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Mise en avant des Auto-édités / La Bibliothèque-T3-Aimer de Pauline Deysson
« Dernier message par Apogon le jeu. 11/05/2023 à 17:17 »
La Bibliothèque-T3-Aimer de Pauline Deysson



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À la coccinelle arc-en-ciel

Chapitre 1 : La première porte

I

De hauts arbres s’élevaient autour d’elle. Des arbres au tronc si serré qu’ils formaient des murs. De longues allées brunes aux reflets verdoyants s’étendaient à perte de vue. Par endroits, dans un coin de ciel d’un azur irréel, on apercevait des arches de verre… Des arches de verre ? Au beau milieu d’une forêt ?
Émilie se retourna. Quel étrange bois ! Nul chant d’oiseau n’y résonnait, aucun souffle d’air ne venait caresser sa peau. Elle se mit à marcher. Le son de ses pas s’étouffait très vite sous l’épaisse canopée. Elle jetait de temps à autre un regard intrigué aux reflets irisés qui se devinaient au-dessus de la forêt.
Enfin, elle parvint à une bifurcation.
De quel côté tourner ?
Les chemins se ressemblaient tous, inextricable labyrinthe d’arbres et de cristal.
Un homme au visage masqué apparut dans l’allée adjacente. Vêtu d’un étrange uniforme, ses yeux gris dévisagèrent Émilie.
« Qui es-tu ? lança-t-elle.
– Je suis le Ninja gris, répondit l’inconnu, hautain.
– C’est un nom bizarre.
– Comment oses-tu ? s’insurgea l’homme. Je suis le héros d’Oméga, j’enquête sur de mystérieuses disparitions…
– Sais-tu où nous sommes ? »
Le Ninja gris regarda autour de lui.
Les mêmes arbres serrés, les mêmes arches de verre, d’autres carrefours dans le lointain.
« Ce monde n’est pas normal, soupira le Ninja.
– Partons à gauche, il y a davantage de croisements.
– La droite m’inspire davantage.
– Fais comme tu veux. »
Émilie s’engagea dans l’allée de gauche. La terre crissait sous ses pas. Une terre fine, mêlée à de minuscules graviers. Il ne lui fallut pas longtemps pour atteindre la bifurcation… Elle débouchait sur un chemin similaire aux précédents.
Émilie avança jusqu’à la prochaine intersection.
Comment des arbres pouvaient-ils pousser aussi serrés les uns contre les autres ? Elle ne parvenait même pas à glisser sa main entre deux troncs… Et ces arches transparentes, elles devaient avoir des fondations…
Elle gagna l’allée suivante.
Elle marchait de plus en plus vite.
Un nouveau croisement.
Puis un autre.
Elle commença à courir.
Impasse.
D’où venait-elle ? À force de tourner, elle avait perdu le sens de l’orientation.
Elle voulait sortir d’ici. Elle avait une vie à vivre…
La terre lui renvoyait des grincements désagréables. Elle s’arrêta pour gratter le sol du pied. Les quelques centimètres d’humus recouvraient une surface dure, trop lisse pour être de la pierre…
« C’est du verre. Oméga en est envahi. »
Accolé aux arbres, les bras croisés, le Ninja gris la fixait d’un air suffisant.
« Ce que je ne comprends pas, poursuivit-il, ce sont ces arbres. Il n’y en a pas autant dans Oméga. Ils forment un labyrinthe.
– Comment peut-on être dans un labyrinthe ? répliqua Émilie. Je n’ai aucun souvenir d’être entrée ici.
– Moi non plus.
– Il doit y avoir une logique…
– Il faut aller de l’avant ! Ce n’est pas en restant là que nous trouverons la sortie.
– Alors pars ! Pourquoi es-tu revenu me chercher ? Et comment as-tu fait pour me retrouver ?
– Je maîtrise Oméga comme ma poche. Je sais comment m’y déplacer rapidement, sans être vu.
– Dans ce cas, tu devrais avoir repéré une issue.
– C’est pour cette raison que je suis avec toi, poursuivit le Ninja sans se départir de sa suffisance. Ta présence ici est aussi anormale que celle des arbres : tu dois donc être liée à eux et à la sortie.
– D’où tires-tu autant de certitudes ?
– Je connais Oméga par cœur. Je n’y ai jamais vu une fille brune aux yeux bleus. J’ai demandé à Iris de t’analyser… Comment t’appelles-tu ? »
Les pensées d’Émilie se bousculaient. Brune aux yeux bleus ? C’était bien elle et pourtant… Pourquoi s’imaginait-elle blonde aux yeux noisette ? Que voulait dire le Ninja quand il parlait de jouer ? Qui était Iris ?
« Hé, tu m’écoutes ? l’interpella le Ninja. Je t’ai demandé ton nom !
– Qui est Iris ?
– Mon Revery, quelle question. Tu ne fais décidément pas partie d’Oméga… »
Émilie n’entendait plus. Trop d’informations luttaient pour émaner des brumes de son esprit. Un Revery… Elle était sur le point de se souvenir de quelque chose. Un élément capital. Une clé qui la ferait sortir à coup sûr du labyrinthe. Mais devait-elle partir maintenant ? N’avait-elle pas une mission à remplir ?
Trop tard. Tout lui revenait…
« C’est un rêve ! » eut-elle le temps de lancer au Ninja gris avant de disparaître.



« C’est un rêve, » murmura-t-elle au livre ouvert devant elle.
Assise à côté d’elle, une silhouette bleutée fixait les signes d’or qui en constituaient le texte. De sa main transparente, elle tourna une page.
Quelques secondes s’écoulèrent.
Une autre page.
Peut-on mesurer le temps dans un lieu où il n’existe pas ?
Une nouvelle page.
Une âme rêvait, et Émilie ne parvenait pas à l’accompagner. Une âme qui s’imaginait en Ninja gris et ne savait pas qu’elle lisait, une âme qui oublierait ce rêve comme tous ses autres songes, à l’inverse d’Émilie qui s’incarnait au milieu de ces pages comme dans une vie réelle. Chaque départ de la Bibliothèque représentait un changement d’univers auréolé d’oubli ; chaque retour symbolisait la fin d’une vie.
« Comment es-tu sortie ? »
Une femme à la longue tresse noire striée d’argent venait de la rejoindre, un livre à la main. Les yeux clairs de la Bibliothécaire la regardaient avec bienveillance. C’était la troisième fois qu’Émilie échouait à rêver avec une âme.
« C’est toujours la même chose. À chaque fois qu’ils mentionnent leur Revery, tout me revient. Je suis dans le labyrinthe, l’esprit vide, plus ou moins près d’eux. Nous comprenons que nous sommes piégés, ils appellent leur Revery au secours. Je pense à mon Revery, à la fleur de lys, à la Bibliothèque, je me souviens que c’est un rêve. Je n’arrive pas à rester dedans tandis qu’eux continuent l’histoire… »
Comme pour la narguer, l’âme tourna la page qu’elle était en train de lire.
« Pourquoi ? dit Émilie en se levant rageusement. Pourquoi ne puis-je pas rêver en étant consciente de l’existence de la Bibliothèque ? À ce rythme, je ne serai jamais prête à combattre Jean…
– Je repousserai Jean autant de fois qu’il le faudra. »
Émilie resta muette. Ses cheveux blond cendré, coupés à la garçonne, lui effleuraient les yeux sans dissimuler son regard noir.
« Je sais que tu as du mal à me faire confiance, reprit la Bibliothécaire. Mais vois ce que tu es devenue ! »
Émilie fixa Antonie sans comprendre.
« Ton âme a considérablement grandi. Ton apparence est celle d’une jeune fille de vingt ans, proche du summum de ses potentialités. Depuis ton retour d’Alma, tu as l’impression d’avoir tout perdu. Tu traverses pourtant le seul chemin menant à l’arme capable de t’aider contre Jean… Toi-même.
– J’en ai assez ! Assez de souffrir aveuglément pour un combat qui n’est pas le mien. D’abord vous écrivez pour moi un livre merveilleux où je sauve le Technomonde grâce à la magie, ensuite vous m’envoyez sans aucun avertissement dans un autre rêve inspiré du passé, où je suis vouée à perdre une guerre que je ne peux pas empêcher. Non contente de manipuler mes émotions sous le prétexte de faire de moi une Bibliothécaire, vous permettez à Jean d’entrer dans mon livre. Vous le laissez posséder mon âme. Et tout cela pourquoi ? Parce qu’en plus d’abandonner tous mes idéaux, il était important que je sache quelle menace votre ancien apprenti représente. Vous jouez avec moi ! À présent, vous m’envoyez rêver dans un troisième livre avec des inconnus. Vous prétendez que cela me permettra d’aller de l’avant, mais vous refusez de tout me dire ! Souffrir n’est pas suffisant, il faut que je progresse par moi-même pour devenir un jour capable de vaincre Jean à votre place… J’en ai assez !
– Ta rencontre avec Jean n’a pas été un choix prémédité. Il est entré dans la Bibliothèque en se servant d’un rêveur et je n’avais pas la force de le repousser : j’ai dû prendre des risques à tes dépens et j’en suis désolée. La voie du Bibliothécaire n’est jamais facile : je suis passée par les mêmes désillusions que toi. Tu crois que je t’utilise ; c’est faux. Ta venue ici a été motivée en partie par mon désir de vaincre Jean, mais cela ne doit pas être ton principal objectif. Anéantir celui qui fut mon apprenti est une nécessité, non une fin en soi. C’est le seul moyen pour toi de lire et de faire rêver les âmes en toute quiétude.
– Et si je ne veux pas vivre plusieurs vies ? Si je souhaite retourner dans le Technomonde ?
– Si tu le désirais vraiment, tu serais déjà partie. Gagne le centre du labyrinthe et tu obtiendras les réponses que tu attends.
– Je n’arrive pas à vous faire confiance. Comment puis-je progresser si vous me cachez une partie de la vérité ?
– Cette découverte doit être la tienne. Tu m’as reproché de tout prévoir, de te manipuler : cette fois, ce n’est plus le cas.
– Vous décidez ce que je dois lire et avec qui je dois rêver. Je ne suis jamais seule. Je ne suis jamais libre.
– C’est le dernier livre que je choisis pour toi. Parviens au centre du labyrinthe et tu liras ce que tu voudras. Je te le promets. »
L’amertume d’Émilie était palpable.
« Cela ne marche plus, trancha-t-elle. Les obstacles ne me poussent plus à avancer. Je ne sais même pas pourquoi je m’acharne à entrer dans ce livre.
– Parce que tu es curieuse. En dépit des épreuves que tu as traversées, tu as toujours soif de connaissances. »
Émilie garda longtemps le silence. Pouvait-elle avoir foi en cette nouvelle promesse ? Les mots avaient perdu leur pouvoir. Elle aurait pu quitter la Bibliothèque… Pour aller où ? Elle avait peur. Peur d’elle-même. Peur d’être poursuivie et dominée par Jean. Peur de ce qu’elle serait prête à faire pour se libérer.
« Très bien, lâcha-t-elle enfin. J’accepterai de suivre vos conseils une dernière fois.
– Je te remercie.
– Cela ne signifie pas que je vous pardonne.
– Je comprends. »
Résolution et regret se partageaient le regard d’Antonie. Émilie la fixa, gravant dans son cœur ce pacte tacite. Il lui fallut un long moment pour accepter cet état de fait, et revenir au problème qui la préoccupait.
« Pourquoi m’imposez-vous d’accompagner des rêveurs ?
– Les âmes, qu’elles te ressemblent ou qu’elles s’opposent à toi, t’obligent à te poser des questions. Elles préviennent l’enfermement et la stagnation ; elles t’aident à progresser dans le labyrinthe et à maîtriser tes pouvoirs. Apparais-tu systématiquement au même endroit ?
– Non, bien sûr. Vous m’avez demandé d’imaginer un dédale différent à chaque fois, pour que Jean ne perçoive pas ma présence à travers les rêves.
– En effet. Il ne faut pas que plusieurs personnes rêvent dans un cadre identique ou te rencontrent sous la même forme. À travers leur Revery, Jean finirait par repérer cette anomalie et saurait où te trouver…
– Sans compter qu’il tuerait probablement les rêveurs concernés. Vous me l’avez assez dit, j’ai bien retenu la leçon… Toujours créer un nouveau labyrinthe et changer d’apparence à chaque tentative. Cela ne répond pas à ma question !
– Le labyrinthe s’est-il déjà matérialisé comme que tu l’imaginais ?
– Non. Pendant quelques secondes, tout au plus… Le temps pour l’âme d’entrer dans le rêve… »
Émilie s’interrompit.
« Vous voulez dire que… Ces ajouts bizarres viendraient des rêveurs ? Je croyais avoir mal pensé…
– À quoi t’attendais-tu et qu’as-tu vu à la place ?
– J’ai souhaité une forêt ; des arches de verre surplombaient les arbres. Avec le deuxième rêveur, j’ai imaginé des haies mais les buissons contenaient des piles de vêtements. Et la première fois… J’ai pensé à des briques qui se sont recouvertes d’icônes Revery. Est-ce parce que le rêve se plie en même temps à l’âme et à moi ?
– Exactement. Plus ce que tu imagineras sera flou, plus tu laisseras d’amplitude à la vision des âmes.
– Et après ? Je n’ai pas accès à leurs souvenirs. Seulement à ce qu’elles inventent. Quand je les questionne sur leur passé, elles m’ignorent et ne parlent que de trouver la sortie du labyrinthe.
– Essaie de les suivre.
– Comment faire pour ne pas me réveiller ? Dès qu’elles mentionnent le Revery, je quitte le rêve. »
Le regard évasif, Antonie laissa mourir l’écho de la voix d’Émilie avant de lui répondre.
« Pour moi, c’était le vol.
– Que voulez-vous dire ?
– Parcourir le ciel en flottant, comme les dieux et les héros. J’adorais ça. À chaque fois que j’entrais dans ce livre, je volais pour m’échapper du labyrinthe. Quand l’excitation de la réussite ne me faisait pas perdre cette incroyable faculté, les murs s’élevaient en même temps que moi. Ou bien j’avançais vers un obstacle précis que quelqu’un ou quelque chose me retenait toujours d’atteindre. La frustration finissait par m’éveiller. J’avais beau avoir déjà rêvé auparavant, j’étais comme une enfant. En revenant dans la Bibliothèque, je découvrais que le vol n’avait été qu’un rêve… Lasse de ces échecs, j’ai décidé d’associer irrémédiablement le vol au rêve. Pour ne plus éprouver cette immense déception en sortant du livre. Au début, ce fut un fiasco. Quand je m’envolais, le souvenir du rêve luttait aussitôt pour refaire surface : alors, je me retrouvais dans la Bibliothèque, tout comme toi.
– Êtes-vous arrivée au centre du labyrinthe ?
– J’ai persisté, avec acharnement. Le Bibliothécaire m’incitait à abandonner cette obsession pour me concentrer sur le labyrinthe. Mon désir était trop intense… Après plusieurs tentatives infructueuses, j’ai fini par mêler si bien le vol au rêve que, à peine décollée du sol, je prenais conscience de la Bibliothèque, sans pour autant m’éveiller. Je suis devenue capable de m’envoler à volonté. J’ai cessé de nager la brasse à travers les airs, ou de faire de grands sauts : je me suis imposé de voler par la seule force du regard et j’ai parcouru des paysages incroyables. J’ai appris à interpréter les symboles de sorte à créer des panoramas sans cesse renouvelés, allant jusqu’à emplir les trois dimensions. Voler semblait tellement impossible dans ma réalité qu’il m’a fallu beaucoup d’efforts pour rendre ce geste vraisemblable, facile, comme s’il avait toujours fait partie intégrante de mon quotidien.
– Vous aviez un désir. Je n’en ai aucun.
– Tu dois chercher en toi la clé qui te permettra de prendre conscience du rêve et de ton pouvoir sans te réveiller. Trouve un autre souvenir auquel associer le Revery : une évocation qui sera une invitation au rêve. »



Des centaines de silhouettes bleutées se pressaient autour de la Bibliothécaire et de son apprentie. Grandes, petites, belles, laides, filiformes, épaisses, on discernait sur leur visage une paire d’yeux blancs. Bien que certaines se ressemblent, aucune n’était parfaitement identique à sa voisine. Au premier regard, la Bibliothécaire savait quel rêve leur conviendrait : dans sa main apparaissait le livre dont le rêveur avait besoin.
Quand Antonie lui fit signe, Émilie conduisit l’âme qu’elle lui désignait parmi les tables et tourna l’angle pour ne plus voir la porte. Il s’agissait d’une âme de petite taille aux yeux écarquillés. Probablement une enfant, songea Émilie alors qu’elle se remémorait les explications de la Bibliothécaire :
« Même si l’apparence des âmes reflète leur être véritable et non leur physique terrestre, les deux sont inextricablement liées. L’âge des hommes sur Terre influence leur perception d’eux-mêmes et du monde. Une petite âme peut appartenir à un enfant, ou à un adulte qui se considérerait comme inférieur aux autres. Pour savoir qui se tient devant toi, observe et vide ton esprit. »
 Émilie s’installa à côté du rêveur et ouvrit son livre. Ils posèrent ensemble le doigt sur le premier signe du rêve.
Un labyrinthe.
Quelle apparence adopter, cette fois ? Émilie peinait à s’imaginer autrement. Jusqu’à présent, elle s’était contentée de modifier ses yeux et ses cheveux, indifférente à l’effort que lui demandait Antonie.
Elle ne ressemblait à rien. Elle ne se projetait dans aucun personnage avec assez de force pour désirer s’y incarner. Une chose informe, voilà à quoi se réduisait son âme… Une masse incolore et terne, dégoulinante, possédant tout juste un visage. Telle serait sa prochaine apparence.
Lorsqu’elle eut une image nette de son futur aspect, Émilie se plongea dans le labyrinthe. Peu lui importait le décor du dédale.
Elle s’imagina, intacte sous sa carapace flasque. Elle se voyait quelque part dans une allée. L’éclat déclinant du crépuscule, une odeur rappelant l’humus, la mousse verdoyante sur les pierres grises…
Il n’y avait qu’elle. Dans le labyrinthe.

Émilie ouvrit les yeux. De hauts murs l’entouraient. Des murs anciens, envahis par le lichen et tapissés de symboles lumineux. Des symboles lumineux… Quand elle tendit la main pour les toucher, Émilie s’aperçut qu’elle n’avait pas de doigts. Ce qui lui faisait office de bras se terminait en moignon informe. Elle était recouverte d’une substance grisâtre, qui se répandait en gouttes molles lorsqu’elle bougeait. Pourtant, elle avait l’impression d’être elle-même. Si elle se concentrait, elle parvenait à remuer les doigts ; cachée sous cette carapace flasque, elle demeurait inchangée. Elle se sentait ridicule.
Et ces symboles… Celui qu’elle s’apprêtait à palper ressemblait à un gâteau aux fraises. Très coloré, il n’était pas gravé sur le mur comme elle l’avait d’abord cru. Il… Brillait. Par-dessus les pierres. Lorsqu’elle voulut le toucher, son moignon passa à travers ; elle sentit confusément la roche froide et humide. Elle se retira ; une tâche grise témoignait de sa tentative.
« Qui es-tu ? »
Une femme aux formes généreuses se tenait à côté d’Émilie. Vêtue d’un costume blanc près du corps, une grande cape rouge flottait derrière elle. Ses longs cheveux bouclés, animés d’une vie propre, se mouvaient autour de sa tête sans le secours du moindre souffle de vent.
« Tu es vraiment bizarre ! s’exclama l’inconnue. Tu ressembles à un monstre mal fagoté… Toi aussi tu joues à Hero Star ?
– Quoi ?
– Hero Star. Tu sais, ce jeu où on peut se transformer en superhéros et devenir des stars ! Mop vient de me le faire découvrir.
– Mop ?
– Je m’appelle Nao 9, et toi ?
– Émi… »
Non. Elle ne devait pas révéler son vrai nom.
« Émi 0.
– J’ai essayé de voler pour sortir d’ici mais ça ne marche pas, les murs grandissent en même temps que moi. Mop pense qu’on est dans un labyrinthe bionique… Tiens, le voilà qui arrive ! »
Une boule noire de la taille d’un poing vint flotter près de la tête de Nao 9.
« Mop, je te présente Émi 0.
– Enchanté ! »
Mop parlait d’une voix de garçon, enthousiaste, un soupçon métallique.
« Allons par ici ! reprit Nao 9. Peut-être qu’à trois on aura plus de chances de trouver la sortie. »
La jeune femme dégageait une énergie contagieuse. Comment pouvait-elle marcher avec des talons aussi hauts ? Et qu’était Mop exactement ?
« Vous avez vu les murs ? lança Nao 9. On dirait des icônes de Cook and Shop ! Quand je les ai touchées, il ne s’est rien passé…
– J’ai exploré la deuxième allée, poursuivit Mop. Je n’ai rien trouvé à part d’autres chemins.
– N’as-tu pas la carte de cet endroit ?
– Peut-être faut-il la débloquer. Je n’ai aucun réseau auquel me connecter…
– Je vais essayer de m’envoler encore une fois. »
D’un saut dynamique, Nao 9 se propulsa vers le ciel. Au milieu des ors du crépuscule, Émilie ne discernait plus que sa cape vermeille et sa crinière blonde. Elle avait depuis longtemps dépassé la hauteur apparente des murs.
Lasse d’attendre, Émilie emprunta une route adjacente. Mop vint flotter devant elle.
« Où vas-tu ? Nao n’est pas revenue !
– Elle aurait déjà dû franchir les parois. Ce labyrinthe n’est pas normal ; je veux l’explorer. Regarde le ciel ! On ne voit même pas le soleil pour s’orienter… »
Dès qu’elle redescendit, Mop se précipita vers Nao.
« Les murs montent avec moi, rien à faire… Le soleil ? Maintenant que tu en parles, j’ignore où il est. Quelle heure est-il ?
– La nuit va bientôt tomber, commenta Mop. Je ne sais pas vous, mais ça donne faim.
– Tu as raison ! lança Nao. Je vais nous préparer un bon gâteau. Démarre le jeu, Mop ! »
La grosse perle noire s’exécuta. Les icônes sur les murs s’illuminèrent ; les échos d’une musique sucrée résonnèrent dans les allées.
Nao 9 touchait les dessins à une vitesse impressionnante.
« Fruit ! »
« Crème ! »
« Sucre ! »
« Bonus temps ! »
Lorsqu’elle posait sa main sur une icône en claironnant son nom, celle-ci s’illuminait.
La musique s’accélérait, obnubilante ; Mop encourageait Nao en sautillant dans les airs.
Émilie voulait fuir et se boucher les oreilles, mais l’énergie de Nao la clouait sur place.
Quand elle s’écarta enfin du mur, les symboles s’étaient rassemblés en un gigantesque gâteau chocolat-fraise, aux couleurs criardes et à la forme parfaite.
« À table ! déclara Nao.
– Félicitations, tu as gagné 2500 points ! » renchérit Mop.
Émilie ferma les yeux. Elle ne supportait plus cette musique. Elle aussi, il y a très longtemps, avait clamé ces noms. Incapable d’obtenir plus de 200 points… Elle revoyait ses mains. Non, elle n’avait plus de mains… La mélodie cédait la place aux échos de voix d’enfants…
« Regardez ! »
Le cri de Nao ramena le silence.
Un homme se dirigeait vers eux. Un individu grand et frêle, vêtu d’une armure moderne aux reflets verdoyants, les cheveux coiffés en pointe au sommet de sa tête. Les lèvres fines, l’air sournois, il s’immobilisa non loin d’eux.
Nao le rejoignit, entraînant Émilie et Mop dans son sillage. Sa cape et sa chevelure se mirent à flotter de plus en plus rapidement autour d’elle. L’inconnu les fixait sans dire un mot. Émilie était persuadée d’avoir déjà vu ce visage…
« Viper ! s’exclama Nao. Que fais-tu ici ? »
L’homme afficha un sourire méchant.
« Je ne te laisserai pas passer, May. Tu es à moi, tu le sais bien. »
May ? Viper ? Émilie fut parcourue d’une décharge électrique.
« Les personnages d’Amour impossible, murmura-t-elle.
– Aide-nous, Émi 0 ! lança Mop. Nous devons vaincre Viper, sinon il enlèvera May !
– Je…
– Ne me touche pas ! »
Viper tentait d’emmener Nao de force. Mais était-ce bien Nao, cette fille en robe de métal argenté, à la coiffure étrange ? Où se trouvait l’héroïne capable de s’envoler ? Alors qu’Émilie fixait la scène, Mop se précipita au secours de celle qui ressemblait désormais à la princesse May.
« Lâche-moi !
– Laisse-la tranquille, grosse brute ! Aide-nous, Émi 0 !
– Hors de mon chemin, sale Revery ! »
D’un grand coup de poing, Viper projeta Mop contre le mur.
Revery. Émilie le savait, le mot lui brûlait les lèvres depuis le début… Mop, Viper, Nao 9, tout ce qu’elle venait de vivre…
« C’est un rêve ! »
Son exclamation ramena le silence sur le labyrinthe. Nao, Viper et Mop se figèrent.
Près d’Émilie, une pierre tomba du mur. À travers, elle apercevait une autre allée.
Une deuxième brique la rejoignit.
Puis une troisième.
Les icônes de Cook and Shop s’éteignaient…



« Encore raté. »
Émilie ne s’adressait à personne en particulier. L’âme à côté d’elle poursuivait son rêve ; le premier chapitre touchait à sa fin.
Si près du but…
« Tu es allée plus loin que d’habitude. »
Émilie ne contredit pas Antonie. Jamais elle n’était arrivée aussi près du deuxième chapitre.
« Le Revery m’a encore fait sortir, commenta-t-elle. Et cette fois… Quelqu’un nous a rejoints. Un personnage d’une série que je regardais dans le Technomonde. Une histoire que Nao… Que cette âme connaît.
– S’est-il produit autre chose ?
– Je l’ai suivie. Nao. D’habitude, je vais de mon côté. Mais elle… Elle m’a obligée à l’accompagner.
– As-tu résisté ?
– Non. Son Revery est apparu. Elle a essayé de voler hors du labyrinthe, puis Viper est arrivé. Elle jouait à Cook and Shop. Sur les murs. »
Émilie se tut. Elle avait la désagréable impression qu’Antonie lisait dans ses pensées.
« Vous l’avez choisie pour cette raison, n’est-ce pas ? reprit-elle. Nao. Vous saviez qu’elle partageait certains souvenirs avec moi.
– Elle ressemble à ce que tu aurais pu être si tu avais accepté le Revery. J’ai voulu t’aider à associer cet objet à d’autres réminiscences.
– C’était une bonne idée… J’ai progressé dans le labyrinthe. »
Émilie fixa froidement Antonie.
« C’est Nao qui a fait apparaître Viper. Il n’était rien de plus qu’une émanation d’elle.
– Détrompe-toi, répliqua Antonie. Tu viens de rencontrer un gardien.
– Un gardien ? Qu’est-il censé protéger ?
– La première porte du labyrinthe.
– Pourquoi ne l’ai-je jamais vu auparavant ?
– Tu n’as pas laissé le temps au rêveur qui t’accompagnait de révéler ses forces.
– Que voulez-vous dire ?
– Lis mieux. Analyse les formes que prend le labyrinthe. »
Émilie resta silencieuse. Elle ne savait pas quelle attitude adopter auprès des rêveurs. Lorsqu’elle était reine d’Alma, elle avait tué un homme de ses mains. Elle avait vu des êtres chers torturés, défigurés, assassinés. Ses actions irréfléchies avaient entraîné la perte de milliers d’innocents. Peu importait que les morts soient de papier : ils avaient ouvert dans son cœur une plaie bien réelle. Elle se méprisait et dédaignait la nature humaine qui l’avait conduite à de telles extrémités.
Le tempérament simplifié des rêveurs les rendait plus étranges et incohérents que les personnages. Aucun jusque-là ne lui avait apporté quoi que ce soit. Réels, ils se caractérisaient par l’incohérence de leurs univers : habituée à la logique des songes en solitaire, Émilie ne parvenait pas à cohabiter avec leur imaginaire disparate et imprévisible. Comment réagiraient des êtres aussi fantasques si elle laissait libre cours à sa mémoire ? Resteraient-ils imperméables à sa réalité ?
« Puis-je montrer aux âmes mes anciens rêves ? finit par lâcher Émilie. Avalon, les sirènes, les fées… Alma.
– Tu peux utiliser sans danger les souvenirs de ton premier rêve. Les créatures que tu y as rencontrées sont présentes de manière à peine déguisée dans de nombreux jeux vidéo et films ; si les âmes les nomment autrement que toi, leur surgissement dans un rêve n’a rien d’invraisemblable. Cependant, méfie-toi de ton deuxième rêve. Jean pourrait reconnaître des lieux ou des personnes. Je sais que cela représente une difficulté supplémentaire…
– Sans Jean, tout aurait été différent.
– La connaissance de soi nécessaire à la maîtrise du rêve est une voie semée d’embûches et de souffrance, répliqua Antonie. Les peurs et les faiblesses que nous apprenons à affronter sont inhérentes à notre humanité. Jean accélère et accentue un cheminement que la Bibliothèque t’oblige à suivre.
– Un être humain normal ne peut vivre autant de vies. Il perdrait son identité.
– C’est pourquoi il est essentiel que tu atteignes ton être véritable. Ainsi, tu pourras rêver sans oublier qui tu es…
– Et vaincre Jean.
– C’est un objectif secondaire. »
Secondaire… Pour Émilie, triompher de celui qui l’avait poussée à assassiner un homme de sang-froid constituait une priorité.
« Puis-je leur parler de moi ? Aux rêveurs. Puis-je leur raconter… Ce que j’éprouve ?
– Bien sûr, si tel est ton souhait. Veille simplement à ce qu’ils ne connaissent pas ton nom…
– Et ?
– Prends garde à l’intensité de tes sentiments. Si tu leur ouvres trop ton cœur, tu les marqueras, comme Mélisande t’a marquée dans ton premier rêve. Ils se souviendront de toi à leur réveil, se remémoreront ta présence à défaut de voir ton visage, ils partageront avec leur Revery ce songe où ils ont éprouvé des émotions inhabituelles. »



Quand Émilie ouvrit le livre, elle regarda avec plus de vigilance le symbole du labyrinthe et se remémora les formes qu’il avait prises. Haies, arbres, briques, pierres, une caractéristique commune reliait-elle ces dédales ?
« Ils sont faits de matière naturelle, mais le symbole ne l’exige pas, pensa-t-elle. Les rêveurs y ont inséré des fragments de jeux vidéo… »
Un détail dans le premier signe du rêve retint son attention. Labyrinthe, clamait l’icône à l’intérieur du triangle. Concentrée sur ce dessin, Émilie n’avait jamais remarqué le deuxième signe superposé au symbole, qui saturait pourtant l’ensemble du texte : un lieu où l’on se sent bien. Comment pouvait-on être à l’aise dans un dédale aussi gigantesque ?
Cependant, Émilie ne pouvait le nier. Depuis le début, elle avait transposé dans le labyrinthe des environnements qu’elle aimait.
Si elle laissait l’âme à côté d’elle concevoir l’intégralité du dédale, que se produirait-il ? Perdue dans le Technomonde, irait-elle plus facilement de l’avant ?
Émilie commença par s’imaginer elle-même. Elle-même, sous une nouvelle carapace… Une armure ferait l’affaire. Une cuirasse noire, légère comme un vêtement et aussi résistante que la pierre.
Où ? Dans un labyrinthe carrelé. De grandes dalles claires veinées de gris, au contour doré… Elle voyait ce sol. Accroupie, elle pouvait presque le toucher…

Un carrelage blanc s’étendait devant elle. Frais et lisse, elle le caressait de la main quand son regard fut attiré par les murs. Des parois couvertes d’images se dressaient à perte de vue. Lorsqu’elle s’approcha, elles s’animèrent… C’était un miroir ! Une glace infinie sur laquelle brillaient des photos rondes. Des visages. Femmes, hommes, enfants, des dizaines de milliers de portraits se succédaient, dessinant des couloirs aux briques étranges. Tous montraient des personnes à l’apparence remarquable. Tatouages, piercings, maquillage, lèvres et nez déformés, peau tirée, en dépit d’une notion très relative de la beauté, chaque individu arborait l’expression de quelqu’un qui se présente sous son meilleur jour.
« Miroir est mon réseau préféré. »
Il fallut quelques secondes à Émilie pour apercevoir les deux grandes bulles qui flottaient non loin d’elle. L’une représentait un homme aux yeux bridés, assez jeune malgré ses cheveux d’un blanc de neige. L’autre ressemblait à une girafe à lunettes.
« Je m’appelle Cheng, et toi ? »
La question émanait de l’homme. La voix correspondait à son image : douce, à la fois mature et enjouée.
« Je suis Émi… Émi 6. »
L’autre bulle éclata d’un rire froid.
« Tu ne peux pas t’appeler comme ça ! On dirait un pseudonyme à la Hero Star… Sur Miroir, nous interdisons les chiffres dans les noms. Chacun doit se montrer sous sa véritable apparence, avec son vrai nom ! D’ailleurs… Ton armure n’est pas autorisée non plus. Les Divêtis n’en fabriquent pas.
– Lisham, ne sois pas désagréable, intervint la bulle qui s’appelait Cheng. Tout le monde est le bienvenu sur Miroir. »
La bulle girafe ne daigna pas répondre.
« Ne fais pas attention à lui, reprit Cheng. Tu peux bien rester Émi 6… Mais Lisham n’a pas entièrement tort. Miroir privilégie l’apparence et les rapports humains sincères. Nous n’acceptons pas les photos fantaisistes et les noms non enregistrés dans le Répertoire Universel. »
La photo de Cheng ne bougeait pas lorsqu’il parlait. Émilie ne s’habituait pas à cette voix désincarnée. Son reflet noir renvoyé par les murs lui donnait le vertige ; elle s’appuya contre un des visages imprimés sur le miroir.
« Bonjour ! Je m’appelle Kashua, j’aime jouer à Mega-beauty et mon film préféré est D’amour et de larmes. J’ai rejoint Miroir parce que je veux être appréciée pour ce que je suis ! Et toi, qui es-tu ? »
Émilie fit un bond en arrière ; Lisham émit un ricanement narquois.
« Que t’arrive-t-il, Émi 6 ? demanda Cheng. Pourquoi ne contactes-tu pas Kashua ? Son message d’accueil a l’air engageant, elle doit être adorable ! Que ses rêves se réalisent. »
L’entrain de Cheng accrut l’incrédulité d’Émilie. Il flotta quelques instants devant elle, guettant vainement sa réponse.
« Je sais ! s’exclama-t-il. C’est ton armure qui te rend si distante. Il faut t’en débarrasser ! Sois toi-même, Émi 6. Garde ton vrai nom et cesse de vouloir te défendre. Tu ne crains rien dans le Technomonde !
– Même si tu es une inapte, les CASS te remettront sur le droit chemin. »
Alors qu’il prononçait ces mots, Lisham donnait l’impression de sourire. Émilie l’ignora. Des souvenirs cherchaient à refaire surface ; l’un d’eux lui échappa avant qu’elle ait pu le retenir.
« Je t’ai déjà vu, lança-t-elle à Lisham. Y a-t-il d’autres girafes à lunettes dans le Technomonde ?
– C’est une icône de Retrouve-moi, intervint Cheng. Viens, je t’expliquerai pendant que nous explorons Miroir ! »
Émilie suivit Cheng alors qu’il bifurquait dans une nouvelle allée, elle aussi couverte de photos.
« Retrouve-moi est l’exact opposé de Miroir, disait-il. J’organise souvent des événements entre les deux. Sur Miroir, tu n’as pas le droit de mentir, tu dois paraître tel que tu es. Sur Retrouve-moi, chaque inscrit doit choisir entre dix avatars pour créer son profil ; la girafe à lunettes est l’un d’eux.
– Si tout le monde se ressemble, comment repérer ses amis ? demanda Émilie. Le principe des réseaux sociaux n’est pas de discuter une fois avec quelqu’un d’impossible à retrouver.
– Justement ! Sur Retrouve-moi, les échanges sont basés exclusivement sur les centres d’intérêt de chacun. Ce réseau permet une personnalisation maximale ! Par exemple, si tu aimes les films, tu dois préciser le registre, mais aussi le sous-genre et tes protagonistes favoris. Il n’y a pas deux individus sur Retrouve-moi qui aient exactement les mêmes affinités ! N’est-ce pas extraordinaire ? »
L’exaltation permanente de Cheng donnait à Émilie une furieuse envie de le contredire.
« Extraordinaire, c’est le mot, répliqua-t-elle. Encore faut-il avoir le loisir d’écouter les milliers d’heures d’enregistrement où chacun expose ses préférences dans le moindre détail…
– Je n’y ai jamais passé longtemps. Lisham repère les spécificités de chacun en quelques secondes.
– Quel genre d’événement organises-tu entre Miroir et Retrouve-moi ? voulut savoir Émilie.
– Des rencontres. C’est toujours très drôle d’observer les participants en train d’essayer de se reconnaître. Des concours aussi : c’est à celui qui identifiera le premier un membre de Retrouve-moi sur Miroir.
– Autrement dit, au premier qui fera le lien entre les centres d’intérêt de quelqu’un et son apparence…
– Exactement.
– L’aspect des gens ne reflète pas nécessairement leurs goûts.
– Bien sûr que si.
– Prends mon cas. Je porte une armure mais ce n’est pas pour me défendre. J’aimerais que tout le monde soit heureux.
– Facile, intervint Lisham. Ton armure sert justement à te protéger du malheur que certains inaptes t’ont apporté par le passé. Tous les débutants ont droit à ce genre de question avant de devenir salariés !
– Vas-y, raconte, proposa Cheng. De quoi ou de qui veux-tu te préserver ?
– De personne.
– Refoulement classique ! commenta Lisham. Le contraire m’aurait étonné. »
Ils bifurquèrent dans une nouvelle allée. Émilie s’observait du coin de l’œil, reflétée à l’infini dans les miroirs tapissés de photos. Ce mouvement perpétuel lui donnait une légère nausée ; il lui semblait que tout le labyrinthe avançait à son rythme.
Cheng vint flotter devant ses yeux : il avait délaissé sa forme de bulle pour adopter une apparence humanoïde.
« Nous sommes tes amis, Émi. Nous voulons t’aider. Nous souhaitons que tes rêves se réalisent. »
Il s’assit sur son épaule.
« Si tu commençais par nous donner ton vrai nom ? »
Cheng transpirait la sollicitude. Émilie, à la croisée de l’exaspération et de l’amusement, peinait à déterminer ce qui lui déplaisait le plus chez cet étrange personnage.
« Moi, je dis qu’elle était amoureuse, lança énergiquement Lisham. Mais ça n’a pas marché. »
Émilie resta muette.
Amoureuse.
Le mot provoquait en elle un lent tumulte. L’amertume, la tristesse, l’horreur, un flot d’images l’envahissait, chacune en appelant une autre, un homme blond aux yeux verts, la déchirure dans son cœur, la douleur, le monde autour d’elle disparaissait.
Cheng se posa devant elle, grandit encore. Il grandit, jusqu’à atteindre la taille d’un adulte, au visage identique à celui de la bulle. Un visage qui bougeait en parlant : ce n’était plus une photo.
Des larmes traversaient l’armure d’Émilie…
« Que s’est-il passé ? dit-il d’une voix grave.
– Je l’ai tué. »
Les mots résonnèrent dans le labyrinthe. Ils ouvrirent une porte en Émilie : une fois les premiers échappés, elle ne pouvait plus retenir les autres.
« Je l’ai tué, répéta-t-elle. Je lui ai planté un couteau dans le cœur. Il a assassiné et torturé des milliers de personnes. Je l’ai tué, après l’avoir aimé. J’ai suivi mon pire ennemi, j’ai adopté ses idéaux alors que je croyais être libre. J’ai été trahie par quelqu’un en qui j’avais confiance. J’ai peur de moi-même, peur des autres, peur de tout. Je me sens manipulée, stupide, inutile, incapable. Je ne sais plus ce qui est bien ni ce qui est mal. Je ne sais plus ce que je recherche ni même qui je suis. Une apprentie perdue dans un dédale miroitant ? Une arme insipide destinée à sauver un monde qui n’est ni le meilleur ni le pire ? Je suis seule. Personne ne peut me répondre ou me guider. »
Cheng et Lisham restèrent muets. Leurs silhouettes se reflétaient confusément sur les dalles blanches imaginées par Émilie. Souvenir d’un autre temps, d’une autre illusion.
« De quel jeu parles-tu ? demanda faiblement Lisham.
– Ce n’est pas un jeu, c’est la réalité !
– C’est impossible, affirma Cheng. Ton histoire ne peut pas avoir eu lieu dans le Technomonde. Tu n’imagines pas le nombre de personnes qui s’immergent tellement dans les jeux qu’elles finissent par ne plus les différencier de la réalité. Le plus souvent, c’est bénéfique, cela leur permet de vivre leurs rêves. Malheureusement, certaines se transforment en inaptes. »
Émilie sentit la colère monter en elle. Ce qu’elle avait traversé, un jeu ? Une simple illusion cousue de pixels ?
Non.
C’était beaucoup plus que cela.
Parmi les myriades d’images tourbillonnant dans son esprit, l’une d’elles s’imposa lentement. Le souvenir d’une vie où elle avait convaincu les habitants du Technomonde d’une autre réalité. Une réalité teintée de regret, bien plus prodigieuse que cette souffrance à fleur de peau.
« Ce n’est pas un jeu, répéta Émilie en haussant la voix. J’ai gouverné un royaume, j’ai mené une guerre et j’ai perdu. Mais j’ai aussi sauvé le Technomonde. Avant, il y a longtemps. Les gens étaient comme toi, ils refusaient de me croire : je les ai convaincus. Nous les avons tous fait changer d’avis. Suis-moi et je te le prouverai, ici même, dans Miroir. »
Émilie s’élança. Redevenu photo, Cheng la poursuivit.
Dans sa course jaillissaient toute sa colère et sa frustration. Droite, gauche, tout droit, gauche, gauche, droite, pas une fois elle ne tomba sur une impasse. Peu importait le chemin : les créatures qu’elle cherchait se trouvaient au bout, ces ignorants les verraient bientôt. Un rayon vert se refléta dans les couloirs du labyrinthe. Les noms, les visages, les formes lui revenaient. Au prochain virage, ils apparaîtraient devant elle… Il ne pouvait en aller autrement.
Émilie courait, et faillit les percuter.
Un homme aux jambes de bouc l’évita en maugréant. Une femme d’une trentaine de centimètres avec de grandes ailes de papillon dans le dos s’envola à leur approche. Un petit être chauve et pâle roula sur le côté.
« Attention, tu m’as presque marché dessus !
– Par ici, Émilie !
– Tu ferais bien de regarder où tu mets les pieds. »
Elyo.
Aveline.
Ignominius.
Elle se retourna. Cheng et Lisham flottaient plusieurs mètres en arrière, tétanisés.
« Ils existent ! clama-t-elle. Ici même, dans votre précieux Miroir ! »
Cheng et Lisham ne répondirent pas. Ils restèrent immobiles quelques secondes puis disparurent.
« Émilie ! Que faisait ce Revery avec toi ? »
La question d’Aveline paralysa Émilie.
« Non ! Ce n’est pas un rêve… »
Trop tard.



Une force puissante et positive. Un obstacle stimulant devant lequel la difficulté s’efface. Une volonté qui se génère d’elle-même.
Tel était le symbole fixé par Émilie.
L’âme ne se tenait plus à ses côtés.
Tout en revenant à elle, Émilie observait le signe sur lequel elle s’était arrêtée. Celui d’Elyo, Aveline et Ignominius. Celui que Cheng et Lisham n’avaient pas supporté de lire.
« Il est parti, n’est-ce pas ? »
Antonie.
« L’avez-vous vu sortir ? répondit Émilie.
– Il ne semblait pas avoir rêvé à sa guise. Que s’est-il passé ?
– Je l’ai laissé imaginer son labyrinthe. Il m’a montré un réseau social, Miroir… Il m’en a expliqué le principe.
– Tu es entrée dans le monde d’une âme : c’est un progrès non négligeable. En permettant aux rêveurs d’évoluer dans un environnement qui leur est familier, tu les mets en confiance. Ils deviennent ainsi plus susceptibles de s’ouvrir à toi, en te donnant leur nom par exemple.
– Pourtant, ils ne sont pas apparus sous leur véritable apparence. Cheng ressemblait à l’une des perles du Revery, tandis que son propre Revery, Lisham, figurait l’autre.
– Quand les rêveurs ne se projettent pas dans le livre sous la forme d’un personnage de jeu ou de film, ils se matérialisent tels qu’ils s’imaginent, en l’occurrence tels qu’ils se voient lorsqu’ils interagissent sur les réseaux sociaux.
– Ils m’ont tous les deux reproché de m’appeler Émi 6 : cela paraissait invraisemblable.
– Tu dois mieux dissimuler ton nom. C’est vital, tu le sais bien. Il n’est pas seulement question d’affronter Jean. En leur donnant ton nom, tu mets en danger les rêveurs que tu accompagnes. Ils seront les premiers à être visés par lui !
– Comment pouvez-vous en être sûre ? Vous ignorez de quelle manière il est entré et jusqu’à quel point il voit les rêves de chacun. Les rêveurs oublient tout, c’est l’une des premières règles que vous m’ayez enseignées.
– Je t’ai dit aussi que leurs rêves avaient plus d’intensité lorsque nous étions avec eux. Jean les espionne à travers leur Revery. Je le soupçonne de développer une technologie capable d’extraire et d’enregistrer les images des rêves. Même si le moyen qu’il utilise pour suivre en personne les âmes jusqu’ici reste un mystère, une chose est sûre : le Revery est un maillon indispensable de cette chaîne. Les hommes lui confient tout, de leurs plus grandes joies à leurs moindres peines. Il est évident que cela inclut leurs rêves, surtout s’ils sont inhabituels. Ces informations sont enregistrées, filtrées et rapportées à Jean par les veilleurs. Nous ne devons pas prendre de risque ! Pas tant que tu n’es pas prête à te défendre. »
Émilie détourna un regard lourd de frustration. Elle revoyait non sans satisfaction Cheng s’immobiliser devant les créatures d’Avalon.
« Pourquoi Cheng s’est-il réveillé ? Je lui ai montré Avalon, pour lui prouver que… Qu’un monde différent était possible. Quand il a aperçu mes amis, il a disparu.
– Trouver de telles créatures dans Miroir représente une incohérence trop conséquente, expliqua Antonie. Cheng n’avait pas l’Autre pour l’aider à rester dans son rêve. Il s’est éveillé, comme tu te serais éveillée à Zénit quand Jean a tenté de te forcer à épouser l’empereur de Promété, si ton personnage n’était pas intervenu pour maintenir la cohérence. Comme tu t’éveilles, à chaque fois que le Revery est mentionné devant toi, car tu l’associes à la Bibliothèque. Dans le labyrinthe, il n’y a plus personne pour t’éloigner de la Bibliothèque.
– Pourquoi souriez-vous ? Si c’est une incohérence, Cheng risque davantage de s’en souvenir et d’être repéré par Jean.
– C’est vrai. Toutefois, tu as fait apparaître des personnages dans le labyrinthe : tu as franchi une étape dans la maîtrise du rêve.
– Je n’étais pas consciente de ce que je faisais. J’ignorais que c’était un rêve.
– Aucune barrière n’était là pour te guider et tu as été capable d’agir sans sortir du livre. Si tu réussis à dissocier le Revery de l’existence de la Bibliothèque, tu passeras la première porte du labyrinthe.
– Je ne peux pas associer le Revery à d’autres souvenirs. C’est en le refusant que j’ai été envoyée en Centre d’Aptitude. En l’abandonnant en rêve, j’ai rejoint les Clandestins… Le Revery est trop inhérent au Technomonde et le Technomonde me rappelle irrémédiablement mon premier rêve et la Bibliothèque. Je ne peux pas réinventer ma mémoire.
– En es-tu certaine ?
– Mes souvenirs sont la seule chose dont je sois sûre. Y renoncer revient à nier ma propre existence.
– Que fais-tu de tes capacités ?
– Comment savoir si elles sont réelles ? Dans les deux rêves que j’ai vécus, je n’étais jamais moi-même. Votre personnage me guidait sur la bonne voie et me donnait la force d’aller de l’avant. L’Autre, l’enfant d’Arès, partageait avec moi son éducation et sa philosophie ; son absence a donné lieu à un déluge de catastrophes. Maintenant que je suis seule dans le labyrinthe, je suis incapable d’avancer. Ce sur quoi je n’ai aucun doute, ce sont les mondes que j’ai parcourus, les protagonistes que j’ai rencontrés, les joies et les peines que j’ai ressenties. Les actes, eux, restent à prouver… Dans mon premier livre, lorsque j’ai sauvé le Technomonde, à quel point ai-je été aidée par votre personnage ?
– J’ai écrit ce rêve pour toi. Je l’ai commencé après avoir cueilli la fleur de lys. J’ignorais alors quel serait mon apprenti : j’ai créé ce livre pour un habitant du Technomonde que j’imaginais combatif et laissé pour compte, inapte d’une manière ou d’une autre. Je ne m’attendais pas à ce que tu sois si jeune. Ma fleur m’est apparue à quinze ans, celle de mon maître à près de trente… J’ai regroupé des personnages disparates, en espérant que l’un d’entre eux te correspondrait. Je voulais que mon apprenti ait toutes les chances de son côté. J’ai écrit un livre qui ne pouvait pas échouer, une histoire dont la fin serait inévitablement bonne. Tu venais d’un monde considéré comme parfait : j’ai fait en sorte de t’en montrer les défauts, j’ai tout organisé pour t’inciter à la fois à le fuir et à le sauver. Ton personnage devait guider le groupe, prendre les décisions adéquates en ayant l’impression de suivre son instinct. D’un autre côté, je savais que ta deuxième aventure te mènerait à Alma. Je craignais qu’emportée par la magie du rêve, tu ne renforces tes illusions. J’ai donc parsemé ton chemin d’échecs, de peur, de souffrance. Je cherchais à tempérer la joie de ta réussite : j’ai volontairement terminé le livre au moment où tu atteignais la plénitude à laquelle je te poussais à aspirer.
– Vous m’avez dit, quand je suis sortie, que mes pensées n’appartenaient qu’à moi. Tel n’est pas le cas de mes actes.
– Tu avais dix ans, Émilie. Dans la réalité, une enfant de dix ans n’aurait jamais eu la maturité nécessaire pour mener ce rêve jusqu’à son terme. Tu dois en être consciente, sans pour autant te laisser dominer par cette idée. Certes, mon personnage t’a assistée. Cela ne signifie pas que tu n’as rien accompli. Tu t’es remarquablement bien mêlée à l’être de papier que j’avais conçu sans te connaître : pas une fois tu n’as lutté contre lui, pas une fois vos pensées ne se sont affrontées comme ce fut le cas à Alma.
– Vous aviez créé votre personnage dans ce but. Pour qu’il s’adapte à n’importe qui, qu’il insuffle ses idées discrètement, si finement qu’elles ressembleraient à des intuitions naturelles. Je n’ai rien fait.
– Je ne parle pas du poème. Souviens-toi plutôt des discussions avec l’Antonie de papier : tu posais des questions profondes, Émilie, des interrogations que rien ne t’obligeait à avoir. Tu as mené l’histoire à ta manière, tu as su convaincre les souverains d’Avalon avec une intelligence que je n’attendais pas d’une enfant si jeune. Même le récit de Mélisande t’appartient : elle n’était pas censée t’aider à trouver la voie des fées. Tu as agencé les événements de cette manière, en fonction de tes goûts et de tes aspirations. Vécu par quelqu’un d’autre, le rêve aurait pu rester dans le domaine du banal. Tu lui as insufflé de l’épaisseur, de l’intériorité. Tu ne t’es pas contentée de sauver bêtement le Technomonde : tu t’es demandé pourquoi, à la moindre occasion. Dès le début, tu as cherché à comprendre le sens de tes actes. C’est en cela, Émilie, que tu t’es révélée une remarquable apprentie. À Alma même, tu as donné vie à un être de papier, orientant ainsi le cours de ton précédent rêve plus que Jean et moi ne l’avons fait à notre époque.
– Je ne maîtrise pas ce pouvoir. Jusqu’à présent, il n’a jamais sauvé rien ni personne.
– Que fais-tu du marquis d’Albigeois ?
– Sa survie était exigée par le livre.
– Elle faisait partie des variables du rêve : tu pouvais continuer sans lui. Mais tu l’as protégé.
– Je lui ai permis de vivre quelques jours de plus, avant de mourir sous les bombes. Belle victoire ! »
Une force invisible se dégageait d’Émilie, un tourbillon de rage qui menaçait de tout emporter dans un vide bienvenu. Antonie paralysa sans difficulté cette énergie : une aura turquoise de détermination émanait de son corps, entourait Émilie pour tenter de la convaincre.
« Ton pouvoir est réel, Émilie. Tu as la capacité de modeler à ta guise le contenu des rêves. Ne crois jamais que ton seul but est d’être l’arme que j’ai demandée à la Bibliothèque. Cette puissance qui t’a été donnée n’est pas une fin en soi. C’est le moyen de devenir toi-même, de parvenir jusqu’au bout de tes potentialités. Cela inclut tes désirs, mais aussi tes peurs et tes doutes. Dans le labyrinthe, tu devras tous les affronter. »



La colère. Un désir furieux d’exister… De prouver la véracité de ses souvenirs. La véracité de ses rêves ? Plus elle y réfléchissait, plus Émilie trouvait risibles les origines du surgissement des créatures d’Avalon dans le labyrinthe. Démontrer à un citoyen du Technomonde que, quelque part dans un livre-rêve, nymphes et génies existaient. Comment pouvait-il la croire ? Quel intérêt pour lui de la suivre ? Cheng avait eu raison de s’éveiller suite à cette incohérence. Raison de préférer le Technomonde aux illusions des songes. Si elle avait pu l’imiter, Émilie l’aurait fait… Malheureusement, elle n’avait pas une existence unique à rejoindre. Elle disposait de milliers de vies. Réelles exclusivement pour elle. Elle ne pouvait rien partager avec la silhouette bleue qui patientait à ses côtés devant le rêve fermé.
Rien… Même la colère qui avait ressuscité les créatures d’Avalon lui semblait fausse à présent. Elyo, Aveline, Ignominius étaient-ils vrais ? Ou se réduisaient-ils à des signes, de simples émanations de son esprit ? Que valaient les souvenirs auxquels elle attachait tant de prix ? Ces épreuves la définissaient-elles, ou se limitaient-elles à des vies artificielles ?
Les amis de son premier rêve lui manquaient. Leur présence, leur constance, le sens qu’ils donnaient à sa vie lui manquaient. Tous ces moments de joie passés à Avalon, l’émerveillement dans le palais des sirènes, les fous rires avec Narga du temps des Clandestins…
Du labyrinthe, elle n’imagina que les cieux. Des cieux nocturnes qui, jadis, lui avaient apporté la plénitude.

Elle se tenait sur une plage de sable. Un sable blanc, renvoyant le doux éclat de milliers d’étoiles. La Voie lactée qui traversait le ciel ne lui avait jamais paru si magnifique. En fait de plage, elle se trouvait sur un banc de sable entre deux étendues d’eau. Un banc à peine assez large pour figurer un chemin, se subdivisant régulièrement en nouveaux sentiers.
Émilie avait beau scruter l’horizon, rien ne trahissait la présence de terre. Les bancs de sable se déployaient à l’infini entre des carrés d’eau, sans livrer aucun indice sur l’itinéraire à emprunter.
« Nuit ! C’est impossible ! Pourquoi fait-il nuit ? Je ne pourrai jamais bronzer dans un endroit pareil ! »
Cette lamentation provenait d’une femme non loin d’Émilie. Brune aux cheveux généreusement bouclés, la trentaine, elle portait un maillot de bain des plus seyants.
« Pourquoi fait-il nuit ? demanda-t-elle à nouveau en s’approchant d’Émilie. Tu le sais, petite ? »
Petite… Oui. Elle avait dix ans et la peau noire. Elle s’appelait Narga.
« La nuit est belle, répondit-elle.
– Sublime, répliqua l’inconnue sans détourner les yeux. Sauf que je voudrais bronzer… J’étais persuadée qu’il ferait jour. »
Émilie fit une moue dubitative.
« Bien sûr, pour toi, c’est facile, maugréa la femme. Avec ta peau d’ébène, pas besoin de bronzer, tu es jolie naturellement. Pourquoi ne m’ont-ils pas choisi des gènes noirs ? »
L’inconnue mit son visage dans ses mains alors qu’elle poussait un cri d’agonie.
« Ils auraient au moins pu me donner des gènes métis ! Mais non, il a fallu que je sois une Absolue complètement blanche… Le blanc n’est plus à la mode. Je ne comprends même pas qu’ils conservent le gène dans leur base. Inutile de sourire, le noir sera bientôt dépassé lui aussi. Le top, c’est d’avoir la peau basanée. Couleur café, juste assez bronzée. Tu cumules les avantages des couleurs sans avoir les inconvénients. Si j’avais travaillé, j’aurais fait une excellente prestataire de procréation… »
Le soupir de la femme se perdit dans le murmure de la mer.
« Je vous trouve très jolie, dit Émilie.
– Tu es gentille, va.
– Je m’appelle Narga, et vous ?
– Leï. Comment sort-on d’ici ? J’ai un look à peaufiner et mon emploi du temps est très chargé.
– Avançons. Nous verrons où cela nous mène. »
Elles partirent vers la gauche. Pieds nus sur le sable, leurs pas ne s’entendaient pas. Saisie par la beauté du lieu, l’humeur d’Émilie s’adoucissait pour la première fois depuis une éternité.
Elles marchèrent longtemps en silence. Émilie ne prêtait pas attention à la direction qu’elles empruntaient. Le paysage n’évoluait pas d’un iota : les sentiers blancs serpentaient sans fin sur un vaste océan.
« Cette nuit me déplaît, déclara Leï. Je ne vois pas où je vais.
– Je l’aime bien. Elle me rappelle l’infini et tout ce qui me dépasse…
– Elle ne me met pas en valeur. De nuit, ma peau ne renvoie aucun reflet. Quand je pense à mes centaines d’heures de bronzage artificiel !
– Artificiel ? N’allez-vous pas au soleil ?
– Tu es folle ! Au soleil, le bronzage n’est pas contrôlé. En Centre de Soins, je ne prends aucun risque ! J’économise toute l’année pour m’offrir pendant quelques jours les rivages les plus luxueux de la Cité Océan.
– Ne pouvez-vous pas y vivre ?
– Les appartements sont beaucoup trop chers ! La Cité flotte au-dessus de l’eau. Elle parcourt les mers toute l’année pour créer régulièrement de nouvelles plages. Seuls des salariés peuvent se permettre d’y habiter. Une fois, un veilleur m’y a invitée… Un moment magique.
– N’êtes-vous pas restée avec lui ?
– C’était une simple aventure. Rester avec un homme, on voit bien que tu n’as aucune expérience !
– S’il vous aime…
– Il n’est pas question d’amour. Dans les relations, seule compte l’admiration. Personne n’est capable de la maintenir sans se lasser : si tu vis trop longtemps avec quelqu’un, on finit par s’habituer à toi, tu deviens normale et il n’y a qu’un pas de la normalité à la laideur.
– La beauté est relative. Le bronzage…
– Je sais tout cela, Narga. La beauté est une affaire de mode et les modes changent. Heureusement, sinon la vie serait affreusement ennuyeuse ! Ne serait-ce que pour le bronzage, le Centre de Soins propose un service dépigmentation, qui me permettra d’être à la pointe quand le blanc sera de nouveau au goût du jour.
– Vous avez le droit d’avoir des préférences ! Pourquoi vous laisser dicter ce qui est beau par les autres ?
– Je ne me plie pas aux injonctions des autres : je fais partie de ceux qui définissent la mode. Des milliers de personnes me suivent et cherchent à m’imiter.
– Vous ne pouvez pas tout miser sur la beauté, maintint Émilie. Un jour, vous vieillirez, comme tout le monde. Et puis c’est si relatif ! On ne choisit pas son apparence avant de naître…
– Tu ne trouveras pas un seul Absolu laid. Les prestataires y veillent. Si tu veux parler des Naturels, bien sûr… Les pauvres ne sont pas responsables de l’inaptitude de leurs parents. Grâce aux Centres de Soins, ils peuvent changer n’importe quelle partie de leur corps, ils ont même des réductions par rapport aux Absolus ! Quant à la vieillesse, de nouveaux progrès sont faits chaque jour. Tiens, moi par exemple, je suis certaine que tu ne me donnerais jamais mes cinquante-cinq ans ! »
Leï partit d’un éclat de rire devant la stupéfaction d’Émilie.
« Tu es encore jeune, Narga. Tu as un bel avenir devant toi. N’aie pas peur d’être jolie, n’aie pas peur d’être toi-même ! Grâce à la science, aujourd’hui, ton apparence peut refléter ce que tu es réellement. Allez, dis-moi, à qui voudrais-tu ressembler ? Tu es déjà superbe, mais je suis certaine que tu désires autre chose. Nous avons tous envie d’être différents. »
Alors qu’elle tentait de répondre à Leï, la fragile bulle de bonheur qui enveloppait Émilie depuis qu’elle avait ouvert les yeux dans ce labyrinthe se fissura. Qui voulait-elle être ? Qui était-elle réellement ? Cette question la plongeait dans un abîme d’angoisse. Elle cessa de marcher et s’entoura de ses bras.
« Je ne sais pas qui je suis, murmura-t-elle. J’ignore ce que je veux.
– Tu dois bien avoir une envie ! Réfléchis…
– J’ai peur. Je ne sais plus ce qui est bien ni ce qui est mal, je ne sais plus qui je veux être. Avant, j’avais des idéaux, je voulais changer le monde. Je voulais être libre, je voulais être heureuse. Aujourd’hui… Libre, je ne sais plus ce que cela signifie.
– Qu’est-ce qui te rendait heureuse ?
– Explorer le monde. Être avec mes amis. Lire…
– Lire ?
– Découvrir des histoires. Vivre des choses impossibles. C’était cela pour moi, être libre. Être heureuse.
– Et maintenant ?
– Je suis devant un grand vide. Je suis seule. J’ai peur que la liberté fasse de moi un monstre. Tout ce en quoi je croyais est faux ; tout ce que j’espérais est vain.
– Pourquoi est-ce faux ? Pourquoi est-ce vain ? Qui te l’a dit ?
– Je l’ai vu de mes yeux.
– Comment ?
– Ailleurs. Dans une autre vie. J’ai tué un homme. J’ai déclenché une guerre. J’ai été trahie.
– Je ne sais pas à quel jeu tu as participé, mais il t’a sacrément marquée… »
Leï frappa dans ses mains. Le bruit résonna étonnamment fort par-dessus le murmure de l’écume.
« Il faut te ressaisir, Narga ! Tu es dans le monde réel. Ici, pas de trahison, pas de faux amis, ces gens sont des inaptes et tu ne les verras jamais ! Tu es belle, tu es intelligente, tu vaux autant que n’importe qui d’autre. Ne laisse personne t’enlever cette idée.
– Belle, se moqua Émilie. C’est tellement relatif !
– Et alors ? Même si ce n’est vrai que pour toi, cette joie devrait te suffire. Je suis seule juge de ma beauté. Peu m’importe que certains ne soient pas d’accord, ou s’avisent de me trouver médiocre ! Je suis belle et c’est moi qui impose cette vérité aux autres. Personne ne me dicte ce que je dois penser de moi ! Si j’estime qu’une tenue est moche, aucun commentaire ne pourra me persuader du contraire. Je refuse de me laisser influencer ; tu devrais faire pareil.
– Je ne veux pas rester ainsi, en cercle fermé, comme si j’étais seule à détenir la vérité ! Certaines personnes savent mieux que moi. Elles ont vécu plus longtemps, vu plus de choses…
– Ne mélange pas tout ! Il y a toi, il y a les autres et il y a le monde. Tout ce que tu penses de toi est vrai, personne n’a le droit de te dire le contraire.
– C’est absurde, cela signifie que je n’évoluerai jamais…
– Tu penses ce que tu veux des autres, mais tu ne peux être sûre de rien. Pour le reste, tu dois faire confiance aux salariés. Ils savent ce qu’ils font. La seule chose qui compte, c’est que tu existes, que tu es jolie et que tu es là pour t’amuser.
– Et si j’étais née laide ? soupira Émilie.
– Tu pourrais devenir belle. Ce genre de chirurgie ne coûte rien et les robots ne commettent jamais d’erreur. Ce que la nature nous refuse, la science nous l’offre. Quelle que soit la difficulté de nos rêves, la technologie les réalise. Le Technomonde te permet de devenir ce que tu veux être ! J’ai tellement hâte d’être à la Fête Fabuleuse qui se prépare pour célébrer nos cinq cents années de paix sur Terre…
– Le Technomonde m’empêche d’explorer certaines voies.
– Précisément celles qui te rendent malheureuse et te font douter de toi. Profite de la vie ! Goûte-la, vois ce sable fin, savoure cette écume ! C’est gratuit. Pas besoin de réfléchir. Sois toi, tout simplement toi : si un autre te gêne, bannis-le de tes contacts ! Tu as des qualités. Tout le monde en a, même les inaptes… Ils ne les utilisent pas à bon escient, c’est tout. Tu trouveras toujours des imbéciles. Pourquoi sont-ils bêtes ? Parce qu’ils se permettent d’avoir un avis sur toi, de t’enfermer dans l’image qu’ils ont de toi, de t’écraser avec leur ego. Tu dois être sûre de toi et de ce que tu vaux. Il faut que cela émane de toi, de tous les pores de ta belle peau noire : les autres seront obligés de l’accepter. Tu peux douter du monde, tu peux douter des autres si ça te chante mais pas de toi ! Si on ne te permet pas d’être telle que tu es, les autres ont forcément tort.
– Et s’ils ont raison ?
– Ne dis pas de bêtise ! S’ils avaient raison, tu serais inapte.
– Je n’ai pas la science infuse. Je peux faire des erreurs, je dois rester capable d’évoluer !
– Tu ne peux pas te tromper sur toi ! Tu existes, et tu es forcément parfaite puisque le Technomonde t’a voulue telle que tu es.
– Je suis une Naturelle.
– Demande leur avis aux robots ! Ils ont le pouvoir de te rendre aussi irréprochable que s’ils t’avaient créée.
– Mais l’extérieur ne reflète pas l’intérieur ! s’exclama Émilie. Je peux être belle et inapte, belle et stupide, belle et désespérée, que sais-je ! La beauté ne fait pas le bonheur.
– Si tu te trouves belle à l’extérieur, tu ne peux être autrement que belle à l’intérieur. Suis ton instinct.
– J’ai tué quelqu’un ! Mon instinct sème la mort et la destruction…
– Tu regrettes, non ? la coupa Leï.
– Bien sûr…
– Alors ton instinct est intact ! Tu as été induite en erreur par un quelconque personnage, ou par un mauvais joueur qui finira rapidement dans un Centre d’Aptitude. »
Pour la première fois, Émilie se trouvait à court d’arguments. Son instinct, intact ? Elle était seule à présent, plus de pensée étrangère pour la forcer à agir, et elle regrettait… Peut-être. Elle ne savait plus.
« Laisse-moi faire, Narga, proposa Leï. Tu verras, tout ira bien ! »
Avant qu’Émilie ait pu répondre, des figures de sable se formèrent autour de Leï.
« Toi, tu as besoin d’une robe. »
Une robe de sable se matérialisa sur la statue.
« Rose. Un liseré blanc, ici. Manches courtes à ballon. Un plissé, là. Ici, trois boutons. Blancs eux aussi. Coupe courte. »
Au fur et à mesure que Leï parlait, la statue prenait forme.
Elle les habilla toutes, dessinant leur visage, imaginant leur coiffure, définissant jusqu’au moindre détail de leur apparence. Les silhouettes de sable devinrent bientôt mannequins ; Leï choisit sa tenue préférée, qui se substitua à son maillot, et invita Émilie à l’imiter.
À sa propre surprise, Émilie apprécia le short à motifs, le T-shirt et la coupe courte pour lesquels elle avait opté. Leï lui tendait un miroir et, quelque part en elle au milieu du néant, jaillit la sensation d’être belle… Aussitôt tempérée par une écrasante impression de ridicule.
« C’est puéril, déclara-t-elle en se détournant de son reflet.
– Peut-être, répondit Leï. Mais c’est important. Nous avons tous envie d’exprimer à l’extérieur ce que nous sommes à l’intérieur. Quelqu’un d’unique et de merveilleux.
– Ces mots sonnent creux.
– On me le dit, parfois. Pourtant, je trouve toujours une personne pour m’assurer du contraire. »
Comme pour confirmer ses paroles, un homme apparut non loin d’elles. Un bel homme. Plein de morgue, il posait sur Leï un regard empli de convoitise.
« Demande à ton Revery ce qu’il en pense, suggéra Leï en s’éloignant vers l’inconnu. Je suis certaine qu’il sera d’accord avec moi ! Que tes rêves se réalisent… »
Revery. Rêve. Rester… Encore un peu. Les cieux, jadis, contenaient des réponses…
Leï et l’homme s’embrassèrent. Une porte de sable se forma à côté d’eux.
Pourquoi devait-elle retourner dans la Bibliothèque ?



Leï continuait à lire. Elle resta longtemps arrêtée à la fin du premier chapitre. Manifestement, le deuxième ne lui plaisait pas : elle tourna la page d’une main hésitante, revint en arrière, puis sauta plusieurs dizaines de pages pour arriver au troisième chapitre. Celui-ci ne rencontra pas plus de succès que le précédent. Elle se plongea en revanche avec avidité dans le dernier, et sembla quitter son rêve à regret, arrachée malgré elle vers la porte de la Bibliothèque.
Pour la première fois, une âme avait fait du bien à Émilie. Un rêveur s’était soucié d’elle, de son bien-être. Que ce fût d’une manière toute personnelle importait peu. Émilie se sentait étrangement soulagée. Elle avait trouvé Leï superficielle et en même temps débordant d’une confiance pleine de bon sens.
Émilie regarda d’autres âmes rêver. Quelques-unes partaient en courant, fusant vers la sortie comme si un monstre les poursuivait. D’autres s’estompaient en se levant, et avaient presque disparu au moment d’atteindre la porte. Certaines, enfin, se volatilisaient tout simplement, laissant le livre ouvert devant elles.
« Elles meurent. »
Émilie tourna lentement la tête vers Antonie.
« Pour regagner son corps, une âme doit passer par la porte de la Bibliothèque. Celles qui partent en courant sont réveillées subitement. Celles qui s’estompent sortent naturellement du sommeil. Celles qui s’évanouissent ont lu leur dernier rêve.
– Où vont-elles, après ?
– Je l’ignore.
– Meurent-elles… À cause de Jean ? Dans les Centres d’Aptitude ?
– Pour la plupart, oui. Certaines succombent aussi à la vieillesse.
– Que faites-vous de ceux qui ne meurent pas en dormant ?
– Je les perçois à travers les rêves des survivants. Dans le Technomonde, les accidents sont devenus assez rares pour être longuement commentés lorsqu’ils se produisent. Et puis… Il y a ceux que je ne vois pas et dont les rêveurs ignorent l’existence. Les prisonniers du Centre d’Observation. »
Émilie garda quelques instants le silence.
« Avant de quitter le Technomonde, je ne me suis jamais posé la question de l’âge jusqu’auquel je vivrai. La mort semblait tellement lointaine…
– Nombreuses sont les âmes qui dépassent les cent ans. La technologie est capable de remplacer n’importe quelle partie du corps… Même certains éléments du cerveau sont devenus renouvelables. Je ne crois pas pour autant que l’éternité soit dans la nature humaine : quand les rêveurs approchent de cent ans, tous les livres leur paraissent déjà vus. Ils feuillettent les pages d’un air distrait et peinent à se projeter dans les songes avec la passion d’antan.
– L’âme qui m’accompagnait a sauté le deuxième chapitre du livre et a traversé le troisième très rapidement. En revanche, elle semblait navrée de quitter le dernier.
– Les âmes sont libres d’éluder les passages qui ne leur plaisent pas. La puissance du rêve diminue et elles en sortent facilement. Pour un Bibliothécaire, c’est beaucoup plus complexe. On ne peut éviter de vivre un pan de vie simplement parce qu’il nous rebute : tout livre est un parcours dont chaque détour a une utilité. En sautant des pages, les événements négatifs nous sont épargnés mais nous perdons la saveur de ce que le livre peut renfermer de positif. Ce qui aurait pu nous rendre heureux, de précieux et rare, se fait fade et courant. Quand j’étais apprentie, une poignée d’âmes choisissaient leur livre elles-mêmes et les rêveurs ne sautaient pas autant de pages que maintenant. Ils sont devenus impatients…
– À cause de Jean.
– Les âmes ont commencé à perdre leur faculté de rêver avant lui.
– Pourquoi ?
– Se souvenir de ses rêves demande une certaine disponibilité d’esprit. Les plus déterminées, avant que cette science ne leur soit enlevée, écrivaient leurs rêves afin de mieux se les rappeler. Plusieurs fois, je me suis aperçue dans leurs pensées, ou bien j’ai vu mon maître : notre présence avait provoqué un rêve durable, gravé dans leur mémoire. Avec le développement de la technologie, le temps a commencé à leur manquer. Les informations se sont multipliées, à un point tel qu’il a fallu inventer des machines pour les traiter. L’écriture seule ne suffisait plus. Mais l’information appelle l’information… De globale, elle s’est fragmentée, décuplée en données qui sont aujourd’hui analysées par les Reveries. Une infinité de renseignements, dont le rassemblement nous reconstitue en tant qu’êtres humains, avec une exactitude croissante. Des indications qui affluent dès le réveil et chassent le rêve achevé : la mémoire n’a plus de place pour les éléments qu’elle juge dénués de réalité. Seul le cœur conserve parfois une trace des émotions qui l’ont habité pendant la nuit, et l’on s’éveille tour à tour triste, heureux ou mélancolique, sans savoir pourquoi. »
Antonie marqua un silence.
« Le Grand Progrès a coûté plus de vies que toutes les guerres avant lui, reprit-elle. Près d’un tiers de l’humanité a disparu à cause de Jean. Ces tables autour de toi étaient jadis emplies de rêveurs : vois le nombre de places vides maintenant. »
Un frisson glacé parcourut Émilie.
« Comment a-t-il pu y avoir autant de morts ?
– Trois guerres ont marqué les siècles du Grand Progrès. Jean a gardé de son séjour dans la Bibliothèque une immunité au sommeil, au temps et à l’espace. Il ne dort pas, ne vieillit pas et peut se déplacer instantanément d’un bout à l’autre de la planète. Une fois de retour sur Terre, il s’est servi de ses dons pour manipuler les hommes, pays après pays. Apprenant une langue à la fois, il manœuvrait les dirigeants de chaque nation pour développer l’économie et la technologie. Il a étalé ce changement sur plusieurs décennies pour l’accompagner d’une transition écologique massive, afin qu’aucun peuple ne finisse esclave d’un autre. Lentement, il a modifié les normes sociales pour accroître l’individualisme. J’ignore s’il avait déjà un projet précis en tête ; toujours est-il que l’arrivée des Absolus a marqué un tournant. Au fur et à mesure que la production technologique d’êtres humains s’étendait, les religions se sont liguées contre le progrès. Les braises que Jean avait peu à peu réduites à presque rien avaient trouvé le combustible qui leur manquait : elles se sont enflammées comme jamais auparavant. Au nom d’un certain nombre de divinités, plusieurs millions de personnes ont protesté à travers le monde contre l’existence des Absolus. Jean a perdu patience ; il n’a jamais pu supporter le fanatisme religieux. Si les dieux avaient été moins présents dans le discours de ses détracteurs, peut-être se serait-il donné la peine de les ranger à son avis. Il riposta par les armes, multiplia les emprisonnements et les exécutions sommaires. C’est à cette époque que furent créés les premiers Centres d’Aptitude, promettant sécurité et immunité à ceux qui accepteraient de s’y faire soigner… Après avoir éradiqué toute opposition, Jean se retourna contre les dirigeants politiques qui l’avaient aidé, pointant du doigt leur corruption et leur non-respect des droits de l’homme, et mit à leur place des personnes de confiance. Ce fut la première guerre du Grand Progrès.
« La deuxième se produisit quelques décennies plus tard. Les Absolus étaient beaucoup plus nombreux mais subissaient encore, de la part de certains, une forme de racisme. En parallèle, Jean exigeait que les enfants soient envoyés au Centre d’Éducation de plus en plus tôt. Certains, déjà, disparaissaient dans le Centre d’Observation nouvellement créé. Un peu partout, grâce à la nouvelle langue universelle qu’il élaborait, des familles se sont unies. Plusieurs milliers de personnes refusaient de se séparer de leurs enfants. On murmurait contre les Centres d’Aptitude dont on réchappait de moins en moins souvent. On rejetait la faute de toutes les difficultés sur les Absolus, prétextant qu’ils corrompaient la jeunesse et pervertissaient la société. Beaucoup de mécontents descendaient des victimes de la guerre précédente. Cette fois, Jean a tout fait pour calmer les esprits. C’est à mon avis le moment où il a estimé que l’amour filial représentait un problème. Il a créé de nouvelles maladies qu’il a déversées à travers le monde. Bien sûr, les Absolus étaient immunisés. Seuls étaient touchés les enfants et leurs parents. Il y eut tellement de morts que la notion de grands-parents disparut de la planète.
« La troisième guerre est arrivée plus d’un siècle après. Tout se déroulait selon les plans de Jean : les enfants naturels étaient devenus moins nombreux que les Absolus, l’individualisme forcené était la norme partout, chacun ne connaissait plus que la langue universelle. Le Revery faisait son entrée en scène. C’est alors que les Clandestins sont sortis de l’ombre. Regroupant les mécontents de tous les horizons, ils protestaient contre la consommation de masse, contre la technocratie, pour la liberté de l’homme éclairé, pour le droit de culte… Ils réunissaient des Absolus et des Naturels et n’hésitaient pas à recourir au terrorisme pour faire entendre leurs idées. Je me suis inspirée d’eux pour écrire ton premier livre. Grâce à la technologie, Jean les a vaincus. Il a utilisé le Revery pour les espionner et a assassiné discrètement, chez eux, les plus charismatiques, à l’aide de robots-soldats. Selon moi, cela a renforcé sa détermination à tuer dans l’œuf toute velléité de rébellion.
« J’ai vu tout cela, Émilie. Siècle après siècle, j’ai entendu les cris et les larmes, j’ai assisté aux déchirements et aux assassinats. J’ai vu les rêves des bourreaux, j’ai vu les rêves des victimes. Au fil du temps, les premiers étaient de moins en moins nombreux, remplacés par des robots, et il m’est devenu difficile d’accéder à la vérité dans son ensemble.
– Pourquoi n’avez-vous rien fait ?
– Je ne savais pas quoi faire. Quitter la Bibliothèque ? Qui prendrait ma place, qui formerait le prochain apprenti, qui ferait rêver les hommes ? Les songes représentaient leur dernier endroit de liberté. Le seul lieu où Jean ne pouvait les poursuivre.
– Vous auriez pu aller sur Terre, tuer Jean et revenir ici.
– J’avais peur. Peur de retourner sur une Terre dont, jadis, les hommes m’avaient bannie, de rester coincée là-bas sans pouvoir regagner la Bibliothèque que j’aimais tant. »
Aimer. Émilie n’avait jamais aussi mal compris ce terme que maintenant. Elle avait aimé ses amis, Cosme, Narga, Italy, Lilas. Elle avait aimé Aveline et pleuré sa mort. Elle avait aimé Bastan, le roi d’Abyss et le marquis de Belladone. À chaque fois, des amours différentes. Si on lui avait interdit d’aimer, se serait-elle battue contre le système ?
Dans une société comme Abyss, Zénit ou Promété, elle n’aurait pas hésité une seconde à prendre les armes. Le nombre des malheureux dépassait de loin celui des nantis. Dans le Technomonde, dans ces villes scintillantes où régnait une relative harmonie entre les hommes, que convenait-il de penser ?
Ce que Jean avait fait était impardonnable. Il avait privé chacun, à tous les niveaux, de choisir quelle vie mener. Pour construire un monde meilleur, il avait ôté aux hommes toute responsabilité. Malgré des objectifs troubles et divergents, ils avaient protesté. Parmi ces milliards de victimes, combien s’étaient révoltés pour les bonnes raisons ? Combien, comme Leï, avaient manqué de réflexion tout en se montrant capables d’une saine forme d’affection ?
Combattre Jean allait de soi. Combien de morts ferait son prochain idéal ? Il n’avait pas hésité à la posséder elle, Émilie, à lui imposer son opinion. Elle défendrait sa liberté jusqu’au bout.
Elle ne pouvait cependant s’empêcher d’avoir peur. Elle aussi s’était battue pour un idéal, avait tué en pensant sacrifier son éthique pour un monde meilleur… Cette vision l’avait soutenue dans les moments difficiles. Croire en l’utopie lui avait permis de relativiser et d’aspirer à un avenir radieux où personne ne serait laissé pour compte… Il ne restait de ces espérances qu’un tas de ruines labyrinthiques où elle cherchait la porte de son propre cœur.
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Bonjour à tous :)

Pour continuer cette nouvelle rubrique de « L’actualité des indés mise en avant », avec Le @ÇaMeDitDeParlerD1EvenementInde, il me fallait impérativement donner un gros coup de projecteur sur la géniale initiative de Jean-Michel Thuriault alias GrandissiMots et ses « Rencontres de l'autoédition 13-14 mai 2023 à Saint-Éman (Eure-et-Loir) ».

Pour ceux qui ne le connaissent pas, Jean-Michel est un écrivain public, un correcteur passionné et talentueux, à qui bon nombre d’amis auteurs ont fait confiance pour la qualité de son travail et son écoute. Vous avez besoin d’une béta-lecture ou correction pour votre ouvrage, votre manuscrit a besoin d’être corrigé en profondeur, mais aussi le projet de rédiger un courrier administratif, une lettre en tant que particulier ou entreprise ? n’hésitez donc pas à faire appel à ses services, il sera ravi de vous aider ;)

Maintenant revenons à nos moutons : comment cette belle initiative est-elle née ? L’instigateur nous l’explique lui-même :

Depuis trois ans, je travaille avec mon ami et ex-collègue Christian Guyon, habitant de longue date du charmant petit village de Saint-Éman (Eure-et-Loir), à la construction d'un site Internet destiné à recueillir toute l'histoire locale, le patrimoine, l'environnement, etc... Ce site, accessible ici https://ahpsainteman.wixsite.com/hlpa depuis le 15 mai 2022 a été accueilli avec grand intérêt et a reçu un grand succès populaire.
Forts de ce succès, je me disais que ce cadre verdoyant de la source du Loir, dans un univers baigné de l'œuvre proustienne, pourrait un jour recevoir un "marché" de l'autoédition, comme un petit défi en somme... C'est ainsi que l'idée est née à l'été 2022, en se disant que ce serait vraiment chouette de réunir sur ce théâtre de verdure différents acteurs de la culture, des arts, de la gastronomie, dans le cadre de la traditionnelle fête patronale de ce village d'une centaine d'âmes.
C'est ainsi qu'est né le Carrefour des Arts et de la Gastronomie à la source du Loir, où l'idée est vraiment de privilégier les rencontres, le partage, les échanges...
D'où également, ce terme de "Rencontres" plutôt que "Marché" de l'autoédition.
Nous tenons vraiment à ce que chacun se fasse plaisir, fasse connaître et partager son univers, que le public vienne à la rencontre, mais aussi que les participants viennent à la rencontre les uns des autres.
Nous avons souhaité nous démarquer en écartant tout esprit mercantile, commercial ou de profit.
Les emplacements et inscriptions sont gratuits, l'idée n'étant pas de "gagner" quoi que ce soit au terme de ce week-end, mais que chacun reparte... riche des rencontres et échanges dont il aura pu profiter.
Il faut savoir que l'organisation est assez lourde, que nous ne sommes que trois à la porter, et en tout amateurisme :)
Peut-être que ce week-end sera unique et qu'il ne pourra être reproduit l'année prochaine.
Toutefois, grâce à l'association que nous avons créée https://ahpsainteman.wixsite.com/hlpa/association et à la municipalité qui soutient nos actions, j'ai déjà d'autres idées liées à des journées consacrées à l'autoédition dans ce cadre magnifique.
Toujours autour d'échanges, de lectures, d'expos, de présentation d'auteurs et de romans... Un nom trotte dans ma tête : "Passion'Éman... À la folivres" !!

Jean-Michel Thuriault... GrandissiMots



De quoi s’agit-il, cela s’adresse à qui ?

Plutôt que de faire des laïus inappropriés qui ne sauront être à la hauteur, je préfère vous renvoyer vers le lien direct de la page dédiée à cet événement, où vous découvrirez outre des explications détaillées sur ce concept, le programme de ces deux jours, ainsi qu’une vidéo explicative sur les candidats participant à ces magnifiques rencontres, où l’autoédition est à l’honneur.
Lien : https://grandissimots.wixsite.com/ecrivainpublic/passioneman

Vous êtes dans la région, vous voulez encore y participer ? Amis auteurs, n’hésitez pas à le contacter, il se fera un plaisir de répondre à vos questions ;)

Son  Twitter :@thuriault_jm
Son Instagram : @grandissimots
Son site internet : http://grandissimots.wixsite.com/ecrivainpublic



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Mise en avant des Auto-édités / L’écho des secrets de Marjolaine Sloart 
« Dernier message par Apogon le jeu. 27/04/2023 à 17:26 »
L’écho des secrets de Marjolaine Sloart 



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Chapitre 1

Avril 2022

Lucy feuilletait un journal, assise confortablement sur son canapé couleur lilas. Elle venait d’avoir 21 ans. Elle habitait une jolie maison de style victorien, composée de trois étages et de nombreuses pièces. Sa chambre, agencée avec goût par sa maman, décoratrice d’intérieur, était pour elle un endroit où elle aimait rêvasser, elle y effectuait ses révisions et passait des heures au téléphone avec ses amies.
C’était samedi, sa mère l’appela, elles souhaitaient toutes les deux se déplacer à Londres pour faire du shopping.
Sa famille habitait une petite ville : Kingston-Upon-Thames, au sud-ouest de Londres. Lucy était enfant unique.
Elle fréquentait tous les lieux indispensables à son éducation, les meilleures écoles, les courts de tennis, elle pratiquait l’équitation et s’aventurait au dressage, rien n’était trop beau pour leur princesse. Elle ne pouvait que les chérir tant elle était dorlotée. Sa vie ressemblait à un conte de fées.
Bien qu’elle ne sache pourquoi, elle éprouvait, par moments, des vagues de mélancolie alors qu’elle bénéficiait de tout ce qu’une jeune fille normalement constituée convoitait, elle ressentait un vide intérieur qu’elle ne maîtrisait pas, rien ni personne ne réussissait à apaiser ses angoisses.
Ce sujet la tracassait et elle l’abordait sans gêne avec sa maman qui essayait tant bien que mal de la rassurer, se sentant bien impuissante. Elle lui avait proposé de rencontrer une spécialiste dans le but de se faire aider. Fort heureusement, ses tourments étaient cycliques, toujours dans la période printanière, ils s’atténuaient avec la venue de l’été. Cela semblait étrange à Lucy et elle en avait parlé avec sa psychologue qui lui suggérait que, peut-être dans son inconscient, elle revivait une forme de traumatisme et que ça la mettait insidieusement dans cet état. Lucy n’avait aucun souvenir et le plus regrettable est que la date de son anniversaire, le 29 avril, faisait remonter quelques réminiscences, à croire qu’il s’était passé quelque chose de grave à ce moment-là. Cette période restait nébuleuse pour elle, et chaque année l’histoire se répétait.
Lucy acceptait la situation telle quelle, que pouvait-elle faire de plus ? Sa mère, pour la sortir de son marasme, avait une bonne parade et elle fonctionnait plutôt bien, du moins temporairement.
— Lucy, tu es prête ?
— Oui, je descends.
— Tiens, c’est arrivé pour toi ce matin par la poste.
Helen lui tendit une lettre que Lucy prit et tourna entre ses mains pour en trouver l’expéditeur. Au dos, des initiales y étaient écrites de couleur dorée.
— C’est certainement de la publicité, je regarderai cela plus tard.
Elle déposa celle-ci sur le buffet de l’entrée, enfila ses chaussures et une veste en jeans.
— Voilà, je suis prête.
Toutes deux partirent en direction de la gare et s’installèrent dans le premier train se rendant à Londres. Il y en avait deux par heure. Elles papotèrent de tout et de rien. Arrivées à destination, elles se déplacèrent vers la station de métro la plus proche, elles désiraient aller à Oxford Street. C’est avec ravissement qu’elles dépensaient sans compter ou presque. Le père de Lucy, avocat de métier, gagnait bien sa vie et sa mère n’était pas en reste. Sa réputation n’était plus à faire depuis qu’elle décorait certaines maisons dont la notoriété de leur propriétaire était en vogue.
Elles avaient leurs préférences pour tout ce qui touchait la mode, elles n’avaient pas besoin de se consulter pour se rendre directement dans leurs magasins favoris. Helen s’installa sur une chaise en attendant Lucy en plein essayage. Elle cherchait quelques tenues pour l’été.
En ce mois d’avril, la température ne dépassait pas encore les 20°. Le temps pluvieux et changeant était monnaie courante. En tout temps, le parapluie restait indispensable. Lucy prévoyait de voyager en Italie en août avec Vince, son amoureux. Elle désirait découvrir Milan, car elle escomptait faire un Erasmus en Italie et parfaire par là même ses connaissances linguistiques. À Londres, elle étudiait les langues et espérait devenir interprète. Elle parlait plutôt bien le français qu’elle avait appris après plusieurs séjours en France. Son avenir semblait tout tracé.
Lucy sortit de la cabine. Elle portait une petite robe à fleurs qui mettait en valeur la couleur de ses yeux, vert émeraude. Ses longs cheveux blonds tombaient sur ses épaules. Elle mesurait un bon mètre soixante-quinze, élancée et belle de surcroît. Elle faisait tourner les têtes tant bien masculines que féminines. Elle n’y prêtait guère attention, étant d’un naturel modeste.
— Alors comment me trouves-tu ?
— Magnifique, elle te va comme un gant. Prends-la.
— OK, j’en passe encore une et ensuite on ira boire le thé chez Harrods, tu veux bien réserver une table, je ne désire pas faire la queue, tu sais comment c’est le samedi.
— Bien sûr, ma chérie, je les appelle pendant que tu passes ta robe.
Lucy laissa sa mère, enfila un dernier habit qu’Helen approuva aussitôt.
Ce genre de journée plaisait aux deux femmes. C’était un moment de pure connivence. Tandis que James, le père de Lucy, se rendait au Centurion Golf Club pour y retrouver des clients et quelques amis avec lesquels il tentait de gagner en notoriété en fonction de ses swings. Chacun y trouvait son compte. Le soir, Maria, leur gouvernante, leur préparait un succulent repas où, c’était une règle, tous assistaient et depuis quelque temps, Vince se joignait à eux.
L’après-midi filait comme à chaque fois, elles arrivèrent vers dix-neuf heures à la maison. James les attendait, un verre de whisky dans la main.
— Alors ce shopping, vous avez trouvé de quoi vider mon compte en banque ?
Il dit cela en riant.
— Papa, tu nous connais, on ne dépense que pour mieux te plaire.
— Je n’en doute pas.
— Je vous laisse, je vais ranger mes achats dans ma chambre.
En passant dans le hall, elle récupéra la correspondance reçue le matin même. Elle déposa ses affaires, se changea afin d’être prête à sortir. Avant de joindre ses parents, elle ouvrit la lettre qu’elle avait jetée sur son bureau.
L’en-tête était celui d’un notaire. Cela l’intrigua. Elle prit connaissance du courrier.

***

Londres, le 3 avril 2022

Chère Mademoiselle,

Ma cliente m’a mandaté pour vous remettre certains documents vous concernant. Merci de prendre contact avec mon étude pour une prise de rendez-vous.

Dans l’intervalle, recevez, Mademoiselle, mes salutations distinguées.

                                                                                    Signé Me Athford


***

Sa curiosité était piquée à vif, que lui voulait-il ? Elle devrait prendre son mal en patience, car avant lundi, pas moyen d’en apprendre plus.
   Elle rejoignit ses parents, en omettant volontairement de parler de la missive. Elle préférait savoir de quoi il en retournait afin de ne pas faire de suppositions inutiles.
   Le carillon de la porte d’entrée sonna. Lucy cria à Maria qu’elle allait ouvrir, ce devait être Vince.
— Salut, mon chou.
Il s’avança et la serra dans ses bras.
— Bonjour ma belle, alors ta journée ?
— Parfaite, comme d’habitude. Viens, allons rejoindre mes parents.
Lucy connaissait Vince depuis plusieurs années, ils s’étaient côtoyés dans le même collège. Chacun menait sa petite vie et ils ne faisaient que se croiser sans se prêter plus d’intérêt que cela.
C’est au cours d’une réunion d’anciens élèves qu’ils se mirent à se fréquenter. Vince partageait son existence depuis deux ans. Il souhaitait devenir médecin et travailler par la suite dans le cabinet de son père. C’était un joli garçon, grand, bien bâti, il pratiquait le volleyball dans un club de Chelsea et il était régulièrement sollicité pour participer à des tournois avec son équipe. C’était un excellent joueur et un bon camarade. La saison prendrait fin dans un mois et il pourrait profiter de ses fins de semaine avec Lucy. Souvent le vendredi, il avait un match à disputer et de temps à autre, Lucy se déplaçait pour le soutenir. La soirée fut agréable et le repas à la hauteur de la réputation de leur gouvernante qui était un fin cordon bleu.
Lucy abandonna ses parents pour retrouver ses amis. Elle ne rentrerait que le dimanche en fin d’après-midi, car elle prévoyait de dormir chez son amoureux.
Durant le trajet, elle lui parla de la lettre.
— Tu ne devineras jamais le courrier que j’ai reçu aujourd’hui ?
— Non, en effet, comment le pourrais-je ?
— Figure-toi que dans un premier temps, j’ai cru que c’était de la publicité et puis j’ai réalisé qu’il s’agissait d’un notaire de Londres, il me demande de prendre rendez-vous, tu ne trouves pas cela bizarre ?
— Étrange, effectivement !
— Je l’appellerai lundi afin d’en connaître plus. J’espère juste que ce sont de bonnes nouvelles, j’ai peut-être un oncle caché en Amérique ?
Elle éclata de rire.
— Mais oui, ou une tante ?
— Je n’en sais rien, ça me trouble quand même.
— Alors, évite d’y songer, car tu n’auras pas de réponse avant ton coup de fil.
— Certes !
Il changea de sujet et aborda celui des vacances qu’ils devaient planifier ainsi que plusieurs choses à définir. Ils arrivèrent chez leurs amis et passèrent la soirée à se divertir avec des jeux de stratégie. Ils appréciaient tous les deux ce genre d’activité. À deux heures du matin, Lucy s’endormait sur sa chaise, elle ne rêvait que d’un lit, elle n’eut pas besoin de se montrer entreprenante pour convaincre Vince de rentrer.
Le lendemain, ils se promenèrent à Hyde Park. Le dimanche, ils aimaient y flâner, la nature au mois d’avril se parait de ses plus beaux atouts, les fleurs poussaient un peu partout dispensant des odeurs selon les encens des plantes, les arbres bourgeonnaient, l’endroit était bucolique, romantique et très reposant. Chaque visite était différente et c’était un émerveillement pour les enfants comme pour les adultes. Ils prenaient toujours du vieux pain qu’ils lançaient aux canards dans l’étang, ils s’amusaient de les voir voler pour tenter d’être l’un des premiers à engloutir le morceau à peine imbibé d’eau et qui n’avait pas eu le temps de ramollir.
Il était presque dix-sept heures lorsque Vince la déposait devant chez elle, Lucy l’embrassa et lui promit de le tenir au courant au sujet du notaire.
— Je t’appelle dès que j’en sais plus, ou je te laisse un texto.
— D’accord.
Elle lui fit signe de la main tandis qu’il s’éloignait dans son véhicule.

Chapitre 2

Octobre 1978


Diane s’installa dans l’amphithéâtre du campus. C’était la rentrée universitaire à Genève, elle entamait sa dernière année d’étude. Elle s’était inscrite en lettres, elle aimait bien manier les mots, elle s’imaginait journaliste ou quelque chose du genre. Elle verrait bien une fois qu’elle aurait sa licence en main. Depuis une année, elle était en couple avec Étienne. Elle avait 23 ans et lui 24. Il terminait également ses études d’architecture en juin. Les deux prévoyaient de se mettre en ménage. À ses heures perdues, Diane adorait tirer des portraits, car elle était plutôt douée, elle dessinait les visages des gens qu’elle offrait pour le plus grand plaisir de ceux qui les recevaient.
Elle l’avait rencontré à la bibliothèque tandis qu’elle cherchait un livre. Il l’avait interpelée en lui demandant s’il pouvait l’aider. En découvrant ce beau ténébreux, elle n’avait pas hésité une seconde à accepter sa proposition. Comme ils se voyaient fréquemment dans ce lieu silencieux, Étienne avait attendu le moment opportun pour lui suggérer de boire un café. Diane avait accepté d’un signe de la tête et ils étaient sortis afin de ne déranger personne.
Ils ne se quittaient plus depuis. Étienne habitait dans une garçonnière, financée par son père alors que Diane vivait encore chez ses parents, mais elle passait beaucoup de temps avec son amoureux. Ils se chérissaient comme on peut s’apprécier à cet âge, sans réflexion et au jour le jour.
Diane appréhendait tout de même de se mettre en ménage avec Étienne. En général, c’était une personne douce et charmante. Cependant, de temps en temps, il avait des coups de sang et s’emportait pour pas grand- chose. Cela l’effrayait, elle se demandait comment elle gérerait si la situation devenait plus compliquée. Elle l’avait vu jeter sa tasse pleine de café contre un meuble alors qu’il venait de recevoir un appel de sa mère, l’obligeant à rentrer pour le week-end. Elle prévoyait une réunion de famille à laquelle il espérait se soustraire. Sa maman avait été catégorique, en lui faisant clairement comprendre que tant que ce serait eux qui subvenaient à ses études, ils exigeaient en retour un minimum de sa part. Il avait raccroché et passé sa rage sur l’objet dans ses mains. Ce n’était pas bien malin, le récipient s’était brisé en plusieurs morceaux et le liquide s’était répandu un peu partout. Diane avait mis plus d’une demi-heure à nettoyer les dégâts. Entre-temps, Étienne s’était calmé, mais pas elle. Dans son for intérieur, ce genre de réaction la tétanisait et elle doutait qu’Étienne soit la personne avec laquelle elle s’imaginait être pour le restant de ses jours.
Comme elle en était amoureuse, elle acceptait ses petites crises bien qu’elle ne comprenait pas pourquoi il n’arrivait pas à se contrôler. Seul l’avenir lui confirmerait si vivre avec lui était le bon choix. Cela ne sous- entendait pas forcément qu’ils iraient jusqu’au mariage. Tenter l’expérience ne pouvait qu’être bénéfique pour les deux.
Durant les vacances de Pâques, elle prévoyait de retrouver sa cousine qui habitait dans un autre canton. Elles voulaient faire du ski. Le frère de la mère de Diane résidait en Valais où il était propriétaire d’un chalet. Nathalie, sa fille, avait demandé la permission à son père de l’utiliser. Diane prendrait le train et la rejoindrait à Sion, ensuite elles se rendraient à Zermatt.
Les deux cousines aimaient passer du temps ensemble. Elles recréaient le monde et surtout elles faisaient la fête. Étienne ne connaissait pas cet aspect du caractère de Diane. Il pensait que c’était une personne raisonnable et elle l’était tant qu’elle ne voyait pas Nathalie. Le père de cette dernière les appelait les brigands, c’était tout dire.
Lorsque Pâques arriva, Diane rejoignit Nathalie comme cela était prévu.
Elle transporta tout son matériel de ski et se trouva chargée comme un mulet. Nathalie l’attendait sur le quai de la gare.
—Salut, cousine, comment vas-tu, as-tu fait bon voyage ?
— Oui, merci !
Nathalie l’aida à mettre ses affaires sur un trolley et elles se rendirent sur la plateforme en partance pour Zermatt.
— C’est trop cool que tu sois venue. J’ai beaucoup d’amis en haut, on va s’amuser et je vais te présenter plein de gens.
— Génial ! Les pistes sont encore praticables ?
—Oui, ne t’inquiète pas pour cela, les conditions sont excellentes, il a neigé la semaine passée et puis la température est fraîche, donc on va pouvoir skier.
— Comment va Étienne ?
—Bien! Il a un gros travail à faire en prévision de ses examens. Le mieux est que je le laisse tranquille pour qu’il puisse travailler sans m’avoir dans les pattes. De toute manière, il est rentré visiter sa famille à Neuchâtel.
— Tu es célibattante alors ?
— Si l’on veut.
Et elles se mirent à rire.
Une fois arrivée à destination, Nathalie
appela un taxi qui les emmena au chalet de ses parents.
Elles s’installèrent dans la chambre de Nathalie. Le lit était suffisamment grand pour qu’elles y dorment toutes les deux. Elles pourraient ainsi papoter et profiter l’une de l’autre comme elles en avaient l’habitude.
Diane défit ses affaires et les rangea dans un placard libre.
— Tu as faim ?
—Un peu!
— Ce soir, on sort, alors je vais te préparer
des pâtes et une salade, ça te va ?
— Miam, cela me semble parfait !
— Si tu veux te rafraîchir avant, je descends
et je t’attends dans la cuisine ?
Diane se sentait crasseuse, elle avait été obligée de s’asseoir dans un wagon fumeurs et tous ses vêtements sentaient mauvais, ce qu’elle n’appréciait guère.
— Oh oui volontiers, je pue le vieux cigare. — D’accord, à tout de suite...
Diane laissa couler sur ses longs cheveux
blonds l’eau de la douche. Elle aimait cette sensation sur son corps, elle associait toujours ce moment à une forme de libération des énergies négatives. Elle ressentait le nettoyage autant extérieur qu’intérieur.
Elle sortit de la salle de bains, s’essuya avec un linge tout doux, en noua un autour de sa chevelure, s’habilla et rejoignit sa cousine.
— Hum, cela sent drôlement bon !
— Assieds-toi, c’est prêt dans deux minutes. Tu souhaites un verre de vin ?
— Avec plaisir, tu veux que je débouche une bouteille ?
— Oui, je l’ai posée derrière toi, le tire- bouchon est dans le tiroir.
— D’accord, je m’en occupe.
Elles passèrent à table et dégustèrent leur repas. — Alors que se passe-t-il ce soir ?
—On va aller dans un bar branché et
après, en fonction des gens que l’on rencontrera, on avisera pour la suite de la soirée.
— Cela me semble un joli programme.
Elles rangèrent la cuisine et se préparèrent pour quitter le chalet.
Il neigeotait malgré la saison, ce n’était que le début du printemps, donc, rien d’excep- tionnel. Pour sortir, elles se vêtirent en conséquence, elles ne voulaient pas tomber malades le premier jour de leurs vacances.
Le Tac-Oh-Tac était un lieu où la jeunesse avait pour habitude de se retrouver. La musique était bonne et il était facile de faire de nouvelles rencontres. À peine s’étaient-elles introduites dans le bar que Nathalie reconnut un groupe d’amis. Elle s’en approcha et ils les accueillirent chaleureusement. Elle leur présenta Diane.
Cette dernière connaissait quelques copines de Nathalie qu’elle avait côtoyées en plaine. Elles se saluèrent et les conversations reprirent de plus belle. C’est ce soir-là qu’elle croisa pour la première fois, Luc Bonvin.
Il arriva un peu comme elles, sur le tard, et il s’assit où il le pouvait, en l’occurrence à côté de Diane. Par la force des choses, ils entamèrent une discussion. D’emblée, elle fut subjuguée par le personnage. Le regard de Luc la transperça, ses yeux d’un bleu océan étaient les plus troublants que Diane ait eu l’occasion de voir. Luc était beau, tel un dieu grec. Ses cheveux noirs et frisés lui donnaient un air angélique et son sourire devait en séduire plus d’une.
Luc se montra curieux. Diane se sentit obligée de se dévoiler plus qu’elle ne l’aurait fait avec un parfait inconnu. Il savait y faire et elle lui raconta son parcours, où elle vivait et il en fit de même.
Diane se méfiait de ce genre de personnage, tout leur tombait trop facilement dans les mains. Malgré elle, Diane se laissa charmer, attirée par lui tel un aimant, pourtant elle était consciente qu’elle devait le fuir. Étienne faisait partie de sa vie et ils prévoyaient de se mettre en ménage, elle ne devait pas l’oublier.
Il se faisait tard, elle proposa à Nathalie de s’en aller. Demain elles voulaient skier, alors une bonne nuit de sommeil lui semblait nécessaire.
Elles quittèrent les amis de sa cousine et promirent de se retrouver sur les pistes. Sur le chemin du retour, les deux restèrent avares de paroles, chacune absorbée dans ses réflexions.
Nathalie finit par rompre le silence : — T’es-tu amusée ?
— Oui c’était sympa !
—Tu as fait une touche, Luc te dévorait du regard.
— Tu as remarqué cela ?
— Un peu, il ne t’a pas lâchée de la soirée et en plus, il m’a demandé de quel côté on pensait aller skier demain, donc tires-en les conclusions qui s’imposent !
—Ah bon, j’avoue je le trouve très séduisant, cependant il doit faire tourner la tête de toutes les filles, non ?
— Oui c’est vrai, mais c’est un ambitieux, je ne crois pas que ce soit un coureur.
— Tu n’as pas oublié que je suis en couple avec Étienne ?
—Absolument, toutefois tu n’es pas mariée...
Diane se sentait mal à l’aise.
— Alors, n’en parlons plus, je suis fatiguée, allons nous coucher.
Elle embrassa sa cousine et s’installa bien au chaud dans le lit.
Diane mit du temps à s’endormir, tourmentée par ses pensées qui la ramenaient sans cesse à Luc. Elle était fort troublée par le charisme que ce garçon dégageait. C’était plus fort qu’elle. Diane tenta d’être raisonnable et ne plus y songer, mais elle n’y arriva pas
Le sommeil la gagna finalement et lui octroya un peu de répit.
Le lendemain, les cloches de l’église la réveillèrent. Elle n’était pas habituée, elle les avait entendues toutes les heures et lorsque sa cousine fit une incursion dans la chambre, elle n’était absolument pas reposée.
— Allez debout là-dedans, c’est l’heure.
À voir la tête de Diane, Nathalie éclata de rire. —Ehbien,ilyenaunequin’apasbiendormi! — Grrr... maugréa Diane.
— À qui le dis-tu, ces foutues cloches qui
sonnent chaque heure m’ont presque gardée éveillée toute la nuit.
— Ne t’inquiète pas, tu vas vite t’y habituer. Ce soir après notre journée de ski, nous sommes invitées au carnotzet* de Julien. Il a prévu une fondue et il y aura toute la bande.
— Et comment sais-tu cela ?
—Nous en avons parlé la nuit dernière pendant que tu roucoulais avec Luc.
— Ah OK !
—Allez, lève-toi et viens me rejoindre pour le petit-déjeuner, tout est prêt, il ne manque plus que toi.
Elle soupira et se glissa hors du lit pour aller se passer de l’eau froide sur le visage, elle s’habilla et retrouva sa cousine.
Elles mangèrent du pain frais que Nathalie s’était donné la peine d’acheter à la petite épicerie proche du chalet, celui-ci était accompagné de confiture que sa mère confectionnait pour le plaisir de tous.
Après avoir bu son café, Diane se sentit nettement plus en forme et prête à dévaler toutes les montagnes environnantes.
Elles retrouvèrent leur bande aux pieds d’un départ de télécabine. Luc était là parmi les autres. Ils passèrent la journée à arpenter les pistes. Le temps était magnifique et le soleil au zénith. Chaque fois qu’il le pouvait, Luc s’arrangeait pour remonter sur les téléskis avec Diane. Il poursuivait son opération de séduction et Diane essayait mollement de le repousser. Elle réalisait que cela devenait difficile.
Les deux cousines rentrèrent au chalet, fatiguées. Elles s’astreignirent à une sieste afin d’être en forme pour la soirée qui s’annonçait.
Diane se sentit obligée de se justifier auprès de Nathalie par rapport à ce qui était en train de se passer avec Luc.
—Je me demande si je ne vais pas redescendre en plaine, je crains de faire une bêtise avec Luc.
— Ah non, tu ne vas pas me faire cela. Tu es jeune, tu as tout l’avenir devant toi et surtout tu n’es pas mariée à Étienne. Et parlons-en d’Étienne, tu ne crois pas que si tu étais convaincue, ni Luc ni personne d’autre ne pourrait te troubler ?
— Oui vu comme cela, tu as raison.
— Alors ce qui doit arriver, arrivera et tu aviseras à ce moment-là. Luc, c’est un très bon parti, son père à une grosse entreprise de métallurgie en Valais et je te l’ai dit, c’est un ambitieux. Il veut faire de la politique et il espère un jour devenir conseiller d’État et je te garantis qu’il y parviendra. Il est déterminé et droit comme un i, donc laisse-toi vivre. Personne ne saura rien si tu as un petit flirt avec lui.
— Certes, je dois l’admettre, je m’inquiète pour un rien.
Diane passa une semaine magique, son premier baiser l’avait culpabilisée, au deuxième, elle avait presque oublié Étienne, à la fin de son séjour, elle s’était retrouvée face à une réalité qu’elle ne pouvait fuir, elle s’était entichée.
Luc était au courant qu’elle fréquentait Étienne et qu’ils prévoyaient de se mettre en ménage. Il était tellement sûr de lui qu’il accepta de lui laisser le temps de peser le pour et le contre, afin de prendre les bonnes décisions quant à son avenir amoureux. Il ne souhaitait pas la bousculer et qu’elle lui reproche par la suite quoi que ce soit.

* Carnotzet : local en sous-sol aménagé pour boire des verres entre amis
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Avis : auteurs auto-édités / Bornéo Patrice de Fréminville
« Dernier message par Antalmos le lun. 24/04/2023 à 10:35 »
Bornéo est la première nouvelle que je lis de Patrice de Fréminville qui semble avoir trouvé sa voie dans ce format puisque chacun de ses trois ouvrages ne dépassent pas les quarante pages. Ayant connu l'auteur sur les réseaux sociaux, je ne fus donc pas surpris de découvrir ses thèmes de prédilection qui oscillent entre anticipation et science-fiction. Dans Bornéo, il est question de l'avenir de l'humanité et la question qui se pose est : les IA pourraient-elles un jour profiter de nos faiblesses pour devenir l'espèce supérieure ?
Question qui à elle seule fait déjà froid dans le dos tant on se demande finalement si ça ne pourrait pas bien finir par arriver un jour.
Difficile d'en dire plus sur une nouvelle de vingt-deux pages sans spolier, mais je dirais que l'auteur a un talent certain d'écriture pour nous plonger en peu de pages dans les conditions d'un monde apocalyptique et du devenir de l'humanité. Je ne peux donc que vous encourager à découvrir ses écrits, et à un prix symbolique de 0,89 €, pourquoi s'en priver ?
Je terminerai par un constat de l'auteur qui laisse déjà augurer de nouveaux écrits inédits :
" Non, tout n'a pas été écrit en matière de science-fiction. Il y a encore de nombreuses possibilités pour renouveler le genre ".
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Mise en avant des Auto-édités / Aliandra de Giovanni Portelli
« Dernier message par Apogon le jeu. 13/04/2023 à 17:53 »
Aliandra de Giovanni Portelli



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 D'UN LIVRE… À UNE BIBLIOTHÈQUE

Eh salut vous ! Je ne savais pas si vous finiriez par m'ouvrir, depuis le temps que vous traînez devant cet étal. Vous vous demandez sûrement ce que veut dire ce titre ? Auteur méconnu, couverture fruste, probablement le clone d'une histoire de science-fiction que j'ai déjà lu ou vu au ciné.
Et pourtant, si nous avons tant tardé à nous rencontrer, c'est bien parce que je ne ressemble en rien à ce que vous avez pu lire ou voir ailleurs. Ce qui me distingue des autres ? C'est justement que je fuis les codes du genre. Héros sans faille, méchant sans excuse, but clair et précis, très peu pour moi !
Je ne suis qu'un livre, certes. Vous m’oublierez sûrement, poussiéreux sous votre lit ou délaissé sur la banquette d'un train où je devrai patienter qu'une autre personne me saisisse. Je ne saurai rien de plus de vous que ce visage que vous m'offrirez le temps de votre lecture. Vous ne saurez de moi que ce que j'ai à vous livrer.
Le temps nettoie tout, inlassablement. Parfois, cependant, des instants nous marquent. J'espère faire partie de ceux-ci. L'époque où les livres étaient une fenêtre salutaire entre les esprits n'est pas totalement révolue, j'espère. Je les pense même plus libérateurs pour l'esprit que les virulentes vidéos véhiculées par les multiples médias modernes.
Je ne suis pas contre la modernité, attention. Cela rapproche les gens et réduit les distances. Simplement quoi de mieux qu’un livre pour rendre visite à votre seule pensée, votre imaginaire, votre identité quelque part ? Peu importe le récit que je vais vous soumettre, au fond. Ce qui compte, c'est ce reflet de vous qui vous attend. Ne manquez pas ces instants avec vous-même, c'est là mon souhait.
Longtemps je n’ai su déterminer à quel genre appartenait cette aventure. Elle présente certains aspects de la fantasy, de la science-fiction et du thriller, certes, mais du point de vue des narrateurs qui se partageront la tâche de vous la transmettre, il s’agit d’abord d’un témoignage. Le témoignage de leur propre vie, avec ses joies, ses peines, ses douleurs parfois indicibles. Il vous faudra capter parfois leurs silences autant que leur mots pour compenser ce que leurs regards ne pourront vous transmettre. Sur ce, bonne lecture... 

DU POINT DE VUE D’ALEX

2 février 2017
Vous éclairer sans être lourd sur la mythologie qui entoure l’univers d’Aliandra, j’aime autant vous prévenir, on a fait de notre mieux, mais on n’est pas toujours arrivé à un modèle de simplicité. Naturellement nous ne sommes que des personnages de fiction. Tout ce qui suit n’est que le fruit d’une imagination légèrement débridée par le fait de n’avoir reçu aucune influence dès l’enfance pour orienter sa façon de penser.
Votre réflexion s’est forgée au contact d’un milieu familial, religieux ou culturel, voire de tous à la fois. Dans mon cas, je n’ai joui que très peu des trois. Cela dit, comme je ne veux froisser personne et toucher le plus grand nombre, je ne peux pas prétendre que quoi que ce soit ici soit la représentation, même imagée, d’une quelconque réalité commune à la vôtre.
Même si pour vous rendre les choses accessibles, nous allons situer certains des événements qui vont suivre sur Terre, ce n’est que dans l’optique de vous faire entrer graduellement dans notre fantasmagorie. Tout ça pour arriver à la formule consacrée – c’est mon expression du moment, je risque d’en abuser ! – selon laquelle toute ressemblance avec des personnes existantes, ayant existé ou venant à exister ne saurait être que fortuite, blablabla !


SELON WRANGELLE OU PRESQUE...

02/02/2017
Merci Alex pour ces précisions ! Pour ce qui est du graduel, je ne fais pas dans l’escalator, plutôt dans la catapulte. Autant vous y préparer, vous allez certainement déguster les premiers temps. Toutefois si vous arrivez jusqu’à une certaine course-poursuite de 1974, sachez que le plus dur sera fait. Sur l’autre point, le côté « imaginaire » personnellement, je n’en ai rien à faire que cela vous heurte ou non.
Si vous savez lire, c’est que vous êtes bien assez grand pour faire le tri. Pour bien mettre les choses en place, je ne pense pas non plus que démarrer dans un trou à la campagne, pantoufles aux pieds, à regarder la télé pépère, cela nous mette dans l’ambiance requise. Non, à mon sens il faut remonter à l’origine du problème, sur une planète que j’ai longtemps considérée comme chez moi...
Si tu parles de Lhima, ils ne vont rien entraver, mais libre à toi, mes pauvres quarante piges ne peuvent rivaliser avec tes neuf mille ans d’expérience, après tout.
Merci pour l’intervention, Alex. C’est vrai qu’on n’est pas déjà assez perdu depuis que le « livre » lui-même a souhaité la bienvenue à notre hôte pour l’obliger à faire sans transition le distinguo entre deux narrations.
C’était ton idée, les points de vue croisés, je te signale…
Soit ! Profitez du rappel si vous avez perdu le fil depuis trois paragraphes. À partir d’ici et ce pour toute la durée de cet épisode, les déclamations en italique sont d’Alex Gartempe. Autrement, c’est votre hôtesse, Wrangelle, qui est au clavier.
Déclamations, rien que ça ? Tu trouves que tu ponds du Victor Hugo, toi, peut-être ? Ça te…  #onsenmoque
Bref, vous avez compris l’idée.
Eh ! Mais tu as coupé ma réplique ! Ne me dis pas que tu es encore susceptible sur ton âge après tout ce qu’on a vécu quand même ?
BREF ! On peut perdre du temps de mille façons dans l’espace mais rarement en gagner. Les physiciens ne me contrediront pas là-dessus. S’il est une chose sur laquelle j’aimerais qu’ils ferment les yeux en revanche, ce sont les raccourcis – et ce n’est pas qu’une expression – que j’ai dû prendre pour permettre de ne pas entrer dans les détails techniques qui plombent toujours le récit. En l’occurrence, cela rend rapidement élitiste les meilleures histoires qui placent leur action dans l’espace. C’est donc dans un souci de clarté que je n’emploierai pas un langage trop pointu pour raconter l’origine de ma galaxie comme le fonctionnement de ses méandres. Si l’envie vous prend toutefois d’en savoir davantage, vous pouvez toujours en formuler la demande et…  #chacunsontour
Non sans intérêt, franchement ! Sans vouloir être méchant, ça n’apporte rien à l’histoire, d’une. De deux, ça implique de penser dans une autre langue, avec une métrique et un raisonnement aussi proches de notre science que l’œuvre de Jean-Sébastien Bach peut l’être de celle des Spice Girls. Donc autant arrêter là l’insert sur la physique quantique.
Je te laisse la responsabilité de cette suggestion comme de cette dernière comparaison, Alex. Admettons en soi que le point de vue d’un habitué de l’espace ne soit pas le plus judicieux. Que pensez-vous de celui d’un enfant un rien exceptionnel ?
Oui bonne idée, si on parlait de moi ? C’est vrai que c’est mon sujet de conversation préféré... 

SARAH, OU LE JOURNAL D’ALEX GARTEMPE

26/06/1986
Dominique jauge régulièrement les traits fermés du garçon qui lui fait face. Il est nerveux. Assis sur une chaise, les mains sous les cuisses, ses pieds oscillent doucement d'avant en arrière. Les cheveux en bataille, sa frange mange à moitié ses yeux de jais qui scrutent tour à tour les objets disposés sur son bureau pour ne jamais rencontrer le visage de l'éducatrice.
Élancée, sportive même, cette jeune et jolie Basque d’origine a, malgré ses cheveux bouclés, un faux air de Françoise Hardy. Hélas, souligner cette ressemblance la contrarie car la pauvre chanteuse passe à ses yeux pour une personne sans grande vitalité. Baskets aux pieds, pantalon noir taille haute et une veste assortie à épaulette, elle suit la mode et colle bien à son époque dynamique. Aussi l’éducatrice impressionne-t’elle clairement l’enfant de huit ans.
Elle consulte calmement son dossier, en silence. Émue, elle découvre l’infortune de l’enfant résumée en quelques dates. Une naissance estimée autour du 22 avril 1978, suite à la découverte du nourrisson par un pêcheur près d'une rivière de la Vienne. Plusieurs familles d'accueil se proposent ensuite sans succès de lui offrir un foyer. Bébé « difficile », bambin « ingérable ». L'une d'elle motive même son rejet avec un « penchant pour la pyromanie » en hiver 1984, qui ne s'est cependant pas vérifié ailleurs.
Par les mystérieux rouages de l'administration ou un « caprice du destin » il se voit ainsi ballotté de maison en foyer jusqu'à gagner les côtes charentaises. Cet enfant ne pouvait que perdre tout repère, si tant est qu'il en ait eu un jour. Dominique conclut que son mensonge aujourd'hui sur son état de santé traduit surtout un profond besoin de reconnaissance et d'attention. Bizarrement, plus elle le regarde, plus elle trouve ce petit agitateur attachant. Comme elle lui parle enfin, il reste sur la défensive.
Ses pieds continuent leur mouvement de balancier. Toutefois, il ne perd pas une miette de ce qu'elle lui raconte. Il s'attend déjà à se faire sévèrement réprimander et écoper d'une punition exemplaire pour avoir « simulé » une crise d'asthme. Toux sèche, polypnée, la poitrine oppressée, Alex n'a ressenti cela qu'une poignée de secondes, seulement pour lui c'était réel. Et ce ressenti le trouble bien davantage que tout ce que lui débite cette adulte qui, comme les autres, ne voit probablement pas au-delà d'elle-même.
D'aussi loin qu'il s'en souvienne, personne n'a été capable de lui accorder le moindre crédit. Il sent pourtant ces choses comme les autres. Au début, il s'était imaginé que tout le monde jouissait des mêmes facultés et en avait donc parlé naturellement. Il n'obtint en retour qu'incrédulité, moquerie ou rejet. Tant que cela reste au cinéma ou dans les livres, les gens sont prêts à concéder n'importe quoi au premier venu. Dès que l'anormalité entre dans leur existence propre en revanche, la chasse aux sorcières, le bruit des bottes sur les Champs et la ségrégation ne paraissent plus aussi sagement rangés parmi les vieilles photos des livres d’Histoire.
Alors, comme un réflexe de survie, Alex a appris à se taire. Il laisse distraitement son éducatrice lui expliquer qu'une vraie crise d'asthme dure plus longtemps qu'une poignée de minutes, assez en tout cas pour ne pas s'envoler ensuite comme par magie. Trop jeune, il ne peut pas lui rétorquer qu'il a ressenti les symptômes et non proprement vécu cette crise, encore moins lui faire saisir cette nuance, très différente de ce qu'elle affirme, comme tous les autres avant elle. Quand bien même, il a déjà renoncé avant même que l'infirmier du foyer ne lui serve, faute de symptôme tangible, un regard soupçonneux qu'il ne connaît que trop. A huit ans, il a cerné qu'il n'est pas fait pour entrer dans le moule auquel les enfants comme lui doivent coller pour faire partie d'une famille. Pire, il l'a accepté.
Persévérante, Dominique poursuit en lui suggérant qu'en revanche, il a pu se sentir oppressé devant la violence du traitement qu'ils infligeaient, Dimitri et lui, à leur jeune compagnon réellement asthmatique. Après tout, n'agissait-il pas sous l'influence néfaste de son camarade ? Elle lui concède même qu'il est probablement honnête sur son ressenti. Curieusement, cela fait mouche. Se peut-il que cette jeune Basque au regard franc lui accorde ce qu'il désespérait jamais trouver chez quelqu'un d'autre ?
Lorsqu’elle évoque la possibilité qu'inconsciemment il simule les symptômes des autres pour se faire accepter d'eux, les pieds d’Alex ne bougent plus. Son regard ne quitte plus celui de l'éducatrice. Notant l'attention qu'il lui accorde enfin, elle se retient de sourire pour ne pas trahir sa satisfaction. C'est qu'elle n'est pas si sûre d'elle, la pauvre jeune femme. Malgré ses études, la révolution qu'a connue le monde des enfants en difficulté et l'avènement de l’accompagnement social des familles, Dominique reste en proie au doute quant à ses capacités, comme toute personne qui débute. Elle a beau avoir affronté de sacrées têtes de bois, elle n'est convaincue d'arriver à quelque chose avec lui qu'à partir de cet instant.
De là, captivée par la profondeur du regard de l'enfant, une envie profonde naît à nouveau en elle de mettre un terme à ce parcours chaotique pour enfin offrir un vrai foyer à Alex. Elle est parvenue à faire entrer un peu de lumière dans son regard si noir. Rien qu'une étincelle, une lueur d'espoir tout de même. Il ne faut plus qu'elle s'éteigne désormais, quitte à déplacer des montagnes. 

05/07/1986
De gros écouteurs recouverts de mousse orange sur les oreilles, un T-shirt constellé de badges polychromes, le walkman contre la cuisse, Sarah lance un bref regard dédaigneux au garçonnet qui descend de la voiture de sa mère. Le pincement de lèvres de Dominique suffit cependant à lui arracher un bonjour. Les cheveux longs, noirs, un peu gras aux racines, les yeux baissés sur un magazine à la couverture rouge vif estampillée TOP50, elle doit avoir dix ou onze ans. Sa tenue et son attitude dénotent la recherche d'un air branché que remarque aussitôt Alex, même si elle l'intimide un peu par son accueil un peu froid. Son T-shirt noir porte en revanche de discrètes traces blanches d'une sueur trop salée qui échappent pour l'instant à l'orphelin.
La maison où ils viennent d'arriver est une fermette sur cour ouverte. Dominique explique à son invité avec un enthousiasme non feint que la maison est de plain pied, mais que les petites ouvertures carrées donnent sur un grenier qu'elle aimerait aménager en chambres à coucher par la suite. Les murs crépis et chaulés, le toit en pente douce couvert de tuiles tiges de botte, entrent typiquement dans le style régional. Au-delà d'un immense préau surchargé de matériel agricole, ce ne sont que des forêts et des champs à perte de vue, maïs, tournesols et vigne. À deux cents mètres à peine, un monticule recouvert d'une longue bâche noire maintenue par des pneus de tracteur pique la curiosité d'Alex.
– C'est de l'ensilage. C'est pour nourrir les vaches.
– Et quand ça pue jusqu'ici, c'est qu'il va pleuvoir, glisse la jeune fille sans quitter sa revue du regard, l'air faussement méprisant.
– Dans ton cas, ça marche aussi. Tu n'as pas encore pris ta douche, je présume ? rétorque Dominique, surprise aussitôt par le rire d'Alex.
– Ouf ! C'est un revers digne d’Henri Leconte, ça ! C'est qui le gai luron ? demande la jeune fille qui lève enfin les yeux de son hebdomadaire, sans pour autant retirer ses écouteurs.
– Oui, faisons quand même les présentations. Je te présente Alex. Comme je vous l'ai déjà dit, à Papa et toi, il va passer les grandes vacances avec nous et, s'il se plaît ici, il fera son année scolaire avec toi.
– T'es en quelle classe ? lance la jeune fille au garçon, sans que son visage ne trahisse le moindre intérêt pour la réponse.
– Je vais entrer en CE2.
– Ah ben super ! Pile celle que je redouble, repart-elle, dépitée. Mais ne t'en fais pas, la maîtresse est vraiment super. Tu vas l'adorer.
Alex n'en croît pas ses oreilles. La jeune fille lui paraît vraiment plus âgée que lui, malgré son allure grêle. De plus, les filles sont douces et ne répondent pas comme ça aux adultes. Sarah a de plus une force dans le regard, une maturité auxquelles on ne s'attend pas. Cela captive le garçon qui s'enquiert, presque sans réfléchir :
– Tu as quel âge ?
– L'âge que tu voudras, petit, mais au moins deux ans de plus que toi !
Sans trop avoir compris la réponse qu'elle vient de lui servir, Alex repart spontanément :
– Et tu t'appelles comment ?
– Sarah.
Elle se détend subrepticement comme elle remarque quelque chose de touchant que dégage ce bout de chou de l'assistance. Malgré son bouclier verbal, Sarah ne saurait se montrer cruelle envers un enfant en difficulté. Sa mère qui décèle l'esquisse d'un sourire sur son visage si dur d'ordinaire pense avoir raison de miser sur sa jeune rebelle pour qu'Alex prenne confiance en lui et ose enfin aller de l'avant.
Pierre franchit bientôt le seuil de la maison. Le colosse impressionne d’emblée le gamin. Certes il ne fait qu'un mètre soixante-quinze, mais les épaules larges, le visage carré et les mains épaisses, l'homme paraît un golem aux yeux d’Alex. Intimidé, il ne pipe plus un seul mot lorsque l'agriculteur vient embrasser son épouse et lui confier que presque plus rien ne filtre sur Tchernobyl sur le Minitel. L'homme est inquiet. Malgré les communiqués évasifs des autorités, il s'acharne à décortiquer les informations que diffuse l'AFP :
– On nous balade. Les spécialistes utilisent une multitude d'unités pour nous embrouiller, mais la taille des aubergines et des tomates cette année ne trompe personne. Le vent a buffé  jusqu'ici et on en a soupé, de leurs rayons. La terre en est imprégnée et tout ce qui pousse est contaminé.
– Qu'est-ce qu'on peut faire ?
– C'est trop tard pour décaniller. La Fontaine disait que quand le mal est certain, le moins prévoyant est souvent le plus sage. Alors ma foi, on ne vaut pas mieux que les gorets dans cette histoire. Faut essayer de continuer à vivre normalement, j'imagine.
Compatissante, Dominique désigne d'un coup d’œil rapide son invité à son homme. En effet, leurs inquiétudes ne concernent pas les enfants. Son visage s’illumine d’un franc sourire lorsque Pierre lance, un sourire aux lèvres :
– Alors ! C'est lui, le drôle ?
– Oui, Alex, je te présente Pierre, mon époux.
– Il a l'air d’avoir de bonnes guibolles. Il va pouvoir m'aider…
– Oui oui, on verra ! le coupe Dominique, pressentant un débordement d'enthousiasme plus effrayant qu'autre chose pour son protégé.
Le patois charentais qui colore le langage de Pierre laisse perplexe l'enfant qui n'a connu jusqu'ici que des citadins. L'homme est pur souche et n'en déplaise, il est fier de ses racines. Alors qu'il entraîne Alex à la découverte de la vie à la ferme, Dominique a une pensée pour leur propre rencontre, des années plus tôt.
L’agriculteur était aventureux, du haut de ses vingt-deux ans, lorsqu'il s'était engagé sur les parcours de randonnée des Pyrénées. Elle, native de Saint-Jean-de-Luz, était une habituée des lieux. Lui beaucoup moins, s'était bel et bien perdu. Les joues rougies, l’air hagard, il l'avait d'abord bien fait rire. Puis ils avaient appris à se connaître jusqu'à ce que, de fil en aiguille, ils ne fassent plus qu'un. Comme il était voué à reprendre la ferme de son père, elle, amoureuse, l'avait suivi en Charente-Maritime. Ses parents décédés, elle n'avait pas grand-chose à laisser derrière elle, sinon ses montagnes adorées. Alors que son cher et tendre glisse avec ferveur au garçon :
– O va zou faire de toi un houme, un vrai. Tantôt, si o grâle trop , o fera mijheot  et...
– On ira doucement sur le vin rouge, il n'a que huit ans quand même ! réagit-elle amusée.
Sarah, qui n'a rien perdu de leur échange, les étudie en pesant le pour et le contre. Elle comprend à présent ce que Dominique avait derrière la tête en faisant entrer ce garçon dans leur maisonnée. Elle se sent naturellement un peu jalouse de l'enthousiasme de Pierre à l'égard du nouveau venu. Toutefois, elle voit déjà en celui-ci une chance pour son père de se projeter avec un autre homme sur une exploitation chaque année plus lourde à gérer, une charge contre laquelle est demeure impuissante. Une raison de plus de la motiver à souhaiter qu'il s’intègre, sombre certes, mais très noble pour une personne si jeune…

02/10/1986
Être nouveau quelque part n'est jamais facile pour personne, même pour un habitué de l'exercice. L'été chez les Davril ayant été particulièrement heureux, Alex obtint de pouvoir faire sa rentrée avec Sarah à l’école primaire de Saint Genis de Saintonge. Évidemment, il fit l'objet de la curiosité de ses nouveaux camarades de classe, amassés autour de lui les premiers jours comme on découvre un jouet à la mode ou un nouvel animal de compagnie. L'engouement qu'il suscita retomba aussi vite qu'il était monté, Alex n'ayant pas grand-chose d'exceptionnel pour entretenir l'intérêt d’un tel public.
À cette époque, pendant la récré, les écoliers ne sont pas greffés d'un téléphone portable à la main ni d'un lecteur MP3. Certains courent autour d’un ballon de foot ou de basket. D'autres donnent des chiquenaudes à leurs billes, accroupis autour d’un trou dans le bitume de la cour, électrisés à l’idée de rafler la mise. Les filles jouent à l'élastique, un jeu d'adresse pour lequel il faut au moins être deux, trois idéalement. Enfin, rares sont ceux qui possèdent un jeu électronique, plus encore la fameuse Gameboy, et se voient autoriser à la sortir à la récréation par leurs parents. En revanche, le fait d'avoir grandi ou non avec les autres mômes du groupe fait énormément sur sa hiérarchie. Les affinités nées de plusieurs années de crèche et de maternelle prévalent sur le reste en primaire, surtout quand on n'a que des billes en terre cuite et non des agates.
Sarah aussi a ses copines et ses habitudes ici. Pour Alex, il faut tout construire de nouveau. À La Rochelle, outre le fait qu'il n'était pas le seul orphelin, Dimitri l'avait vite élevé au rang de caïd parce qu'il lui fallait un faire-valoir pour rire de ses âneries et maltraiter les plus faibles. Ce n'était pas glorieux mais ça valait toujours mieux qu'être isolé à la périphérie de ce qu’il considère déjà comme un clan imperméable.
Certes, il est difficile de s'intégrer dans une équipe où chacun a déjà sa place distribuée d'avance, que ce soit pour un match de foot ou un quelconque jeu de rôle imaginaire. Le pire cependant, c'est de tomber sur plus fort que soi, le tout associé à une bonne dose de stupidité. Devait-il payer pour le temps passé à soutenir Dimitri dans son jeu de massacre quotidien en devenant à son tour la marionnette d'une brute ? Alex a bien essayé de résister, seulement aussi bien verbalement que physiquement, il ne fait pas le poids.
Le grand Stéphane a tout pour lui, la force, les amis et deux redoublements consécutifs qui en font un pré-ado redoutable dans cette colonie de gringalets. Alex n'est personne, rien de plus que l'homonyme d'une rivière, sans passé ni famille, ce que le rustaud ne se prive pas de souligner :
– Moi j'aurais ta tronche, je ne chercherais pas vraiment pourquoi j'ai été abandonné à la naissance, Gartempe. Franchement, ça saute aux yeux, pas vrai les copains ?
Il voit bien dans le regard des comparses de cet abruti de haut vol que le cœur n'y est pas vraiment. Pour avoir joué le même rôle, il en connaît jusqu’à l’attitude. Faire semblant de rire du malheur d'un autre avec le ventre noué pour lui, juste pour ne pas finir à sa place. Alex ne se doute pas qu'il pourrait renverser la vapeur et retourner tout le groupe contre Stéphane. Il lui suffirait de savoir exprimer cette peur qui ronge les autres pour la changer en courage, juste assez longtemps pour décourager ce tyran de bac à sable, probable photocopie d'un modèle parental tout aussi affable.
Seulement la peur est trop forte. Ce frisson qui le gagne lui envahit les membres, ramollit les jambes et appesantit le ventre. Il n'arrive pas à penser. Son esprit ne travaille qu’à débusquer une échappatoire. Mais où fuir ? Alors que derrière lui, l’angle de la cour, cerné de murs et de grilles infranchissables, prend de plus en plus l’allure d’une souricière, une voix qui se veut ferme retentit brusquement, en réponse à Stéphane :
– Non mais avec la tienne, tu n'aurais pas à chercher bien loin. Ton père le voudrait qu'il ne pourrait pas te renier. Tu as le même groin que lui. On reconnaîtrait ta face de verrat à des kilomètres.
Attentive, c'est Sarah qui est arrivée à la rescousse du pauvre garçon. Il ne demande d'ailleurs pas son reste pour décamper auprès de sa sauveuse. Malgré son allure franchement fluette, l'intensité de son regard suffit en général à rabattre les caquets les plus audacieux. Stéphane, pour ne pas perdre la face, crache :
– C'est ça sauve-toi, l'orphelin ! T'auras pas toujours quelqu'un pour te sauver la mise. Trouillard !
– Trouillard ? répète la jeune fille, campée sur ses positions, les mains sur les hanches à présent. Tu fais autant le malin, le soir, dans ton lit avec ta veilleuse ? Tu n'as plus peur du noir, peut-être ?
Les autres échangent des haussements de sourcils, avant de scruter le visage de leur chef qui vient de virer à l'écarlate à l'évocation de ses crises de larmes lors des siestes imposées des années plus tôt en classe de maternelle. L'inquiétude prend le pas sur la liesse. S'en prendrait-il à une fille ? Stéphane fulmine, le regard noir :
– Toi, tu mérites une bonne leçon.
Avisant les instituteurs qui ne perdent rien au loin, le groupe qui sent le vent tourner se disperse sensiblement. Seul Alex attend de voir comment va évoluer la situation. Tout à sa colère, le porcelet ne remarque pas les rats quitter le navire. S'approchant d'elle, il ne quitte plus des yeux la petite brune qui lui tient tête. Malgré la boule qui commence à lui tarauder l'estomac, elle conclut, d'une voix blanche, sans toutefois baisser le regard :
– Alors tu serais assez lâche pour frapper une fille ?
– Pourquoi il t'intéresse tant, ce tocard ? Ce n'est qu'un chien abandonné, sûrement un manouche ou un bât…
Le coup est parti sans préavis. Aussi surprise que le grand escogriffe, c'est bel et bien Sarah qui a collé son poing sur son gros tarin. Aussitôt, l'un des maîtres se précipite dans leur direction. Pourtant prêt à répliquer, Stéphane n'a pas le temps de lever le petit doigt qu'Alex s’interpose, dans un élan de courage inattendu. Avant que les adultes ne s'en mêlent, Sarah crache à l'abject imbécile qui a déjà le dessus sur le garçon, la voix modulée par l’émotion :
– Parce que moi aussi, je suis une enfant trouvée, espèce d'idiot. Et j'aime autant ne pas connaître mes vrais parents s'ils doivent être aussi débiles que ceux qui t'ont rempli la tête de toutes ces conneries !
Avant d’écoper d’un généreux bourre-pif, Alex a le temps de lancer un regard à la jeune fille, plus estomaqué par cette révélation que par une situation proprement surréaliste dans cette petite école de campagne d'ordinaire si tranquille…

04/10/1986
Le week-end suivant l'altercation avec Stéphane, l’œil d'Alex est encore auréolé de jaune et de pourpre, quoique tout à fait dégonflé. Pour le courage dont il a fait preuve pour elle, Sarah a décidé de l'emmener enfin dans ce qu'elle appelle son jardin secret. Elle lui a parfois décrit le lieu où elle se rend lorsqu'elle a besoin de s'isoler, sans jamais l'autoriser, jusque là, à l'y accompagner. En réalité, l'enfant ne s'attend pas à tomber sur un véritable jardin caché au milieu de la forêt, un trésor de créativité et de poésie en fait.
Carré, tapis de lierre entre quatre gros chênes centenaires, l'endroit est protégé d’une épaisse voûte feuillue. Avec l'aide de Pierre, Sarah a dressé tout autour de vrais murets de pierres et de branches mortes sur lesquels la vigne vierge est montée. Elle s'est permis cet aménagement parce que le bois fait partie du domaine Davril. D'ailleurs, la plupart des habitués des lieux, surtout des chasseurs et autres chercheurs de champignons, connaissent et respectent le sanctuaire de la jeune fille. Certains y déposent même, en tribut à sa créativité, pommes de pin, coquilles d'huîtres, noix et autres poignées de marrons d'Inde en guise de matière première.
Avec du fil de pêche et un couteau suisse dont elle ne se sépare jamais, elle bricole des carillons à vent, creuse de petites sculptures naïves dans des branches mortes, passe le temps en contact avec la nature. Elle raconte à Alex qu'elle a bien essayé de repiquer des orchidées sauvages et autres fraisiers ici, mais le passage de petits animaux, le manque de lumière et probablement aussi d'expérience ont nui à son projet. Bizarrement la présence d'Alex avec elle dans ce coin de forêt qu'elle arpente d'ordinaire en solitaire lui procure une émotion particulière.
En réponse, il évoque sa vie décousue. Pierre qui roule, il n'a jamais eu le loisir de pouvoir se créer un endroit à lui comme celui-ci. L'idée trouve donc grâce à ses yeux, tout comme les créations de la jeune fille, qu'il qualifie simplement de « géniales ». Le cœur battant plus fort que d'accoutumée, Sarah est brutalement prise d'une violente quinte de toux qui l'oblige bientôt à s'adosser à un arbre.
Alex porte presque aussitôt la main à sa poitrine, de sentir sa cage thoracique se contracter malgré lui. Son cœur paraît se mettre à battre deux cadences à la fois. Honteux, il se tourne pour tenter de cacher qu'il perçoit à la fois l'émotion et l'étrange encombrement respiratoire de son amie. Obligée de s’asseoir sur une grosse racine, proprement vidée de ses forces, elle n’a pas manqué son volte-face. Inquiet d'être découvert, le garçon ne sait plus comment réagir. Sarah crache plusieurs fois avant de reprendre le dessus sur sa toux et lancer, la voix légèrement sifflante :
– Tu me vois tousser et du coup... tu as la trouille d'attraper ce que j'ai ?
Alex cherche aussitôt le regard de la jeune fille pour objecter franchement :
– Non, ce n'est pas ça. Ça va ?
Son visage manifeste une empathie sincère. Sa main s'attarde cependant sur son torse, ce qui agace l’adolescente :
– Alors quoi ?
– C'est rien, laisse tomber. On peut rentrer, si tu ne te sens pas bien.
– Non c'est bon, c'est juste... mon asthme. Ça va passer.
– Ça, ce n'est pas de l'asthme, réplique-t-il spontanément avant de se mordre les lèvres d'avoir émis cela tout haut.
Elle lui adresse un regard à la fois surpris et inquisiteur :
– Ah parce que tu sais reconnaître l'asthme au son d'une toux, toi ?
Interdit, il souhaite vivement que la conversation change de direction. Les yeux rivés sur le sol, l’orphelin découvre à même le lierre, entre les premières feuilles mortes, un bout de bois flotté qu’elle a ramassé près de l'estuaire de la Gironde. L'adolescente lui a donné la forme d'un chihuahua ailé, une fantaisie sur laquelle il reste figé, braqué. Sarah finit par lui expliquer, de noter l'intérêt du garçon pour son fennec :
– C'est mon Harmonique.
– C'est quoi, un Harmonique ?
– Une espèce d'ange gardien... Mais puisque tu n'as pas l'air de vouloir partager tes secrets... Je ne vois pas pourquoi je t'en dirais davantage sur les miens.
– Quel secret ? Je n'ai pas de secret.
– Maman m'a raconté que tu as simulé une crise d'asthme pour te faire remarquer... au foyer. C'est pour ça qu'elle a voulu qu'on se rencontre, je suppose… Pour voir si tu mens ou si tu as réellement un don…
– Quelle importance ? rétorque subitement Alex avec un visage qui traduit surtout de la tristesse. Tu dois déjà me prendre pour un fou ou un menteur, comme les autres.
– J'ai l'air de me moquer de toi ou de te prendre de haut ?
– Non, mais…
– Dis-moi ce que tu as perçu... Je te dirai si ça correspond à ce que je ressens... et on sera fixé. Ça ne peut pas continuer ainsi.
Comme il hausse les sourcils, elle esquisse un sourire pour le rassurer avant d'ajouter, essoufflée comme si elle venait de disputer un sprint :
– Il n'y a que toi et moi… Personne pour te juger ou se moquer… Alors vas-y, lance-toi.
Après quelques longues secondes d'hésitation, les yeux toujours rivés sur la sculpture, l'orphelin se met à parler d'une voix sourde, presque inaudible. Comme elle l'exhorte à parler plus fort, il répète, distinctement :
– Tu as parfois des douleurs au ventre. Tu as souvent quelque chose dans la gorge et tu ne respires pas comme tu devrais. Tu manges comme quatre mais tu ne grossis pas. Une fois tu vas bien, et là, tes poumons se mettent à bouillonner comme un plat de pâtes et tu te vides de tes forces comme ça, d'un seul coup.
– Attends, je ne viens pas d'avoir tout ça en même temps, réplique-t-elle, troublée. De quand parles-tu ?
– Ce n'est pas la première fois que je ressens ça avec toi, dit le garçon avec sincérité. Mais je sais que ce n'est pas de l'asthme.
– Tu me charries, allez ! réplique Sarah, désarmée par le sérieux de l'enfant malgré l'absurdité du discours qu'il lui tient. Tu as dû voir les médicaments, les aérosols et mes visites quotidiennes chez le kiné. Les parents auront vendu la mèche, c'est obligé.
Alex plante son regard profond dans celui de la jeune fille. Il soupire, l’air excédé d'avoir récolté une nouvelle fois le scepticisme là où il espérait tant la confiance :
– Je te l'avais dit que tu ne me croirais pas. Tes parents m'ont juste dit qu'il ne fallait pas que je m'en fasse, que ça ne s'attrapait pas. Ils ont dû croire que j'avais peur des maladies.
Après une pause, il ajoute, clairement affligé par le détail qu'il soulève :
– Aucun de vous ne m'a dit ce que tu as. Ça fait partie de votre monde « à vous » et vous n'en parlez jamais quand je suis là. Mais même si je ne sais pas comment s'appelle ta maladie, je l'ai ressentie.
– C'est impossible, Alex, sourit-elle alors. Personne ne peut sentir les choses comme quelqu'un d'autre. Cela dit les poumons qui bouillonnent, je dois dire que tu es tombé pile...
Ému, l'enfant de l'assistance décide de s’asseoir à son tour, à même le sol, à deux pas de la jeune fille. Déçu, il ne sourit pas, ne trahit pas une seule seconde qu'il n'est pas sincère. Il semble avoir renoncé à la convaincre, à l'instar d'une personne honnête qui attend que l'esprit de son interlocuteur fasse de lui-même le chemin jusqu'à la vérité.
– Impossible, répète-t-elle encore, sans conviction, juste comme si, intrinsèquement, se raccrocher à la normalité comptait plus pour elle que de simplement admettre l'extraordinaire.
Somme toute, elle n'ose plus prononcer quoi que ce soit d'autre. Un frisson la parcourt de part en part. Il fait pourtant chaud pour ce début octobre, un vrai été indien, presque celui de la chanson. Outre la crise qu'elle vient de subir, ce qu'elle est en train de réaliser lui glace les veines. Aussitôt Alex frissonne, connecté comme il ne l'a jamais été avec quiconque. Sans calcul, il se redresse, tandis que son cœur se met à battre  la chamade. Une envie spontanée de prendre l'adolescente dans ses bras le presse, sans trop savoir si cela vient d’elle ou de lui.
Personne ne s'est jamais tenu aussi près de comprendre ce qu'elle combat au quotidien depuis si longtemps. Personne n'a jamais été si près de croire qu'il peut l'éprouver comme elle. Il fallait que ce petit gars de l'assistance ait le cœur plus ouvert qu'une antenne radio et saisisse enfin tout ce qu'elle garde sur le cœur depuis toujours. Sans aucun calcul, sans même y réfléchir, ils s'embrassent au pied de ce chêne, comme deux proches se retrouvant sur le quai d'une gare après une longue séparation.
Prenant un peu de recul, Sarah croise à nouveau le regard de jais de l'enfant. Son cœur « à lui » bat à toute vitesse, imprime son rythme effréné à ses lèvres devenues brûlantes. Alex la trouve d'une beauté incroyable malgré son visage émacié et son teint pâle. Elle lui prête une maturité inédite pour un garçon de son âge. Leurs quatre ans de différence s'effacent, tout comme la pudeur et la peur qui pétrissent l'audace que seule une sérieuse perte de pondération leur procurerait d'ordinaire. Leur communion à son paroxysme, ils se sentent tant en phase que leurs lèvres se lient naturellement, dans un bisou d'enfant, à peine appuyé, mais aussi fort pour eux que le plus enflammé des baisers d'adultes. Leur histoire vient de naître, dans ce sanctuaire de bricoles sculptées au couteau, entre les quatre chênes d'un jardin devenu celui de Sarah et d'Alex.
Un moment plus tard, blottis l'un contre l'autre au pied du même chêne, Sarah, caressant tendrement les cheveux de son premier amour, finit par penser à voix haute :
– Tu as dû te sentir bien seul avec une telle perception des autres. Et personne ne t'a jamais pris au sérieux avant moi ?
– Non tu es la première. Par contre, avant toi, ça n'avait jamais été aussi long ni aussi fort.
– J'imagine que ton don doit être plus affirmé quand tu le partages avec une personne que tu... apprécies.
Elle sourit à ce dernier mot, n'osant plus parler d'amour à présent que le « contact » est rompu. Attrapant le morceau de bois flotté gravé du fennec ailé, le garçon ne lance qu'un regard à son auteur qui traduit sans mal sa requête :
– Ah ! C'est à mon tour de te confier mon secret ?
Il acquiesce, attentif aux traits fins de Sarah. Il décrit un instant le vert si intense de ses yeux, ses lèvres fines, son petit nez et ses longs cheveux bruns. Elle remarque son regard insistant qui la fait rougir malgré elle. Elle bougonne sans tarder :
– Arrête ! Ça me gêne quand tu me regardes comme ça...
Ce à quoi il répond d'un grand éclat de rire. Sans trop comprendre pourquoi, il se sent bien avec elle, comme si ce coin de forêt avec elle était la place qui lui incombait sur cette terre. Jouant la carte du running gag, il finit par revenir à la charge avec la sculpture. Elle soupire avant d’éclairer le garçon, grave :
– Quand on m'a trouvée, j'avais déjà quasiment un an. C’était aux abords des Pyrénées, à l'arrière d'une décapotable dans une station-service. Presque assez grande pour dire papa ou maman, pas assez pour leur donner un vrai nom. Je suis le premier « dossier » de Dominique en qualité d'éducatrice. Une vraie voie de garage pour une débutante, compte tenu que je suis atteinte d'une variante de la mucoviscidose, mal connue, probablement aussi mortelle quoiqu'un peu moins invalidante. Personne ne s'est manifesté pour me réclamer, encore moins m'adopter. Je te laisse imaginer le tableau.
– Alors Dominique et Pierre t'ont adoptée.
– Oh ! Ça ? C'est grâce aux yeux de cocker, ça marche à tous les coups sur eux. Tu devrais essayer, avec tes yeux noirs, ils craquent à coup sûr. Enfin, si tu as envie qu'ils t'adoptent...
– Faudrait qu'ils en aient envie. Je n'ai pas eu beaucoup de succès jusqu’ici avec les familles d'accueil.
– Question de karma, faut croire. C'est qu'on devait se rencontrer, je vois que ça, trouve-t-elle à plaisanter malgré un début de parcours aussi gai que le scénario de « Love Story ».
– Tu vas mourir, réalise Alex, bloqué sur la description de la maladie de la jeune fille. Mais dans combien de temps ?
– Tout le monde meurt, c'est comme ça, relativise la jeune fille, imperturbable. Je ne joue pas les détachées, attention ! Évidemment ça me fait peur. Mais j'ai grandi comme ça, alors j'ai appris très tôt à vivre avec cette idée. C'est ma vie. Le pire à la limite, quand on y pense, c'est pour les parents…
– Pourquoi ?
– Ben quand je partirai, qui s'occupera d'eux ? Qui sera là pour les aider à supporter la souffrance de ma disparition ?
– Tu penses déjà à tout ça ?
– Presque tous les jours en fait.
– Mais il doit bien y avoir quelque chose à faire ! se révolte l'enfant. Une pilule ou un vaccin…
– Non, des antibiotiques, une hygiène de vie irréprochable, des aérosols et de la kiné pour préserver mon souffle. Mais pas encore de remède miracle. Désolée.
– Et ton Harmonique ? Elle ne peut rien pour toi ?
Le regard de Sarah s'assombrit de devoir à la fois briser le bel optimisme d’Alex à son sujet et verbaliser la vanité de l'espoir que constituait pour elle cette fable encore deux ans auparavant :
– Elle, elle ne reviendra pas. Elle m'a probablement oubliée.
– Raconte-moi.
Les yeux perdus dans le balancier des branches d’un chêne, Sarah laisse échapper une larme malgré elle. Elle déteste pleurer. Cela revient à céder du terrain à son mal, son ennemi intime, or elle ne veut surtout pas lui faire ce plaisir. D'une voix feutrée par l'émotion, elle repart :
– Il y a deux ans environ, je me suis effondrée sans prévenir. En quelques heures à peine, j'étais admise à l'hôpital, au plus mal. Ma saturation était très basse. Malgré les couvertures j'étais gelée, les dents qui claquent, les lèvres bleues, comme ces bonhommes qui tombent dans les lacs gelés dans les dessins animés. Tout le monde était prévenant avec moi, très doux, mais dans leurs yeux, j'ai bien vu que ça pouvait tout à fait s'arrêter là pour moi. Et il y a eu cette visite inattendue. Une femme aux yeux verts, comme moi. Brune, comme moi… Je me suis fait un film. Comme si ma vraie mère pouvait savoir que j'avais atterri en Charente Maritime ! Comme si elle pouvait en avoir quelque chose à faire de son enfant malade…
Après une courte pause, le regard toujours perdu dans les dents de scie des feuilles de chêne, elle poursuit :
– Elle avait ce drôle de pendentif, avec une tête de fennec en or blanc, encadrée de deux petites ailes de nacre. Je n'ai jamais retrouvé ce bijou ailleurs. C'est pour ça que j'ai voulu le reproduire sur ce bout de bois. Le veinage et la blancheur du bois m'ont rappelé la nacre. Bref ! Je l'ai aussitôt prise pour une infirmière ou un médecin. Je ne me suis pas méfiée. Elle m'a parlé mais j'étais dans le gaz avec les calmants. Dans les grandes lignes, elle m'a dit que je ne devais pas avoir peur de la mort, que ce n'était pas une fin en soi, plutôt une passerelle vers un monde où le « moi spectral » nourrit un paradis ouvert à tous les esprits. Je l'ai trouvée jolie son histoire, mais ça sentait trop le catéchisme pour que je la prenne au sérieux.
– Tu ne crois pas en Dieu ? s'étonne Alex.
– Dieu, c'est juste un mot que les grands mettent lorsqu'ils parlent de choses qu'ils ne comprennent pas. Mon infirmière a bien vu elle-aussi que je n'y croyais pas. Elle n'a pas arrêté de parler pour autant, même si la suite est plus floue dans ma mémoire. Je crois même que je me suis à moitié endormie à ce moment-là. Finalement, elle a terminé en me disant qu’une Harmonique veillait sur moi et qu'il ne m'arriverait plus rien désormais.
– Et que s'est-il passé ?
– Eh bien ! Elle m'a juste fait un câlin. Petit à petit mon corps s'est réchauffé et j'ai pu rentrer à la maison le surlendemain. Depuis cette fois-là, je n'ai plus été obligée de retourner à l'hôpital que pour les traitements par perfusion. Malgré ça, je suis toujours malade et mon « Harmonique » n'a plus redonné signe de vie ! J'ai cru un moment que j'avais été choisie et que cet être sorti de nulle part avait réellement le pouvoir de me guérir. Avec le temps et les rechutes, j'aurais dû me faire à l'idée que j'avais simplement déliré, oublier cette histoire et jeter ce bout de bois au feu.
– Mais tu ne l'as pas fait.
Prenant le fennec gravé entre ses mains et le regardant attentivement, elle prononce :
– Tu sais, ma vie ne tient pas à grand chose. J'aurais pu mourir plein de fois, maltraitée par ces gens qui m'ont laissée dans une décapotable en plein été ou réagissant mal à un médicament. Que sais-je encore ? Finalement, par un caprice du destin, je suis arrivée jusqu'ici en croisant une rebouteuse qui soigne avec des câlins et un gamin capable de me décrire en détails mes symptômes sans jamais avoir ouvert un livre de médecine. Ai-je la santé pour faire la fine bouche ? Je ne crois pas, non…
Alex ne sait trop quoi répondre à cela. L'histoire de la dame au pendentif le laisse songeur. Après tout, s'il possède un talent hors du commun, pourquoi n'existerait-il pas une personne capable de soulager le mal des autres d'une étreinte ? S'ouvrir au monde après des années à le craindre lui donne le vertige. Même si cette félicité est entachée à présent par le pronostic engagé de la jeune fille, il se met à nourrir lui-aussi l'espoir qu'il existe peut-être quelque part une solution au mal de celle avec qui il se sent enfin à sa place sur cette petite planète bleue…

22/04/97
Dix ans après leur rencontre, Alex et Sarah ont finalement emménagé tous les deux dans leur région de cœur, élue des années plus tôt, quand ils étaient encore adolescents. L'idée de fuguer leur était venue lorsque la perspective d'un autre interminable été coincés à la ferme Davril leur était devenue insupportable. Ce qui les avait retenus jusqu'ici de passer à l'acte résidait en un subtil équilibre entre la peur des représailles, celle de faire de la peine aux parents et un désir croissant de partir.
Alex avait cependant des arguments de plus en plus pertinents. Sarah avait eu son premier carnet de chèques. Il faisait plus grand que son âge, ils passeraient inaperçus. Et puis, ils ne s'éclipseraient que quelques jours, au plus une semaine. Qui leur reprocherait de vouloir offrir à la jeune fille le sentiment qu'elle pouvait échapper, juste une fois, à son marathon quotidien ? La médication toujours plus lourde, la course à pied qui maintenait tout juste son souffle à un seuil acceptable, les douleurs imprimant de plus en plus son quotidien. Tout pesait sur le moral de l'adolescente chaque jour un peu plus.
L’adolescent, témoin sensitif de ce compte à rebours insoutenable, subissait lui-aussi, en silence cependant. Il ne voulait surtout pas rajouter au calvaire de son amour, encore moins mettre en péril son placement chez les Davril, même si avec le temps, les visites de l'assistante sociale s'espaçant, il prenait de plus en plus pour acquise sa place chez Pierre et Dominique. Ces derniers étaient confiants, bien qu'ils ne manquent jamais de rappeler qu'une adoption prend du temps. Aux prémices de l’été 1993, ce n'était même qu'une question de semaines pour que la chose soit officielle lorsqu'ils prirent cette décision aussi spontanée que lourde de conséquences de fuguer.
Un lundi particulièrement monotone, ils s'étaient aventurés jusqu'à la gare de Jonzac avec leur bicyclette. En sueur, un simple sac à dos rempli du strict nécessaire jeté derrière l’épaule, ils prenaient le premier train pour Bordeaux sans même savoir où ils dormiraient le soir venu. C'était le mois de juin, les nuits étaient chaudes et courtes de toute façon. Dormir à la belle étoile ne serait pas un frein à leur soif d'aventure.
Ils avaient déjà campé dans un vieux container autrefois dédié au stockage d'outils. Plusieurs fois vandalisé, il avait été rapatrié plus près de la ferme pour être reconverti en cabane par les ados. Pierre l'avait calé près d'un saule pleureur de sorte que le soleil ne donnât pas directement dessus au plus fort de l’été. Les deux jeunes ne manquaient de rien et l'agriculteur avait toujours d'excellentes idées pour dénicher de nouveaux supports à leur créativité débordante. Hélas, la seule chose qu'il ne pouvait leur offrir, c'étaient de vraies vacances ailleurs. Outre les multiples emprunts qui grevaient leur budget, les Davril géraient à eux seuls trop d'animaux pour s'absenter davantage qu'un week-end de temps à autre. Prendre un extra pour assurer l'intérim revenait trop cher également.
Si Sarah s'était fait une raison et comprenait les difficultés de ses parents, Alex trouvait anormal de se rendre aussi dépendant d'un travail si cela interdisait de profiter de la vie, ne serait-ce qu'aux beaux jours. En aparté, il reprocha même à ses tuteurs de ne pas prendre en considération l'état de leur fille et le fait qu'elle n'avait peut-être plus le temps d'attendre qu'ils soient plus disponibles pour lui permettre de voyager comme elle en rêvait depuis si longtemps. Eux savaient pertinemment que son état lui interdisait de partir ainsi. En outre les rendez-vous du kiné comme les séjours hospitaliers demeuraient aussi réguliers qu'incontournables. Ils se doutaient aussi qu'en étant trop explicites sur la santé de leur fille, ils risquaient de causer davantage de peine au garçon. Alors ils encaissèrent les reproches sans mot dire, évasifs au point que la fugue devint leur seule alternative.
Malgré la peur qui leur tiraillait le ventre de partir ainsi en douce, un crève-cœur même pour Sarah, l'idée d'avoir enfin autre chose que des champs de maïs et un parterre de lierre entre quatre chênes pour tout horizon leur donnait des ailes. La jeune femme approchait en réalité des dix-neuf ans. Alex en accusait tout juste quinze. Leur relation amoureuse s'était limitée jusque là à de chastes baisers et des embrassades d'enfants. Malgré leur lien de plus en plus intense, l'envie impétueuse d'aller plus loin, ils accusaient trop de pudeur pour n’avoir osé que sous-entendre l'idée aux parents qu'ils s'aimaient. Ils craignaient surtout que cela remette en cause l'adoption d'Alex s'ils l'apprenaient. Ce que les non-dits laissent entendre aux adolescents génère souvent des peurs sans fondement. Peut-être les choses se seraient-elles passées autrement si les Davril l'avaient su dès le départ ?
Dans le journal intime qu'il tiendrait plus tard, de retour au foyer de La Rochelle, Alex mentionne ces quelques jours comme une parenthèse d'exception. Après plusieurs escales aussi dépaysantes à leurs yeux qu'anecdotiques pour le commun des mortels, ils avaient fini leur périple le long de la Baïse , enlacés pour la première fois dans une chambre sous les toits, dans une auberge de campagne. Le lit était petit, le matelas trop mou et l'édredon garni de plumes d'oies bien trop chaud. Ajoutés à cela les rideaux jaunis, la tapisserie à fleurs aux couleurs passées, le mobilier vétuste et le parfum délicat de la violette sur les draps complétaient le tableau d'une authentique chambre de grand-mère. La fenêtre ouverte sur la rivière et son flot régulier, le chant des grillons et la chaleur douce de ces premiers soirs d'été, tout cadrait pourtant avec l'image qu'ils se faisaient de la vie dont ils rêvaient plus tard, à deux. Pas d'aérosol nébuliseur sur un coin de bureau cerné de boîtes de médicaments, pas de calendrier aimanté au frigo surchargé de rendez-vous avec le kiné ou le pneumologue.
Ils ne s'étaient offerts que quelques jours loin de tout ça. Comment pouvaient-ils s'imaginer qu'une idée si innocente puisse être si mal reçue par les adultes, garants du bon suivi des procédures, enclumes greffées aux chevilles des doux rêveurs, épée de Damoclès fendant sans cesse leurs délires, même les plus vitaux ? La Fête de la Musique précipita la fin de leur éphémère évasion. Alex sentit venir la douleur. Elle l'avait pris au ventre comme s'il allait lui-même défaillir. C'était cependant Sarah qui s'effondrait dans ses bras, sans prévenir, au milieu d’un groupe de gens amassés devant une estrade où on reprenait les standards des années 80.
La crise était sérieuse. La jeune femme resterait hospitalisée plusieurs jours. Alex quant à lui vit ressurgir toute l'administration à laquelle il pensait s'être enfin soustrait après toutes ces années passées chez les Davril. Leur escapade coûtait déjà trois mille francs à Pierre qui ne s'expliquait pas pourquoi ils s'étaient enfuis de la sorte. L'incompréhension et la déception dominaient tant dans son regard que le garçon en ressentit un profond mal-être. Il se perçut bientôt tel un corps étranger, une écharde qu'il fallait extraire au plus vite de cette bulle protectrice formée autour de Sarah. Dominique, qui avait tant fait montre de fierté à son égard, pour son travail scolaire comme la complicité qu’il partageait avec sa fille, paraissait désormais avoir remis une distance presque palpable entre eux. L’adolescent se sentait clairement responsable d'avoir mis en danger leur enfant. Elle avait failli mourir. Il fallait qu'il sorte de leur vie, c'était évident.
Les événements avaient pris tout le monde de court, notamment à cause de l'hospitalisation de Sarah. Aussi ni Pierre ni Dominique ne prirent-ils le temps de discuter avec Alex qui se confia seulement au juge auquel fut confié d'estimer la poursuite ou non de son placement chez eux. Personne ne lui ayant manifesté l'envie de le voir rester, l'orphelin resta sur son ressenti, pour ne formuler aucun argument susceptible de motiver son maintien dans cette famille. Il accepta donc sans sourciller les conclusions du magistrat qui estima que cette famille ne pouvait concilier le suivi médical soutenu de Sarah et son accompagnement.
De conclure qu'Alex avait dû exprimer le désir de repartir en foyer, les Davril ne trouvèrent pas grand-chose à ajouter, hormis qu'ils étaient désolés qu'il ne se sentît plus le bienvenue chez eux. Alex n'entendit pas ces paroles cependant. Il ne retint que leurs visages abattus par l’inquiétude qu'il assimila à tort à du rejet. Il se braqua, aussi fermé qu'une huître.
À quinze ans, de retour au foyer, loin de celle qui lui avait donné l'impression d'avoir trouvé sa place des années plus tôt, la déculottée était trop sévère pour ne pas l'ébranler et le rendre particulièrement asocial. À plusieurs années de bonheur à la ferme succéda une solitude incommensurable. Malgré diverses tentatives pour l'approcher, personne ne sut vraiment franchir le mur invisible qu'il dressa bientôt entre le monde et lui. L'adolescent se réfugia dans l'écriture, passant le plus clair de son temps libre un cahier de brouillon et un stylo-plume à la main. Il avait toujours eu une prédisposition pour cela.
Sarah l'avait d'ailleurs encouragé à laisser aller son imagination sur le papier. Avec deux de ses camarades de classe, il s'était même inventé un monde calqué sur les BD, son support préféré pendant un temps. Un jour, il s'était réveillé d’un rêve lors duquel, perdu dans un village de western, il ne retrouverait son chemin qu’en empruntant un train nacré capable de voler. Sarah, qui avait tenté de le reproduire en dessin, l'avait simplement baptisé le Train des Rêves. Ce titre devait devenir celui de la nouvelle la plus aboutie du jeune homme, racontant l’histoire d'une fille tombée dans le coma lancée à la recherche d'un billet supposé l'aider à se réveiller de ce cauchemar.
À présent, Alex n'écrivait plus de fiction. Il enchaînait les réflexions personnelles et les souvenirs, dans une lettre infinie à son amour, pour nourrir l'impression de maintenir une conversation avec elle sur le papier, comme si elle pouvait toujours lire par-dessus son épaule. Internet n'était pas arrivé jusqu'à la ferme Davril et les timbres coûtaient cher. Ils devaient donc limiter leurs échanges à une poignée de pages par mois sur lesquelles aucun centimètre n'était négligé. Dans ses réponses, pas moins démoralisée d'être séparée de lui, elle avait toutefois à cœur de le motiver à poursuivre ses études. Elle lui promettait de le suivre n'importe où dès qu'il aurait un métier en main et la capacité de subvenir à leurs besoins.
Sa mère insistait pour qu'elle-aussi se projette professionnellement, qu'il était hors de question qu'elle se contente de devenir l'ouvrière agricole de Pierre sans le moindre diplôme en poche. Elle allait donc pousser ses études jusqu'au BAC même si elle avait accumulé beaucoup de lacunes à cause de ses nombreuses absences au collège. Aussi un professeur à domicile l'aiderait-il cet été-là à les compenser pour lui offrir d'attaquer la seconde plus sereine.
Alex quant à lui avait réussi à intégrer une seconde technologique sur La Rochelle, ce qui aurait été sa classe s'il était entré comme prévu au lycée de Pons. Le choix d'une branche plus professionnelle plaisait à Pierre, qui privilégiait naturellement les métiers manuels, toujours susceptibles de nourrir leur homme. En vérité, le garçon n'avait pas eu le courage de confronter son talent naissant à l'étude de vrais auteurs et à d'autres aiguisés de la plume plus doués que lui et susceptibles de le décourager. Seulement, il n'excellait ni en maths ni dans les matières technologiques. Ce n'est de ce fait qu'au prix d'efforts soutenus qu'il parvint à boucler une première année de ly-cée passable.
Avec de meilleures moyennes dans les matières générales, il surprit ses professeurs par son entêtement à opter pour l'électrotechnique. Là encore, il ne suivait cette voie que parce que ses rares amis l’avaient choisie, quoique sans grande conviction eux non plus. C'était une fine équipe surtout portée par l'envie de profiter les uns des autres et de faire la fête, comme si une guerre menaçait et qu'à tout moment le monde pouvait partir en vrille. Aucun d'eux ne songeait sérieusement à l'avenir ni à un quelconque plan de carrière. De toute façon, le chômage élevé et la situation économique ne laissaient guère espérer de réelle stabilité professionnelle.
Parmi eux, Alex arrivait à se canaliser et suivre ses cours. D’écouter leurs blagues potaches et de faire partie de leur monde, le temps passait un peu plus vite. Il vivait son histoire d'amour épistolaire et s'il participait à leurs soirées et leurs délires, c’était bien parce qu'aucune technologie ne pouvait lui permettre d'être plus proche de Sarah que la voie postale. Grâce à eux cependant, les trois années séparant l'adolescent de sa majorité passèrent assez vite. La jeune fille avait quant à elle brillé à ses examens, de se découvrir contre toute attente un penchant pour l'Histoire et la science politique.
Hélas lorsqu'il put la rejoindre, Alex qui avait quitté une adolescente vivante et remplie de rêves ne retrouva qu'une jeune adulte à bout de forces. Furieux, il accabla à tort les Davril d’avoir laissé leur enfant péricliter au lycée, de toujours faire passer leur ferme avant leur fille. Il s’acharna à dégoter un logement pour emménager avec Sarah, trop campé sur ses positions pour rester sous le même toit. En définitive, si les caprices du destin devaient le préparer à vivre sans elle et si ces trois ans de séparation auraient dû lui rendre sa mort plus supportable, il est indéniable que le premier sentiment amoureux d'un garçon reste le plus fort. C'était présumer de la pureté de leur lien que de croire Alex capable de renoncer à Sarah.
Ils s'installèrent donc dans un petit meublé sans prétention dès l'été 1996, près de Nérac. Ils eurent un automne magnifique. Alex, qui avait trouvé sans peine du travail en intérim, offrit des week-ends inoubliables à son amour. Hélas, la maladie ne laissa guère de répit à la jeune femme qui poursuivait ses études à domicile, bien incapable d'assumer la charge d'un travail. Elle regrettait évidemment de finir ses jours aussi loin de ses parents adoptifs. Ceux-ci restaient ses héros dans son cœur. Elle espérait même venir à bout de la colère nourrie par Alex à leur égard. Par amour pour lui, elle avait accepté cette distance qu'il avait placé entre eux, mû par des sentiments trop forts pour ne pas le rendre déraisonnable, pour ne pas dire borné.
De guerre lasse, elle se raccrochait au téléphone pour parler à sa mère, qui souffrait elle-aussi de ces quatre cents kilomètres de distance. L'éducatrice jugeait quant à elle qu'Alex leur faisait payer ainsi de ne pas avoir insisté davantage pour le garder auprès d’eux trois ans plus tôt. Elle ne leur en tenait donc pas vraiment rigueur. Ils étaient si jeunes. Ils en avaient tellement vu déjà. C’est le lot d’être parents de voir les petits quitter le nid, se répétait-elle souvent. Sarah avait toujours voulu vivre le plus normalement du monde. C’était donc dans l’ordre des choses. Pierre quant à lui n'avait pas les mots pour décrire ce qu'il ressentait et les bougonneries dont il se rendait coupable ne traduisaient jamais que le manque de ses enfants à la maison.
Cela dit, cette distance ne déplaisait pas à tout point de vue à Sarah, consciente de l’évolution de son état. Elle nourrissait un projet qu'elle n'aurait pas su mettre en œuvre à la ferme Davril. Elle ne voulait pas que le foyer de son enfance porte la trace d'autre chose que de souvenirs heureux.
Alex fête ses dix-neuf ans ce soir du 22 avril. Depuis le début de l'année, il entend le souhait de Sarah d'en finir avant de devenir dépendante d'une machine pour respirer, de vivre dans l'attente hypothétique de recevoir le cœur ou les poumons d'un autre. Elle estime avoir le droit de renoncer, après tant d'années d'efforts, malgré tout le bonheur qu'ils partagent ensemble. La douleur prend peu à peu le pas sur sa capacité à profiter de la vie. Le moindre geste du quotidien deviendra bientôt une épreuve. C'est juste au-dessus de ses forces de se voir décliner ainsi. Il n'est plus temps de se voiler la face. Elle a regardé les choses en face, sans fard. Il faut respecter son choix et la laisser s'en aller.
S'il fait dans un premier temps la sourde oreille, il ne conteste pas sa décision. Enfin il lui demande de l'accompagner dans son dernier voyage. Il a vécu trois longues années séparé d'elle et tout ce qui l'a motivé à mettre un pied devant l'autre chaque matin était de partager à nouveau sa vie, ne serait-ce qu'une poignée de jours, comme à l'époque de leur fugue. Ils avaient eu plusieurs mois. C'était proprement inespéré pour lui. Elle rejette d'abord en bloc son idée, lui vante sa jeunesse et une santé dont elle n’a jamais joui, sa chance de pouvoir vivre des choses auxquelles elle n'a eu le droit que de rêver. Elle met en avant ses talents, qu'ils soient littéraires ou humains, son don unique de capter le ressenti des gens. Justement, sans elle, cette dernière aptitude ne se manifeste presque pas. Il se voit donc condamné à vivre à moitié, où qu'il aille, quelles que soient ses fréquentations futures. Jamais il ne retrouvera une telle connivence avec quelqu'un d'autre. Ils débattent de longues heures avant que, de guerre lasse, elle lui concède qu'il ne saura vivre sans elle à ses côtés. Le jeune homme notera plus tard dans son journal intime que ce soir-là, elle guettait longuement quelque chose ou quelqu’un par la fenêtre de leur cuisine. Y cherchait-elle un signe pour justifier ce qu'elle s'apprêtait à faire ? Un pardon qui sait ? Il n’a pas su le dire sur le moment.
Ils font l'amour une dernière fois, boivent tout ce qu'ils peuvent pour se donner le courage nécessaire d'aller au bout, ensemble. Ils énumèrent leurs regrets les plus amers, de n'avoir pas eu d'enfant ni la chance d'avoir construit un vrai nid construit à deux, au-delà de ce petit meublé. Alex avale avec une confiance aveugle la quantité de somnifères qu'elle lui donne. Elle prend sans tarder le reste des cachets. Rhabillés, ils s'allongent l'un à côté de l'autre, sur leur lit refait. Il ne faut pas donner l'impression d'avoir agi sur un coup de tête. Le sommeil gagne bientôt le jeune homme, sournois, pesant, implacable. Malgré un sursaut d’entendre une porte claquer au loin, les yeux remplis de larmes, Alex perd connaissance le premier, son regard de jais plongé dans le vert émeraude des yeux de Sarah Davril.  
17 mai 1997
Lorsque Pierre récupère Alex à la gendarmerie de Nérac, il a du mal à le reconnaître de prime abord. La barbe épaisse, quelques mèches décolorées, les vêtements sales voire craqués par endroits, il ressemble davantage à un clochard qu'au jeune homme encore présentable qu'il retrouvait à l'hôpital le lendemain de sa tentative.
Sarah ce soir-là avait obtenu ce qu'elle souhaitait. Elle était partie sans douleur, s'était-on attelé à lui répéter. Il ressortit lui-même ce poncif au jeune électronicien lorsqu'il se rendit à son chevet. De là, les funérailles furent célébrées en Charente, où repose désormais la jeune femme. De n’y voir que du folklore sans le moindre rapport avec les goûts et les rêves de celle qu'il avait perdue, Alex repartit dès le lendemain en train à Nérac, sous prétexte de devoir préparer son départ du Lot-et-Garonne. Vivre seul dans une ville qu'ils avaient adoptée à deux était désormais intolérable. Il paraissait trop bien, trop posé pour ne pas éveiller de soupçon. Cependant les Davril n'osèrent pas lui faire part de leur inquiétude à son sujet, pour se contenter de lui proposer leur aide s'il la souhaitait.
Seulement au lieu de mettre ses affaires en ordre, Alex se laissa submerger par le chagrin. Il ne reprit pas le travail, ne régla plus ses factures. Il traîna en boîte de nuit à boire jusqu'à ne plus savoir mettre un pied devant l'autre, à se réveiller quasiment là où les videurs l’expédiaient la veille. Il recommençait alors son manège ailleurs jusqu’à écumer des endroits de plus en plus louches. Le soir de sa garde à vue, il fut tout juste capable de feinter ne pas savoir que son dernier « pote de virée » était un dealer notoire. Celui-ci le tannait pourtant sans vergogne de prendre de quoi voir la vie en mieux, dans un genre blanc et poudreux. Ce n'est toutefois qu'à partir du moment où il se voit dans le regard de son beau-père qu'il réalise qu'il ne peut pas continuer ainsi.
Il ne peut s'empêcher de repenser à son bref retour à la maison après leur fugue d’adolescents. C'étaient déjà les forces de l’ordre qui « organisaient » leurs retrouvailles. La même tristesse, la même mine inquiète. Pour l'orphelin, le regard de Pierre a gardé énormément d'impact sur sa façon de se comporter, ses goûts comme ses choix. De ne susciter qu'un mélange de déception et de souffrance chez lui provoque un électrochoc salvateur au garçon qui suit son ancien tuteur sans mot dire jusqu'à sa voiture.
La route du retour est longue. L'adulte respecte le silence d’Alex, convaincu qu'il trouvera les mots plus tard ou à défaut, l'attitude. Il met donc la radio pour leur tenir lieu de conversation. L'électrotechnicien serre entre ses mains la couverture noire de son carnet, ce journal intime où Sarah inscrivait ses derniers mots. Hormis son portefeuille, c’est la seule chose qui ne le quitte pas.
Lorsqu’il avait décidé d'en tenir un, peu après son retour à La Rochelle, elle avait suggéré que ce serait bien qu'il recèle leurs meilleurs moments pour leur donner du courage lorsqu'ils traverseraient une épreuve. Ils avaient clairement présumé du pouvoir des mots. Sarah y rédigeait toutefois un poème à son insu, la veille de sa mort. Elle avait prévu qu'il faudrait ruser avec lui pour qu'il accepte à la fois de la laisser partir et de se réveiller le lendemain matin. Et ce ne sont guère que ces quelques strophes qui l’ont empêché de retenter sa chance du haut d’un pont ou dans le mauvais dosage d’un shoot.  

Tu as balayé ces châteaux de cartes auxquels je croyais
Et je t’ai détourné des rêves dont tu jouais les jeux, ailleurs.
Nous avons joui de ce que la vie avait de meilleur
Des papillons, des rires d’enfant, notre rivière et les forêts.
Rien ne te destinait à moi, ni moi à toi ou si peu.
Ensemble pourtant, nous avons trouvé notre idéal.
Mais on n’a jamais vu de printemps durer quatre saisons,
Encore moins la vie prendre le pli d’un amour trop parfait.
Ne pleure pas, mon amour, je ne fais que m’éloigner un peu.
Tu trouveras j’en suis sûre, quelqu’un pour te faire oublier…
Ta petite Sarah.


Finalement, le carnet entrouvert, il feuillette ses propres pensées, avant d’aviser un stylo dans le vide-poche, entre deux jetons de chariot et un paquet de chewing-gums.

« Mon cœur en ta présence s’est allégé de blessures vaniteuses qu’on porte parfois pour se prouver qu’il bat encore. Tu m’as fait découvrir que les petites tortues  peuvent avoir des ailes et ne peser guère plus que les fleurs qu’elles butinent, tandis que le tabac d’Espagne5 est sûrement le moins dangereux pour la santé. »
(...)
« Ma vie ne s’est pas arrêtée là. J’ai rouvert les yeux sur le plafond blanc de notre chambre, étrangement soulagé, étrangement étranger à mon corps si longtemps oublié. Libéré du poids de la douleur physique, je ne garde qu’une plaie béante à l’âme. »
(...)
« J’ai perdu celle que je chérissais le plus sur Terre. Mon cœur a revêtu des allures de forteresse où tu reposeras en paix, mon amour. Rien ne saura plus troubler mon âme. Car à regarder trop près une étoile, on est ébloui au point de ne plus voir autre chose. »

Il inscrit finalement :
« Pierre m’a repêché à la gendarmerie dans un état lamentable. C'est dingue comme son regard sur moi peut encore avoir de l'impact. En un seul coup d’œil, il m'a traduit à quel point Sarah serait déçue de me voir ainsi. Je m'attendais à ce qu'il bougonne, me reproche la drogue, l’alcool, la clope. Quelque chose… Son silence dépasse de loin tout ce que je pouvais craindre. Il m’a proposé de rentrer à la maison. Je l’ai suivi, incapable de discuter même si, au fond, je ne mérite pas cette main qu’il me tend toujours aujourd’hui.
Est-ce la fatigue ou le chagrin ? Je ne saurais décrire avec précision ce désœuvrement qui me paralyse et m’empêche de penser. Est-ce cela qu’on appelle mélancolie, ce décalage avec la réalité, cette poursuite languissante d’une vie privée de lumière ? Ce souffle et ce cœur qui luttent en vain ? Je me sens si las de tout, de ce monde en mouvement, agaçant de futilité là où je ne suis plus qu’inertie et désespoir.
Quel avenir peut mériter que je sois resté en vie ? Qu’est-ce qui pourrait bien justifier que je me lève, que je me rase et me conduise comme tous ces gens qui se pensent si uniques, indispensables même alors qu’ils sont tout aussi vains et éphémères que moi... »

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Résumé :

Quand Nathalie Lesage, commandant à la PJ de Lyon, reçoit un appel au secours de l'un de ses amis, elle n'hésite pas une seconde et part aussitôt pour Albi afin de l'aider à retrouver sa jeune sœur. Une banale disparition qui, très vite, va se transformer en course-poursuite, jonchée de cadavres et de mystères : un dangereux et insaisissable « Monsieur Étienne », une obscure école de magie, d'étranges disparitions…

Mon avis :

Tout d’abord, je tiens à remercier les Éditions Taurnada pour leur confiance, et de m’avoir permis de découvrir ce roman au résumé attractif.

Pour avoir dévoré les précédents ouvrages de l’auteur, pour les plus curieux, mes chroniques ici : Une arête dans la gorge,      La quatrième feuille
Il n’est pas indispensable d’avoir lu les précédents pour appréhender son petit dernier ; vous ne pourrez juste pas apprécier l’évolution des personnages principaux.

Dans ce dernier opus, nous retrouvons donc avec plaisir la coriace et indépendante Nathalie Lesage, qui, pour une fois n’est pas coutume, va nous laisser entrer dans sa vie privée. La jeune femme, marquée par de nombreuses blessures, s’est encore endurcie et reste mobilisée plus que jamais à rendre justice aux nombreuses victimes.
C’est pourquoi, lorsqu’elle reçoit l’appel désespéré de Samir, sa détermination à résoudre cette enquête grimpe à son paroxysme. Comment refuser d’aider son meilleur ami et anciennement ex-amant dont la petite sœur Louna a mystérieusement disparu ?
Sans se poser davantage de questions, notre enquêtrice pose les quelques jours de congés qu'il lui reste, quitte précipitamment Lyon et vole littéralement à son secours afin de l’aider dans ses recherches. Certes, elle est hors de sa juridiction, mais comme la gendarmerie ne semble pas se préoccuper de ce cas, elle va s’empresser de le rejoindre pour mener sa propre enquête en sous-marin.
Sauf que, notre commandante a-t-elle bien pris conscience de la où elle va mettre les pieds ?
Ces quelques lignes posées, le ton est donné ; notre curiosité est piquée au vif ; les questions taraudent notre esprit en ébullition.
Où est Luna ?
Que s’est-il passé lors de cette dernière soirée ?
A-t-elle fait confiance à des personnes peu scrupuleuses ?
Est-elle tombé dans un piège ?
Louna a-t-elle été enlevée par un réseau de trafics d’humains, traite des blanches ou pour une autre raison ?
À l’image de nos protagonistes , nous voici plongés, happés, enferrés au cœur d’une intrigue complexe mais fascinante à la manière d’un puzzle macabre, dont les pièces ont bien du mal à s’imbriquer.
Au fil de découvertes de plus en plus troublantes et abominables, on ressent de plus en plus l’urgence de la situation. Il faut vite retrouver Louna, avant que l’abominable se produise.
Opiniâtre et résolue, Nathalie, son fidèle coéquipier Cyrille, ainsi qu'une vieille dame, Lucie Dubrac dont la petite fille a également disparu depuis de nombreuses années, vont œuvrer pour faire jour sur cette affaire au péril de leur vie ; leurs recherches les mèneront aux portes d'une école de magie en pleine ville d'Albi, ainsi que sur les traces d’un châtelain peu scrupuleux.
En parallèle de l'enquête, nous nous retrouvons aussi en compagnie de victimes enfermées dans des conditions assez particulières, bien déterminées à fuir cet enfer.
qui sont-elles ?
Quel est le rapport avec l’enquête en cours ?

Dans ce récit addictif, tout le monde sera mis à rude épreuve. Des indices, des doutes, des incertitudes, des fausses routes, des tortures de toute nature…il sera difficile de défaire les nœuds de cette affaire sans y laisser quelques plumes.
Pourquoi malgré nombre d’informations rassemblées, la police semble-t-elle toujours aussi inerte ?
Peut-être des personnes influentes et protégées sont-elles impliquées ?
Peut-être ne souhaitent-elles pas qu’on fouille dans leurs affaires, et qu’on mette à jour un trafic sexuel peu recommandable ?
Grâce à une écriture tantôt fluide et percutante, tantôt acérée et entraînante, nous faisons corps avec les personnages. Fort bien campés, attachants ou détestables, ils servent parfaitement le récit. Nous tremblons pour eux, apprécions leurs actions, ou condamnons certains de leurs comportements abjects… bref, l’immersion est totale. Les chapitres sont courts et rythmés. Les pages défilent à toute allure et on veut savoir, connaître le chemin que veut nous faire emprunter l’auteur.
De rebondissements en rebondissements, de fausse piste en fausse piste, nous retenons ainsi notre souffle, jusqu’au dénouement final inattendu.
Retrouver Nathalie fut un vrai plaisir, et l’incursion dans sa vie personnelle apporte une profondeur supplémentaire, montrant une facette de sa personnalité extrêmement appréciable.
Vous l’aurez compris, j’ai beaucoup aimé ce thriller intense et bien rythmé, la plongée au cœur d’un univers méconnu et peu abordé, sans oublier la qualité de l’intrigue et la manière dont elle a été menée.
Alors, si vous aimez les romans qui sortent des sentiers battus, de ceux qui vous secouent, vous glacent le sang ou vous révulsent tout en vous faisant réfléchir sur les travers de l’espèce humaine…. foncez, ce livre est fait pour vous ; vous passerez un excellent moment de lecture :pouceenhaut:

Ma note :

:etoile: :etoile: :etoile: :etoile: :etoilegrise:



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Comme le jour et la nuit-Nos différences-T3 de Marjorie Levasseur



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Prologue

Adam

Après avoir observé pendant plusieurs minutes le ballet des pompiers allant et venant entre leur camion et le bâtiment en échangeant leurs directives, je constate avec soulagement que le feu s’éteint paisiblement. Le début d’incendie n’a heureusement pas eu le temps d’occasionner trop de dégâts au petit chalet scindé en deux logements distincts que monsieur Fouchet me loue pour moitié à un prix défiant toute concurrence.
L’inconvénient avec la mitoyenneté, c’est que vous n’avez pas la moindre intimité, enfin… tout dépend du voisin — ou de la voisine, en l’occurrence.
Je pourrais m’y habituer, après tout ma vie est un long fleuve tranquille qui ne captive pas les foules. Mais lorsque l’on vit à côté d’une folle dangereuse à deux doigts de mettre le feu à un chalet entier avec un simple bâton d’encens — on se demande bien comment elle a fait son compte — il est bien difficile de rester serein. À côté d’elle, mon ancien voisin, monsieur Guillermin, qui était pourtant un vieux grincheux acariâtre, était d’un reposant !
J’habite Chamonix depuis toujours. Je n’ai quitté ma ville natale qu’afin de poursuivre mes études à Grenoble pour devenir professeur. Depuis tout petit — si tant est que j’aie été, un jour, de petite taille — j’aime le bon air et le calme de nos montagnes, les sites à couper le souffle et la bienveillance des gens que j’ai côtoyés pendant toute ma vie. Je suis un Haut-Savoyard pur et dur, soucieux de la nature. Je n’aurais donc pas souhaité la voir partir en fumée. Comme le chalet est à deux pas d’un bois, nous avons vraiment frôlé la catastrophe.
J’observe de loin ma voisine se faire gentiment houspiller par l’un des pompiers. Avec le regard de Chat Potté qu’elle lui sert — un regard ourlé de longs cils blonds fardés de mascara — je me doute qu’elle essaie de l’amadouer en lui affirmant, la bouche en cœur, que « Juré, elle n’utilisera plus jamais d’encens ». Et vu le sourire que ce soldat du feu lui rend, le numéro de charme semble bien fonctionner.
Je lève les yeux au ciel. Quand je les repose sur elle, les siens m’envisagent d’un air moqueur. Elle est jolie et elle le sait. Et elle n’ignore pas que son charme me fait, à moi, autant d’effet que du mercurochrome sur une jambe de bois. Son air enjôleur me laisse de marbre. Je préfère rester aussi loin que possible d’elle et des problèmes qu’elle est susceptible de créer. De ME créer.
Depuis qu’elle a emménagé de l’autre côté du mur, je me suis juré de ne jamais, ô grand jamais, baisser ma garde. Cette fille me rend déjà complètement dingue quand je la tiens à distance, je n’ose imaginer ce qu’il adviendrait de moi si je la laissais s’engouffrer, ne serait-ce que de quelques pas, dans ma sphère intime.
Non, je préfère ne pas y penser…

Chapitre 1

Adam

Quand un voisin déménage, c’est comme lors d’une rupture. On sait ce que l’on perd, mais le mystère demeure sur ce qui nous attend. J’exagère à peine ! Monsieur Guillermin était le locataire de monsieur Fouchet depuis plus de dix ans lorsque j’ai investi mes quartiers. S’il n’était pas particulièrement aimable, au moins était-il discret. Je n’ai jamais eu à m’en plaindre et je crois pouvoir dire que la réciproque était vraie.
Moi qui aspire au calme et à la tranquillité lorsque je suis chez moi, j’ai vraiment joué de malchance le jour où cette blondinette ridiculement petite — sans discrimination aucune, tout me paraît ridiculement petit du haut de mon mètre quatre-vingt-dix-huit — est venue s’installer à côté. Depuis qu’elle vit dans l’autre partie du chalet, je n’ai pas souvenir d’avoir dormi une seule nuit complète ou pu profiter d’un répit pour faire une microsieste, sans être réveillé en fanfare.
Quand elle est chez elle, elle écoute de la musique à toute heure du jour et de la nuit. Et ses goûts en la matière sont particulièrement éclectiques : de Mozart à NTM en passant par Céline Dion, tout y passe. Pour le plus grand malheur de mes oreilles. Moi qui ne jure que par Led Zeppelin, les Pixies ou encore Radiohead, je suis servi !
De plus, j’ai une voisine particulièrement expansive. Que ce soit lors des fêtes qu’elle organise une à deux fois par semaine et durant lesquelles elle braille comme une forcenée pour se faire entendre par ses invités, ou ses parties de jambes en l’air avec des apollons au regard de braise, la demoiselle est la personne la plus bruyante que j’aie eu l’occasion de côtoyer. Et je m’en serais bien passé… Depuis que miss Casta vit à côté, ma vie est devenue un véritable enfer…
Miss Casta… Et dire qu’elle n’est même pas venue se présenter quand elle s’est installée ! Si je n’avais pas eu la curiosité de regarder sur sa boîte aux lettres, je serais encore en train de m’interroger sur son nom de famille. Par contre, aucun prénom : c’est Mlle Casta. Point. Une adepte des ouvertures de chakra sur fond de musique bizarre et de bâton d’encens brûlé. Quand elle est chez elle — parce que cela lui arrive de s’absenter de son domicile pendant plusieurs jours. Et dans ce cas, je suis le plus heureux des hommes : enfin tranquille !
Malheureusement, cela n’arrive pas aussi souvent que je le voudrais. Je ne sais pas trop dans quel domaine elle travaille. J’ai déduit de ses absences habituelles à l’heure du déjeuner et à celle du dîner jusqu’à son retour entre 23 h et minuit — du moins quand je suis en week-end ou pendant les vacances scolaires — qu’elle devait occuper un emploi dans la restauration ou quelque chose dans le même genre.
Non, je n’épie pas ses allées et venues. Pas le moins du monde. Elle fait juste un tintamarre du diable quand elle part de son domicile ou y revient : elle adore claquer les portes. Je pourrais tout à fait lui rendre la pareille, mais ce n’est pas mon style. Si un jour les choses dérapent, je ne veux pas qu’on ait quoi que ce soit à me reprocher. D’ailleurs, quand on y pense, ce début d’incendie, c’est déjà un sacré dérapage et j’avoue que lorsque je me suis retrouvé face à elle, après avoir senti l’odeur de brûlé venant de son logement, j’ai perdu mon sang-froid. La peur aidant, sans doute, les mots sont sortis tout seuls de ma bouche. Des mots qui ne font, d’habitude, pas partie de mon vocabulaire, surtout quand je m’adresse à une femme. Mais là, je suis parti en cacahuète, je l’avoue !
J’ai bien vu qu’elle tentait de s’excuser et de me calmer en m’affirmant que ce n’était pas grand-chose et qu’elle avait prévenu les pompiers qui n’allaient pas tarder à prendre les choses en main, mais j’étais trop énervé pour l’écouter. Cet accident, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Qu’elle écoute sa musique trop fort et qu’elle ait l’orgasme bruyant passe encore, mais qu’elle fiche le feu à mon domicile, non. Elle a dépassé les bornes !
Après ça, nos relations de voisinage — si rares soient-elles — ne vont pas aller en s’améliorant, j’en ai conscience. Et dire que mon pote Maxime m’a conseillé il y a peu de mettre de l’eau dans mon vin, d’essayer de prendre les choses avec philosophie… Avec philosophie ! Il en a de bonnes ! On voit bien que ce n’est pas lui qui vit à côté d’une folle furieuse, apprentie pyromane de surcroît !
Non, lui, il a carrément emménagé avec sa voisine ! Maxime a rencontré Marie il y a un peu plus d’un an et demi lorsqu’elle est venue s’installer dans l’appartement situé sur le même palier que le sien. Depuis, leur histoire a évolué de façon plus intime. Malgré leurs onze années d’écart, ils sont tombés amoureux. Ils ont quitté leurs domiciles respectifs et vivent à présent dans un logement plus grand avec Antonin, le neveu de Max, et Rambo, le chat de Marie. Ils nagent littéralement dans le bonheur. Après qu’il a perdu sa sœur dans un accident tragique et qu’il s’est vu confier la garde d’Antonin du jour au lendemain, l’obligeant ainsi à quitter la Haute-Savoie où il enseignait, je me suis fait du souci pour lui. Mais même si sa présence me manque parfois, je suis vraiment heureux pour mon vieux pote.
Moi, ce genre de chose n’est pas près de m’arriver. Tomber amoureux de ma voisine, je veux dire. Je ne désespère pas de trouver un jour la femme de ma vie, mais celle-ci n’est certainement pas la fille déjantée qui vit à côté de chez moi. Je connais très peu de choses sur elle, mais je suis à peu près certain que nous ne pourrions pas nous supporter si nous devions cohabiter. C’est déjà difficile avec un mur entre nous…

Chapitre 2

Mlle Casta

Adam Périllat…
J’ai bien cru qu’il allait m’arracher les yeux ! Quand il est apparu sur le seuil de ma porte, les traits déformés par la colère — ou la peur ? — et les yeux fous, à travers la fumée produite par l’embrasement de mes rideaux, j’ai cru voir Lucifer sortir des flammes de l’Enfer ! Je n’ai pas arrêté de m’excuser, mais cette armoire à glace aux allures de Mr. Propre ne veut rien entendre. Ce n’est pas de ma faute si le bâton d’encens que j’ai allumé a mis le feu au rideau. C’est à cause d’un courant d’air…
C’est bien la première fois que je le voyais s’énerver, lui qui n’a jamais eu un mot plus haut que l’autre, toujours placide et sans saveur. C’est presque dommage… s’il affichait un sourire sur ses lèvres, je suis certaine qu’il serait charmant. Mais voilà… chaque fois qu’il me croise, il prend son air renfrogné et marmonne dans sa barbe… Au sens propre comme au sens figuré, même si elle n’est pas bien fournie, juste un collier de poils bruns qui accentue le carré de sa mâchoire et une légère moustache. Ses yeux couleur chocolat me fusillent dès qu’ils en ont l’occasion…
J’ai longtemps été tentée de croire que ce mec devait être d’un ennui mortel jusqu’à ce que j’entende du rock résonner dans son appartement. Du rock… On est forcément un peu exubérant quand on écoute ce genre de musique, non ? En tout cas, c’est le cas de mon père qui ne jure que par ce style musical. D’ailleurs, le rock’n’roll a fini par m’écorcher les oreilles avec les années… Ou sont-ce juste les conséquences qu’a eues le statut de bassiste de mon paternel sur ma vie qui ont provoqué cette aversion ?
Bref… comme je n’avais pas envie de profiter des goûts musicaux discutables de mon voisin, je me suis mise à mettre ma sono à fond. OK, ce n’est pas très sympa — il n’y est pour rien dans mon désamour du rock — et certainement pas très civilisé, c’est d’ailleurs peut-être l’une des raisons qui ont tué notre relation de voisinage dans l’œuf, mais je n’en pouvais plus. Oh, ce n’est pas que le volume était haut, non, pas du tout, pour ça Adam Périllat est plutôt respectueux des autres — contrairement à moi — c’est juste… Enfin voilà, quoi !
Après ça, je n’ai plus jamais entendu la voix de Mick Jagger à travers le mur qui sépare nos deux logements. Je ne pense pas qu’il ait arrêté d’écouter les Rolling Stones, mais sans doute a-t-il opté pour l’utilisation d’un casque. En tout cas, il ne m’a jamais fait la moindre remarque… D’ailleurs, cette absence de réaction m’horripile tellement que j’en fais deux fois plus, histoire d’obtenir ne serait-ce qu’un frémissement de mâchoire, un reproche déguisé… J’organise des fêtes, invite mes conquêtes à dormir chez moi, en m’exprimant le plus bruyamment possible dans les deux cas. Rien n’y fait.
On pourrait se demander pourquoi je mets tant d’énergie à essayer d’énerver mon voisin. Je crois qu’en tant qu’actrice — je n’en fais pas mon métier, ce ne sont pas les quelques représentations mensuelles à la MJC de Chamonix qui assureraient ma subsistance — j’ai besoin d’attirer l’attention sur moi, et son indifférence à mon égard me perturbe. Je suis loin d’être moche, tous les hommes que j’ai eus dans ma vie n’ont eu de cesse de me dire que j’étais, je cite, « un joli petit lot ». Mais Adam Périllat semble complètement hermétique à mon charme naturel. Je vais finir par penser qu’il n’aime pas les femmes… Enfin, quelle importance après tout ? Musclor et moi n’avons absolument rien en commun, j’en suis persuadée.
Rien que ça, tiens… Ses gros biceps. Je suis certaine qu’il passe des heures à soulever de la fonte, certainement face à un miroir d’ailleurs, comme tous les body-buildés. Moi, mes seules activités physiques se limitent aux trente minutes de vélo que je fais pour me rendre à la brasserie où je travaille comme serveuse et en revenir, et aux galipettes auxquelles je m’adonne avec mes amants occasionnels — galipettes, soit dit en passant, qui ne me font pas brûler énormément de calories tant je m’ennuie.
Bref, Adam Périllat et moi sommes totalement différents. Je suis sûre que c’est un maniaque de l’ordre et du contrôle. Il n’y a qu’à voir son côté du jardin avec ses haies impeccablement taillées, son gazon tondu une fois par semaine en été (tous les mercredis après-midi, sans exception). La vie de ce mec doit manquer cruellement de fantaisie. Il doit passer ses soirées à lire des pavés de plusieurs centaines de pages sur la Révolution française ou la physique quantique. Il ne reçoit jamais personne et sort très peu, sauf pour aller courir, faire ses courses ou se rendre à son travail — travail dont j’ignore les spécificités. Il doit être videur de boîte de nuit ou bibliothécaire… Oui, je sais, ce sont deux professions qui paraissent absolument aux antipodes l’une de l’autre.
Moi, je vis dans un joyeux bordel. J’aime le désordre, il n’y a que quand mon salon est sens dessus dessous que je retrouve les choses. Et puis, comme le dit une citation attribuée, à tort ou à raison, à Einstein : un bureau bien rangé est le signe d’un esprit dérangé. Je suis donc tout à fait saine d’esprit ! N’en déplaise à mon voisin qui a eu le culot de me traiter de folle ! J’ai été tellement abasourdie — ayant plutôt été habituée à son mutisme — que sur le coup, j’ai cruellement manqué de repartie. Depuis que les pompiers sont partis, je n’arrête pas de l’insulter… dans ma tête, évidemment. Mais ça me fait un bien fou !
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Mise en avant des Auto-édités / Re : Le serment de Angelo Casilli
« Dernier message par marie08 le dim. 26/03/2023 à 15:53 »
« Le serment » est le troisième roman de Angelo Casilli que je lis et je n’ai pas été déçue. Une fois de plus, l’auteur a placé dans son roman tous les éléments d’un excellent thriller. Très vite, j’ai été captivé par une intrigue aux rebondissements multiples et au suspense magistralement distillé au fil des pages. Le tout servi par la plume efficace, agréable et fluide de Angelo.

Dans ce dernier opus, qui se déroule un peu plus d’un an avant les terribles événements relatés dans « Le tueur invisible », nous retrouvons le commissaire Jack Lewis et sa fille, faisons connaissance avec sa femme et de deux de ses amis, des copains d’enfance, dont l’un est gendarme et l’autre vigile.

L’histoire : prenez un serial killer, surnommé l’étrangleur aux foulards par les médias, parce qu’il signe ses crimes en laissant sur ses victimes le foulard qui a servi à les tuer, mettez-le dans la même ville que Jack Lewis, confiez-lui alors l’affaire, et la chasse à l’homme commence.
Mais je n’en dirais pas plus pour ne rien spoiler.

Si vous aimez les thrillers où l’intrigue jongle avec rebondissement, suspense et émotion, ce roman est pour vous.
Quant à moi, je remercie Angelo Casilli pour m’avoir fait passer un excellent moment de lecture. 

https://www.amazon.fr/serment-Angelo-Casilli/dp/2956232126/ref=sr_1_1?crid=22DSH6T989IV8&keywords=le+serment+angelo+casilli&qid=1679837823&sprefix=le+serment+%2Caps%2C915&sr=8-1

 
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Bonjour à tous :)
Pour ouvrir cette nouvelle rubrique de « L’actualité des indés mise en avant », avec Le #ÇaMeDitDeParlerD1EvenementInde, il me paraissait indispensable de débuter par l’une des pionnières dans ce domaine ; je voulais parler de la talentueuse Fateah Issaad @fissaad auteure de plusieurs ouvrages fortement appréciés, avec la création de son génialissime « Marché de l’auto édition »

De quoi s’agit-il, cela s’adresse à qui ? L’instigatrice nous l’explique elle-même :

"Le Marché de L'auto Édition regroupe des auteurs indépendants sur un marché dans un café.
Chaque 1er dimanche du mois, 5 auteurs se réunissent sur la terrasse du Café le DEBUSSY de la ville de Maisons-Alfort sur un slogan simple : 1+1=PL1 (plein) seul on va vite, ensemble on va loin...
L'événement est gratuit puisque le café nous invite gracieusement, et les auteurs gèrent eux même leurs ventes.
Le concept s’exporte aujourd'hui dans plusieurs villes de France, géré par des auteurs indépendants.
un marché, des auto édités, des lecteurs, le merveilleux cocktail de l'écriture !"


Lien pour le groupe sur FB:
https://m.facebook.com/groups/1741812086085025/?paipv=0&eav=AfbsV1P-hUV3p-



Vidéo qui explique plus longuement le concept :

[youtube]https://www.youtube.com/watch?v=4vdvyZuBCyU&t=2s[/youtube]

Vous êtes dans la région ? Amis auteurs, n’hésitez pas à la contacter, elle se fera un plaisir de vous accueillir ;)


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Vous connaissez, voulez parler d’un événement, d’une manifestation, d’un salon ou tout autre chose où les Indés sont acceptés, mis à l’honneur ?

Le #ÇaMeDitDeParlerD1EvenementInde est fait pour vous :pouceenhaut: ^^

N’hésitez pas à me contacter par mail, en fonction de mon emploi du temps et des demandes, je me ferai un plaisir de relayer les initiatives qui mettent un coup de projecteur sur nos amis AE :clindoeil:

Procédure :
Petit topo qui explique l’événement, plus image de l’affiche.
Liens RS de l’instigateur, plus  groupe, vidéo ou lien du site du projet s’ils existent ^^
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