Bonjour à tous
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9e nouvelle du trophée Anonym’us «Les mots sans les noms»
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Quand l’espoir d’une vie nouvelle fait prendre des décisions inconsidérées...
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N’hésitez pas à nous dire ce que vous en pensez en commentaires
Bonne lecture
Un soir d’orage— Putain, t’as encore oublié d’aller à la coop remplir le bidon de pinard ! T’es qu’une vieille merde sans cervelle, cria-t-il en balançant sur la femme le récipient en plastique complètement cradingue.
— J’avais plus de pognon ! Tu as tout vidé la boîte où je mets l’argent pour les courses.
— J’y ai pas touché à ton sale fric… dit-il avant de s’asseoir devant son assiette où trois morceaux de poulets panés industriels dégoulinant d’huile se battaient en duel devant une flaque de purée de pommes de terre reconstituée.
Les nuggets, il adorait ça.
Cela faisait bien quarante ans que Baptistin Cresson supportait la vieille carne qui lui servait de mère. Toute sa vie d’adulte, elle l’avait passée à le culpabiliser d’être veuve, qu’il ne pouvait pas partir vivre ailleurs en laissant sa pauvre mère seule dans ce coin perdu de la Drôme. Baptistin était le dernier de la lignée des Cresson de ce côté du Ventoux réputé « pauvre ». Une fin de race disait le père.
Ils vivaient dans une baraque sans charme posée au bord de la route départementale reliant Aulan à La Rochette.
Adolphe, le père avait été retrouvé mort dans son champ, broyé par la roue arrière de son tracteur. Il n’était même pas dix heures du matin et il empestait déjà le petit jaune qu’il s’enfilait façon légionnaire… avec très peu d’eau. Sa crémation fut rapide vu tout l’alcool qu’il avait éclusé.
— Demain oublie pas, ils viennent vider la fosse septique.
— Ouais, je sais. À quelle heure ?
— Le matin. Moi je descends au village pour le marché.
— Putain… c’est déjà jeudi ! Prends deux litres de rouge, OK ?
Baptistin Cresson se leva en renversant sa chaise. Il ne débarrassait jamais la table car dans l’évier il n’y avait plus de place. Une fois, sa mère lui avait fait remarquer que s’il avait été marié, sa pétasse l’aurait bien obligé à porter son assiette jusqu’à l’évier, il l’aurait peut-être même lavée car elle le tiendrait par la queue.
Sa chambre se trouvait au premier. Adolescent, il aimait le foot. Aujourd’hui, il continuait à planquer les magazines de cul sous son lit. Il passait des heures sur internet à mater des films pornos et des matches de foot avant de s’endormir sonné par tous les pixels qu’absorbait son cerveau déjà abruti par l’alcool.
Marie dormait toujours en bas, dans une petite piaule attenante à la cuisine. Elle avait pris l’habitude de s’enfermer depuis le soir d’été où, plus bourré que de coutume, Baptistin s’était posté dans l’embrasure de sa porte à la mater étrangement en train de se déshabiller. Son fils lui faisait peur parfois. La maigreur lui avait mangé le visage et repoussé les yeux au fond de la tête. Mais elle l’aimait.
Ce soir-là, il n’arrivait pas à s’endormir. Une pluie fine tombait dans la nuit noire de cette route où pratiquement personne ne passait après 20 heures. La chaleur accumulée par le bitume dans la journée ressortait sous forme de fumerolles qui sentaient le chien mouillé.
Il ralluma l’écran de son ordinateur décidé à refaire une partie de tir sur des milices d’insurgés. Il venait de se payer un nouvel écran plat grand modèle spécial pour les joueurs après avoir insisté auprès de Marie pour qu’elle lâche un peu du pognon encaissé de la vente de leur dernier champ.
Soudain une puissante zébrure éclaira la campagne suivie par grondement de tonnerre. Le choc fit sauter le compteur électrique, avortant du même coup une attaque virtuelle sur un camp rebelle. Il pesta contre la nature, insulta sa mère qui l’avait privé de son gorgeon habituel et jura contre la fatalité qui le clouait dans cette campagne de merde, loin de tout bistrot.
Il se leva et ouvrit sa fenêtre pour essayer de voir si les maisons du village situé à plusieurs centaines de mètres étaient éclairées.
La voiture, une grosse berline à en juger par le bruit du moteur, déboula à Burnes. Le chauffeur ne connaissant visiblement pas le coin, prit le virage beaucoup trop large et alla s’encastrer violemment contre un muret de pierres sèches.
Baptistin referma sa fenêtre tranquillement puis dévala les escaliers. Marie trouva inhabituel que son dégénéré de fils descende aussi énergiquement, elle passa une tête décoiffée dont les yeux de poivrote étaient trois fois soulignés de poches bleuâtres, par une étroite ouverture de la porte car elle ne tenait pas à ce qu’il la voie à moitié nue.
— Pourquoi y a pas de lumière ? Et puis c’est quoi tout ce boucan ! grogna-t-elle.
— Retourne dans tes draps crasseux ! C’est le compteur qui a sauté avec l’orage… je vais voir.
Il décrocha la grosse lampe torche, enfila un vieux ciré qui appartenait à son père puis sortit dans la nuit.
La bagnole était de traviole, l’avant accroché bêtement au muret avec une roue qui continuait à tourner lentement. Un des phares était resté allumé et éclairait la baraque en lui donnant un air encore plus lugubre. Le haut de ce qui semblait être le corps d’un homme reposait sur le capot. Il avait traversé le pare-brise, propulsé par le choc. Baptistin Cresson s’approcha et balaya de sa torche l’intérieur de la voiture. Un deuxième corps était recroquevillé sur la banquette arrière, immobile.
« Jamais oublier de mettre la ceinture de sécurité » pensa-t-il en commençant par faire les poches du type à moitié couché sur le capot. L’homme avait morflé : une très large entaille avait creusé son front sur toute la largeur et une flaque de sang noircissait sur la tôle et dégoulinait vers l’intérieur. Il avait le visage antipathique que la fixité rendait encore plus patibulaire. Canné.
Au moment où il posa la main sur la poignée pour ouvrir la portière arrière et commencer de dépouiller la seconde victime, celle-ci déplia brusquement son corps et poussa sur ses jambes dans sa direction. Il bascula vers l’arrière en jurant et perdit l’équilibre sous le coup brutal de la furie.
Le temps de la surprise passé, il reprit le dessus en lui décochant un violent coup de poing sur la tempe qui la renvoya directement dans le sirop.
Il se releva et la considéra tranquillement à la lumière crue de sa torche : elle semblait plutôt jeune, dans les trente ans, mince. Ses cheveux bruns et mi-longs collaient sur son visage empêchant d’en apprécier les traits. Il s’agenouilla puis avec sa torche, il repoussa quelques mèches pour découvrir un visage régulier. Tremblant légèrement, il dirigea la lumière sur la poitrine qui remuait lentement sous un chemisier de couleur claire. Il insinua lentement l’autre main sous le tissu pour sentir la chaleur de la peau. Encouragé par sa propre hardiesse et l’immobilité de la jeune femme, il respira profondément en frissonnant et balada lentement sa main sur ses seins. S’attarda sur le téton gauche et se mit à le pétrir pendant que l’autre main qui avait lâché la lampe, se mit à aller et venir à l’intérieur de son pantalon.
La fille reprit conscience au moment où il éjacula dans son slip. Elle lâcha un hurlement qui lui valut un coup avec l’imposante torche qui l’envoya derechef dans les vapes. Sans plus réfléchir, il la mit sur son épaule et se dirigea vers la maison.
Marie l’avait vu entrer, lesté du fardeau humain.
— C’est quoi ce souk ? C’est qui ça ? cria-t-elle.
— Y a eu un accident dehors. Le chauffeur est mort.
— Et celle-là, tu comptes faire quoi avec, espèce d’abruti ! Elle est cannée aussi ?
— Ta gueule ! Ce que j’en fais ça te regarde pas.
Il la bouscula et se dirigea d’un pas lent et assuré vers la porte qui menait à l’ancienne chèvrerie, située au sous-sol. Il actionna l’interrupteur et lâcha un juron car il avait oublié de remettre le compteur en marche. Il descendit avec précaution en prenant garde de ne pas se casser la gueule dans l’étroit escalier en bois. Une fois en bas, il adossa la jeune femme aux barreaux de la mangeoire où finissait de pourrir du vieux fourrage. Il dénicha un bout de corde et l’attacha à un barreau métallique.
Il remonta rapidement en direction de la cuisine où il ouvrit le placard du compteur. La lumière revint, éclairant la maison dans sa réalité misérable. La saleté était partout, des rongeurs surpris par la lumière accourraient vers leurs trous. Marie était toujours debout dans le couloir, le corps dégoulinant sous ses bourrelets de fausse obèse.
— Qu’est-ce tu fous ? Faut appeler les flics !
— Bah oui, t’es con. Par contre pas un mot sur la fille t’entends vieille carne !
— T’es malade ? Ils vont savoir qu’elle était dans la bagnole avec l’autre. Comment tu vas expliquer ?
— J’vais rien expliquer du tout. Personne n’a rien vu… toi non plus t’as rien vu, OK ?
— Tu vas faire quoi ?
— Ça te regarde pas je te dis. Si jamais j’apprends que tu as parlé, je te bute, tu entends ?
Marie comprit que son fils ne plaisantait pas. Ses yeux s’étaient enfoncés si profond qu’elle ne voyait plus que deux lueurs de folie. Elle prit peur de son fils pour la seconde fois de sa vie et cette fois elle y laisserait la peau. Elle décida de la fermer.
Baptistin prit du sparadrap, du coton et un flacon de désinfectant dans l’armoire à pharmacie et redescendit à l’étable. Il avait au passage glissé son gros couteau de chasse cranté dans son étui, à l’arrière de son pantalon. Il éprouvait une griserie jamais ressentie auparavant. Les femmes, il n’en avait pas eu beaucoup et celle-là lui tombait dessus comme un cadeau du ciel, personne ne la lui prendra. Il bandait encore un peu en dévalant l’escalier mais décida de se contrôler, attendre d’être bien tranquille pour faire la fête. Finies les interminables pignoles devant les pin-up trafiquées et leurs râles artificiels devant des mecs montés comme des ânes.
Le visage de la fille prenait des teintes aubergine, mais elle n’en gardait pas moins un certain charme aux yeux de son nouveau fiancé. Il se mit à tamponner maladroitement ses plaies en lui parlant tendrement.
— Tu vas voir… je vais bien m’occuper de toi. Je vais t’appeler Romy comme l’actrice.
— Où… où est l’homme qui conduisait la voiture ?
— Mort. Mais toi, tu es bien vivante heureusement.
— T’es qui toi ? Pourquoi je suis attachée ? Libère-moi espèce de taré, tu sais pas qui je suis… dit-elle recouvrant complètement ses esprits.
– Ta gueule !
Il la gifla violemment et lui mit la pointe de son poignard sur le nez, descendit lentement en effleurant sa bouche puis s’arrêta sur l’échancrure de son chemisier.
— C’est chez moi ici, et c’est moi qui commande. Tu feras tout ce que je dirai et si tu es assez gentille, je te laisserai faire une partie sur mon ordi.
— T’es un homme mort, mes potes vont te retrouver et te feront la peau.
Baptistin lui mit la main à la gorge et serra un bon coup. Il l’embrassa sur la bouche et balada sa langue sur son visage comme un animal aveugle qui marque sa proie.
— Ne me touches pas enculé ! cria-t-elle.
Il lui mit un coup de poing dans les côtes pour lui apprendre les bonnes manières. Elle en eut le souffle coupé net.
— Faut que tu me parles meilleur. À partir de maintenant c’est moi ton petit copain, faut du respect. C’est qui tes potes… des racailles ? demanda-t-il se souvenant de la trogne du chauffeur.
— Oui, ils te buteront et foutront le feu à ta baraque avant de partir.
— Où il est ton portable ? T’en as bien un et un sac comme toutes les gonzesses non ?
Baptistin Cresson s’assura que les liens étaient solides. Il lui fourra du coton dans la bouche et la bâillonna avec un chiffon sale. Il lui palpa les poches pour voir si elle n’avait pas menti, en retira un trousseau de clés et quelques pièces de monnaie. Il se remit à bander quand sa main sèche s’attarda sur le sexe de la fille à travers le tissu du jean.
Il alla récupérer le sac de la jeune femme puis regagna la cuisine et composa le numéro de police secours. Il s’assit en attendant et entreprit d’examiner sa récolte. Le portable trouvé dans le sac indiquait plusieurs appels en absence. Il l’éteignit et le mit dans sa poche. Il y avait aussi une barrette de shit, du papier à rouler et une liasse de billets de 50 et de 20 euros. Il prit deux billets et les fourra dans la boîte en métal qui servait de caisse tirelire pour les courses et empocha le reste. Du portefeuille du mort, il extirpa un permis de conduire dont le propriétaire affichait une mine patibulaire. « Gueule de racaille », pensa-t-il. Il n’eut pas le temps de voir dans quel département était immatriculée la grosse voiture mais le permis du type indiquait un code postal en 9… sûrement une banlieue parisienne mais il était incapable de dire laquelle.
La seule fois où Baptistin était parti à la capitale, c’était il y a très longtemps. Il avait accompagné son père pour visiter la grande tante, histoire, disait le père, de se rappeler à son bon souvenir pour l’héritage car il avait entendu dire que certains Parigots crevaient seuls en léguant leur fric aux chats du quartier.
L’ambulance du SAMU arriva sur les lieux en premier. Aucune urgence, le type était bien canné. Baptistin se tenait à quelques mètres de la scène dans l’attitude du badaud qui assiste à un drame. Il ne savait pas jouer les témoins traumatisés, aussi il décida de la fermer et attendre sous la légère pluie, qu’on lui pose des questions.
Une voiture de la gendarmerie arriva. Un des pandores, sûrement le chef, s’entretint rapidement avec un des gars du SAMU. Il opina du chef à plusieurs reprises. Ils regardèrent ensemble en direction de Baptistin, imperturbable sous son ciré. Le gendarme finit par proposer une poignée de main au secouriste qui donna l’ordre de charger le mort dans le fourgon puis se dirigea vers le jeune homme.
— Vous avez vu ce qui est arrivé ?
— Non, j’ai juste entendu un fracas de tôle depuis ma chambre là-haut, répondit-il en montrant sa fenêtre de l’index.
— Mmm… ça a dû faire un sacré boucan si vous l’avez entendu de si loin avec la fenêtre fermée.
Baptistin ne répondit pas n’ayant pas perçu d’interrogation dans le ton.
— On pourrait aller chez vous pour discuter, je commence à être trempé, dit le gendarme en s’ébrouant.
— Discuter ?
— Déposition… la routine. J’ai besoin d’éléments, heure tout ça.
— Pas de souci. Elle là, c’est ma mère.
Marie fit un bref mouvement de la tête et s’écarta pour les laisser passer. Les deux hommes s’installèrent dans la cuisine. Le pandore posa son képi sur la table et sortit un minuscule calepin. Il avait les cheveux ras et une calvitie bien entamée.
— Je préfère prendre des notes à l’ancienne. Elle est pas causante votre mère, hein ?
— Pas vraiment. Elle n’a rien d’intéressant à dire.
— Alors pour résumer, la voiture arrivait selon vous assez vite, ensuite vous avez entendu le bruit du choc contre le muret. Vous avez accouru et vous avez tout de suite appelé après avoir vu que le chauffeur restait sans réaction.
— Oui.
— Y a beaucoup d’accidents par ici ?
— Tous les gens du coin savent que cette partie de la départementale est dangereuse.
— Vous n’avez pas noté d’autres trucs ?
— Non.
Au même moment, le camion de dépannage commençait à charger l’épave sur le plateau dans un gros bruit de chaîne. Le gendarme prit congé et attendit que ses collègues aient fini de vider le seau de sable orangé sur la flaque d’huile.
— Tu vois Romy, aucun problème, ils sont partis. Personne ne sait que tu es là. Il va falloir te montrer gentille avec moi.
Il commença par dégrafer doucement son chemisier sale. Voyant qu’elle voulait lui dire quelque chose, il ôta le bâillon.
— Si tu me donnes mon portable, je pourrai appeler mes copains et tu auras beaucoup d’argent.
— J’ai pas besoin de fric. Tu seras ma femme. C’est difficile la vie par ici mais tu vas t’habituer, tu verras, lui répondit-il d’un ton fiévreux.
Il avait déniché une chaîne et un cadenas solide pour l’attacher à un anneau scellé dans le mur. Au bas de celui-ci, il jeta un vieux matelas sur lequel elle s’allongea. Il prit son large poignard et la força à se retourner après lui avoir baissé le pantalon et arraché la culotte. Elle cria lorsqu’il entra en elle avec brutalité.
Deux minutes plus tard, il renifla avec gourmandise la culotte de la fille et la mit dans sa poche avant de remonter dans la cuisine se trouver de quoi manger. Il était heureux.
Le jour se levait péniblement dans la brume.
La bagnole noire s’arrêta devant la maison sans faire de bruit. Deux hommes en sortirent. Jeunes et baraqués, ils ne semblaient pas craindre de laisser paraître leurs flingues coincés à l’arrière de leurs jeans, sous la ceinture. Ils rôdaient autour de l’endroit où eut lieu l’accident.
— Police ! cria l’un des types après avoir sonné plusieurs fois de suite.
Ils entendirent une voix féminine derrière la porte.
— Bonjour madame… nous sommes à la recherche d’une jeune femme signalée disparue. Qu’est-ce qui est arrivé ici, un accident ? tenta-t-il en montrant le sable ocre par terre.
— Oui, y a eu un accident pendant la nuit, répondit Marie qui apparut dans l’entrebâillement de la porte. « Allez à la gendarmerie de Montbrun, ils vous diront… je ne sais rien d’autre ! », finit-elle par glapir en refermant.
— On vient de là-bas justement… ils ont dit que vous avez tout entendu.
La porte s’ouvrit en grand, Baptistin Cresson se tenait sur le seuil la mâchoire crispée et les yeux presque invisibles, tapis au fond de leur trou comme une bête aux abois.
— Qu’est-ce qu’elle a fait ? demanda-t-il de but en blanc.
— Euh… rien, pour le moment, répondit le flic un peu décontenancé par l’irruption de ce type au physique passablement ravagé par l’alcool. « Liberté conditionnelle… elle a oublié de pointer au commissariat comme la loi l’y oblige ».
— Nous autres on a rien vu. Ils ont emporté le mort dans l’ambulance, on a dit tout ce qu’on savait aux gendarmes.
Baptistin poussa le rideau de la cuisine pour observer le manège des deux types. Il entra dans une colère froide contre la fille et décida cette fois à tirer les choses au clair.
— Des flics sont à ta recherche ! commença-t-il en la giflant violemment. « Ils m’ont dit que t’es une taularde ? »
— En liberté conditionnelle, rectifia-t-elle
— Pourquoi t’es tombée ?
— Trafic de drogue et un peu de prostitution, dit-elle en le fixant droit dans les yeux pour lui montrer qu’elle en avait aussi. « T’es foutu trou de pine, ils savent que je suis dans le coin, ils continueront à fouiner jusqu’à ce qu’ils trouvent leur os.
— Qu’est-ce que tu foutais par ici ?
— On convoyait quelques kilos de coke par les petites routes des Alpes.
Baptistin semblait refroidi par cette histoire, il commençait à sentir poindre les emmerdements.
— Je comprends pas comment les flics ont été si rapides pour venir jusqu’ici.
— GPS trou de pine… à cause de ça.
Elle remonta son pantalon au niveau du mollet pour montrer son bracelet électronique. La vue de l’objet le mit dans une rogne noire, il reprit son poignard et tenta de l’arracher en lui tailladant sans précaution la peau. Elle hurla de douleur. Pour la faire taire, il lui administra une gifle monumentale qui la fit sombrer dans une semi-conscience.
— Arrête de m’appeler trou de pine, salope !
Marie apparut dans le cadre de la porte en haut de l’escalier. Elle avait pris le vieux fusil de chasse de son mari.
— Baptistin… Baptistin, appela-t-elle, « monte voir ! »
Les deux flics n’étaient plus là. Une autre voiture avec trois types stationna à la sortie du virage en épingle qui surplombait la maison. Mère et fils montèrent à l’étage pour observer les nouveaux arrivants. Eux n’avaient clairement pas des têtes de flics. Ils furetaient partout. L’un d’eux pénétra discrètement dans le jardin à l’arrière de la maison puis se planqua. Les mains de Marie se crispèrent sur le fusil, elle tressaillit et fit mouvement vers le bas.
— Tu vas faire quoi, vieille folle ?
— Tu vois pas qu’ils vont essayer de rentrer. Ils ont des gueules de racaille, je parie qu’ils recherchent l’autre salope en bas. Je vais les attendre derrière la porte.
Baptistin admit qu’elle n’avait pas tort sur leur ressemblance avec le chauffeur décédé. Il s’assura de son poignard, ouvrit la fenêtre et sortit en s’accrochant aux branches du grand chêne pour redescendre comme il faisait gamin pour se faire la malle.
Il se ravisa et regagna la maison en voyant surgir un fourgon noir siglé BRI qui arrivait de l’autre côté de la route. L’escadron de flics se dispersa, deux tireurs se mirent en place. Les deux flics éclaireurs, avaient repéré la topographie du lieu et le nombre de personnes vivant dans la maison, mais ils ignoraient la présence des trois voyous. La scène se mettait en place.
Baptistin descendit à toute volée jusqu’à la chèvrerie où la jeune femme essayait de tirer sur sa chaîne en vain. Constatant l’agitation de son ravisseur, elle comprit que quelque chose se préparait.
Du grabuge leur parvenait d’en-haut.
Un des complices avait réussi à ouvrir la porte, il reçut une volée de chevrotine qui transforma son visage en steak haché sanguinolent. Il tomba en arrière d’une seule pièce. Les policiers surpris, se mirent alors à tirer dans la porte en bois la réduisant en miettes. L’ordre de charger fut donné. Au même moment, les deux autres malfrats sortirent des massifs de gardénias en défouraillant. Ils furent abattus par les tireurs embusqués. Marie gisait par terre le corps déchiqueté par les balles. Sa chemise de nuit remontait sur ses cuisses flasques et des hoquets de sang moussaient dans sa bouche. Le reste de l’escadron se déploya dans la maison.
Baptistin parvint à ouvrir le cadenas de la chaîne malgré la trouille. Il se plaça derrière la fille et tout en lui tenant le cou serré avec le creux du bras gauche, menaçait de lui trancher la gorge de son poignard avec la main droite. Le flic donna un coup de pied faisant voler la porte de la chèvrerie.
— Si tu approches, je la saigne… !
Le flic recula. Après un bref échange avec le patron de l’opération, il fut convenu de laisser Baptistin sortir de la maison pour le mettre à la portée des snipers.
— Calme-toi. Nous avons préparé une bagnole dehors, le moteur tourne. Tu montes tranquillement puis tu relâches la fille en échange.
— Barrez-vous alors… !
Il rejoignit le hall d’entrée en tenant fermement la jeune femme. Il passa devant sa mère baignant dans son sang, le corps criblé de balles.
— Marie… Marie bordel ! Vous l’avez butée, enculés ! hurla-t-il fou de rage.
Il sortit sur le perron.
— Si vous avancez, je lui tranche la gorge.
Il avançait lentement, un pas derrière l’autre. Il guettait fiévreusement le moindre tressaillement autour de lui.
Soudain un camion-citerne portant l’inscription « Établissements Labauge, vidange, assainissement, fosses septiques », freina devant la maison dans un gros fracas de roues. Marcelin Labauge, le fils, descendit en sifflotant et en enfilant ses gants de travail sans lever les yeux vers la scène qui se tramait devant lui. Il cria à la volée :
— Et qui c’est qui va éponger toute la merde, hein… ? dit-il joyeusement en relevant enfin la visière de sa casquette crade.
Au même moment, le tireur embusqué fit éclater la mâchoire de Baptistin Cresson qui s’écroula aux pieds de sa fiancée d’un soir.