Auteur Sujet: Nouvelle N°4 : La mérule  (Lu 11278 fois)

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Hors ligne La Plume Masquée

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Nouvelle N°4 : La mérule
« le: ven. 30/09/2016 à 23:36 »
Bonsoir à tous :bonjour:
Pour cette quatrième  semaine du Trophée Anonym'us où 27 auteurs s'affrontent, voici la nouvelle N°4.
Une petite poêlée de champignons, ça vous dit ? ... Bon appétit alors ! :clindoeil: 


  LA MÉRULE

                                                             

Punaisée au mur, au-dessus de mon lit, une carte postale.

Une vue panoramique de Laguna Beach au coucher du soleil. Elle est pas signée, mais je sais bien qui me l’a envoyée. Une sacrée salope.

Il y a juste mon nom et ma nouvelle adresse pour dix piges. Sébastien Ramilet Prison Bonne-Nouvelle 169, boulevard de l’Europe 76000 Rouen. 

Je voudrais bien savoir quel est l’enfoiré qu’a eu l’idée d’appeler cette taule « Bonne Nouvelle »…

Y’a tellement de cinglés ici que je sais pas si je sortirai vivant un jour, mais si j’y arrive, sûr que je partirai au soleil, loin de la Normandie et que jamais j’y refoutrai les pieds. J’y suis né et faut croire que je fais pas partie de ces ruraux accrochés à leur terroir comme des clébards à leur maître.

Je vous donnerai pas le nom du village, ça vous dirait rien. Un lieu-dit perdu entre rien et rien. Si des gens s’y arrêtent, c’est soit qu’ils tombent en panne, soit qu’ils sont perdus, voyez ?

Des fois, j’essaye de savoir quand tout a commencé à merder pour David et moi, l’instant exact où c’est parti en couille, et pis j’en arrive à la conclusion que dès le départ, c’était foutu.

Certains fils de putes naissent en Amérique avec une cuillère en argent dans la bouche et ben, David et moi, on était nés dans en Normandie avec l’ennui comme cadeau de baptême…

« Le bocage normand » que certains appellent ça romantiquement. Mon cul, ouais ! Le seul coin de France où de l’instant où t’apprends à marcher jusqu’à ce que tu crèves, ça se passe dans la gadoue.

Quand j’entends ces cons de Stone et Charden vanter les mérites de la région, j’ai envie de leur exploser la tronche. Le bocage, faut savoir la réalité ; il y pleut autant qu’un million de vaches qui pissent. À te changer le sang en eau.

 

La première fois qu’on avait essayé d’en partir avec David, on avait cinq ans. Un soir, après l’école, je lui avais dit, viens, je sais comment on va en Amérique ! J’avais tout prévu, pris des provisions dans mon cartable, des allumettes et une lampe torche. Pour une fois, il faisait beau. Il a pas hésité longtemps et on est partis à l’aventure au bout de la rue.

Les gendarmes nous ont retrouvés le lendemain à trois kilomètres du bled, couchés dans l’ancienne cidrerie. On croyait être presque arrivés pourtant…

Les gendarmes, ça les avait fait marrer notre histoire, mais nos parents, moins.

Les vraies tartes normandes, faut les avoir goûtées pour les apprécier. Elles te laissent des bleus et t’apprennent qu’il faut pas trop t’éloigner du droit chemin.

Après cette évasion ratée, on a appris la patience, car cette putain d’envie d’Amérique, ça nous a jamais lâchés.

À la maison, c’était pas trop l’éclate. Ça rancoeurait pas mal, ça commérait beaucoup. Fallait bien que nos vieux passent le temps entre deux averses.

Nos familles, elles étaient tellement ancrées dans le bocage depuis des lustres que c’était de la boue qui coulait dans leurs veines.

Ils étaient au courant de toutes les vieilles haines, des cocufiages et des fortunes pas très claires amassées par certains pendant la guerre. Nous, évidemment, on avait les oreilles qui traînaient avec David, on comprenait pas tout, juste que nos aïeux s’étaient mal démerdés et que c’était plus facile pour la famille de transformer un ratage en fierté. Quand la gnôle tombait dru dans les verres, ça ressassait, ça dégoisait, ça vomissait sa bile.

En attendant, David et moi, on était habillés comme des clodos à l’école et en plus, fallait s’estimer heureux. J’ai jamais pu leur pardonner ça à mes vieux et quand j’y repense, ça me fout vraiment la haine.

Notre univers, avant qu’on puisse s’arracher, c’était l’école, la pluie et la téloche.

Quand y’avait une éclaircie et qu’on pouvait crapahuter dehors, c’était pas pour faire des herbiers, mais des conneries comme attaquer les vaches au lance-pierres, ces réservoirs à merde stupides.

On attaquait toujours celles de mon voisin, Germain Langlois. On avait un contentieux avec lui, depuis longtemps. Il nous avait foutu dans la merde en allant fayoter à nos parents les conneries qu’on faisait. Il était pourri jusqu’à l’os, une véritable ordure que tout le monde craignait. Il avait entourloupé tout le monde au bled, mais y’avait omerta.

Le pire qu’il ait fait dans le genre escroquerie, c’est dans la vente immobilière. On avait dans les quatorze ans quand c’est arrivé. Il avait vendu une longère à un Parisien qui voulait se retirer tranquille au village pour passer une retraite peinarde.

Tout le monde savait que la baraque valait pas un clou, rongée par la mérule, ce champignon qui te gangrène une maison patiemment, silencieusement, mais personne a rien dit, même pas l’agent immobilier.

On n’aimait pas les étrangers par ici, surtout s’ils étaient Parisiens et qu’ils roulaient en Jaguar.

Le Germain avait embauché des cousins pour faire une belle remise en état à grands coups d’enduit et de rafistolages pour dissimuler l’état de la maison.

L’expert, le notaire, tout le monde était dans le coup pour entuber l’étranger.

On l’aimait bien nous le Parisien. Monsieur Tellier qu’il s’appelait. Il nous avait vu zoner et nous avait proposé de tondre sa pelouse, faire ses courses, de petites corvées qu’il nous payait bien. Parfois, il nous invitait à l’apéro et il nous racontait ses voyages en Amérique. Un chouette bonhomme, vraiment.

L’été d’après, il était mort enseveli sous la baraque.

Tout le monde a ricané. L’affaire a été classée et le Germain a racheté son terrain pour que dalle.

Ça avait occupé les conversations des habitants pendant des mois et ça suffisait à la vie culturelle locale.

Nous, on s’est mis à tous les détester au village, mais notre haine s’est cristallisée sur le Germain qu’on a rebaptisé La Mérule.

Il était pourri de l’intérieur, dans tous les sens du terme. Une ordure.

Il vivait comme un clodo dans son bouge même si une rumeur persistante disait qu’il était riche comme Crésus.

 

On a continué de pousser entre l’ennui et la pluie et on a commencé à toucher à l’alcool et à la fumette pour s’évader.

Je suis rentré en apprentissage chez Renart et Fils, le garage du village. Mon père a dit au vieux de m’en faire chier et l’autre a été trop content d’obéir impunément.

Toutes les pires merdes à faire, c’était pour moi et l’atelier était pas chauffé. Heureusement, dans ma tête, j’étais loin parfois, au chaud sur la plage de Venice. J’essayais de mettre des thunes de côté, mais le peu que je gagnais partait dans la défonce. David s’est fait virer du lycée agricole et son père l’a obligé à bosser à la ferme.

À dix-huit ans, on n’avait toujours pas quitté notre province, faute de moyens.

Notre échappatoire, c’était d’aller fumer et boire dans l’ancienne cidrerie.

Cette ruine, c’était notre royaume. On faisait des barbecues dans les gravats, on taguait les bouts de mur encore debout. Personne venait nous faire chier à part les gendarmes une fois de temps en temps. Ça leur durait une semaine ou deux et puis, ils nous lâchaient.

En attendant, on allait se garer sous le pont de la nationale et à part déglinguer des packs de bières, on s’occupait intelligemment.

On mettait le chauffage à fond et on apprenait des passages entiers du Guide du Routard Californie. On répétait aussi des leçons d’anglais enregistrées, mais on n’était pas trop au point, d’autant que depuis peu, on avait trouvé un nouveau hobby : Marie, la petite nièce de La Mérule.

On la calculait plus depuis un bail, elle était vraiment trop louche, mais un jour qu’elle nous avait vus passer en caisse, elle nous avait fait de grands signes pour qu’on s’arrête.

– Vous faites quoi ? qu’elle avait demandé.

– On fait un tour, c’est tout, avait dit David.

Elle était montée et David m’avait fait un clin d’œil. Il avait une idée derrière la tête.

Arrivés sous le pont et on avait roulé un joint, bien chargé. On se doutait qu’elle avait jamais fumé alors on lui a proposé de tirer quelques lattes et de boire un peu de whisky. Ça l’a un peu détraquée et nous on commençait à être bien chauds. David est passé sur le siège arrière. Elle était un peu à la masse, mais elle avait l’air d’être consentante. Je me suis replongé dans le Guide du Routard. Hollywood. Mulholand Drive. Malibu. J’avais du mal à me concentrer avec les bruits de succion à l’arrière. À un moment, David a dit :

– Je veux bien te baiser si Seb peut aussi…

Elle a un peu râlé, mais après quelques gorgées de whisky, elle a plus rien dit, juste écarté les cuisses. David a rigolé et m’a tapé sur l’épaule en baissant son froc. Je savais qu’il était plus puceau, pas comme moi. Le temps qu’il conclue, je cherchai une excuse pour me tirer, mais je voulais pas passer pour un con. Quand il a eu fini, il s’est refroqué, m’a donné une capote et est repassé à l’avant.

J’ai jeté un œil à Marie. Le spectacle était pas très bandant, mais j’ai pris sur moi et je l’ai baisée.

David a roulé un autre pétard pour fêter ça, mais moi, je me sentais un peu mal quand même pour Marie. Elle avait pas inventé le fil à couper le beurre et je me demandais si elle se rendait bien compte de ce qu’elle avait fait avec nous.

On l’a laissé dormir et on a parlé de l’avenir. À un moment, elle s’est réveillée. Elle était verdâtre et a juste eu le temps de sortir en slibard sous la pluie pour gerber. Elle est remontée et on est partis.

– Je pourrais revenir la semaine prochaine ? qu’elle a demandé. Je me suis senti moins coupable du coup.

Elle est revenue avec nous tous les samedis. À force, elle maitrisait un peu mieux ses haut-le-cœur, pis elle s’endormait plus quand on la baisait. Elle participait, c’était quand même mieux.

Elle commençait à faire partie du décor, comme la pluie ou les pommiers. Nous on était toujours avec nos histoires de Californie, on s’était même fait faire des passeports. Un soir, Marie nous a dit qu’elle voulait partir avec nous. David a pas aimé.

– Pas question qu’on emmène une greluche en Amérique, qu’il a dit méchamment.

Elle faisait partie du paysage ici et le paysage, on pouvait plus le voir en peinture. L’Amérique, ce serait que nous deux, point barre…

Elle nous a traités de connards et est partie en claquant la porte.

On était explosés de rire à la regarder glisser dans la gadoue avec ses talons de douze…

– Pour les meufs, on verra sur place, c’est pas ça qui doit manquer, a conclu David.

                                                             

L’hiver est arrivé et je me tapais toujours des vidanges toute la journée. David nettoyait la merde des vaches chez ses vieux. On s’occupait du mieux qu’on pouvait le week-end, mais depuis que Marie nous faisait la gueule, ça nous titillait quand même un peu dans le calebut. On avait pris goût à la baise facile.

Elle a pas tenu longtemps sans venir nous voir parce qu’elle se faisait trop chier chez elle le week-end. On a recommencé à picoler et à baiser, comme avant.

Des fois, elle piquait une bouteille de gnôle dans la cave paternelle. Un truc à vous arracher la tête, production maison.

Un soir, elle nous a même fait un cadeau, preuve qu’elle était pas rancunière : Un flingue avec une boîte de munitions.

– Où t’as dégoté ça ? a demandé David

– Mon père en a trouvé une caisse dans un de ces souterrains que les Boschs avaient creusés pendant la guerre. C’était un Luger, hyper bien conservé.

– Mais, on n’est pas censés les rapporter à la gendarmerie ? que j’ai fait à Marie.

– Si, il l’a fait, mais j’en avais piqué un avant. J’ai pensé que ça vous ferait plaisir…

 

Avec notre nouveau jouet, on s’est exercés à tirer un peu sur tout, des cibles, des canettes et des rats. Ça nous changeait un peu de la fumette et de la picole. Marie nous regardait, mais voulait pas essayer, jamais.

– C’est laid une femme avec une arme dans les mains, qu’elle disait.

-Avec ou sans arme, elle est moche de toute façon, ricanait David dans son dos…

 

Les semaines passaient et on tirait des plans sur la comète, on délirait de plus en plus sur l’Amérique.

On avait jugé un peu trop vite que Marie avait lâché l’affaire avec son idée de partir avec nous.

Elle a recommencé à s’incruster dans la conversation.

– Je ferai une formation d’esthéticienne, on prendra un appartement ou une maison et on partagera le loyer. À trois, on s’en sortira.

On a fini par lui dire oui pour pas qu’elle fasse la gueule, mais dès qu’elle avait le dos tourné, on ricanait.

– Mais qu’est-ce qu’elle croit ? disait David.

La thune rentrait pas vite, on arrivait pas à être sérieux, mais vu ce qu’on touchait, ça paraissait difficile d’épargner.

Le seul truc concret qu’on avait fait, c’était les passeports. Ils attendaient juste un coup de tampon et nos culs, de se poser dans un avion. Il fallait que quelque chose arrive, vite, et c’est ce qui s’est passé.

 

Un soir, Marie est arrivée avec un énorme coquard à l’œil gauche. David lui a demandé comment c’était arrivé.

– Le Germain est venu voir mon père. Il lui a dit qu’il nous voyait ensemble tous les week-ends à la cidrerie. Mon vieux a pas apprécié. Il m’a traitée de pute, de salope, pis il m’a cognée.

Nous on s’est regardés, genre : ça pue les emmerdes ! À force de renifler le fumier, on avait l’odorat surdéveloppé. Il commençait vraiment à nous faire chier ce vieux con, mais c’était pas nos oignons après tout. Des gnons, on en avait eu plus qu’à notre tour par nos darons respectifs. On savait juste que ça craignait de continuer à traîner avec elle. Allez savoir ce qui pouvait se passer dans la tête du père de Marie quand il était bourré ? Il avait bien flingué le chien du voisin un jour parce qu’il aboyait. Y’avait un silence de plomb dans la voiture si on excepte le bruit de la pluie sur le pare-brise. C’est là que Marie a lâché une bombe.

– Le Germain, il est jaloux de vous, c’est tout. Il me viole depuis que j’ai onze ans. Il croit que je lui appartiens.

On s’est regardés avec David. Qu’est-ce qu’on pouvait répondre à ça franchement ?

Il s’est tourné vers elle et pour une fois, lui a parlé gentiment.

– Il est tard, on va te ramener.

Elle a pas réagi, mais dès qu’il a commencé à rouler, elle a lâché un deuxième scud.

– Je sais où il planque ses lingots.

Elle essayait de se rendre intéressante, évidemment. Comme David levait les yeux au ciel, j’ai quand même voulu en savoir plus.

– Je croyais que c’était des conneries, des rumeurs…

– Des tas. Il en a des tas, parole, a dit Marie.

Un ange, ou le diable est passé dans l’habitacle.

On a plus dit un mot jusqu’à ce qu’on la dépose, mais y’avait comme une quatrième personne dans la voiture. Une idée si puissante que ça semblait prendre vie et respirer. Ça gambergeait dur dans la caboche de David. Je pouvais voir la plage de Laguna en technicolor dans ses yeux…

Le temps passant, j’essayais de ne plus penser à cette histoire de lingots, mais des semaines à me les geler dans l’atelier, ça faisait remonter l’idée à la surface comme un cadavre mal lesté.

Combien de temps encore je tiendrais avant de leur foutre un coup de démonte-pneu en pleine gueule aux Renart père et fils ?

David, c’était pas mieux de son côté. Son père lui faisait faire les pires trucs dégueulasses, juste pour montrer aux autres ouvriers qu’il y avait pas de favoritisme.

Je savais qu’il travaillait de la caboche à cause de l’histoire des lingots. Il devait peser le pour et le contre, échafauder des plans. Il avait toujours été plus réfléchi que moi. Et plus intelligent aussi.

Le samedi soir, on est passés chercher Marie. David a roulé plus longtemps, histoire de trouver un coin vraiment peinard pour causer tranquille.

Marie a parlé la première.

– Le vieux est invité chez mes parents mardi soir. Une fois qu’il est parti à picoler avec mon père, y’en a pour jusqu’au petit matin…

David s’est raclé la gorge.

– Tu seras là pour nous montrer ?

– Je resterai juste à l’apéro avec eux et je vous rejoindrai à pied, c’est pas loin. Y’a plus de risques, son clebs est mort. Elle parlait comme d’habitude, de cette voix calme et basse, comme si elle récitait l’annuaire. C’est son attitude sereine qui nous a décidés, je crois.

Ce soir-là, on l’a pas baisée. On était trop occupés à réfléchir.

                                                                     

Le lundi matin, David est passé me chercher à l’aube. Je l’attendais, planqué dans la grange. Avant de me déposer au taf, on a été cacher nos valises et nos passeports dans le puisard de la cidrerie. David y a mis le flingue et les munitions aussi.

Pendant deux jours, j’ai eu l’estomac en vrac. Je dois avouer que j’avais les foies. On en avait fait des conneries, mais piquer des lingots, c’était autrement plus grave… Y’aurait pas de retour possible en France. 

Tout ça formait un magma ultra brûlant dans ma tête, mais y’avait la Californie qui se profilait aussi et ça, c’était plus possible d’y renoncer. On en avait marre d’en rêver, on voulait une autre vie, au soleil.

 

Le mardi vers 17 h, il m’attendait devant le garage. Le vieux m’avait fait chier toute la journée, mais j’avais supporté sans broncher. Bidonné que j’étais à l’intérieur. Vieux con, va ! Crève ! Bouffe-la, ton huile de vidange ! Pour moi, c’est fini la vie dans le bocage !

David était soucieux lui aussi. Il savait qu’on allait franchir un point de non-retour. Et si elle avait raconté des conneries, qu’est-ce qu’on risquait ? Se faire prendre pour un cambriolage ?

On est retournés chacun chez nous pour manger et pas éveiller les soupçons. J’ai observé mes vieux pendant le repas en me demandant s’ils me manqueraient quand je serais en Californie. Ma mère, à la rigueur, et encore.

Après le café, j’ai enfilé mon blouson. Mon père était vautré dans le canapé à mater je ne sais quelle merde. Il m’a regardé.

– Où tu vas traîner encore ? Tu travailles demain, tu te rappelles ?

– Je vais faire un tour, que je lui ai répondu et j’ai claqué la porte.

Voilà, les adieux, c’était fait. Simple et concis.

 

Il a fallu qu’on se gare assez loin de chez la Mérule, pour pas s’embourber. Fallait voir l’état des chemins qui menaient à son bouge.

On s’est approchés en faisant gaffe. Il faisait nuit noire et il flottait dense. Pas de lumière, pas de mouvement. Marie avait dit vrai. Le vieux était pas là. Son clébard était crevé le mois d’avant, un molosse qui terrorisait les environs. Ça aussi ça tombait bien. On s’est détendus et même qu’on a rigolé quand il s’est vautré dans la boue.

 

On a pas eu de mal à ouvrir la porte d’entrée au pied de biche tellement le bois était pourri. Quand on est rentrés, une odeur de rance et de pourriture nous a sauté au visage. Avec nos torches, on a éclairé et ce qu’on a vu, c’était un paysage de désolation, putain !

Fallait voir le bordel là-dedans ! Un repaire de clodos ! On se les gelait, le vieux chauffait pas. La buée nous sortait par tous les trous. Y’avait pas cinq minutes qu’on était entrés qu’on a entendu un bruit. On a éteint nos lampes et plus moufté.

– C’est moi, a chuchoté Marie.

David l’a éclairé avec sa torche. 

– Putain, tu nous as foutu une sacrée trouille ! Alors, il les planque où ses lingots ?

Je sentais la peur dans sa voix, c’est contagieux ces trucs-là et j’ai eu envie de me pisser dessus.

– C’est par là, dans la dépendance. Et elle nous a emboîté le pas. Fallait faire gaffe ou on marchait, y’en avait partout. On l’a suivie tant bien que mal dans ce dépotoir jusqu’à arriver dans une sorte de remise accolée à la maison. Elle a déblayé quelques cagettes et vieux pots jusqu’à dégager un pan de mur.

Elle a braqué le faisceau de la torche sur un vieux four à pain.

– C’est là, sous la plaque de fonte.

On lui a demandé de nous éclairer et on a commencé à essayer de soulever la plaque. C’était lourd comme un âne mort cette merde !

Quand on a enfin réussi à la faire pivoter et que Marie a éclairé la planque, c’est comme si y’avait eu un soleil au milieu de la nuit qui nous aveuglait. On aurait même dit que ça dégageait de la chaleur.

On est restés un petit moment fascinés jusqu’à ce que Marie nous ramène à la réalité et nous tende un sac de toile.

– Faut se grouiller maintenant…

On a commencé à remplir le sac en tremblant. On se rendait bien compte que c’était grave ce qu’on était en train de faire.

On avait presque fini quand on a entendu comme une sorte de grattement. On a vite éteint nos lampes.

– Qu’est-ce que c’est ? a chuchoté David

– Ça doit être un rat, a dit Marie. Y’en a partout dans la baraque.

Comme elle connaissait bien la maison, elle est partie voir ce que c’était.

On est restés David et moi dans le noir et le silence, tétanisés, en attendant qu’elle revienne. Ça a pas duré bien longtemps, le calme.

Tout à coup, la pièce s’est illuminée. La Mérule était devant nous, sa pétoire à la main !

– Bande de petits enculés ! qu’il a dit en nous braquant avec son fusil.

 

– On se calme, a juste eu le temps de dire David qu’était devant moi.

J’ai pas reconnu sa voix putain, et ça m’a foutu encore plus les foies… J’avais jamais senti la peur chez David…

Sûr qu’on allait finir en taule, et pour longtemps ! Le vieux nous regardait. Je pouvais sentir son haleine chargée de gnôle à au moins trois mètres.

Et pis comme ça, sans sommation, il a tiré.

Je me suis jeté derrière une armoire déglinguée, paniqué. 

J’attendais, les yeux fermés comme si ça pouvait me sauver ! David pleurait. J’ai jeté un œil par un interstice. La Mérule avançait.

– Tu vas sortir connard ! qu’il gueulait.

Tout à coup, j’ai aperçu Marie qu’arrivait derrière lui sans faire de bruit. Elle a sorti le Luger de sa poche, j’en revenais pas !

Le vieux était plus qu’à un mètre de moi quand le coup de feu est parti. Il a pris un pruneau en pleine tête et s’est effondré. Marie a jeté son arme par terre et s’est barrée. Je comprenais plus rien, j’étais terrorisé, mais David m’a appelé. Je pouvais pas l’abandonner alors j’ai respiré un grand coup et rampé vers lui tout en gardant un œil sur la Mérule.

J’étais complètement flippé, mais j’ai trouvé la force de prendre David dans mes bras.

Il pleurait et se cramponnait à moi. Je l’avais jamais vu chialer et ça m’a crevé le cœur…

Là, j’ai oublié les lingots, les problèmes, la Mérule, les flics. C’était mon meilleur pote qui se vidait de son sang. Je suis resté comme ça longtemps, sans savoir quoi faire pis d’un coup, j’i gueulé du plus fort que je pouvais.

– Marie ! Marie ! T’es où bordel ? Marie ! Faut appeler les pompiers !

Je sentais David partir.

– Me laisse pas David, me laisse pas… Ses yeux lagon prenaient la couleur d’un marécage. Je me suis mis à pleurer aussi.

Je suis resté comme ça jusqu’à ce que David perde connaissance. Putain, je l’ai pas quitté des yeux. Je sais pas combien de temps ça a duré. Il a essayé de me dire quelque chose, mais il a eu un hoquet dégueulasse et j’ai compris qu’il était en train de mourir. Il est mort peu avant l’aube.

 

C’est les gendarmes qui nous ont séparés David et moi. Je voulais pas le lâcher, je voulais pas qu’ils me le prennent. J’étais couvert de son sang, putain. Je pouvais pas croire que jamais je le reverrais…

L’enquête a été vite bouclée. Un cambriolage qui a mal tourné. Les gendarmes dans le bocage, c’est pas vraiment les experts Miami… Ils ont retrouvé le Luger dans la pièce avec nos empreintes dessus. Ils n’ont jamais vraiment cru ce que j’avais raconté sur Marie. Selon eux, je ne voulais pas être tout seul à payer et puis, les parents de Marie avaient déclaré qu’elle n’avait pas bougé de la soirée. Peut-être qu’ils étaient dans le coup aussi, va savoir… 

Marie elle nous l’avait jouée à l’envers. Elle avait récupéré le Luger et fait d’une pierre deux coups en se vengeant du vieux et en partant avec les lingots.

Faut croire qu’elle était pas si con finalement, la Marie…


 


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