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Mise en avant des Auto-édités / Paris Break de Pauline SLF
« Dernier message par Apogon le jeu. 16/12/2021 à 17:17 »
Paris Break de Pauline SLF



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Ça faisait une éternité que je n’avais pas pris le train. Je devais me rendre à une formation à Paris, pendant trois jours. D’habitude, je n’allais jamais à ce genre de chose. Au fil des années, j’étais devenue adepte des programmes en ligne, du « e-learning » ou « non-présentiel », comme on dit. C’était beaucoup plus simple, par rapport aux enfants. S’absenter trois jours pleins de la maison, à cheval sur un week-end, quand on a des enfants en bas âges et un mari qui aurait bien du mal à se pointer à la crèche ou à la garderie avant l’heure de fermeture, ça m’avait toujours semblé être une situation… à éviter. Alors, qu’est-ce qui avait changé ? Tout d’abord, les enfants ont grandi. Plus besoin d’aller les chercher, ils rentrent seuls. Plus besoin de les aider à faire leurs devoirs, ils gèrent. Plus besoin de les emmener à leurs activités, ils y vont à vélo. Plus besoin d’organiser des après-midis de jeux avec les parents des copains-copines, maintenant nos « bouts de choux » s’envoient des textos pour fixer leurs lieux et heures de rendez-vous eux-mêmes. En fait, à présent, ils avaient juste besoin qu’on leur prépare à manger midi et soir. Et ça, mon mari gérait comme un roi. Donc, l’idée de disparaître pendant trois jours n’avait plus du tout l’air d’un projet égoïste et culpabilisant, d’une sorte d’abandon du domicile familial, laissant mon conjoint seul aux manettes d’un vaisseau infernal que nous avions l’habitude de conduire à deux, dans un partage parfait des différentes tâches… même si, franchement, je ne me serais pas gênée pour le faire si j’en avais ressenti le besoin. En fait, après quinze ans de vie commune, je crois que c’était tout simplement la première fois que j’en ressentais le besoin. Une fois en quinze ans, ce n’est pas si mal, quand on y pense. C’est bien la preuve que je suis heureuse, même si je n’en ai pas toujours conscience. Du moins, à ce moment-là, je n’en avais pas réellement conscience.
Donc voilà, les enfants avaient bien grandi et n’avaient plus autant besoin de moi en tant que co-responsable logistique du foyer. Mais ce n’était pas tout. Oh non. L’autonomie croissante des enfants n’était que le petit plus qui m’avait confortée dans cette démarche de formation. À vrai dire, leur père et moi traversions une période difficile, depuis près de deux ans. Un grand classique dans tous les couples qui durent, je sais. Mais nous peinions à surmonter nos problèmes. On n’arrivait même plus à trouver le courage de faire des efforts. J’en avais eu la preuve pendant nos vacances d’été. Comme tous les ans, nous étions partis trois semaines en vadrouille avec les enfants. Nous aimions alterner les visites culturelles, les activités sportives et les moments de farniente, tout en découvrant de nouveaux pays, de nouvelles régions. Comme tous les ans, nous étions revenus ravis de nos vacances. Mais sur le chemin du retour, alors que nos trois pré-ados dormaient à l’arrière, j’avais fait un constat assez sinistre. Nous roulions depuis des heures, en conduisant chacun notre tour. Et nous ne nous étions pas adressé la parole depuis notre départ, le matin-même. J’avais alors réalisé que durant ces trois semaines de vacances, à chaque fois que nous nous étions retrouvés seuls, nous n’avions jamais décroché un mot. Ni lui, ni moi. En présence des enfants, nous devions très certainement avoir l’air d’un couple normal, car nous nous efforcions de ne rien laisser paraître. On était des parents au top. On jouait notre rôle à merveille. La machine était bien rodée. Mais le soir venu, dans notre lit, on bouquinait en silence, ou pianotait sur nos téléphones, jusqu’à ce que chacun éteigne sa lampe de chevet, de façon plus ou moins décalée dans le temps. On avait même perdu l’habitude de se dire simplement « bonne nuit » dès que l’autre éteignait sa lampe. Bref. Pas un mot pendant trois semaines. Pas un contact. Pas une caresse. Je ne me souvenais pas vraiment de notre dernier gros câlin. Je me rendais compte qu’on ne s’embrassait même plus. Pas même un petit bisou machinal le matin. Rien. Et ça ne me manquait pas.
Une fois rentrés chez nous, dans notre duplex avignonnais, j’avais profité des quelques jours qui nous restaient avant de reprendre le boulot pour faire un bilan de la situation, de mon point de vue à moi. J’étais assise dans la salle à manger, occupée à commander les courses sur l’application de notre supermarché de quartier, accompagnée d’une chaleureuse tasse de thé vert. J’observais mon mari pendant qu’il cuisinait, son bassin collé à l’îlot central, sa tête penchée vers sa cagette de légumes frais, son regard figé sur la planche à découper, totalement absorbé par cette aubergine qu’il taillait en fines lamelles. Je l’observais, en silence, pendant de longues minutes. Je ne ressentais pas d’envie, pas de désir, que ce soit physiquement ou mentalement. Mais je ne ressentais pas de choses négatives pour autant. En fait, je ne ressentais plus rien. Je n’avais pas envie de lui parler, pas envie de l’embrasser, pas envie d’être avec lui. Mais je n’éprouvais pas non plus l’envie irrésistible de lui hurler dessus, le couvrir de reproches, lui envoyer ses lamelles d’aubergine à la figure et lui demander de partir. Sa présence ne suscitait plus rien chez moi, mais elle ne m’indisposait pas pour autant. J’avais donc bien du mal à savoir ce que je voulais, ou ce qui serait le mieux pour nous deux. J’étais complètement paumée. Et le pire, c’était qu’à force de ne plus se parler, à part pour des banalités, je n’arrivais même plus à me motiver pour me lancer avec lui dans une conversation pourtant bien nécessaire. Visiblement, lui non plus. C’est ce qu’on appelle un cercle vicieux, non ? Et pourtant, j’étais là. La veille de notre reprise du travail, alors que nos enfants avaient encore quelques jours de vacances avant la rentrée scolaire, j’avais pris l’initiative de jeter un œil à mes mails professionnels, histoire de ne pas y passer deux heures le lendemain matin et de trier d’ores et déjà le « urgent » du « peut attendre ». Parmi la centaine de mails à traiter, j’étais alors tombée sur une proposition de formation à Paris, dont la première session de l’année avait lieu quelques jours plus tard. Mon premier réflexe fut de supprimer le message, sans même l’avoir lu. Après avoir fait le tour des mails, je traînai quelques instants sur mon réseau social préféré. J’étais abonnée à un compte qui publiait des proverbes et citations tous les jours. En faisant défiler la page d’accueil du bout de mon index, je tombai sur la dernière publication de ce compte. C’était une phrase en anglais dont la traduction littérale voulait dire « J’ai juste besoin de m’éloigner pour me souvenir pourquoi je reste. ». Et là, en une fraction de seconde, un feu d’artifice éclata dans ma petite tête. Partir, n’était-ce effectivement pas la meilleure façon de comprendre pourquoi on reste ? J’avais immédiatement pensé au mail que j’avais supprimé. Celui sur la proposition de formation en présentiel. Trois jours à Paris, toute seule, dans un contexte professionnel, n’était-ce pas exactement ce qu’il me fallait ? N’était-ce pas une façon toute simple de faire le point ? De savoir si mon mari, avec qui je vivais depuis près de quinze ans, allait me manquer ? Et réciproquement, mon absence serait-elle pour lui la confirmation que ma présence ne comptait plus du tout, et qu’il était temps de s’interroger sérieusement sur l’avenir de notre couple ? Ou serait-ce au contraire le déclic dont il avait besoin pour se rendre compte que non, il n’envisageait pas une seule seconde de vivre sans moi ? J’avais immédiatement récupéré le mail dans la corbeille et l’avais ouvert pour le lire avec attention. Dans ma profession, nous avions une obligation de formation annuelle, les logiciels sur lesquels nous travaillions étant en constante évolution. Les trois jours de stage à Paris concernaient l’apprentissage d’une nouvelle fonction sur un logiciel que j’utilisais très peu. Dans un autre contexte, je ne me serais jamais inscrite. Mais là, j’avais juste besoin d’un prétexte. Un prétexte bien crédible pour m’accorder trois jours de réflexion en solitaire, loin du foyer familial et de mes enfants qui, soyons honnêtes, étaient sans le vouloir une merveilleuse diversion permettant à leurs parents d’éviter de se retrouver face à leurs problèmes une bonne fois pour toutes. Trois jours rien qu’à moi, pour faire le point, pour me poser les bonnes questions, tout en satisfaisant ma conscience professionnelle et mon obligation de formation annuelle. En plus, je serais revenue quatre jours avant la rentrée scolaire, ce qui me laisserait le temps de m’occuper des derniers petits préparatifs, s’il en restait. C’était décidé. J’allais le faire.
Le lendemain matin, avant-dernier lundi du mois d’août, dès mon arrivée au boulot, j’avais envoyé un mail à mon chef pour lui demander de m’inscrire à cette formation. Très surpris, il s’était pointé illico dans mon bureau, me demandant si j’étais certaine de vouloir partir trois jours alors que je revenais tout juste de vacances, tout ça pour suivre une formation qui ne présentait pas un immense intérêt pour ma carrière. Eh bien oui, c’était ce que je voulais. Le long soupir qu’il avait poussé me laissait entendre que j’étais en train de passer pour une cinglée, doublée d’une enquiquineuse. Bah tant pis. J’avais su me montrer à peu près convaincante, et avais conclu les négociations par ce qui s’avérait être un énorme mensonge, à savoir que j’avais toujours rêvé de faire cette formation car je souhaitais vraiment développer mes compétences en matière d’animation vidéo. Mon chef m’avait lancé un regard étrange. En même temps, tout était étrange dans ce que je venais de dire. Depuis dix ans que je bossais pour cette boîte, il me connaissait bien. Et là, rien ne me ressemblait. Mais il n’avait aucune raison valable de me refuser cette formation. Alors il avait accepté, après m’avoir gentiment rappelé que dès mon retour, on attendait mes propositions d’illustrations pour les affiches du festival de jazz du printemps prochain. Victoire. Dans l’heure suivante, j’avais reçu la confirmation de l’organisme chargé du stage, ainsi qu’un mail de la secrétaire de direction me donnant les références de réservation pour mes billets de train et mes deux nuits d’hôtel, le tout aux frais de la boîte. Impeccable.

Le soir-même, j’avais profité du dîner pour annoncer officiellement mon projet. Entre deux débats opposant mes filles à mon fils à propos des dernières séries télé disponibles sur notre service de vidéos à la demande favori, j’avais pris mon courage à deux mains et m’étais lancée. Voilà. C’était une grande première, mais Maman allait partir jeudi matin de très bonne heure, et reviendrait samedi soir. Pourquoi donc ? Parce que Maman avait l’opportunité de suivre une formation très intéressante qui serait du meilleur effet sur son C.V si un jour elle décidait d’évoluer professionnellement, ou si elle voulait carrément changer de boîte. Où partait Maman ? À Paris, pendant trois jours. Comment partait Maman ? En train. Où allait dormir Maman ? Dans un petit hôtel. Comme je me l’étais imaginé, mes trois pré-ados s’étaient contentés d’un « ok » et avaient immédiatement repris leur conversation télévisuelle. Mon mari, lui, m’avait regardée droit dans les yeux de façon franche et intense, pour la première fois depuis deux ans. Il m’avait interrogée sur le programme de la formation, et j’avais avancé exactement les mêmes arguments qu’avec mon chef. Après quelques échanges sur les conséquences logistiques de mon absence et le passage en revue des petites choses qu’il aurait à manager seul pour la première fois depuis la naissance de nos aînées, il avait imité ses enfants en concluant la conversation d’un « ok » qui suintait l’indifférence. En réalité, il n’était pas si indifférent. Au moment du coucher, quand nous nous étions retrouvés seuls dans notre chambre, au lieu du traditionnel silence, il m’avait posé quelques questions anodines sur mon séjour parisien de dernière minute. Et j’en avais assez vite conclu qu’il croyait moyennement à mon histoire de formation qui sortait de nulle part. Mine de rien, il était la personne qui me connaissait le mieux au monde. Vu l’état de notre couple, il s’était peut-être imaginé que j’allais rejoindre un amant, ou une amie à qui je confirais mon mal-être et qui me pousserait à demander le divorce. J’aurais pu le laisser cogiter, le laisser dans le flou, s’imaginer des trucs, en espérant que ça le pousse lui aussi à faire le point. Mais non. Je détestais qu’on me soupçonne, et lui avais donc montré les preuves que toute cette histoire était vraie : la confirmation d’inscription venant de l’organisme de formation, mes billets de train aller-retour et ma réservation d’hôtel. N’ayant plus aucune raison de me questionner, il s’était alors tourné dos à moi et avait éteint sa lampe de chevet, sans me souhaiter bonne nuit. J’avais attendu quelques secondes, me disant que c’était peut-être l’occasion de discuter avec franchise. J’avais hésité à lui dire clairement que je partais à Paris pour faire le point sur nous, histoire de provoquer chez lui une sorte d’électrochoc, une quelconque réaction. Alors qu’il me tournait le dos et cherchait le sommeil, je lui avais lancé un très pacifique « Peut-être que ça serait bien qu’on parle, non ? » auquel il m’avait vaguement répondu « Bah tu veux qu’on parle de quoi à cette heure-ci ? », preuve qu’il ne ressentait ni ne voyait la nécessité d’avoir une conversation de couple face à la dégradation progressive et inéluctable de nos rapports. À croire que ça ne l’inquiétait pas, ne le perturbait pas, ne le rendait pas malheureux. À ce moment-là, j’avais eu la certitude que cette escapade de trois jours nous ferait le plus grand bien. Mais trois jours, était-ce vraiment suffisant pour prendre tout le recul dont nous avions besoin ? Pas sûr.
Le mercredi soir, après le dîner, j’étais montée dans ma chambre pour préparer mes bagages, pendant que mes enfants et mon mari jouaient ensemble à un jeu vidéo auquel je perdais tout le temps. J’emportais tout d’abord le bagage à main professionnel contenant mon ordinateur portable équipé de tous mes logiciels de boulot, et ma tablette graphique dernier cri. Dans la petite valise à roulette assortie sur laquelle le bagage à main se fixait de manière très astucieuse, j’avais mis trois tenues estivales qui me permettraient d’avoir le choix et de m’adapter à la météo qui s’annonçait encore très chaude, mais qui pouvait très bien changer en cours de route. Ça me permettrait aussi de m’adapter à la température de la salle de formation, car rien ne stipulait que celle-ci serait climatisée. J’avais pris du classique, décontracté et léger. Une paire de sandales de rechange, des sous-vêtements, ma trousse de toilette, de quoi m’attacher les cheveux, ma petite trousse à maquillage, et un bouquin que j’avais commencé pendant les vacances et que je peinais à finir. Pendant que je bouclais ma valise, mon mari entra dans la chambre pour prendre son chargeur de portable dans sa table de chevet. Je levai les yeux vers lui, pour voir si j’arrivais à capter son regard. Encore une fois, je pensais que peut-être, le fait de me voir préparer mes bagages provoquerait quelque chose chez lui. Une réaction, une émotion… quelque chose. Mais rien. Toujours rien. J’avais envie de lui dire un truc du genre « Tu as vu ? Tu as vu ce que je suis en train de faire ? Je suis en train de préparer ma valise ! Je suis en train de me barrer ! Tu le vois, ça ? Tu le vois ??? ». Mais bien évidemment, rien ne sortit de ma bouche. Il avait quitté la pièce sans un mot, sans un regard. À ce moment-là, je n’avais plus eu qu’une seule envie : mettre mon pyjama, me coucher, et m’endormir le plus vite possible pour que le matin arrive. J’étais allée embrasser mes enfants avant de filer sous la couette, leur rappelant que je comptais sur eux pour bien se comporter pendant mon absence, histoire qu’à mon retour je ne retrouve pas un mari épuisé qui me supplierait de ne plus jamais le laisser trois jours seuls avec nos pré-ados. J’avais même poussé le vice jusqu’à leur dire que mon absence était une merveilleuse occasion pour eux de passer des moments privilégiés avec leur père et qu’il fallait en profiter. En réalité, mon mari était déjà un père formidable qui prenait le temps d’avoir des petits moments de complicité avec chacun de nos enfants, et ce depuis leur naissance. Donc, ma remarque était carrément déplacée et superflue. Mais tant pis. Sur le coup, ça m’avait donné l’impression de dire quelque chose de bien. Je m’étais couchée seule, fatiguée de ma journée de travail mais surexcitée à l’idée de partir seule à Paris, avec la musique du jeu vidéo sur lequel ma petite famille continuait de s’éclater à l’étage du dessous, en guise de berceuse. Voilà. Allez, bonne nuit tout le monde.

Nous étions donc jeudi matin. Je m’étais levée à 6H15, avais fait le moins de bruit possible en me préparant, et quittai l’appartement en ayant une drôle de sensation. Quelque chose d’assez inexplicable. Nous vivions à vingt minutes à pied de la gare d’Avignon-TGV. Pendant que je marchais dans les rues désertes, et que ma valise à roulettes semblait faire le même bruit qu’un avion au décollage tant la ville était silencieuse, j’essayais d’identifier cette sensation. C’était comme si, au fond de moi, quelque chose me disait qu’un mécanisme s’était déclenché, et que rien ne pourrait l’arrêter. Comme si ces trois jours loin de mon foyer allaient me transformer, et que je reviendrais samedi soir en n’étant plus vraiment la même personne. Je pensai à mon couple, à mon mari, à notre histoire qui avait pourtant si bien commencé. On s’était rencontrés à l’anniversaire d’une de mes copines de promo. À l’époque, j’étais en troisième année d’études, et lui en plein master 2 de biochimie et biologie moléculaire. Il était ami avec le frère de cette fameuse copine. Lorsque l’on me l’avait présenté, ce soir-là, je l’avais trouvé sympa, et mignon, mais sans plus. J’étais venue avant tout pour m’amuser et danser avec mes copines, pas pour me faire draguer. Mais j’avais quand même discuté avec lui, et nous avions échangé nos numéros de portable, sans grande conviction. On s’était revus une semaine plus tard, autour d’un verre en terrasse, avec le prétexte de devoir rejoindre ma copine et son frère pour voir un film au ciné. On avait discuté de tout un tas de choses. Mais ce qui nous avait rapprochés, au point de ne pas voir l’heure passer et de louper la séance, c’était de découvrir que nous avions pour point commun de sortir chacun d’une relation sérieuse qui s’était mal terminée. Comme moi, il avait vécu avec quelqu’un pendant plusieurs mois avant de retourner en colocation. Comme moi, il était à l’origine de la rupture. Comme moi, il avait énormément souffert de mettre fin à une relation qui avait duré plusieurs années et gérait mal le poids de la culpabilité. Comme moi, il venait de faire une croix sur un avenir amoureux qu’il pensait tout écrit, et devait à présent accepter l’idée que le chemin serait différent. Comme moi, il avait tellement aimé cette personne qu’il avait peur de ne plus jamais tomber amoureux avec la même intensité. On avait les mêmes craintes, les mêmes doutes. On se comprenait, lui et moi. Et quelque chose de fort était né de ça. On avait commencé à sortir ensemble, et on était très vite tombés amoureux. C’était grisant de constater que contrairement à ce qu’on s’était imaginé, nous vivions une histoire encore plus forte, encore plus belle, encore plus intense que n’importe quelle autre relation d’avant. Très vite, il m’avait proposé de vivre avec lui. Et notre cohabitation était une totale réussite. Tout me convenait. Moi qui ne croyait pas au concept d’âmes-sœurs, je devais avouer que ça y ressemblait beaucoup. On s’était mariés quelques mois après la fin de mes études. Un petit mariage civil tout simple, à notre image, entourés de nos amis et de la famille proche. On voulait des enfants rapidement. On ne voulait pas attendre. Au contraire. On voulait commencer par ça, et profiter de la vie après, avec eux. Je l’ignorais au moment de dire oui, mais je m’étais mariée enceinte de trois semaines. Les années qui suivirent furent parfaites. Vraiment parfaites. Nous avions chacun un boulot stable et épanouissant, nous vivions dans un superbe appartement, les enfants se portaient bien, nous avions des amis formidables que l’on voyait régulièrement, nous partions en vacances plusieurs fois par an. La grande force de notre couple, c’était notre compatibilité. On s’entendait à merveille, et avions tellement de points communs. Les sujets de discorde étaient rares, même très rares. On ne se disputait quasiment jamais. Et pourtant, on s’était éloignés, progressivement, au point de cordialement s’ignorer depuis deux ans. Qu’est-ce qui s’était passé ? La routine ? Les enfants ? Peut-être. Pourtant, je l’aimais, notre routine. J’aimais notre vie de famille, notre quotidien. Je n’imaginais pas ma vie autrement. Oui, les enfants sont chronophages. Mais j’avais toujours eu l’impression qu’au contraire, nos enfants nous avaient encore rapprochés davantage. Avec eux, nous étions bien plus qu’un couple d’adultes amoureux. Nous étions une paire de parents. Un duo de choc capable de faire face à n’importe quelle situation. C’était comme ça que je nous voyais. Etions-nous moins beaux, moins désirables qu’avant ? Sans doute. Mais je nous estimais encore jeunes et séduisants. En tout cas, moi, quand je me regardais dans le miroir, je ne me faisais pas horreur du tout. Je n’avais plus vingt ans, certes. Mais j’estimais être encore jolie. Et lui aussi, je le trouvais beau. Peut-être même encore plus beau que quinze ans plus tôt, car son visage gagnait en caractère. Etais-je devenue inintéressante ? Ennuyeuse ? Aucune idée. J’avais la prétention de penser que non. Et en même temps, étais-je vraiment la mieux placée pour répondre à cette question ? Peut-être que, sans m’en rendre compte, j’étais devenue fade, et terne. Je cogitais tellement que je ne vis pas le trajet passer. Nous y étions. Les horloges de la gare indiquaient 7H15, et je me trouvais sur le quai avec ma valise à roulettes à attendre le T.G.V qui me mènerait de la cité des papes à la capitale en deux heures et trente minutes. Il n’y avait pas grand monde autour de moi. Normal, à cette heure-ci, fin août, quand pas mal de gens sont encore en vacances, ou encore dans leur lit. On voyait déjà que ça allait être une belle journée. Le soleil était de la partie. Tout était si calme, si désert. À tel point que le jingle de la S.N.C.F et la voix dans le micro nous demandant de nous éloigner de la bordure du quai me firent sursauter. L’arrivée du train étant imminente, je jetai un œil à mes billets et découvris avec satisfaction que j’allais voyager en première classe. Sympa, le chef. En même temps, étant une experte du télétravail et des formations à distance, on ne pouvait pas dire que je lui avais coûté cher en transports et en hôtel depuis mon embauche. J’étais toute contente. Je n’avais pas pris le train depuis des années, alors que j’adorais ça. Et je ressentais encore quelque chose d’indescriptible. Mais pas comme la sensation que j’avais pendant que je marchais vers la gare. Là, en voyant le train qui arrivait au loin, c’était plutôt quelque chose qui me donnait l’impression qu’en fait, j’aurais dû m’autoriser ce genre d’escapade depuis bien longtemps. J’étais seule, avec ma valise, sur un quai de gare, comme quand j’étais étudiante. Un bond de presque vingt ans en arrière. C’était plus fort que moi, je ne pouvais pas m’empêcher d’être heureuse, comme jamais depuis de nombreux mois. Le train arriva. Apparemment, tout le monde se rendait à Paris, car personne n’en descendit. Une fois à bord, je fus surprise de voir qu’il n’était pas aussi vide que le quai. Les gens n’étaient donc pas tous en vacances ou au fond de leur lit. Toutes ces personnes s’étaient même levées bien plus tôt que moi, les pauvres. Depuis l’entrée du wagon, je constatai que toutes les places individuelles étaient occupées. J’étais donc forcément dans un carré de quatre personnes, à moins que quelqu’un ait piqué ma place. Je jetai encore une fois un œil à mon billet pour me remémorer mon numéro de siège, et avançai à l’intérieur du wagon. Une fois devant ma place, je m’apprêtai à prendre ma sacoche contenant mon ordinateur et ma tablette pour pouvoir travailler le temps du trajet. Mais finalement, non. Je n’avais pas envie de travailler, j’aurais mes soirées en solo à l’hôtel pour pondre ces fameuses illustrations de jazz. J’avais envie d’écouter de la musique. Je posai donc ma valise et ma sacoche quelques mètres plus loin dans un espace à bagages, ne gardai que mon sac à main et allai m’asseoir. Dans le carré de quatre places où j’étais censée m’installer, une seule était occupée. Il s’agissait d’un homme grisonnant et corpulent, assis côté fenêtre, en train de lire un magazine de sports mécaniques. Normalement, je devais m’asseoir en face de lui. Mais nous aurions passé tout le trajet à faire en sorte que nos jambes ne se touchent pas, et ça aurait été très pénible. Les autres places du carré étant inoccupées, je décidai donc de m’installer dans sa diagonale, côté couloir. Quand je fus assise, il leva les yeux vers moi et fit un petit mouvement de tête en guise de salutation, sans prononcer un mot. Je répondis avec un petit « bonjour » tout juste audible pour ne pas perturber le calme qui régnait dans le wagon. Pendant que je prenais mes écouteurs pour les brancher sur mon téléphone, l’homme regarda vite fait la table qui se trouvait entre lui et moi afin de s’assurer que ses affaires n’empiétaient pas sur mon espace. Sa pile de magazines débordait légèrement sur le côté couloir. Alors qu’il s’apprêtait à les déplacer vers lui, je lui fis un signe de la main accompagné d’une petite moue bienveillante pour lui faire comprendre que ses magazines ne me gênaient pas du tout, et qu’il n’était pas nécessaire de les déplacer. Encore une fois, il me fit un signe de la tête en guise de remerciement, sans prononcer un mot, puis replongea dans sa lecture. Je mis les écouteurs dans mes oreilles, lançai ma playlist, et me réjouis à l’idée de passer deux heures et demi dans un siège de première classe, à écouter mes chansons préférées tout en contemplant le paysage. Un moment tout simple, qui avait pourtant quelque chose de magique, tant ça me changeait de mon quotidien. J’adorais cette ambiance, ce wagon tout calme et silencieux, peuplé de personnes qui ne se connaissaient pas et ne se reverrais plus jamais. J’avais toujours été un peu fascinée par tous ces gens que l’on croise un jour dans le train, dans le métro, au restaurant, au cinéma… Toutes ces personnes à côté de qui on passe tout au long de sa vie sans jamais vraiment se rencontrer, avec qui on a comme seul point commun le fait d’avoir été au même endroit, au même moment. Voilà. J’étais confortablement assise, ma musique dans les oreilles, heureuse d’avoir pris l’initiative de passer trois jours seule, loin de la maison, et espérant que cette escapade allait m’apporter au moins un début de réponse à toutes les questions que je me posais.

Puisque je regardais en direction de la fenêtre, mes yeux se posaient machinalement et à de nombreuses reprises sur mon voisin de voyage. Le magazine qu’il lisait était en anglais. Je compris alors que son mutisme à mon égard ne venait pas forcément d’une envie de respecter le silence du wagon, mais tout simplement du fait qu’il ne parlait peut-être pas un mot de français. Il ne prêtait pas du tout attention à moi, plongé dans sa lecture. Du coup, sans pouvoir m’en empêcher, je l’observais. Et la raison était simple : depuis que nos regards s’étaient croisés, j’avais la certitude de l’avoir déjà vu quelque part. Et en même temps, il me semblait étranger. Ou alors, peut-être qu’il me rappelait simplement quelqu’un ? Je lui donnais une cinquantaine d’années. Il avait des cheveux poivre et sel coupés courts, et un teint très mat. Des yeux noirs, un large front, les rides d’un quinquagénaire, et d’épaisses joues qui allaient avec son surpoids. Rasé de près, une dentition d’une blancheur dont j’étais follement jalouse, il avait un regard très doux, mais fatigué. Il respirait la gentillesse. Pourtant, sa corpulence en faisait le genre de gars qu’on imaginait bien faire des ravages dans une mêlée de rugby, ou sur un ring de boxe. Il portait une chemise à manches courtes très classique, à fines rayures verticales. En regardant à côté de moi vers le sol, j’apercevais une paire de baskets noires d’une marque connue et le bas d’un jean bleu. Alors qu’il tournait sa page, il leva brièvement les yeux vers moi, se sentant probablement observé. Nos regards se croisèrent encore, le temps d’un instant, et cela suffit à me conforter dans l’idée qu’il ne m’était pas totalement étranger. Je réalisai qu’il allait peut-être falloir que j’arrête de l’observer, sinon il risquerait de s’imaginer des trucs. C’était pénible. Je me trouvais partagée entre la certitude de croiser cet homme pour la première fois de ma vie, et la sensation de le connaître depuis longtemps. Alors qui était-il ?
Nos regards se croisèrent une nouvelle fois quelques minutes plus tard quand il voulut quitter sa place pour se rendre au wagon-restaurant. Il se déplaça d’abord tout doucement sur le siège situé en face de moi tout en veillant à ne pas me marcher sur les pieds. Par réflexe, je repliai immédiatement mes jambes sous mon siège.
-   Merci, marmonna-t-il d’une voix grave.
Je lui souris. Il se leva en s’aidant des montants des sièges, pour être certain de ne pas perdre l’équilibre. Je le vis se déplier douloureusement, ce qui laissait supposer qu’il était assis depuis longtemps et avait dû monter dans le train au tout début du trajet, sur la Côte d’Azur. Alors que mon regard s’était déjà redirigé vers la fenêtre, l’homme, debout à côté de moi, tapota sur mon épaule du bout de son index. J’ôtai un écouteur pour être sûre de l’entendre.
-   Pardon. Mon français… difficile, dit-il en grimaçant avec un accent américain très reconnaissable. Je vais… café. Vous voulez ? Café ?
Grâce à mon travail, j’avais un bon niveau d’anglais et pouvais soutenir une conversation sans difficulté. Je lui répondis donc dans sa langue maternelle, ce qui le fit immédiatement sourire.
-   Non merci. J’ai déjà ce qu’il me faut, déclarai-je gentiment en lui montrant la gourde de thé qui dépassait de mon sac à main. Mais c’est très gentil de votre part.
-   Ok.
Il quitta le wagon. Je remis mon écouteur et réallongeai mes jambes en attendant qu’il revienne. Un quinquagénaire Américain, seul, dans un train reliant Toulon à Paris. Tout en écoutant ma playlist, je continuais de chercher pourquoi j’avais la sensation de le connaître. Mais rien ne me venait à l’esprit. J’avais eu l’occasion de travailler avec des Américains à plusieurs reprises, mais pas avec ce type-là. J’en étais sûre. Ça ne venait pas du boulot. Quelques minutes plus tard, je vis dans le reflet de la porte vitrée du fond du wagon que la porte opposée située derrière moi venait de s’ouvrir et que l’homme regagnait notre carré, son café à la main. Plus loin dans le wagon, je vis alors un couple de trentenaires chuchoter discrètement tout en dévisageant l’Américain. Bon. Je n’étais visiblement pas la seule à cogiter. Ça ne faisait plus aucun doute : ce type était connu. Mais pour quelle raison ? Lorsqu’il arriva à ma hauteur, je repliai mes jambes pour le laisser s’installer, sans lever les yeux vers lui. Quand il fut assis, je vis qu’il tendait quelque chose dans ma direction.
-   Tenez, c’est pour accompagner le thé.
Il venait de s’exprimer en anglais, et me tendait un sachet de noix et graines. Par politesse, je retirai une nouvelle fois mes écouteurs et saisis le sachet en le remerciant, alors que j’avais encore mon petit déjeuner sur l’estomac, et donc pas du tout faim.
-   Vous avez l’air de bien parler anglais, ajouta-t-il, alors si ça ne vous dérange pas, je crois que je ne vais plus faire d’efforts. Le français, c’est beaucoup trop compliqué.
-   Je confirme. Même pour un Français pure-souche, le français est compliqué.
Il ouvrit un sachet de noix et graines identique à celui qu’il m’avait rapporté du wagon-restaurant, et leva son gobelet de café en ma direction, comme pour porter un toast. Je m’empressai donc d’attraper ma gourde de thé pour l’imiter. Nous trinquâmes discrètement. Je me sentis obligée de l’accompagner dans cette petite pause grignotage, et ouvris donc mon sachet après avoir avalé une gorgée de thé. Il mastiqua quelques noix en soupirant, puis déglutit avec un air désespéré. Il faisait presque peine à voir.
-   D’habitude je craque pour les cacahuètes au chocolat, mais pour des raisons évidentes, il faut que je m’habitue à calmer mes envies de sucre avec ce genre de choses. Ce n’est pas facile.
-   Je suis de tout cœur avec vous, répondis-je entre deux noix. J’ai traîné un surpoids pendant des années, je pensais que je ne m’en sortirais jamais. Et un beau jour, j’ai réussi à franchir le cap d’arrêter le sucre. J’ai perdu mes kilos en quelques mois et je ne les ai jamais repris. Au début c’est difficile. Mais le sucre, c’est une drogue. Et comme toutes les drogues, le sevrage doit se faire en douceur, et avec beaucoup de volonté. Vous devez vous accrocher.
-   C’est exactement ce que me dit mon médecin. J’essaye de diminuer ma consommation de sucre, mais je crois que je pars de très loin.
-   Il faut commencer par des choses simples et concrètes. Par exemple, moi, le premier truc que j’ai fait, c’est arrêter de manger des desserts le midi et le soir. Je me rassasie avec le plat principal, et je m’arrête là.
-   Vraiment ? Pas de dessert ? Non, c’est trop dur. Et c’est trop triste.
-   Au début, oui, confirmai-je avec empathie. C’est même carrément horrible. Si vous avez vraiment du mal à vous passer de dessert, l’astuce c’est de vous autoriser un carré de chocolat noir avec le café. C’est d’ailleurs pour ça que dans les restaurants, quand vous commandez un café, on vous le sert presque toujours avec un petit carré de chocolat, ou quelque chose dans le genre. C’est pour vous apporter la petite touche de sucre qui fait du bien au moral. Mais quand on a beaucoup de poids à perdre, arrêter les sucres rapides ajoutés, c’est vraiment la clé. C’est pour votre santé, tout ça. C’est très important, si vous voulez vivre longtemps. Donc voilà, à partir de maintenant, plus de desserts. Juste un café, ou un thé, avec le petit carré de chocolat noir. Et pas de sucre dans le café, évidemment.
-   J’ai du mal à croire que vous ayez été en surpoids. Vous avez l’air mince.
-   Aujourd’hui, oui. Mais croyez-moi, je n’ai pas toujours été comme ça. Accrochez-vous. C’est dur, mais ça vaut vraiment le coup.
-   Ok. Et après le sevrage du sucre, quelle est la prochaine étape ?
-   Le sport, évidemment. Mais là c’est pareil, ne vous en faites pas toute une montagne. Les gens s’imaginent que pour garder la ligne, il faut faire des heures et des heures de sport par semaine. C’est faux. Il suffit d’avoir une activité régulière, avec une intensité qui vous correspond. Et encore une fois, tout est une question de motivation. Il y a bien des choses qui doivent vous motiver, non ?
-   La tête déconfite de mon médecin devant mes analyses de sang, ou quand je monte sur la balance, ça fait tellement mal à voir que ça pourrait être une très bonne motivation. C’est moi qui suis aux portes de l’obésité, et c’est à lui que ça a l’air de faire le plus de peine.
Au fur et à mesure qu’il me parlait avec sa voix grave si apaisante, j’observais cette bouille carrée toute douce et me sentais plus que jamais convaincue que je me trouvais assise face à une star Américaine. Ou une ancienne star Américaine ? Je crevais d’envie de lui poser la question frontalement, mais si jamais je me trompais, j’aurais l’air ridicule et le reste du voyage me semblerait bien long. En tout cas, il était vraiment adorable. C’était dingue, cette douceur qui émanait d’un tel colosse.
-   Sérieusement, continua-t-il, je me demande parfois comment j’ai pu en arriver là. Et en même temps, la réponse est évidente. J’ai arrêté de fumer il y a dix ans et j’ai compensé avec la nourriture. Je mange n’importe comment, j’ai arrêté le sport il y a des années, je suis souvent invité à des soirées où l’alcool coule à flots et j’ai du mal à résister… Mon surpoids me déprime, et quand je suis déprimé, j’ai envie de manger.
-   Eh bien c’est un schéma très classique, tout ça. Et le fait d’en être conscient, c’est déjà un excellent point. Donc voilà. Le hasard de la vie a fait que je me suis assise en face de vous aujourd’hui, et que j’ai réussi à me sortir d’une situation dans laquelle vous vous sentez coincé. C’est un signe ! C’est le signe qu’aujourd’hui, ça y est, vous êtes résolu à vous débarrasser de votre surpoids, parce que vous avez rencontré une fille qui l’a fait, et que si elle en a été capable, vous en êtes capable. En montant dans ce train, vous ne saviez pas que votre vie allait changer. Alors voilà, c’est fait. À partir de maintenant, vous êtes le gars qui ne prend plus de dessert, qui ne boit plus d’alcool, et qui fait quelques minutes de sport tous les jours. Tout ça grâce à un voyage en train. La vie est quand même surprenante.
Il se mit à rire. Et j’eus immédiatement un flash. Le flash que j’attendais depuis que je m’étais assise en face de lui.
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Mise en avant des Auto-édités / Je contrôle la situation de Maritza Jaillet
« Dernier message par Apogon le jeu. 02/12/2021 à 16:37 »
Je contrôle la situation de Maritza Jaillet



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TW (avertissement) :
Dans cet ouvrage sera évoqué : la grossophobie, la perte de poids, troubles alimentaires, anorexie, le rapport à son corps, la dépression, le harcèlement, l’anxiété, les crises d’angoisse.



Cette œuvre est fictive, et même si elle est inspirée librement de faits réels, toute ressemblance serait fortuite. Certains éléments sont, pour des raisons évidentes, différents.

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« Six semaines avant mon anniversaire, Noël. »
Je ne suis pas égoïste, alors je vais plutôt indiquer la fête des cadeaux et pour l’étalage de mes états d’âme, inscrire dans ce carnet la date du 13 novembre 2021. Arf, maudit stylo ! Il n’a pas résisté à la pression.
C’est la première fois que j’entame un journal, si on excepte celui que j’ai entrepris à mon septième anniversaire. Et celui que j’ai démarré pendant ma période d’ado rebelle. Ah oui, qui a fini brûlé avec mes cahiers dans un magnifique feu de joie. Depuis le temps, y a prescription !
Par quoi je commence ? Mes résolutions de l’année 2022 ? Bien trop tôt, et puis, comme tous les ans, je ne les suivrai pas. La liste des cadeaux ? Pourquoi pas, cela me changera du tableau Excel à actualiser chaque fois que j’aurai déniché la perle rare pour faire plaisir à un proche.
Toutefois, dans l’émission que j’ai vue hier soir – c’était soit ce truc soit me replonger dans une lecture pas très excitante –, le but de l’écriture est de graver sur un support le changement qu’on souhaite opérer sur soi. Écrire pour aider à la réalisation d’un objectif.
Dans mon cas, de changer. Un besoin de renouveau. La raison a déjà été avancée par ma famille, mes amis et mon médecin traitant comme étant la crise de la trentaine. Je n’ai pas encore trente ans. Enfin, si, bientôt, dans six semaines. Et si on prend en compte le développement du fœtus… Ma migraine va repartir à ce rythme ! Où j’en suis ?
J’ai eu le malheur d’être expulsée de l’utérus de ma mère le 25 décembre au matin. De son côté, elle me répète année après année que c’est merveilleux, son plus beau cadeau, sa fierté… Du mien, c’est plutôt une déception enfermée dans une boucle temporelle qui revient au même point, chaque année. Prisonnière d’un cercle vicieux qui ne cessera qu’à ma mort. Oui, ce n’est pas très joyeux et visiblement des pensées noires me hantent encore… Bref. Mon père est, quant à lui, ravi depuis le premier jour de ce hasard calendaire puisqu’il peut assouvir en grand sa passion pour la pâtisserie : faire trois gâteaux au lieu d’un.
Un pour mon anniversaire, un pour Noël et un pour ceux qui ont encore un petit creux ou qui n’aiment pas les deux premiers. C’est un pâtissier à la retraite qui a toujours le coup de main pour ruiner vos derniers efforts sportifs avant les fêtes. Ma mère travaille cependant, son boulot est tellement épuisant et compliqué que j’en bâille, rien qu’en me demandant comment elle peut faire la même chose depuis quarante ans.
Néanmoins, elle arrive à poser des congés pour son « meilleur jour de l’année ». Est-ce que quelqu’un me demanderait mon avis ? Tant pis.
Quant au reste de ma famille, cela demeure somme toute classique. On dit souvent que l’aîné est un terrain d’essai et que le cru s’améliore année après année. Affirmation démontrée. J’ai une cadette, Bérénice qui a deux ans de moins et qui est une comédienne mondialement connue et reconnue. Elle a réussi. Faut-il que je précise que sa vie à elle est parfaite ?
Comme le souhaitaient mes parents dans leurs rêves les plus fous, elle s’est mariée à un beau jeune homme – mannequin pour des défilés de mode et des publicités –, a eu deux enfants sublimes qui parlent déjà trois langues, et voyage dans le monde entier. Elle vit entre Osaka et Seattle, se pose parfois à Londres ou Berlin quand elle ne succombe pas au charme de Vienne.
Je l’envie, je la jalouse, mais cette remarque, je dois la garder pour moi. Finalement, je les étale mes états d’âme sur ce papier ivoire.
Pour finir, il y a la dernière, Éléonore, encore à l’université. Enfant chérie et choyée par mes parents, elle habite à Grenade, en Espagne pour ses études d’interprétariat. De temps à autre, elle est aussi influenceuse sur les réseaux sociaux. Impeccable jusqu’au bout des ongles, elle n’a jamais eu de problèmes de peau ou de poids. Elle peut s’enfiler un pot de nocciolata  en live sur Instagram sans en mettre sur son rouge à lèvres et garder ses dents blanches en toute circonstance.
Mon cadre familial posé, je dois m’attaquer au cercle amical. Ce sera vite réglé. La plupart de mes amis ont coupé les ponts avec moi au moment de mon entrée en fac ou quand j’ai décidé de les trier sur Facebook . J’en avais assez de faire le premier pas à chaque fois et d’être là, à chaque fois qu’ils en avaient besoin alors que je pouvais aller me brosser dès que j’essayais de les joindre. Il me reste une amie, que je me risque à appeler « ma meilleure amie », Kate, qui vit à Los Angeles depuis deux ans et que je vois beaucoup moins qu’avant. J’ai un meilleur pote, Timothé, dit Tim.
Toutes ces lignes devraient être suffisantes. Dans le doute, je relis les notes que j’ai prises la veille sur un brouillon qui traîne sur le meuble télé. À l’arrache, j’ai écrit « Soi, Famille, Amis, Amours et Travail. »
Pour ma part, les informations me concernant sont déjà assez étalées. Pas besoin de rajouter de confiture. Je déteste mon prénom, Uranie, et mon visage sans être vilain reste quelconque. Mes cheveux bruns se raidissent une heure après le brushing de la coiffeuse et certaines mèches mi-longues dissimulent mes yeux dont l’iris change en fonction de la lumière. Sur mon passeport c’est indiqué yeux noisette, mais parfois, ils tirent plus sur le cacao.
Passons à l’étape suivante. La famille, les amis, c’est déjà fait. Les amours seront encore plus rapides dans la mesure où je suis célibataire.
Bon, cela ne veut pas dire que je ne pense pas à un homme en ce moment précis, seulement, ce n’est pas réciproque. Du moins, plus maintenant. Et puisqu’il a annoncé ses fiançailles récemment, je peux le supprimer de mon esprit. Cependant, pas de mon compte Facebook.
Si mon subconscient le veut bien et arrête de m’envoyer des images de lui à poil, dansant sur une musique stupide dès que je ferme mes paupières. Garder autant de souvenirs de son ex c’est se laisser plomber par les angoisses, et dérangeant, non ? Pour ma santé mentale ? Pour mon cœur d’artichaut ? Je dois l’oublier. Cependant, le prochain cercle concerne la carrière.
Et « lui » se rapporte au travail. Il s’appelle Thomas, c’est le maire de la ville qui ne remplit pas forcément tous mes critères – quelle idée d’en avoir autant ! –, mais qui est adorable au quotidien. C’est un ami du lycée avec qui je m’entends bien et on est sortis ensemble un bon moment. Mon cœur en palpite encore. Je pourrais écrire sur lui pendant des heures… Or, mon téléphone me rappelle que je devrais déjà être partie depuis dix minutes. J’ai un petit creux et il reste un dernier carré de chocolat subsistant seul dans son emballage.
Pince tes bourrelets Uranie, pince tes bourrelets et ne cède pas à la tentation !
 Je n’y résiste pas malgré l’important petit-déjeuner que j’ai avalé vingt minutes auparavant. Un petit écart signifie vingt squats supplémentaires. N’empêche que cette énergie délivrée par ce petit plaisir est nécessaire. Un véritable un coup de fouet avant de descendre à pied les quatre étages me séparant du parking souterrain de la résidence. J’entends partout que les escaliers c’est bon pour les fessiers seulement, j’attends toujours de voir le résultat. Légende urbaine.
Je croise la gardienne qui a déjà commencé le nettoyage des marches, et j’évite le plus possible de faire des traces avec mes chaussures. Sa tâche est assez difficile, pas besoin que j’en rajoute.
À peine installée dans ma voiture, le bip de la porte du garage entre deux doigts, ma mère essaye de me joindre. Évidemment, mon kit mains libres s’est enroulé autour de mon trousseau de clés au fond de mon sac… Appel manqué, à une seconde près ! Intérieurement, je rage. Elle laisse un message, que je ne prends pas le temps d’écouter, et je lui téléphone illico.
— Oui ? Maman ?
— Uranie ? Je t’appelais pour organiser le repas de Noël et…
Je n’entends pas la fin de sa phrase à cause des couinements de cette porte métallique des années quatre-vingt. Heureusement que le syndicat a dit qu’il s’en chargerait.
— Uranie ? poursuit-elle. Tu préfères un déjeuner léger pour le 24 ou on mange comme d’habitude ?
Sachant que le « comme d’habitude » chez mes parents signifie pour quinze personnes et le « léger » l’extrême inverse, soit juste une salade verte, j’hésite…
— Tu peux faire entre les deux ? Un plat normal avec tous les groupes de nutriments qu’il faut…
— Va pour la salade verte alors.
Je me demande encore pourquoi ma mère sollicite mon avis si finalement, elle a déjà choisi. C’est ainsi. Elle ne changera jamais. Je m’apprête à raccrocher, ne prononçant plus aucun mot, mais elle n’a pas terminé.
— Et tu as réfléchi à ton cadeau ? Trente ans, ça se fête ! Je te rappelle qu’à ton âge…
— Tu étais mariée, tu avais déjà tes premiers enfants et reçu deux promotions au boulot, je sais Mam. Je te laisse, je m’engage sur l’autoroute.
Je lui raccroche au nez. Comportement un peu brutal, je l’admets. De toute façon, elle ne m’en voudra pas et j’ai besoin d’être concentrée pour me faufiler dans la chenille , pile devant une voiture, qui n’avance pas aussi vite que les autres dans les bouchons. Technique d’observation imparable. Une fois insérée dans cette queue qui durerait d’après mon application GPS une bonne vingtaine de minutes, je peux allumer la radio et me tenir au courant du monde.
Même si, à bien y réfléchir, on entend toujours des actualités similaires jour après jour : des politiciens véreux, des journalistes cherchant à redorer leur profession, des invités qui ont du mal à cacher au micro leur ennui, la guerre aux quatre coins du monde et le changement climatique.
Vivement qu’il soit huit heures et trois minutes pour obtenir un peu de douceur auditive. À l’exception des klaxons enclenchés par ceux qui n’ont toujours pas compris que leur action n’aiderait pas la file à avancer, je suis sereine, je respire et me prépare psychologiquement à une nouvelle journée de travail à la Médiathèque. Réunions, archivages, plannings, courriers…
Je reçois un SMS de mon ami et maire Thomas, qui m’annonce l’annulation de notre déjeuner ensemble. Il a trop d’affaires à régler. Dommage, mais je comprends et lui renvoie un petit message de soutien. C’est alors que je vois une berline noire foncer à vive allure dans le rétroviseur. Le conducteur croit être plus malin que tout le monde en passant par la bande d’arrêt d’urgence et ainsi grappiller des places dans la file.
— Encore un sans-gêne, beuillon  va ! m’écrié-je alors que ma réaction ne sert pas à grand-chose puisqu’il ne m’entendra pas.
Je déteste les gens qui agissent de la sorte. Sans être à cheval sur les règles du bien-vivre en société, quelqu’un qui cherche par tous les moyens à nous la mettre à l’envers, je lui attribue tous les honneurs de l’idiot. En revanche, je dois reconnaître qu’en l’absence de flics ou de caméras, l’énergumène arrivera à l’heure quand moi, je vais devoir m’excuser auprès de la directrice.
L’A450 est toujours bouchée, elle le sait, toutefois, elle est aussi informée qu’il suffit de partir avant sept heures et demie pour faire les trente bornes en vingt minutes et pas en une heure. Mea culpa pour aujourd’hui ! J’ai essayé une fois. Cependant, c’est déprimant d’arriver au boulot la première, de devoir allumer toutes les lumières, de saluer les agents d’entretien terminant leur travail et d’avoir un demi-café dans la machine qui met du temps à démarrer. Non, plus jamais.
Mon téléphone sonne. Sans grande surprise, Stéphanie, ma supérieure, m’appelle.
— Salut ! Êtes-vous bientôt là ? J’ai un avocat qui a pris rendez-vous pour des recherches et j’aurais aimé que vous l’aidiez.
J’entends très bien, au ton qu’elle emploie, qu’un refus de ma part serait mal venu. Or, je suis bloquée.
— Je suis encore dans les embouteillages, j’en ai bien pour une demi-heure. Aurélie peut, peut-être s’en charger ?
Évidemment qu’Aurélie peut s’en charger, ai-je besoin de le préciser ? C’est une stagiaire, qui connaît les moindres recoins de la médiathèque, à force d’accepter toutes les basses besognes. Pourtant, elle rêve de responsabilités.
— Je vais voir avec elle. Bonne route !
La moquerie qui accompagne cet encouragement ne m’atteint pas. Mon téléphone vibre. Bon sang, ils se sont donné le mot ? Un SMS de mon père qui râle du fait que j’ai « choisi » de manger léger le 24 au midi et parce que je ne veux rien de spécial pour mon anniversaire le lendemain.
Comme tous les ans, je n’ai aucune idée. Même si je vais avoir trente ans, cela ne changera pas le fait que le jour durant lequel je suis censée profiter à fond de la vie soit le jour de la remise des cadeaux de la famille. Comme si j’y peux quelque chose !
Puisque la circulation reprend, le portable retrouve sa place dans le sac.
Un jeu stupide passe à la radio. Le journaliste prend un prénom au hasard dans son dictionnaire et le premier auditeur qui appelle remporte la somme de cinq cents euros. Je trouve cela absurde, surtout parce que je ne pourrais jamais gagner. Oui, je suis mauvaise joueuse seulement… Est-ce que mon prénom est au moins dans un dictionnaire ? Pas sûre.
Quand mes parents m’ont affublé d’« Uranie », les sages-femmes ont dû hésiter à l’inscrire. Ma mère adore les personnages dans les pièces de théâtre, tandis que mon paternel voue un culte à l’astronomie. Devinez lequel a gagné ? En même temps, être prénommée Uranus n’aurait pas été cool à l’école. Toutefois, certaines planètes ou satellites ont des appellations vraiment transcendantes. Je me serais bien vue en Jupiter ou Io.
— Et aujourd’hui ce sera Gaspard. Est-ce qu’un Gaspard peut joindre notre standard ?
Gaspard. C’est le chat de ma voisine. Peut-être que si je les appelle en miaulant ? Ahah, je me marre toute seule.
Reprends-toi Uranie ! Ça ne marchera jamais !
Dommage.
Enfin, j’arrive sur le parking réservé aux personnels et m’aperçois avec stupeur qu’un véhicule est garé à ma place. Ok, mon nom n’est pas clairement indiqué avec un écriteau comme celui de Monsieur le maire et ses élus. Or, l’emplacement du milieu à côté de ce petit banc en bois face à la porte de la médiathèque, c’est la mienne.
Cinq ans que je me gare dessus, tous les matins, et chacun sait que cette place, c’est pour ma titine. Je furète à droite, à gauche, rageant dans le vent. Mes mains serrent le volant au point que mes ongles blanchissent.
Il faut bien que je reconnaisse, au bout de trente secondes d’agacement, que personne ne bougera cette berline noire de marque allemande qui ressemble d’ailleurs à celle appartenant au beuillon sur l’autoroute. Celui qui se croit plus malin que les autres. Je me retiens d’agir par instinct. S’énerver ne résout pas le problème.
Je sers le service public et en tant qu’assistante de direction, je me dois de donner l’exemple et je ne vais certainement pas prendre la place réservée aux personnes souffrant d’un handicap. Ce sera le parking gratuit à cinquante mètres. L’air de rien l’écart de ce matin peut encore s’annuler avec les pas supplémentaires. Maudite montre compteuse de calories que j’ai encore oublié de charger !
Avant de franchir le seuil de l’établissement, je me permets de faire un détour par cette Golf assez quelconque. Pas de châssis sport ni de jantes m’as-tu-vu, pas de vitres teintées, une plaque avec les deux chiffres du département, pas de siège auto à l’arrière et aucun objet de valeur visible depuis l’extérieur. Étrange. Tout est à sa place, aucun mouchoir qui traîne ni ticket de caisse ou encore une bouteille d’eau compressée, coincée derrière un siège. Elle appartient donc soit à ma mère, peu probable, soit à une personne célibataire et maniaque, qui a décidé de gâcher ma journée. Troisième option : un véhicule de location ?
Je regarde l’heure sur mon téléphone : je suis vraiment à la bourre.
Accélérant mon allure, je me dépêche de poser mes affaires, de filer aux toilettes pour être tranquille pour la matinée, et de récupérer le courrier destiné à la direction que je dois trier. Mon corps s’essouffle vite, un point de côté ne va pas tarder à apparaître. Mince. En plus, je ne vois ni Stéphanie ni Aurélie.
L’une est sûrement à une réunion organisée à la dernière minute, tandis que l’autre doit gérer le premier usager de la journée. Maintenant que je suis assise avec ces lettres à décacheter, je peux discrètement ouvrir le premier tiroir de mon bureau et m’enfiler un arlequin. Le grignotage c’est mal, mais sentir ce goût de banane qui descend dans ma gorge est plus excitant qu’un biscuit aux avoines ou même des graines. Biscuits que Stéphanie pose à l’instant sous mon nez.
— Encore en retard !
Zut. Moins de cinq secondes pour réagir.
— Bonjour, Stéphanie ! Comment allez-vous aujourd’hui ?
Elle remonte sa paire de grosses lunettes avec son index et hausse les épaules comme si je suis un cas désespéré.
— Bon, souffle-t-elle en constatant le bonbon collé à ma joue. Y a quoi dans le courrier ?
Le courrier. Vite. Je n’ai ouvert que cinq enveloppes et lu en diagonale deux d’entre elles.
— Gérard confirme la réunion pour le plan Neige de cet hiver, on a une excuse de Monsieur Dorier pour les livres empruntés qu’il n’a pas rendus à temps et encore une demande de permis de construire qui doit aller au service urbanisme.
— Les gens n’ont toujours pas compris que ce n’était pas la mairie ici. Enfin, vous devriez manger ça plutôt que de vous goinfrer de bonbons. Ce n’est pas très bon pour la ligne et je vous rappelle que vous êtes la première personne qu’ils voient.
Elle n’a pas tort. J’en ai pris compte dans mes résolutions de l’année dernière, et des autres avant également, de perdre dix kilos avant mes trente ans seulement, je n’ai pas tenu quinze jours. Pourtant, je me suis fixé ce petit objectif dans l’espoir de l’atteindre, mais mon envie de sucre est plus forte que tout.
— Sinon, y a une nouvelle salle de sport qui a ouverte rue François Darcieux à la place du taudis abandonné, déclare-t-elle en sortant de sa poche un flyer qui semble être passé par la case machine à laver.
Je la remercie pour cette délicate attention signifiant qu’à ses yeux je suis définitivement obèse. Sur ce point, le corps médical lui donnerait sûrement raison. Je peux enfin souffler la voyant repartir dans sa tour d’ivoire, un bureau vitré situé en mezzanine.
De là-haut, elle doit avoir un point d’observation magnifique sur la rangée livres fiction et le rayon adolescent. Je n’ai jamais eu l’occasion d’aller dans son bureau depuis les travaux. À vrai dire, en ai-je vraiment envie ? Je branche le téléphone et à peine deux secondes plus tard, je suis tenue de traiter ma première affaire de la journée.
Les minutes passent, l’ennui s’installe vite et j’ai ce maudit flyer presque en charpies devant mes yeux. Par curiosité, je cherche sur le web et découvre un site aux couleurs chatoyantes. Rien à voir avec l’image que je m’en faisais. Les derniers sur lesquels je suis tombée ressemblent soit à un descriptif pour un hôpital psychiatrique soit à une salle de torture où toutes les couleurs sont permises avec des spots, faisant fuir les épileptiques. Un petit regard sur les entraîneurs et je m’empresse de sortir mon téléphone pour appeler mon meilleur ami. À cette heure-ci, il doit être en pause. Il commence à quatre heures cette semaine.
— Tim ? Désolée de te déranger pendant ton breakfast italien, mais ça te dirait de venir tester une salle de sport avec moi, ce soir ?
— Sans façon, je vais être crevé et ma mère voudra que je me couche tôt !
 
Ah ! Timothé ou le Tanguy comme je l’appelle. Vivant encore chez ses parents, à qui il n’a toujours pas avoué pourquoi il ne ramène jamais de petites copines, et toujours peu motivé quand il s’agit de se bouger. Il continue de converser, mais je n’ai pas dit mon dernier mot.
— Tu comprends qu’en ce moment j’ai d’autres projets et…
— Ils offrent une séance gratuite avec un coach qui compte plus de tablettes de chocolat que mon tiroir peut en contenir.
— Mouais, se lamente-t-il dans le combiné.
— Tu ne veux quand même pas que j’y aille seule ?
— Ce n’est pas parce que ton meilleur ami est gay qu’il va t’accompagner juste pour persister dans ce cliché dé…
— Il possède un master nutrition-sciences des aliments.
J’imagine l’expression de son visage au moment où je ne l’entends plus respirer.
— Va pour 18 h 30, tu m’envoies l’adresse par SMS ?
— Qu’est-ce qu’il y a à 18 h 30 ?
Cette voix suave me fait sursauter. Il m’espionne comme toujours et mon cœur manque un battement. Ma transpiration augmente. Il ne peut pas s’en empêcher, mais cela signifie sûrement qu’il ne peut pas se passer de moi, ou alors qu’il a un rendez-vous avec Stéphanie et qu’il vient de voir mon écran… Sur lequel se dessine une sublime salle de sport colorée répondant au doux nom de « Magenta ».
— Bonjour, Monsieur le maire, expédié-je avant de raccrocher avec Tim.
 
2

— Uranie, appelle-moi Thomas je t’en prie. Tu disais donc 18 h 30 ?
— Avec Tim on prévoit d’aller se bouger un peu et on découvrira du coup la nouvelle salle qui vient d’ouvrir à deux rues d’ici.
— Je vais m’y rendre également. Une collègue m’en a parlé et j’ai un ami qui doit reprendre sa vie en main. On se voit là-bas ?
Bigre. Manquait plus que ça. Allez, réagis !
Mon ex va me découvrir dégoulinante de sueur et souffrir au premier exercice venu. Je peux au moins soigner mon apparence. Tout s’accélère dans mon cerveau. Je dois absolument, pendant ma pause déjeuner, filer dans les magasins et trouver une tenue de sport qui ne soit pas trouée ou délavée. J’ai besoin d’être un minimum présentable si je le vois, surtout s’il n’est pas seul. Et puis zut, je n’ai pas à me prendre la tête, est-ce qu’il se malaxe les synapses, lui ? Sans être un mannequin ou un coach du Magenta, il ne se rue pas sur les pâtisseries d’en face ou des bonbons dissimulés dans un tiroir.
Thomas est très grand, au point qu’il pourrait servir de repère pour les mètres Carrez. Ce châtain aux yeux bleus rend folles la plupart des femmes depuis le jardin d’enfants. Notre histoire aurait pu être magnifique, malheureusement je suis idiote. Et une idiote fait des conneries ! Le passé, c’est le passé. Il repart avant même que je lui réponde, mais il connaît déjà ma décision.
Je me remets au travail. Stéphanie a organisé un après-midi jeux-vidéos éducatifs dans deux semaines et, pour l’instant, aucun enfant n’est inscrit. La publicité doit être renforcée sur les réseaux sociaux et je vais demander à Aurélie de poster une affiche sur l’une de nos nombreuses baies vitrées. Une tâche à accomplir. Je vérifie aussi l’agenda numérique de Thomas, en ligne sur le site de la mairie.
Il n’y a pas de raison que je ne l’espionne pas comme il le fait. Qu’indique l’emploi du temps de Monsieur le maire ? Il a divers rendez-vous, entre la ville, la métropole, le prolongement de la ligne de métro, les rencontres avec les particuliers, les sorties pour se montrer proche de la population… Le temps défile.
Des livres arrivent sur un chariot et passent devant moi. La stagiaire a visiblement terminé son rendez-vous puisqu’elle s’occupe du retour des bouquins.
— Ah salut ! Je ne t’ai pas vue ce matin, raille-t-elle avec un grand sourire. Tu ne manges pas, aujourd’hui ?
Je regarde mon téléphone et effectivement, je devrais être en pause depuis au moins cinq minutes. Elle me raconte son début de journée, je dois avouer que je ne suis pas très attentive. J’ai la tête ailleurs. Entre le travail, mon anniversaire, une amie qui désire me voir juste parce que je lui sers de bouche-trou…
Cela ne m’empêche pas de l’admirer. Elle est jeune, brune, mais elle se teint souvent en blonde, des dents aussi blanches qu’en sortant d’un détartrage et un rouge à lèvres sublime. Comment fait-elle pour ne pas s’en mettre partout ? Je me le demande. Elle me souhaite un bon appétit et je m’apprête à quitter mon bureau quand je vois qu’elle range le meilleur roman de Jane Austen, à mon sens, Orgueil et Préjugés.
— Attends ! J’adore ce livre, je vais le lire après manger et le replacer.
— Ok pas de problème ! Tant que tu le rentres dans le fichier !
Pourquoi cet ouvrage ? Je ne sais pas. Parfois, j’ai des envies sans vraiment comprendre.
Je ne lui propose pas de manger avec moi, elle a toujours son sandwich thon-crudités qu’elle déguste dans la petite cafétéria au rez-de-chaussée, seule avec son casque sur les oreilles. En sortant, je me précipite vers le foodtruck de la place de la poste pour ne pas avoir à faire la queue. Le timing est très important. À midi quinze vous en avez pour dix minutes à tout casser. À midi vingt et une, vous avez une file de dix mètres qui va jusqu’à la Banque populaire près de l’arrêt de bus, trente mètres plus loin. Avec l’habitude, tout se rationalise et le temps de travail reste efficace !
Je me dépêche, j’avale ce hot-dog bien trop salé à mon goût et mes frites en quelques minutes, avant de foncer dans un magasin de sport. Situation ironique quand j’y pense. Mes fringues sentent la friture et mon apparence évoquera aux vendeurs ma visite récente d’un fast-food. Alors que dans les faits, pas vraiment.
Une seule heure pour manger, même en centre-ville, c’est rapide. En revenant vers la médiathèque, je m’aperçois que « ma » place est de nouveau libre. Super ! Cependant, j’ai la flemme de bouger ma voiture, maintenant. Je ne suis pas du signe astrologique Balance néanmoins, je peux parfois être contradictoire envers moi-même. Vivement ce soir que je me défoule un peu.
« 18 h 25. Je suis toujours en avance, car à l’heure ce n’est plus l’heure. »
Non, ça c’est nul.
Je barre cette phrase de mon carnet. Ce n’est pas ainsi que je vais franchir le seuil de la trentaine.
« 18 h 26. J’attends Tanguy, toujours en retard. »
Bon, dans les faits, il ne l’est pas vraiment. Je suis juste impatiente. Et très motivée. Je le vois courir depuis l’arrêt de bus. Il a aussi eu le temps de se changer, de se laver. Finalement, lequel de nous deux possède la plus grande motivation ? Il sent encore le gel douche et s’agite comme un enfant devant les attractions de Disneyland. Il tique pourtant sur ma tenue.
— Pourquoi t’as acheté de nouvelles fringues ? Je croyais que tu étais contre les achats compulsifs non nécessaires à ta survie ?
— Thomas va passer !
— Et ? insiste-t-il avec son regard inquisiteur. Tu es encore sur lui ? Uranie, tu vas fêter tes trente ans et tu cours après ton amour de lycée, qui a duré quoi une…
— Arrête, c’est bon. Oui et puis, toi, tu as tourné facilement la page Axel évidemment, tu ne viens pas t’amuser ici…
On se fait la tête une seconde avant de rire stupidement. Le gérant nous accueille enfin.
— Première séance ?
— Affirmatif, répond Tim rapidement, sans me laisser le temps d’ouvrir la bouche.
— Vous aviez réservé un coach ou c’est juste pour tester ?
Il nous interroge, mais il a le planning de ses employés sous le nez. À croire qu’il nous prend pour des imbéciles. Ou alors il veut vérifier.
— On a opté pour Laurent. Il a l’air super, non ?
— En effet, c’est bien ça ! Vous avez les vestiaires hommes à votre gauche et ceux des femmes sur la droite, bonne séance !
Je dois arrêter de juger les gens trop vite, seulement j’ai du mal à ne pas cocher mes cases préétablies dans mon cerveau. Par exemple, dans le vestiaire, je reconnais tout de suite la bavarde, celle qui vient juste pour discuter avec sa copine et qui n’a pas la moindre envie de chauffer d’autres muscles. Elle souffre déjà des zygomatiques, ses baskets sont comme neuves et elle n’utilise sa bouteille d’eau que pour hydrater de nouveau sa bouche. La rousse aux cheveux magnifiquement bouclés a visiblement passé plus de temps devant son miroir à se coiffer qu’elle n’en dépensera sur un tapis de course ; sûrement une fille qui cherche à se rapprocher physiquement d’un coach. Quant à celle qui s’est enfermée à double tour dans une cabine, et qui supplie sa mère de ne pas sortir, est certainement une pauvre jeune adolescente en obésité morbide qui a peur du regard des autres et des insultes grossophobes. À juste titre.
— Allez les filles ! À Magenta on bouge son gras ! hurle la rousse avant de mettre son débardeur « coach » en place avec son prénom.
Une espionne dans les vestiaires. Évidemment, j’aurais dû me méfier. Leur slogan me paraît déplacé, mais je vais éviter de me faire remarquer en lançant un scandale.
Elle fait sortir de la cabine une adolescente qui, en réalité est loin d’être obèse et me salue avant de partir. Je suis une vraie buse. En même temps, j’aurais pu tracer tout droit vers les salles de cours collectifs. Or, ma curiosité m’a poussé à aller fouiner. Heureusement, nous n’avons pas choisi Audrey, mais Laurent.
Laurent ou le stéréotype du coach sportif qui se nourrit tous les matins avec son muesli de flocons d’avoine, d’amandes, de fruits et d’un jus vert à l’aloe vera épinard… Berk ! sans oublier les œufs crus dans le shaker avec de la poudre. Potentiellement flexitarien ou végétarien qui mange du tofu à chaque repas. Je tiendrai presque les paris. Il est brun aux yeux noirs, abonné aux carrés. Carré d’épaule, carré de mâchoire et carrés de chocolat sur tout le corps. Tout ce qu’aime Tim sans oser le clamer.
— Hé ! me chuchote-t-il. Mate-moi ce fessier !
— T’as déjà oublié qu’en plus d’être beau, il a fait des études ?
— Je craque d’avance. Je vais transpirer pour lui et l’inviter à boire un verre. Samedi, ça me paraît bien.
On a prévu un film seulement, je sais qu’il ne répond plus de rien.
Dire qu’au lycée la timidité l’envahissait et il bégayait dès qu’il ouvrait la bouche ! Au moins, lui a changé !
Bon sang ! Il ne manque plus que la playlist d’Ariana Grande pour que je fuie cet endroit. Heureusement – ou malheureusement –, pour moi, pas de musique pour le moment. Laurent se présente et nous demande ce que l’on recherche. Performance, perte de poids, défi personnel…
J’ai presque envie de répondre tout, mais c’est surtout le désir de me reprendre en main qui m’a amené ici. En tout cas, il devra commencer doucement, ma dernière séance de gym s’étant terminée au bout de cinq minutes à cause de douleurs insupportables. Mon meilleur ami déclare qu’il vise la performance et me désigne avec son index. Qu’est-ce qu’il cherche à faire comprendre, exactement ? Je sens que je regrette de l’avoir pris en accompagnateur…
Le coach nous montre les machines – de tortures – sur lesquelles on va travailler et en moins d’une minute, on démarre les échauffements. J’ai presque envie de lever la main et de demander plus d’explications sur les appareils pour que cela entame sur le temps alloué. Un peu comme à l’école. J’admets qu’en plus des douleurs aux bras, j’ai un manque profond de motivation à cet instant.
Voilà que Laurent allume des enceintes… la musique Thank U Next de la diva préférée de Tim. Je peux quitter ce monde en restant persuadée que je juge correctement les gens. Vingt d’joux  ! L’EPS me paraît si loin !
Je râlais quand Madame Poulet – oui elle se nomme vraiment ainsi –, nous demandait de faire le tour du lac puis trente pompes, mais en fait c’était un ange comparé à ce démon qui ne transpire même pas.
Il ne peut pas être humain. Laurent est un extraterrestre, c’est sûr ! À bout de souffle, je m’écarte un peu et les laisse faire connaissance. Tim est tellement à fond qu’il demande à courir sur un tapis ! Lui ? Sur un tapis !
Notre amie Kate n’en reviendra pas quand je l’appellerai ! Ou mieux, je devrais le filmer ! En parlant d’elle, je vais lui écrire un petit message sur Messenger. Avec le décalage horaire, je ne sais jamais si c’est le matin ou le soir pour elle, mais au moins, elle aura la possibilité de le voir. Je lance la caméra et filme le plus discrètement possible mon meilleur ami qui s’attaque à des haltères après dix minutes de footing. À moins que ce soient les haltères qui se frottent à lui, j’hésite. Kate va pester quand elle va savoir qu’elle a loupé un tel épisode !
Tiens, les deux bavardes que j’ai étiquetées comme telles conversent sur leurs conquêtes respectives. Elles parlent tellement fort que c’est comme si je fais partie de leurs causeries. Je n’aime pas les gens qui se vantent, encore moins quand l’une d’elles crache sur son ex-petit ami trop étouffant. Simple question de point de vue.
Un homme qui envoie deux messages par jour, je trouve cela mignon et touchant. Ces inconnues n’ont définitivement pas les mêmes valeurs que moi. Leurs anecdotes demeurent amusantes et divertissantes, cependant, moins que Tim s’entraînant à la corde à sauter. Je me moque, seulement je reste bien assise sur un pouf à le regarder. Le coach essaye bien de me motiver à reprendre les exercices, change la musique et se dit prêt à m’écouter, comme si j’avais besoin d’un autre psy. Toutefois, je n’ai pas envie. Ou plutôt, je n’ai plus l’envie. Je sens déjà la sueur, mon legging me colle et mes cuisses me grattent. C’est définitif, je suis allergique au sport. Je traîne sur Facebook en désespoir de cause quand mon meilleur ami fait un détour vers moi, entre deux tortures.
— Je crois que j’ai un crush  !
Génial et prévisible. Tim a donc le béguin pour Laurent. J’espère pour lui que ce sera réciproque, c’est souvent trop beau pour être vrai. Et puis, avec un tel corps, mon meilleur ami sera fréquemment jaloux, voudra vérifier son téléphone chaque seconde et inspecter le moindre de ses faits et gestes envers les clientes potentielles. Sortir avec un coach sportif est une très mauvaise idée. Pire que de ressortir avec son ex ? Faut que je réfléchisse. Et que j’arrête de juger.
En attendant, Thomas doit passer et je ne l’ai toujours pas croisé. Un petit regard vers l’un des nombreux cours collectifs me confirme qu’il ne s’est pas converti au Yoga ni à la danse. Les autres salles disposent des vitres occultantes. Quelle frustration pour la commère que je suis ! Je pousse délicatement les portes et constate qu’il ne participe pas au Tai-chi, ni à la gymnastique. Bon sang ! L’attente me paraît interminable.
Je me demande bien ce qu’il fait, mais je me vois mal lui envoyer un SMS en mode « Coucou t’es où ? je t’attends ! », ce serait inapproprié. Et puis je sens la transpiration. Mon carnet !
« Penser à prendre du déodorant doublé d’un anti-transpirant. » En même temps, vais-je retourner dans cette salle de sport ?
— Hey, salut !
Je crois que j’ai renversé le pouf par terre en me levant comme une brute.
— Salut Thomas ! Est-ce que ça va ?
— Oui seulement mon ami n’est pas encore arrivé, il a du mal à se garer.
— Ah ! nous on est venus en bus, on s’est un peu douté que ça allait être galère dans cette rue avec les travaux et…
Stop. Je vais partir dans une discussion sans intérêt. Je dois me ressaisir.
Qu’est-ce que tu fais ma grande ? Au bûcher les banalités, passons les préliminaires et… !
— Et sinon, poursuis-je tout en finesse, tu commences sur quelle machine ?
— Après mes échauffements, je vais faire un peu de renforcement musculaire, puis de la muscu au niveau des épaules je suis trop mou et je finirai par du cardio. J’étais dans une salle à Bron avant, mais d’ici avec mon emploi du temps serré, c’était trop speed.
— Je t’accompagne si tu veux.
Je ne contrôle plus ma bouche. Faites-moi taire ! Me voilà à quatre pattes sur le lino à faire des burpees, une espèce de chenille des squats et de l’escalade sans bouger d’un tapis de sol. J’en peux plus. Comment mes muscles font pour ne pas déjà craquer ? D’ailleurs, c’est craquable ? Après tout, on peut bien se les claquer…
J’abandonne avec un sourire, prétextant une envie de boire un coup. D’un côté, ce n’est pas un mensonge, j’ai vraiment soif. D’un autre, une minute de plus et je m’étale sans ne plus pouvoir me relever, jamais. Je fais un signe vers Tim, seulement il est bien trop occupé pour faire attention à moi.
Mince. J’ai les jambes qui flageolent, des points noirs qui apparaissent devant mes yeux. C’est sûr, je fais une crise d’hypoglycémie. Et dire que j’ai oublié de remettre des bonbons dans ma poche de sac à main. Premier objectif : trouver les vestiaires. Manger. Me doucher. Attendre mon meilleur ami dehors. Il ne reste plus qu’un petit quart d’heure de séance gratuite. Je dois me dépêcher sous peine de m’allonger un peu n’importe comment sur ce lino. Autant éviter la honte… Je n’ai pas envie de faire un malaise devant tout ce monde, trop humiliant. Tout aussi dégradant que de tomber à la renverse sur une plaque de verglas. Ne pas parler de verglas, je vais me porter la poisse et les températures vont chuter cette nuit juste pour m’embêter. Bon allez, vestiaire droite, douches…
— Oh !
Je crois que je viens de foncer dans quelque chose d’humide et chaud.
Dans quelle situation tu t’es encore fourrée ?
 Je lève à peine la tête et me rends compte, malgré moi, que je me suis trompée de vestiaire. Quelle buse ! Si à l’entrée c’est à droite, cela signifie à gauche en quittant la salle principale, et donc j’ai foncé dans… Double buse !
— Pardon, avoué-je au milieu d’une horde de mâles dont une partie seulement est habillée.
L’autre moitié demeure dénudée, dont celui qui sort visiblement de sa douche et qui me fixe d’un regard méprisant. Dommage, il a de beaux yeux noirs. C’est comme si un corbeau me guettait dans l’attente de mes mouvements.
Je l’observe en quelques secondes me forçant à garder la tête haute. Grand, peut-être un mètre quatre-vingt-dix un peu plus que Thomas, je dirais. Ce n’est pas un apollon loin de là, mais je ne refuse pas les petites poignées d’amour. Est-ce vraiment le moment de songer à en faire son quatre heures ? Après tout, toute l’assemblée reste stoïque…
Or, j’ai l’impression qu’il est énervé. Ses yeux plissés, la tension instantanée de ses… muscles. Il me demande de sortir en haussant le ton. Comme si je l’ai fait exprès !
Tout le monde peut se tromper ! En entrant dans le vestiaire – le bon une fois n’est pas coutume –, je me fais de nouveau reprendre à l’ordre par le gérant. Message reçu. Un peu sainte ni touche ici. Je n’ai rien vu, du moins rien de punissable.
En quittant la salle, je m’excuse une nouvelle fois au comptoir même si j’aurais bien voulu m’attarder avec l’intéressé. Thomas apparaît et se dirige vers le distributeur. Barre protéinée, boisson énergisante ? Je lui fais signe et constate qu’il opte pour des biscuits secs.
— Tu pars déjà ?
— Oui, avec Tim on a fini notre séance d’essai.
— Ok. Tu reviendras ? me demande-t-il en affichant un grand sourire.
— Oui !
Non !
— C’est cool ! Tu vas voir ça va t’occuper, te changer, tu auras une autre vision de toi-même dans quelques semaines.
Semaines.
Si j’avais une baguette magique, je me transformerais là tout de suite et je… ne pas dire du mal d’autrui !
Il me faudrait le corps d’Aurélie, avec la poitrine magnifique de Kate, le visage de ma starlette de sœur et le cerveau de mon père. Ah j’oubliais, les jambes de la benjamine ! Voilà, c’est possible ? Je ferme les yeux, les rouvre, rien n’a changé.
Tim vient de prendre une douche, il dégouline de partout, mais est pressé de sortir pour me raconter tout ce qu’il s’est dit entre lui et Larou.
Oui, il a déjà un surnom assez proche d’un autre chanteur favori de mon meilleur ami. Je laisse Thomas repartir dans la salle collective sans même lui demander si son ami est finalement arrivé. Triple buse, je suis !
Entre deux arrêts, Tanguy me propose un restaurant pour éviter de se retrouver en tête à tête avec ses parents. Je refuse. Mon prochain défi va être de perdre du poids avant Noël, avant mon trentième anniversaire et je pourrai être fière de moi.
 
C’est vrai, je n’aurai pas à reporter une énième fois cette résolution pour 2022.


93
J'ai beaucoup aimé ce livre, que j'ai même dévoré :pouceenhaut:. À ne pas mettre entre toutes les mains, mais pour les fans du genre, je recommande. Note de 5/5 mérité. :clindoeil:
De la même auteure, ne pas manquer "Bloc D", j'ai adoré, un coup de cœur.  :petiller: 
94
Résumé :

Un meurtre et un suicide.
Trois hommes. Trois femmes.
Des retrouvailles.
Un pacte.
Tout se paye, même l'amitié.

Mon avis :


Tout d’abord, je tiens à remercier Joël des éditions Taurnada pour sa confiance et pour m’avoir fait découvrir en avant-première ce nouveau roman À la quatrième Fort intrigante.
J’avais déjà lu et fort apprécié le précédent roman La cave aux poupées de Magali Collet avec son histoire oppressante, son ambiance si particulière ; pour les plus curieux, ma chronique ICI.

Voici un ouvrage à l'accroche succincte, ne laissant transparaître  que peu d’éléments sur ce qu’il va se passer à l'intérieur. Procédé imparable, mais risqué.
Intrigant car notre curiosité est mise à rude épreuve ;on ne sait pas vraiment où on va mettre les pieds, juste qu’on va pousser la porte d’une histoire sombre et inquiétante, ce qui n’est pas pour déplaire.
Compliqué, car cela rend difficile le fait de parler de l'histoire sans rien spoiler. J’en dévoilerai donc peu afin de respecter ce choix, et donnerai mes ressentis en équilibriste ^^

Tout commence avec Morgane, une jeune française expatriée en Irlande, qui enseigne l'anglais à Galway, tout en proposant de manière occasionnelle des visites guidées privées.
Après le décès de ses parents, elle a voulu fuir les secrets, les mensonges, la perte d'êtres chers qui l'ont profondément affectée.
Un jour, elle reçoit un message de son frère ainé… et là, elle comprend que c’est le moment de rentrer. Elle a promis, et pour elle, une promesse est une promesse.
Elle retrouve son frère Frédéric toujours dans la maison familiale, travaillant comme policier, ainsi que ses amies, Julie et Audrey. La première file le parfait amour avec Bastien, quant à la seconde, elle s'est mariée avec Mickaël, et sont les heureux parents d'un petit Tom.
Après toutes ces années d'exil, Morgane est heureuse de revoir leur petite troupe unie par une profonde amitié. Pourtant, ce retour lui rappelle aussi douloureusement Iris, sa grande sœur elle aussi décédée. A l'approche de ses 20 ans, cette dernière a fait une grave dépression, dont elle n’a jamais voulu parler à personne…
Et depuis, chacun d’entre eux n’en finit plus de culpabiliser.
Ces quelques lignes posées, le ton est donné ; les questions nous taraudent : 
Pourquoi ? Que s’est-il réellement passé ?
A l’occasion de week-ends organisés, tous vont se retrouver ; trois femmes, trois hommes et un adorable petit garçon.
Tout devrait bien se passer… les retrouvailles devraient être chaleureuses… après tout, ce sont des amis de toujours… mais…
Une ombre plane sur ce groupe. Un drame est venu bouleverser leurs existences voici quelques années et le passé les rattrape. Commence alors un terrible compte à rebours…
Sous la plume tantôt fluide et percutante, tantôt acérée et entraînante  de l’auteure, nous voici plongés, enferrés, happés au cœur d’une intrigue familiale et amicale avec pour toile de fond une vengeance.
Un pacte scellé il y a bien longtemps… un secret cachant quelque chose d’affreux, que jamais ils n'oublieront…
Donc suite à une promesse faite après l’impensable, on découvre et suit plusieurs personnages. Tous ont soufferts, tous sont rongés de l'intérieur. Or chacun a vécu et ressenti ce drame différemment.
Après les non dits, il est temps de laisser apparaître la vérité, de laisser ressurgir les secrets  les plus enfouis… mais à quel prix ?
Petit à petit, l’auteure nous dévoile les faits ; les infos sont distillées goute à goutte. Le choix d'utiliser un jeu de temporalité passé/présent pour nous amener lentement là ou elle le souhaite est vraiment très judicieux ; les pages se tournent à toute allure.
Sous un style percutant et direct, on apprend ce qu'il s'est passé après, mais aussi pendant cette agression. Certaines scènes sont par moment éprouvantes, insupportables, mais terrifiantes de réalisme.
Pour privilégier l'aspect psychologique, le rythme est loin d’être frénétique. Les personnages se livrent avec lenteur au fil du récit, et on peut attester qu’ils sont particulièrement bien campés. Attachants ou détestables, ils nous bousculent et nous font réagir, tout comme le contexte fort immersif qui nous pousse à nous poser de multiples questions.
 Si nous avions subi la même chose, que ferions-nous à leur place ?
Ce roman nous parle aussi de sujets difficiles comme le viol qui a une place centrale dans ce récit, mais aussi de la violence conjugale et ses dérives abjectes ainsi que de misogynie, de vengeance, et de dépression. L'histoire est poignante et terrifiante, nous sommes emportés dans la vie de ces personnages d'une façon telle qu’il nous est impossible de lâcher le roman. On veut savoir, connaitre ce qu’il va advenir… mais sommes-nous préparés à ce final explosif ?
Vous le saurez en découvrant cet ouvrage sombre, violent et anxiogène.
Alors, si vous aimez les thrillers à l’atmosphère étouffante, oppressante, addictive, aux personnages torturés et profonds en prise avec leur passé, foncez, ce livre est fait pour vous… vous ne serez pas déçus  :pouceenhaut:
Âmes sensibles s’abstenir ; vous ne sortirez pas indemne d’une telle lecture ????

Ma note :

:etoile: :etoile: :etoile: :etoile: :etoilegrise:



Pour vous le procurer :
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95
Merci beaucoup Lancelot  :rougir:
96
Mise en avant des Auto-édités / Signé Alecto de Olivier Denevi
« Dernier message par Apogon le jeu. 18/11/2021 à 17:21 »
Signé Alecto de Olivier Denevi




Pour acheter :     CoolLibri     


Ce livre est une fiction, une œuvre sortie de mon imaginaire.
Toutes ressemblances avec des personnages, des faits existants ou ayants existé ne sont que pure coïncidence.

Merci à Abby et Maritza.



Prologue:

Année 2000, Asie de l’Est, dans un des pays les plus peuplés du monde, environ 130 millions d’habitants, nous sommes au Japon.
Plus précisément à Tokyo, capitale et mégalopole nippone. Dans ce grand pays, la culture a de quoi étonner beaucoup d’occidentaux.
La politesse, la propreté et l’hygiène ont une grande importance, tout comme savoir donner de sa personne tout en sachant se relaxer de temps en temps.
Quel que soit le jour, le moment, les Japonais attachent une grande importance à la beauté, du bout des doigts jusqu’aux orteils.
Les transports sont d’une extrême ponctualité, être en retard n’est pas envisageable pour le Japonais.
C’est un grand manque de respect, il préfère se rendre à un rendez-vous dix minutes plus tôt.
Au Japon, on ne se regarde pas dans les yeux, cela peut être vu comme une agression et les Japonais dans l’ensemble ne sont pas tactiles non plus.
Même avec leurs propres femmes, mais fantasment sur d’autres, sans passer à l’acte pour autant, ce qui pour des occidentaux comme les Français par exemple, n’est pas facile à vivre, un couple Franco-Japonais doit savoir faire des concessions, d’ailleurs, dans ce qui va suivre vous allez vous en rendre compte et en suivre les dramatiques conséquences.
À Tokyo, Patrick Prélas et Mitsuko Katô, après s’être longtemps fréquentés lorsqu’ils étaient étudiants se marient, malgré les difficultés qui se présentent pour l’union d’un couple Franco-Japonais.
Ce sont des justificatifs et papiers de toutes sortes, en quantité, ainsi qu’une longueur administrative, un vrai parcours du combattant. Ceci dit, ils parviennent à sceller leur union.
Patrick, bien que Français, né à Lyon, vit au Japon depuis l’âge de dix-huit ans, cela suite à ses études et pour sa passion envers la culture nippone; bien qu’elle soit particulière. Il est le fils unique d’un père garagiste et d’une mère caissière dans un supermarché, et, malgré leurs modestes revenus, ils se sont privés pour que leur fils fasse de grandes études et s’en sorte mieux qu’eux dans la vie. En effet, c’est certain il s’en est bien sorti, et a même un peu la grosse tête aux dires de certains de ses amis.

Voilà qu’il travaille depuis dix ans à Tokyo, pour l’ambassade de France au Japon après avoir obtenu ses difficiles diplômes, il s’est très bien adapté pour un gaijin

C’est un bel homme, grand brun, cheveux courts, les yeux verts, toujours vêtu d’un costume cravate, il a de la prestance et un certain charisme. Il n’a plus de famille, ses parents étant décédés depuis trois ans.
Mitsuko elle, est une très jolie jeune femme, une pure Japonaise.
Née à Hakone à environ quatre-vingts kilomètres de Tokyo, un bourg du Japon, lieu très touristique.
Elle a vingt-cinq ans, de beaux et longs cheveux noirs, un visage de poupée, de jolies formes, ne laissant pas indifférent la gent masculine. La jeune femme s’habille toujours à l’occidentale, (jeans, baskets, et petit chemisier blanc) mais porte de très belles tenues lors des sorties
avec son mari, vu le statut de celui-ci elle doit être irréprochable.
Mitsuko a toujours été ancrée dans les traditions nippones les plus anciennes depuis son jeune âge. Son père était restaurateur, sa mère travaillait avec lui, une cuisinière de talent.
Le couple réside dans le beau quartier de Minami-Azabu
C’est un quartier riche où vivent de gros entrepreneurs, riches industriels et même certaines célébrités.
Un lieu bien sécurisé, tranquille, le voisinage est très discret, chacun s’occupe de ses affaires.
Car, bien que chaleureux, le Japonais, ne s’immisce pas dans les affaires des autres.

UN JOUR, TOUT BASCULE         

Minami-Azabu n’est pas loin du centre-ville malgré tout, et près de l’ambassade de France au Japon, ce qui est bien arrangeant pour Patrick, les logements y sont chers mais celui-ci peut se le permettre vu son activité professionnelle.
Les six premières années de mariage sont idylliques.
Belles soirées, grandes réceptions, durant lesquelles Mitsuko doit s’effacer aux dépens de son époux telle est la tradition japonaise.
Il y a aussi les voyages et autres belles distractions,
jusqu’au jour où la jeune femme donne naissance à une jolie petite fille que les parents prénomment Mina.

Depuis quelques mois déjà, Patrick est porté sur la bouteille, (peut-être le stress du boulot ou de mauvaises relations de travail) toujours est-il que le fait d’avoir une fille plutôt qu’un fils n’arrange pas les choses. Il en veut à sa femme, pour lui c’est de sa faute, et que si elle acceptait plus souvent de faire son devoir conjugal cela ne serait pas arrivé, il aurait eu son fils. La pauvre Mitsuko ne dit rien. Le temps passe, elle quitte son travail pour s’occuper exclusivement de sa fille âgée de trois ans à présent et gère le foyer, où là, elle peut avoir son mot à dire.

(Une autre tradition) ce dont elle ne se prive pas et lui fait du bien, or, ce n’est pas du goût de Patrick qui l’insulte, la moleste et va jusqu’à la forcer à avoir des rapports sous des cris, alors que la petite qui est dans la chambre, à côté, entend tout, et pleure sous ses draps, choquée, avant d’enfin s’endormir.
Cela dure quelques années, mais ce ne sont pas les voisins qui apportent leur aide hélas.
Un dimanche matin, Patrick prend son bain, tout en écoutant la musique diffusée sur le poste radio, alors que Mitsuko, dans la cuisine, prépare le petit déjeuner.
Et pour faire plaisir, elle décide de le faire à la tradition japonaise.

La musique du poste réveille Mina, qui alors se lève et se rend dans la salle d’eau à moitié réveillée, où là, son père lui crie dessus, la menaçant de lui mettre une raclée si elle ne sort pas de la pièce tout de suite. Mais la fillette s’approche de lui en disant de sa petite et douce voix:
—Tu n’es pas gentil avec maman, tu lui fais mal et tu me fais peur.
Puis, elle pousse de sa petite main le transistor qui est sur le bord de la baignoire, celui-ci tombe dans l’eau et Patrick meurt électrocuté. Ensuite, le petit ange va prendre son petit déjeuner.
La femme, au bout d’un moment, trouve que son époux met bien du temps à venir, va donc le chercher et se trouve face au corps inerte de Patrick.
Elle a un choc, mais ne fond pas en larmes pour autant, la femme est même comme soulagée d’un poids, son tortionnaire de mari n’est plus.
Elle sort alors de la salle de bain, ferme la porte derrière elle, puis rejoint sa petite dans la cuisine.
Une fois que Mina a fini de manger, Mitsuko lui dit avec délicatesse:
—Mina ma chérie, papa a eu un accident, il est mort.
—Je sais. Répond l’enfant tout en mettant son bol dans l’évier, puis retourne jouer dans sa chambre.
Sa mère se dit alors que l’électrocution n’était peut-être pas un accident vu la réaction de sa fille. Elle souhaite savoir pourquoi cette dernière avait fait cela, ce à quoi Mina répond franchement.
Mitsuko n’en revient pas, son enfant a fait ce qu’elle, n’avait pas eu le courage de faire, décidant d’aller rejoindre Mina afin de lui dire combien ce que sa petite a fait est grave.
Mais comment expliquer aux secours ce qu’il vient de se produire ?
Cela passera-t-il pour un accident ?
La jeune femme espère que oui, car cela ne va pas passer inaperçu dans ce beau quartier au voisinage irréprochable, d’autant que Patrick était très apprécié de tous, mais ceux-là ne connaissaient pas ses côtés sombres.
Et de toutes façons, comment cela aurait fini ?
Mitsuko n’aurait jamais porté plainte, les services de police ne l’auraient pas prise au sérieux, auraient même ignorés ses dires.
Elle le sait hélas. De plus, la jeune femme ne veut pas avoir à subir les interrogatoires musclés de la police nippone elle ne le supportera pas.
Il lui faut penser d’abord à sa fille, à la suite des évènements, appelle alors les secours, qui une fois sur place constatent les faits et conclus à l’accident, mais se voient obligés de prévenir tout de même les services de police, ce qui inquiète la jeune femme.
Mitsuko contacte immédiatement par téléphone un très bon ami, toujours là pour elle. Un collègue de son défunt mari, lui aussi d’origines françaises et Lyonnais.
Celui-ci conseille de quitter le pays avec la fillette, il sait tout comme Mitsuko que les flics d’ici ne lui feront pas de cadeaux, alors qu’avec toutes les très bonnes relations qu’il a, elle peut s’en sortir sans soucis.
Mère et fille préparent alors tout de suite leurs valises, dans lesquelles elles ne mettent que le strict nécessaire. Or, la maman de la petite est en panique, se pose mille questions, va s’enfermer dans sa chambre, tandis que Mina finit de ranger ses affaires.
La police n’est pas encore là, mais elles doivent se hâter, et lorsque Philippe, l’ami attendu, arrive, la porte est ouverte il n’a qu’à la pousser, puis appelle son amie, mais celle-ci ne répond pas et la petite non plus.
Il pénètre doucement, puis pause sa main sur la poignée de porte de la première pièce qui se présente devant lui, c’est la chambre parentale.

Et là, il est face à l’horrible spectacle de Mitsuko, étendue sur le lit maculé de sang, elle s’est ouvert les veines. L’homme prend son pouls, mais rien, il est trop tard.

Au même instant arrive Mina qui voit la scène, horrifiée se met à crier et fondre en larmes, hurlant que tout est la faute de son père.
Il faut agir vite. Philippe regarde la petite, hésite, puis la prend par la main et tous deux courent jusqu’à la voiture. Ils partent à toute vitesse alors que la fillette est inconsolable, mais son nouvel ami arrive à trouver les mots pour la réconforter, lui promettant qu’il va trouver une solution.
Philippe lui demande comment cela a pu dégénérer de la sorte, ce que Mina lui explique avec ses mots à elle, que son papa n’était pas gentil. Il comprend mieux et n’est qu’à peine étonné du comportement de Patrick, qu’il avait déjà vu dans certains excès de colères, sous l’effet de l’alcool, même au travail, avec des gestes déplacés envers le personnel féminin à l’ambassade, il avait aussi plus d’une fois trompé son épouse.
L’homme garde quelque temps Mina avec lui, et grâce à ses grandes relations et des connaissances dans certains milieux, il peut faire faire de faux papiers plus vrais que nature pour la jeune fille, et la conduit par la suite à l’aéroport international de Tokyo, direction la France.
Ils prennent le premier avion, le but de Philippe, se rendre tout de suite à Lyon, chez sa sœur, qui pourra prendre en charge la petite sans aucuns soucis.
Entre temps, à presque dix-mille kilomètres de là, au Japon.

La police lorsqu’elle s’est rendue sur les lieux du drame, a conclue à une dispute conjugale qui a mal tourné. Pour elle, la femme a tué son mari, puis, s’est donnée la mort, pas de témoignages, ça ne risque pas. Elle classe l’affaire se demandant tout de même où a bien pu passer la petite fille de la famille.

Philippe et Mina arrivent enfin à l’aéroport Saint-Exupéry de Lyon. Ils prennent un taxi pour les conduire jusqu’à l’appartement de Stéphanie, la sœur du sympathique sauveur.
C’est une jolie jeune femme blonde, cheveux mi-longs, les yeux verts, très décontractée, célibataire, elle est infirmière à l’hôpital de la Croix Rousse.
Son frère repart tout de suite pour prendre le prochain vol retour après avoir embrassé Mina et laissé quelques instructions à sa sœur. Le courant passe bien entre la petite et la sœur de Philippe.
Bien que Mina ait dans son regard une tristesse permanente, Stéphanie trouve toujours les mots qu’il faut pour la consoler, lui décrocher de petits sourires.
Le temps a passé et suite à de longues batailles administratives, Stéphanie peut adopter Mina, toutes deux sont folles de joie.

La fillette va dans une bonne école, prend des cours de Karaté comme elle le faisait au Japon depuis très jeune, et à ses moments perdus se plonge dans les livres de médecine, de botanique, elle adore aussi les histoires de la mythologie grecque et romaine que possède Stéphanie.

NOUVEAU PAYS NOUVELLE VIE

Cela la passionne elle dit que lorsqu’elle sera grande elle sera infirmière elle aussi.
Les années défilent, Mina s’épanouit, avec celle qu’elle appelle maman Stef. Même si son passé est toujours là, comme une blessure ouverte n’arrivant pas à cicatriser, un passé qui vient la hanter certaines nuits.
Puis, elle devient une jeune femme d’une grande beauté, comme sa mère l’était, de taille moyenne, de longs cheveux noirs tombants jusqu’aux fesses, toujours coiffée d’une queue de cheval, les yeux noisette légèrement bridés, une peau claire, toujours très bien maquillée, un charme fou, très féminine.
Contrairement à ce qu’elle disait plus jeune, elle ne sera pas infirmière bien qu’elle continue à lire ce genre de livres, car, elle suit des études d’herboristerie, et la mythologie toujours présente, la transporte dans un monde qui la fascine.

Cela dure trois bonnes années, ça se passe bien, elle a une certaine facilité dans ses études ce qui est assez déconcertant pour ces amis (es) et même pour Stéphanie qui est si fière d’elle. Lors de ses études elle fait la connaissance d’un charmant jeune homme, qui se prénomme Bruno.
Elle ne le rencontre pas à l’université mais lors d’un repas entre amis communs, c’est cliché et pourtant le coup de foudre mutuel est là.

Il est de quatre ans son aîné, son métier, taxidermiste. Pas glamour, mais Mina s’en fiche pas mal, il n’y a pas de métiers sots ou inutiles, elle considère cela comme étant un art.

La voilà à présent phytothérapeute, c’est parfait, elle peut maintenant mieux se concentrer sur sa relation amoureuse qu’elle avait, il faut le reconnaître, un peu mise de côté, Bruno est l’homme parfait.
Grand, plutôt carré, brun, les cheveux façon coiffés décoiffés, les yeux verts, une barbe de trois jours, jean, baskets et polo. C’est un homme qui sait tout faire, très habile de ses mains ce qui est mieux vu son métier avec de plus, un certain talent lors des ébats amoureux, cela est loin de déplaire à Mina.
Vient le jour où elle se décide à le présenter à sa mère d’adoption, mais elle tient aussi à ce que Philippe vienne exprès du Japon, qu’il soit présent, il est la seule figure paternelle qu’elle ait vraiment connue depuis petite, l’opinion de l’homme compte aux yeux de la jeune femme. Un repas est donc prévu, tout est OK, cela se passe très bien, et une fois Bruno parti:
—Alors ! Alors ! Que pensez-vous de lui ?

Tous les deux le trouvent très bien, tout en mettant en garde Mina,qu’elle ne s’affole pas, même s’ils se connaissent depuis longtemps, pour ce qui est de vivre ensemble, c’est une autre histoire.
Mina est loin d’être bête, elle sait que c’est un engagement important.

Après avoir pesé le pour et le contre, vient le jour où les amoureux emménagent sous le même toit, non loin de chez Stéphanie, dans le sixième arrondissement de Lyon. La jeune femme a trouvé une place, dans un cabinet de phytothérapie dans le troisième arrondissement, éloigné du magasin de taxidermie de Bruno, situé à environ trois kilomètres de là, mais peu importe, c’est une grande joie pour elle.
Premier jour pour Mina qui a fait connaissance de la petite équipe et découvre son bureau. Elle est parfaitement à son aise, enchaîne les rendez-vous, elle a su s’imposer dans ce monde, à en rendre jaloux ses confrères, c’est le cadet de ses soucis.

Cela va faire huit mois qu’elle est dans ce cabinet, pas une ombre au tableau, mise à part qu’un jour, devant aller chercher un dossier en documentation, elle surprend un collègue, (Pierre Dufet) en train de peloter assidûment une petite stagiaire, loin d’être consentante.
Pris sur le vif, il s’arrête, et la jeune fille part dans les toilettes en pleurs.
Mina écœurée retourne à ses occupations, en colère. Pierre Dufet vient vite la voir à son bureau:
—Vous n’avez rien vu Mina, nous sommes bien d’accord?

Mais, elle ne peut se contenir:
—Vous croyez ça Pierre ? La pauvre petite, le traumatisme que ça lui cause. Le nombre de personnes que nous aidons, qui nous font confiance. Êtes-vous conscient de la renommée du cabinet ? et vous vous permettez cela ? Vous rêvez monsieur !
—Mais ma pauvre, qui croira une petite stagiaire, ou même vous. J’ai fondé ce cabinet, avec mon père, tout le monde sera de mon côté, et si elle tient à sa place elle se taira aussi, à présent au boulot.
Pour Mina c’est trop. Elle attend la pause déjeuner pour rejoindre la jeune femme abusée, afin de discuter avec elle.
En effet, celle-ci ne compte pas porter plainte de peur de perdre son stage et d’être mal notée, des représailles, (bien que ce n’était pas la première fois qu’elle subissait des attouchements de la part de Pierre).
À l’écoute de ça, soudain, Mina, l’histoire de quelques secondes, a comme une absence et repense à ce que sa mère avait vécu, le chagrin et la colère prennent le dessus.

Le soir venu, fermeture du cabinet, chaque membre prend ses affaires pour se rendre ensuite au parking sous-terrain. Mise à part le patron, toujours le dernier à partir. Or, ce soir-là, c’est son fils, Pierre, qui est le dernier à s’en aller.
Cachée derrière un poteau, Mina l’attend patiemment.
Il arrive au parking, se dirige vers sa voiture et Mina s’approche de lui, surpris. Il lui demande ce qu’elle fait là.
—Vous avez réfléchi à ce que je vous ai dis mademoiselle?
Pas de réponses de cette dernière, juste un sourire en coin, elle met ses gants noirs.
—Je vous ai posé une question !
Et en une fraction de seconde, elle brise la nuque de l’homme, en une prise de karaté, ses cours avaient porté leurs fruits, il tombe raide.
Puis, immédiatement, la jeune femme fait une mise en scène, lui prend son argent ses cartes de crédit, et éparpille sur le sol les affaires de ce pourri, afin que cela ait l’air d’un vol qui a mal tourné.

Ensuite, elle monte dans sa voiture et décide de rentrer chez elle tranquillement, afin de retrouver son amour.
Une fois rentrée, Bruno lui demande la raison de son retard à la maison, d’un ton un peu agacé.
Mina lui répond qu’elle avait une grosse étude de dernière minute à régler, son homme ne va pas chercher plus loin.

Tous deux prennent une ouche coquine, soupent, puis vont se coucher.
Le lendemain matin, la jeune femme se lève, fraîche comme une fleur, mais lui reviennent en tête des images de ce qu’elle avait fait la veille au soir.
Alors que les deux tourtereaux déjeunent::
—Bruno, j’ai quelque chose à t’avouer, j’ai fait une très très grosse bêtise.
—Cela ne doit pas être si méchant que ça, dis-moi.

Mina lui explique alors en détails tout ce qui c’était passé et pourquoi.
Il tombe des nues, ne répond rien et sans finir de manger, va se préparer et part sans dire un mot, en claquant la porte.
Sur la route qui le mène au boulot, tout en conduisant, il se pose des tas de questions auxquelles il ne trouve pas de vraies réponses, (mais pourquoi a-t-elle réagi ainsi?) Se dit-il.
Une fois fini son petit repas, elle file se préparer, se pomponne, met un de ses plus jolis tailleurs, puis se rend au cabinet comme d’habitude.
Arrivée, dans le parking, elle voit une voiture de police garée devant celle de Pierre Dufet, dont le corps sans vie est encore là, couvert d’une toile noire.
Mina voit son boss converser avec une personne à l’air peu gracieux. Elle descend de son véhicule, se dirige vers les deux hommes demandant ce qu’il se passe et viennent les présentations de rigueur.
—Mademoiselle, enchanté, je suis le commissaire Brelot.
(pas facile à porter surtout lorsque l’on est flic)

Le commissaire est un homme qui présente bien, entre quarante-cinq et cinquante ans, rasé de près, petite moustache, cheveux bruns, un certain charme, costume deux pièces, chemise blanche, cravate de bon goût et chaussures de ville en cuir de couleur noire.

Il explique donc à notre belle qu’un vigile avait découvert le corps de Pierre dans la nuit, autour des deux heures du matin, mais pas de traces de lutte, porte-feuille vidé, pas d’indices et les caméras de surveillance étaient hors de
service, heureusement pour la jeune femme qui ne s’en était pas souciée, donc, le commissaire n’a rien à se mettre sous la dent.
—Lui connaissiez-vous des personnes qui lui en voulaient?
Et toutes les questions habituelles sont posées à Mina. Elles défilent, ainsi que pour monsieur Dufet (père), mais sans réponses concrètent.
97
Bonjour à tous !

Aujourd'hui je reviens vers vous pour vous parler de l’œuvre d'Adeline Rogeaux , Histoires folles et horrifiques que je viens
tout juste de terminer.

J'ai vraiment apprécié la lecture de ce petit recueil qui se compose d'histoires glauques à souhait, saupoudré d'une touche d'humour noir.
Les textes sont certes courts (micronouvelles) mais n'en reste pas moins efficace pour vous donner quelques frissons ici et là.
Les histoires qu'avec ce livre Adeline nous propose sont, de mon humble point de vue, très imagées et les événements gores qui
s'y déroulent resteront scotchés à vos esprits pendant un moment.
Vous ne regarderez plus le monde de la même manière, tant tout ceci est criant de réalisme par moment, malgré le côté fou des récits.

C'est un petit livre fort sympa à lire et découvrir pour toutes celles et ceux qui aiment se faire une petite frayeur, le soir sous une lumière tamisée, et je ne peux que
vous le recommander.

Je mets bien évidemment à ce trésor la note de 5/5
98
Avis : auteurs auto-édités / Re : Fata Morgana de Stéphanie Munch
« Dernier message par cnslancelot5930 le mer. 17/11/2021 à 13:46 »
Merci pour cette chronique  :bravo:

Allez hop, encore une histoire à rajouter à ma liste.
99
Une superbe mise en bouche qui donne envie d'en découvrir davantage.  :pouceenhaut:
100
Avis : auteurs auto-édités / Re : Forest d'Adeline Rogeaux
« Dernier message par cnslancelot5930 le mer. 17/11/2021 à 09:08 »
Je dois encore finir Histoires folles et horrifiques, et ensuite je me lance dans Forest également, et Bloc D.  :pouceenhaut:
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