Auteur Sujet: Nouvelle N°1 : Autoportrait  (Lu 28827 fois)

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Hors ligne La Plume Masquée

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Nouvelle N°1 : Autoportrait
« le: dim. 30/09/2018 à 17:09 »
Bonjour à tous ????
Eh eh eh, voici enfin la 1ère nouvelle du trophée Anonym’us «Les mots sans les noms» ????
Cette saison commence très fort, avec un texte noir à souhait ???? âmes sensibles s’abstenir ????
N’hésitez pas à nous dire ce que vous en pensez en commentaires :pouceenhaut:
Bonne lecture à tous :clindoeil:

Autoportrait

Et puis, finalement, je l’ai rencontrée.
Près de nulle part.
Elle affichait quelque chose comme seize ans, le teint clair et des yeux quelconques.
Tout m’a paru si évident.
C’était quelque chose comme dix-huit heures, fin juin, et le rond-point du périphérique libérait son troupeau de prolétaires soudés à leurs sièges auto par la sueur, la médiocrité et la peur. La maladie coulait dans mes veines. J’avais la bouche sèche, et le ressac fiévreux hallucinait mes perspectives.
Elle est apparue dans mon rétroviseur. Elle descendait les files de voitures. Seule. Efflanquée. Espadrille, caleçon d’homme et débardeur Nike.
Elle a continué jusqu’à ma voiture et s’est arrêtée à la fenêtre. Elle sentait la pisse et la transpiration. J’attendis, voir si elle parlait français. Elle faisait des mouvements brusques avec son gobelet, et son regard était mauvais. Je déposai dans son verre tout ce que le vide-poche contenait de pièces, et ce qu’il restait de cigarettes dans mon paquet. Trois. Elle eut surtout l’air contente pour les cigarettes.
J’ignorai la bifurcation vers Toulouse et me garai quelques centaines de mètres plus loin, sur le parking triste d’un hôtel Ibis. J’avais le cœur qui battait, et un peu moins froid.

***

La chambre que je louais donnait sur le rond-point. Je passai la semaine suivante à dormir et guetter la fille.
Je me présentais sur le rond-point aux horaires de bureau et lui donnais de l’argent et des cigarettes. Parfois le matin, parfois le soir, souvent pas du tout. J’étais son petit prince, elle, mon renard, et mon espoir, absurde.
La journée j’étais obligé de rester dehors. La dame qui tenait le comptoir de l’hôtel me souriait à chaque fois et sa pitié me suicidait. Je prenais les médicaments, évitais les miroirs, et comme avait dit le gentil docteur, « prenais soin » de moi.
Les résultats furent rapides. Ma voiture n’était plus une voiture parmi tant d’autres et elle m’attendait. Le lundi suivant, en plus d’un billet de cinq et de quelques cigarettes, je lui glissai un joint. Elle ne comprit pas ; je lui fis un clin d’œil et me dépêchai de remonter la vitre. L’héroïne ne se consomme pas en cigarettes paraît-il. N’empêche : le lendemain elle vint à ma voiture plus vite que d’habitude.
   Je changeai d’hôtel la semaine suivante, et continuai ma petite histoire. Son odeur, quand elle était là, s’incrustait dans ma peau, et sur ma rétine, la persistance de ses petits seins. J’augmentais progressivement les doses en veillant bien à conserver les jours de diète.
À force de la voir, je commençais à recouvrer un peu de force. J’arrivais à tenir la journée, et il m’arrivait même parfois de passer quelques minutes sans penser, et sans ressentir sur mon front et dans mon ventre l’acidité morbide du dégoût.
Je décidai de passer à l’action le soir du quatrième vendredi. Cela faisait trois semaines qu’elle était sous « médication », et chaque jour, elle m’attendait bien après que la dernière des voitures ne soit passée sur le rond-point.
Elle quitta les lieux à la nuit tombée. Son itinéraire serpentait le long du périphérique. Tandis que je boitais dans l’obscurité des murs, je surveillais de loin la tache noire de son ombre dans les flaques de lumière. Je me sentis soudain à bout de force. Combien de montagnes encore me faudrait-il soulever, pour prétendre être un peu heureux ?
 Je la rattrapai au niveau d’une passerelle métallique. Un simple salut de la tête et je poursuivis mon chemin. J’avais des sueurs froides et une boule de plomb dans le ventre de la taille d’un melon. Elle poussa un petit cri et vint, trépignante, se coller à mon bras. Je fis mine de ne pas comprendre et de me dégager, mais son corps réclamait de la came, et elle n’abandonna pas.
Elle me suivit jusqu’à la voiture. L’injection la fit sombrer instantanément.

***


Nous fûmes à Toulouse à l’aube. J’habitais une usine désaffectée, un peu plus loin sur le canal latéral. Je la portai le long des piscines en béton, jusqu’à l’étage des bureaux et ce qui serait sa chambre. J’avais choisi une grande pièce qui avait été jadis le bureau du contremaître, et qui surplombait les zones de chargement.
   Elle grogna légèrement quand je lui attachai une main au montant du lit. La redescente de la came. Elle avait besoin de dormir et moi aussi. Pour la première fois depuis des semaines, l’anxiété avait disparu, je me sentais positivement épuisé.
Je me mis au travail le matin du sept juillet 2017. Elle s’était réveillée de bonne heure, son poignet était entaillé sur plusieurs centimètres par le câble avec lequel je l’avais attachée. Je fumai une cigarette et l’observai cracher, m’insulter et se débattre.
   Je m’approchai d’elle, et lentement, en exagérant mes mouvements, montai la main, et claquai des doigts. Elle ne comprit pas. J’écrasai mon poing sur son visage. Elle s’effondra sur le lit, paralysée par la surprise et la douleur. Je m’assis sur le rebord du matelas, et doucement, du coin de la couverture, épongeai le sang qui lui coulait du menton. Puis je claquai à nouveau des doigts. Et comme évidemment elle ne comprenait pas, je recommençai à la frapper.
   Quand elle s’évanouit, je la déshabillai entièrement, et changeai l’entrave au poignet par un collier métallique et une chaîne. Puis je sortis me promener.
   Le soir elle était malade. Son corps affaibli s’était répandu au pied du lit et elle gisait sur le matelas, recroquevillée en position fœtale.
Je caressai un moment son front, puis insérai entre ses lèvres une petite boulette d’opium. Elle avait le nez cassé, et le blanc de son œil était moucheté de sang. J’attendis qu’elle s’endorme, et nettoyai son visage, ainsi que la plaie qu’elle avait au poignet. En bas, dans l’usine, tout était calme. Je me promenai entre les réservoirs de béton, fumai une cigarette, et arrêtai mes pas devant la porte noire. Elle n’était pas verrouillée, aucun cadenas n’aurait été assez solide. Derrière les feuilles de tôle, dans la fraîcheur et l’obscurité du béton, attendait une paire d’yeux caves. Éternellement ouverts. Guettant sous la porte l’ombre de mes pas.

***

   Au matin, je profitai qu’elle soit évanouie pour m’installer sur sa poitrine. Je ne comptai pas quelques minutes que déjà son corps, inerte, faisait sur le matelas une auréole de sueur. Les gouttelettes s’accumulaient dans le creux de son cou, mes impacts faisaient aller et venir les pointes de ses seins, et les afflux de sang provoqués par les saignements gonflaient ses lèvres. J’aurais juré qu’elle haletait.
Je retenais mes coups. Briser mais ne pas fendre, décoller mais ne pas déchirer. Je suais de plus en plus. Mes gestes étaient encore précis mais les effluves des bains chimiques, mélangés aux odeurs de sang, d’urine et de merde, empourpraient mes coups et décuplaient mes forces. J’essayai d’ignorer, dans mon dos, le parfum de son sexe. La honte s’écrasait en vagues brûlantes sur mon front. Images de ma queue, inutile et puante. Plus je frappais, plus le corps grandissait, gigantesque, et je frappais encore, sans logique, poupon immonde hurlant de tristesse.
J’avais perdu le contrôle. Le sang giclait sur nos torses. Je n’entendais plus le bruit de mes coups, plus aucun bruit. Seulement, derrière la porte noire, les hurlements des rires de mon double monstrueux.
J’étais en train de déconner à plein pot, mais à ce stade-là j’aurais abandonné mes projets, mes plans, bousillé cette tête d’ange et chaque centimètre de ces os, transformé cette charpente palpitante en une bouillie de sang, de peau et de cartilages et alors peut-être cette chaleur ce picotement me remplirait entièrement me ferait imploser et je n’aurais plus ce corps plus cette âme et ces pensées horribles et je partirais en orbite comme une boule d’énergie enfin enlevée à tout ce malheur cette tristesse cette pourriture de vie injuste…
Je réussis à m’arracher du lit et courrai dans les escaliers, courrai entre les piscines chimiques, courrai sur la zone de chargement, les chemins pétés et grillés par le soleil, ma jambe, mes poumons, et tous mes muscles dissous dans l’acide lactique.
Jusqu’à ce sol brûlé. Griffant ma pauvre carcasse. Et moi de haleter. De geindre, de pleurer. Loin après que le soleil, lassé de ma misère, s’en soit allé derrière la terre.

***

Je ne l’avais pas tuée, mais je mis deux jours entiers à guérir la culpabilité qu’avait causé mon laisser-aller. Quand je trouvai le courage de retourner dans le bureau, les plaies s’étaient infectées, et le tissu de l’oreiller formait, avec le sang et la chair, un ignoble papier mâché.
Elle me regardait, yeux vides sous masque de carnaval, attendant son dû. Je lui glissai entre les lèvres les deux boulettes, et elle tomba dans un sommeil profond.
J’avais ruiné son oreille gauche bien au-delà du réparable.
Dans d’autres conditions, il m’aurait suffi de passer un coup de blanc, de frapper la touche retour. Mais voilà, ma poésie ne supporte pas de corrections, les feuillets qu’elle encre sont déchirés, raturés et troués de cigarettes.
Je pris, ce matin, pleinement conscience de ce que j’étais en train de m’infliger : la flamme qui me poussait, à l’aube, à prendre les outils, n’avait rien à voir avec l’enthousiasme, l’envie ou une putain de libido. Non. Mon carburant était le pétrole noir et gluant des échecs de la veille, ma mèche, les quelques centimètres de queue inutile dépassant de mes jambes.
J’eus aimé que sortit, au moins une fois, quelque chose de puissant, de remarquable, du cercueil de chair et de malheur dans lequel j’étais enfermé. Mais chaque geste que je faisais, chacun des résultats auxquels j’arrivais péniblement me hurlait le contraire : que ma présence sur cette planète n’était qu’un triste détail, une erreur insignifiante ; que si le monstrueux et l’abject sont les pendants du sublime, la laideur fade que j’incarnais et celle sans éclat que je produisais, n’étaient et ne seraient jamais qu’un mauvais fait divers.
J’observais la fille qui gisait, épouvantail désarticulé, jusqu’aux coutures crevées de sang.
***

Je réussis au prix d’un effort terrible à me remettre au travail.
J’augmentai les doses jusqu’à lui griller le cerveau. Son oreille fut recousue et son corps caché sous un drap que j’attachai aux quatre coins du lit. Dorénavant je procèderais en découpant le drap autour des zones en chantier.
Je me levai tôt le matin et attaquai à jeun. Les séances étaient volontairement limitées à quarante-cinq minutes que je chronométrais à l’aide d’un petit radio réveil. Je me douchais ensuite.
Le reste de la matinée était réservé à la lecture. Je fichais des manuels et notais mes observations dans des cahiers à spirale : chirurgie esthétique, des paupières, orale, traumatologie et sutures, reconstruction dentaire.
L’après-midi, après un déjeuner léger, je l’alimentais, la soignais, puis je partais me promener. Je marchais longuement dans Toulouse. L’été indien embrasait les rues et je déambulais seul entre les gens, conscient que cette paix était ce que l’existence avait prévu de mieux pour un type comme moi.
Le soir venu, je me déshabillais, et poussais la porte noire. Derrière, quelques mètres carrés de béton et de briques, spectateurs muets de ma tragédie personnelle. Je pénétrais, grelottant, dans le centre glacé de mon univers. Au milieu, posé sur un autel de bois et encadré d’acajou : un miroir.
Je m’installais devant moi-même.
Pas un de ceux qui m’avaient fait si misérable n’auraient pu rester, même une seconde, devant un tel spectacle. Mon visage était couvert d’un linceul de peau lâche et épais, jeté à la va-vite sur une tectonique d’os et de cartilages à la dérive. Le front, bombé comme une panse, ombrait deux orbites caves au fond desquelles se terraient des pupilles effrayées.
Je regardais le monstre, et lui me regardait. Une profonde cicatrice lui faisait un pli, de la base des narines jusqu’aux gencives, fendant sa lèvre d’un hideux triangle rouge vif. Il était d’une laideur arriérée, fragile, sa constitution irrégulière et disproportionnée, son ventre gonflé comme de famine, ses épaules rachitiques et repliées sur sa cage thoracique.
Nous grimacions tandis que je prenais le bloc de papier et les crayons. Et je les dessinais : lui qu’on nous avait dit d’être, moi qui ne l’étais pas, et cette fille qui nous rendait si malheureux. Sur la feuille, nos visages se mélangeaient, et toute l’horreur de son être s’adoucissait comme les traits de fusain sous le frottement de mes doigts.
 
***

Je commis l’erreur au début de l’année suivante. J’avais célébré Noël avec une bouteille de Boizel et un bloc de foie gras de chez Xavier. J’étais content de moi.
Le crâne était terminé, je commençais les os. Je les cassais à l’aide d’un système de planches et de serre-joints, et leur donnais des formes nouvelles grâce à des plâtres que je moulais sur mes propres membres. Ce fut une période très joyeuse, nous pataugions dans le ciment et je me trouvais, avec ma salopette et ma truelle, un air de maçon de contes de fées.
Quand je pus la décortiquer de son écorce de bandages, et que je lui eus rasé la tête, je fus saisi. C’était splendide. C’était moi sans l’être, c’était étrange, baroque, bizarre bien au-delà de mes espérances. Pour la première fois de mon existence, je m’apprêtais à réussir quelque chose, je baignais dans une sensation de félicité exquise et je suis sûr, oui sûr, qu’elle-même, derrière ses plaies, se réjouissait de mon succès.
Dans l’euphorie de l’instant, je crus bon d’attaquer la phase finale en avance sur le planning.
Je stérilisai entièrement un des réduits attenant à sa chambre, et y installai une salle d’opération sommaire. J’y accrochai les dessins que j’avais faits au cours de mes séances nocturnes. On y voyait son visage, et, ornant sa bouche, mon triangle de chair rouge vif.
Elle était encore faible tandis que j’incisais sa lèvre. J’étirai les deux bords de la plaie à l’aide d’un écarteur, et les bloquai dans cette position. L’opération n’avait pas duré plus de dix minutes.
Ce soir-là je peinai à m’endormir, l’excitation était retombée et une petite voix me murmurait que je m’étais emporté. Je me calmai en rangeant tous mes outils. Cette opération était la dernière. J’en avais fini.
Dès le lendemain, elle commençait à monter en température. Les blessures ouvertes entraînent de la fièvre, aussi ne m’inquiétai-je pas outre mesure. De plus une belle croûte s’était formée. Je lui administrai des antibiotiques, encore plus d’opium, et partis me promener.
Je la trouvai en rentrant, trempant dans une mare de sueur. La fièvre était encore montée et la cicatrice avait pris une couleur violette. J’augmentai encore les antibiotiques, et l’installai sous perfusion d’aspirine ; la fièvre montait encore. Rapidement elle se mit à trembler et à convulser. Je la douchai d’eau glacée et lui injectai plus de morphine, en vain. Ses claquements de dents étaient en train de décaler l’écarteur et la cicatrice déchirait lentement un chemin à travers la narine. Désespéré, je l’implorai, je lui hurlai de cesser de trembler, mais elle n’écoutait rien.
Je passai deux jours à son chevet, deux jours blancs à recoudre, en même temps qu’elle les détruisait, ces six mois de labeur. Je subissais des montées d’angoisse qui me vidaient les veines, et donnaient à la pièce et à ce que j’étais en train de faire des proportions cauchemardesques. J’entendais très nettement, au rez-de-chaussée, les bruits des assauts contre le miroir d’acajou. Je me retournais brusquement, en nage, certain d’avoir entendu dans l’escalier le bruit boiteux de ses pas. J’attendais, pétrifié, l’apparition de la silhouette monstrueuse sur le pas de la porte.
Au matin du troisième jour, la fièvre était tombée.
Elle respirait paisiblement, sa poitrine abaissait et soulevait avec régularité le drap blanc qui la recouvrait. Ses joues avaient repris des couleurs.
J’étais exsangue. Malgré tous mes efforts, la cicatrice s’était avancée à l’intérieur de son nez, jusque sur sa narine. L’infection qui avait contaminé les bords de plaie s’était étendue à son front et à ses pommettes, et son visage avait pris une coloration violette que je savais irrécupérable.
J’étais vidé. J’emballai quelques affaires, verrouillai les portes du hangar, et montai dans la voiture.

***

Dans le mois qui suivit, je roulai beaucoup, m’arrêtant rarement quelques minutes d’un sommeil brûlant et agité. J’avalais beaucoup de pilules. Je n’avais plus la force de penser. Les noms des villes défilaient, tous également hostiles, et je m’enfonçais chaque jour plus dans l’étourdissement que me procurait la route.
Dans les pires moments, il était assis à côté de moi. Il passait sur mon front sa main glacée, et il riait. Il disait que j’avais été bien naïf. De croire que je méritais mieux que lui, de m’imaginer que j’étais capable de quoi que ce soit. Il disait que ce que je faisais était encore plus raté que ce que j’étais, puis il riait encore. Il me montrait les ponts, et en bas de ces ponts l’écume blanche des rivières. Il me disait que cela ferait un linceul tout à fait honorable. Que personne ne remarquerait mon absence.
Les médicaments mirent quatre semaines à agir. Quand je fus un peu stabilisé, je rentrai à Toulouse. Faire le ménage fut épuisant. Avant de s’éteindre, elle avait traîné sa mort dans toute l’usine, laissant dans son sillon selles, sang et lambeaux de chair.
Je fis tout disparaître dans une des piscines. Le corps, en se dissolvant, émit une odeur qui me fit presque vomir. Je passai l’usine à la javel.
Je repartis sur les routes. Les semaines passaient, il neigea, j’étais hébété, incapable de dormir, incapable de me décider. Je fis plusieurs fois le tour de la France. C’est la qualité de ses dons qui sert à mesurer l’homme, disait Steinbeck. Il parlait d’art. Je me savais inapte à exister, je venais de prouver que j’étais inapte à créer. Je m’amusais à laisser glisser le volant dans les virages, mais quand les choses devenaient sérieuses, je le rattrapais. Vint le printemps. Puis l’été. Je n’arrivais pas à me tuer. Je n’arriverais jamais à le faire. Derrière toute cette haine, tout ce dégoût, subsistait comme la sensation d’une vérité : je n’étais pas responsable et, moi aussi, j’avais le droit d’exister.
Et puis, finalement, je l’ai rencontrée.
Près de nulle part.
Elle affichait quelque chose comme seize ans, le teint clair et des yeux quelconques.
Tout m’a paru si évident.



 


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