout.
Merci pour l’intervention, Alex. C’est vrai qu’on n’est pas déjà assez perdu depuis que le « livre » lui-même a souhaité la bienvenue à notre hôte pour l’obliger à faire sans transition le distinguo entre deux narrations.
C’était ton idée, les points de vue croisés, je te signale…
Soit ! Profitez du rappel si vous avez perdu le fil depuis trois paragraphes. À partir d’ici et ce pour toute la durée de cet épisode, les déclamations en italique sont d’Alex Gartempe. Autrement, c’est votre hôtesse, Wrangelle, qui est au clavier.
Déclamations, rien que ça ? Tu trouves que tu ponds du Victor Hugo, toi, peut-être ? Ça te…  #onsenmoque
Bref, vous avez compris l’idée.
Eh ! Mais tu as coupé ma réplique ! Ne me dis pas que tu es encore susceptible sur ton âge après tout ce qu’on a vécu quand même ?
BREF ! On peut perdre du temps de mille façons dans l’espace mais rarement en gagner. Les physiciens ne me contrediront pas là-dessus. S’il est une chose sur laquelle j’aimerais qu’ils ferment les yeux en revanche, ce sont les raccourcis – et ce n’est pas qu’une expression – que j’ai dû prendre pour permettre de ne pas entrer dans les détails techniques qui plombent toujours le récit. En l’occurrence, cela rend rapidement élitiste les meilleures histoires qui placent leur action dans l’espace. C’est donc dans un souci de clarté que je n’emploierai pas un langage trop pointu pour raconter l’origine de ma galaxie comme le fonctionnement de ses méandres. Si l’envie vous prend toutefois d’en savoir davantage, vous pouvez toujours en formuler la demande et…  #chacunsontour
Non sans intérêt, franchement ! Sans vouloir être méchant, ça n’apporte rien à l’histoire, d’une. De deux, ça implique de penser dans une autre langue, avec une métrique et un raisonnement aussi proches de notre science que l’œuvre de Jean-Sébastien Bach peut l’être de celle des Spice Girls. Donc autant arrêter là l’insert sur la physique quantique.
Je te laisse la responsabilité de cette suggestion comme de cette dernière comparaison, Alex. Admettons en soi que le point de vue d’un habitué de l’espace ne soit pas le plus judicieux. Que pensez-vous de celui d’un enfant un rien exceptionnel ?
Oui bonne idée, si on parlait de moi ? C’est vrai que c’est mon sujet de conversation préféré... 

SARAH, OU LE JOURNAL D’ALEX GARTEMPE

26/06/1986
Dominique jauge régulièrement les traits fermés du garçon qui lui fait face. Il est nerveux. Assis sur une chaise, les mains sous les cuisses, ses pieds oscillent doucement d'avant en arrière. Les cheveux en bataille, sa frange mange à moitié ses yeux de jais qui scrutent tour à tour les objets disposés sur son bureau pour ne jamais rencontrer le visage de l'éducatrice.
Élancée, sportive même, cette jeune et jolie Basque d’origine a, malgré ses cheveux bouclés, un faux air de Françoise Hardy. Hélas, souligner cette ressemblance la contrarie car la pauvre chanteuse passe à ses yeux pour une personne sans grande vitalité. Baskets aux pieds, pantalon noir taille haute et une veste assortie à épaulette, elle suit la mode et colle bien à son époque dynamique. Aussi l’éducatrice impressionne-t’elle clairement l’enfant de huit ans.
Elle consulte calmement son dossier, en silence. Émue, elle découvre l’infortune de l’enfant résumée en quelques dates. Une naissance estimée autour du 22 avril 1978, suite à la découverte du nourrisson par un pêcheur près d'une rivière de la Vienne. Plusieurs familles d'accueil se proposent ensuite sans succès de lui offrir un foyer. Bébé « difficile », bambin « ingérable ». L'une d'elle motive même son rejet avec un « penchant pour la pyromanie » en hiver 1984, qui ne s'est cependant pas vérifié ailleurs.
Par les mystérieux rouages de l'administration ou un « caprice du destin » il se voit ainsi ballotté de maison en foyer jusqu'à gagner les côtes charentaises. Cet enfant ne pouvait que perdre tout repère, si tant est qu'il en ait eu un jour. Dominique conclut que son mensonge aujourd'hui sur son état de santé traduit surtout un profond besoin de reconnaissance et d'attention. Bizarrement, plus elle le regarde, plus elle trouve ce petit agitateur attachant. Comme elle lui parle enfin, il reste sur la défensive.
Ses pieds continuent leur mouvement de balancier. Toutefois, il ne perd pas une miette de ce qu'elle lui raconte. Il s'attend déjà à se faire sévèrement réprimander et écoper d'une punition exemplaire pour avoir « simulé » une crise d'asthme. Toux sèche, polypnée, la poitrine oppressée, Alex n'a ressenti cela qu'une poignée de secondes, seulement pour lui c'était réel. Et ce ressenti le trouble bien davantage que tout ce que lui débite cette adulte qui, comme les autres, ne voit probablement pas au-delà d'elle-même.
D'aussi loin qu'il s'en souvienne, personne n'a été capable de lui accorder le moindre crédit. Il sent pourtant ces choses comme les autres. Au début, il s'était imaginé que tout le monde jouissait des mêmes facultés et en avait donc parlé naturellement. Il n'obtint en retour qu'incrédulité, moquerie ou rejet. Tant que cela reste au cinéma ou dans les livres, les gens sont prêts à concéder n'importe quoi au premier venu. Dès que l'anormalité entre dans leur existence propre en revanche, la chasse aux sorcières, le bruit des bottes sur les Champs et la ségrégation ne paraissent plus aussi sagement rangés parmi les vieilles photos des livres d’Histoire.
Alors, comme un réflexe de survie, Alex a appris à se taire. Il laisse distraitement son éducatrice lui expliquer qu'une vraie crise d'asthme dure plus longtemps qu'une poignée de minutes, assez en tout cas pour ne pas s'envoler ensuite comme par magie. Trop jeune, il ne peut pas lui rétorquer qu'il a ressenti les symptômes et non proprement vécu cette crise, encore moins lui faire saisir cette nuance, très différente de ce qu'elle affirme, comme tous les autres avant elle. Quand bien même, il a déjà renoncé avant même que l'infirmier du foyer ne lui serve, faute de symptôme tangible, un regard soupçonneux qu'il ne connaît que trop. A huit ans, il a cerné qu'il n'est pas fait pour entrer dans le moule auquel les enfants comme lui doivent coller pour faire partie d'une famille. Pire, il l'a accepté.
Persévérante, Dominique poursuit en lui suggérant qu'en revanche, il a pu se sentir oppressé devant la violence du traitement qu'ils infligeaient, Dimitri et lui, à leur jeune compagnon réellement asthmatique. Après tout, n'agissait-il pas sous l'influence néfaste de son camarade ? Elle lui concède même qu'il est probablement honnête sur son ressenti. Curieusement, cela fait mouche. Se peut-il que cette jeune Basque au regard franc lui accorde ce qu'il désespérait jamais trouver chez quelqu'un d'autre ?
Lorsqu’elle évoque la possibilité qu'inconsciemment il simule les symptômes des autres pour se faire accepter d'eux, les pieds d’Alex ne bougent plus. Son regard ne quitte plus celui de l'éducatrice. Notant l'attention qu'il lui accorde enfin, elle se retient de sourire pour ne pas trahir sa satisfaction. C'est qu'elle n'est pas si sûre d'elle, la pauvre jeune femme. Malgré ses études, la révolution qu'a connue le monde des enfants en difficulté et l'avènement de l’accompagnement social des familles, Dominique reste en proie au doute quant à ses capacités, comme toute personne qui débute. Elle a beau avoir affronté de sacrées têtes de bois, elle n'est convaincue d'arriver à quelque chose avec lui qu'à partir de cet instant.
De là, captivée par la profondeur du regard de l'enfant, une envie profonde naît à nouveau en elle de mettre un terme à ce parcours chaotique pour enfin offrir un vrai foyer à Alex. Elle est parvenue à faire entrer un peu de lumière dans son regard si noir. Rien qu'une étincelle, une lueur d'espoir tout de même. Il ne faut plus qu'elle s'éteigne désormais, quitte à déplacer des montagnes. 

05/07/1986
De gros écouteurs recouverts de mousse orange sur les oreilles, un T-shirt constellé de badges polychromes, le walkman contre la cuisse, Sarah lance un bref regard dédaigneux au garçonnet qui descend de la voiture de sa mère. Le pincement de lèvres de Dominique suffit cependant à lui arracher un bonjour. Les cheveux longs, noirs, un peu gras aux racines, les yeux baissés sur un magazine à la couverture rouge vif estampillée TOP50, elle doit avoir dix ou onze ans. Sa tenue et son attitude dénotent la recherche d'un air branché que remarque aussitôt Alex, même si elle l'intimide un peu par son accueil un peu froid. Son T-shirt noir porte en revanche de discrètes traces blanches d'une sueur trop salée qui échappent pour l'instant à l'orphelin.
La maison où ils viennent d'arriver est une fermette sur cour ouverte. Dominique explique à son invité avec un enthousiasme non feint que la maison est de plain pied, mais que les petites ouvertures carrées donnent sur un grenier qu'elle aimerait aménager en chambres à coucher par la suite. Les murs crépis et chaulés, le toit en pente douce couvert de tuiles tiges de botte, entrent typiquement dans le style régional. Au-delà d'un immense préau surchargé de matériel agricole, ce ne sont que des forêts et des champs à perte de vue, maïs, tournesols et vigne. À deux cents mètres à peine, un monticule recouvert d'une longue bâche noire maintenue par des pneus de tracteur pique la curiosité d'Alex.
– C'est de l'ensilage. C'est pour nourrir les vaches.
– Et quand ça pue jusqu'ici, c'est qu'il va pleuvoir, glisse la jeune fille sans quitter sa revue du regard, l'air faussement méprisant.
– Dans ton cas, ça marche aussi. Tu n'as pas encore pris ta douche, je présume ? rétorque Dominique, surprise aussitôt par le rire d'Alex.
– Ouf ! C'est un revers digne d’Henri Leconte, ça ! C'est qui le gai luron ? demande la jeune fille qui lève enfin les yeux de son hebdomadaire, sans pour autant retirer ses écouteurs.
– Oui, faisons quand même les présentations. Je te présente Alex. Comme je vous l'ai déjà dit, à Papa et toi, il va passer les grandes vacances avec nous et, s'il se plaît ici, il fera son année scolaire avec toi.
– T'es en quelle classe ? lance la jeune fille au garçon, sans que son visage ne trahisse le moindre intérêt pour la réponse.
– Je vais entrer en CE2.
– Ah ben super ! Pile celle que je redouble, repart-elle, dépitée. Mais ne t'en fais pas, la maîtresse est vraiment super. Tu vas l'adorer.
Alex n'en croît pas ses oreilles. La jeune fille lui paraît vraiment plus âgée que lui, malgré son allure grêle. De plus, les filles sont douces et ne répondent pas comme ça aux adultes. Sarah a de plus une force dans le regard, une maturité auxquelles on ne s'attend pas. Cela captive le garçon qui s'enquiert, presque sans réfléchir :
– Tu as quel âge ?
– L'âge que tu voudras, petit, mais au moins deux ans de plus que toi !
Sans trop avoir compris la réponse qu'elle vient de lui servir, Alex repart spontanément :
– Et tu t'appelles comment ?
– Sarah.
Elle se détend subrepticement comme elle remarque quelque chose de touchant que dégage ce bout de chou de l'assistance. Malgré son bouclier verbal, Sarah ne saurait se montrer cruelle envers un enfant en difficulté. Sa mère qui décèle l'esquisse d'un sourire sur son visage si dur d'ordinaire pense avoir raison de miser sur sa jeune rebelle pour qu'Alex prenne confiance en lui et ose enfin aller de l'avant.
Pierre franchit bientôt le seuil de la maison. Le colosse impressionne d’emblée le gamin. Certes il ne fait qu'un mètre soixante-quinze, mais les épaules larges, le visage carré et les mains épaisses, l'homme paraît un golem aux yeux d’Alex. Intimidé, il ne pipe plus un seul mot lorsque l'agriculteur vient embrasser son épouse et lui confier que presque plus rien ne filtre sur Tchernobyl sur le Minitel. L'homme est inquiet. Malgré les communiqués évasifs des autorités, il s'acharne à décortiquer les informations que diffuse l'AFP :
– On nous balade. Les spécialistes utilisent une multitude d'unités pour nous embrouiller, mais la taille des aubergines et des tomates cette année ne trompe personne. Le vent a buffé  jusqu'ici et on en a soupé, de leurs rayons. La terre en est imprégnée et tout ce qui pousse est contaminé.
– Qu'est-ce qu'on peut faire ?
– C'est trop tard pour décaniller. La Fontaine disait que quand le mal est certain, le moins prévoyant est souvent le plus sage. Alors ma foi, on ne vaut pas mieux que les gorets dans cette histoire. Faut essayer de continuer à vivre normalement, j'imagine.
Compatissante, Dominique désigne d'un coup d’œil rapide son invité à son homme. En effet, leurs inquiétudes ne concernent pas les enfants. Son visage s’illumine d’un franc sourire lorsque Pierre lance, un sourire aux lèvres :
– Alors ! C'est lui, le drôle ?
– Oui, Alex, je te présente Pierre, mon époux.
– Il a l'air d’avoir de bonnes guibolles. Il va pouvoir m'aider…
– Oui oui, on verra ! le coupe Dominique, pressentant un débordement d'enthousiasme plus effrayant qu'autre chose pour son protégé.
Le patois charentais qui colore le langage de Pierre laisse perplexe l'enfant qui n'a connu jusqu'ici que des citadins. L'homme est pur souche et n'en déplaise, il est fier de ses racines. Alors qu'il entraîne Alex à la découverte de la vie à la ferme, Dominique a une pensée pour leur propre rencontre, des années plus tôt.
L’agriculteur était aventureux, du haut de ses vingt-deux ans, lorsqu'il s'était engagé sur les parcours de randonnée des Pyrénées. Elle, native de Saint-Jean-de-Luz, était une habituée des lieux. Lui beaucoup moins, s'était bel et bien perdu. Les joues rougies, l’air hagard, il l'avait d'abord bien fait rire. Puis ils avaient appris à se connaître jusqu'à ce que, de fil en aiguille, ils ne fassent plus qu'un. Comme il était voué à reprendre la ferme de son père, elle, amoureuse, l'avait suivi en Charente-Maritime. Ses parents décédés, elle n'avait pas grand-chose à laisser derrière elle, sinon ses montagnes adorées. Alors que son cher et tendre glisse avec ferveur au garçon :
– O va zou faire de toi un houme, un vrai. Tantôt, si o grâle trop , o fera mijheot  et...
– On ira doucement sur le vin rouge, il n'a que huit ans quand même ! réagit-elle amusée.
Sarah, qui n'a rien perdu de leur échange, les étudie en pesant le pour et le contre. Elle comprend à présent ce que Dominique avait derrière la tête en faisant entrer ce garçon dans leur maisonnée. Elle se sent naturellement un peu jalouse de l'enthousiasme de Pierre à l'égard du nouveau venu. Toutefois, elle voit déjà en celui-ci une chance pour son père de se projeter avec un autre homme sur une exploitation chaque année plus lourde à gérer, une charge contre laquelle est demeure impuissante. Une raison de plus de la motiver à souhaiter qu'il s’intègre, sombre certes, mais très noble pour une personne si jeune…

02/10/1986
Être nouveau quelque part n'est jamais facile pour personne, même pour un habitué de l'exercice. L'été chez les Davril ayant été particulièrement heureux, Alex obtint de pouvoir faire sa rentrée avec Sarah à l’école primaire de Saint Genis de Saintonge. Évidemment, il fit l'objet de la curiosité de ses nouveaux camarades de classe, amassés autour de lui les premiers jours comme on découvre un jouet à la mode ou un nouvel animal de compagnie. L'engouement qu'il suscita retomba aussi vite qu'il était monté, Alex n'ayant pas grand-chose d'exceptionnel pour entretenir l'intérêt d’un tel public.
À cette époque, pendant la récré, les écoliers ne sont pas greffés d'un téléphone portable à la main ni d'un lecteur MP3. Certains courent autour d’un ballon de foot ou de basket. D'autres donnent des chiquenaudes à leurs billes, accroupis autour d’un trou dans le bitume de la cour, électrisés à l’idée de rafler la mise. Les filles jouent à l'élastique, un jeu d'adresse pour lequel il faut au moins être deux, trois idéalement. Enfin, rares sont ceux qui possèdent un jeu électronique, plus encore la fameuse Gameboy, et se voient autoriser à la sortir à la récréation par leurs parents. En revanche, le fait d'avoir grandi ou non avec les autres mômes du groupe fait énormément sur sa hiérarchie. Les affinités nées de plusieurs années de crèche et de maternelle prévalent sur le reste en primaire, surtout quand on n'a que des billes en terre cuite et non des agates.
Sarah aussi a ses copines et ses habitudes ici. Pour Alex, il faut tout construire de nouveau. À La Rochelle, outre le fait qu'il n'était pas le seul orphelin, Dimitri l'avait vite élevé au rang de caïd parce qu'il lui fallait un faire-valoir pour rire de ses âneries et maltraiter les plus faibles. Ce n'était pas glorieux mais ça valait toujours mieux qu'être isolé à la périphérie de ce qu’il considère déjà comme un clan imperméable.
Certes, il est difficile de s'intégrer dans une équipe où chacun a déjà sa place distribuée d'avance, que ce soit pour un match de foot ou un quelconque jeu de rôle imaginaire. Le pire cependant, c'est de tomber sur plus fort que soi, le tout associé à une bonne dose de stupidité. Devait-il payer pour le temps passé à soutenir Dimitri dans son jeu de massacre quotidien en devenant à son tour la marionnette d'une brute ? Alex a bien essayé de résister, seulement aussi bien verbalement que physiquement, il ne fait pas le poids.
Le grand Stéphane a tout pour lui, la force, les amis et deux redoublements consécutifs qui en font un pré-ado redoutable dans cette colonie de gringalets. Alex n'est personne, rien de plus que l'homonyme d'une rivière, sans passé ni famille, ce que le rustaud ne se prive pas de souligner :
– Moi j'aurais ta tronche, je ne chercherais pas vraiment pourquoi j'ai été abandonné à la naissance, Gartempe. Franchement, ça saute aux yeux, pas vrai les copains ?
Il voit bien dans le regard des comparses de cet abruti de haut vol que le cœur n'y est pas vraiment. Pour avoir joué le même rôle, il en connaît jusqu’à l’attitude. Faire semblant de rire du malheur d'un autre avec le ventre noué pour lui, juste pour ne pas finir à sa place. Alex ne se doute pas qu'il pourrait renverser la vapeur et retourner tout le groupe contre Stéphane. Il lui suffirait de savoir exprimer cette peur qui ronge les autres pour la changer en courage, juste assez longtemps pour décourager ce tyran de bac à sable, probable photocopie d'un modèle parental tout aussi affable.
Seulement la peur est trop forte. Ce frisson qui le gagne lui envahit les membres, ramollit les jambes et appesantit le ventre. Il n'arrive pas à penser. Son esprit ne travaille qu’à débusquer une échappatoire. Mais où fuir ? Alors que derrière lui, l’angle de la cour, cerné de murs et de grilles infranchissables, prend de plus en plus l’allure d’une souricière, une voix qui se veut ferme retentit brusquement, en réponse à Stéphane :
– Non mais avec la tienne, tu n'aurais pas à chercher bien loin. Ton père le voudrait qu'il ne pourrait pas te renier. Tu as le même groin que lui. On reconnaîtrait ta face de verrat à des kilomètres.
Attentive, c'est Sarah qui est arrivée à la rescousse du pauvre garçon. Il ne demande d'ailleurs pas son reste pour décamper auprès de sa sauveuse. Malgré son allure franchement fluette, l'intensité de son regard suffit en général à rabattre les caquets les plus audacieux. Stéphane, pour ne pas perdre la face, crache :
– C'est ça sauve-toi, l'orphelin ! T'auras pas toujours quelqu'un pour te sauver la mise. Trouillard !
– Trouillard ? répète la jeune fille, campée sur ses positions, les mains sur les hanches à présent. Tu fais autant le malin, le soir, dans ton lit avec ta veilleuse ? Tu n'as plus peur du noir, peut-être ?
Les autres échangent des haussements de sourcils, avant de scruter le visage de leur chef qui vient de virer à l'écarlate à l'évocation de ses crises de larmes lors des siestes imposées des années plus tôt en classe de maternelle. L'inquiétude prend le pas sur la liesse. S'en prendrait-il à une fille ? Stéphane fulmine, le regard noir :
– Toi, tu mérites une bonne leçon.
Avisant les instituteurs qui ne perdent rien au loin, le groupe qui sent le vent tourner se disperse sensiblement. Seul Alex attend de voir comment va évoluer la situation. Tout à sa colère, le porcelet ne remarque pas les rats quitter le navire. S'approchant d'elle, il ne quitte plus des yeux la petite brune qui lui tient tête. Malgré la boule qui commence à lui tarauder l'estomac, elle conclut, d'une voix blanche, sans toutefois baisser le regard :
– Alors tu serais assez lâche pour frapper une fille ?
– Pourquoi il t'intéresse tant, ce tocard ? Ce n'est qu'un chien abandonné, sûrement un manouche ou un bât…
Le coup est parti sans préavis. Aussi surprise que le grand escogriffe, c'est bel et bien Sarah qui a collé son poing sur son gros tarin. Aussitôt, l'un des maîtres se précipite dans leur direction. Pourtant prêt à répliquer, Stéphane n'a pas le temps de lever le petit doigt qu'Alex s’interpose, dans un élan de courage inattendu. Avant que les adultes ne s'en mêlent, Sarah crache à l'abject imbécile qui a déjà le dessus sur le garçon, la voix modulée par l’émotion :
– Parce que moi aussi, je suis une enfant trouvée, espèce d'idiot. Et j'aime autant ne pas connaître mes vrais parents s'ils doivent être aussi débiles que ceux qui t'ont rempli la tête de toutes ces conneries !
Avant d’écoper d’un généreux bourre-pif, Alex a le temps de lancer un regard à la jeune fille, plus estomaqué par cette révélation que par une situation proprement surréaliste dans cette petite école de campagne d'ordinaire si tranquille…

04/10/1986
Le week-end suivant l'altercation avec Stéphane, l’œil d'Alex est encore auréolé de jaune et de pourpre, quoique tout à fait dégonflé. Pour le courage dont il a fait preuve pour elle, Sarah a décidé de l'emmener enfin dans ce qu'elle appelle son jardin secret. Elle lui a parfois décrit le lieu où elle se rend lorsqu'elle a besoin de s'isoler, sans jamais l'autoriser, jusque là, à l'y accompagner. En réalité, l'enfant ne s'attend pas à tomber sur un véritable jardin caché au milieu de la forêt, un trésor de créativité et de poésie en fait.
Carré, tapis de lierre entre quatre gros chênes centenaires, l'endroit est protégé d’une épaisse voûte feuillue. Avec l'aide de Pierre, Sarah a dressé tout autour de vrais murets de pierres et de branches mortes sur lesquels la vigne vierge est montée. Elle s'est permis cet aménagement parce que le bois fait partie du domaine Davril. D'ailleurs, la plupart des habitués des lieux, surtout des chasseurs et autres chercheurs de champignons, connaissent et respectent le sanctuaire de la jeune fille. Certains y déposent même, en tribut à sa créativité, pommes de pin, coquilles d'huîtres, noix et autres poignées de marrons d'Inde en guise de matière première.
Avec du fil de pêche et un couteau suisse dont elle ne se sépare jamais, elle bricole des carillons à vent, creuse de petites sculptures naïves dans des branches mortes, passe le temps en contact avec la nature. Elle raconte à Alex qu'elle a bien essayé de repiquer des orchidées sauvages et autres fraisiers ici, mais le passage de petits animaux, le manque de lumière et probablement aussi d'expérience ont nui à son projet. Bizarrement la présence d'Alex avec elle dans ce coin de forêt qu'elle arpente d'ordinaire en solitaire lui procure une émotion particulière.
En réponse, il évoque sa vie décousue. Pierre qui roule, il n'a jamais eu le loisir de pouvoir se créer un endroit à lui comme celui-ci. L'idée trouve donc grâce à ses yeux, tout comme les créations de la jeune fille, qu'il qualifie simplement de « géniales ». Le cœur battant plus fort que d'accoutumée, Sarah est brutalement prise d'une violente quinte de toux qui l'oblige bientôt à s'adosser à un arbre.
Alex porte presque aussitôt la main à sa poitrine, de sentir sa cage thoracique se contracter malgré lui. Son cœur paraît se mettre à battre deux cadences à la fois. Honteux, il se tourne pour tenter de cacher qu'il perçoit à la fois l'émotion et l'étrange encombrement respiratoire de son amie. Obligée de s’asseoir sur une grosse racine, proprement vidée de ses forces, elle n’a pas manqué son volte-face. Inquiet d'être découvert, le garçon ne sait plus comment réagir. Sarah crache plusieurs fois avant de reprendre le dessus sur sa toux et lancer, la voix légèrement sifflante :
– Tu me vois tousser et du coup... tu as la trouille d'attraper ce que j'ai ?
Alex cherche aussitôt le regard de la jeune fille pour objecter franchement :
– Non, ce n'est pas ça. Ça va ?
Son visage manifeste une empathie sincère. Sa main s'attarde cependant sur son torse, ce qui agace l’adolescente :
– Alors quoi ?
– C'est rien, laisse tomber. On peut rentrer, si tu ne te sens pas bien.
– Non c'est bon, c'est juste... mon asthme. Ça va passer.
– Ça, ce n'est pas de l'asthme, réplique-t-il spontanément avant de se mordre les lèvres d'avoir émis cela tout haut.
Elle lui adresse un regard à la fois surpris et inquisiteur :
– Ah parce que tu sais reconnaître l'asthme au son d'une toux, toi ?
Interdit, il souhaite vivement que la conversation change de direction. Les yeux rivés sur le sol, l’orphelin découvre à même le lierre, entre les premières feuilles mortes, un bout de bois flotté qu’elle a ramassé près de l'estuaire de la Gironde. L'adolescente lui a donné la forme d'un chihuahua ailé, une fantaisie sur laquelle il reste figé, braqué. Sarah finit par lui expliquer, de noter l'intérêt du garçon pour son fennec :
– C'est mon Harmonique.
– C'est quoi, un Harmonique ?
– Une espèce d'ange gardien... Mais puisque tu n'as pas l'air de vouloir partager tes secrets... Je ne vois pas pourquoi je t'en dirais davantage sur les miens.
– Quel secret ? Je n'ai pas de secret.
– Maman m'a raconté que tu as simulé une crise d'asthme pour te faire remarquer... au foyer. C'est pour ça qu'elle a voulu qu'on se rencontre, je suppose… Pour voir si tu mens ou si tu as réellement un don…
– Quelle importance ? rétorque subitement Alex avec un visage qui traduit surtout de la tristesse. Tu dois déjà me prendre pour un fou ou un menteur, comme les autres.
– J'ai l'air de me moquer de toi ou de te prendre de haut ?
– Non, mais…
– Dis-moi ce que tu as perçu... Je te dirai si ça correspond à ce que je ressens... et on sera fixé. Ça ne peut pas continuer ainsi.
Comme il hausse les sourcils, elle esquisse un sourire pour le rassurer avant d'ajouter, essoufflée comme si elle venait de disputer un sprint :
– Il n'y a que toi et moi… Personne pour te juger ou se moquer… Alors vas-y, lance-toi.
Après quelques longues secondes d'hésitation, les yeux toujours rivés sur la sculpture, l'orphelin se met à parler d'une voix sourde, presque inaudible. Comme elle l'exhorte à parler plus fort, il répète, distinctement :
– Tu as parfois des douleurs au ventre. Tu as souvent quelque chose dans la gorge et tu ne respires pas comme tu devrais. Tu manges comme quatre mais tu ne grossis pas. Une fois tu vas bien, et là, tes poumons se mettent à bouillonner comme un plat de pâtes et tu te vides de tes forces comme ça, d'un seul coup.
– Attends, je ne viens pas d'avoir tout ça en même temps, réplique-t-elle, troublée. De quand parles-tu ?
– Ce n'est pas la première fois que je ressens ça avec toi, dit le garçon avec sincérité. Mais je sais que ce n'est pas de l'asthme.
– Tu me charries, allez ! réplique Sarah, désarmée par le sérieux de l'enfant malgré l'absurdité du discours qu'il lui tient. Tu as dû voir les médicaments, les aérosols et mes visites quotidiennes chez le kiné. Les parents auront vendu la mèche, c'est obligé.
Alex plante son regard profond dans celui de la jeune fille. Il soupire, l’air excédé d'avoir récolté une nouvelle fois le scepticisme là où il espérait tant la confiance :
– Je te l'avais dit que tu ne me croirais pas. Tes parents m'ont juste dit qu'il ne fallait pas que je m'en fasse, que ça ne s'attrapait pas. Ils ont dû croire que j'avais peur des maladies.
Après une pause, il ajoute, clairement affligé par le détail qu'il soulève :
– Aucun de vous ne m'a dit ce que tu as. Ça fait partie de votre monde « à vous » et vous n'en parlez jamais quand je suis là. Mais même si je ne sais pas comment s'appelle ta maladie, je l'ai ressentie.
– C'est impossible, Alex, sourit-elle alors. Personne ne peut sentir les choses comme quelqu'un d'autre. Cela dit les poumons qui bouillonnent, je dois dire que tu es tombé pile...
Ému, l'enfant de l'assistance décide de s’asseoir à son tour, à même le sol, à deux pas de la jeune fille. Déçu, il ne sourit pas, ne trahit pas une seule seconde qu'il n'est pas sincère. Il semble avoir renoncé à la convaincre, à l'instar d'une personne honnête qui attend que l'esprit de son interlocuteur fasse de lui-même le chemin jusqu'à la vérité.
– Impossible, répète-t-elle encore, sans conviction, juste comme si, intrinsèquement, se raccrocher à la normalité comptait plus pour elle que de simplement admettre l'extraordinaire.
Somme toute, elle n'ose plus prononcer quoi que ce soit d'autre. Un frisson la parcourt de part en part. Il fait pourtant chaud pour ce début octobre, un vrai été indien, presque celui de la chanson. Outre la crise qu'elle vient de subir, ce qu'elle est en train de réaliser lui glace les veines. Aussitôt Alex frissonne, connecté comme il ne l'a jamais été avec quiconque. Sans calcul, il se redresse, tandis que son cœur se met à battre  la chamade. Une envie spontanée de prendre l'adolescente dans ses bras le presse, sans trop savoir si cela vient d’elle ou de lui.
Personne ne s'est jamais tenu aussi près de comprendre ce qu'elle combat au quotidien depuis si longtemps. Personne n'a jamais été si près de croire qu'il peut l'éprouver comme elle. Il fallait que ce petit gars de l'assistance ait le cœur plus ouvert qu'une antenne radio et saisisse enfin tout ce qu'elle garde sur le cœur depuis toujours. Sans aucun calcul, sans même y réfléchir, ils s'embrassent au pied de ce chêne, comme deux proches se retrouvant sur le quai d'une gare après une longue séparation.
Prenant un peu de recul, Sarah croise à nouveau le regard de jais de l'enfant. Son cœur « à lui » bat à toute vitesse, imprime son rythme effréné à ses lèvres devenues brûlantes. Alex la trouve d'une beauté incroyable malgré son visage émacié et son teint pâle. Elle lui prête une maturité inédite pour un garçon de son âge. Leurs quatre ans de différence s'effacent, tout comme la pudeur et la peur qui pétrissent l'audace que seule une sérieuse perte de pondération leur procurerait d'ordinaire. Leur communion à son paroxysme, ils se sentent tant en phase que leurs lèvres se lient naturellement, dans un bisou d'enfant, à peine appuyé, mais aussi fort pour eux que le plus enflammé des baisers d'adultes. Leur histoire vient de naître, dans ce sanctuaire de bricoles sculptées au couteau, entre les quatre chênes d'un jardin devenu celui de Sarah et d'Alex.
Un moment plus tard, blottis l'un contre l'autre au pied du même chêne, Sarah, caressant tendrement les cheveux de son premier amour, finit par penser à voix haute :
– Tu as dû te sentir bien seul avec une telle perception des autres. Et personne ne t'a jamais pris au sérieux avant moi ?
– Non tu es la première. Par contre, avant toi, ça n'avait jamais été aussi long ni aussi fort.
– J'imagine que ton don doit être plus affirmé quand tu le partages avec une personne que tu... apprécies.
Elle sourit à ce dernier mot, n'osant plus parler d'amour à présent que le « contact » est rompu. Attrapant le morceau de bois flotté gravé du fennec ailé, le garçon ne lance qu'un regard à son auteur qui traduit sans mal sa requête :
– Ah ! C'est à mon tour de te confier mon secret ?
Il acquiesce, attentif aux traits fins de Sarah. Il décrit un instant le vert si intense de ses yeux, ses lèvres fines, son petit nez et ses longs cheveux bruns. Elle remarque son regard insistant qui la fait rougir malgré elle. Elle bougonne sans tarder :
– Arrête ! Ça me gêne quand tu me regardes comme ça...
Ce à quoi il répond d'un grand éclat de rire. Sans trop comprendre pourquoi, il se sent bien avec elle, comme si ce coin de forêt avec elle était la place qui lui incombait sur cette terre. Jouant la carte du running gag, il finit par revenir à la charge avec la sculpture. Elle soupire avant d’éclairer le garçon, grave :
– Quand on m'a trouvée, j'avais déjà quasiment un an. C’était aux abords des Pyrénées, à l'arrière d'une décapotable dans une station-service. Presque assez grande pour dire papa ou maman, pas assez pour leur donner un vrai nom. Je suis le premier « dossier » de Dominique en qualité d'éducatrice. Une vraie voie de garage pour une débutante, compte tenu que je suis atteinte d'une variante de la mucoviscidose, mal connue, probablement aussi mortelle quoiqu'un peu moins invalidante. Personne ne s'est manifesté pour me réclamer, encore moins m'adopter. Je te laisse imaginer le tableau.
– Alors Dominique et Pierre t'ont adoptée.
– Oh ! Ça ? C'est grâce aux yeux de cocker, ça marche à tous les coups sur eux. Tu devrais essayer, avec tes yeux noirs, ils craquent à coup sûr. Enfin, si tu as envie qu'ils t'adoptent...
– Faudrait qu'ils en aient envie. Je n'ai pas eu beaucoup de succès jusqu’ici avec les familles d'accueil.
– Question de karma, faut croire. C'est qu'on devait se rencontrer, je vois que ça, trouve-t-elle à plaisanter malgré un début de parcours aussi gai que le scénario de « Love Story ».
– Tu vas mourir, réalise Alex, bloqué sur la description de la maladie de la jeune fille. Mais dans combien de temps ?
– Tout le monde meurt, c'est comme ça, relativise la jeune fille, imperturbable. Je ne joue pas les détachées, attention ! Évidemment ça me fait peur. Mais j'ai grandi comme ça, alors j'ai appris très tôt à vivre avec cette idée. C'est ma vie. Le pire à la limite, quand on y pense, c'est pour les parents…
– Pourquoi ?
– Ben quand je partirai, qui s'occupera d'eux ? Qui sera là pour les aider à supporter la souffrance de ma disparition ?
– Tu penses déjà à tout ça ?
– Presque tous les jours en fait.
– Mais il doit bien y avoir quelque chose à faire ! se révolte l'enfant. Une pilule ou un vaccin…
– Non, des antibiotiques, une hygiène de vie irréprochable, des aérosols et de la kiné pour préserver mon souffle. Mais pas encore de remède miracle. Désolée.
– Et ton Harmonique ? Elle ne peut rien pour toi ?
Le regard de Sarah s'assombrit de devoir à la fois briser le bel optimisme d’Alex à son sujet et verbaliser la vanité de l'espoir que constituait pour elle cette fable encore deux ans auparavant :
– Elle, elle ne reviendra pas. Elle m'a probablement oubliée.
– Raconte-moi.
Les yeux perdus dans le balancier des branches d’un chêne, Sarah laisse échapper une larme malgré elle. Elle déteste pleurer. Cela revient à céder du terrain à son mal, son ennemi intime, or elle ne veut surtout pas lui faire ce plaisir. D'une voix feutrée par l'émotion, elle repart :
– Il y a deux ans environ, je me suis effondrée sans prévenir. En quelques heures à peine, j'étais admise à l'hôpital, au plus mal. Ma saturation était très basse. Malgré les couvertures j'étais gelée, les dents qui claquent, les lèvres bleues, comme ces bonhommes qui tombent dans les lacs gelés dans les dessins animés. Tout le monde était prévenant avec moi, très doux, mais dans leurs yeux, j'ai bien vu que ça pouvait tout à fait s'arrêter là pour moi. Et il y a eu cette visite inattendue. Une femme aux yeux verts, comme moi. Brune, comme moi… Je me suis fait un film. Comme si ma vraie mère pouvait savoir que j'avais atterri en Charente Maritime ! Comme si elle pouvait en avoir quelque chose à faire de son enfant malade…
Après une courte pause, le regard toujours perdu dans les dents de scie des feuilles de chêne, elle poursuit :
– Elle avait ce drôle de pendentif, avec une tête de fennec en or blanc, encadrée de deux petites ailes de nacre. Je n'ai jamais retrouvé ce bijou ailleurs. C'est pour ça que j'ai voulu le reproduire sur ce bout de bois. Le veinage et la blancheur du bois m'ont rappelé la nacre. Bref ! Je l'ai aussitôt prise pour une infirmière ou un médecin. Je ne me suis pas méfiée. Elle m'a parlé mais j'étais dans le gaz avec les calmants. Dans les grandes lignes, elle m'a dit que je ne devais pas avoir peur de la mort, que ce n'était pas une fin en soi, plutôt une passerelle vers un monde où le « moi spectral » nourrit un paradis ouvert à tous les esprits. Je l'ai trouvée jolie son histoire, mais ça sentait trop le catéchisme pour que je la prenne au sérieux.
– Tu ne crois pas en Dieu ? s'étonne Alex.
– Dieu, c'est juste un mot que les grands mettent lorsqu'ils parlent de choses qu'ils ne comprennent pas. Mon infirmière a bien vu elle-aussi que je n'y croyais pas. Elle n'a pas arrêté de parler pour autant, même si la suite est plus floue dans ma mémoire. Je crois même que je me suis à moitié endormie à ce moment-là. Finalement, elle a terminé en me disant qu’une Harmonique veillait sur moi et qu'il ne m'arriverait plus rien désormais.
– Et que s'est-il passé ?
– Eh bien ! Elle m'a juste fait un câlin. Petit à petit mon corps s'est réchauffé et j'ai pu rentrer à la maison le surlendemain. Depuis cette fois-là, je n'ai plus été obligée de retourner à l'hôpital que pour les traitements par perfusion. Malgré ça, je suis toujours malade et mon « Harmonique » n'a plus redonné signe de vie ! J'ai cru un moment que j'avais été choisie et que cet être sorti de nulle part avait réellement le pouvoir de me guérir. Avec le temps et les rechutes, j'aurais dû me faire à l'idée que j'avais simplement déliré, oublier cette histoire et jeter ce bout de bois au feu.
– Mais tu ne l'as pas fait.
Prenant le fennec gravé entre ses mains et le regardant attentivement, elle prononce :
– Tu sais, ma vie ne tient pas à grand chose. J'aurais pu mourir plein de fois, maltraitée par ces gens qui m'ont laissée dans une décapotable en plein été ou réagissant mal à un médicament. Que sais-je encore ? Finalement, par un caprice du destin, je suis arrivée jusqu'ici en croisant une rebouteuse qui soigne avec des câlins et un gamin capable de me décrire en détails mes symptômes sans jamais avoir ouvert un livre de médecine. Ai-je la santé pour faire la fine bouche ? Je ne crois pas, non…
Alex ne sait trop quoi répondre à cela. L'histoire de la dame au pendentif le laisse songeur. Après tout, s'il possède un talent hors du commun, pourquoi n'existerait-il pas une personne capable de soulager le mal des autres d'une étreinte ? S'ouvrir au monde après des années à le craindre lui donne le vertige. Même si cette félicité est entachée à présent par le pronostic engagé de la jeune fille, il se met à nourrir lui-aussi l'espoir qu'il existe peut-être quelque part une solution au mal de celle avec qui il se sent enfin à sa place sur cette petite planète bleue…

22/04/97
Dix ans après leur rencontre, Alex et Sarah ont finalement emménagé tous les deux dans leur région de cœur, élue des années plus tôt, quand ils étaient encore adolescents. L'idée de fuguer leur était venue lorsque la perspective d'un autre interminable été coincés à la ferme Davril leur était devenue insupportable. Ce qui les avait retenus jusqu'ici de passer à l'acte résidait en un subtil équilibre entre la peur des représailles, celle de faire de la peine aux parents et un désir croissant de partir.
Alex avait cependant des arguments de plus en plus pertinents. Sarah avait eu son premier carnet de chèques. Il faisait plus grand que son âge, ils passeraient inaperçus. Et puis, ils ne s'éclipseraient que quelques jours, au plus une semaine. Qui leur reprocherait de vouloir offrir à la jeune fille le sentiment qu'elle pouvait échapper, juste une fois, à son marathon quotidien ? La médication toujours plus lourde, la course à pied qui maintenait tout juste son souffle à un seuil acceptable, les douleurs imprimant de plus en plus son quotidien. Tout pesait sur le moral de l'adolescente chaque jour un peu plus.
L’adolescent, témoin sensitif de ce compte à rebours insoutenable, subissait lui-aussi, en silence cependant. Il ne voulait surtout pas rajouter au calvaire de son amour, encore moins mettre en péril son placement chez les Davril, même si avec le temps, les visites de l'assistante sociale s'espaçant, il prenait de plus en plus pour acquise sa place chez Pierre et Dominique. Ces derniers étaient confiants, bien qu'ils ne manquent jamais de rappeler qu'une adoption prend du temps. Aux prémices de l’été 1993, ce n'était même qu'une question de semaines pour que la chose soit officielle lorsqu'ils prirent cette décision aussi spontanée que lourde de conséquences de fuguer.
Un lundi particulièrement monotone, ils s'étaient aventurés jusqu'à la gare de Jonzac avec leur bicyclette. En sueur, un simple sac à dos rempli du strict nécessaire jeté derrière l’épaule, ils prenaient le premier train pour Bordeaux sans même savoir où ils dormiraient le soir venu. C'était le mois de juin, les nuits étaient chaudes et courtes de toute façon. Dormir à la belle étoile ne serait pas un frein à leur soif d'aventure.
Ils avaient déjà campé dans un vieux container autrefois dédié au stockage d'outils. Plusieurs fois vandalisé, il avait été rapatrié plus près de la ferme pour être reconverti en cabane par les ados. Pierre l'avait calé près d'un saule pleureur de sorte que le soleil ne donnât pas directement dessus au plus fort de l’été. Les deux jeunes ne manquaient de rien et l'agriculteur avait toujours d'excellentes idées pour dénicher de nouveaux supports à leur créativité débordante. Hélas, la seule chose qu'il ne pouvait leur offrir, c'étaient de vraies vacances ailleurs. Outre les multiples emprunts qui grevaient leur budget, les Davril géraient à eux seuls trop d'animaux pour s'absenter davantage qu'un week-end de temps à autre. Prendre un extra pour assurer l'intérim revenait trop cher également.
Si Sarah s'était fait une raison et comprenait les difficultés de ses parents, Alex trouvait anormal de se rendre aussi dépendant d'un travail si cela interdisait de profiter de la vie, ne serait-ce qu'aux beaux jours. En aparté, il reprocha même à ses tuteurs de ne pas prendre en considération l'état de leur fille et le fait qu'elle n'avait peut-être plus le temps d'attendre qu'ils soient plus disponibles pour lui permettre de voyager comme elle en rêvait depuis si longtemps. Eux savaient pertinemment que son état lui interdisait de partir ainsi. En outre les rendez-vous du kiné comme les séjours hospitaliers demeuraient aussi réguliers qu'incontournables. Ils se doutaient aussi qu'en étant trop explicites sur la santé de leur fille, ils risquaient de causer davantage de peine au garçon. Alors ils encaissèrent les reproches sans mot dire, évasifs au point que la fugue devint leur seule alternative.
Malgré la peur qui leur tiraillait le ventre de partir ainsi en douce, un crève-cœur même pour Sarah, l'idée d'avoir enfin autre chose que des champs de maïs et un parterre de lierre entre quatre chênes pour tout horizon leur donnait des ailes. La jeune femme approchait en réalité des dix-neuf ans. Alex en accusait tout juste quinze. Leur relation amoureuse s'était limitée jusque là à de chastes baisers et des embrassades d'enfants. Malgré leur lien de plus en plus intense, l'envie impétueuse d'aller plus loin, ils accusaient trop de pudeur pour n’avoir osé que sous-entendre l'idée aux parents qu'ils s'aimaient. Ils craignaient surtout que cela remette en cause l'adoption d'Alex s'ils l'apprenaient. Ce que les non-dits laissent entendre aux adolescents génère souvent des peurs sans fondement. Peut-être les choses se seraient-elles passées autrement si les Davril l'avaient su dès le départ ?
Dans le journal intime qu'il tiendrait plus tard, de retour au foyer de La Rochelle, Alex mentionne ces quelques jours comme une parenthèse d'exception. Après plusieurs escales aussi dépaysantes à leurs yeux qu'anecdotiques pour le commun des mortels, ils avaient fini leur périple le long de la Baïse , enlacés pour la première fois dans une chambre sous les toits, dans une auberge de campagne. Le lit était petit, le matelas trop mou et l'édredon garni de plumes d'oies bien trop chaud. Ajoutés à cela les rideaux jaunis, la tapisserie à fleurs aux couleurs passées, le mobilier vétuste et le parfum délicat de la violette sur les draps complétaient le tableau d'une authentique chambre de grand-mère. La fenêtre ouverte sur la rivière et son flot régulier, le chant des grillons et la chaleur douce de ces premiers soirs d'été, tout cadrait pourtant avec l'image qu'ils se faisaient de la vie dont ils rêvaient plus tard, à deux. Pas d'aérosol nébuliseur sur un coin de bureau cerné de boîtes de médicaments, pas de calendrier aimanté au frigo surchargé de rendez-vous avec le kiné ou le pneumologue.
Ils ne s'étaient offerts que quelques jours loin de tout ça. Comment pouvaient-ils s'imaginer qu'une idée si innocente puisse être si mal reçue par les adultes, garants du bon suivi des procédures, enclumes greffées aux chevilles des doux rêveurs, épée de Damoclès fendant sans cesse leurs délires, même les plus vitaux ? La Fête de la Musique précipita la fin de leur éphémère évasion. Alex sentit venir la douleur. Elle l'avait pris au ventre comme s'il allait lui-même défaillir. C'était cependant Sarah qui s'effondrait dans ses bras, sans prévenir, au milieu d’un groupe de gens amassés devant une estrade où on reprenait les standards des années 80.
La crise était sérieuse. La jeune femme resterait hospitalisée plusieurs jours. Alex quant à lui vit ressurgir toute l'administration à laquelle il pensait s'être enfin soustrait après toutes ces années passées chez les Davril. Leur escapade coûtait déjà trois mille francs à Pierre qui ne s'expliquait pas pourquoi ils s'étaient enfuis de la sorte. L'incompréhension et la déception dominaient tant dans son regard que le garçon en ressentit un profond mal-être. Il se perçut bientôt tel un corps étranger, une écharde qu'il fallait extraire au plus vite de cette bulle protectrice formée autour de Sarah. Dominique, qui avait tant fait montre de fierté à son égard, pour son travail scolaire comme la complicité qu’il partageait avec sa fille, paraissait désormais avoir remis une distance presque palpable entre eux. L’adolescent se sentait clairement responsable d'avoir mis en danger leur enfant. Elle avait failli mourir. Il fallait qu'il sorte de leur vie, c'était évident.
Les événements avaient pris tout le monde de court, notamment à cause de l'hospitalisation de Sarah. Aussi ni Pierre ni Dominique ne prirent-ils le temps de discuter avec Alex qui se confia seulement au juge auquel fut confié d'estimer la poursuite ou non de son placement chez eux. Personne ne lui ayant manifesté l'envie de le voir rester, l'orphelin resta sur son ressenti, pour ne formuler aucun argument susceptible de motiver son maintien dans cette famille. Il accepta donc sans sourciller les conclusions du magistrat qui estima que cette famille ne pouvait concilier le suivi médical soutenu de Sarah et son accompagnement.
De conclure qu'Alex avait dû exprimer le désir de repartir en foyer, les Davril ne trouvèrent pas grand-chose à ajouter, hormis qu'ils étaient désolés qu'il ne se sentît plus le bienvenue chez eux. Alex n'entendit pas ces paroles cependant. Il ne retint que leurs visages abattus par l’inquiétude qu'il assimila à tort à du rejet. Il se braqua, aussi fermé qu'une huître.
À quinze ans, de retour au foyer, loin de celle qui lui avait donné l'impression d'avoir trouvé sa place des années plus tôt, la déculottée était trop sévère pour ne pas l'ébranler et le rendre particulièrement asocial. À plusieurs années de bonheur à la ferme succéda une solitude incommensurable. Malgré diverses tentatives pour l'approcher, personne ne sut vraiment franchir le mur invisible qu'il dressa bientôt entre le monde et lui. L'adolescent se réfugia dans l'écriture, passant le plus clair de son temps libre un cahier de brouillon et un stylo-plume à la main. Il avait toujours eu une prédisposition pour cela.
Sarah l'avait d'ailleurs encouragé à laisser aller son imagination sur le papier. Avec deux de ses camarades de classe, il s'était même inventé un monde calqué sur les BD, son support préféré pendant un temps. Un jour, il s'était réveillé d’un rêve lors duquel, perdu dans un village de western, il ne retrouverait son chemin qu’en empruntant un train nacré capable de voler. Sarah, qui avait tenté de le reproduire en dessin, l'avait simplement baptisé le Train des Rêves. Ce titre devait devenir celui de la nouvelle la plus aboutie du jeune homme, racontant l’histoire d'une fille tombée dans le coma lancée à la recherche d'un billet supposé l'aider à se réveiller de ce cauchemar.
À présent, Alex n'écrivait plus de fiction. Il enchaînait les réflexions personnelles et les souvenirs, dans une lettre infinie à son amour, pour nourrir l'impression de maintenir une conversation avec elle sur le papier, comme si elle pouvait toujours lire par-dessus son épaule. Internet n'était pas arrivé jusqu'à la ferme Davril et les timbres coûtaient cher. Ils devaient donc limiter leurs échanges à une poignée de pages par mois sur lesquelles aucun centimètre n'était négligé. Dans ses réponses, pas moins démoralisée d'être séparée de lui, elle avait toutefois à cœur de le motiver à poursuivre ses études. Elle lui promettait de le suivre n'importe où dès qu'il aurait un métier en main et la capacité de subvenir à leurs besoins.
Sa mère insistait pour qu'elle-aussi se projette professionnellement, qu'il était hors de question qu'elle se contente de devenir l'ouvrière agricole de Pierre sans le moindre diplôme en poche. Elle allait donc pousser ses études jusqu'au BAC même si elle avait accumulé beaucoup de lacunes à cause de ses nombreuses absences au collège. Aussi un professeur à domicile l'aiderait-il cet été-là à les compenser pour lui offrir d'attaquer la seconde plus sereine.
Alex quant à lui avait réussi à intégrer une seconde technologique sur La Rochelle, ce qui aurait été sa classe s'il était entré comme prévu au lycée de Pons. Le choix d'une branche plus professionnelle plaisait à Pierre, qui privilégiait naturellement les métiers manuels, toujours susceptibles de nourrir leur homme. En vérité, le garçon n'avait pas eu le courage de confronter son talent naissant à l'étude de vrais auteurs et à d'autres aiguisés de la plume plus doués que lui et susceptibles de le décourager. Seulement, il n'excellait ni en maths ni dans les matières technologiques. Ce n'est de ce fait qu'au prix d'efforts soutenus qu'il parvint à boucler une première année de ly-cée passable.
Avec de meilleures moyennes dans les matières générales, il surprit ses professeurs par son entêtement à opter pour l'électrotechnique. Là encore, il ne suivait cette voie que parce que ses rares amis l’avaient choisie, quoique sans grande conviction eux non plus. C'était une fine équipe surtout portée par l'envie de profiter les uns des autres et de faire la fête, comme si une guerre menaçait et qu'à tout moment le monde pouvait partir en vrille. Aucun d'eux ne songeait sérieusement à l'avenir ni à un quelconque plan de carrière. De toute façon, le chômage élevé et la situation économique ne laissaient guère espérer de réelle stabilité professionnelle.
Parmi eux, Alex arrivait à se canaliser et suivre ses cours. D’écouter leurs blagues potaches et de faire partie de leur monde, le temps passait un peu plus vite. Il vivait son histoire d'amour épistolaire et s'il participait à leurs soirées et leurs délires, c’était bien parce qu'aucune technologie ne pouvait lui permettre d'être plus proche de Sarah que la voie postale. Grâce à eux cependant, les trois années séparant l'adolescent de sa majorité passèrent assez vite. La jeune fille avait quant à elle brillé à ses examens, de se découvrir contre toute attente un penchant pour l'Histoire et la science politique.
Hélas lorsqu'il put la rejoindre, Alex qui avait quitté une adolescente vivante et remplie de rêves ne retrouva qu'une jeune adulte à bout de forces. Furieux, il accabla à tort les Davril d’avoir laissé leur enfant péricliter au lycée, de toujours faire passer leur ferme avant leur fille. Il s’acharna à dégoter un logement pour emménager avec Sarah, trop campé sur ses positions pour rester sous le même toit. En définitive, si les caprices du destin devaient le préparer à vivre sans elle et si ces trois ans de séparation auraient dû lui rendre sa mort plus supportable, il est indéniable que le premier sentiment amoureux d'un garçon reste le plus fort. C'était présumer de la pureté de leur lien que de croire Alex capable de renoncer à Sarah.
Ils s'installèrent donc dans un petit meublé sans prétention dès l'été 1996, près de Nérac. Ils eurent un automne magnifique. Alex, qui avait trouvé sans peine du travail en intérim, offrit des week-ends inoubliables à son amour. Hélas, la maladie ne laissa guère de répit à la jeune femme qui poursuivait ses études à domicile, bien incapable d'assumer la charge d'un travail. Elle regrettait évidemment de finir ses jours aussi loin de ses parents adoptifs. Ceux-ci restaient ses héros dans son cœur. Elle espérait même venir à bout de la colère nourrie par Alex à leur égard. Par amour pour lui, elle avait accepté cette distance qu'il avait placé entre eux, mû par des sentiments trop forts pour ne pas le rendre déraisonnable, pour ne pas dire borné.
De guerre lasse, elle se raccrochait au téléphone pour parler à sa mère, qui souffrait elle-aussi de ces quatre cents kilomètres de distance. L'éducatrice jugeait quant à elle qu'Alex leur faisait payer ainsi de ne pas avoir insisté davantage pour le garder auprès d’eux trois ans plus tôt. Elle ne leur en tenait donc pas vraiment rigueur. Ils étaient si jeunes. Ils en avaient tellement vu déjà. C’est le lot d’être parents de voir les petits quitter le nid, se répétait-elle souvent. Sarah avait toujours voulu vivre le plus normalement du monde. C’était donc dans l’ordre des choses. Pierre quant à lui n'avait pas les mots pour décrire ce qu'il ressentait et les bougonneries dont il se rendait coupable ne traduisaient jamais que le manque de ses enfants à la maison.
Cela dit, cette distance ne déplaisait pas à tout point de vue à Sarah, consciente de l’évolution de son état. Elle nourrissait un projet qu'elle n'aurait pas su mettre en œuvre à la ferme Davril. Elle ne voulait pas que le foyer de son enfance porte la trace d'autre chose que de souvenirs heureux.
Alex fête ses dix-neuf ans ce soir du 22 avril. Depuis le début de l'année, il entend le souhait de Sarah d'en finir avant de devenir dépendante d'une machine pour respirer, de vivre dans l'attente hypothétique de recevoir le cœur ou les poumons d'un autre. Elle estime avoir le droit de renoncer, après tant d'années d'efforts, malgré tout le bonheur qu'ils partagent ensemble. La douleur prend peu à peu le pas sur sa capacité à profiter de la vie. Le moindre geste du quotidien deviendra bientôt une épreuve. C'est juste au-dessus de ses forces de se voir décliner ainsi. Il n'est plus temps de se voiler la face. Elle a regardé les choses en face, sans fard. Il faut respecter son choix et la laisser s'en aller.
S'il fait dans un premier temps la sourde oreille, il ne conteste pas sa décision. Enfin il lui demande de l'accompagner dans son dernier voyage. Il a vécu trois longues années séparé d'elle et tout ce qui l'a motivé à mettre un pied devant l'autre chaque matin était de partager à nouveau sa vie, ne serait-ce qu'une poignée de jours, comme à l'époque de leur fugue. Ils avaient eu plusieurs mois. C'était proprement inespéré pour lui. Elle rejette d'abord en bloc son idée, lui vante sa jeunesse et une santé dont elle n’a jamais joui, sa chance de pouvoir vivre des choses auxquelles elle n'a eu le droit que de rêver. Elle met en avant ses talents, qu'ils soient littéraires ou humains, son don unique de capter le ressenti des gens. Justement, sans elle, cette dernière aptitude ne se manifeste presque pas. Il se voit donc condamné à vivre à moitié, où qu'il aille, quelles que soient ses fréquentations futures. Jamais il ne retrouvera une telle connivence avec quelqu'un d'autre. Ils débattent de longues heures avant que, de guerre lasse, elle lui concède qu'il ne saura vivre sans elle à ses côtés. Le jeune homme notera plus tard dans son journal intime que ce soir-là, elle guettait longuement quelque chose ou quelqu’un par la fenêtre de leur cuisine. Y cherchait-elle un signe pour justifier ce qu'elle s'apprêtait à faire ? Un pardon qui sait ? Il n’a pas su le dire sur le moment.
Ils font l'amour une dernière fois, boivent tout ce qu'ils peuvent pour se donner le courage nécessaire d'aller au bout, ensemble. Ils énumèrent leurs regrets les plus amers, de n'avoir pas eu d'enfant ni la chance d'avoir construit un vrai nid construit à deux, au-delà de ce petit meublé. Alex avale avec une confiance aveugle la quantité de somnifères qu'elle lui donne. Elle prend sans tarder le reste des cachets. Rhabillés, ils s'allongent l'un à côté de l'autre, sur leur lit refait. Il ne faut pas donner l'impression d'avoir agi sur un coup de tête. Le sommeil gagne bientôt le jeune homme, sournois, pesant, implacable. Malgré un sursaut d’entendre une porte claquer au loin, les yeux remplis de larmes, Alex perd connaissance le premier, son regard de jais plongé dans le vert émeraude des yeux de Sarah Davril.  
17 mai 1997
Lorsque Pierre récupère Alex à la gendarmerie de Nérac, il a du mal à le reconnaître de prime abord. La barbe épaisse, quelques mèches décolorées, les vêtements sales voire craqués par endroits, il ressemble davantage à un clochard qu'au jeune homme encore présentable qu'il retrouvait à l'hôpital le lendemain de sa tentative.
Sarah ce soir-là avait obtenu ce qu'elle souhaitait. Elle était partie sans douleur, s'était-on attelé à lui répéter. Il ressortit lui-même ce poncif au jeune électronicien lorsqu'il se rendit à son chevet. De là, les funérailles furent célébrées en Charente, où repose désormais la jeune femme. De n’y voir que du folklore sans le moindre rapport avec les goûts et les rêves de celle qu'il avait perdue, Alex repartit dès le lendemain en train à Nérac, sous prétexte de devoir préparer son départ du Lot-et-Garonne. Vivre seul dans une ville qu'ils avaient adoptée à deux était désormais intolérable. Il paraissait trop bien, trop posé pour ne pas éveiller de soupçon. Cependant les Davril n'osèrent pas lui faire part de leur inquiétude à son sujet, pour se contenter de lui proposer leur aide s'il la souhaitait.
Seulement au lieu de mettre ses affaires en ordre, Alex se laissa submerger par le chagrin. Il ne reprit pas le travail, ne régla plus ses factures. Il traîna en boîte de nuit à boire jusqu'à ne plus savoir mettre un pied devant l'autre, à se réveiller quasiment là où les videurs l’expédiaient la veille. Il recommençait alors son manège ailleurs jusqu’à écumer des endroits de plus en plus louches. Le soir de sa garde à vue, il fut tout juste capable de feinter ne pas savoir que son dernier « pote de virée » était un dealer notoire. Celui-ci le tannait pourtant sans vergogne de prendre de quoi voir la vie en mieux, dans un genre blanc et poudreux. Ce n'est toutefois qu'à partir du moment où il se voit dans le regard de son beau-père qu'il réalise qu'il ne peut pas continuer ainsi.
Il ne peut s'empêcher de repenser à son bref retour à la maison après leur fugue d’adolescents. C'étaient déjà les forces de l’ordre qui « organisaient » leurs retrouvailles. La même tristesse, la même mine inquiète. Pour l'orphelin, le regard de Pierre a gardé énormément d'impact sur sa façon de se comporter, ses goûts comme ses choix. De ne susciter qu'un mélange de déception et de souffrance chez lui provoque un électrochoc salvateur au garçon qui suit son ancien tuteur sans mot dire jusqu'à sa voiture.
La route du retour est longue. L'adulte respecte le silence d’Alex, convaincu qu'il trouvera les mots plus tard ou à défaut, l'attitude. Il met donc la radio pour leur tenir lieu de conversation. L'électrotechnicien serre entre ses mains la couverture noire de son carnet, ce journal intime où Sarah inscrivait ses derniers mots. Hormis son portefeuille, c’est la seule chose qui ne le quitte pas.
Lorsqu’il avait décidé d'en tenir un, peu après son retour à La Rochelle, elle avait suggéré que ce serait bien qu'il recèle leurs meilleurs moments pour leur donner du courage lorsqu'ils traverseraient une épreuve. Ils avaient clairement présumé du pouvoir des mots. Sarah y rédigeait toutefois un poème à son insu, la veille de sa mort. Elle avait prévu qu'il faudrait ruser avec lui pour qu'il accepte à la fois de la laisser partir et de se réveiller le lendemain matin. Et ce ne sont guère que ces quelques strophes qui l’ont empêché de retenter sa chance du haut d’un pont ou dans le mauvais dosage d’un shoot.  

Tu as balayé ces châteaux de cartes auxquels je croyais
Et je t’ai détourné des rêves dont tu jouais les jeux, ailleurs.
Nous avons joui de ce que la vie avait de meilleur
Des papillons, des rires d’enfant, notre rivière et les forêts.
Rien ne te destinait à moi, ni moi à toi ou si peu.
Ensemble pourtant, nous avons trouvé notre idéal.
Mais on n’a jamais vu de printemps durer quatre saisons,
Encore moins la vie prendre le pli d’un amour trop parfait.
Ne pleure pas, mon amour, je ne fais que m’éloigner un peu.
Tu trouveras j’en suis sûre, quelqu’un pour te faire oublier…
Ta petite Sarah.


Finalement, le carnet entrouvert, il feuillette ses propres pensées, avant d’aviser un stylo dans le vide-poche, entre deux jetons de chariot et un paquet de chewing-gums.

« Mon cœur en ta présence s’est allégé de blessures vaniteuses qu’on porte parfois pour se prouver qu’il bat encore. Tu m’as fait découvrir que les petites tortues  peuvent avoir des ailes et ne peser guère plus que les fleurs qu’elles butinent, tandis que le tabac d’Espagne5 est sûrement le moins dangereux pour la santé. »
(...)
« Ma vie ne s’est pas arrêtée là. J’ai rouvert les yeux sur le plafond blanc de notre chambre, étrangement soulagé, étrangement étranger à mon corps si longtemps oublié. Libéré du poids de la douleur physique, je ne garde qu’une plaie béante à l’âme. »
(...)
« J’ai perdu celle que je chérissais le plus sur Terre. Mon cœur a revêtu des allures de forteresse où tu reposeras en paix, mon amour. Rien ne saura plus troubler mon âme. Car à regarder trop près une étoile, on est ébloui au point de ne plus voir autre chose. »

Il inscrit finalement :
« Pierre m’a repêché à la gendarmerie dans un état lamentable. C'est dingue comme son regard sur moi peut encore avoir de l'impact. En un seul coup d’œil, il m'a traduit à quel point Sarah serait déçue de me voir ainsi. Je m'attendais à ce qu'il bougonne, me reproche la drogue, l’alcool, la clope. Quelque chose… Son silence dépasse de loin tout ce que je pouvais craindre. Il m’a proposé de rentrer à la maison. Je l’ai suivi, incapable de discuter même si, au fond, je ne mérite pas cette main qu’il me tend toujours aujourd’hui.
Est-ce la fatigue ou le chagrin ? Je ne saurais décrire avec précision ce désœuvrement qui me paralyse et m’empêche de penser. Est-ce cela qu’on appelle mélancolie, ce décalage avec la réalité, cette poursuite languissante d’une vie privée de lumière ? Ce souffle et ce cœur qui luttent en vain ? Je me sens si las de tout, de ce monde en mouvement, agaçant de futilité là où je ne suis plus qu’inertie et désespoir.
Quel avenir peut mériter que je sois resté en vie ? Qu’est-ce qui pourrait bien justifier que je me lève, que je me rase et me conduise comme tous ces gens qui se pensent si uniques, indispensables même alors qu’ils sont tout aussi vains et éphémères que moi... »

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Résumé :

Quand Nathalie Lesage, commandant à la PJ de Lyon, reçoit un appel au secours de l'un de ses amis, elle n'hésite pas une seconde et part aussitôt pour Albi afin de l'aider à retrouver sa jeune sœur. Une banale disparition qui, très vite, va se transformer en course-poursuite, jonchée de cadavres et de mystères : un dangereux et insaisissable « Monsieur Étienne », une obscure école de magie, d'étranges disparitions…

Mon avis :

Tout d’abord, je tiens à remercier les Éditions Taurnada pour leur confiance, et de m’avoir permis de découvrir ce roman au résumé attractif.

Pour avoir dévoré les précédents ouvrages de l’auteur, pour les plus curieux, mes chroniques ici : Une arête dans la gorge,      La quatrième feuille
Il n’est pas indispensable d’avoir lu les précédents pour appréhender son petit dernier ; vous ne pourrez juste pas apprécier l’évolution des personnages principaux.

Dans ce dernier opus, nous retrouvons donc avec plaisir la coriace et indépendante Nathalie Lesage, qui, pour une fois n’est pas coutume, va nous laisser entrer dans sa vie privée. La jeune femme, marquée par de nombreuses blessures, s’est encore endurcie et reste mobilisée plus que jamais à rendre justice aux nombreuses victimes.
C’est pourquoi, lorsqu’elle reçoit l’appel désespéré de Samir, sa détermination à résoudre cette enquête grimpe à son paroxysme. Comment refuser d’aider son meilleur ami et anciennement ex-amant dont la petite sœur Louna a mystérieusement disparu ?
Sans se poser davantage de questions, notre enquêtrice pose les quelques jours de congés qu'il lui reste, quitte précipitamment Lyon et vole littéralement à son secours afin de l’aider dans ses recherches. Certes, elle est hors de sa juridiction, mais comme la gendarmerie ne semble pas se préoccuper de ce cas, elle va s’empresser de le rejoindre pour mener sa propre enquête en sous-marin.
Sauf que, notre commandante a-t-elle bien pris conscience de la où elle va mettre les pieds ?
Ces quelques lignes posées, le ton est donné ; notre curiosité est piquée au vif ; les questions taraudent notre esprit en ébullition.
Où est Luna ?
Que s’est-il passé lors de cette dernière soirée ?
A-t-elle fait confiance à des personnes peu scrupuleuses ?
Est-elle tombé dans un piège ?
Louna a-t-elle été enlevée par un réseau de trafics d’humains, traite des blanches ou pour une autre raison ?
À l’image de nos protagonistes , nous voici plongés, happés, enferrés au cœur d’une intrigue complexe mais fascinante à la manière d’un puzzle macabre, dont les pièces ont bien du mal à s’imbriquer.
Au fil de découvertes de plus en plus troublantes et abominables, on ressent de plus en plus l’urgence de la situation. Il faut vite retrouver Louna, avant que l’abominable se produise.
Opiniâtre et résolue, Nathalie, son fidèle coéquipier Cyrille, ainsi qu'une vieille dame, Lucie Dubrac dont la petite fille a également disparu depuis de nombreuses années, vont œuvrer pour faire jour sur cette affaire au péril de leur vie ; leurs recherches les mèneront aux portes d'une école de magie en pleine ville d'Albi, ainsi que sur les traces d’un châtelain peu scrupuleux.
En parallèle de l'enquête, nous nous retrouvons aussi en compagnie de victimes enfermées dans des conditions assez particulières, bien déterminées à fuir cet enfer.
qui sont-elles ?
Quel est le rapport avec l’enquête en cours ?

Dans ce récit addictif, tout le monde sera mis à rude épreuve. Des indices, des doutes, des incertitudes, des fausses routes, des tortures de toute nature…il sera difficile de défaire les nœuds de cette affaire sans y laisser quelques plumes.
Pourquoi malgré nombre d’informations rassemblées, la police semble-t-elle toujours aussi inerte ?
Peut-être des personnes influentes et protégées sont-elles impliquées ?
Peut-être ne souhaitent-elles pas qu’on fouille dans leurs affaires, et qu’on mette à jour un trafic sexuel peu recommandable ?
Grâce à une écriture tantôt fluide et percutante, tantôt acérée et entraînante, nous faisons corps avec les personnages. Fort bien campés, attachants ou détestables, ils servent parfaitement le récit. Nous tremblons pour eux, apprécions leurs actions, ou condamnons certains de leurs comportements abjects… bref, l’immersion est totale. Les chapitres sont courts et rythmés. Les pages défilent à toute allure et on veut savoir, connaître le chemin que veut nous faire emprunter l’auteur.
De rebondissements en rebondissements, de fausse piste en fausse piste, nous retenons ainsi notre souffle, jusqu’au dénouement final inattendu.
Retrouver Nathalie fut un vrai plaisir, et l’incursion dans sa vie personnelle apporte une profondeur supplémentaire, montrant une facette de sa personnalité extrêmement appréciable.
Vous l’aurez compris, j’ai beaucoup aimé ce thriller intense et bien rythmé, la plongée au cœur d’un univers méconnu et peu abordé, sans oublier la qualité de l’intrigue et la manière dont elle a été menée.
Alors, si vous aimez les romans qui sortent des sentiers battus, de ceux qui vous secouent, vous glacent le sang ou vous révulsent tout en vous faisant réfléchir sur les travers de l’espèce humaine…. foncez, ce livre est fait pour vous ; vous passerez un excellent moment de lecture :pouceenhaut:

Ma note :

:etoile: :etoile: :etoile: :etoile: :etoilegrise:



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Comme le jour et la nuit-Nos différences-T3 de Marjorie Levasseur



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Prologue

Adam

Après avoir observé pendant plusieurs minutes le ballet des pompiers allant et venant entre leur camion et le bâtiment en échangeant leurs directives, je constate avec soulagement que le feu s’éteint paisiblement. Le début d’incendie n’a heureusement pas eu le temps d’occasionner trop de dégâts au petit chalet scindé en deux logements distincts que monsieur Fouchet me loue pour moitié à un prix défiant toute concurrence.
L’inconvénient avec la mitoyenneté, c’est que vous n’avez pas la moindre intimité, enfin… tout dépend du voisin — ou de la voisine, en l’occurrence.
Je pourrais m’y habituer, après tout ma vie est un long fleuve tranquille qui ne captive pas les foules. Mais lorsque l’on vit à côté d’une folle dangereuse à deux doigts de mettre le feu à un chalet entier avec un simple bâton d’encens — on se demande bien comment elle a fait son compte — il est bien difficile de rester serein. À côté d’elle, mon ancien voisin, monsieur Guillermin, qui était pourtant un vieux grincheux acariâtre, était d’un reposant !
J’habite Chamonix depuis toujours. Je n’ai quitté ma ville natale qu’afin de poursuivre mes études à Grenoble pour devenir professeur. Depuis tout petit — si tant est que j’aie été, un jour, de petite taille — j’aime le bon air et le calme de nos montagnes, les sites à couper le souffle et la bienveillance des gens que j’ai côtoyés pendant toute ma vie. Je suis un Haut-Savoyard pur et dur, soucieux de la nature. Je n’aurais donc pas souhaité la voir partir en fumée. Comme le chalet est à deux pas d’un bois, nous avons vraiment frôlé la catastrophe.
J’observe de loin ma voisine se faire gentiment houspiller par l’un des pompiers. Avec le regard de Chat Potté qu’elle lui sert — un regard ourlé de longs cils blonds fardés de mascara — je me doute qu’elle essaie de l’amadouer en lui affirmant, la bouche en cœur, que « Juré, elle n’utilisera plus jamais d’encens ». Et vu le sourire que ce soldat du feu lui rend, le numéro de charme semble bien fonctionner.
Je lève les yeux au ciel. Quand je les repose sur elle, les siens m’envisagent d’un air moqueur. Elle est jolie et elle le sait. Et elle n’ignore pas que son charme me fait, à moi, autant d’effet que du mercurochrome sur une jambe de bois. Son air enjôleur me laisse de marbre. Je préfère rester aussi loin que possible d’elle et des problèmes qu’elle est susceptible de créer. De ME créer.
Depuis qu’elle a emménagé de l’autre côté du mur, je me suis juré de ne jamais, ô grand jamais, baisser ma garde. Cette fille me rend déjà complètement dingue quand je la tiens à distance, je n’ose imaginer ce qu’il adviendrait de moi si je la laissais s’engouffrer, ne serait-ce que de quelques pas, dans ma sphère intime.
Non, je préfère ne pas y penser…

Chapitre 1

Adam

Quand un voisin déménage, c’est comme lors d’une rupture. On sait ce que l’on perd, mais le mystère demeure sur ce qui nous attend. J’exagère à peine ! Monsieur Guillermin était le locataire de monsieur Fouchet depuis plus de dix ans lorsque j’ai investi mes quartiers. S’il n’était pas particulièrement aimable, au moins était-il discret. Je n’ai jamais eu à m’en plaindre et je crois pouvoir dire que la réciproque était vraie.
Moi qui aspire au calme et à la tranquillité lorsque je suis chez moi, j’ai vraiment joué de malchance le jour où cette blondinette ridiculement petite — sans discrimination aucune, tout me paraît ridiculement petit du haut de mon mètre quatre-vingt-dix-huit — est venue s’installer à côté. Depuis qu’elle vit dans l’autre partie du chalet, je n’ai pas souvenir d’avoir dormi une seule nuit complète ou pu profiter d’un répit pour faire une microsieste, sans être réveillé en fanfare.
Quand elle est chez elle, elle écoute de la musique à toute heure du jour et de la nuit. Et ses goûts en la matière sont particulièrement éclectiques : de Mozart à NTM en passant par Céline Dion, tout y passe. Pour le plus grand malheur de mes oreilles. Moi qui ne jure que par Led Zeppelin, les Pixies ou encore Radiohead, je suis servi !
De plus, j’ai une voisine particulièrement expansive. Que ce soit lors des fêtes qu’elle organise une à deux fois par semaine et durant lesquelles elle braille comme une forcenée pour se faire entendre par ses invités, ou ses parties de jambes en l’air avec des apollons au regard de braise, la demoiselle est la personne la plus bruyante que j’aie eu l’occasion de côtoyer. Et je m’en serais bien passé… Depuis que miss Casta vit à côté, ma vie est devenue un véritable enfer…
Miss Casta… Et dire qu’elle n’est même pas venue se présenter quand elle s’est installée ! Si je n’avais pas eu la curiosité de regarder sur sa boîte aux lettres, je serais encore en train de m’interroger sur son nom de famille. Par contre, aucun prénom : c’est Mlle Casta. Point. Une adepte des ouvertures de chakra sur fond de musique bizarre et de bâton d’encens brûlé. Quand elle est chez elle — parce que cela lui arrive de s’absenter de son domicile pendant plusieurs jours. Et dans ce cas, je suis le plus heureux des hommes : enfin tranquille !
Malheureusement, cela n’arrive pas aussi souvent que je le voudrais. Je ne sais pas trop dans quel domaine elle travaille. J’ai déduit de ses absences habituelles à l’heure du déjeuner et à celle du dîner jusqu’à son retour entre 23 h et minuit — du moins quand je suis en week-end ou pendant les vacances scolaires — qu’elle devait occuper un emploi dans la restauration ou quelque chose dans le même genre.
Non, je n’épie pas ses allées et venues. Pas le moins du monde. Elle fait juste un tintamarre du diable quand elle part de son domicile ou y revient : elle adore claquer les portes. Je pourrais tout à fait lui rendre la pareille, mais ce n’est pas mon style. Si un jour les choses dérapent, je ne veux pas qu’on ait quoi que ce soit à me reprocher. D’ailleurs, quand on y pense, ce début d’incendie, c’est déjà un sacré dérapage et j’avoue que lorsque je me suis retrouvé face à elle, après avoir senti l’odeur de brûlé venant de son logement, j’ai perdu mon sang-froid. La peur aidant, sans doute, les mots sont sortis tout seuls de ma bouche. Des mots qui ne font, d’habitude, pas partie de mon vocabulaire, surtout quand je m’adresse à une femme. Mais là, je suis parti en cacahuète, je l’avoue !
J’ai bien vu qu’elle tentait de s’excuser et de me calmer en m’affirmant que ce n’était pas grand-chose et qu’elle avait prévenu les pompiers qui n’allaient pas tarder à prendre les choses en main, mais j’étais trop énervé pour l’écouter. Cet accident, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Qu’elle écoute sa musique trop fort et qu’elle ait l’orgasme bruyant passe encore, mais qu’elle fiche le feu à mon domicile, non. Elle a dépassé les bornes !
Après ça, nos relations de voisinage — si rares soient-elles — ne vont pas aller en s’améliorant, j’en ai conscience. Et dire que mon pote Maxime m’a conseillé il y a peu de mettre de l’eau dans mon vin, d’essayer de prendre les choses avec philosophie… Avec philosophie ! Il en a de bonnes ! On voit bien que ce n’est pas lui qui vit à côté d’une folle furieuse, apprentie pyromane de surcroît !
Non, lui, il a carrément emménagé avec sa voisine ! Maxime a rencontré Marie il y a un peu plus d’un an et demi lorsqu’elle est venue s’installer dans l’appartement situé sur le même palier que le sien. Depuis, leur histoire a évolué de façon plus intime. Malgré leurs onze années d’écart, ils sont tombés amoureux. Ils ont quitté leurs domiciles respectifs et vivent à présent dans un logement plus grand avec Antonin, le neveu de Max, et Rambo, le chat de Marie. Ils nagent littéralement dans le bonheur. Après qu’il a perdu sa sœur dans un accident tragique et qu’il s’est vu confier la garde d’Antonin du jour au lendemain, l’obligeant ainsi à quitter la Haute-Savoie où il enseignait, je me suis fait du souci pour lui. Mais même si sa présence me manque parfois, je suis vraiment heureux pour mon vieux pote.
Moi, ce genre de chose n’est pas près de m’arriver. Tomber amoureux de ma voisine, je veux dire. Je ne désespère pas de trouver un jour la femme de ma vie, mais celle-ci n’est certainement pas la fille déjantée qui vit à côté de chez moi. Je connais très peu de choses sur elle, mais je suis à peu près certain que nous ne pourrions pas nous supporter si nous devions cohabiter. C’est déjà difficile avec un mur entre nous…

Chapitre 2

Mlle Casta

Adam Périllat…
J’ai bien cru qu’il allait m’arracher les yeux ! Quand il est apparu sur le seuil de ma porte, les traits déformés par la colère — ou la peur ? — et les yeux fous, à travers la fumée produite par l’embrasement de mes rideaux, j’ai cru voir Lucifer sortir des flammes de l’Enfer ! Je n’ai pas arrêté de m’excuser, mais cette armoire à glace aux allures de Mr. Propre ne veut rien entendre. Ce n’est pas de ma faute si le bâton d’encens que j’ai allumé a mis le feu au rideau. C’est à cause d’un courant d’air…
C’est bien la première fois que je le voyais s’énerver, lui qui n’a jamais eu un mot plus haut que l’autre, toujours placide et sans saveur. C’est presque dommage… s’il affichait un sourire sur ses lèvres, je suis certaine qu’il serait charmant. Mais voilà… chaque fois qu’il me croise, il prend son air renfrogné et marmonne dans sa barbe… Au sens propre comme au sens figuré, même si elle n’est pas bien fournie, juste un collier de poils bruns qui accentue le carré de sa mâchoire et une légère moustache. Ses yeux couleur chocolat me fusillent dès qu’ils en ont l’occasion…
J’ai longtemps été tentée de croire que ce mec devait être d’un ennui mortel jusqu’à ce que j’entende du rock résonner dans son appartement. Du rock… On est forcément un peu exubérant quand on écoute ce genre de musique, non ? En tout cas, c’est le cas de mon père qui ne jure que par ce style musical. D’ailleurs, le rock’n’roll a fini par m’écorcher les oreilles avec les années… Ou sont-ce juste les conséquences qu’a eues le statut de bassiste de mon paternel sur ma vie qui ont provoqué cette aversion ?
Bref… comme je n’avais pas envie de profiter des goûts musicaux discutables de mon voisin, je me suis mise à mettre ma sono à fond. OK, ce n’est pas très sympa — il n’y est pour rien dans mon désamour du rock — et certainement pas très civilisé, c’est d’ailleurs peut-être l’une des raisons qui ont tué notre relation de voisinage dans l’œuf, mais je n’en pouvais plus. Oh, ce n’est pas que le volume était haut, non, pas du tout, pour ça Adam Périllat est plutôt respectueux des autres — contrairement à moi — c’est juste… Enfin voilà, quoi !
Après ça, je n’ai plus jamais entendu la voix de Mick Jagger à travers le mur qui sépare nos deux logements. Je ne pense pas qu’il ait arrêté d’écouter les Rolling Stones, mais sans doute a-t-il opté pour l’utilisation d’un casque. En tout cas, il ne m’a jamais fait la moindre remarque… D’ailleurs, cette absence de réaction m’horripile tellement que j’en fais deux fois plus, histoire d’obtenir ne serait-ce qu’un frémissement de mâchoire, un reproche déguisé… J’organise des fêtes, invite mes conquêtes à dormir chez moi, en m’exprimant le plus bruyamment possible dans les deux cas. Rien n’y fait.
On pourrait se demander pourquoi je mets tant d’énergie à essayer d’énerver mon voisin. Je crois qu’en tant qu’actrice — je n’en fais pas mon métier, ce ne sont pas les quelques représentations mensuelles à la MJC de Chamonix qui assureraient ma subsistance — j’ai besoin d’attirer l’attention sur moi, et son indifférence à mon égard me perturbe. Je suis loin d’être moche, tous les hommes que j’ai eus dans ma vie n’ont eu de cesse de me dire que j’étais, je cite, « un joli petit lot ». Mais Adam Périllat semble complètement hermétique à mon charme naturel. Je vais finir par penser qu’il n’aime pas les femmes… Enfin, quelle importance après tout ? Musclor et moi n’avons absolument rien en commun, j’en suis persuadée.
Rien que ça, tiens… Ses gros biceps. Je suis certaine qu’il passe des heures à soulever de la fonte, certainement face à un miroir d’ailleurs, comme tous les body-buildés. Moi, mes seules activités physiques se limitent aux trente minutes de vélo que je fais pour me rendre à la brasserie où je travaille comme serveuse et en revenir, et aux galipettes auxquelles je m’adonne avec mes amants occasionnels — galipettes, soit dit en passant, qui ne me font pas brûler énormément de calories tant je m’ennuie.
Bref, Adam Périllat et moi sommes totalement différents. Je suis sûre que c’est un maniaque de l’ordre et du contrôle. Il n’y a qu’à voir son côté du jardin avec ses haies impeccablement taillées, son gazon tondu une fois par semaine en été (tous les mercredis après-midi, sans exception). La vie de ce mec doit manquer cruellement de fantaisie. Il doit passer ses soirées à lire des pavés de plusieurs centaines de pages sur la Révolution française ou la physique quantique. Il ne reçoit jamais personne et sort très peu, sauf pour aller courir, faire ses courses ou se rendre à son travail — travail dont j’ignore les spécificités. Il doit être videur de boîte de nuit ou bibliothécaire… Oui, je sais, ce sont deux professions qui paraissent absolument aux antipodes l’une de l’autre.
Moi, je vis dans un joyeux bordel. J’aime le désordre, il n’y a que quand mon salon est sens dessus dessous que je retrouve les choses. Et puis, comme le dit une citation attribuée, à tort ou à raison, à Einstein : un bureau bien rangé est le signe d’un esprit dérangé. Je suis donc tout à fait saine d’esprit ! N’en déplaise à mon voisin qui a eu le culot de me traiter de folle ! J’ai été tellement abasourdie — ayant plutôt été habituée à son mutisme — que sur le coup, j’ai cruellement manqué de repartie. Depuis que les pompiers sont partis, je n’arrête pas de l’insulter… dans ma tête, évidemment. Mais ça me fait un bien fou !
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Mise en avant des Auto-édités / Re : Le serment de Angelo Casilli
« Dernier message par marie08 le dim. 26/03/2023 à 15:53 »
« Le serment » est le troisième roman de Angelo Casilli que je lis et je n’ai pas été déçue. Une fois de plus, l’auteur a placé dans son roman tous les éléments d’un excellent thriller. Très vite, j’ai été captivé par une intrigue aux rebondissements multiples et au suspense magistralement distillé au fil des pages. Le tout servi par la plume efficace, agréable et fluide de Angelo.

Dans ce dernier opus, qui se déroule un peu plus d’un an avant les terribles événements relatés dans « Le tueur invisible », nous retrouvons le commissaire Jack Lewis et sa fille, faisons connaissance avec sa femme et de deux de ses amis, des copains d’enfance, dont l’un est gendarme et l’autre vigile.

L’histoire : prenez un serial killer, surnommé l’étrangleur aux foulards par les médias, parce qu’il signe ses crimes en laissant sur ses victimes le foulard qui a servi à les tuer, mettez-le dans la même ville que Jack Lewis, confiez-lui alors l’affaire, et la chasse à l’homme commence.
Mais je n’en dirais pas plus pour ne rien spoiler.

Si vous aimez les thrillers où l’intrigue jongle avec rebondissement, suspense et émotion, ce roman est pour vous.
Quant à moi, je remercie Angelo Casilli pour m’avoir fait passer un excellent moment de lecture. 

https://www.amazon.fr/serment-Angelo-Casilli/dp/2956232126/ref=sr_1_1?crid=22DSH6T989IV8&keywords=le+serment+angelo+casilli&qid=1679837823&sprefix=le+serment+%2Caps%2C915&sr=8-1

 
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Bonjour à tous :)
Pour ouvrir cette nouvelle rubrique de « L’actualité des indés mise en avant », avec Le #ÇaMeDitDeParlerD1EvenementInde, il me paraissait indispensable de débuter par l’une des pionnières dans ce domaine ; je voulais parler de la talentueuse Fateah Issaad @fissaad auteure de plusieurs ouvrages fortement appréciés, avec la création de son génialissime « Marché de l’auto édition »

De quoi s’agit-il, cela s’adresse à qui ? L’instigatrice nous l’explique elle-même :

"Le Marché de L'auto Édition regroupe des auteurs indépendants sur un marché dans un café.
Chaque 1er dimanche du mois, 5 auteurs se réunissent sur la terrasse du Café le DEBUSSY de la ville de Maisons-Alfort sur un slogan simple : 1+1=PL1 (plein) seul on va vite, ensemble on va loin...
L'événement est gratuit puisque le café nous invite gracieusement, et les auteurs gèrent eux même leurs ventes.
Le concept s’exporte aujourd'hui dans plusieurs villes de France, géré par des auteurs indépendants.
un marché, des auto édités, des lecteurs, le merveilleux cocktail de l'écriture !"


Lien pour le groupe sur FB:
https://m.facebook.com/groups/1741812086085025/?paipv=0&eav=AfbsV1P-hUV3p-



Vidéo qui explique plus longuement le concept :

[youtube]https://www.youtube.com/watch?v=4vdvyZuBCyU&t=2s[/youtube]

Vous êtes dans la région ? Amis auteurs, n’hésitez pas à la contacter, elle se fera un plaisir de vous accueillir ;)


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Vous connaissez, voulez parler d’un événement, d’une manifestation, d’un salon ou tout autre chose où les Indés sont acceptés, mis à l’honneur ?

Le #ÇaMeDitDeParlerD1EvenementInde est fait pour vous :pouceenhaut: ^^

N’hésitez pas à me contacter par mail, en fonction de mon emploi du temps et des demandes, je me ferai un plaisir de relayer les initiatives qui mettent un coup de projecteur sur nos amis AE :clindoeil:

Procédure :
Petit topo qui explique l’événement, plus image de l’affiche.
Liens RS de l’instigateur, plus  groupe, vidéo ou lien du site du projet s’ils existent ^^
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Mise en avant des Auto-édités / Le serment de Angelo Casilli
« Dernier message par Apogon le jeu. 16/03/2023 à 16:51 »
Le serment de Angelo Casilli



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Citations


Quand les hommes choisissent de tuer des innocents pour parvenir à leur fin, il s’agit toujours de meurtres.                                   
   Elizabeth Anscombe.


La violence inassouvie cherche et finit toujours par trouver une victime de rechange.

   René Girard.


Prologue


  Non, ce n’était pas normal, rageait-il en tapant des pieds pour se réchauffer. Quelque chose clochait. Que pouvait-elle bien faire ? Cette attente prolongée près de l’étang de la Ballastière, non loin du domicile de madame Gauthier, n’était pas prévue au programme et il ne s’était pas vêtu cette fois en conséquence. Son imperméable gris, même boutonné jusqu’au cou, ne lui assurait pas une protection efficace contre ce froid d’automne. Seules ses mains gantées et bien enfoncées dans ses poches étaient épargnées par le froid. Il ressentait même une petite chaleur agréable. Ce n’était pourtant pas pour cette raison qu’il avait chaussé ses gants avant de sortir de son véhicule, mais pour ce qu’il s’apprêtait à faire. Éviter de laisser des empreintes sur les lieux de son passage était une mesure de sécurité indispensable à son activité, tout comme planquer sa Clio sur un parking à une centaine de mètres du lieu de son forfait. C’étaient encore pour les mêmes raisons que Brice avait choisi ce poste d’observation. Il pouvait surveiller le domicile de madame Gauthier tout en gardant une certaine distance pour ne pas attirer l’attention. Tout avait été soigneusement préparé, mais rien ne se déroulait comme prévu. Il était à deux doigts de tout laisser tomber.
  Même ce vent frais qui venait de faire son apparition semblait lui aussi s’être levé pour l’encourager à partir. Mais il n’était plus question pour lui de reporter l’opération à plus tard. Le temps pressait. On était vendredi et il ne pouvait pas s’offrir le luxe de patienter encore jusqu’à lundi. Ses dernières « visites » n’avaient pas été très fructueuses et ses maigres économies avaient fondu comme neige au soleil. Il lui fallait absolument se renflouer aujourd’hui s’il voulait manger. C’était une question de survie. C’était ainsi que Brice justifiait ses actes. À quarante-quatre ans, il avait déjà une solide expérience derrière lui. Ses surveillances répétées lui avaient appris que le couple ne possédait pas de chien, ce qui était un atout non négligeable. Les volets étant toujours fermés, ses repérages l’avaient aussi renseigné sur le matériel dont il devrait disposer pour forcer la porte à l’arrière de la maison. Il était fin prêt pour passer à l’action.
  Oubliant momentanément le froid, il se mit à rêver en observant cette demeure d’architecture moderne isolée des autres. Il espérait bien y trouver cette fois quelques billets ou autres objets de valeur qu’il pourrait revendre à bon prix. Perdue dans ses pensées, une autre image s’imposa malgré lui dans son esprit : celle du visage de madame Gauthier. Cette proximité régulière avec elle au fil des jours avait créé un lien indicible qu’il ne parvenait pas à chasser. Dès le premier regard, il avait tout aimé en elle, son élégance, ses attitudes, et dans sa manière de se déplacer. La classe à l’état pur. Le genre de fréquentation qu’un raté comme lui n’aurait jamais, se disait-il.
  Le vent frais le ramena à la réalité. De rage, il repoussa d’un geste violent son sac en bandoulière sur le côté et sortit pour la troisième fois la main de sa poche pour vérifier l’heure : quatorze heures trente. Elle aurait dû être sortie depuis un petit moment maintenant. Trois semaines, qu’il surveillait chaque jour ses habitudes et celles de ses proches qui ne se résumaient au final qu’à son mari. Elle faisait toujours à pied le trajet de son domicile à l’agence immobilière où elle travaillait et vice versa. Il connaissait ses horaires par cœur. Arrivée chez elle à douze heures dix, départ pour l’agence à treize heures cinquante avant de rentrer vers dix-huit heures dix. C’est cette dernière tranche horaire qui l’intéressait : le moment où elle repartait sur son lieu de travail pour l’après-midi. Pour ce qui était des horaires de son mari, il y avait peu de chance de se faire surprendre par lui. Il partait tous les jours tôt le matin et revenait en fin d’après-midi au volant de sa Mercedes-Benz CLS 320. Rien n’avait changé en deux semaines. Au point qu’il en était venu à limiter ses temps de présence ces derniers jours entre midi par sécurité. Il se contentait d’attendre qu’elle soit rentrée à son domicile avant de retourner dans son véhicule, puis revenait à treize heures trente-cinq pour la voir repartir à son travail.
  Ce n’est vraiment pas de bol, se disait-il, qu’elle décida justement aujourd’hui de modifier ses habitudes. Une réflexion s’imposait. Quelles que puissent être les raisons qui l’auraient poussée à sortir plus tôt, ça faisait son affaire, mais il devait aussi envisager la possibilité qu’elle soit toujours à l’intérieur. Avait-elle pris congé ? Était-elle malade ? Brice l’avait vue arriver à pas rapides et elle ne lui avait pas donné l’impression d’avoir une défaillance quelconque. Dans tous les cas, il devait maintenant s’en assurer et deux options s’offraient à lui : retourner à l’agence pour vérifier sa présence à travers la baie vitrée ou sonner à sa porte. La première représentant une perte de temps considérable, il opta pour la solution la plus rapide. Il trouverait bien un prétexte quelconque si elle venait à lui ouvrir. Cette pensée lui arracha toutefois une grimace. Ça sous-entendait qu’après s’être exposé, il devrait repousser l’opération de plusieurs jours pour se faire oublier, voire chercher une autre cible, ce qui était inenvisageable au vu des contraintes de temps liées à sa préparation. Il traversa la route en chassant cette idée de son esprit, puis monta les quelques marches qui menaient à la porte d’entrée et appuya sur la sonnette où était inscrit monsieur et madame Gauthier.
  Personne ne se manifesta. Il recommença plusieurs fois avec insistance avant de retourner à sa position initiale. Il jeta un dernier coup d’œil aux alentours pour s’assurer qu’il n’y avait personne, puis se rendit à l’arrière de la maison face à la porte. En sortant la perceuse sans fil de son sac, il se réjouit d’avoir choisi ce quartier tranquille aux habitations espacées. Il était conscient que malgré tous les soins apportés à préparer son coup, des surveillances aux repérages, en passant par les filatures, il restait une inconnue de taille : il ignorait si la maison était équipée d’un système d’alarme ; mais ça faisait partie des risques inhérents à son activité. Par chance, ce ne fut pas le cas. Après avoir percé le barillet, ce dernier n’opposa aucune résistance à s’activer avec un tournevis. Une fois à l’intérieur, l’absence d’odeurs d’un plat quelconque le conforta dans son idée que madame Gauthier était certainement partie se restaurer à l’extérieur. Guidé par sa lampe torche, il se retrouva dans le salon et resta immobile, à l’affût d’un son suspect indiquant une présence, tout en balayant la pièce du faisceau lumineux. C’était toujours le même rituel et la mélancolie le gagnait à chaque fois. Il s’imaginait être chez lui, affalé dans ce canapé d’angle au châssis en bois massif, face au téléviseur de dernière génération. Il n’en avait jamais vu d’aussi grand. À vue d’œil, il devait bien faire soixante-dix pouces. La bibliothèque en manguier massif attira tout juste son attention. La maison lui renvoyait sa condition sociale. Une vie minable dans un studio minable d’un quartier minable. Il soupira et porta son regard sur tout ce qui comportait des tiroirs. En bon professionnel, il les fouilla méthodiquement un par un. Sa patience fût récompensée, il trouva dans l’un d’eux une montre Monster de chez Seiko, surnommée ainsi en raison de ses lignes et ses formes brutes. Encore dans son écrin, Brice en déduisit que le mari ne devait la porter qu’à certaines occasions. Un sourire s’afficha sur son visage en l’estimant à plusieurs centaines d’euros. Tout en la faisant glisser délicatement dans la poche de son imperméable, il se voyait bien trouver encore quelques bijoux précieux dans les commodes d’une des chambres du haut pour compléter son butin. Il emprunta les escaliers et à mi-chemin, une porte ouverte sur sa gauche l’invitait déjà à entrer. Il s’avança jusqu’à l’encadrement avant de s’arrêter pour balayer lentement la pièce de sa lampe torche. Lorsque le lit se trouva dans le champ du faisceau lumineux, Brice resta quelques secondes figé dans cette position, puis fit le trajet inverse à reculons, manquant de justesse de dégringoler dans les escaliers. Quand il arriva en bas, il était déjà tout en sueur, la respiration haletante et les jambes flageolantes. Il devait quitter cette maison au plus vite. Si on le trouvait ici, il risquait une condamnation bien plus lourde qu’un simple vol par effraction. Il se dirigea précipitamment vers la porte arrière d’où il était venu, puis s’arrêta et se retourna, hésitant, déchiré par l’envie de fuir ou de prévenir quelqu’un. Non, il ne pouvait décemment pas la laisser comme ça. Brice était peut-être un voleur, mais pas un salopard. Bien qu’il n’y ait plus rien à faire pour madame Gauthier, il se devait de prévenir la police. Il épargnerait ainsi à son mari de faire l’horrible découverte. S’il appelait d’ici, on ne risquerait pas de remonter jusqu’à lui et il aurait bien le temps de filer. Il revint sur ses pas et se posta devant le téléphone fixe, la lampe torche calée sous son bras gauche. Il hésita encore un court instant avant de saisir le combiné et composer le dix-sept. Une voix féminine se fit entendre.
  — Allo ! Police secours, j’écoute.
  Au moment de répondre, Brice enleva d’un geste fébrile son gant gauche et le positionna sur le microphone du téléphone pour camoufler sa voix. Il prit une longue inspiration en secouant la tête. Il n’aurait jamais imaginé un jour alerter lui-même la police lors d’un cambriolage.
  La voix de son interlocutrice se fit plus pressante.
  — Allo ! Parlez, s’il vous plaît !
  — Écoutez-moi ! Une femme est morte. Elle a été assassinée à son domicile.
  — Que dites-vous ? Vous avez bien parlé d’un meurtre ?
  — Oui, un meurtre.
  — Vous avez été témoin de ce qui s’est passé ?
  — Non.
  — Que faites-vous à son domicile ? Vous êtes un proche de la victime ?
  Brice déglutit avant de répondre.
  — Non.
  Un silence en retour, court, mais éloquent, traduisait l’incongruité de la situation.
  — Bien, donnez-moi son adresse et attendez sur place l’arrivée des secours. Je vais vous demander également votre identité.
  — Écoutez, vous trouverez l’adresse à partir de ce numéro d’appel, lâcha-t-il avant de raccrocher.
  Il utilisa encore son gant comme d’un chiffon pour nettoyer le combiné, puis sortit la montre de sa poche et la posa à proximité du téléphone. C’était une façon symbolique pour lui de nier toute participation au meurtre. Il quitta ensuite la maison sans demander son reste.

  De retour dans sa Clio, Brice réalisa à peine ce qu’il venait de se passer. Il resta, il ne sait combien de temps, prostré devant le rétroviseur intérieur à observer son teint livide. Au loin, le son des sirènes le fit sursauter. Un regard sur sa montre lui indiqua quinze heures trente. Il patienta encore plusieurs minutes avant de démarrer son véhicule et quitter le parking pour rejoindre la grande route. Sur sa gauche, les gyrophares des secours et de la gendarmerie tournoyaient devant la demeure de madame Gauthier. Il s’apprêta à prendre la direction opposée, mais une force incontrôlable le poussa à repasser une dernière fois devant son domicile. Il ne pouvait s’empêcher de penser qu’il y a à peine quelques heures, elle était encore vivante, et maintenant on l’emmenait dans un sac mortuaire. Tout a basculé approximativement entre midi vingt-cinq et treize heures trente. Que s’était-il passé ? Sans pouvoir l’expliquer, la mort de cette femme qu’il avait côtoyée à sa façon pendant plusieurs jours l’avait affecté. Il commençait à culpabiliser d’avoir quitté son poste de surveillance. Il n’aurait peut-être pas pu la sauver, mais il aurait pu donner la description de son meurtrier à la police de manière anonyme.
  Il guetterait désormais la moindre information sur ce crime et ne trouvera la paix que lorsque son assassin aura été arrêté.
  Il aurait voulu avoir comme dernière image de madame Gauthier, celle d’une femme d’une élégance rare et à l’allure gracieuse. Mais au lieu de ça, c’était l’image d’une femme recroquevillée sur son lit, la tête tombante et les yeux exorbités, qui hantaient son esprit.
  Sa mort provoqua un déclic chez Brice. Il se jura d’arrêter son activité de cambrioleur avant d’accélérer et de quitter définitivement ce quartier.
 

Une journaliste ambitieuse

  Juin 2015

  Au siège de la N.T.A, une chaîne télévisée, la journaliste, Isabel Dupin, saisit le premier journal sur la pile qui trônait sur son bureau sans lâcher des yeux son téléphone « spécial » qui restait désespérément muet. Elle contrôla pour la énième fois le volume de la sonnerie pour s’assurer qu’il était bien au maximum. Elle attendait un appel de son correspondant anonyme sur le portable réservé exclusivement pour « lui ». Tout le monde savait au sein de l’entreprise de qui il s’agissait ou du moins tous ses collègues se doutaient de la fonction qu’il occupait : il était policier au commissariat d’Antalville. Pour son émission, « pleins feux sur le crime », qu’elle avait lancée il y a un an, elle avait besoin de matière première pour l’alimenter. Son objectif : être au plus près d’une scène de crime pour pouvoir intervenir en temps réel et filmer « l’évènement ». Qui mieux qu’un policier, étant toujours le premier sur les lieux, pouvait l’alerter rapidement ? Le bruit courait qu’elle y mettait les moyens. Ses assistants, Mathieu et Stéphane, connaissaient les consignes : être toujours sur les starting-blocks, caméra sur l’épaule, prêts à décoller, sinon la foudre s’abattait sur eux.
  Elle reprit la lecture du journal qu’elle tenait entre les mains et s’arrêta sur les gros titres : « L’ÉTRANGLEUR AUX FOULARDS VIENT DE FAIRE UNE NOUVELLE VICTIME À GRÂCEVILLE ».
  Pour la journaliste, c’était encore une occasion ratée de produire une émission sur le tueur en série. Grâceville était bien trop loin pour être rapidement la première sur place et elle ne connaissait personne susceptible de la prévenir.
  Ses collègues connaissaient l’ambition qui la dévorait. Mathieu et Stéphane lui rapportaient des médisances à son égard. Certains allaient jusqu’à prétendre qu’elle serait prête à payer l’étrangleur aux foulards pour venir « exercer » sur Antalville. Les mauvaises langues ont encore de beaux jours devant elles.
  Pour aujourd’hui encore, son téléphone ne sonnera pas.


Une vieille affaire

  Octobre 2016

  Je ralentis en me rapprochant de la demeure. Je tenais à arriver aussi discrètement que possible pour ne pas trahir ma présence et me laisser le temps de me mettre en « position ». Si j’avais pu couper le moteur et me laisser porter sur une pente douce, je l’aurais fait. J’aurais pu aussi, me direz-vous, arrêter la voiture bien avant d’arriver près de la propriété et faire le reste à pied. Mais paradoxalement, j’avais besoin de mon véhicule pour me faire entendre. Oui, je voulais que ce soit seulement à un moment précis pour que je puisse profiter pleinement de cet instant.
  J’ouvris lentement la portière et sortis du véhicule. Mon rythme cardiaque commença à s’affoler. La main posée sur la portière, je guettai la fenêtre du deuxième étage à droite. J’étais prêt à recevoir une décharge d’émotions. Le bruit que fit la portière en se refermant donna le signal.
  La raison, la seule qui donnait encore un sens à mon existence, apparut à la fenêtre lorsqu’elle s’ouvrit.
  — Papa ! Attends, je descends.
  Je sais, ça a un côté théâtral. Mais ça faisait trop longtemps que j’attendais ce moment. Près d’un an. Une éternité.
  Je ne saurai probablement jamais comment une jeune fille de dix-sept ans a pu se retrouver en bas en quelques secondes pour m’ouvrir la porte et se jeter dans mes bras. Pas plus que je ne comprendrai comment j’ai pu la délaisser pendant près d’un an. Je ne cherche pas d’excuses auprès des évènements tragiques qui ont bouleversé ma vie. J’aurais dû être présent auprès de ma fille après la disparition de sa mère et surmonter cette épreuve ensemble.
  Mais on ne peut pas réécrire l’histoire. On n’a pas le pouvoir de changer le passé, mais on a celui d’éviter de refaire les mêmes erreurs. Je retrouvais ma fille Jenny et c’était tout ce qui comptait pour moi maintenant. Elle était tout ce qui me raccrochait encore à la vie. Son étreinte me réchauffait le cœur. Je n’étais plus le commissaire Lewis, exerçant à la brigade criminelle d’Antalville et traquant les criminels, mais simplement un père.
  Une dame aux cheveux gris-argenté apparut sur le seuil de la porte en souriant. Pierre, mon beau-père, l’embonpoint bien prononcé, se plaça discrètement à ses côtés avant qu’elle ne se jette sur moi en m’embrassant chaleureusement.
  — Pourquoi n’as-tu pas appelé ? me demanda Martha en faisant référence à mon court séjour à l’hôpital. Nous serions venus te chercher.
  — Bah, je ne voulais pas vous déranger pour ça. Et puis, la Laguna a rendu l’âme.
  — Oh, peu importe. Nous aurions trouvé un moyen de passer te prendre.
  — Je n’en doute pas, Martha.
  — Oh toi, tu voulais faire la surprise à quelqu’un.
  Son regard fit rapidement un aller-retour en direction de ma fille. Ma belle-mère aussi attendait ce moment depuis longtemps de nous voir réconciliés.
  — Elle n’a pas arrêté de nous parler de toi pendant ces quelques jours et de ce qu’il s’est passé « là-bas ».
  — J’espère qu’elle ne vous a pas trop embêtée avec ça.
  — Mais non, penses-tu !
  Puis, elle rajouta en penchant la tête vers moi :
  — Tu es devenu son héros.
  J’échangeai un sourire complice avec ma fille qui avait bien sûr entendu.
  — Merci de t’être occupé de Jenny pendant mon séjour à l’hôpital, Martha. Je sais que je n’ai pas été très présent ces derniers temps, désormais tu nous verras plus souvent. Pour aujourd’hui, je te l’enlève encore, mais je te la ramènerai demain matin.
  — Ne te préoccupe pas pour ça. Il est bon que vous passiez beaucoup de temps ensemble.
  — Oui, mais pour demain matin, je vous ai préparé quelque chose.
  Je me tournai vers mon beau-père.
  — J’espère que tu seras là, Pierre ?
  — Bien sûr, Jack. Je peux bien laisser mes parties de belote de temps en temps.
  Martha ne ratait jamais une occasion de titiller son mari. C’était peut-être là le secret de longévité de leur couple. Un grand sourire s’afficha sur son visage et ajouta d’un ton enjoué :
  — Moi, je suis sûre qu’il sera là. Il veut surtout vous montrer sa nouvelle voiture. On va la chercher cet après-midi.
  Le visage de mon beau-père s’empourpra et il partit dans un éclat de rire tout en secouant la tête.
  — Je me sens beaucoup plus rassuré maintenant lorsqu’il va rejoindre ses amis sur Brennange, poursuivit Martha.
  — Je m’en doute. Je suis impatient de la voir. Donc, le programme de demain, ce sera resto et ensuite, petite balade sur la place des arts. Enfin, si ton genou le permet, Martha.
  — Oui, ne t’inquiète pas. Ça va beaucoup mieux maintenant.
  La place des arts. Pour beaucoup, elle était maintenant devenue synonyme de tragédie. Les terribles évènements qui s’y sont déroulés resteront encore dans les mémoires pendant longtemps. Mais pour ma part, elle sera toujours liée à un moment heureux de mon existence où nous y emmenions Jenny, Linda et moi, lorsqu’elle était petite.
  — À demain, mamie, fit-elle encore une fois en montant dans la voiture.
  Pendant qu’on s’éloignait, elle ne lâcha plus sa grand-mère des yeux jusqu’à ce qu’elle soit hors de portée de vue, puis elle se tourna vers moi.
  — Tu sais, papa…
  Elle marqua une pause. Je jetai un regard furtif dans sa direction.
  — Tu voulais me dire quelque chose ?
  — Après ce qui est arrivé sur la place des arts, j’ai pris conscience d’une chose.
  Je crois que je devinais de quoi il s’agissait.
  — Je n’imaginais pas à quel point tu exerçais un métier aussi dangereux.
  Je tentai de minimiser les risques inhérents à ma profession.
  — Bah ! Tous les métiers peuvent être dangereux, Jenny. Un accident est vite arrivé quand on n’est pas vigilant. Mais tu ne dois plus penser à ça.
  — Oui, mais pour toi, ce n’est pas pareil, tu traques les criminels comme cet affreux Apollon. Il aurait pu te tuer.
  Le ton de ma voix se radoucit.
  — Écoute ! Ta mère et moi avons tout fait pour te préserver de ça. Il faut quelqu’un pour les arrêter et je ne suis pas le seul à le faire. Tu es en âge de comprendre maintenant, mais tu n’as pas à t’inquiéter.
  — C’est ce que m’a dit Henry.
  — Henry ? demandai-je étonné.
  — Oui, il était passé prendre de mes nouvelles et j’en ai profité pour lui poser des questions. Je me souviens que l’année dernière, tout le monde parlait de ce sale type qui étranglait des femmes avec un foulard. Je voulais savoir si c’était toi qui l’avais arrêté. Il m’a dit que personne n’était arrivé à l’avoir et que toi, tu l’avais retrouvé en peu de temps.
  — Je crois qu’Henry parle beaucoup trop.
  — Ne lui en veux pas ! C’est moi qui ai insisté.
  — Connaissant Henry, tu n’as pas dû insister longtemps. Et pour répondre à ta question, c’est moi qui étais chargé de le retrouver, mais loin de moi l’idée de m’attribuer tout le mérite. Personne ne peut résoudre une affaire tout seul, Jenny. On forme une équipe à la brigade et tout le monde a son rôle à jouer. Pour Apollon, Richard nous a fortement aidés dans cette enquête. Paul a pris des risques pour m’aider et je ne te parle pas de Henry, Tom, Rudy ou Chris. Sans oublier Léa.
  Je m’arrêtai sur Léa. Je n’oublierai jamais ce que je lui dois.
  — Sans son aide, nous n’aurions jamais pu l’arrêter.
  En réalité, sans elle je serais mort.
  — Mais personne n’aurait eu le courage de faire ce que tu as fait. Je suis fière de toi, papa.
  Je lui répondis en souriant.
  — Ben voilà, fallait commencer par là. Moi, je suis encore plus fier de toi, Jenny. Ce que tu as fait demandait beaucoup plus de courage. C’était à moi de prendre soin de toi et malgré tout ce que je t’ai fait subir, tu es revenue vers moi. Je n’oublierai jamais cet instant où tu as couru vers moi. Aucune force au monde n’aurait pu te retenir. Tu as fait ce que j’aurais dû faire. Tu es resté auprès de moi pour me soutenir quand j’en ai eu le plus besoin.
  Des larmes commençaient à rouler sur ses joues.
  — J’ai eu peur qu’il t’arrive quelque chose, papa.
  Je lui pris la main.
  — Je sais ma puce. Mais c’est fini maintenant. Oublions tout ça !
   Le premier lieu où nous nous rendîmes fut bien entendu le nouveau cimetière d’Antalville où reposait Linda. Sur sa tombe, l’abondance de chrysanthèmes, de cyclamens ou autres bruyères, témoignait de l’affection que tout le monde portait à ma femme. Jenny se serra tout contre moi. Je n’arrivais pas à détacher mon regard du visage souriant de Linda en médaillon. Je n’arrêtais pas de me répéter : pourquoi elle ? Pourquoi nous l’a-t-il pris ? Je repensais à ce jour maudit où c’est arrivé. Je n’avais rien pu faire pour la sauver. Justice a été faite, mais ça ne me l’a pas rendu.
  Et maintenant, il fallait réapprendre à vivre. Pour Linda, pour Jenny, il fallait aller de l’avant.
  C’est ce que nous avons fait. Nous n’avions jamais été aussi proches et aussi complices que cette journée-là. J’ai savouré chaque seconde passée avec ma fille. Ses rires résonnent encore dans ma mémoire.
  Je sais maintenant qu’il y aura d’autres journées comme celle-là. Beaucoup d’autres.

  Le soir, après avoir souhaité bonne nuit à ma fille, je regagnais ma chambre, exténué. Allongé sur le lit, je repensai à l’affaire de l’étrangleur aux foulards dont m’avait parlé Jenny. Une affaire qui avait secoué Antalville. Elle allait aussi remettre en question toutes mes convictions sur les êtres humains. Comment pouvait-on s’en prendre à tant de victimes innocentes ?
  Lorsqu’il fut appréhendé et que la vérité éclata, tout le monde ne parlait plus que de ça. Un tel disait : « mon Dieu ! Pourquoi toutes ces victimes ? Comment peut-on en arriver là ? » Un autre disait : « pour moi, il n’aimait pas les femmes. Qu’on ne vienne pas me dire le contraire ! »
  Partout, dans les lieux publics, jusque dans les rues, tout le monde y allait de ses commentaires. Mais personne n’avait de réponses à toutes les questions qu’ils pouvaient se poser. Aujourd’hui encore, je pourrais vous raconter l’affaire dans ses moindres détails, que je fusse présent ou non sur les lieux, puisque j’étais chargé de l’enquête et que j’avais accès à tous les témoignages. Mais je serais incapable de vous expliquer comment on peut arriver à une telle folie meurtrière. Ce n’était pas mon rôle. Moi, je savais seulement que je devais l’arrêter. J’en avais fait la promesse et je l’ai tenue.
  Pendant toute mon enquête, je me demandais quel visage pouvait avoir un être capable de tels crimes monstrueux. Je me souviens de la réponse qu’avait donnée un spécialiste des tueurs en série à un journaliste qui lui avait posé la question : si c’était écrit sur leur visage qu’ils sont des assassins, ce serait beaucoup plus facile pour la police de les arrêter. Rien n’était plus vrai. Ils ressemblent à monsieur tout le monde.
  Mais laissez-moi vous raconter toute l’histoire.
 
  Bien qu’ayant mené l’enquête jusqu’à son terme, la difficulté serait de situer avec précision quel jour ont eu lieu les premiers évènements qui germaient sournoisement quelque part et me prédestinaient un jour à m’embarquer dans cette terrible affaire. Pourtant, il faut bien situer le début d’une histoire quelque part. Je laissai mon esprit vagabonder et me retrouvai propulsé en juillet 2015, un soir où je rentrais chez moi pour retrouver ma petite famille. 
  La seule raison qui me pousse à me replonger dans cette période trouble est que ma femme, Linda, à ce moment-là, était encore de ce monde. Et je serais prêt à retourner tous les jours en enfer pour la revoir.

  Elle me manque tellement.
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Espace de discussions / Re : Les phobies
« Dernier message par Apogon le sam. 11/03/2023 à 17:11 »
Vous avez peur des bouchons ?
Non, non pas ceux sur la route, ceux à l'intérieur de vous même, ceux qui vous font rougir de douleur sur le trône !
Vous êtes peut être apopathodiaphulatophobe !

C'est la peur d'être constipé.
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