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Mise en avant des Auto-édités / Aliandra de Giovanni Portelli
« Dernier message par Apogon le jeu. 13/04/2023 à 17:53 »
Aliandra de Giovanni Portelli



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 D'UN LIVRE… À UNE BIBLIOTHÈQUE

Eh salut vous ! Je ne savais pas si vous finiriez par m'ouvrir, depuis le temps que vous traînez devant cet étal. Vous vous demandez sûrement ce que veut dire ce titre ? Auteur méconnu, couverture fruste, probablement le clone d'une histoire de science-fiction que j'ai déjà lu ou vu au ciné.
Et pourtant, si nous avons tant tardé à nous rencontrer, c'est bien parce que je ne ressemble en rien à ce que vous avez pu lire ou voir ailleurs. Ce qui me distingue des autres ? C'est justement que je fuis les codes du genre. Héros sans faille, méchant sans excuse, but clair et précis, très peu pour moi !
Je ne suis qu'un livre, certes. Vous m’oublierez sûrement, poussiéreux sous votre lit ou délaissé sur la banquette d'un train où je devrai patienter qu'une autre personne me saisisse. Je ne saurai rien de plus de vous que ce visage que vous m'offrirez le temps de votre lecture. Vous ne saurez de moi que ce que j'ai à vous livrer.
Le temps nettoie tout, inlassablement. Parfois, cependant, des instants nous marquent. J'espère faire partie de ceux-ci. L'époque où les livres étaient une fenêtre salutaire entre les esprits n'est pas totalement révolue, j'espère. Je les pense même plus libérateurs pour l'esprit que les virulentes vidéos véhiculées par les multiples médias modernes.
Je ne suis pas contre la modernité, attention. Cela rapproche les gens et réduit les distances. Simplement quoi de mieux qu’un livre pour rendre visite à votre seule pensée, votre imaginaire, votre identité quelque part ? Peu importe le récit que je vais vous soumettre, au fond. Ce qui compte, c'est ce reflet de vous qui vous attend. Ne manquez pas ces instants avec vous-même, c'est là mon souhait.
Longtemps je n’ai su déterminer à quel genre appartenait cette aventure. Elle présente certains aspects de la fantasy, de la science-fiction et du thriller, certes, mais du point de vue des narrateurs qui se partageront la tâche de vous la transmettre, il s’agit d’abord d’un témoignage. Le témoignage de leur propre vie, avec ses joies, ses peines, ses douleurs parfois indicibles. Il vous faudra capter parfois leurs silences autant que leur mots pour compenser ce que leurs regards ne pourront vous transmettre. Sur ce, bonne lecture... 

DU POINT DE VUE D’ALEX

2 février 2017
Vous éclairer sans être lourd sur la mythologie qui entoure l’univers d’Aliandra, j’aime autant vous prévenir, on a fait de notre mieux, mais on n’est pas toujours arrivé à un modèle de simplicité. Naturellement nous ne sommes que des personnages de fiction. Tout ce qui suit n’est que le fruit d’une imagination légèrement débridée par le fait de n’avoir reçu aucune influence dès l’enfance pour orienter sa façon de penser.
Votre réflexion s’est forgée au contact d’un milieu familial, religieux ou culturel, voire de tous à la fois. Dans mon cas, je n’ai joui que très peu des trois. Cela dit, comme je ne veux froisser personne et toucher le plus grand nombre, je ne peux pas prétendre que quoi que ce soit ici soit la représentation, même imagée, d’une quelconque réalité commune à la vôtre.
Même si pour vous rendre les choses accessibles, nous allons situer certains des événements qui vont suivre sur Terre, ce n’est que dans l’optique de vous faire entrer graduellement dans notre fantasmagorie. Tout ça pour arriver à la formule consacrée – c’est mon expression du moment, je risque d’en abuser ! – selon laquelle toute ressemblance avec des personnes existantes, ayant existé ou venant à exister ne saurait être que fortuite, blablabla !


SELON WRANGELLE OU PRESQUE...

02/02/2017
Merci Alex pour ces précisions ! Pour ce qui est du graduel, je ne fais pas dans l’escalator, plutôt dans la catapulte. Autant vous y préparer, vous allez certainement déguster les premiers temps. Toutefois si vous arrivez jusqu’à une certaine course-poursuite de 1974, sachez que le plus dur sera fait. Sur l’autre point, le côté « imaginaire » personnellement, je n’en ai rien à faire que cela vous heurte ou non.
Si vous savez lire, c’est que vous êtes bien assez grand pour faire le tri. Pour bien mettre les choses en place, je ne pense pas non plus que démarrer dans un trou à la campagne, pantoufles aux pieds, à regarder la télé pépère, cela nous mette dans l’ambiance requise. Non, à mon sens il faut remonter à l’origine du problème, sur une planète que j’ai longtemps considérée comme chez moi...
Si tu parles de Lhima, ils ne vont rien entraver, mais libre à toi, mes pauvres quarante piges ne peuvent rivaliser avec tes neuf mille ans d’expérience, après tout.
Merci pour l’intervention, Alex. C’est vrai qu’on n’est pas déjà assez perdu depuis que le « livre » lui-même a souhaité la bienvenue à notre hôte pour l’obliger à faire sans transition le distinguo entre deux narrations.
C’était ton idée, les points de vue croisés, je te signale…
Soit ! Profitez du rappel si vous avez perdu le fil depuis trois paragraphes. À partir d’ici et ce pour toute la durée de cet épisode, les déclamations en italique sont d’Alex Gartempe. Autrement, c’est votre hôtesse, Wrangelle, qui est au clavier.
Déclamations, rien que ça ? Tu trouves que tu ponds du Victor Hugo, toi, peut-être ? Ça te…  #onsenmoque
Bref, vous avez compris l’idée.
Eh ! Mais tu as coupé ma réplique ! Ne me dis pas que tu es encore susceptible sur ton âge après tout ce qu’on a vécu quand même ?
BREF ! On peut perdre du temps de mille façons dans l’espace mais rarement en gagner. Les physiciens ne me contrediront pas là-dessus. S’il est une chose sur laquelle j’aimerais qu’ils ferment les yeux en revanche, ce sont les raccourcis – et ce n’est pas qu’une expression – que j’ai dû prendre pour permettre de ne pas entrer dans les détails techniques qui plombent toujours le récit. En l’occurrence, cela rend rapidement élitiste les meilleures histoires qui placent leur action dans l’espace. C’est donc dans un souci de clarté que je n’emploierai pas un langage trop pointu pour raconter l’origine de ma galaxie comme le fonctionnement de ses méandres. Si l’envie vous prend toutefois d’en savoir davantage, vous pouvez toujours en formuler la demande et…  #chacunsontour
Non sans intérêt, franchement ! Sans vouloir être méchant, ça n’apporte rien à l’histoire, d’une. De deux, ça implique de penser dans une autre langue, avec une métrique et un raisonnement aussi proches de notre science que l’œuvre de Jean-Sébastien Bach peut l’être de celle des Spice Girls. Donc autant arrêter là l’insert sur la physique quantique.
Je te laisse la responsabilité de cette suggestion comme de cette dernière comparaison, Alex. Admettons en soi que le point de vue d’un habitué de l’espace ne soit pas le plus judicieux. Que pensez-vous de celui d’un enfant un rien exceptionnel ?
Oui bonne idée, si on parlait de moi ? C’est vrai que c’est mon sujet de conversation préféré... 

SARAH, OU LE JOURNAL D’ALEX GARTEMPE

26/06/1986
Dominique jauge régulièrement les traits fermés du garçon qui lui fait face. Il est nerveux. Assis sur une chaise, les mains sous les cuisses, ses pieds oscillent doucement d'avant en arrière. Les cheveux en bataille, sa frange mange à moitié ses yeux de jais qui scrutent tour à tour les objets disposés sur son bureau pour ne jamais rencontrer le visage de l'éducatrice.
Élancée, sportive même, cette jeune et jolie Basque d’origine a, malgré ses cheveux bouclés, un faux air de Françoise Hardy. Hélas, souligner cette ressemblance la contrarie car la pauvre chanteuse passe à ses yeux pour une personne sans grande vitalité. Baskets aux pieds, pantalon noir taille haute et une veste assortie à épaulette, elle suit la mode et colle bien à son époque dynamique. Aussi l’éducatrice impressionne-t’elle clairement l’enfant de huit ans.
Elle consulte calmement son dossier, en silence. Émue, elle découvre l’infortune de l’enfant résumée en quelques dates. Une naissance estimée autour du 22 avril 1978, suite à la découverte du nourrisson par un pêcheur près d'une rivière de la Vienne. Plusieurs familles d'accueil se proposent ensuite sans succès de lui offrir un foyer. Bébé « difficile », bambin « ingérable ». L'une d'elle motive même son rejet avec un « penchant pour la pyromanie » en hiver 1984, qui ne s'est cependant pas vérifié ailleurs.
Par les mystérieux rouages de l'administration ou un « caprice du destin » il se voit ainsi ballotté de maison en foyer jusqu'à gagner les côtes charentaises. Cet enfant ne pouvait que perdre tout repère, si tant est qu'il en ait eu un jour. Dominique conclut que son mensonge aujourd'hui sur son état de santé traduit surtout un profond besoin de reconnaissance et d'attention. Bizarrement, plus elle le regarde, plus elle trouve ce petit agitateur attachant. Comme elle lui parle enfin, il reste sur la défensive.
Ses pieds continuent leur mouvement de balancier. Toutefois, il ne perd pas une miette de ce qu'elle lui raconte. Il s'attend déjà à se faire sévèrement réprimander et écoper d'une punition exemplaire pour avoir « simulé » une crise d'asthme. Toux sèche, polypnée, la poitrine oppressée, Alex n'a ressenti cela qu'une poignée de secondes, seulement pour lui c'était réel. Et ce ressenti le trouble bien davantage que tout ce que lui débite cette adulte qui, comme les autres, ne voit probablement pas au-delà d'elle-même.
D'aussi loin qu'il s'en souvienne, personne n'a été capable de lui accorder le moindre crédit. Il sent pourtant ces choses comme les autres. Au début, il s'était imaginé que tout le monde jouissait des mêmes facultés et en avait donc parlé naturellement. Il n'obtint en retour qu'incrédulité, moquerie ou rejet. Tant que cela reste au cinéma ou dans les livres, les gens sont prêts à concéder n'importe quoi au premier venu. Dès que l'anormalité entre dans leur existence propre en revanche, la chasse aux sorcières, le bruit des bottes sur les Champs et la ségrégation ne paraissent plus aussi sagement rangés parmi les vieilles photos des livres d’Histoire.
Alors, comme un réflexe de survie, Alex a appris à se taire. Il laisse distraitement son éducatrice lui expliquer qu'une vraie crise d'asthme dure plus longtemps qu'une poignée de minutes, assez en tout cas pour ne pas s'envoler ensuite comme par magie. Trop jeune, il ne peut pas lui rétorquer qu'il a ressenti les symptômes et non proprement vécu cette crise, encore moins lui faire saisir cette nuance, très différente de ce qu'elle affirme, comme tous les autres avant elle. Quand bien même, il a déjà renoncé avant même que l'infirmier du foyer ne lui serve, faute de symptôme tangible, un regard soupçonneux qu'il ne connaît que trop. A huit ans, il a cerné qu'il n'est pas fait pour entrer dans le moule auquel les enfants comme lui doivent coller pour faire partie d'une famille. Pire, il l'a accepté.
Persévérante, Dominique poursuit en lui suggérant qu'en revanche, il a pu se sentir oppressé devant la violence du traitement qu'ils infligeaient, Dimitri et lui, à leur jeune compagnon réellement asthmatique. Après tout, n'agissait-il pas sous l'influence néfaste de son camarade ? Elle lui concède même qu'il est probablement honnête sur son ressenti. Curieusement, cela fait mouche. Se peut-il que cette jeune Basque au regard franc lui accorde ce qu'il désespérait jamais trouver chez quelqu'un d'autre ?
Lorsqu’elle évoque la possibilité qu'inconsciemment il simule les symptômes des autres pour se faire accepter d'eux, les pieds d’Alex ne bougent plus. Son regard ne quitte plus celui de l'éducatrice. Notant l'attention qu'il lui accorde enfin, elle se retient de sourire pour ne pas trahir sa satisfaction. C'est qu'elle n'est pas si sûre d'elle, la pauvre jeune femme. Malgré ses études, la révolution qu'a connue le monde des enfants en difficulté et l'avènement de l’accompagnement social des familles, Dominique reste en proie au doute quant à ses capacités, comme toute personne qui débute. Elle a beau avoir affronté de sacrées têtes de bois, elle n'est convaincue d'arriver à quelque chose avec lui qu'à partir de cet instant.
De là, captivée par la profondeur du regard de l'enfant, une envie profonde naît à nouveau en elle de mettre un terme à ce parcours chaotique pour enfin offrir un vrai foyer à Alex. Elle est parvenue à faire entrer un peu de lumière dans son regard si noir. Rien qu'une étincelle, une lueur d'espoir tout de même. Il ne faut plus qu'elle s'éteigne désormais, quitte à déplacer des montagnes. 

05/07/1986
De gros écouteurs recouverts de mousse orange sur les oreilles, un T-shirt constellé de badges polychromes, le walkman contre la cuisse, Sarah lance un bref regard dédaigneux au garçonnet qui descend de la voiture de sa mère. Le pincement de lèvres de Dominique suffit cependant à lui arracher un bonjour. Les cheveux longs, noirs, un peu gras aux racines, les yeux baissés sur un magazine à la couverture rouge vif estampillée TOP50, elle doit avoir dix ou onze ans. Sa tenue et son attitude dénotent la recherche d'un air branché que remarque aussitôt Alex, même si elle l'intimide un peu par son accueil un peu froid. Son T-shirt noir porte en revanche de discrètes traces blanches d'une sueur trop salée qui échappent pour l'instant à l'orphelin.
La maison où ils viennent d'arriver est une fermette sur cour ouverte. Dominique explique à son invité avec un enthousiasme non feint que la maison est de plain pied, mais que les petites ouvertures carrées donnent sur un grenier qu'elle aimerait aménager en chambres à coucher par la suite. Les murs crépis et chaulés, le toit en pente douce couvert de tuiles tiges de botte, entrent typiquement dans le style régional. Au-delà d'un immense préau surchargé de matériel agricole, ce ne sont que des forêts et des champs à perte de vue, maïs, tournesols et vigne. À deux cents mètres à peine, un monticule recouvert d'une longue bâche noire maintenue par des pneus de tracteur pique la curiosité d'Alex.
– C'est de l'ensilage. C'est pour nourrir les vaches.
– Et quand ça pue jusqu'ici, c'est qu'il va pleuvoir, glisse la jeune fille sans quitter sa revue du regard, l'air faussement méprisant.
– Dans ton cas, ça marche aussi. Tu n'as pas encore pris ta douche, je présume ? rétorque Dominique, surprise aussitôt par le rire d'Alex.
– Ouf ! C'est un revers digne d’Henri Leconte, ça ! C'est qui le gai luron ? demande la jeune fille qui lève enfin les yeux de son hebdomadaire, sans pour autant retirer ses écouteurs.
– Oui, faisons quand même les présentations. Je te présente Alex. Comme je vous l'ai déjà dit, à Papa et toi, il va passer les grandes vacances avec nous et, s'il se plaît ici, il fera son année scolaire avec toi.
– T'es en quelle classe ? lance la jeune fille au garçon, sans que son visage ne trahisse le moindre intérêt pour la réponse.
– Je vais entrer en CE2.
– Ah ben super ! Pile celle que je redouble, repart-elle, dépitée. Mais ne t'en fais pas, la maîtresse est vraiment super. Tu vas l'adorer.
Alex n'en croît pas ses oreilles. La jeune fille lui paraît vraiment plus âgée que lui, malgré son allure grêle. De plus, les filles sont douces et ne répondent pas comme ça aux adultes. Sarah a de plus une force dans le regard, une maturité auxquelles on ne s'attend pas. Cela captive le garçon qui s'enquiert, presque sans réfléchir :
– Tu as quel âge ?
– L'âge que tu voudras, petit, mais au moins deux ans de plus que toi !
Sans trop avoir compris la réponse qu'elle vient de lui servir, Alex repart spontanément :
– Et tu t'appelles comment ?
– Sarah.
Elle se détend subrepticement comme elle remarque quelque chose de touchant que dégage ce bout de chou de l'assistance. Malgré son bouclier verbal, Sarah ne saurait se montrer cruelle envers un enfant en difficulté. Sa mère qui décèle l'esquisse d'un sourire sur son visage si dur d'ordinaire pense avoir raison de miser sur sa jeune rebelle pour qu'Alex prenne confiance en lui et ose enfin aller de l'avant.
Pierre franchit bientôt le seuil de la maison. Le colosse impressionne d’emblée le gamin. Certes il ne fait qu'un mètre soixante-quinze, mais les épaules larges, le visage carré et les mains épaisses, l'homme paraît un golem aux yeux d’Alex. Intimidé, il ne pipe plus un seul mot lorsque l'agriculteur vient embrasser son épouse et lui confier que presque plus rien ne filtre sur Tchernobyl sur le Minitel. L'homme est inquiet. Malgré les communiqués évasifs des autorités, il s'acharne à décortiquer les informations que diffuse l'AFP :
– On nous balade. Les spécialistes utilisent une multitude d'unités pour nous embrouiller, mais la taille des aubergines et des tomates cette année ne trompe personne. Le vent a buffé  jusqu'ici et on en a soupé, de leurs rayons. La terre en est imprégnée et tout ce qui pousse est contaminé.
– Qu'est-ce qu'on peut faire ?
– C'est trop tard pour décaniller. La Fontaine disait que quand le mal est certain, le moins prévoyant est souvent le plus sage. Alors ma foi, on ne vaut pas mieux que les gorets dans cette histoire. Faut essayer de continuer à vivre normalement, j'imagine.
Compatissante, Dominique désigne d'un coup d’œil rapide son invité à son homme. En effet, leurs inquiétudes ne concernent pas les enfants. Son visage s’illumine d’un franc sourire lorsque Pierre lance, un sourire aux lèvres :
– Alors ! C'est lui, le drôle ?
– Oui, Alex, je te présente Pierre, mon époux.
– Il a l'air d’avoir de bonnes guibolles. Il va pouvoir m'aider…
– Oui oui, on verra ! le coupe Dominique, pressentant un débordement d'enthousiasme plus effrayant qu'autre chose pour son protégé.
Le patois charentais qui colore le langage de Pierre laisse perplexe l'enfant qui n'a connu jusqu'ici que des citadins. L'homme est pur souche et n'en déplaise, il est fier de ses racines. Alors qu'il entraîne Alex à la découverte de la vie à la ferme, Dominique a une pensée pour leur propre rencontre, des années plus tôt.
L’agriculteur était aventureux, du haut de ses vingt-deux ans, lorsqu'il s'était engagé sur les parcours de randonnée des Pyrénées. Elle, native de Saint-Jean-de-Luz, était une habituée des lieux. Lui beaucoup moins, s'était bel et bien perdu. Les joues rougies, l’air hagard, il l'avait d'abord bien fait rire. Puis ils avaient appris à se connaître jusqu'à ce que, de fil en aiguille, ils ne fassent plus qu'un. Comme il était voué à reprendre la ferme de son père, elle, amoureuse, l'avait suivi en Charente-Maritime. Ses parents décédés, elle n'avait pas grand-chose à laisser derrière elle, sinon ses montagnes adorées. Alors que son cher et tendre glisse avec ferveur au garçon :
– O va zou faire de toi un houme, un vrai. Tantôt, si o grâle trop , o fera mijheot  et...
– On ira doucement sur le vin rouge, il n'a que huit ans quand même ! réagit-elle amusée.
Sarah, qui n'a rien perdu de leur échange, les étudie en pesant le pour et le contre. Elle comprend à présent ce que Dominique avait derrière la tête en faisant entrer ce garçon dans leur maisonnée. Elle se sent naturellement un peu jalouse de l'enthousiasme de Pierre à l'égard du nouveau venu. Toutefois, elle voit déjà en celui-ci une chance pour son père de se projeter avec un autre homme sur une exploitation chaque année plus lourde à gérer, une charge contre laquelle est demeure impuissante. Une raison de plus de la motiver à souhaiter qu'il s’intègre, sombre certes, mais très noble pour une personne si jeune…

02/10/1986
Être nouveau quelque part n'est jamais facile pour personne, même pour un habitué de l'exercice. L'été chez les Davril ayant été particulièrement heureux, Alex obtint de pouvoir faire sa rentrée avec Sarah à l’école primaire de Saint Genis de Saintonge. Évidemment, il fit l'objet de la curiosité de ses nouveaux camarades de classe, amassés autour de lui les premiers jours comme on découvre un jouet à la mode ou un nouvel animal de compagnie. L'engouement qu'il suscita retomba aussi vite qu'il était monté, Alex n'ayant pas grand-chose d'exceptionnel pour entretenir l'intérêt d’un tel public.
À cette époque, pendant la récré, les écoliers ne sont pas greffés d'un téléphone portable à la main ni d'un lecteur MP3. Certains courent autour d’un ballon de foot ou de basket. D'autres donnent des chiquenaudes à leurs billes, accroupis autour d’un trou dans le bitume de la cour, électrisés à l’idée de rafler la mise. Les filles jouent à l'élastique, un jeu d'adresse pour lequel il faut au moins être deux, trois idéalement. Enfin, rares sont ceux qui possèdent un jeu électronique, plus encore la fameuse Gameboy, et se voient autoriser à la sortir à la récréation par leurs parents. En revanche, le fait d'avoir grandi ou non avec les autres mômes du groupe fait énormément sur sa hiérarchie. Les affinités nées de plusieurs années de crèche et de maternelle prévalent sur le reste en primaire, surtout quand on n'a que des billes en terre cuite et non des agates.
Sarah aussi a ses copines et ses habitudes ici. Pour Alex, il faut tout construire de nouveau. À La Rochelle, outre le fait qu'il n'était pas le seul orphelin, Dimitri l'avait vite élevé au rang de caïd parce qu'il lui fallait un faire-valoir pour rire de ses âneries et maltraiter les plus faibles. Ce n'était pas glorieux mais ça valait toujours mieux qu'être isolé à la périphérie de ce qu’il considère déjà comme un clan imperméable.
Certes, il est difficile de s'intégrer dans une équipe où chacun a déjà sa place distribuée d'avance, que ce soit pour un match de foot ou un quelconque jeu de rôle imaginaire. Le pire cependant, c'est de tomber sur plus fort que soi, le tout associé à une bonne dose de stupidité. Devait-il payer pour le temps passé à soutenir Dimitri dans son jeu de massacre quotidien en devenant à son tour la marionnette d'une brute ? Alex a bien essayé de résister, seulement aussi bien verbalement que physiquement, il ne fait pas le poids.
Le grand Stéphane a tout pour lui, la force, les amis et deux redoublements consécutifs qui en font un pré-ado redoutable dans cette colonie de gringalets. Alex n'est personne, rien de plus que l'homonyme d'une rivière, sans passé ni famille, ce que le rustaud ne se prive pas de souligner :
– Moi j'aurais ta tronche, je ne chercherais pas vraiment pourquoi j'ai été abandonné à la naissance, Gartempe. Franchement, ça saute aux yeux, pas vrai les copains ?
Il voit bien dans le regard des comparses de cet abruti de haut vol que le cœur n'y est pas vraiment. Pour avoir joué le même rôle, il en connaît jusqu’à l’attitude. Faire semblant de rire du malheur d'un autre avec le ventre noué pour lui, juste pour ne pas finir à sa place. Alex ne se doute pas qu'il pourrait renverser la vapeur et retourner tout le groupe contre Stéphane. Il lui suffirait de savoir exprimer cette peur qui ronge les autres pour la changer en courage, juste assez longtemps pour décourager ce tyran de bac à sable, probable photocopie d'un modèle parental tout aussi affable.
Seulement la peur est trop forte. Ce frisson qui le gagne lui envahit les membres, ramollit les jambes et appesantit le ventre. Il n'arrive pas à penser. Son esprit ne travaille qu’à débusquer une échappatoire. Mais où fuir ? Alors que derrière lui, l’angle de la cour, cerné de murs et de grilles infranchissables, prend de plus en plus l’allure d’une souricière, une voix qui se veut ferme retentit brusquement, en réponse à Stéphane :
– Non mais avec la tienne, tu n'aurais pas à chercher bien loin. Ton père le voudrait qu'il ne pourrait pas te renier. Tu as le même groin que lui. On reconnaîtrait ta face de verrat à des kilomètres.
Attentive, c'est Sarah qui est arrivée à la rescousse du pauvre garçon. Il ne demande d'ailleurs pas son reste pour décamper auprès de sa sauveuse. Malgré son allure franchement fluette, l'intensité de son regard suffit en général à rabattre les caquets les plus audacieux. Stéphane, pour ne pas perdre la face, crache :
– C'est ça sauve-toi, l'orphelin ! T'auras pas toujours quelqu'un pour te sauver la mise. Trouillard !
– Trouillard ? répète la jeune fille, campée sur ses positions, les mains sur les hanches à présent. Tu fais autant le malin, le soir, dans ton lit avec ta veilleuse ? Tu n'as plus peur du noir, peut-être ?
Les autres échangent des haussements de sourcils, avant de scruter le visage de leur chef qui vient de virer à l'écarlate à l'évocation de ses crises de larmes lors des siestes imposées des années plus tôt en classe de maternelle. L'inquiétude prend le pas sur la liesse. S'en prendrait-il à une fille ? Stéphane fulmine, le regard noir :
– Toi, tu mérites une bonne leçon.
Avisant les instituteurs qui ne perdent rien au loin, le groupe qui sent le vent tourner se disperse sensiblement. Seul Alex attend de voir comment va évoluer la situation. Tout à sa colère, le porcelet ne remarque pas les rats quitter le navire. S'approchant d'elle, il ne quitte plus des yeux la petite brune qui lui tient tête. Malgré la boule qui commence à lui tarauder l'estomac, elle conclut, d'une voix blanche, sans toutefois baisser le regard :
– Alors tu serais assez lâche pour frapper une fille ?
– Pourquoi il t'intéresse tant, ce tocard ? Ce n'est qu'un chien abandonné, sûrement un manouche ou un bât…
Le coup est parti sans préavis. Aussi surprise que le grand escogriffe, c'est bel et bien Sarah qui a collé son poing sur son gros tarin. Aussitôt, l'un des maîtres se précipite dans leur direction. Pourtant prêt à répliquer, Stéphane n'a pas le temps de lever le petit doigt qu'Alex s’interpose, dans un élan de courage inattendu. Avant que les adultes ne s'en mêlent, Sarah crache à l'abject imbécile qui a déjà le dessus sur le garçon, la voix modulée par l’émotion :
– Parce que moi aussi, je suis une enfant trouvée, espèce d'idiot. Et j'aime autant ne pas connaître mes vrais parents s'ils doivent être aussi débiles que ceux qui t'ont rempli la tête de toutes ces conneries !
Avant d’écoper d’un généreux bourre-pif, Alex a le temps de lancer un regard à la jeune fille, plus estomaqué par cette révélation que par une situation proprement surréaliste dans cette petite école de campagne d'ordinaire si tranquille…

04/10/1986
Le week-end suivant l'altercation avec Stéphane, l’œil d'Alex est encore auréolé de jaune et de pourpre, quoique tout à fait dégonflé. Pour le courage dont il a fait preuve pour elle, Sarah a décidé de l'emmener enfin dans ce qu'elle appelle son jardin secret. Elle lui a parfois décrit le lieu où elle se rend lorsqu'elle a besoin de s'isoler, sans jamais l'autoriser, jusque là, à l'y accompagner. En réalité, l'enfant ne s'attend pas à tomber sur un véritable jardin caché au milieu de la forêt, un trésor de créativité et de poésie en fait.
Carré, tapis de lierre entre quatre gros chênes centenaires, l'endroit est protégé d’une épaisse voûte feuillue. Avec l'aide de Pierre, Sarah a dressé tout autour de vrais murets de pierres et de branches mortes sur lesquels la vigne vierge est montée. Elle s'est permis cet aménagement parce que le bois fait partie du domaine Davril. D'ailleurs, la plupart des habitués des lieux, surtout des chasseurs et autres chercheurs de champignons, connaissent et respectent le sanctuaire de la jeune fille. Certains y déposent même, en tribut à sa créativité, pommes de pin, coquilles d'huîtres, noix et autres poignées de marrons d'Inde en guise de matière première.
Avec du fil de pêche et un couteau suisse dont elle ne se sépare jamais, elle bricole des carillons à vent, creuse de petites sculptures naïves dans des branches mortes, passe le temps en contact avec la nature. Elle raconte à Alex qu'elle a bien essayé de repiquer des orchidées sauvages et autres fraisiers ici, mais le passage de petits animaux, le manque de lumière et probablement aussi d'expérience ont nui à son projet. Bizarrement la présence d'Alex avec elle dans ce coin de forêt qu'elle arpente d'ordinaire en solitaire lui procure une émotion particulière.
En réponse, il évoque sa vie décousue. Pierre qui roule, il n'a jamais eu le loisir de pouvoir se créer un endroit à lui comme celui-ci. L'idée trouve donc grâce à ses yeux, tout comme les créations de la jeune fille, qu'il qualifie simplement de « géniales ». Le cœur battant plus fort que d'accoutumée, Sarah est brutalement prise d'une violente quinte de toux qui l'oblige bientôt à s'adosser à un arbre.
Alex porte presque aussitôt la main à sa poitrine, de sentir sa cage thoracique se contracter malgré lui. Son cœur paraît se mettre à battre deux cadences à la fois. Honteux, il se tourne pour tenter de cacher qu'il perçoit à la fois l'émotion et l'étrange encombrement respiratoire de son amie. Obligée de s’asseoir sur une grosse racine, proprement vidée de ses forces, elle n’a pas manqué son volte-face. Inquiet d'être découvert, le garçon ne sait plus comment réagir. Sarah crache plusieurs fois avant de reprendre le dessus sur sa toux et lancer, la voix légèrement sifflante :
– Tu me vois tousser et du coup... tu as la trouille d'attraper ce que j'ai ?
Alex cherche aussitôt le regard de la jeune fille pour objecter franchement :
– Non, ce n'est pas ça. Ça va ?
Son visage manifeste une empathie sincère. Sa main s'attarde cependant sur son torse, ce qui agace l’adolescente :
– Alors quoi ?
– C'est rien, laisse tomber. On peut rentrer, si tu ne te sens pas bien.
– Non c'est bon, c'est juste... mon asthme. Ça va passer.
– Ça, ce n'est pas de l'asthme, réplique-t-il spontanément avant de se mordre les lèvres d'avoir émis cela tout haut.
Elle lui adresse un regard à la fois surpris et inquisiteur :
– Ah parce que tu sais reconnaître l'asthme au son d'une toux, toi ?
Interdit, il souhaite vivement que la conversation change de direction. Les yeux rivés sur le sol, l’orphelin découvre à même le lierre, entre les premières feuilles mortes, un bout de bois flotté qu’elle a ramassé près de l'estuaire de la Gironde. L'adolescente lui a donné la forme d'un chihuahua ailé, une fantaisie sur laquelle il reste figé, braqué. Sarah finit par lui expliquer, de noter l'intérêt du garçon pour son fennec :
– C'est mon Harmonique.
– C'est quoi, un Harmonique ?
– Une espèce d'ange gardien... Mais puisque tu n'as pas l'air de vouloir partager tes secrets... Je ne vois pas pourquoi je t'en dirais davantage sur les miens.
– Quel secret ? Je n'ai pas de secret.
– Maman m'a raconté que tu as simulé une crise d'asthme pour te faire remarquer... au foyer. C'est pour ça qu'elle a voulu qu'on se rencontre, je suppose… Pour voir si tu mens ou si tu as réellement un don…
– Quelle importance ? rétorque subitement Alex avec un visage qui traduit surtout de la tristesse. Tu dois déjà me prendre pour un fou ou un menteur, comme les autres.
– J'ai l'air de me moquer de toi ou de te prendre de haut ?
– Non, mais…
– Dis-moi ce que tu as perçu... Je te dirai si ça correspond à ce que je ressens... et on sera fixé. Ça ne peut pas continuer ainsi.
Comme il hausse les sourcils, elle esquisse un sourire pour le rassurer avant d'ajouter, essoufflée comme si elle venait de disputer un sprint :
– Il n'y a que toi et moi… Personne pour te juger ou se moquer… Alors vas-y, lance-toi.
Après quelques longues secondes d'hésitation, les yeux toujours rivés sur la sculpture, l'orphelin se met à parler d'une voix sourde, presque inaudible. Comme elle l'exhorte à parler plus fort, il répète, distinctement :
– Tu as parfois des douleurs au ventre. Tu as souvent quelque chose dans la gorge et tu ne respires pas comme tu devrais. Tu manges comme quatre mais tu ne grossis pas. Une fois tu vas bien, et là, tes poumons se mettent à bouillonner comme un plat de pâtes et tu te vides de tes forces comme ça, d'un seul coup.
– Attends, je ne viens pas d'avoir tout ça en même temps, réplique-t-elle, troublée. De quand parles-tu ?
– Ce n'est pas la première fois que je ressens ça avec toi, dit le garçon avec sincérité. Mais je sais que ce n'est pas de l'asthme.
– Tu me charries, allez ! réplique Sarah, désarmée par le sérieux de l'enfant malgré l'absurdité du discours qu'il lui tient. Tu as dû voir les médicaments, les aérosols et mes visites quotidiennes chez le kiné. Les parents auront vendu la mèche, c'est obligé.
Alex plante son regard profond dans celui de la jeune fille. Il soupire, l’air excédé d'avoir récolté une nouvelle fois le scepticisme là où il espérait tant la confiance :
– Je te l'avais dit que tu ne me croirais pas. Tes parents m'ont juste dit qu'il ne fallait pas que je m'en fasse, que ça ne s'attrapait pas. Ils ont dû croire que j'avais peur des maladies.
Après une pause, il ajoute, clairement affligé par le détail qu'il soulève :
– Aucun de vous ne m'a dit ce que tu as. Ça fait partie de votre monde « à vous » et vous n'en parlez jamais quand je suis là. Mais même si je ne sais pas comment s'appelle ta maladie, je l'ai ressentie.
– C'est impossible, Alex, sourit-elle alors. Personne ne peut sentir les choses comme quelqu'un d'autre. Cela dit les poumons qui bouillonnent, je dois dire que tu es tombé pile...
Ému, l'enfant de l'assistance décide de s’asseoir à son tour, à même le sol, à deux pas de la jeune fille. Déçu, il ne sourit pas, ne trahit pas une seule seconde qu'il n'est pas sincère. Il semble avoir renoncé à la convaincre, à l'instar d'une personne honnête qui attend que l'esprit de son interlocuteur fasse de lui-même le chemin jusqu'à la vérité.
– Impossible, répète-t-elle encore, sans conviction, juste comme si, intrinsèquement, se raccrocher à la normalité comptait plus pour elle que de simplement admettre l'extraordinaire.
Somme toute, elle n'ose plus prononcer quoi que ce soit d'autre. Un frisson la parcourt de part en part. Il fait pourtant chaud pour ce début octobre, un vrai été indien, presque celui de la chanson. Outre la crise qu'elle vient de subir, ce qu'elle est en train de réaliser lui glace les veines. Aussitôt Alex frissonne, connecté comme il ne l'a jamais été avec quiconque. Sans calcul, il se redresse, tandis que son cœur se met à battre  la chamade. Une envie spontanée de prendre l'adolescente dans ses bras le presse, sans trop savoir si cela vient d’elle ou de lui.
Personne ne s'est jamais tenu aussi près de comprendre ce qu'elle combat au quotidien depuis si longtemps. Personne n'a jamais été si près de croire qu'il peut l'éprouver comme elle. Il fallait que ce petit gars de l'assistance ait le cœur plus ouvert qu'une antenne radio et saisisse enfin tout ce qu'elle garde sur le cœur depuis toujours. Sans aucun calcul, sans même y réfléchir, ils s'embrassent au pied de ce chêne, comme deux proches se retrouvant sur le quai d'une gare après une longue séparation.
Prenant un peu de recul, Sarah croise à nouveau le regard de jais de l'enfant. Son cœur « à lui » bat à toute vitesse, imprime son rythme effréné à ses lèvres devenues brûlantes. Alex la trouve d'une beauté incroyable malgré son visage émacié et son teint pâle. Elle lui prête une maturité inédite pour un garçon de son âge. Leurs quatre ans de différence s'effacent, tout comme la pudeur et la peur qui pétrissent l'audace que seule une sérieuse perte de pondération leur procurerait d'ordinaire. Leur communion à son paroxysme, ils se sentent tant en phase que leurs lèvres se lient naturellement, dans un bisou d'enfant, à peine appuyé, mais aussi fort pour eux que le plus enflammé des baisers d'adultes. Leur histoire vient de naître, dans ce sanctuaire de bricoles sculptées au couteau, entre les quatre chênes d'un jardin devenu celui de Sarah et d'Alex.
Un moment plus tard, blottis l'un contre l'autre au pied du même chêne, Sarah, caressant tendrement les cheveux de son premier amour, finit par penser à voix haute :
– Tu as dû te sentir bien seul avec une telle perception des autres. Et personne ne t'a jamais pris au sérieux avant moi ?
– Non tu es la première. Par contre, avant toi, ça n'avait jamais été aussi long ni aussi fort.
– J'imagine que ton don doit être plus affirmé quand tu le partages avec une personne que tu... apprécies.
Elle sourit à ce dernier mot, n'osant plus parler d'amour à présent que le « contact » est rompu. Attrapant le morceau de bois flotté gravé du fennec ailé, le garçon ne lance qu'un regard à son auteur qui traduit sans mal sa requête :
– Ah ! C'est à mon tour de te confier mon secret ?
Il acquiesce, attentif aux traits fins de Sarah. Il décrit un instant le vert si intense de ses yeux, ses lèvres fines, son petit nez et ses longs cheveux bruns. Elle remarque son regard insistant qui la fait rougir malgré elle. Elle bougonne sans tarder :
– Arrête ! Ça me gêne quand tu me regardes comme ça...
Ce à quoi il répond d'un grand éclat de rire. Sans trop comprendre pourquoi, il se sent bien avec elle, comme si ce coin de forêt avec elle était la place qui lui incombait sur cette terre. Jouant la carte du running gag, il finit par revenir à la charge avec la sculpture. Elle soupire avant d’éclairer le garçon, grave :
– Quand on m'a trouvée, j'avais déjà quasiment un an. C’était aux abords des Pyrénées, à l'arrière d'une décapotable dans une station-service. Presque assez grande pour dire papa ou maman, pas assez pour leur donner un vrai nom. Je suis le premier « dossier » de Dominique en qualité d'éducatrice. Une vraie voie de garage pour une débutante, compte tenu que je suis atteinte d'une variante de la mucoviscidose, mal connue, probablement aussi mortelle quoiqu'un peu moins invalidante. Personne ne s'est manifesté pour me réclamer, encore moins m'adopter. Je te laisse imaginer le tableau.
– Alors Dominique et Pierre t'ont adoptée.
– Oh ! Ça ? C'est grâce aux yeux de cocker, ça marche à tous les coups sur eux. Tu devrais essayer, avec tes yeux noirs, ils craquent à coup sûr. Enfin, si tu as envie qu'ils t'adoptent...
– Faudrait qu'ils en aient envie. Je n'ai pas eu beaucoup de succès jusqu’ici avec les familles d'accueil.
– Question de karma, faut croire. C'est qu'on devait se rencontrer, je vois que ça, trouve-t-elle à plaisanter malgré un début de parcours aussi gai que le scénario de « Love Story ».
– Tu vas mourir, réalise Alex, bloqué sur la description de la maladie de la jeune fille. Mais dans combien de temps ?
– Tout le monde meurt, c'est comme ça, relativise la jeune fille, imperturbable. Je ne joue pas les détachées, attention ! Évidemment ça me fait peur. Mais j'ai grandi comme ça, alors j'ai appris très tôt à vivre avec cette idée. C'est ma vie. Le pire à la limite, quand on y pense, c'est pour les parents…
– Pourquoi ?
– Ben quand je partirai, qui s'occupera d'eux ? Qui sera là pour les aider à supporter la souffrance de ma disparition ?
– Tu penses déjà à tout ça ?
– Presque tous les jours en fait.
– Mais il doit bien y avoir quelque chose à faire ! se révolte l'enfant. Une pilule ou un vaccin…
– Non, des antibiotiques, une hygiène de vie irréprochable, des aérosols et de la kiné pour préserver mon souffle. Mais pas encore de remède miracle. Désolée.
– Et ton Harmonique ? Elle ne peut rien pour toi ?
Le regard de Sarah s'assombrit de devoir à la fois briser le bel optimisme d’Alex à son sujet et verbaliser la vanité de l'espoir que constituait pour elle cette fable encore deux ans auparavant :
– Elle, elle ne reviendra pas. Elle m'a probablement oubliée.
– Raconte-moi.
Les yeux perdus dans le balancier des branches d’un chêne, Sarah laisse échapper une larme malgré elle. Elle déteste pleurer. Cela revient à céder du terrain à son mal, son ennemi intime, or elle ne veut surtout pas lui faire ce plaisir. D'une voix feutrée par l'émotion, elle repart :
– Il y a deux ans environ, je me suis effondrée sans prévenir. En quelques heures à peine, j'étais admise à l'hôpital, au plus mal. Ma saturation était très basse. Malgré les couvertures j'étais gelée, les dents qui claquent, les lèvres bleues, comme ces bonhommes qui tombent dans les lacs gelés dans les dessins animés. Tout le monde était prévenant avec moi, très doux, mais dans leurs yeux, j'ai bien vu que ça pouvait tout à fait s'arrêter là pour moi. Et il y a eu cette visite inattendue. Une femme aux yeux verts, comme moi. Brune, comme moi… Je me suis fait un film. Comme si ma vraie mère pouvait savoir que j'avais atterri en Charente Maritime ! Comme si elle pouvait en avoir quelque chose à faire de son enfant malade…
Après une courte pause, le regard toujours perdu dans les dents de scie des feuilles de chêne, elle poursuit :
– Elle avait ce drôle de pendentif, avec une tête de fennec en or blanc, encadrée de deux petites ailes de nacre. Je n'ai jamais retrouvé ce bijou ailleurs. C'est pour ça que j'ai voulu le reproduire sur ce bout de bois. Le veinage et la blancheur du bois m'ont rappelé la nacre. Bref ! Je l'ai aussitôt prise pour une infirmière ou un médecin. Je ne me suis pas méfiée. Elle m'a parlé mais j'étais dans le gaz avec les calmants. Dans les grandes lignes, elle m'a dit que je ne devais pas avoir peur de la mort, que ce n'était pas une fin en soi, plutôt une passerelle vers un monde où le « moi spectral » nourrit un paradis ouvert à tous les esprits. Je l'ai trouvée jolie son histoire, mais ça sentait trop le catéchisme pour que je la prenne au sérieux.
– Tu ne crois pas en Dieu ? s'étonne Alex.
– Dieu, c'est juste un mot que les grands mettent lorsqu'ils parlent de choses qu'ils ne comprennent pas. Mon infirmière a bien vu elle-aussi que je n'y croyais pas. Elle n'a pas arrêté de parler pour autant, même si la suite est plus floue dans ma mémoire. Je crois même que je me suis à moitié endormie à ce moment-là. Finalement, elle a terminé en me disant qu’une Harmonique veillait sur moi et qu'il ne m'arriverait plus rien désormais.
– Et que s'est-il passé ?
– Eh bien ! Elle m'a juste fait un câlin. Petit à petit mon corps s'est réchauffé et j'ai pu rentrer à la maison le surlendemain. Depuis cette fois-là, je n'ai plus été obligée de retourner à l'hôpital que pour les traitements par perfusion. Malgré ça, je suis toujours malade et mon « Harmonique » n'a plus redonné signe de vie ! J'ai cru un moment que j'avais été choisie et que cet être sorti de nulle part avait réellement le pouvoir de me guérir. Avec le temps et les rechutes, j'aurais dû me faire à l'idée que j'avais simplement déliré, oublier cette histoire et jeter ce bout de bois au feu.
– Mais tu ne l'as pas fait.
Prenant le fennec gravé entre ses mains et le regardant attentivement, elle prononce :
– Tu sais, ma vie ne tient pas à grand chose. J'aurais pu mourir plein de fois, maltraitée par ces gens qui m'ont laissée dans une décapotable en plein été ou réagissant mal à un médicament. Que sais-je encore ? Finalement, par un caprice du destin, je suis arrivée jusqu'ici en croisant une rebouteuse qui soigne avec des câlins et un gamin capable de me décrire en détails mes symptômes sans jamais avoir ouvert un livre de médecine. Ai-je la santé pour faire la fine bouche ? Je ne crois pas, non…
Alex ne sait trop quoi répondre à cela. L'histoire de la dame au pendentif le laisse songeur. Après tout, s'il possède un talent hors du commun, pourquoi n'existerait-il pas une personne capable de soulager le mal des autres d'une étreinte ? S'ouvrir au monde après des années à le craindre lui donne le vertige. Même si cette félicité est entachée à présent par le pronostic engagé de la jeune fille, il se met à nourrir lui-aussi l'espoir qu'il existe peut-être quelque part une solution au mal de celle avec qui il se sent enfin à sa place sur cette petite planète bleue…

22/04/97
Dix ans après leur rencontre, Alex et Sarah ont finalement emménagé tous les deux dans leur région de cœur, élue des années plus tôt, quand ils étaient encore adolescents. L'idée de fuguer leur était venue lorsque la perspective d'un autre interminable été coincés à la ferme Davril leur était devenue insupportable. Ce qui les avait retenus jusqu'ici de passer à l'acte résidait en un subtil équilibre entre la peur des représailles, celle de faire de la peine aux parents et un désir croissant de partir.
Alex avait cependant des arguments de plus en plus pertinents. Sarah avait eu son premier carnet de chèques. Il faisait plus grand que son âge, ils passeraient inaperçus. Et puis, ils ne s'éclipseraient que quelques jours, au plus une semaine. Qui leur reprocherait de vouloir offrir à la jeune fille le sentiment qu'elle pouvait échapper, juste une fois, à son marathon quotidien ? La médication toujours plus lourde, la course à pied qui maintenait tout juste son souffle à un seuil acceptable, les douleurs imprimant de plus en plus son quotidien. Tout pesait sur le moral de l'adolescente chaque jour un peu plus.
L’adolescent, témoin sensitif de ce compte à rebours insoutenable, subissait lui-aussi, en silence cependant. Il ne voulait surtout pas rajouter au calvaire de son amour, encore moins mettre en péril son placement chez les Davril, même si avec le temps, les visites de l'assistante sociale s'espaçant, il prenait de plus en plus pour acquise sa place chez Pierre et Dominique. Ces derniers étaient confiants, bien qu'ils ne manquent jamais de rappeler qu'une adoption prend du temps. Aux prémices de l’été 1993, ce n'était même qu'une question de semaines pour que la chose soit officielle lorsqu'ils prirent cette décision aussi spontanée que lourde de conséquences de fuguer.
Un lundi particulièrement monotone, ils s'étaient aventurés jusqu'à la gare de Jonzac avec leur bicyclette. En sueur, un simple sac à dos rempli du strict nécessaire jeté derrière l’épaule, ils prenaient le premier train pour Bordeaux sans même savoir où ils dormiraient le soir venu. C'était le mois de juin, les nuits étaient chaudes et courtes de toute façon. Dormir à la belle étoile ne serait pas un frein à leur soif d'aventure.
Ils avaient déjà campé dans un vieux container autrefois dédié au stockage d'outils. Plusieurs fois vandalisé, il avait été rapatrié plus près de la ferme pour être reconverti en cabane par les ados. Pierre l'avait calé près d'un saule pleureur de sorte que le soleil ne donnât pas directement dessus au plus fort de l’été. Les deux jeunes ne manquaient de rien et l'agriculteur avait toujours d'excellentes idées pour dénicher de nouveaux supports à leur créativité débordante. Hélas, la seule chose qu'il ne pouvait leur offrir, c'étaient de vraies vacances ailleurs. Outre les multiples emprunts qui grevaient leur budget, les Davril géraient à eux seuls trop d'animaux pour s'absenter davantage qu'un week-end de temps à autre. Prendre un extra pour assurer l'intérim revenait trop cher également.
Si Sarah s'était fait une raison et comprenait les difficultés de ses parents, Alex trouvait anormal de se rendre aussi dépendant d'un travail si cela interdisait de profiter de la vie, ne serait-ce qu'aux beaux jours. En aparté, il reprocha même à ses tuteurs de ne pas prendre en considération l'état de leur fille et le fait qu'elle n'avait peut-être plus le temps d'attendre qu'ils soient plus disponibles pour lui permettre de voyager comme elle en rêvait depuis si longtemps. Eux savaient pertinemment que son état lui interdisait de partir ainsi. En outre les rendez-vous du kiné comme les séjours hospitaliers demeuraient aussi réguliers qu'incontournables. Ils se doutaient aussi qu'en étant trop explicites sur la santé de leur fille, ils risquaient de causer davantage de peine au garçon. Alors ils encaissèrent les reproches sans mot dire, évasifs au point que la fugue devint leur seule alternative.
Malgré la peur qui leur tiraillait le ventre de partir ainsi en douce, un crève-cœur même pour Sarah, l'idée d'avoir enfin autre chose que des champs de maïs et un parterre de lierre entre quatre chênes pour tout horizon leur donnait des ailes. La jeune femme approchait en réalité des dix-neuf ans. Alex en accusait tout juste quinze. Leur relation amoureuse s'était limitée jusque là à de chastes baisers et des embrassades d'enfants. Malgré leur lien de plus en plus intense, l'envie impétueuse d'aller plus loin, ils accusaient trop de pudeur pour n’avoir osé que sous-entendre l'idée aux parents qu'ils s'aimaient. Ils craignaient surtout que cela remette en cause l'adoption d'Alex s'ils l'apprenaient. Ce que les non-dits laissent entendre aux adolescents génère souvent des peurs sans fondement. Peut-être les choses se seraient-elles passées autrement si les Davril l'avaient su dès le départ ?
Dans le journal intime qu'il tiendrait plus tard, de retour au foyer de La Rochelle, Alex mentionne ces quelques jours comme une parenthèse d'exception. Après plusieurs escales aussi dépaysantes à leurs yeux qu'anecdotiques pour le commun des mortels, ils avaient fini leur périple le long de la Baïse , enlacés pour la première fois dans une chambre sous les toits, dans une auberge de campagne. Le lit était petit, le matelas trop mou et l'édredon garni de plumes d'oies bien trop chaud. Ajoutés à cela les rideaux jaunis, la tapisserie à fleurs aux couleurs passées, le mobilier vétuste et le parfum délicat de la violette sur les draps complétaient le tableau d'une authentique chambre de grand-mère. La fenêtre ouverte sur la rivière et son flot régulier, le chant des grillons et la chaleur douce de ces premiers soirs d'été, tout cadrait pourtant avec l'image qu'ils se faisaient de la vie dont ils rêvaient plus tard, à deux. Pas d'aérosol nébuliseur sur un coin de bureau cerné de boîtes de médicaments, pas de calendrier aimanté au frigo surchargé de rendez-vous avec le kiné ou le pneumologue.
Ils ne s'étaient offerts que quelques jours loin de tout ça. Comment pouvaient-ils s'imaginer qu'une idée si innocente puisse être si mal reçue par les adultes, garants du bon suivi des procédures, enclumes greffées aux chevilles des doux rêveurs, épée de Damoclès fendant sans cesse leurs délires, même les plus vitaux ? La Fête de la Musique précipita la fin de leur éphémère évasion. Alex sentit venir la douleur. Elle l'avait pris au ventre comme s'il allait lui-même défaillir. C'était cependant Sarah qui s'effondrait dans ses bras, sans prévenir, au milieu d’un groupe de gens amassés devant une estrade où on reprenait les standards des années 80.
La crise était sérieuse. La jeune femme resterait hospitalisée plusieurs jours. Alex quant à lui vit ressurgir toute l'administration à laquelle il pensait s'être enfin soustrait après toutes ces années passées chez les Davril. Leur escapade coûtait déjà trois mille francs à Pierre qui ne s'expliquait pas pourquoi ils s'étaient enfuis de la sorte. L'incompréhension et la déception dominaient tant dans son regard que le garçon en ressentit un profond mal-être. Il se perçut bientôt tel un corps étranger, une écharde qu'il fallait extraire au plus vite de cette bulle protectrice formée autour de Sarah. Dominique, qui avait tant fait montre de fierté à son égard, pour son travail scolaire comme la complicité qu’il partageait avec sa fille, paraissait désormais avoir remis une distance presque palpable entre eux. L’adolescent se sentait clairement responsable d'avoir mis en danger leur enfant. Elle avait failli mourir. Il fallait qu'il sorte de leur vie, c'était évident.
Les événements avaient pris tout le monde de court, notamment à cause de l'hospitalisation de Sarah. Aussi ni Pierre ni Dominique ne prirent-ils le temps de discuter avec Alex qui se confia seulement au juge auquel fut confié d'estimer la poursuite ou non de son placement chez eux. Personne ne lui ayant manifesté l'envie de le voir rester, l'orphelin resta sur son ressenti, pour ne formuler aucun argument susceptible de motiver son maintien dans cette famille. Il accepta donc sans sourciller les conclusions du magistrat qui estima que cette famille ne pouvait concilier le suivi médical soutenu de Sarah et son accompagnement.
De conclure qu'Alex avait dû exprimer le désir de repartir en foyer, les Davril ne trouvèrent pas grand-chose à ajouter, hormis qu'ils étaient désolés qu'il ne se sentît plus le bienvenue chez eux. Alex n'entendit pas ces paroles cependant. Il ne retint que leurs visages abattus par l’inquiétude qu'il assimila à tort à du rejet. Il se braqua, aussi fermé qu'une huître.
À quinze ans, de retour au foyer, loin de celle qui lui avait donné l'impression d'avoir trouvé sa place des années plus tôt, la déculottée était trop sévère pour ne pas l'ébranler et le rendre particulièrement asocial. À plusieurs années de bonheur à la ferme succéda une solitude incommensurable. Malgré diverses tentatives pour l'approcher, personne ne sut vraiment franchir le mur invisible qu'il dressa bientôt entre le monde et lui. L'adolescent se réfugia dans l'écriture, passant le plus clair de son temps libre un cahier de brouillon et un stylo-plume à la main. Il avait toujours eu une prédisposition pour cela.
Sarah l'avait d'ailleurs encouragé à laisser aller son imagination sur le papier. Avec deux de ses camarades de classe, il s'était même inventé un monde calqué sur les BD, son support préféré pendant un temps. Un jour, il s'était réveillé d’un rêve lors duquel, perdu dans un village de western, il ne retrouverait son chemin qu’en empruntant un train nacré capable de voler. Sarah, qui avait tenté de le reproduire en dessin, l'avait simplement baptisé le Train des Rêves. Ce titre devait devenir celui de la nouvelle la plus aboutie du jeune homme, racontant l’histoire d'une fille tombée dans le coma lancée à la recherche d'un billet supposé l'aider à se réveiller de ce cauchemar.
À présent, Alex n'écrivait plus de fiction. Il enchaînait les réflexions personnelles et les souvenirs, dans une lettre infinie à son amour, pour nourrir l'impression de maintenir une conversation avec elle sur le papier, comme si elle pouvait toujours lire par-dessus son épaule. Internet n'était pas arrivé jusqu'à la ferme Davril et les timbres coûtaient cher. Ils devaient donc limiter leurs échanges à une poignée de pages par mois sur lesquelles aucun centimètre n'était négligé. Dans ses réponses, pas moins démoralisée d'être séparée de lui, elle avait toutefois à cœur de le motiver à poursuivre ses études. Elle lui promettait de le suivre n'importe où dès qu'il aurait un métier en main et la capacité de subvenir à leurs besoins.
Sa mère insistait pour qu'elle-aussi se projette professionnellement, qu'il était hors de question qu'elle se contente de devenir l'ouvrière agricole de Pierre sans le moindre diplôme en poche. Elle allait donc pousser ses études jusqu'au BAC même si elle avait accumulé beaucoup de lacunes à cause de ses nombreuses absences au collège. Aussi un professeur à domicile l'aiderait-il cet été-là à les compenser pour lui offrir d'attaquer la seconde plus sereine.
Alex quant à lui avait réussi à intégrer une seconde technologique sur La Rochelle, ce qui aurait été sa classe s'il était entré comme prévu au lycée de Pons. Le choix d'une branche plus professionnelle plaisait à Pierre, qui privilégiait naturellement les métiers manuels, toujours susceptibles de nourrir leur homme. En vérité, le garçon n'avait pas eu le courage de confronter son talent naissant à l'étude de vrais auteurs et à d'autres aiguisés de la plume plus doués que lui et susceptibles de le décourager. Seulement, il n'excellait ni en maths ni dans les matières technologiques. Ce n'est de ce fait qu'au prix d'efforts soutenus qu'il parvint à boucler une première année de ly-cée passable.
Avec de meilleures moyennes dans les matières générales, il surprit ses professeurs par son entêtement à opter pour l'électrotechnique. Là encore, il ne suivait cette voie que parce que ses rares amis l’avaient choisie, quoique sans grande conviction eux non plus. C'était une fine équipe surtout portée par l'envie de profiter les uns des autres et de faire la fête, comme si une guerre menaçait et qu'à tout moment le monde pouvait partir en vrille. Aucun d'eux ne songeait sérieusement à l'avenir ni à un quelconque plan de carrière. De toute façon, le chômage élevé et la situation économique ne laissaient guère espérer de réelle stabilité professionnelle.
Parmi eux, Alex arrivait à se canaliser et suivre ses cours. D’écouter leurs blagues potaches et de faire partie de leur monde, le temps passait un peu plus vite. Il vivait son histoire d'amour épistolaire et s'il participait à leurs soirées et leurs délires, c’était bien parce qu'aucune technologie ne pouvait lui permettre d'être plus proche de Sarah que la voie postale. Grâce à eux cependant, les trois années séparant l'adolescent de sa majorité passèrent assez vite. La jeune fille avait quant à elle brillé à ses examens, de se découvrir contre toute attente un penchant pour l'Histoire et la science politique.
Hélas lorsqu'il put la rejoindre, Alex qui avait quitté une adolescente vivante et remplie de rêves ne retrouva qu'une jeune adulte à bout de forces. Furieux, il accabla à tort les Davril d’avoir laissé leur enfant péricliter au lycée, de toujours faire passer leur ferme avant leur fille. Il s’acharna à dégoter un logement pour emménager avec Sarah, trop campé sur ses positions pour rester sous le même toit. En définitive, si les caprices du destin devaient le préparer à vivre sans elle et si ces trois ans de séparation auraient dû lui rendre sa mort plus supportable, il est indéniable que le premier sentiment amoureux d'un garçon reste le plus fort. C'était présumer de la pureté de leur lien que de croire Alex capable de renoncer à Sarah.
Ils s'installèrent donc dans un petit meublé sans prétention dès l'été 1996, près de Nérac. Ils eurent un automne magnifique. Alex, qui avait trouvé sans peine du travail en intérim, offrit des week-ends inoubliables à son amour. Hélas, la maladie ne laissa guère de répit à la jeune femme qui poursuivait ses études à domicile, bien incapable d'assumer la charge d'un travail. Elle regrettait évidemment de finir ses jours aussi loin de ses parents adoptifs. Ceux-ci restaient ses héros dans son cœur. Elle espérait même venir à bout de la colère nourrie par Alex à leur égard. Par amour pour lui, elle avait accepté cette distance qu'il avait placé entre eux, mû par des sentiments trop forts pour ne pas le rendre déraisonnable, pour ne pas dire borné.
De guerre lasse, elle se raccrochait au téléphone pour parler à sa mère, qui souffrait elle-aussi de ces quatre cents kilomètres de distance. L'éducatrice jugeait quant à elle qu'Alex leur faisait payer ainsi de ne pas avoir insisté davantage pour le garder auprès d’eux trois ans plus tôt. Elle ne leur en tenait donc pas vraiment rigueur. Ils étaient si jeunes. Ils en avaient tellement vu déjà. C’est le lot d’être parents de voir les petits quitter le nid, se répétait-elle souvent. Sarah avait toujours voulu vivre le plus normalement du monde. C’était donc dans l’ordre des choses. Pierre quant à lui n'avait pas les mots pour décrire ce qu'il ressentait et les bougonneries dont il se rendait coupable ne traduisaient jamais que le manque de ses enfants à la maison.
Cela dit, cette distance ne déplaisait pas à tout point de vue à Sarah, consciente de l’évolution de son état. Elle nourrissait un projet qu'elle n'aurait pas su mettre en œuvre à la ferme Davril. Elle ne voulait pas que le foyer de son enfance porte la trace d'autre chose que de souvenirs heureux.
Alex fête ses dix-neuf ans ce soir du 22 avril. Depuis le début de l'année, il entend le souhait de Sarah d'en finir avant de devenir dépendante d'une machine pour respirer, de vivre dans l'attente hypothétique de recevoir le cœur ou les poumons d'un autre. Elle estime avoir le droit de renoncer, après tant d'années d'efforts, malgré tout le bonheur qu'ils partagent ensemble. La douleur prend peu à peu le pas sur sa capacité à profiter de la vie. Le moindre geste du quotidien deviendra bientôt une épreuve. C'est juste au-dessus de ses forces de se voir décliner ainsi. Il n'est plus temps de se voiler la face. Elle a regardé les choses en face, sans fard. Il faut respecter son choix et la laisser s'en aller.
S'il fait dans un premier temps la sourde oreille, il ne conteste pas sa décision. Enfin il lui demande de l'accompagner dans son dernier voyage. Il a vécu trois longues années séparé d'elle et tout ce qui l'a motivé à mettre un pied devant l'autre chaque matin était de partager à nouveau sa vie, ne serait-ce qu'une poignée de jours, comme à l'époque de leur fugue. Ils avaient eu plusieurs mois. C'était proprement inespéré pour lui. Elle rejette d'abord en bloc son idée, lui vante sa jeunesse et une santé dont elle n’a jamais joui, sa chance de pouvoir vivre des choses auxquelles elle n'a eu le droit que de rêver. Elle met en avant ses talents, qu'ils soient littéraires ou humains, son don unique de capter le ressenti des gens. Justement, sans elle, cette dernière aptitude ne se manifeste presque pas. Il se voit donc condamné à vivre à moitié, où qu'il aille, quelles que soient ses fréquentations futures. Jamais il ne retrouvera une telle connivence avec quelqu'un d'autre. Ils débattent de longues heures avant que, de guerre lasse, elle lui concède qu'il ne saura vivre sans elle à ses côtés. Le jeune homme notera plus tard dans son journal intime que ce soir-là, elle guettait longuement quelque chose ou quelqu’un par la fenêtre de leur cuisine. Y cherchait-elle un signe pour justifier ce qu'elle s'apprêtait à faire ? Un pardon qui sait ? Il n’a pas su le dire sur le moment.
Ils font l'amour une dernière fois, boivent tout ce qu'ils peuvent pour se donner le courage nécessaire d'aller au bout, ensemble. Ils énumèrent leurs regrets les plus amers, de n'avoir pas eu d'enfant ni la chance d'avoir construit un vrai nid construit à deux, au-delà de ce petit meublé. Alex avale avec une confiance aveugle la quantité de somnifères qu'elle lui donne. Elle prend sans tarder le reste des cachets. Rhabillés, ils s'allongent l'un à côté de l'autre, sur leur lit refait. Il ne faut pas donner l'impression d'avoir agi sur un coup de tête. Le sommeil gagne bientôt le jeune homme, sournois, pesant, implacable. Malgré un sursaut d’entendre une porte claquer au loin, les yeux remplis de larmes, Alex perd connaissance le premier, son regard de jais plongé dans le vert émeraude des yeux de Sarah Davril.  
17 mai 1997
Lorsque Pierre récupère Alex à la gendarmerie de Nérac, il a du mal à le reconnaître de prime abord. La barbe épaisse, quelques mèches décolorées, les vêtements sales voire craqués par endroits, il ressemble davantage à un clochard qu'au jeune homme encore présentable qu'il retrouvait à l'hôpital le lendemain de sa tentative.
Sarah ce soir-là avait obtenu ce qu'elle souhaitait. Elle était partie sans douleur, s'était-on attelé à lui répéter. Il ressortit lui-même ce poncif au jeune électronicien lorsqu'il se rendit à son chevet. De là, les funérailles furent célébrées en Charente, où repose désormais la jeune femme. De n’y voir que du folklore sans le moindre rapport avec les goûts et les rêves de celle qu'il avait perdue, Alex repartit dès le lendemain en train à Nérac, sous prétexte de devoir préparer son départ du Lot-et-Garonne. Vivre seul dans une ville qu'ils avaient adoptée à deux était désormais intolérable. Il paraissait trop bien, trop posé pour ne pas éveiller de soupçon. Cependant les Davril n'osèrent pas lui faire part de leur inquiétude à son sujet, pour se contenter de lui proposer leur aide s'il la souhaitait.
Seulement au lieu de mettre ses affaires en ordre, Alex se laissa submerger par le chagrin. Il ne reprit pas le travail, ne régla plus ses factures. Il traîna en boîte de nuit à boire jusqu'à ne plus savoir mettre un pied devant l'autre, à se réveiller quasiment là où les videurs l’expédiaient la veille. Il recommençait alors son manège ailleurs jusqu’à écumer des endroits de plus en plus louches. Le soir de sa garde à vue, il fut tout juste capable de feinter ne pas savoir que son dernier « pote de virée » était un dealer notoire. Celui-ci le tannait pourtant sans vergogne de prendre de quoi voir la vie en mieux, dans un genre blanc et poudreux. Ce n'est toutefois qu'à partir du moment où il se voit dans le regard de son beau-père qu'il réalise qu'il ne peut pas continuer ainsi.
Il ne peut s'empêcher de repenser à son bref retour à la maison après leur fugue d’adolescents. C'étaient déjà les forces de l’ordre qui « organisaient » leurs retrouvailles. La même tristesse, la même mine inquiète. Pour l'orphelin, le regard de Pierre a gardé énormément d'impact sur sa façon de se comporter, ses goûts comme ses choix. De ne susciter qu'un mélange de déception et de souffrance chez lui provoque un électrochoc salvateur au garçon qui suit son ancien tuteur sans mot dire jusqu'à sa voiture.
La route du retour est longue. L'adulte respecte le silence d’Alex, convaincu qu'il trouvera les mots plus tard ou à défaut, l'attitude. Il met donc la radio pour leur tenir lieu de conversation. L'électrotechnicien serre entre ses mains la couverture noire de son carnet, ce journal intime où Sarah inscrivait ses derniers mots. Hormis son portefeuille, c’est la seule chose qui ne le quitte pas.
Lorsqu’il avait décidé d'en tenir un, peu après son retour à La Rochelle, elle avait suggéré que ce serait bien qu'il recèle leurs meilleurs moments pour leur donner du courage lorsqu'ils traverseraient une épreuve. Ils avaient clairement présumé du pouvoir des mots. Sarah y rédigeait toutefois un poème à son insu, la veille de sa mort. Elle avait prévu qu'il faudrait ruser avec lui pour qu'il accepte à la fois de la laisser partir et de se réveiller le lendemain matin. Et ce ne sont guère que ces quelques strophes qui l’ont empêché de retenter sa chance du haut d’un pont ou dans le mauvais dosage d’un shoot.  

Tu as balayé ces châteaux de cartes auxquels je croyais
Et je t’ai détourné des rêves dont tu jouais les jeux, ailleurs.
Nous avons joui de ce que la vie avait de meilleur
Des papillons, des rires d’enfant, notre rivière et les forêts.
Rien ne te destinait à moi, ni moi à toi ou si peu.
Ensemble pourtant, nous avons trouvé notre idéal.
Mais on n’a jamais vu de printemps durer quatre saisons,
Encore moins la vie prendre le pli d’un amour trop parfait.
Ne pleure pas, mon amour, je ne fais que m’éloigner un peu.
Tu trouveras j’en suis sûre, quelqu’un pour te faire oublier…
Ta petite Sarah.


Finalement, le carnet entrouvert, il feuillette ses propres pensées, avant d’aviser un stylo dans le vide-poche, entre deux jetons de chariot et un paquet de chewing-gums.

« Mon cœur en ta présence s’est allégé de blessures vaniteuses qu’on porte parfois pour se prouver qu’il bat encore. Tu m’as fait découvrir que les petites tortues  peuvent avoir des ailes et ne peser guère plus que les fleurs qu’elles butinent, tandis que le tabac d’Espagne5 est sûrement le moins dangereux pour la santé. »
(...)
« Ma vie ne s’est pas arrêtée là. J’ai rouvert les yeux sur le plafond blanc de notre chambre, étrangement soulagé, étrangement étranger à mon corps si longtemps oublié. Libéré du poids de la douleur physique, je ne garde qu’une plaie béante à l’âme. »
(...)
« J’ai perdu celle que je chérissais le plus sur Terre. Mon cœur a revêtu des allures de forteresse où tu reposeras en paix, mon amour. Rien ne saura plus troubler mon âme. Car à regarder trop près une étoile, on est ébloui au point de ne plus voir autre chose. »

Il inscrit finalement :
« Pierre m’a repêché à la gendarmerie dans un état lamentable. C'est dingue comme son regard sur moi peut encore avoir de l'impact. En un seul coup d’œil, il m'a traduit à quel point Sarah serait déçue de me voir ainsi. Je m'attendais à ce qu'il bougonne, me reproche la drogue, l’alcool, la clope. Quelque chose… Son silence dépasse de loin tout ce que je pouvais craindre. Il m’a proposé de rentrer à la maison. Je l’ai suivi, incapable de discuter même si, au fond, je ne mérite pas cette main qu’il me tend toujours aujourd’hui.
Est-ce la fatigue ou le chagrin ? Je ne saurais décrire avec précision ce désœuvrement qui me paralyse et m’empêche de penser. Est-ce cela qu’on appelle mélancolie, ce décalage avec la réalité, cette poursuite languissante d’une vie privée de lumière ? Ce souffle et ce cœur qui luttent en vain ? Je me sens si las de tout, de ce monde en mouvement, agaçant de futilité là où je ne suis plus qu’inertie et désespoir.
Quel avenir peut mériter que je sois resté en vie ? Qu’est-ce qui pourrait bien justifier que je me lève, que je me rase et me conduise comme tous ces gens qui se pensent si uniques, indispensables même alors qu’ils sont tout aussi vains et éphémères que moi... »

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Résumé :

Quand Nathalie Lesage, commandant à la PJ de Lyon, reçoit un appel au secours de l'un de ses amis, elle n'hésite pas une seconde et part aussitôt pour Albi afin de l'aider à retrouver sa jeune sœur. Une banale disparition qui, très vite, va se transformer en course-poursuite, jonchée de cadavres et de mystères : un dangereux et insaisissable « Monsieur Étienne », une obscure école de magie, d'étranges disparitions…

Mon avis :

Tout d’abord, je tiens à remercier les Éditions Taurnada pour leur confiance, et de m’avoir permis de découvrir ce roman au résumé attractif.

Pour avoir dévoré les précédents ouvrages de l’auteur, pour les plus curieux, mes chroniques ici : Une arête dans la gorge,      La quatrième feuille
Il n’est pas indispensable d’avoir lu les précédents pour appréhender son petit dernier ; vous ne pourrez juste pas apprécier l’évolution des personnages principaux.

Dans ce dernier opus, nous retrouvons donc avec plaisir la coriace et indépendante Nathalie Lesage, qui, pour une fois n’est pas coutume, va nous laisser entrer dans sa vie privée. La jeune femme, marquée par de nombreuses blessures, s’est encore endurcie et reste mobilisée plus que jamais à rendre justice aux nombreuses victimes.
C’est pourquoi, lorsqu’elle reçoit l’appel désespéré de Samir, sa détermination à résoudre cette enquête grimpe à son paroxysme. Comment refuser d’aider son meilleur ami et anciennement ex-amant dont la petite sœur Louna a mystérieusement disparu ?
Sans se poser davantage de questions, notre enquêtrice pose les quelques jours de congés qu'il lui reste, quitte précipitamment Lyon et vole littéralement à son secours afin de l’aider dans ses recherches. Certes, elle est hors de sa juridiction, mais comme la gendarmerie ne semble pas se préoccuper de ce cas, elle va s’empresser de le rejoindre pour mener sa propre enquête en sous-marin.
Sauf que, notre commandante a-t-elle bien pris conscience de la où elle va mettre les pieds ?
Ces quelques lignes posées, le ton est donné ; notre curiosité est piquée au vif ; les questions taraudent notre esprit en ébullition.
Où est Luna ?
Que s’est-il passé lors de cette dernière soirée ?
A-t-elle fait confiance à des personnes peu scrupuleuses ?
Est-elle tombé dans un piège ?
Louna a-t-elle été enlevée par un réseau de trafics d’humains, traite des blanches ou pour une autre raison ?
À l’image de nos protagonistes , nous voici plongés, happés, enferrés au cœur d’une intrigue complexe mais fascinante à la manière d’un puzzle macabre, dont les pièces ont bien du mal à s’imbriquer.
Au fil de découvertes de plus en plus troublantes et abominables, on ressent de plus en plus l’urgence de la situation. Il faut vite retrouver Louna, avant que l’abominable se produise.
Opiniâtre et résolue, Nathalie, son fidèle coéquipier Cyrille, ainsi qu'une vieille dame, Lucie Dubrac dont la petite fille a également disparu depuis de nombreuses années, vont œuvrer pour faire jour sur cette affaire au péril de leur vie ; leurs recherches les mèneront aux portes d'une école de magie en pleine ville d'Albi, ainsi que sur les traces d’un châtelain peu scrupuleux.
En parallèle de l'enquête, nous nous retrouvons aussi en compagnie de victimes enfermées dans des conditions assez particulières, bien déterminées à fuir cet enfer.
qui sont-elles ?
Quel est le rapport avec l’enquête en cours ?

Dans ce récit addictif, tout le monde sera mis à rude épreuve. Des indices, des doutes, des incertitudes, des fausses routes, des tortures de toute nature…il sera difficile de défaire les nœuds de cette affaire sans y laisser quelques plumes.
Pourquoi malgré nombre d’informations rassemblées, la police semble-t-elle toujours aussi inerte ?
Peut-être des personnes influentes et protégées sont-elles impliquées ?
Peut-être ne souhaitent-elles pas qu’on fouille dans leurs affaires, et qu’on mette à jour un trafic sexuel peu recommandable ?
Grâce à une écriture tantôt fluide et percutante, tantôt acérée et entraînante, nous faisons corps avec les personnages. Fort bien campés, attachants ou détestables, ils servent parfaitement le récit. Nous tremblons pour eux, apprécions leurs actions, ou condamnons certains de leurs comportements abjects… bref, l’immersion est totale. Les chapitres sont courts et rythmés. Les pages défilent à toute allure et on veut savoir, connaître le chemin que veut nous faire emprunter l’auteur.
De rebondissements en rebondissements, de fausse piste en fausse piste, nous retenons ainsi notre souffle, jusqu’au dénouement final inattendu.
Retrouver Nathalie fut un vrai plaisir, et l’incursion dans sa vie personnelle apporte une profondeur supplémentaire, montrant une facette de sa personnalité extrêmement appréciable.
Vous l’aurez compris, j’ai beaucoup aimé ce thriller intense et bien rythmé, la plongée au cœur d’un univers méconnu et peu abordé, sans oublier la qualité de l’intrigue et la manière dont elle a été menée.
Alors, si vous aimez les romans qui sortent des sentiers battus, de ceux qui vous secouent, vous glacent le sang ou vous révulsent tout en vous faisant réfléchir sur les travers de l’espèce humaine…. foncez, ce livre est fait pour vous ; vous passerez un excellent moment de lecture :pouceenhaut:

Ma note :

:etoile: :etoile: :etoile: :etoile: :etoilegrise:



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Comme le jour et la nuit-Nos différences-T3 de Marjorie Levasseur



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Prologue

Adam

Après avoir observé pendant plusieurs minutes le ballet des pompiers allant et venant entre leur camion et le bâtiment en échangeant leurs directives, je constate avec soulagement que le feu s’éteint paisiblement. Le début d’incendie n’a heureusement pas eu le temps d’occasionner trop de dégâts au petit chalet scindé en deux logements distincts que monsieur Fouchet me loue pour moitié à un prix défiant toute concurrence.
L’inconvénient avec la mitoyenneté, c’est que vous n’avez pas la moindre intimité, enfin… tout dépend du voisin — ou de la voisine, en l’occurrence.
Je pourrais m’y habituer, après tout ma vie est un long fleuve tranquille qui ne captive pas les foules. Mais lorsque l’on vit à côté d’une folle dangereuse à deux doigts de mettre le feu à un chalet entier avec un simple bâton d’encens — on se demande bien comment elle a fait son compte — il est bien difficile de rester serein. À côté d’elle, mon ancien voisin, monsieur Guillermin, qui était pourtant un vieux grincheux acariâtre, était d’un reposant !
J’habite Chamonix depuis toujours. Je n’ai quitté ma ville natale qu’afin de poursuivre mes études à Grenoble pour devenir professeur. Depuis tout petit — si tant est que j’aie été, un jour, de petite taille — j’aime le bon air et le calme de nos montagnes, les sites à couper le souffle et la bienveillance des gens que j’ai côtoyés pendant toute ma vie. Je suis un Haut-Savoyard pur et dur, soucieux de la nature. Je n’aurais donc pas souhaité la voir partir en fumée. Comme le chalet est à deux pas d’un bois, nous avons vraiment frôlé la catastrophe.
J’observe de loin ma voisine se faire gentiment houspiller par l’un des pompiers. Avec le regard de Chat Potté qu’elle lui sert — un regard ourlé de longs cils blonds fardés de mascara — je me doute qu’elle essaie de l’amadouer en lui affirmant, la bouche en cœur, que « Juré, elle n’utilisera plus jamais d’encens ». Et vu le sourire que ce soldat du feu lui rend, le numéro de charme semble bien fonctionner.
Je lève les yeux au ciel. Quand je les repose sur elle, les siens m’envisagent d’un air moqueur. Elle est jolie et elle le sait. Et elle n’ignore pas que son charme me fait, à moi, autant d’effet que du mercurochrome sur une jambe de bois. Son air enjôleur me laisse de marbre. Je préfère rester aussi loin que possible d’elle et des problèmes qu’elle est susceptible de créer. De ME créer.
Depuis qu’elle a emménagé de l’autre côté du mur, je me suis juré de ne jamais, ô grand jamais, baisser ma garde. Cette fille me rend déjà complètement dingue quand je la tiens à distance, je n’ose imaginer ce qu’il adviendrait de moi si je la laissais s’engouffrer, ne serait-ce que de quelques pas, dans ma sphère intime.
Non, je préfère ne pas y penser…

Chapitre 1

Adam

Quand un voisin déménage, c’est comme lors d’une rupture. On sait ce que l’on perd, mais le mystère demeure sur ce qui nous attend. J’exagère à peine ! Monsieur Guillermin était le locataire de monsieur Fouchet depuis plus de dix ans lorsque j’ai investi mes quartiers. S’il n’était pas particulièrement aimable, au moins était-il discret. Je n’ai jamais eu à m’en plaindre et je crois pouvoir dire que la réciproque était vraie.
Moi qui aspire au calme et à la tranquillité lorsque je suis chez moi, j’ai vraiment joué de malchance le jour où cette blondinette ridiculement petite — sans discrimination aucune, tout me paraît ridiculement petit du haut de mon mètre quatre-vingt-dix-huit — est venue s’installer à côté. Depuis qu’elle vit dans l’autre partie du chalet, je n’ai pas souvenir d’avoir dormi une seule nuit complète ou pu profiter d’un répit pour faire une microsieste, sans être réveillé en fanfare.
Quand elle est chez elle, elle écoute de la musique à toute heure du jour et de la nuit. Et ses goûts en la matière sont particulièrement éclectiques : de Mozart à NTM en passant par Céline Dion, tout y passe. Pour le plus grand malheur de mes oreilles. Moi qui ne jure que par Led Zeppelin, les Pixies ou encore Radiohead, je suis servi !
De plus, j’ai une voisine particulièrement expansive. Que ce soit lors des fêtes qu’elle organise une à deux fois par semaine et durant lesquelles elle braille comme une forcenée pour se faire entendre par ses invités, ou ses parties de jambes en l’air avec des apollons au regard de braise, la demoiselle est la personne la plus bruyante que j’aie eu l’occasion de côtoyer. Et je m’en serais bien passé… Depuis que miss Casta vit à côté, ma vie est devenue un véritable enfer…
Miss Casta… Et dire qu’elle n’est même pas venue se présenter quand elle s’est installée ! Si je n’avais pas eu la curiosité de regarder sur sa boîte aux lettres, je serais encore en train de m’interroger sur son nom de famille. Par contre, aucun prénom : c’est Mlle Casta. Point. Une adepte des ouvertures de chakra sur fond de musique bizarre et de bâton d’encens brûlé. Quand elle est chez elle — parce que cela lui arrive de s’absenter de son domicile pendant plusieurs jours. Et dans ce cas, je suis le plus heureux des hommes : enfin tranquille !
Malheureusement, cela n’arrive pas aussi souvent que je le voudrais. Je ne sais pas trop dans quel domaine elle travaille. J’ai déduit de ses absences habituelles à l’heure du déjeuner et à celle du dîner jusqu’à son retour entre 23 h et minuit — du moins quand je suis en week-end ou pendant les vacances scolaires — qu’elle devait occuper un emploi dans la restauration ou quelque chose dans le même genre.
Non, je n’épie pas ses allées et venues. Pas le moins du monde. Elle fait juste un tintamarre du diable quand elle part de son domicile ou y revient : elle adore claquer les portes. Je pourrais tout à fait lui rendre la pareille, mais ce n’est pas mon style. Si un jour les choses dérapent, je ne veux pas qu’on ait quoi que ce soit à me reprocher. D’ailleurs, quand on y pense, ce début d’incendie, c’est déjà un sacré dérapage et j’avoue que lorsque je me suis retrouvé face à elle, après avoir senti l’odeur de brûlé venant de son logement, j’ai perdu mon sang-froid. La peur aidant, sans doute, les mots sont sortis tout seuls de ma bouche. Des mots qui ne font, d’habitude, pas partie de mon vocabulaire, surtout quand je m’adresse à une femme. Mais là, je suis parti en cacahuète, je l’avoue !
J’ai bien vu qu’elle tentait de s’excuser et de me calmer en m’affirmant que ce n’était pas grand-chose et qu’elle avait prévenu les pompiers qui n’allaient pas tarder à prendre les choses en main, mais j’étais trop énervé pour l’écouter. Cet accident, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Qu’elle écoute sa musique trop fort et qu’elle ait l’orgasme bruyant passe encore, mais qu’elle fiche le feu à mon domicile, non. Elle a dépassé les bornes !
Après ça, nos relations de voisinage — si rares soient-elles — ne vont pas aller en s’améliorant, j’en ai conscience. Et dire que mon pote Maxime m’a conseillé il y a peu de mettre de l’eau dans mon vin, d’essayer de prendre les choses avec philosophie… Avec philosophie ! Il en a de bonnes ! On voit bien que ce n’est pas lui qui vit à côté d’une folle furieuse, apprentie pyromane de surcroît !
Non, lui, il a carrément emménagé avec sa voisine ! Maxime a rencontré Marie il y a un peu plus d’un an et demi lorsqu’elle est venue s’installer dans l’appartement situé sur le même palier que le sien. Depuis, leur histoire a évolué de façon plus intime. Malgré leurs onze années d’écart, ils sont tombés amoureux. Ils ont quitté leurs domiciles respectifs et vivent à présent dans un logement plus grand avec Antonin, le neveu de Max, et Rambo, le chat de Marie. Ils nagent littéralement dans le bonheur. Après qu’il a perdu sa sœur dans un accident tragique et qu’il s’est vu confier la garde d’Antonin du jour au lendemain, l’obligeant ainsi à quitter la Haute-Savoie où il enseignait, je me suis fait du souci pour lui. Mais même si sa présence me manque parfois, je suis vraiment heureux pour mon vieux pote.
Moi, ce genre de chose n’est pas près de m’arriver. Tomber amoureux de ma voisine, je veux dire. Je ne désespère pas de trouver un jour la femme de ma vie, mais celle-ci n’est certainement pas la fille déjantée qui vit à côté de chez moi. Je connais très peu de choses sur elle, mais je suis à peu près certain que nous ne pourrions pas nous supporter si nous devions cohabiter. C’est déjà difficile avec un mur entre nous…

Chapitre 2

Mlle Casta

Adam Périllat…
J’ai bien cru qu’il allait m’arracher les yeux ! Quand il est apparu sur le seuil de ma porte, les traits déformés par la colère — ou la peur ? — et les yeux fous, à travers la fumée produite par l’embrasement de mes rideaux, j’ai cru voir Lucifer sortir des flammes de l’Enfer ! Je n’ai pas arrêté de m’excuser, mais cette armoire à glace aux allures de Mr. Propre ne veut rien entendre. Ce n’est pas de ma faute si le bâton d’encens que j’ai allumé a mis le feu au rideau. C’est à cause d’un courant d’air…
C’est bien la première fois que je le voyais s’énerver, lui qui n’a jamais eu un mot plus haut que l’autre, toujours placide et sans saveur. C’est presque dommage… s’il affichait un sourire sur ses lèvres, je suis certaine qu’il serait charmant. Mais voilà… chaque fois qu’il me croise, il prend son air renfrogné et marmonne dans sa barbe… Au sens propre comme au sens figuré, même si elle n’est pas bien fournie, juste un collier de poils bruns qui accentue le carré de sa mâchoire et une légère moustache. Ses yeux couleur chocolat me fusillent dès qu’ils en ont l’occasion…
J’ai longtemps été tentée de croire que ce mec devait être d’un ennui mortel jusqu’à ce que j’entende du rock résonner dans son appartement. Du rock… On est forcément un peu exubérant quand on écoute ce genre de musique, non ? En tout cas, c’est le cas de mon père qui ne jure que par ce style musical. D’ailleurs, le rock’n’roll a fini par m’écorcher les oreilles avec les années… Ou sont-ce juste les conséquences qu’a eues le statut de bassiste de mon paternel sur ma vie qui ont provoqué cette aversion ?
Bref… comme je n’avais pas envie de profiter des goûts musicaux discutables de mon voisin, je me suis mise à mettre ma sono à fond. OK, ce n’est pas très sympa — il n’y est pour rien dans mon désamour du rock — et certainement pas très civilisé, c’est d’ailleurs peut-être l’une des raisons qui ont tué notre relation de voisinage dans l’œuf, mais je n’en pouvais plus. Oh, ce n’est pas que le volume était haut, non, pas du tout, pour ça Adam Périllat est plutôt respectueux des autres — contrairement à moi — c’est juste… Enfin voilà, quoi !
Après ça, je n’ai plus jamais entendu la voix de Mick Jagger à travers le mur qui sépare nos deux logements. Je ne pense pas qu’il ait arrêté d’écouter les Rolling Stones, mais sans doute a-t-il opté pour l’utilisation d’un casque. En tout cas, il ne m’a jamais fait la moindre remarque… D’ailleurs, cette absence de réaction m’horripile tellement que j’en fais deux fois plus, histoire d’obtenir ne serait-ce qu’un frémissement de mâchoire, un reproche déguisé… J’organise des fêtes, invite mes conquêtes à dormir chez moi, en m’exprimant le plus bruyamment possible dans les deux cas. Rien n’y fait.
On pourrait se demander pourquoi je mets tant d’énergie à essayer d’énerver mon voisin. Je crois qu’en tant qu’actrice — je n’en fais pas mon métier, ce ne sont pas les quelques représentations mensuelles à la MJC de Chamonix qui assureraient ma subsistance — j’ai besoin d’attirer l’attention sur moi, et son indifférence à mon égard me perturbe. Je suis loin d’être moche, tous les hommes que j’ai eus dans ma vie n’ont eu de cesse de me dire que j’étais, je cite, « un joli petit lot ». Mais Adam Périllat semble complètement hermétique à mon charme naturel. Je vais finir par penser qu’il n’aime pas les femmes… Enfin, quelle importance après tout ? Musclor et moi n’avons absolument rien en commun, j’en suis persuadée.
Rien que ça, tiens… Ses gros biceps. Je suis certaine qu’il passe des heures à soulever de la fonte, certainement face à un miroir d’ailleurs, comme tous les body-buildés. Moi, mes seules activités physiques se limitent aux trente minutes de vélo que je fais pour me rendre à la brasserie où je travaille comme serveuse et en revenir, et aux galipettes auxquelles je m’adonne avec mes amants occasionnels — galipettes, soit dit en passant, qui ne me font pas brûler énormément de calories tant je m’ennuie.
Bref, Adam Périllat et moi sommes totalement différents. Je suis sûre que c’est un maniaque de l’ordre et du contrôle. Il n’y a qu’à voir son côté du jardin avec ses haies impeccablement taillées, son gazon tondu une fois par semaine en été (tous les mercredis après-midi, sans exception). La vie de ce mec doit manquer cruellement de fantaisie. Il doit passer ses soirées à lire des pavés de plusieurs centaines de pages sur la Révolution française ou la physique quantique. Il ne reçoit jamais personne et sort très peu, sauf pour aller courir, faire ses courses ou se rendre à son travail — travail dont j’ignore les spécificités. Il doit être videur de boîte de nuit ou bibliothécaire… Oui, je sais, ce sont deux professions qui paraissent absolument aux antipodes l’une de l’autre.
Moi, je vis dans un joyeux bordel. J’aime le désordre, il n’y a que quand mon salon est sens dessus dessous que je retrouve les choses. Et puis, comme le dit une citation attribuée, à tort ou à raison, à Einstein : un bureau bien rangé est le signe d’un esprit dérangé. Je suis donc tout à fait saine d’esprit ! N’en déplaise à mon voisin qui a eu le culot de me traiter de folle ! J’ai été tellement abasourdie — ayant plutôt été habituée à son mutisme — que sur le coup, j’ai cruellement manqué de repartie. Depuis que les pompiers sont partis, je n’arrête pas de l’insulter… dans ma tête, évidemment. Mais ça me fait un bien fou !
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Mise en avant des Auto-édités / Re : Le serment de Angelo Casilli
« Dernier message par marie08 le dim. 26/03/2023 à 15:53 »
« Le serment » est le troisième roman de Angelo Casilli que je lis et je n’ai pas été déçue. Une fois de plus, l’auteur a placé dans son roman tous les éléments d’un excellent thriller. Très vite, j’ai été captivé par une intrigue aux rebondissements multiples et au suspense magistralement distillé au fil des pages. Le tout servi par la plume efficace, agréable et fluide de Angelo.

Dans ce dernier opus, qui se déroule un peu plus d’un an avant les terribles événements relatés dans « Le tueur invisible », nous retrouvons le commissaire Jack Lewis et sa fille, faisons connaissance avec sa femme et de deux de ses amis, des copains d’enfance, dont l’un est gendarme et l’autre vigile.

L’histoire : prenez un serial killer, surnommé l’étrangleur aux foulards par les médias, parce qu’il signe ses crimes en laissant sur ses victimes le foulard qui a servi à les tuer, mettez-le dans la même ville que Jack Lewis, confiez-lui alors l’affaire, et la chasse à l’homme commence.
Mais je n’en dirais pas plus pour ne rien spoiler.

Si vous aimez les thrillers où l’intrigue jongle avec rebondissement, suspense et émotion, ce roman est pour vous.
Quant à moi, je remercie Angelo Casilli pour m’avoir fait passer un excellent moment de lecture. 

https://www.amazon.fr/serment-Angelo-Casilli/dp/2956232126/ref=sr_1_1?crid=22DSH6T989IV8&keywords=le+serment+angelo+casilli&qid=1679837823&sprefix=le+serment+%2Caps%2C915&sr=8-1

 
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Bonjour à tous :)
Pour ouvrir cette nouvelle rubrique de « L’actualité des indés mise en avant », avec Le #ÇaMeDitDeParlerD1EvenementInde, il me paraissait indispensable de débuter par l’une des pionnières dans ce domaine ; je voulais parler de la talentueuse Fateah Issaad @fissaad auteure de plusieurs ouvrages fortement appréciés, avec la création de son génialissime « Marché de l’auto édition »

De quoi s’agit-il, cela s’adresse à qui ? L’instigatrice nous l’explique elle-même :

"Le Marché de L'auto Édition regroupe des auteurs indépendants sur un marché dans un café.
Chaque 1er dimanche du mois, 5 auteurs se réunissent sur la terrasse du Café le DEBUSSY de la ville de Maisons-Alfort sur un slogan simple : 1+1=PL1 (plein) seul on va vite, ensemble on va loin...
L'événement est gratuit puisque le café nous invite gracieusement, et les auteurs gèrent eux même leurs ventes.
Le concept s’exporte aujourd'hui dans plusieurs villes de France, géré par des auteurs indépendants.
un marché, des auto édités, des lecteurs, le merveilleux cocktail de l'écriture !"


Lien pour le groupe sur FB:
https://m.facebook.com/groups/1741812086085025/?paipv=0&eav=AfbsV1P-hUV3p-



Vidéo qui explique plus longuement le concept :

[youtube]https://www.youtube.com/watch?v=4vdvyZuBCyU&t=2s[/youtube]

Vous êtes dans la région ? Amis auteurs, n’hésitez pas à la contacter, elle se fera un plaisir de vous accueillir ;)


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Vous connaissez, voulez parler d’un événement, d’une manifestation, d’un salon ou tout autre chose où les Indés sont acceptés, mis à l’honneur ?

Le #ÇaMeDitDeParlerD1EvenementInde est fait pour vous :pouceenhaut: ^^

N’hésitez pas à me contacter par mail, en fonction de mon emploi du temps et des demandes, je me ferai un plaisir de relayer les initiatives qui mettent un coup de projecteur sur nos amis AE :clindoeil:

Procédure :
Petit topo qui explique l’événement, plus image de l’affiche.
Liens RS de l’instigateur, plus  groupe, vidéo ou lien du site du projet s’ils existent ^^
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Mise en avant des Auto-édités / Le serment de Angelo Casilli
« Dernier message par Apogon le jeu. 16/03/2023 à 16:51 »
Le serment de Angelo Casilli



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Citations


Quand les hommes choisissent de tuer des innocents pour parvenir à leur fin, il s’agit toujours de meurtres.                                   
   Elizabeth Anscombe.


La violence inassouvie cherche et finit toujours par trouver une victime de rechange.

   René Girard.


Prologue


  Non, ce n’était pas normal, rageait-il en tapant des pieds pour se réchauffer. Quelque chose clochait. Que pouvait-elle bien faire ? Cette attente prolongée près de l’étang de la Ballastière, non loin du domicile de madame Gauthier, n’était pas prévue au programme et il ne s’était pas vêtu cette fois en conséquence. Son imperméable gris, même boutonné jusqu’au cou, ne lui assurait pas une protection efficace contre ce froid d’automne. Seules ses mains gantées et bien enfoncées dans ses poches étaient épargnées par le froid. Il ressentait même une petite chaleur agréable. Ce n’était pourtant pas pour cette raison qu’il avait chaussé ses gants avant de sortir de son véhicule, mais pour ce qu’il s’apprêtait à faire. Éviter de laisser des empreintes sur les lieux de son passage était une mesure de sécurité indispensable à son activité, tout comme planquer sa Clio sur un parking à une centaine de mètres du lieu de son forfait. C’étaient encore pour les mêmes raisons que Brice avait choisi ce poste d’observation. Il pouvait surveiller le domicile de madame Gauthier tout en gardant une certaine distance pour ne pas attirer l’attention. Tout avait été soigneusement préparé, mais rien ne se déroulait comme prévu. Il était à deux doigts de tout laisser tomber.
  Même ce vent frais qui venait de faire son apparition semblait lui aussi s’être levé pour l’encourager à partir. Mais il n’était plus question pour lui de reporter l’opération à plus tard. Le temps pressait. On était vendredi et il ne pouvait pas s’offrir le luxe de patienter encore jusqu’à lundi. Ses dernières « visites » n’avaient pas été très fructueuses et ses maigres économies avaient fondu comme neige au soleil. Il lui fallait absolument se renflouer aujourd’hui s’il voulait manger. C’était une question de survie. C’était ainsi que Brice justifiait ses actes. À quarante-quatre ans, il avait déjà une solide expérience derrière lui. Ses surveillances répétées lui avaient appris que le couple ne possédait pas de chien, ce qui était un atout non négligeable. Les volets étant toujours fermés, ses repérages l’avaient aussi renseigné sur le matériel dont il devrait disposer pour forcer la porte à l’arrière de la maison. Il était fin prêt pour passer à l’action.
  Oubliant momentanément le froid, il se mit à rêver en observant cette demeure d’architecture moderne isolée des autres. Il espérait bien y trouver cette fois quelques billets ou autres objets de valeur qu’il pourrait revendre à bon prix. Perdue dans ses pensées, une autre image s’imposa malgré lui dans son esprit : celle du visage de madame Gauthier. Cette proximité régulière avec elle au fil des jours avait créé un lien indicible qu’il ne parvenait pas à chasser. Dès le premier regard, il avait tout aimé en elle, son élégance, ses attitudes, et dans sa manière de se déplacer. La classe à l’état pur. Le genre de fréquentation qu’un raté comme lui n’aurait jamais, se disait-il.
  Le vent frais le ramena à la réalité. De rage, il repoussa d’un geste violent son sac en bandoulière sur le côté et sortit pour la troisième fois la main de sa poche pour vérifier l’heure : quatorze heures trente. Elle aurait dû être sortie depuis un petit moment maintenant. Trois semaines, qu’il surveillait chaque jour ses habitudes et celles de ses proches qui ne se résumaient au final qu’à son mari. Elle faisait toujours à pied le trajet de son domicile à l’agence immobilière où elle travaillait et vice versa. Il connaissait ses horaires par cœur. Arrivée chez elle à douze heures dix, départ pour l’agence à treize heures cinquante avant de rentrer vers dix-huit heures dix. C’est cette dernière tranche horaire qui l’intéressait : le moment où elle repartait sur son lieu de travail pour l’après-midi. Pour ce qui était des horaires de son mari, il y avait peu de chance de se faire surprendre par lui. Il partait tous les jours tôt le matin et revenait en fin d’après-midi au volant de sa Mercedes-Benz CLS 320. Rien n’avait changé en deux semaines. Au point qu’il en était venu à limiter ses temps de présence ces derniers jours entre midi par sécurité. Il se contentait d’attendre qu’elle soit rentrée à son domicile avant de retourner dans son véhicule, puis revenait à treize heures trente-cinq pour la voir repartir à son travail.
  Ce n’est vraiment pas de bol, se disait-il, qu’elle décida justement aujourd’hui de modifier ses habitudes. Une réflexion s’imposait. Quelles que puissent être les raisons qui l’auraient poussée à sortir plus tôt, ça faisait son affaire, mais il devait aussi envisager la possibilité qu’elle soit toujours à l’intérieur. Avait-elle pris congé ? Était-elle malade ? Brice l’avait vue arriver à pas rapides et elle ne lui avait pas donné l’impression d’avoir une défaillance quelconque. Dans tous les cas, il devait maintenant s’en assurer et deux options s’offraient à lui : retourner à l’agence pour vérifier sa présence à travers la baie vitrée ou sonner à sa porte. La première représentant une perte de temps considérable, il opta pour la solution la plus rapide. Il trouverait bien un prétexte quelconque si elle venait à lui ouvrir. Cette pensée lui arracha toutefois une grimace. Ça sous-entendait qu’après s’être exposé, il devrait repousser l’opération de plusieurs jours pour se faire oublier, voire chercher une autre cible, ce qui était inenvisageable au vu des contraintes de temps liées à sa préparation. Il traversa la route en chassant cette idée de son esprit, puis monta les quelques marches qui menaient à la porte d’entrée et appuya sur la sonnette où était inscrit monsieur et madame Gauthier.
  Personne ne se manifesta. Il recommença plusieurs fois avec insistance avant de retourner à sa position initiale. Il jeta un dernier coup d’œil aux alentours pour s’assurer qu’il n’y avait personne, puis se rendit à l’arrière de la maison face à la porte. En sortant la perceuse sans fil de son sac, il se réjouit d’avoir choisi ce quartier tranquille aux habitations espacées. Il était conscient que malgré tous les soins apportés à préparer son coup, des surveillances aux repérages, en passant par les filatures, il restait une inconnue de taille : il ignorait si la maison était équipée d’un système d’alarme ; mais ça faisait partie des risques inhérents à son activité. Par chance, ce ne fut pas le cas. Après avoir percé le barillet, ce dernier n’opposa aucune résistance à s’activer avec un tournevis. Une fois à l’intérieur, l’absence d’odeurs d’un plat quelconque le conforta dans son idée que madame Gauthier était certainement partie se restaurer à l’extérieur. Guidé par sa lampe torche, il se retrouva dans le salon et resta immobile, à l’affût d’un son suspect indiquant une présence, tout en balayant la pièce du faisceau lumineux. C’était toujours le même rituel et la mélancolie le gagnait à chaque fois. Il s’imaginait être chez lui, affalé dans ce canapé d’angle au châssis en bois massif, face au téléviseur de dernière génération. Il n’en avait jamais vu d’aussi grand. À vue d’œil, il devait bien faire soixante-dix pouces. La bibliothèque en manguier massif attira tout juste son attention. La maison lui renvoyait sa condition sociale. Une vie minable dans un studio minable d’un quartier minable. Il soupira et porta son regard sur tout ce qui comportait des tiroirs. En bon professionnel, il les fouilla méthodiquement un par un. Sa patience fût récompensée, il trouva dans l’un d’eux une montre Monster de chez Seiko, surnommée ainsi en raison de ses lignes et ses formes brutes. Encore dans son écrin, Brice en déduisit que le mari ne devait la porter qu’à certaines occasions. Un sourire s’afficha sur son visage en l’estimant à plusieurs centaines d’euros. Tout en la faisant glisser délicatement dans la poche de son imperméable, il se voyait bien trouver encore quelques bijoux précieux dans les commodes d’une des chambres du haut pour compléter son butin. Il emprunta les escaliers et à mi-chemin, une porte ouverte sur sa gauche l’invitait déjà à entrer. Il s’avança jusqu’à l’encadrement avant de s’arrêter pour balayer lentement la pièce de sa lampe torche. Lorsque le lit se trouva dans le champ du faisceau lumineux, Brice resta quelques secondes figé dans cette position, puis fit le trajet inverse à reculons, manquant de justesse de dégringoler dans les escaliers. Quand il arriva en bas, il était déjà tout en sueur, la respiration haletante et les jambes flageolantes. Il devait quitter cette maison au plus vite. Si on le trouvait ici, il risquait une condamnation bien plus lourde qu’un simple vol par effraction. Il se dirigea précipitamment vers la porte arrière d’où il était venu, puis s’arrêta et se retourna, hésitant, déchiré par l’envie de fuir ou de prévenir quelqu’un. Non, il ne pouvait décemment pas la laisser comme ça. Brice était peut-être un voleur, mais pas un salopard. Bien qu’il n’y ait plus rien à faire pour madame Gauthier, il se devait de prévenir la police. Il épargnerait ainsi à son mari de faire l’horrible découverte. S’il appelait d’ici, on ne risquerait pas de remonter jusqu’à lui et il aurait bien le temps de filer. Il revint sur ses pas et se posta devant le téléphone fixe, la lampe torche calée sous son bras gauche. Il hésita encore un court instant avant de saisir le combiné et composer le dix-sept. Une voix féminine se fit entendre.
  — Allo ! Police secours, j’écoute.
  Au moment de répondre, Brice enleva d’un geste fébrile son gant gauche et le positionna sur le microphone du téléphone pour camoufler sa voix. Il prit une longue inspiration en secouant la tête. Il n’aurait jamais imaginé un jour alerter lui-même la police lors d’un cambriolage.
  La voix de son interlocutrice se fit plus pressante.
  — Allo ! Parlez, s’il vous plaît !
  — Écoutez-moi ! Une femme est morte. Elle a été assassinée à son domicile.
  — Que dites-vous ? Vous avez bien parlé d’un meurtre ?
  — Oui, un meurtre.
  — Vous avez été témoin de ce qui s’est passé ?
  — Non.
  — Que faites-vous à son domicile ? Vous êtes un proche de la victime ?
  Brice déglutit avant de répondre.
  — Non.
  Un silence en retour, court, mais éloquent, traduisait l’incongruité de la situation.
  — Bien, donnez-moi son adresse et attendez sur place l’arrivée des secours. Je vais vous demander également votre identité.
  — Écoutez, vous trouverez l’adresse à partir de ce numéro d’appel, lâcha-t-il avant de raccrocher.
  Il utilisa encore son gant comme d’un chiffon pour nettoyer le combiné, puis sortit la montre de sa poche et la posa à proximité du téléphone. C’était une façon symbolique pour lui de nier toute participation au meurtre. Il quitta ensuite la maison sans demander son reste.

  De retour dans sa Clio, Brice réalisa à peine ce qu’il venait de se passer. Il resta, il ne sait combien de temps, prostré devant le rétroviseur intérieur à observer son teint livide. Au loin, le son des sirènes le fit sursauter. Un regard sur sa montre lui indiqua quinze heures trente. Il patienta encore plusieurs minutes avant de démarrer son véhicule et quitter le parking pour rejoindre la grande route. Sur sa gauche, les gyrophares des secours et de la gendarmerie tournoyaient devant la demeure de madame Gauthier. Il s’apprêta à prendre la direction opposée, mais une force incontrôlable le poussa à repasser une dernière fois devant son domicile. Il ne pouvait s’empêcher de penser qu’il y a à peine quelques heures, elle était encore vivante, et maintenant on l’emmenait dans un sac mortuaire. Tout a basculé approximativement entre midi vingt-cinq et treize heures trente. Que s’était-il passé ? Sans pouvoir l’expliquer, la mort de cette femme qu’il avait côtoyée à sa façon pendant plusieurs jours l’avait affecté. Il commençait à culpabiliser d’avoir quitté son poste de surveillance. Il n’aurait peut-être pas pu la sauver, mais il aurait pu donner la description de son meurtrier à la police de manière anonyme.
  Il guetterait désormais la moindre information sur ce crime et ne trouvera la paix que lorsque son assassin aura été arrêté.
  Il aurait voulu avoir comme dernière image de madame Gauthier, celle d’une femme d’une élégance rare et à l’allure gracieuse. Mais au lieu de ça, c’était l’image d’une femme recroquevillée sur son lit, la tête tombante et les yeux exorbités, qui hantaient son esprit.
  Sa mort provoqua un déclic chez Brice. Il se jura d’arrêter son activité de cambrioleur avant d’accélérer et de quitter définitivement ce quartier.
 

Une journaliste ambitieuse

  Juin 2015

  Au siège de la N.T.A, une chaîne télévisée, la journaliste, Isabel Dupin, saisit le premier journal sur la pile qui trônait sur son bureau sans lâcher des yeux son téléphone « spécial » qui restait désespérément muet. Elle contrôla pour la énième fois le volume de la sonnerie pour s’assurer qu’il était bien au maximum. Elle attendait un appel de son correspondant anonyme sur le portable réservé exclusivement pour « lui ». Tout le monde savait au sein de l’entreprise de qui il s’agissait ou du moins tous ses collègues se doutaient de la fonction qu’il occupait : il était policier au commissariat d’Antalville. Pour son émission, « pleins feux sur le crime », qu’elle avait lancée il y a un an, elle avait besoin de matière première pour l’alimenter. Son objectif : être au plus près d’une scène de crime pour pouvoir intervenir en temps réel et filmer « l’évènement ». Qui mieux qu’un policier, étant toujours le premier sur les lieux, pouvait l’alerter rapidement ? Le bruit courait qu’elle y mettait les moyens. Ses assistants, Mathieu et Stéphane, connaissaient les consignes : être toujours sur les starting-blocks, caméra sur l’épaule, prêts à décoller, sinon la foudre s’abattait sur eux.
  Elle reprit la lecture du journal qu’elle tenait entre les mains et s’arrêta sur les gros titres : « L’ÉTRANGLEUR AUX FOULARDS VIENT DE FAIRE UNE NOUVELLE VICTIME À GRÂCEVILLE ».
  Pour la journaliste, c’était encore une occasion ratée de produire une émission sur le tueur en série. Grâceville était bien trop loin pour être rapidement la première sur place et elle ne connaissait personne susceptible de la prévenir.
  Ses collègues connaissaient l’ambition qui la dévorait. Mathieu et Stéphane lui rapportaient des médisances à son égard. Certains allaient jusqu’à prétendre qu’elle serait prête à payer l’étrangleur aux foulards pour venir « exercer » sur Antalville. Les mauvaises langues ont encore de beaux jours devant elles.
  Pour aujourd’hui encore, son téléphone ne sonnera pas.


Une vieille affaire

  Octobre 2016

  Je ralentis en me rapprochant de la demeure. Je tenais à arriver aussi discrètement que possible pour ne pas trahir ma présence et me laisser le temps de me mettre en « position ». Si j’avais pu couper le moteur et me laisser porter sur une pente douce, je l’aurais fait. J’aurais pu aussi, me direz-vous, arrêter la voiture bien avant d’arriver près de la propriété et faire le reste à pied. Mais paradoxalement, j’avais besoin de mon véhicule pour me faire entendre. Oui, je voulais que ce soit seulement à un moment précis pour que je puisse profiter pleinement de cet instant.
  J’ouvris lentement la portière et sortis du véhicule. Mon rythme cardiaque commença à s’affoler. La main posée sur la portière, je guettai la fenêtre du deuxième étage à droite. J’étais prêt à recevoir une décharge d’émotions. Le bruit que fit la portière en se refermant donna le signal.
  La raison, la seule qui donnait encore un sens à mon existence, apparut à la fenêtre lorsqu’elle s’ouvrit.
  — Papa ! Attends, je descends.
  Je sais, ça a un côté théâtral. Mais ça faisait trop longtemps que j’attendais ce moment. Près d’un an. Une éternité.
  Je ne saurai probablement jamais comment une jeune fille de dix-sept ans a pu se retrouver en bas en quelques secondes pour m’ouvrir la porte et se jeter dans mes bras. Pas plus que je ne comprendrai comment j’ai pu la délaisser pendant près d’un an. Je ne cherche pas d’excuses auprès des évènements tragiques qui ont bouleversé ma vie. J’aurais dû être présent auprès de ma fille après la disparition de sa mère et surmonter cette épreuve ensemble.
  Mais on ne peut pas réécrire l’histoire. On n’a pas le pouvoir de changer le passé, mais on a celui d’éviter de refaire les mêmes erreurs. Je retrouvais ma fille Jenny et c’était tout ce qui comptait pour moi maintenant. Elle était tout ce qui me raccrochait encore à la vie. Son étreinte me réchauffait le cœur. Je n’étais plus le commissaire Lewis, exerçant à la brigade criminelle d’Antalville et traquant les criminels, mais simplement un père.
  Une dame aux cheveux gris-argenté apparut sur le seuil de la porte en souriant. Pierre, mon beau-père, l’embonpoint bien prononcé, se plaça discrètement à ses côtés avant qu’elle ne se jette sur moi en m’embrassant chaleureusement.
  — Pourquoi n’as-tu pas appelé ? me demanda Martha en faisant référence à mon court séjour à l’hôpital. Nous serions venus te chercher.
  — Bah, je ne voulais pas vous déranger pour ça. Et puis, la Laguna a rendu l’âme.
  — Oh, peu importe. Nous aurions trouvé un moyen de passer te prendre.
  — Je n’en doute pas, Martha.
  — Oh toi, tu voulais faire la surprise à quelqu’un.
  Son regard fit rapidement un aller-retour en direction de ma fille. Ma belle-mère aussi attendait ce moment depuis longtemps de nous voir réconciliés.
  — Elle n’a pas arrêté de nous parler de toi pendant ces quelques jours et de ce qu’il s’est passé « là-bas ».
  — J’espère qu’elle ne vous a pas trop embêtée avec ça.
  — Mais non, penses-tu !
  Puis, elle rajouta en penchant la tête vers moi :
  — Tu es devenu son héros.
  J’échangeai un sourire complice avec ma fille qui avait bien sûr entendu.
  — Merci de t’être occupé de Jenny pendant mon séjour à l’hôpital, Martha. Je sais que je n’ai pas été très présent ces derniers temps, désormais tu nous verras plus souvent. Pour aujourd’hui, je te l’enlève encore, mais je te la ramènerai demain matin.
  — Ne te préoccupe pas pour ça. Il est bon que vous passiez beaucoup de temps ensemble.
  — Oui, mais pour demain matin, je vous ai préparé quelque chose.
  Je me tournai vers mon beau-père.
  — J’espère que tu seras là, Pierre ?
  — Bien sûr, Jack. Je peux bien laisser mes parties de belote de temps en temps.
  Martha ne ratait jamais une occasion de titiller son mari. C’était peut-être là le secret de longévité de leur couple. Un grand sourire s’afficha sur son visage et ajouta d’un ton enjoué :
  — Moi, je suis sûre qu’il sera là. Il veut surtout vous montrer sa nouvelle voiture. On va la chercher cet après-midi.
  Le visage de mon beau-père s’empourpra et il partit dans un éclat de rire tout en secouant la tête.
  — Je me sens beaucoup plus rassuré maintenant lorsqu’il va rejoindre ses amis sur Brennange, poursuivit Martha.
  — Je m’en doute. Je suis impatient de la voir. Donc, le programme de demain, ce sera resto et ensuite, petite balade sur la place des arts. Enfin, si ton genou le permet, Martha.
  — Oui, ne t’inquiète pas. Ça va beaucoup mieux maintenant.
  La place des arts. Pour beaucoup, elle était maintenant devenue synonyme de tragédie. Les terribles évènements qui s’y sont déroulés resteront encore dans les mémoires pendant longtemps. Mais pour ma part, elle sera toujours liée à un moment heureux de mon existence où nous y emmenions Jenny, Linda et moi, lorsqu’elle était petite.
  — À demain, mamie, fit-elle encore une fois en montant dans la voiture.
  Pendant qu’on s’éloignait, elle ne lâcha plus sa grand-mère des yeux jusqu’à ce qu’elle soit hors de portée de vue, puis elle se tourna vers moi.
  — Tu sais, papa…
  Elle marqua une pause. Je jetai un regard furtif dans sa direction.
  — Tu voulais me dire quelque chose ?
  — Après ce qui est arrivé sur la place des arts, j’ai pris conscience d’une chose.
  Je crois que je devinais de quoi il s’agissait.
  — Je n’imaginais pas à quel point tu exerçais un métier aussi dangereux.
  Je tentai de minimiser les risques inhérents à ma profession.
  — Bah ! Tous les métiers peuvent être dangereux, Jenny. Un accident est vite arrivé quand on n’est pas vigilant. Mais tu ne dois plus penser à ça.
  — Oui, mais pour toi, ce n’est pas pareil, tu traques les criminels comme cet affreux Apollon. Il aurait pu te tuer.
  Le ton de ma voix se radoucit.
  — Écoute ! Ta mère et moi avons tout fait pour te préserver de ça. Il faut quelqu’un pour les arrêter et je ne suis pas le seul à le faire. Tu es en âge de comprendre maintenant, mais tu n’as pas à t’inquiéter.
  — C’est ce que m’a dit Henry.
  — Henry ? demandai-je étonné.
  — Oui, il était passé prendre de mes nouvelles et j’en ai profité pour lui poser des questions. Je me souviens que l’année dernière, tout le monde parlait de ce sale type qui étranglait des femmes avec un foulard. Je voulais savoir si c’était toi qui l’avais arrêté. Il m’a dit que personne n’était arrivé à l’avoir et que toi, tu l’avais retrouvé en peu de temps.
  — Je crois qu’Henry parle beaucoup trop.
  — Ne lui en veux pas ! C’est moi qui ai insisté.
  — Connaissant Henry, tu n’as pas dû insister longtemps. Et pour répondre à ta question, c’est moi qui étais chargé de le retrouver, mais loin de moi l’idée de m’attribuer tout le mérite. Personne ne peut résoudre une affaire tout seul, Jenny. On forme une équipe à la brigade et tout le monde a son rôle à jouer. Pour Apollon, Richard nous a fortement aidés dans cette enquête. Paul a pris des risques pour m’aider et je ne te parle pas de Henry, Tom, Rudy ou Chris. Sans oublier Léa.
  Je m’arrêtai sur Léa. Je n’oublierai jamais ce que je lui dois.
  — Sans son aide, nous n’aurions jamais pu l’arrêter.
  En réalité, sans elle je serais mort.
  — Mais personne n’aurait eu le courage de faire ce que tu as fait. Je suis fière de toi, papa.
  Je lui répondis en souriant.
  — Ben voilà, fallait commencer par là. Moi, je suis encore plus fier de toi, Jenny. Ce que tu as fait demandait beaucoup plus de courage. C’était à moi de prendre soin de toi et malgré tout ce que je t’ai fait subir, tu es revenue vers moi. Je n’oublierai jamais cet instant où tu as couru vers moi. Aucune force au monde n’aurait pu te retenir. Tu as fait ce que j’aurais dû faire. Tu es resté auprès de moi pour me soutenir quand j’en ai eu le plus besoin.
  Des larmes commençaient à rouler sur ses joues.
  — J’ai eu peur qu’il t’arrive quelque chose, papa.
  Je lui pris la main.
  — Je sais ma puce. Mais c’est fini maintenant. Oublions tout ça !
   Le premier lieu où nous nous rendîmes fut bien entendu le nouveau cimetière d’Antalville où reposait Linda. Sur sa tombe, l’abondance de chrysanthèmes, de cyclamens ou autres bruyères, témoignait de l’affection que tout le monde portait à ma femme. Jenny se serra tout contre moi. Je n’arrivais pas à détacher mon regard du visage souriant de Linda en médaillon. Je n’arrêtais pas de me répéter : pourquoi elle ? Pourquoi nous l’a-t-il pris ? Je repensais à ce jour maudit où c’est arrivé. Je n’avais rien pu faire pour la sauver. Justice a été faite, mais ça ne me l’a pas rendu.
  Et maintenant, il fallait réapprendre à vivre. Pour Linda, pour Jenny, il fallait aller de l’avant.
  C’est ce que nous avons fait. Nous n’avions jamais été aussi proches et aussi complices que cette journée-là. J’ai savouré chaque seconde passée avec ma fille. Ses rires résonnent encore dans ma mémoire.
  Je sais maintenant qu’il y aura d’autres journées comme celle-là. Beaucoup d’autres.

  Le soir, après avoir souhaité bonne nuit à ma fille, je regagnais ma chambre, exténué. Allongé sur le lit, je repensai à l’affaire de l’étrangleur aux foulards dont m’avait parlé Jenny. Une affaire qui avait secoué Antalville. Elle allait aussi remettre en question toutes mes convictions sur les êtres humains. Comment pouvait-on s’en prendre à tant de victimes innocentes ?
  Lorsqu’il fut appréhendé et que la vérité éclata, tout le monde ne parlait plus que de ça. Un tel disait : « mon Dieu ! Pourquoi toutes ces victimes ? Comment peut-on en arriver là ? » Un autre disait : « pour moi, il n’aimait pas les femmes. Qu’on ne vienne pas me dire le contraire ! »
  Partout, dans les lieux publics, jusque dans les rues, tout le monde y allait de ses commentaires. Mais personne n’avait de réponses à toutes les questions qu’ils pouvaient se poser. Aujourd’hui encore, je pourrais vous raconter l’affaire dans ses moindres détails, que je fusse présent ou non sur les lieux, puisque j’étais chargé de l’enquête et que j’avais accès à tous les témoignages. Mais je serais incapable de vous expliquer comment on peut arriver à une telle folie meurtrière. Ce n’était pas mon rôle. Moi, je savais seulement que je devais l’arrêter. J’en avais fait la promesse et je l’ai tenue.
  Pendant toute mon enquête, je me demandais quel visage pouvait avoir un être capable de tels crimes monstrueux. Je me souviens de la réponse qu’avait donnée un spécialiste des tueurs en série à un journaliste qui lui avait posé la question : si c’était écrit sur leur visage qu’ils sont des assassins, ce serait beaucoup plus facile pour la police de les arrêter. Rien n’était plus vrai. Ils ressemblent à monsieur tout le monde.
  Mais laissez-moi vous raconter toute l’histoire.
 
  Bien qu’ayant mené l’enquête jusqu’à son terme, la difficulté serait de situer avec précision quel jour ont eu lieu les premiers évènements qui germaient sournoisement quelque part et me prédestinaient un jour à m’embarquer dans cette terrible affaire. Pourtant, il faut bien situer le début d’une histoire quelque part. Je laissai mon esprit vagabonder et me retrouvai propulsé en juillet 2015, un soir où je rentrais chez moi pour retrouver ma petite famille. 
  La seule raison qui me pousse à me replonger dans cette période trouble est que ma femme, Linda, à ce moment-là, était encore de ce monde. Et je serais prêt à retourner tous les jours en enfer pour la revoir.

  Elle me manque tellement.
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Espace de discussions / Re : Les phobies
« Dernier message par Apogon le sam. 11/03/2023 à 17:11 »
Vous avez peur des bouchons ?
Non, non pas ceux sur la route, ceux à l'intérieur de vous même, ceux qui vous font rougir de douleur sur le trône !
Vous êtes peut être apopathodiaphulatophobe !

C'est la peur d'être constipé.
49
Mise en avant des Auto-édités / Le Royaume d'Arysmeïl de Vanessa DL
« Dernier message par Apogon le jeu. 16/02/2023 à 16:59 »
Le Royaume d'Arysmeïl de Vanessa DL : T1- Révélation



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Prologue

Il y a longtemps en Arysmeïl…

— Tu vas te taire miséreuse ! vociféra Kamjiyn en assénant un coup de pied à sa prisonnière.
Au royaume d’Arysmeïl, le temps n’avait pas d’importance, les arysmeïliens vivaient des centaines d’années et parfois même des millénaires pour les plus chanceux. Par conséquent, si le temps n’avait pas de droits sur la vie alors il n’en avait pas non plus sur la vengeance de Kamjiyn. Elle était la reine déchue, celle qui fut bannie de la citadelle tandis qu’elle dominait Arysmeïl en semant la terreur au sein du royaume.
Un sourire horrifique fendit son visage en se remémorant son règne.
Il y a un peu plus de 300 ans, Kamjiyn vivait en harmonie au sein de la forteresse accompagnée de son époux, le roi Jasmyr. Elle le chérissait et lui vouait un amour aveugle. Il lui avait tout offert : la joie, le bonheur et surtout le pouvoir. Elle adorait gouverner à ses côtés, et prenait un malin plaisir à condamner les criminels qui se présentaient devant elle, quand son mari ne pouvait présider l’audience.
Évidemment, le roi avait eu vent de ses agissements. Malgré cela, il ne voulait pas la contrarier, alors qu’elle portait son unique héritier. Il devait la préserver et la protéger aussi longtemps qu’il le fallait. La grossesse l’avait énormément perturbée, Kamjiyn n’était plus que l’ombre d’elle-même. La douce épouse qu’il avait tant aimée s’était évanouie pour laisser place à une femme sur la défensive et constamment agressive. Tant et si bien que le peuple l’avait surnommé : « Kamjiyn l’impitoyable ».
De nature impulsive, c’était une femme gracieuse, opulente et de taille moyenne. Ses formes étaient parfaitement ordonnées et ses yeux d’un bleu azur lui conféraient un air de déesse. Ses longs cheveux blonds solaires atteignaient ses épaules et lorsqu’elle était contrariée, de légers reflets roux parsemaient sa crinière éblouissante. Son teint laiteux et doux harmonisait l’ensemble de son visage et de son corps.
Sous son charme, le souverain Jasmyr cédait à tous ses caprices. Même les plus grotesques, comme lorsqu’elle l’avait supplié de lui offrir un faucon, emblème de la royauté, pour animal de compagnie — qu’elle tua pendant l’une de ses nombreuses sautes d’humeur. Quand elle tomba enceinte, son attitude devint de plus en plus difficile à gérer pour Jasmyr qui, pourtant, jouissait d’une réputation de monarque cruel et intransigeant.
Plus les semaines passaient, et plus Kamjiyn devenait méconnaissable, la grossesse demeurait pour elle une épreuve effroyable, presque insupportable. Elle ne se reconnaissait plus : sa peau d’ordinaire lumineuse avait laissé place à un teint blafard qui faisait ressortir ses iris bleutés, lui dessinant un regard qui terrifiait ses proches.
Le roi, croyant sa femme possédée, décida de commettre l’impensable. Lui prétextant un repas en amoureux aux abords du lac Empharys, le souverain coordonna son assassinat avec les membres du Conseil des Anciens. Conscients que fomenter un tel acte était passible de la peine de mort, tous soutenaient le roi dans cette décision. L’ordre du Ga’ril proposa au roi l’appui de ses meilleurs mercenaires. Il était hors de question de mêler un quelconque soldat à cette affaire, le monarque avait été très clair.
Kamjiyn adorait se promener aux abords du lac quand elle était enfant. C’était un endroit connu de tous pour être le repaire des âmes sœurs. En cette magnifique journée d’automne, le paysage qui s’offrait à elle lui remplit le cœur de joie. Des prairies et des montagnes encerclaient le lac Empharys. La teinte bleutée de l’eau rendait cet endroit sublime, les chênes et peupliers aux couleurs chatoyantes ornaient un côté du lagon. La chaîne montagneuse au second plan harmonisait ce décor de carte postale. La reine avait toujours rêvé de s’y promener au bras de son époux. Naïve et convaincue qu’il avait enfin compris ce qu’elle endurait, elle tomba de haut quand elle réalisa avec stupeur la tromperie dont elle était victime.
Alors qu’elle longeait la bordure du lac, deux hommes solidement armés vinrent à sa rencontre. Ils s’approchèrent si brusquement pour l’encercler qu’un frisson glissa le long de sa colonne vertébrale. Le cœur rompant à toute allure dans sa poitrine, la reine les détailla. Ils portaient des habits de soldat sans arborer les armoiries de la couronne, leurs épées dégainées et tranchantes tendues dans sa direction. Elle distingua également, une hache et un poignard, suspendus à leur ceinture. Devant leur attitude menaçante, les lèvres retroussées et la mine sévère, Kamjiyn comprit quel dessein ils lui réservaient.
Stupéfaite, elle ne cilla pas lorsque l’un des lansquenets pointa son épée sous sa gorge. Un instant, désarçonnée par cette agression, elle releva le menton et elle leur adressa un regard noir. 
— Comment osez-vous ? gronda la reine, la mâchoire serrée.
— Nous avons reçu la directive de vous escorter en dehors de la Citadelle, rétorqua l’un des mercenaires, le ton hargneux.
— Un ordre ? répéta-t-elle surprise en fronçant les sourcils.
Puis se reprenant, elle grogna en relevant la tête :
— J’ai rendez-vous avec mon époux, le roi Jasmyr.
— Fermez-la ! Et avancez, j’aimerais bien être rentré pour le dîner, commanda d’un ton acide l’un des hommes, le regard avide.
Le traître lui fit signe de se diriger vers la clairière qui se trouvait non loin du plan d’eau. Kamjiyn pivota sur elle-même comme si l’espace d’un instant, elle acceptait leur décret. Puis elle inspira pour forcer son courage à reprendre le dessus et se campa sur ses jambes, les poings serrés, se refusant désormais à leur obéir. L’un des hommes lui envoya alors un coup de poing dans le dos pour qu’elle avance. Elle trébucha, s’étala de tout son long sur un amas de feuilles mortes et un cri s’échappa de sa gorge.
— Relève-toi, grommela l’homme qui l’avait frappée, on n’a pas que ça à faire. Ton mari nous a proposé une sacrée somme d’argent pour te faire la peau. Tu penses bien qu’on ne va pas s’attarder à tes côtés.
 Kamjiyn se renfrogna. Lorsqu’elle se releva en toisant son agresseur, des reflets roux émergèrent de sa chevelure. La colère déformant ses traits, elle inspira pour se donner la force d’agir. Des années s’étaient écoulées depuis la dernière fois où elle avait utilisé son don. Elle ferma les paupières en avançant, et sonda son corps à la recherche de son pouvoir. Il était là, endormi, attendant patiemment le moment où sa maîtresse le solliciterait de nouveau. Tapis dans l’ombre, les ténèbres grondaient de contentement. Enfin, le moment était venu. Soudain, son pouvoir se déversa dans sa chair, frémissant, vociférant, exaltant. Kamjiyn l’appela par la pensée, et sur ses lèvres pulpeuses se fendit un rictus lorsqu’elle sentit son pouvoir répondre à son appel. Il ne l’avait pas abandonné, jamais il ne le ferait. Et ce fait la rassura, plus qu’elle ne voulait l’avouer. La trahison de son mari l’ébranlait et elle lui ferait payer.
« Oh oui, je te ferais payer cet affront Jasmyr », pensa-t-elle, avant de reporter son attention sur ses agresseurs. 
Quand elle avait épousé le roi, Kamjiyn avait invoqué un sortilège puissant capable d’annihiler sa magie. Les sorciers de son niveau n’avaient pas voix au chapitre dans ce royaume. Et le meilleur moyen de parvenir à ses fins était de leur faire croire à tous qu’elle ne possédait aucune prédisposition à la magie. Après tout, elle allait devenir reine, quel autre pouvoir pouvait la satisfaire que celui de gouverner ? Le don de la reine se manifesta comme s’il avait toujours coulé dans ses veines. Elle ondula sa main dans un geste lent et gracieux puis referma ses phalanges cruellement, en prononçant dans un souffle rauque ces quelques mots :
« Niaskar vey y bil mora ».
Tout à coup, le mercenaire qui la menaçait de sa lame tranchante se figea. La cruauté abandonna brusquement son visage pour laisser place à la terreur. Il savait… Bien sûr qu’il savait, il avait entendu parler des Zorstyar, ces sorciers adeptes de magie noire. Cependant, jamais il n’avait cru qu’il en rencontrerait une et encore moins que ce serait l’épouse du souverain Jasmyr.
Saisi d’effroi, son comparse prit ses jambes à son cou sans demander son reste, mais c’était sans compter sur l’impitoyable reine. Elle pivota avec agilité en direction du fuyard, en intimant d’un œil sombre le silence au mercenaire agonisant à ses pieds. Ce dernier se liquéfia, le visage déformé par la douleur. L’angoisse et la souffrance se lisaient sur ses traits reflétant son calvaire intérieur. Kamjiyn se délecta de son tourment, sourire aux lèvres. Puis, d’une voix puissante, elle lâcha à l’attention de l’autre homme, la même formule que précédemment :
« Niaskar vey y bil mora ».
Brusquement, un hurlement effroyable s’éleva au loin, faisant fuir les animaux à proximité. Puis, comme si ce qu’il venait de se produire n’avait été que le fruit de son imagination, le calme revint dans la clairière. La reine déchue coula un regard empli de dédain à l’individu qui agonisait à ses pieds.
— Vous pensiez réellement que ça serait aussi facile de vous débarrasser de moi, fulmina-t-elle en caressant frénétiquement son ventre arrondi.
Elle ondula de nouveau sa main, sans prononcer un seul mot cette fois, puis serra son poing, mettant ainsi un terme à la souffrance du lâche. Kamjiyn dégagea la mèche blonde qui barrait son visage, signe que cette démonstration de force l’avait épuisée plus qu’elle ne le pensait.
Satisfaite, mais quelque peu contrariée, elle entreprit de quitter les lieux afin de fomenter sa vengeance. Son époux les avait condamnés à une mort terrible. Comment avait-il pu penser une misérable seconde qu’il parviendrait à se débarrasser d’elle de la sorte ? Avait-il seulement la moindre estime pour elle ? Et sa progéniture, n’avait-elle donc pas le droit de vivre ? Kamjiyn ruminait sa colère, elle était furieuse d’avoir cru qu’il la considérait un tant soit peu. Furieuse qu’il ait pris la décision de tuer leur enfant. Furieuse qu’il ait imaginé que deux pauvres mercenaires arriveraient à leur fin. Elle était perdue dans ses pensées meurtrières quand elle sentit une présence familière dans son dos.
— Ainsi donc, tu es une Zorstyar !
Kamjiyn pivota vivement vers l’homme qu’elle pensait reconnaître. Le seigneur Jasmyr la toisait, juché sur son cheval. Ses prunelles azurées débordantes de rage, elle soutint son regard. Mais à bout de force, elle tomba à genou, éreintée d’avoir puisé dans des réserves qu’elle n’avait pas utilisées depuis des décennies. Elle releva pourtant la tête, l’air hagard et meurtri. La douleur pernicieuse qui s’installait dans son cœur lui comprima la poitrine. Sa respiration devint haletante et saccadée. Il l’avait brisée, mais elle ne lui donnerait pas la satisfaction de la voir ainsi, misérable et affaiblie.
— Pour… pourquoi nous as-tu fait ça ? demanda-t-elle en réprimant un sanglot.
Un rictus dessinant ses lèvres, le souverain ordonna que l’on se saisisse d’elle pendant qu’il mettait pied à terre. Il s’approcha de son épouse et effleura sa joue presque tendrement. L’espace d’un fugace instant, elle crut apercevoir des regrets et de la tristesse dans ses yeux couleur d’automne. Mais Jasmyr enfonça sa dague dans le ventre de sa reine, d’un geste adroit et rapide. Kamjiyn hurla de douleur et de désespoir.
— On n’est jamais mieux servi que par soi-même ! Ne pense pas que cela me fasse plaisir, Kamjiyn ! vociféra-t-il, furieux.
La reine, déchue et trahie, s’écroula sur le sol, en tremblant et en agonisant. Affolée, elle tenta de protéger son enfant avant de mourir, elle marmonna dans un chuchotement à peine perceptible : « Ixvaye ixviya », puis elle tomba inconsciente.

Sortie brusquement de ses pensées par les plaintes de la princesse Sasnya, Kamjiyn essuya ses larmes d’un revers de la main et se tourna vers sa prisonnière. Une voix fluette s’écria en gémissant :
— S’il vous plaît, laissez-moi partir. Pitié, je ne dirais rien, je vous le promets.
Furieuse, Kamjiyn l’attrapa par le col de sa robe et grogna :
— Oh ! Mais tu n’es pas près de t’en aller, princesse. Pas avant que ma vengeance soit pleine !

Chapitre 1

De nos jours à Creil…

Du haut de ses vingt-deux ans, Isaac se posait énormément de questions sur sa vie professionnelle. Pourtant, son avenir semblait tout tracé, si bien que ses proches ne s’inquiétaient pas pour lui. Ils se disaient tous qu’Isaac serait capitaine, comme son père et son grand-père avant lui. Un héritage qui remonte à près d’un siècle !
Mais le jeune homme aspirait à autre chose. Il rêvait de vivre des aventures captivantes et palpitantes comme il avait l’habitude de lire dans les romans, d’un genre qu’il affectionnait plus particulièrement : la fantasy, cet univers magique et mystérieux l’avait toujours tant fasciné. Il s’amusait à imaginer qu’il était une personne exceptionnelle avec une destinée plus attrayante que diriger un bateau sans ambition.
La mer, Isaac la détestait depuis tout petit. Il ne l’appréciait pas, elle l’angoissait. À force de l’observer, il avait l’impression qu’elle voulait l’engloutir vivant et cette sensation le terrifiait. Son corps, faisant écho à son âme torturée, réagissait en conséquence. Il avait envie de fuir l’océan loin dans les terres et ne plus se retourner.
 Lorsqu’Isaac laissait son esprit vagabonder à l’horizon de cette vaste étendue bleue, sa vue se brouillait et son cœur battait à tout rompre dans sa poitrine. Il finissait par perdre l’équilibre et s’effondrer sur le sol, l’estomac au bord des lèvres.
Son père lui répétait sans cesse que ça s’estomperait avec le temps, ce n’était que le mal de mer après tout. Mais rien n’y faisait, Isaac devenait simplement plus doué pour le dissimuler. Il ne désirait surtout pas passer pour un sot et un incapable… Chez les Gradur, la force et l’abnégation faisaient partie intégrante de la vie d’une personne…
 Néanmoins, cet héritage, le jeune homme n’en voulait guère. Il aurait adoré s’affranchir de cette corde qui lui pendait au cou et qui, depuis sa naissance, le liait au destin de sa famille. Pour échapper à cette fatalité, il prit une année sabbatique. Isaac pouvait se le permettre, puisqu’il avait une année d’avance sur ses camarades. Ses parents avaient bien entendu contesté cette décision. Toutefois, grâce à son frère Arthur, il avait réussi à les convaincre, arguant qu’il avait besoin de voir d’autres paysages avant de prendre les rênes de la société. Isaac se réfugia alors dans une jolie ville près de la capitale, très loin de l’océan.
Tel un condamné dans le couloir de la mort, Isaac déambulait dans le centre-ville de Creil, ruminant toute la frustration qu’il engrangeait depuis des années.
— Mon garçon ? Tu peux libérer le passage s’il te plaît ?
Plusieurs secondes s’écoulèrent avant qu’Isaac ne réalise que quelqu’un venait de lui adresser la parole. L’homme face à lui, affublé d’une toque de cuisinier et visiblement perturbé, ne cessait de regarder sa montre.
— Bon, mon garçon, tu me laisses passer ou bien tu prends racine sur la chaussée, s’agaça-t-il.
— Pardonnez-moi, monsieur, j’étais perdu dans mes pensées… Je ne vous ai pas entendu arriver.
Le cuistot le toisa avec dédain et se dirigea sans plus attendre vers le restaurant situé à l’angle de la place Carnot. Isaac, en voyant l’homme prendre ses jambes à son cou, se demanda s’il jouissait de toutes ses facultés mentales, puisque ledit restaurant avait fermé ses portes définitivement depuis une semaine. « Mesure d’hygiène » était apposée sur la devanture de l’établissement. C’est ce qui se disait dans le jargon pour cacher la véritable raison de la fermeture.
Des rumeurs racontaient que sous cette appellation se dissimulait une bien plus sombre et horrible affaire. En effet, de nombreuses personnes disparaissaient après leur passage dans les cuisines de ces établissements. Isaac pensait plutôt que ces individus avaient pris la poudre d’escampette, car accepter de travailler dans ce capharnaüm ne présageait rien de bon pour la santé mentale de ces gens. D’ailleurs, il était de notoriété publique que les hommes les plus avisés évitaient de s’y aventurer.
Isaac errait de ruelle en ruelle sans but précis, quand il remarqua une fillette flânant seule et que personne ne semblait remarquer. Autour d’elle, s’émanaient une lueur étrange et une odeur de jasmin, qui l’intrigua. Elle se retourna et son regard ne le laissa pas de marbre. Une lumière vert émeraude jaillit des pupilles roses ambrées de la petite et le transperça. Il ressentit une vive douleur aux yeux et s’effondra en gémissant le cœur battant à tout rompre.
— Qu’est-ce que ? s’inquiéta Isaac.
Quand brusquement, son âme fut projetée dans les airs. Il se sentit hors de l’espace et du temps. Entre ciel et terre, plus rien ne ressemblait à ce qu’il avait vu de la ruelle. Sa vision était beaucoup plus nette qu’avant et il ne percevait plus normalement les éléments autour de lui. C’est en vert qu’il distinguait à présent les choses. Au-dessus de lui, le ciel de couleur pastel et de forme rocailleuse évoquait l’océan se déchaînant sur les falaises durant une tempête. Ce dont sa famille raffolait en contant de nombreuses petites histoires à en faire frémir les plus aguerris d’entre eux, mais qui le terrorisaient tant.
 À côté de lui se trouvait le néant. Lui qui craignait l’horizon de la mer se retrouvait plonger dans son pire cauchemar, pourtant Isaac n’éprouva aucune peur à cet instant. Bien au contraire, il se sentait en osmose avec cet endroit qui lui paraissait si paisible. Il entendit une douce mélodie qui l’étonna, elle était si jolie à écouter qu’il se laissa flotter un moment pour l’apprécier.
C’est alors qu’il remarqua la fillette au regard envoûtant à ses côtés, Isaac projeta sa conscience vers elle, sans savoir comment. Il tâtonna délicatement et tenta de lui parler, mais sa bouche refusait de lui obéir. Il ouvrit la mâchoire difficilement, mais aucun son ne voulut franchir ses lèvres. La créature pivota entièrement face à lui et sans saisir l’importance de ce moment, son esprit s’embruma, sa vision se troubla et Isaac perdit connaissance.
À son réveil, il se trouvait dans son lit en pyjama et son smartphone indiquait 3 h 33. Perturbé par son rêve, Isaac réalisa qu’il ne se souvenait pas comment il était rentré chez lui. Cette perte de mémoire brutale l’angoissa. Que lui était-il arrivé ? Avait-il imaginé sa rencontre avec la jeune fille à l’odeur de jasmin ? Était-ce vraiment un songe ? Isaac peinait à comprendre, car cela lui semblait si réel. La sensation de bien-être qu’il avait éprouvée, lorsque son corps fut projeté dans les airs, occupait ses pensées. Il se sentait changé, pas physiquement, mais psychiquement. Ce sentiment agréable le déroutait, comme si cet évènement passé était la réponse à ses questions.
N’ayant plus sommeil, Isaac se leva et se dirigea vers la salle de bain pour se rafraîchir. La saison des fortes chaleurs battait son plein et il détestait le soleil. S’il le pouvait, il irait se réfugier dans les pays scandinaves. Il avait toujours eu ce petit faible pour la civilisation et le climat de ces pays. Toute son enfance fut bercée par les histoires que son père lui racontait sur les Vikings. Mais du haut de ses vingt-deux ans, Isaac savait que les fantasmes d’enfants ne se réalisaient fatalement pas, bien au contraire.
Et comme son frère s’amusait à scander chaque fois que l’occasion se présentait : « Tu as raison, frangin, les rêves c’est gratuit ! » Arthur était un comique, il trouvait systématiquement un prétexte pour rire et se moquer. La vie lui semblait tellement plus facile quand il était dans les parages. C’est à cet instant qu’Isaac se souvint qu’il devait le contacter pour sa prise de poste au sein de l’entreprise familiale. Il attrapa son smartphone, composa son numéro et tomba sur son répondeur.
« Allo ? Allo ? C’est moi, Arthur, si tu es une jolie demoiselle, tu peux me laisser un message, sinon tchao bonsoir. »
Isaac poussa un soupir en raccrochant, son frère devenait tellement puéril quand il s’y mettait.
— Vraiment pas croyable ! s’énerva-t-il en jetant son téléphone sur son lit.
Isaac espérait qu’Arthur grandirait un peu parce qu’il avait réellement besoin qu’il prenne les rênes de la société. Et pour se faire, il avait préparé un discours pour l’occasion, où il énoncerait les nombreuses qualités dont disposait Arthur. Flatter son ego ferait certainement pencher la balance en sa faveur. Pour l’heure, Isaac se rendit compte que son frère devait probablement dormir !
« Qu’est-ce qui m’arrive ? Pourquoi n’ai-je pas pensé qu’il était trop tôt pour l’appeler ? », songea-t-il décontenancé par son attitude.
Il s’approcha de son lit quand il eut la sensation d’être observé. Il scruta les alentours en jetant un coup d’œil par la fenêtre de sa chambre. Dehors, tout paraissait sombre, l’éclairage public semblait dysfonctionner, car aucune rue n’avait de lampadaires allumés. Isaac chaussa alors ses baskets et sortit prendre l’air. Après tout, il n’avait plus sommeil et un petit footing matinal lui ferait le plus grand bien.
Isaac était vif, intelligent et possédait une excellente culture générale. Ses yeux marrons lui donnaient un regard profond et perturbant, ses cheveux couleur ténèbres accentuaient les traits fins de son visage. C’était un bel homme, même s’il en doutait. Il n’avait aucune confiance en lui. Son corps longiligne et son attitude, mais surtout ses difficultés sociales n’ont fait que renforcer les nombreuses railleries qu’il subissait durant ses années scolaires. C’était un garçon solitaire qui ne trouvait pas sa place au sein de la société. Le contact humain représentait, pour lui, quelque chose de repoussant, et sans vraiment comprendre pourquoi, il n’arrivait pas à soutenir le regard d’autrui.
Constamment poussé dans ses retranchements, Isaac donnait l’apparence d’une personne foncièrement dérangée, pourtant il faisait son possible pour être accepté, mais ce n’était jamais suffisant. Sa façon de parler peu conventionnelle ne faisait qu’accroître leurs différences.
Grâce à ses parents, en particulier à sa mère, il avait appris à interagir avec les autres et à décoder leurs émotions. Cela lui demandait cependant beaucoup de concentration, mais avec l’envie et la motivation, Isaac savait maintenant comment fonctionnait le monde. Un monde où il se sentait étranger…
Isaac sortit de chez lui en vérifiant au préalable qu’il n’avait pas oublié d’éteindre une lumière, de fermer un placard ou une porte. Sa mère aimait bien lui répéter sans cesse qu’il était étourdi, et à vrai dire, elle n’avait pas tout à fait tort. Mais Isaac adorait démentir ce trait de sa personnalité en invoquant le fait que son cerveau carburait toute la journée sans discontinuer. Il pouvait donc bien omettre certaines petites choses. Pour lui, ce n’était pas alarmant, mais pour elle c’était comme si la terre entière allait être détruite par un astéroïde ! Isaac sourit à l’image que ce souvenir lui procurait, puis il entama son footing tout en restant alerte. Quand il arriva au coin de la rue, il se rendit compte qu’il avait oublié sa paire de lunettes, il rebroussa chemin lorsqu’il remarqua qu’il n’en avait plus besoin.
Un bruit attira son attention, il se retourna brusquement, mais ne vit personne. La ruelle semblait totalement déserte, la panique s’insinua soudainement dans son esprit et il se demanda s’il était une nouvelle fois victime d’une hallucination ! Lorsqu’il regarda vers la gauche, il découvrit la fillette aux yeux rose-ambré. Il constata avec étonnement qu’elle avait l’air beaucoup plus âgée, ce n’était plus une fille qui se tenait devant lui, mais une jeune femme. 
— C’est impossible ! C’était un r… ê… v… e ! se rassura-t-il en se pinçant pour se convaincre qu’il n’hallucinait pas.
La jolie créature restait muette, mais le fixait de son magnifique regard avec insistance. La mélodie qu’il avait entendue la veille, retentit une nouvelle fois et soudain l’univers se modifia. L’âme d’Isaac s’extirpa de son corps filiforme et se retrouva face à la jeune femme. Cette fois-ci, il aperçut une faille dans ses pupilles et s’y engouffra. Isaac traversa un tourbillon de lumière incandescente, il ne pouvait garder son attention focalisée, et ce même en essayant de toutes ses forces. Il réalisa alors que la mélodie qu’il entendait renfermait la clef de ce mystère.
 Isaac se distinguait superbement dans les jeux de déduction, il possédait un esprit logique et comprenait rapidement le fil conducteur des énigmes. Il enrageait souvent sa famille lors des week-ends spéciaux « divertissements en tout genre ». Si Arthur excellait dans le domaine des jeux vidéo, lui brillait dans cette catégorie. Il était doté d’une mémoire à faire pâlir ses anciens camarades du lycée.
Isaac retint les sons et les notes puis, par la pensée, les récita. Le malstrom cessa subitement et la jeune femme esquissa un sourire jovial puis lui déclara tout en effectuant une révérence :
— Mon Seigneur, quel bonheur de vous revoir enfin, cela fait des mois que je vous recherche !
Isaac la contempla, les yeux grands ouverts.
— Pardon ? Vous faites erreur, je ne suis pas un membre de la couronne ! Je m’appelle Isaac.
L’inconnue redressa la tête et l’analysa plus intensément comme si elle sondait son âme à travers ses pupilles.
— Et pourtant, je vous confirme que vous êtes bien le seigneur d’Arysmeïl.
Isaac l’étudia à son tour d’un air ahuri. Il commençait sérieusement à se dire que cette charmante demoiselle avait pris un sacré coup sur la tête. Cependant, il nota que sa vision avait une nouvelle fois changé, tout apparaissait net, et encore une fois il observait les éléments dans des teintes olivâtres ! Perdu dans ses pensées, il ne s’aperçut pas que l’inconnue se trouvait désormais à quelques pas de lui, si proche qu’il sentait le souffle chaud de sa respiration sur sa peau.
— Que faites-vous ? balbutia-t-il.
Elle ne lui répondit pas et se hissa sur la pointe des pieds pour effleurer ses lèvres avec ses doigts. Un courant électrique parcourut le corps du jeune seigneur. Isaac sentit l’orage gronder en son for intérieur. La vague galvanisa tout sur son passage électrisant l’ensemble de ses organes vitaux et s’empara de tout son être. Son âme fut rejetée avec puissance dans son enveloppe charnelle. Il tomba à terre haletant.
Et lorsqu’il se releva, tout avait changé.
 
Chapitre 2

Anyaska était âgée de dix-neuf ans. L’ordre du Ga’ril lui avait donné une seule mission, qu’elle comptait bien mener à terme, et ce même si elle devait employer la manière forte pour y parvenir. De nature combative et acharnée, ses qualités lui valaient, au sein de la garde royale, un statut de guerrière incontestable. Elle avait la réputation de ne jamais se laisser faire.
Lorsqu’elle avait une idée en tête, personne ne pouvait l’empêcher d’atteindre son but. En Arysmeïl, elle avait gravi les échelons avec une habileté déconcertante, si bien que tout le monde s’accordait à dire qu’elle était digne d’intégrer l’unité rapprochée du roi. Anyaska ne restait jamais en difficulté, tout lui souriait, à force de travail.
Sa mère morte en couche et abandonnée par son père quelques jours après sa naissance, elle fut recueillie par l’ordre du Ga’ril. Anyaska avait l’habitude de la solitude et parvenait à en faire une force. En dépit de son histoire, elle avait tout pour plaire. Elle était arrivée dans le monde terrestre un matin à l’aube et ne savait par où commencer ses recherches. Elle vagabondait de ville en ville sans succès. Quand elle pénétra dans la ville de Creil, elle sentit une puissance qu’elle n’avait alors jamais ressentie, un être majestueux se trouvait dans cette cité. C’est ici, elle le pressentait, qu’elle retrouverait son seigneur.
Des semaines auparavant, dans le royaume d’Arysmeïl, une terrible menace s’était abattue sur son peuple. Les jeunes filles étaient enlevées, les unes après les autres. Le roi mettait tout en œuvre pour découvrir qui orchestrait ces kidnappings. Accompagné de sa garde personnelle, le souverain de ces lieux mystiques parcourait son royaume à la recherche d’éléments concordants. La dernière malheureuse prise en otage se prénommait Lerrya. Elle vivait avec ses parents à l’entrée de la citadelle, dans la vallée de Syrielle. C’était une adolescente pleine de vie, débrouillarde, qui aidait son père dans les pâturages et sa mère à faire les corvées ménagères qui lui incombaient. Grande avec les yeux bleu nuit et une chevelure blond-châtain, elle ne passait pas inaperçue dans le village. On disait d’elle qu’elle faisait cogner le cœur des hommes d’un seul battement de cils. Ses parents l’avaient promise à un chevalier de la cour, mais les rumeurs prétendaient que Lerrya rejetait sans ambages cette proposition.
Elle avait toujours épaulé ses proches dans leurs besognes quotidiennes et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle ne s’attardait pas dans la recherche d’un époux. D’autres jugeaient que c’était une fonceuse, une future guerrière et que de nombreuses personnes l’avaient appris à leurs dépens ! Lerrya ne se laissait pas faire, elle possédait l’âme d’une baroudeuse et c’est ce qui lui valut certainement ce destin funeste.
— Les indices mènent à cet endroit, Votre Altesse, déclara l’un des soldats en désignant la lisière du sous-bois.
Tout le monde respectait l’interdiction de s’aventurer seul dans ce lieu macabre. Cependant, Lerrya défiait sans cesse les autorités et Ybril prit conscience de ce fait. Il débuta alors les recherches. Lorsque le roi et sa garde personnelle arrivèrent à la bordure de la forêt interdite, une odeur pestilentielle chargea l’atmosphère. Ils le savaient, ce qu’ils découvriraient ici changerait à jamais l’avenir d’Arysmeïl. Un peu plus loin, l’un des guerriers découvrit le corps sans vie de Lerrya qui gisait dans une mare de sang. Son corps dévêtu avait été la proie de créatures de ces terres abandonnées. Les arbres d’ordinaire majestueux et ornés de feuilles étaient presque dénudés comme si l’automne avait débuté depuis des semaines. Or, c’était la période la plus estivale du royaume.
En Arysmeïl, il n’y avait que deux saisons. Les hommes naissaient durant la période du printemps et les femmes, au moment où le cycle des forêts se dégarnissait ; les sages proclamaient avec amusement que c’était parce qu’elles demeuraient précieuses et devaient être préservées du mal qui rôdait au printemps.
Une ancienne légende contait l’histoire de l’ordre du Ga’ril administrant un élixir aux bébés de sexe féminin. En fonction de la saison au moment de la conception, le philtre permettait à la vie de déterminer quel sexe l’enfant aurait à sa venue au monde. À l’époque, le procédé avait créé des polémiques et déchaîné les passions. Or, il n’y avait pas de place pour la discussion sous le règne du roi Jasmyr. Les mères étaient contraintes d’obéir sous peine de se voir emprisonnées et les pères finissaient pendus sur le parvis de place publique. Jasmyr était un monarque impitoyable, son règne avait détruit des contrées par centaines. De guerre en guerre, le peuple avait fui le royaume jusqu’à son décès dans des circonstances plus que mystérieuses. Lorsque son successeur, le prince Ybril, prit la tête du royaume, les citoyens retenaient leur respiration comme un seul homme, se tenant prêts à subir les foudres de ce nouveau suzerain.
Cependant, Ybril ne ressemblait pas à son père. Il avait hérité de ses traits, mais son éloquence et sa gentillesse provenaient de sa mère, la reine Irysna. C’est pour cette raison que le seigneur Jasmyr ne voyait pas d’un bon œil son accession au trône. Selon lui, son fils n’avait pas la carrure pour diriger le peuple. Son épouse ne partageait pas son avis, et savait qu’Ybril avait la prestance, la force et le courage de guider son royaume vers la paix et la prospérité.
Lorsque sa sœur cadette, la princesse Sasnya, fut à son tour enlevée, l’équilibre de l’empire était compromis. Ybril devait absolument la retrouver avant que son destin ne soit tristement lié à celui de la pauvre Lerrya.

***

Anyaska avait perdu énormément de temps à la recherche de son souverain et quand elle l’avait enfin trouvé, il n’était pas à la hauteur de ses espérances. Malgré les réticences d’Isaac, elle se demandait comment faire pour qu’il accepte de récupérer son pouvoir. Au vu de ce qu’elle constatait, en l’examinant à la manière d’une machine à rayon X, elle doutait de sa capacité à sauver la princesse.
Le seigneur d’Arysmeïl lui semblait différent, certes son essence spirituelle incarnait toujours la puissance pure, mais quelque chose dénotait avec l’aura qu’il dégageait, comme si une fragilité s’était emparée de son monarque.
« Je ne peux nier que ça lui donne un charme », songea Anyaska en observant Isaac d’un nouvel œil. Mais l’avenir du royaume et de la terre sombrerait dans le chaos s’il n’était pas à la hauteur. On ne pouvait pas s’accommoder d’un demi-seigneur ! Isaac devrait par n’importe quel moyen recouvrir toutes ses capacités avant la lune qui sonnera la fin de l’automne.
  — Quelle misère ! chuchota-t-elle en secouant la tête, décontenancée par son attitude. Si seulement, j’étais parvenue à le retrouver plus tôt. Le temps file à une vitesse et on ne peut pas se permettre de se disperser.
 
Chapitre 3

Après lui avoir effleuré les lèvres du bout des doigts, Anyaska s’était instinctivement prosternée devant Isaac. À cet instant, il comprit qu’elle attendait quelque chose en retour. Pourtant, il éprouvait des difficultés à savoir ce qu’elle espérait de lui. Remarquant la passivité de son roi, la guerrière se releva et prit la parole :
— Mon Seigneur, ne vous souvenez-vous donc pas de notre mission ?
Tout au long de sa vie, Isaac souhaitait être reconnu à sa juste valeur et ne plus passer pour un marginal de la société. Quand il était enfant et qu’il se rendait à l’école, ses camarades adoraient se moquer de lui parce qu’il n’entrait pas dans les bonnes cases. Il s’exprimait dans un langage différent, souvent considéré comme étrange auprès des jeunes de son âge. Il adorait converser avec des mots que beaucoup n’utilisaient plus aujourd’hui.
Les normes de la société représentaient sa plus grande difficulté. Lorsqu’on le sortait de sa zone de confort, Isaac ne savait pas comment réagir. Sa mère lui avait pourtant donné toutes les cartes en main pour se comporter parfaitement en société. Mais Isaac n’était rassuré qu’au moment où il se retrouvait seul, dans sa chambre d’adolescent, à dévorer des livres par centaines. La lecture constituait pour lui une échappatoire. Elle lui permettait de survivre dans ce monde, qu’il considérait comme un territoire hostile.
 
Sa relation avec son père était constamment tumultueuse, ils n’arrivaient pas à se comprendre. Sa mère intervenait souvent pour arrondir les angles entre eux. Toutefois, Isaac ne se berçait pas d’illusions, il savait très bien que pour lui, il n’était pas le fils rêvé : celui qui récupérerait l’entreprise familiale et la dirigerait avec professionnalisme. Son père s’imaginait, à tort, qu’il y prendrait un véritable plaisir. Malheureusement, il se voilait la face et ne parvenait toujours pas à accepter le handicap de son fils aîné.
Malgré tout, ses parents avaient tenu à l’inscrire dans une grande école maritime au Havre, pour qu’il obtienne son diplôme de capitaine. Les études, Isaac les survolait avec une facilité déconcertante. Après plusieurs années à se tourner les pouces et à rendre sa mère hystérique, il avait enfin pris conscience qu’étudier représentait une opportunité pour approfondir ses connaissances et lui permettrait également de s’ouvrir aux autres. En revanche, jamais il ne se serait imaginé être roi d’un quelconque royaume.
Isaac ne semblait pas se formaliser de l’attitude pensive de la jeune femme. Il avait la tête ailleurs, le regard perdu dans les méandres de ses souvenirs.
« Il faut battre le fer tant qu’il est chaud », songea Anyaska avant de s’adresser à lui. 
— Comment vous sentez-vous Monseigneur ? hasarda-t-elle en pensant qu’il avait recouvré la mémoire.
Isaac la dévisagea quelques instants, sidéré par le titre qu’elle s’évertuait à utiliser pour s’adresser à lui. La stupéfaction demeurait telle qu’aucun son ne put franchir ses lèvres. Dans son esprit, tout se bousculait. Qui était-elle ? Que lui voulait-elle ? Pourquoi s’acharnait-elle à l’appeler « Seigneur » ? Il n’arrivait pas à y voir clair et comme à son habitude, il ne s’attarda pas pour obtenir des réponses.
— Je dois rentrer chez moi, déclara-t-il finalement.
Anyaska écarquilla les yeux.
— C’est une plaisanterie ? s’interrogea-t-elle en le regardant partir.
Isaac l’ignora et rebroussa chemin.
Elle ne savait plus si elle voulait réellement le voir se battre à ses côtés pour sauver la princesse. Certes, il était bel et bien un roi, son roi, elle en était convaincue. En revanche, elle ne le reconnaissait pas, il n’était plus que l’ombre de lui-même. Isaac possédait l’aura d’un monarque, sans aucun doute ! Toutefois, la ressemblance avec le roi Ybril demeurait dérisoire, voire inexistante, et ce constat la troublait. Au royaume d’Arysmeïl, Ybril avait combattu un cerbère à mains nues, pour sauver la vie d’un petit garçon, difficile de croire que l’homme devant elle détenait le même courage.
Isaac, de son côté, ne comprenait toujours pas ce qu’il se passait. Il avait rencontré beaucoup de déconvenues durant son enfance et son adolescence, cependant il restait un homme rationnel. Tout devait posséder un début, une fin et surtout un fonctionnement bien précis. Le besoin de tout contrôler représentait l’équilibre de tout son être. Néanmoins, il se rendait à l’évidence qu’aujourd’hui, il se trouvait devant une situation surprenante qui dépassait son entendement.
Anyaska se tenait toujours face à lui, ses longs cheveux ondulés noués en queue de cheval. Ses yeux rose-ambré apparaissaient plus vifs et plus perçants que ce qu’il avait pu remarquer jusqu’à présent. Son visage élégant et son nez légèrement en trompette faisaient ressortir son magnifique regard. Elle portait une tunique noire brodée de fil blanc sur l’encolure, subtilement cintrée, épousant parfaitement ses formes. Face à cette situation déstabilisante, il fit ce qu’il avait l’habitude de faire plus jeune : battre en retraite.
— Je n’y comprends rien, se fustigea-t-il en rebroussant chemin à la hâte.
Lorsqu’il arriva devant chez lui, il aperçut la même personne qui l’attendait patiemment contre un arbre. Isaac s’arrêta à bout de souffle, les poings serrés pour stopper ses tremblements. Il tenta de se calmer, en vain. Il passa alors devant elle sans lui adresser un regard et ouvrit la porte de son appartement, en prenant soin de bien la refermer derrière lui.
Anyaska n’en revenait pas de son attitude.
— Mais, pour qui se prend-il pour m’ignorer de cette façon ? grommela-t-elle en serrant les dents.
Sans qu’elle en devine la raison, la réaction d’Isaac la blessait. Son cœur se comprima dans sa poitrine et sa respiration devint difficile. Mais bien décidée à obtenir des réponses, Anyaska serra les poings, inspira profondément et se redressa de toute sa hauteur.
— Trêve de plaisanterie, argua-t-elle, catégorique.
« Cette fois-ci, il m’écoutera jusqu’au bout ! », songea-t-elle en pénétrant dans son appartement sans frapper.
 Ce qu’elle y découvrit lui glaça le sang : en face d’elle, calé sur le mur de l’entrée, se trouvait Isaac recroquevillé sur lui-même, les mains sur les oreilles, jambes repliées. Il se balançait d’avant en arrière en chuchotant en boucle des paroles inintelligibles. Elle se rapprocha tout en restant sur ses gardes et entendit ses lamentations :
— Ce n’est… pas nor… Ce n’est pas comme ça. Ce n’est pas rationnel ! Je ne, non, non, balbutia-t-il.
Lorsqu’elle fut près de lui, elle s’agenouilla avec la délicatesse et la grâce qui siéent à une personne de haut rang. Elle se voûta avec respect devant son seigneur, puis le questionna en prenant une voix réconfortante :
— Qu’est-ce qui vous met dans cet état mon… sieur ? se reprit-elle au dernier moment pour éviter de le brusquer davantage.
Mais Isaac ne l’écoutait pas, n’étant plus maître de lui-même. Au bord de la rupture, son esprit se déconnecta et les digues qu’il avait appris à ériger cédèrent sous la pression. C’en était trop pour lui, trop d’émotions, trop de changements, trop de tout. Son cœur pulsait à un rythme effréné dans sa cage thoracique. Ses mains tremblèrent et Isaac serra les poings pour les maintenir sur ses oreilles. Dévasté, martyrisé, dépossédé de sa raison, Isaac s’enfonça dans sa tourmente. Plus rien ne semblait pouvoir le ramener à la réalité. Anyaska se heurta à cette souffrance sans savoir comment réagir. Jamais elle n’avait été témoin d’une telle perte de contrôle. Le visage d’Isaac se déformait en une grimace de douleur, le regard perdu dans le vide.
— Ce n’est… pas… nor…mal, répéta-t-il le souffle court.
Isaac se jetait toujours d’avant en arrière. Sa tête percuta le mur si violemment que du sang perla sur sa nuque. Sans jamais faiblir, il se maltraitait, se frappant désormais les tempes et se cognant inlassablement la tête. Anyaska s’horrifia. Elle ne pouvait pas le laisser se blesser ainsi. Mais que pouvait-elle faire ? Elle ne savait même pas ce qu’il lui prenait. Pourquoi réagissait-il ainsi ? Pourquoi s’infliger autant de souffrance ? Voir son roi dans cet état lui comprima la poitrine. Le comportement d’Isaac la déstabilisait, pourtant son aura ne mentait pas. Il possédait sans conteste celle des grands monarques dont les destinées avaient modelé l’histoire d’Arysmeïl.
Soudain, la crise s’estompa. Isaac rejeta sa tête, le souffle haché. Ses paupières se fermèrent et sa respiration se calma à mesure qu’il reprenait ses esprits. Du sang s’écoulait de ses tempes et de son cou, mais Isaac ne semblait pas le remarquer. Il ouvrit la bouche et un souffle rauque s’en échappa. Il rouvrit les yeux et croisa le regard inquiet de la jeune femme.
   — Je ne comprends pas ce qui m’arrive, déclara-t-il en se tenant la tête.
Un silence s’étira entre eux sans qu’aucun d’eux voulût le briser.
   — Depuis que je vous ai rencontrée, je vois étonnamment bien, reprit Isaac au bout de quelques instants. Je suis pourtant atteint de myopie depuis l’âge de douze ans, au point de ne pas pouvoir sortir sans ma paire de lunettes. Ma vision est devenue perçante et affûtée. En revanche, j’aperçois tout ce qui m’entoure dans des teintes verdâtres. J’ai l’impression d’être un extraterrestre ! s’écria-t-il, d’un ton horrifié. Et puis, d’ordinaire lorsque je rentre chez moi, j’ai un besoin irrépressible de tourner la clef à sept reprises dans la serrure. Là, je n’y ai même pas pensé une seule fois ! Qu’est-ce qui ne va pas chez moi ? Que m’avez-vous fait ? Qui êtes-vous ?
Il se remit à gémir en se lamentant. Anyaska souffla en serrant les poings, elle perdait patience et doutait de plus en plus d’avoir trouvé la bonne personne. N’avait-elle pas commis l’irréparable en espérant qu’il était le sauveur de son pays ? Malgré tout, elle se maîtrisa et tempéra :
— Je m’appelle Anyaska, on m’a confié la mission de vous retrouver pour sauver la princesse Sasnya des griffes de la reine déchue, Kamjiyn. 
— D’accord, rétorqua Isaac pragmatique, mais cela ne justifie pas le fait que je n’ai plus besoin de porter ma paire de lunettes. Et pourquoi vois-je tout ce qui m’entoure en vert ? Sans parler de mes manies qui ont quasiment disparu, déclara-t-il en levant les mains à sa hauteur pour montrer son désarroi.
Anyaska cilla avant de se reprendre. « Je lui annonce qu’il doit sauver une princesse, et il me parle de sa paire de lunettes. Mais qui est donc cet homme à l’aura majestueuse ? Et il ne remarque même pas le sang qui coule sur ses joues », pensa-t-elle en le dévisageant.
— En premier lieu, je dois vous soigner et ensuite je vous expliquerai certaines choses, reprit la guerrière en se raclant la gorge.   
Isaac porta les mains à son visage et remarqua qu’il s’était blessé. Il soupira et secoua la tête.
— Ce n’est rien, cela m’arrive assez souvent quand j’entre en crise, expliqua-t-il devant l’air surpris de la jeune femme.
Il se releva et se dirigea vers la salle de bain sans mot dire. Anyaska le regarda partir en écarquillant les yeux.
« Il vient réellement de me laisser en plan ? »
Elle lui emboîta le pas pour ne pas le laisser s’échapper. Même si elle se doutait qu’il n’irait pas bien loin à cet instant. Surtout qu’ils se trouvaient dans son appartement.
Isaac se rinça le visage et le cou pour nettoyer ses plaies. Il retira son pull et se retrouva torse nu devant Anyaska qui lui tourna le dos.
« Okay, ça commence légèrement à devenir gênant »
Isaac ne remarqua pas son trouble et continua son œuvre. Lorsqu’il eut fini, il pénétra dans ce qui semblait être sa chambre. Il s’impatientait et ne cessait de faire les cent pas. Il voulait connaître le fin mot de cette histoire et avait la vive impression qu’Anyaska ne se rendait pas compte de la difficulté qu’il éprouvait pour rester concentré. Il se maîtrisait péniblement pour rester calme et attentif, tout en puisant dans ses réserves pour se maintenir à flot. D’ailleurs, il se félicitait intérieurement de tenir sans paniquer.
— Vous devriez vous asseoir, lui proposa la jeune femme en jugeant son comportement.
Isaac ne cessait de comprimer ses poings en arpentant la pièce. Elle se doutait que quelque chose ne s’était pas parfaitement déroulé et se demandait ce qui avait échoué. C’est alors qu’elle vit, dans la chambre d’Isaac, une affiche trônant au-dessus de son lit, représentant un magnifique papillon bleu.
La pièce était plutôt belle et spacieuse, à en juger par le rapide coup d’œil qu’Anyaska avait jeté en arrivant. C’était la plus grande pièce de la maison, les murs étaient peints en blanc cassé doux comme la plume, créant une atmosphère agréable et délicate. À côté du lit d’Isaac se trouvait une simple table de chevet où reposait une espèce de cube lumineux indiquant l’heure. Au coin de la fenêtre trônait un bureau rudimentaire avec un ordinateur dessus. Derrière la porte, Anyaska remarqua un immense miroir ainsi qu’une commode. Après avoir étudié l’ensemble de la pièce, elle planta enfin son regard sur le jeune homme. Il la dévisageait et visiblement, il s’était détendu. Son regard se fit plus perçant comme s’il parvenait à déchiffrer ce qu’elle pensait, car en lui désignant le haut de son lit, il lui dit :
— Je suis atteint d’un trouble du spectre de l’autisme, cette affiche représente le symbole de notre association. Elle me rappelle d’où je viens et ce que je suis, elle m’aide à ne pas sombrer dans la folie lorsque je ne comprends pas les évènements qui m’arrivent.
Anyaska se retint de lui demander la signification de ce mot, ce n’était pas le moment de lui déclencher une nouvelle crise alors qu’elle venait tout juste de détourner son attention.
— Je vais aller droit au but, Isaac, ma mère adoptive me disait toujours que je devais annoncer les faits aussi rapidement et posément que possible. Vous n’êtes pas seulement Isaac. Dans mon monde, vous êtes le roi, le seigneur Ybril du royaume d’Arysmeïl, et votre sœur, la princesse Sasnya a été enlevée. Alors que nous nous trouvions à deux doigts de la délivrer, une entité maléfique vous a jeté un sort et vous a expédié dans ce monde terrestre. Quant à la façon dont vous observez les éléments, cela reste un mystère pour moi. Il s’agit sûrement d’un résidu du sortilège lancé par le sorcier qui nous a attaqués. J’ai erré de longs mois pour vous retrouver Messire. Le temps nous est compté, nous devons rejoindre à tout prix Arysmeïl avant qu’il ne soit trop tard.
Elle se tut un moment afin de laisser Isaac assimiler tout ce qu’elle venait de lui révéler. Lorsqu’elle remarqua qu’il attendait la suite, elle enchaîna en lui racontant comment Lerrya avait péri et pourquoi la vie de la princesse était en péril.
Isaac se leva et se remit à faire les cent pas. Il semblait ailleurs, comme s’il emmagasinait et traitait les informations les unes après les autres. L’affiche sur le mur devint une évidence pour Anyaska : Isaac était sûrement un Slyrvani ! Comment n’avait-elle pas fait le rapprochement ? Tout était pourtant clair dans sa façon de se comporter, de parler, de ne pas la regarder ; elle avait pensé à tort que sa beauté le déstabilisait alors qu’en réalité, il ne la voyait pas, mais la ressentait dans son corps et dans son âme.
Elle s’approcha de lui et cette fois-ci, elle ne lui effleura pas les lèvres du bout des doigts. Anyaska mit ses mains l’une contre l’autre et récita doucement une formule en arysmeïli qu’elle avait apprise lors de ses études, puis elle exhala doucement dans sa direction.
La chaleur du souffle de la jeune femme sur sa peau le fit frissonner, ses poils se dressèrent et l’odeur de jasmin qu’il avait senti dans la ruelle la nuit dernière lui revint en mémoire. Il ferma les yeux et se concentra sur les sensations qui parcouraient son corps.
Il ressentit instantanément le pouvoir de la poudre mystérieuse qu’elle venait de lui envoyer. De minuscules grains de sable parvinrent sur les prunelles du monarque et se faufilèrent dans cette brèche. Petit à petit, chaque cellule de son corps fusionna avec les particules et Isaac se mit à trembler tout en respirant profondément pour tenter de se contrôler. Il sentit chacune de ses molécules naviguer dans son flux sanguin. Lorsqu’elles arrivèrent à son cerveau, Isaac ouvrit enfin les yeux.
Soudain, il se souvenait de tout.
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Avis : auteurs édités / Répliques de Stephan Cailleteau
« Dernier message par Antalmos le mer. 15/02/2023 à 14:44 »
Répliques : séisme ou ensemble de séismes succédant à un grand tremblement de terre. Métaphore utilisée à juste titre par l'auteur, Stephan Cailleteau, pour décrire la succession d'évènements tragiques qui va toucher sans exception tous les protagonistes de l'histoire dont le premier sera la disparition d'Esther, l'amour de Marc. Jean Kassina, le meilleur ami de Marc va mener son enquête pour tenter de décrypter le mystère entourant sa disparition. De rebondissement en rebondissement, on va suivre Jean dans sa quête de vérité, et tout comme lui, on est bien loin de se douter des évènements qui vont suivre, nous bouleverser, sans parler du dénouement qui m'a particulièrement ému.
Répliques est donc une histoire d'hommes et de femmes, qui aborde des thèmes forts d'amours ratés ou impossibles, de joies et de tristesses, de complicités et de trahisons.
En résumé, beaucoup d'humanité se dégage de ce roman qui en fait un véritable page turner. Je recommande donc la lecture de cet ouvrage à l'intrigue bien ficelée, servi par un auteur doté d'une belle écriture, au style précis, percutant et tout en sensibilité, que je vous invite à découvrir.
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