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RĂ©sumĂ© : Un soir de rĂ©veillon, Naomi Shehaan disparaĂźt de la rĂ©serve indienne de Meshkanau. Dans une rĂ©gion minĂ©e par la corruption, le racisme, la violence et la misĂšre, un jeune flic, Logan Robertson, tente de briser l'omerta qui entoure cette affaire. Il est rejoint par Nathan et Alice qui, en renouant avec leur passĂ©, plongent dans l'enfer de ce dernier jalon avant la toundra. Un thriller dur qui Ă©claire sur les violences intracommunautaires et les traumatismes liĂ©s aux pensionnats indiens, dont les femmes sont les premiĂšres victimes. Mon avis : Tout dâabord, je tiens Ă remercier JoĂ«l des Ă©ditions Taurnada pour sa confiance et pour mâavoir fait dĂ©couvrir en avant-premiĂšre ce nouveau roman Ă la quatriĂšme fort inquiĂ©tante. Ayant dĂ©jĂ lu et fort apprĂ©ciĂ© certains des prĂ©cĂ©dents romans "La peine du bourreau", "Les eaux noires", "Digital way of life", "Il Ă©tait une fois la guerre", avec leurs ambiances si particuliĂšres, jâĂ©tais curieuse et impatiente de voir ce que lâauteur allait nous rĂ©server pour son dernier opus ^^ C'est le cinquiĂšme roman que je lis de cette auteure, et cette fois, jâai eu beaucoup de mal Ă trouver les mots pour dĂ©crire mes ressentis. Le sujet abordĂ©, mĂȘme sâil titillait grandement mon intĂ©rĂȘt, mâa de suite fortement interpelĂ©e par sa gravitĂ©, sa duretĂ© et son cĂŽtĂ© rĂ©voltant. Attention, Ăąmes sensibles sâabstenir â ïž. En effet, le rĂ©sumĂ© et lâavant propos Ă peine avalĂ©s, nous voici projetĂ©s, immergĂ©s, enferrĂ©s au cĆur du Grand Nord canadien, oĂč le cruel quotidien de la rĂ©serve indienne de Meshkanau va nous ĂȘtre contĂ©. Cette terre reculĂ©e et dĂ©sertique, abrite encore quelques membres de ce peuple pĂ©tri de tradition. Quelques autochtones luttent dĂ©sespĂ©rĂ©ment pour maintenir leurs droits, leurs parcelles de terre et surtout leur dignitĂ© face aux "hommes blancs" qui dĂ©tiennent tous les pouvoirs. La pauvretĂ©, la violence et la corruption rĂšgnent en maĂźtre et gangrĂšnent les lieux. Et ce nâest pas avec le projet dâune scierie dâenvergure que les choses vont sâapaiser, bien au contraire ; la jalousie et les tensions entre les deux clans se retrouvent exacerbĂ©es. Alors quand le soir du rĂ©veillon, la jeune Naomi Shehaan du camp des Innus, 16 ans Ă peine, est retrouvĂ©e sur le lac gelĂ©, battue Ă mort, sous une couche de neige, câest lâĂ©tincelle quâil fallait pour mettre le feu aux poudres. Une enquĂȘte devrait dĂ©buter, sauf que la police locale pense que ça nâen vaut pas la peine. Vous comprenez, pour eux, « hommes blancs », les filles autochtones Innu, sont des filles Ă problĂšmes : fugueuses, prostituĂ©es, droguĂ©es, contrairement Ă celles de leur communauté⊠Alors pourquoi sâembĂȘter ? MĂȘme si ce tableau nâest pas entiĂšrement faux, pourquoi une telle diffĂ©rence de traitement ? Pourquoi ne pas considĂ©rer tous les ĂȘtres humains de la mĂȘme maniĂšre ? En plus, dĂšs l'enfance, les enfants Innus sont arrachĂ©s Ă leur famille, et placĂ©s en internat catholique pour y ĂȘtre Ă©duquĂ©s comme des « blancs » afin de perdre leur identitĂ© culturelle et devenir de la main dâĆuvre gratuite. Comment, dans de telles conditions, peut-on psychiquement se dĂ©velopper, ce, sans ne dĂ©velopper aucune sĂ©quelle ? Comment garder la tĂȘte haute, vivre normalement et ne pas sombrer dans la prĂ©caritĂ©, dans l'alcool et la drogue, surtout quand naĂźtre femme est considĂ©rĂ© comme une tare ? L'affaire est confiĂ©e Ă Logan Robertson, un jeune policier sans expĂ©rience et considĂ©rĂ© comme lĂ©ger dâesprit par ses collĂšgues. Roy le chef de la police de Pointe-Cartier et les autoritĂ©s locales espĂšrent ainsi que cette affaire, comme toutes les autres du genre, finissent par ĂȘtre classĂ©e sans suite. Sauf que, scandalisĂ© par le comportement de sa hiĂ©rarchie, celui-ci ne lâentendra pas de cette oreille, et tentera de faire le jour sur cette histoire, aidĂ© par 2 Ă©tudiants Alice et Nathan, qui renouerons avec leur douloureux passĂ©. Dans ce dĂ©cor immersif Ă l'ambiance pesante, nous allons assister, choquĂ©s et impuissants, Ă lâaffreux constat dâune rĂ©gion du monde oĂč le viol des femmes autochtones et leurs meurtres sont monnaie courante sans que cela ne perturbe grand monde, mĂȘme pas les familles, qui, depuis bien longtemps, ont baissĂ© les bras devant lâinjustice et la discrimination. GrĂące a une Ă©criture directe et accrocheuse, acĂ©rĂ©e et percutante, les page vont se tourner Ă toute allure ; nous voulons connaĂźtre les tenants et les aboutissants de cette histoire aux multiples rebondissements, jusquâau dĂ©nouement final, qui nous laissera sans voix. Quant aux personnages, ils sont merveilleusement bien campĂ©s, et servent le rĂ©cit au mieux afin de nous faire ressentir tout un panel Ă©motionnel : tristesse, colĂšre, rage, rĂ©volte, surtout que nous sommes parfaitement conscient que cette histoire nâest pas une complĂšte fiction, mais emprunte dâune bien triste rĂ©alitĂ©. Vous lâaurez compris, malgrĂ© une lecture difficile par le thĂšme ĂŽ combien pĂ©rilleux, ce roman mâa beaucoup plu, tant pour lâhistoire, que par le cran de lâauteur pour avoir abordĂ© un tel sujet, plus que sensible de nos jours. Alors si vous aimez les romans coup de poing, de ceux qui bouleversent, remuent les entrailles, vous laissant exsangue Ă la fin de lâhistoire.... foncez, ce livre est fait pour vous ; vous ne serez pas déçus Ma note :  Pour vous le procurer : Editons Taurnada Amazon RĂ©seaux sociaux : Twitter Facebook
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« Dernier message par Antalmos le lun. 27/11/2023 Ă 10:25 »
Quel plaisir de retrouver la plume de Marie Continanza que j'avais dĂ©couvert dans L'autre vie de Sophie et La maison de Thomas. Avec L'homme du parc, l'autrice nous offre cette fois une romance dont juste la couverture annonce dĂ©jĂ la couleur. N'Ă©tant pas spĂ©cialement fan de ce genre, il ne fallait pas seulement le talent d'Ă©criture de l'autrice pour me lancer dans cette lecture, mais connaissant son penchant pour le mystĂšre et le paranormal, je m'attendais Ă dĂ©couvrir bien plus qu'une romance. Je ne m'Ă©tais pas trompĂ© et c'est ce qui en fait toute son originalitĂ©. Le premier chapitre commence dĂ©jĂ comme je les aime : Camille, l'hĂ©roĂŻne principale du roman, se rend en taxi devant une villa, prĂȘte Ă y rencontrer son occupant. Mais au moment oĂč elle s'apprĂȘte Ă appuyer sur la sonnette, la main hĂ©sitante, mille questions se posent Ă elle. Pourquoi hĂ©site t'elle Ă ce point ? L'autrice entretient le suspense en revenant quelques mois en arriĂšre oĂč l'on dĂ©couvre Camille se rendant en vacances Ă Cabourg avec un couple d'amis, Laura et JĂ©rĂ©my, dans l'espoir d'y trouver l'amour. Et elle va le trouver. Mais un obstacle de taille va les empĂȘcher de poursuivre leur relation. Arriveront-ils Ă le surmonter ? En dire plus serait spoiler, je vous invite donc Ă vous lancer dans cette trĂšs belle lecture et peut-ĂȘtre que comme moi, le dĂ©nouement vous surprendra. L'Ă©pilogue, quant Ă lui, vous rĂ©servera encore un dernier rebondissement, ce qui me fera dire : la boucle est bouclĂ©e. En rĂ©sumĂ©, cette romance est une vraie rĂ©ussite.
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« Dernier message par Apogon le jeu. 16/11/2023 Ă 17:44 »
Un chant de NoĂ«l : Londres, 1886 de Magali Chacornac-Rault Pour l'acheter : AmazonPrologue DĂ©cembre 1875 Devant la porte dâune petite Ă©glise de Kensington, un couple de jeunes mariĂ©s se regardent tendrement. â JâespĂšre que tu ne regretteras pas cette folie, mon amour. Ce mariage sans lâaccord de ta famille⊠â Comment regretter ce jour merveilleux, tes amis musiciens nous ont offert la plus belle des cĂ©rĂ©monies, toutes les personnes prĂ©sentes souhaitent notre bonheur et mĂȘme le ciel nous prĂ©sente ses vĆux avec ces flocons. Il regarde avec tendresse celle quâil aime et quâil peut maintenant appeler « sa femme ». Elle est absoluÂŹment magnifique dans sa robe de soie blanche, et les flocons qui sâaccrochent Ă ses cheveux bruns, sâĂ©chappant de son chignon, forment un voile dâune finesse et dâune noblesse quâaucun tissu ne peut Ă©galer. Sentant son regard, elle se tourne vers lui et murmure : â Je vous aime, monsieur Andrew Wilson. â Je vous aime, madame Grace Wilson. Le sourire de la jeune femme sâĂ©largit, il ne lui faudra pas longtemps pour sâhabituer Ă ce nouveau nom, madame Wilson, Grace Wilson, ça sonne bien mieux que Grace Berkeley, son nom de jeune fille. * DĂ©cembre 1876 Les premiers flocons de neige ont accompagnĂ© la naissance de leur petit ange, une merveilleuse petite fille, en pleine santĂ©. Lâaccouchement a Ă©tĂ© difficile pour Grace, cependant, elle puise sa force dans la contemplation de son bĂ©bĂ© et semble se remettre doucement. Alors que Grace allaite et quâAndrew couve du regard les deux femmes de sa vie, la jeune maman se projette dans le futur : â Jâai tellement hĂąte que Lizzie puisse profiter de la neige et de lâambiance de NoĂ«l, jâaime cette pĂ©riode, je suis heureuse que notre enfant soit nĂ©e ce mois si particulier, il signifie tant pour moi. â Câest en dĂ©cembre que nous nous sommes rencontrĂ©s. Ton pĂšre mâa engagĂ© pour te donner des leçons de piano afin que tu te perfectionnes. Il voulait que tu Ă©blouisses toute lâassemblĂ©e au repas de NoĂ«l, mais câest moi que tu as Ă©bloui dĂšs le premier jour. Il regrette probablement encore de mâavoir engagé⊠â Et moi, je lui en serai Ă©ternellement reconnaissante. Le magnifique sourire de Grace Ă©teint pour un instant la culpabilitĂ© dâAndrew. Il sâen veut dâĂȘtre la cause de la brouille entre sa femme et ses parents qui nâont pas acceptĂ© leur amour⊠Un musicien, aussi talentueux soit-il, nâest pas digne dâune hĂ©ritiĂšre Berkeley. Il fait tout son possible, Ă chaque instant, pour rendre sa femme heureuse, lui faire oublier sa descente sociale et combler le manque des siens. * DĂ©cembre 1877 Lorsquâil passe la porte, les rires de Grace et les gazouillis de Lizzie lâaccueillent. Il se prĂ©cipite au salon sans mĂȘme retirer sa veste, il ne veut rater aucun moment de bonheur. Il dĂ©couvre sa femme agenouillĂ©e au pied du sapin quâil a rapportĂ© la veille et quâelle a installĂ© en hauteur, sur une table, afin que le bĂ©bĂ© ne puisse lâatteindre. Elle a les bras tendus vers leur fille, celle-ci est entourĂ©e de petits sujets en bois. Les yeux pĂ©tillants, la petite fille observe chaque dĂ©coration avec Ă©merveillement puis, de temps Ă autre, elle en tend une Ă sa mĂšre qui la suspend Ă une branche de sapin en riant. Andrew sâapproche doucement, dĂ©pose un baiser sur les lĂšvres de sa femme puis sur la joue de sa fille, en essayant de ne pas briser la magie de lâinstant. Lizzie sâaccroche Ă son cou puis elle lui donne un petit cheval Ă bascule quâil va fixer dans lâarbre. Il Ă©change avec Grace un regard complice. Les yeux de sa femme Ă©tincellent de joie, son sourire est radieux. Le bonheur est si simple. * DĂ©cembre 1878 Cette annĂ©e, Lizzie participe pleinement Ă la dĂ©co-ration du sapin de NoĂ«l. La petite fille, qui vient de fĂȘter ses deux ans, est une vĂ©ritable tornade quâil faut canaliser. Lâexcitation est Ă son comble, elle court en tous sens, Ă©vite de peu de piĂ©tiner les ornements en bois et mĂȘme de renverser lâarbre Ă tel point que Grace dĂ©cide de ne pas installer les bougies, de peur que Lizzie se blesse ou mette le feu Ă leur maison. Le seul moment oĂč la fillette reste calme et concentrĂ©e, câest lorsque son pĂšre la soulĂšve aussi haut quâil le peut pour quâelle accroche le cimier du sapin. Quand Lizzie retouche terre, elle contemple son Ćuvre avec fiertĂ© et satisfaction, les mains sur les hanches. Sa bouille fait Ă©clater de rire ses parents. * DĂ©cembre 1879 Cette annĂ©e, la neige est si abondante que Londres a Ă©tĂ© paralysĂ©e presque 48 heures. Grace et Lizzie sâen donnent Ă cĆur joie, glissades, batailles de boules de neige, empreintes dâanges et mĂȘme un essai de construction dâigloo dont Andrew avait vu des dessins il y a quelques annĂ©es. La neige ne sâest toujours pas transformĂ©e en bouillie marron, glissante et salissante, comme habituellement. Cette profusion de poudreuse laisse les parcs et certaines petites rues immaculĂ©s, pour le bonÂŹheur de sa famille. * DĂ©cembre 1880 Comme chaque annĂ©e, Andrew arpente les rues de Londres en chantant des Christmas carols. En tant que professionnel, son petit groupe commence quelques jours avant le 25 dĂ©cembre. Cette annĂ©e, pour la premiĂšre fois, Lizzie lâaccompagne. Sa fille a une voix dâange. Ă force dâentendre sa mĂšre fredonner toute la journĂ©e, la fillette a appris Ă chanter avant de savoir parler. Avec ses cheveux chĂątain clair, comme ceux de son pĂšre, et ses yeux bleus, comme ceux de sa mĂšre, elle fait fondre tous les cĆurs. * DĂ©cembre 1881 Lors de la dĂ©coration du sapin, en famille, Grace suspend un second petit ange en porcelaine, elle avait achetĂ© le premier Ă la naissance de Lizzie. En lâaccro-chant, elle fait le vĆu de tomber Ă nouveau enceinte, sa fille a dĂ©jĂ cinq ans et Grace aurait aimĂ© lui donner un petit frĂšre qui perpĂ©tuerait le nom de Wilson. Cette volontĂ© dâenfanter Ă nouveau inquiĂšte Andrew qui sent sa femme fatiguĂ©e, mĂȘme si elle essaie de le lui cacher, il se souvient aussi combien lâaccouchement avait Ă©tĂ© Ă©prouvant, il avait eu si peur de perdre Grace. * DĂ©cembre 1882 Grace nâa plus la force de sortir de son lit, Lizzie est Ă ses cĂŽtĂ©s et, ensemble, elles fabriquent des dĂ©corations de NoĂ«l en tissu. Quand la fillette quitte la piĂšce, Grace demande Ă Andrew dâapprocher. Il sâassoit sur le lit et prend les mains de sa femme dans les siennes : â Je suis heureuse, mon amour, que la vie me laisse ce dernier NoĂ«l en votre compagnie. Ne sois pas triste, je mâĂ©teins chanceuse de la vie que jâai eue. Tu as fait mon bonheur et tu fais le bonheur de notre fille. Andrew sâagite, il ne veut pas entendre cette vĂ©ritĂ©, il espĂšre encore un miracle. â Non, mon amour, il est trop tard pour que je guĂ©-risse, je me sens mourir Ă petit feu, mais je nâai pas peur. Bien sĂ»r, jâaurais voulu voir notre fille devenir une femme, partager toutes ses joies et ses doutes, mais je sais quâelle trouvera en toi une oreille attentive, tu es un pĂšre formidable. â Comment pourrais-je continuer Ă vivre sans toi, Grace ? Je tâaime ! â Il le faudra, pour Lizzie. Je tâaime, Andrew. Cette derniĂšre phrase nâest plus quâun murmure, Grace sâest endormie, Ă©puisĂ©e par lâeffort de la conversation et de lâactivitĂ© rĂ©alisĂ©e avec sa fille. BientĂŽt, elle fermera les yeux pour toujours et Andrew ne peut lâaccepter. Il pleure, le visage enfoui dans les cheveux de sa femme. * 1883, 1884, 1885 Seules la tristesse et lâabsence de Grace accompagnent Andrew et Lizzie⊠Leur vie semble tellement vide, les NoĂ«ls si fades⊠Chapitre 1 Lundi 20 dĂ©cembre 1886 Ă lâapproche de NoĂ«l, Andrew, comme chaque annĂ©e, arpente les rues de Londres avec quelques collĂšgues musiciens pour apporter un peu de joie aux habitants en entonnant les chants traditionnels. Ils rĂ©coltent ainsi lâargent permettant de financer les cours de musique dispensĂ©s Ă lâorphelinat. Andrew se sent fourbu, il a lâimpression que, dâanÂŹnĂ©e en annĂ©e, Londres ne cesse de grandir, Ă moins que ce soit lui qui se fait vieux. Ă la lueur des rĂ©verbĂšres, les chanteurs gardent leur entrain, mĂȘme sâil se fait tard. Ce quartier est luxueux, formĂ© de nombreux hĂŽtels particuliers, ce qui promet des dons gĂ©nĂ©reux. Pour la Ă©niĂšme fois de la journĂ©e, ils reprennent leur rĂ©pertoire enchaĂźnant les classiques Christmas carols. Pour Andrew, cette pĂ©riode est particuliĂšrement douloureuse. Ces chants Ă©taient les favoris de son Ă©pouse partie trop tĂŽt. Afin de supporter la douleur, il chante pour elle seule Ă chaque reprĂ©sentation, espĂ©rant quâelle lâentende des cieux oĂč elle se trouve. DĂšs que les voix sâĂ©lĂšvent, Susan dĂ©laisse son ouvrage de broderie pour se placer Ă la fenĂȘtre. Cette troupe est la premiĂšre Ă visiter son quartier et elle nâest pas déçue, lâharmonie est magnifique. PlacĂ©s sous un lampadaire, les chanteurs paraissent presque irrĂ©els. Lâun dâeux attire particuliĂšrement son attention, il est grand, ses cheveux chĂątains sont un peu trop longs et il porte de belles moustaches. Son regard semble si triste, cependant, il chante avec ferveur. Elle aimerait enÂŹtendre sa voix. Elle essaie de se concentrer sur les autres chanteurs et musiciens mais ses yeux reviennent sans cesse sur ce gentleman sans quâelle ne comprenne pourquoi. Lorsque la musique sâarrĂȘte, elle sâĂ©loigne de la fenĂȘtre, déçue que ce soit dĂ©jĂ fini. SâĂ©lĂšve alors une voix de tĂ©nor, douce et puissante, elle rejoint prĂ©cipitamment son poste dâobservation, bien quâelle soit certaine de savoir Ă qui cette voix appartient. Il y a tant dâĂ©motion. Lâhomme au regard gris et triste chante les yeux tournĂ©s vers le ciel. Susan sent tout son corps rĂ©agir Ă ce chant, elle en a la chair de poule et les larmes aux yeux. Elle reste lĂ Ă fixer le chanteur pendant un long moment aprĂšs que la voix se soit tue. Câest son intendante qui la sort de sa contemplation en lui demandant si elle doit descendre leur remettre une enveloppe. Susan insiste pour que le don soit gĂ©nĂ©reux, jamais aucun chanteur ne lui avait procurĂ© autant dâĂ©moi. Elle aimerait descendre elle-mĂȘme pour les fĂ©liciter, mais cela ne se fait pas, elle songe un moment Ă mettre sa carte au milieu des billets mais Ă quoi bon, câest elle qui a envie de leur parler et non lâinverse. Elle observe le plus jeune des choristes rĂ©cupĂ©rer les enveloppes, tous les voisins semblent avoir envoyĂ©s une servante. La troupe lance un merci collectif puis reprend son chemin pour faire son spectacle dans la rue voisine. Elle suit des yeux lâhomme aux cheveux trop longs jusquâĂ ce quâil disparaisse et bien aprĂšs. Lorsquâelle sort de sa rĂȘverie, elle nâest plus vraiment certaine que tout cela se soit rĂ©ellement dĂ©roulĂ©. Elle reprend sa broderie sans arriver Ă se concentrer au point de se piquer avec lâaiguille. * Lorsque Andrew rentre enfin chez lui, extĂ©nuĂ©, il ne sâattend pas Ă devoir gĂ©rer une crise. Pourtant, Jill, la gouvernante, a dĂ©jĂ ĂŽtĂ© son uniforme pour le remplacer par son manteau. De plus, elle fait sa tĂȘte des mauvais jours. Elle ne laisse pas le temps Ă son employeur de poser une quelconque question quâelle annonce, rĂ©solue : â Je dĂ©missionne, ce nâest plus possible, votre fille Elisabeth est irrĂ©cupĂ©rable, je ne peux supporter plus longtemps son manque de respect. Cette enfant est une petite peste qui ne veut rien apprendre de ce que je lui inculque, une mule serait plus facile Ă Ă©duquer. Je pas-serai demain chercher mes gages et une lettre de recommandation. Je vous souhaite une bonne soirĂ©e, Monsieur. Sur ces derniĂšres paroles, elle passe la porte Ă grand pas et disparaĂźt dans la nuit sans quâAndrew nâait pu placer un mot. Il soupire puis appelle sa fille : â Lizzie ! Quâas-tu encore fait pour que cette pauvre Jill soit dans cet Ă©tat ? â Ăa y est, elle est enfin partie ? Pour toujours ? Elle mâa dit quâelle dĂ©missionnait, elle nâa pas menti au moins ? â Lizzie ! Ce nâest pas gentil ! Jill est une personne qualifiĂ©e qui fait trĂšs bien son travail ! Et je la trouve patiente, douce et gentille. Je connais des gouvernantes bien plus strictes quâelle. Tu ne sais pas apprĂ©cier ta chance, ma chĂ©rie. â Ce nâest pas toi qui lâas sur le dos toute la jourÂŹnĂ©e, rien de ce que je fais ne lui convient, elle me reprend continuellement, jâen ai marre. Elle voudrait que je me comporte comme si je devais ĂȘtre la future reine dâAngleterre⊠En voyant sa fille descendre lâescalier raide comme un piquet, Andrew a du mal Ă se retenir de rire. Il sou-pire, ouvre ses bras en grand et sa fille sây prĂ©cipite pour se blottir contre lui. AprĂšs ce cĂąlin si rĂ©confortant, lâhomme reprend : â Demain, tu tâexcuseras auprĂšs de Jill et jâaurai une petite discussion avec elle afin quâelle baisse ses exigences, ça te convient ? â Je suis une grande fille, maintenant, je nâai plus besoin de gouvernante, Papa. â Lizzie, ne fais pas de caprice, jâai besoin de saÂŹvoir que quelquâun veille sur toi en mon absence. â Tu pourrais engager quelquâun dâautre que Jill, sâil te plaĂźt, Papa. â Une gouvernante ne se trouve pas si facilement, Lizzie⊠Demain, tu tâexcuseras et on verra comment ça se passe. La fillette de dix ans repart la tĂȘte basse, les yeux remplis de larmes, elle voudrait retrouver le temps oĂč sa maman sâoccupait dâelle toute la journĂ©e et oĂč un prĂ©cepteur venait lâinstruire quelques heures par jour. Andrew soupire, il nâaime pas savoir sa fille triste, il souhaiterait lâentendre rire comme avant. Il passe Ă la cuisine pour rĂ©chauffer le repas, prĂ©parĂ© le matin par madame Pike qui sâoccupe aussi de faire le mĂ©nage. Lizzie le rejoint, elle dresse la table et commente : â Jill mâapprend le nom de quatre fourchettes diffĂ©rentes et de tous les couteaux qui existent. Je ne les ai vus quâen dessin⊠à quoi cela peut bien me servir ? Pour manger, on a besoin dâune seule fourchette, dâun seul couteau et dâun seul verre aussi ! â Chez nous, car nous nâavons que peu de moyens, mais dans la haute sociĂ©tĂ©, ce nâest pas pareil et tu sais que ta maman venait de ce milieu ? Lizzie acquiesce et Andrew poursuit : â Tu auras peut-ĂȘtre lâoccasion, si tu le souhaites, plus tard, dâĂ©voluer dans ce milieu, aussi, il faut que tu y sois prĂ©parĂ©e, tu aurais lâair dâune idiote si tu te trompais de fourchette ou de verre, tu ne crois pas ? Lizzie hausse les Ă©paules et argumente : â Maman a quittĂ© ce milieu, je nâai pas envie dây retourner⊠â On ne sait pas ce que la vie te rĂ©serve, Lizzie, il faut ĂȘtre prĂȘt Ă tout. Nombreux sont ceux qui aimeÂŹraient avoir le choix, tu as cette chance, ma chĂ©rie. Le lendemain, Jill se prĂ©sente avant le dĂ©part dâAndrew. ObĂ©issante, Lizzie sâexcuse et son pĂšre essaie dâexpliquer Ă la gouvernante le ressenti de son enfant. Jill a le visage fermĂ©, elle a dĂ©cidĂ© de rester ferme et rien ne la fera revenir sur sa dĂ©cision. Elle a de la peine pour cet homme et cette enfant, mais elle a lâimpression de perdre son temps dans cette maison, elle a les compĂ©tences pour trouver une meilleure place, bien mieux rĂ©munĂ©rĂ©e. De plus, elle pense quâElisabeth est trop choyĂ©e par son pĂšre qui lui laisse trop souvent lâopportunitĂ© de sâexprimer. Lizzie a le mĂȘme caractĂšre que sa mĂšre, câest une rebelle, incapable de se comporter comme on lâattend dâune femme de son rang. Lorsque la gouvernante sâen retourne, Andrew est dĂ©pitĂ© tandis que sa fille danse de joie aprĂšs avoir tirĂ© la langue Ă la porte. Comment va-t-il trouver une gouvernante en cette pĂ©riode de fĂȘte ? Et surtout, qui va bien pouvoir garder un Ćil sur Lizzie en attendant quâil dĂ©niche la perle rare avec un budget serrĂ© ? Il devrait dĂ©jĂ ĂȘtre au Royal College of Music. Lorsque madame Pike arrive, Andrew lui demande de prendre en charge Lizzie, la vieille femme accepte avec bonheur, elle adore la fillette. Madame Pike a eu huit enfants, maintenant tous en Ăąge de mener leur vie, et ils lui manquent. Toutefois, la cuisiniĂšre ne pourra pas rester toute la journĂ©e avec Lizzie car elle travaille pour dâautres familles. Andrew nâa pas le choix, pour une fois, sa fille devra rester seule Ă la maison et lui prouver quâelle est effectivement assez mature. Pour lâoccuper, il lui donne des exercices de mathĂ©matiques et de français. Le français est une langue que Grace affectionnait et Ă laquelle elle a initiĂ© Lizzie. Il lui remet aussi un morceau de piano Ă dĂ©chiffrer, puis sâen va au pas de course. Chapitre 2 Mardi 21 dĂ©cembre 1886 La matinĂ©e de Lizzie se passe aux cĂŽtĂ©s de madame Pike. La fillette aime cĂŽtoyer la vieille femme qui est au service de ses parents depuis leur mariage et leur installation dans cette petite maison dâun beau quartier. Son pĂšre la loue pour un loyer modique, câest un loge-ment de fonction. La petite fille pose une multitude de questions sur sa maman et Ă©coute avec grand intĂ©rĂȘt les histoires qui se sont dĂ©roulĂ©es quand elle Ă©tait bĂ©bĂ©. Elle nâose pas interroger son pĂšre, elle ressent sa douleur et sa tristesse Ă chaque fois quâil Ă©voque Grace et elle essaie de lui Ă©pargner ce chagrin autant que possible. Pourtant, elle a besoin que le souvenir de sa mĂšre perdure, elle a besoin dâentendre parler des jours heureux, cela Ă©gaye son quotidien si sombre. NoĂ«l est la pĂ©riode la plus difficile car câest celle que prĂ©fĂ©rait Grace, celle qui Ă©tait la plus joyeuse et ce bonheur lui manque⊠Câest peut-ĂȘtre pour cela quâelle est toujours si difficile Ă vivre durant le mois de dĂ©cembre. Madame Pike lui parle du passĂ© avec tendresse, lui raconte des moments doux suivant le bon vouloir de ses souvenirs. Elle la traite comme sa propre enfant, en la faisant participer aux corvĂ©es, et non comme la fille du maĂźtre. Il faut dire que ni Grace ni Andrew nâont jamais considĂ©rĂ©e Ann Pike comme une domestique mais plutĂŽt comme une amie venant rendre service. Les mains dans la vaisselle, Lizzie se sent bien. Elle nâavait pas passĂ© une aussi belle matinĂ©e depuis des lustres. En aucun cas elle ne regrette lâabsence de Jill. Une fois le repas prĂ©parĂ© et mangĂ© ensemble, sur la table de la cuisine, sans aucune cĂ©rĂ©monie, sans personne pour scruter sa position et ses moindres gestes, Lizzie dit au revoir Ă la vieille femme. La petite fille monte alors dans sa chambre pour faire ses devoirs et sourit en sâapercevant que son pĂšre lui a donnĂ© des exercices plus simples que ceux quâelle doit dâordinaire rĂ©soudre. En moins dâune demi-heure, elle a tout fini et redescend pour sâinstaller au piano. De ce cĂŽtĂ©, son pĂšre nâa fait aucune erreur, il maĂźtrise parfaitement son niveau. Le morceau choisi est difficile, mais Lizzie adore ça. Si son pĂšre le voulait, elle pourrait faire des concerts, tout Londres paierait pour voir lâenfant prodige sur scĂšne, mais il ne le souhaite pas et elle non plus. Elle adorait jouer pour sa mĂšre, maintenant, elle joue pour son pĂšre et voir briller la lueur de fiertĂ© dans ses yeux est un cadeau magique Pour le rendre fier, elle travaille sa partition patiemment et avec acharnement durant deux heures consĂ©cutives et, au final, elle est plutĂŽt satisfaite du rendu. Elle dĂ©cide donc de sortir pour marcher un peu dans le quartier, ce que Jill ne lâautorisait jamais Ă faire. Lors-quâelles allaient se promener, câĂ©tait toujours dans des parcs ou dans des rues commerçantes et sa gouvernante restait attentive Ă sa maniĂšre de bouger, Ă son regard, son port de tĂȘte⊠Jamais elle nâavait le droit de courir ou de traĂźner des pieds et ces balades Ă©taient insipides. Aujourdâhui, personne ne lui fera de remarque. Elle lace ses bottines puis enfile son manteau de laine sur sa robe en velours, passe ses gants et ouvre grand la porte. Lâair froid lui cingle le visage et elle sourit. Elle referme Ă clef derriĂšre elle et sâengage dans la rue. Les quelques flocons tombĂ©s la semaine prĂ©cĂ©dente nâont pas tenus, cependant, le sol est glissant. Bien que la sensation de libertĂ© quâelle ressent lui donne envie de courir et de sauter, elle doit faire attention Ă ne pas tomber. Elle avance prudemment, en observant les gens autour dâelle. Elle arpente les rues de Kensington. Avec son pĂšre, ils occupent un logement situĂ© juste Ă cĂŽtĂ© du Royal College of music, prĂšs de Hyde Park et Kensington Garden, un quartier chic oĂč elle peut se promener sans risque. Ses pas la portent jusquâau Brompton Hospital. Lizzie ne veut pas retourner dans le monde aristocratique que sa mĂšre a quittĂ© car cette derniĂšre lui a un jour expliquĂ© que, lĂ -bas, les femmes ne font rien Ă part obĂ©ir Ă leur mari et gĂ©rer la domesticitĂ©, or, la fillette sait dĂ©jĂ quâelle veut devenir mĂ©decin pour pouvoir soigner les gens, elle aurait tant voulu que quelquâun arrive Ă guĂ©rir sa maman. Lorsquâelle en a parlĂ© Ă Jill, la gouvernante sâest esclaffĂ©e ! Ce nâest, soi-disant, pas un rĂŽle pour une femme et encore moins pour une femme de la haute sociĂ©tĂ©. Jill lui a dit quâil nây avait quâune femme diplĂŽmĂ©e en mĂ©decine en Angleterre et quâelle avait dĂ©frayĂ© la chronique, elle porte le mĂȘme prĂ©nom quâelle, elle se nomme Elizabeth Garrett Anderson. Depuis, Lizzie lâidolĂątre et rĂȘve de devenir la deuxiĂšme femme mĂ©decin du Commonwealth. Elle voudrait sauver toutes les mamans pour que plus aucun enfant ne soit triste. Devant lâhĂŽpital, il y a une grande quantitĂ© de sapins, les yeux de la petite fille brillent, elle se souÂŹvient des Ă©picĂ©as quâelle dĂ©corait avec ses parents. Son pĂšre nâen a plus achetĂ© depuis le dĂ©cĂšs de sa mĂšre. Elle sâapproche et demande : â Bonjour Madame⊠â Bonjour, jeune demoiselle. â Que faut-il faire pour avoir lâun des petits sapins ? â Les petits sapins sont Ă un shilling. Je mâoccupe bĂ©nĂ©volement des ventes et lâargent va Ă lâhĂŽpital pour acheter du matĂ©riel mĂ©dical. â Je comprends, merci. Lizzie sâĂ©loigne, la tĂȘte basse, les larmes aux yeux. Elle nâa pas dâargent. Elle ne peut toutefois pas se rĂ©soudre Ă quitter les lieux, les arbres lâaimantent. Leur ramure, leur odeur, leur couleur, tout la ramĂšne aux temps joyeux, elle a presque lâimpression dâentendre Grace chantonner au creux de son oreille. Susan observe la fillette, elle semble si triste quâelle en a le cĆur serrĂ©. Sa tenue montre quâelle fait partie de la petite bourgeoisie, mais peut-ĂȘtre que sa famille nâa pas suffisamment dâargent pour le dĂ©penser dans des futilitĂ©s. Un sapin nâest quâune dĂ©coration tempoÂŹraire non indispensable. Avec ses cheveux chĂątain clair et ses yeux bleus, le visage de la petite ressemble Ă celui dâun ange. Tout dans ses maniĂšres et sa façon de se mouvoir montre une trĂšs bonne Ă©ducation. Susan sâapproche et se prĂ©sente : â Je mâappelle Susan Harington. â Elisabeth Wilson, mais mes parents mâappellent Lizzie. â Bien, Lizzie, veux-tu mâaider Ă vendre ces arbres de NoĂ«l ? Le visage de la fillette sâillumine Ă nouveau. â Câest vrai, je peux ? â Si tes parents acceptent, oui. Je serais ravie dâavoir un peu de compagnie, je tâavoue que, pour le moment, il nây a pas beaucoup de clients et je mâennuie⊠â Jâai lâaprĂšs-midi pour moi, ça ne pose pas de problĂšme, il faut juste que je sois Ă la maison pour 18 heures. â Il fait dĂ©jĂ nuit Ă cette heure-lĂ , je ferai en sorte que tu sois rentrĂ©e avant. Je nâaimerais pas savoir ma fille seule dans les rues, de nuit. â Oui, merci. La fillette sâĂ©loigne rapidement, un grand sourire aux lĂšvres, et se met au travail. Elle nâhĂ©site pas Ă accoster les passantes et Ă leur conter ses souvenirs de NoĂ«l. Susan se rend compte que Lizzie Ă©vite de se reÂŹtrouver en tĂȘte Ă tĂȘte avec elle, elle redoute des questions. Ce comportement ne fait quâattiser la curiositĂ© de la femme, cependant, elle nâinterroge plus Lizzie, câest en gagnant sa confiance quâelle pourra lâaider. Elle est persuadĂ©e que cette enfant Ă besoin dâassistance. Chapitre 3 Mardi 21 dĂ©cembre 1886 Lizzie passe des heures Ă arpenter le trottoir devant lâhĂŽpital, Ă Ă©voquer ses prĂ©parations de NoĂ«l quand elle Ă©tait bien plus petite, quand la joie inondait leur foyer⊠Elle raconte comment elle rĂ©alisait des sablĂ©s avec sa mĂšre pour les pendre dans le sapin, la bonne odeur dans la maison et la confection de guirlandes dans des chutes de tissus colorĂ©s. Elles avaient rĂ©alisĂ© ces dĂ©corations le tout dernier NoĂ«l, elle Ă©tait assez grande pour manier lâaiguille et Grace pouvait faire cette activitĂ© couchĂ©e dans son lit quâelle nâavait plus la force de quitter. Les anecdotes joyeuses racontĂ©es par la bouille dâange permettent de dĂ©cider certains passants Ă investir. Susan est impressionnĂ©e par cette jeune fille Ă la fois si douce et si sĂ»re dâelle. Elle est bien plus mature que la plupart des fillettes de sa condition et de son Ăąge. Alors que les passants se font rares, Lizzie se met Ă chanter pour passer le temps, un chant de NoĂ«l quâelle aime particuliĂšrement. Un des nombreux que sa maÂŹman lui a appris. Lorsque sa voix claire et parfaitement posĂ©e sâĂ©lĂšve, Susan est stupĂ©faite. Elle reste figĂ©e Ă Ă©couter ces notes si douces. Un chĂ©rubin ne pourrait faire mieux. Les badauds sâapprochent, entourent la fillette, captivĂ©s par son timbre et le moment de grĂące quâelle leur offre. Ă la fin de la prestation, les spectateurs de toutes conditions applaudissent Lizzie qui semble dĂ©couvrir tous ces gens autours dâelle. Elle ne sait pas comment agir alors Susan sâempresse de lâaider en remerciant la foule. De nombreuses personnes dĂ©posent quelques piĂ©cettes dans la coupelle prĂ©vue pour les dons et Susan remarque : â Tu peux prendre lâargent, il te revient. Ta voix est vraiment magnifique. â Non merci, lâhĂŽpital en a plus besoin que moi. Susan acquiesce, toujours plus surprise par cette enfant quâelle espĂšre apprendre Ă connaĂźtre. Peu Ă peu, le nombre de sapins diminue, tandis que la luminositĂ© baisse. Avant que la nuit ne tombe, le gardien vient ranger les Ă©picĂ©as sur la demande de Susan. Il nâen reste que cinq ou six qui seront rĂ©partis dans les diffĂ©rents services de lâhĂŽpital. Susan demande alors Ă Lizzie dâen prendre un, elle lâa bien mĂ©ritĂ©. La fillette choisit lâarbre le plus petit avec une branche cassĂ©e. Voyant la surprise sur le visage du gardien, elle explique : â Il y a plein de dĂ©corations Ă la maison pour le rendre beau, les gens malades ont besoin dâavoir les plus jolis sapins pour Ă©gailler leur quotidien, leur faire oublier quâils ne passent pas les fĂȘtes en famille. Lâhomme consent, touchĂ© par les mots de lâenfant. Alors que Lizzie sâapprĂȘte Ă partir avec son encombrant cadeau, Susan insiste pour la raccompagner, la nuit sera lĂ dans peu de temps. Elle se sent responsable et ne sâen remettrait pas sâil arrivait un malheur. Durant le trajet, les deux complices dâun jour discutent de tout et de rien. Susan laisse Lizzie choisir les sujets de conversation, elle ne voudrait pas faire un faux pas et briser ce qui est en train de naĂźtre entre elles. Elle ne sait pas pourquoi, mais elle sâest prise dâaffection pour cette fillette. Encore un coup de son horloge biologique qui nâa toujours pas intĂ©grĂ© quâelle ne pourra probablement plus jamais porter un enfant. Tout doucement, Lizzie se dĂ©tend et la conversation se fait plus fluide et plus amicale. ArrivĂ©es devant le domicile des Wilson, Susan est surprise de ne voir aucune lumiĂšre, la fillette lui explique alors : â Je suis seule Ă la maison jusquâĂ 18 heures que Papa rentre. Câest exceptionnel et câest ma faute, je nâai pas Ă©tĂ© trĂšs gentille avec ma gouvernante et elle a dĂ©missionnĂ©, hier, Papa nâa pas trouvĂ© de solution en si peu de temps. â Et ta maman ? Lizzie baisse les yeux pour ne pas montrer les larmes qui sây accumulent et murmure : â Elle est morte il y a presque quatre ans. La jeune femme a envie de prendre la fillette dans ses bras, mais elle nâose pas, elle demande juste : â Si tu veux, je peux rester avec toi jusquâĂ ce que ton papa rentre et on pourra commencer Ă dĂ©corer le sapin. â Je veux bien, je ne crois pas que Papa apprĂ©ciera de le dĂ©corer⊠ça lui rappellera trop Maman⊠elle aimait tellement la pĂ©riode de NoĂ«l. â Câest elle qui tâa appris ce si beau chant ? â Oui, et Papa aussi chante trĂšs bien, câest un grand musicien et, dâailleurs, il faut que je mâexerce encore un peu Ă jouer le morceau de piano quâil mâa laissĂ© avant de partir au travail. â Je serai heureuse de tâĂ©couter, annonce Susan avec un grand sourire. Lizzie fait entrer la jeune femme et allume les lampes Ă gaz. Susan dĂ©couvre une belle maison, petite, chaleureuse, propre et meublĂ©e avec goĂ»t. Lizzie retire son manteau et se prĂ©cipite vers le piano. Si elle exĂ©cute parfaitement sa partition, peut-ĂȘtre que son pĂšre ne sera pas trop en colĂšre en dĂ©couvrant son escapade de lâaprĂšs-midi. Susan enlĂšve, Ă son tour, son manteau sans le mĂȘme empressement que la fillette puis elle sâapproche de la cheminĂ©e. Elle remet une bĂ»che et se rĂ©chauffe, se laissant emporter par la musique. Elle se rend compte que passer la journĂ©e devant lâhĂŽpital lâa frigorifiĂ©e et Ă©puisĂ©e. Chapitre 4 Mardi 21 dĂ©cembre 1886 Andrew passe la porte de son domicile Ă 17h30, il a rĂ©ussi Ă se libĂ©rer un peu plus tĂŽt et il est rentrĂ© au pas de course, il nâaime pas savoir sa fille toute seule, il nâa pas cessĂ© de sâinquiĂ©ter toute la journĂ©e. Entendre sa fille rire le ramĂšne des annĂ©es en arriĂšre, un fol espoir lâĂ©treint avant quâil entende une voix inconnue et quâil sâalarme. Il dĂ©boule dans le salon alors que Lizzie court vers lui pour se pendre Ă son cou et lui raconter quâelle a passĂ© une trĂšs belle journĂ©e. Pendant que la fillette explique Ă son pĂšre, de façon dĂ©sordonnĂ©e, son aprĂšs-midi, Susan sâavance. Lâhomme ne semble pas vraiment apprĂ©cier ce quâil entend, sa fille lui a dĂ©sobĂ©i. Lorsque Susan nâest plus quâĂ quelques mĂštres et dĂ©couvre le visage paternel, elle reste figĂ©e, interdite, câest le chanteur des Christmas carols qui lâa tant bouleversĂ©e la veille. Ă lâinstant oĂč il croise son regard, il demande Ă sa fille de se taire : â Nous reparlerons de tout cela plus tard, Lizzie, mais sache que je suis déçu, je te croyais plus responsable. La fillette quitte les bras de son pĂšre, la tĂȘte basse, tandis que ce dernier sâincline vers la femme restĂ©e en retrait : â Andrew Wilson. â Susan Harington, Monsieur. Puis-je vous dire quelques mots ? Lâhomme approuve et, dâun simple regard, signifie Ă Lizzie de quitter la piĂšce. Elle se dirige alors vers lâes-calier qui monte Ă sa chambre espĂ©rant que Susan plaide sa cause. Susan raconte sa rencontre avec Elisabeth et le fait quâelle a veillĂ© sur elle. Elle explique aussi lâimplication de la fillette dans la vente des sapins, sa joie et sa bonne humeur. Elle ose Ă©galement, Ă demi-mots, Ă©voquer le besoin de la petite fille de parler de sa mĂšre et de se crĂ©er de nouveaux souvenirs heureux. Ă ces paroles, Andrew soupire, il sait quâil devrait Ă©voquer plus souvent Grace avec sa fille et peut-ĂȘtre mĂȘme chercher une femme qui pourrait aider son enfant Ă grandir, mais il nâarrive pas Ă sây rĂ©signer, Grace lui manque tant. â Merci dâavoir pris soin de mon enfant, Madame. Je suis dĂ©solĂ© quâelle se soit imposĂ©e Ă vous. â Elle ne sâest pas imposĂ©e, votre fille est trĂšs mature pour son Ăąge, elle est charmante, bien Ă©levĂ©e, attachante⊠Câest moi qui lui ai proposĂ© de mâaider, jâai vu quâelle avait envie dâun sapin et, au cours de lâaprĂšs-midi, jâai peu Ă peu compris pourquoi⊠Sa prĂ©sence ne mâa pas dĂ©rangĂ©e du tout, jâĂ©tais contente dâavoir un peu de compagnie et je nâai pas pu me rĂ©soudre Ă la laisser seule, mĂȘme chez vous⊠DĂ©corer ce sapin avec elle, câĂ©tait magique⊠Je nâai pas dâenfant et⊠je ne sais pas comment expliquer la chose, mais je dois remercier votre fille car nous avons partagĂ© de beaux moments. Andrew acquiesce et observe Susan. Cette derniĂšre soutient le regard gris qui la fixe. Il ne peut sâempĂȘcher de comparer cette femme Ă Grace. Elle semble avoir Ă peu prĂšs le mĂȘme Ăąge, mais elle est bien plus grande que sa dĂ©funte Ă©pouse, ses cheveux sont encore plus sombres et ses yeux, au lieu dâĂȘtre deux gouttes dâeau limpide, sont deux perles noires. Elle a les yeux si sombres quâil est difficile de voir la dĂ©marcation entre lâiris et la pupille, toutefois, son regard nâest pas dur, au contraire, il est emprunt de douceur et de bienveillance. Par son attitude fiĂšre, elle lui rappelle sa femme qui, elle non plus, ne baissait pas les yeux. Elle avait dĂ©cidĂ© quâelle sâĂ©tait soumise bien trop longtemps Ă la volontĂ© de son pĂšre, de son rang et que plus jamais elle ne recommencerait. Andrew sourit, un petit sourire dâexcuse pour cet examen et appelle Lizzie : â Viens dire au revoir Ă Miss Harington, ma chĂ©rie, il est tard, elle doit rentrer chez elle, il nâest pas plus prudent pour une femme de se promener seule dans les rues que pour une enfant. AprĂšs un au revoir timide et protocolaire, Lizzie dĂ©cide dâenlacer Susan en la remerciant pour la journĂ©e passĂ©e, puis une idĂ©e germe dans la tĂȘte de la fillette qui demande : â Papa, si tu nâas pas trouvĂ© de nouvelle gouvernante, Susan pourrait venir me garder demain, nâest-ce pas, Susan ? Le regard implorant de lâenfant dĂ©sarme totalement la jeune femme qui ne sait que rĂ©pondre. â Miss Harington nâest ni une gouvernante ni une baby-sitter, Lizzie, ce nâest pas poli comme reÂŹquĂȘte. Elle a dĂ©jĂ fait beaucoup pour toi, aujourdâhui. â DĂ©solĂ©e⊠murmure la fillette autant pour Susan que pour son pĂšre. Andrew accompagne Susan jusque sur le perron afin de lui hĂ©ler un cab garĂ© au coin de la rue, il est bien trop tard pour rentrer Ă pied, mĂȘme dans ce quartier. Lorsque le cocher sâarrĂȘte devant la porte, avant de monter en voiture, la femme demande : â Avez-vous une solution pour Lizzie ? â Rien pour les aprĂšs-midi, malheureusement, sou-pire le pĂšre, dĂ©semparĂ©. â Je viendrai mâoccuper dâelle et je vais me renseigner sur les gouvernantes disponibles, annonce la jeune femme dâun ton sans appel. StupĂ©fait, Andrew bĂ©gaie des remerciements. Il rentre totalement dĂ©contenancĂ© par cette rencontre. Cette femme est si diffĂ©rente des autres mais aussi tellement diffĂ©rente de Grace. Lizzie lâobserve puis annonce : â Câest une dame trĂšs gentille, je lâapprĂ©cie beau-coup⊠JâespĂšre que je la reverrai un jour. â Elle revient demain pour sâoccuper de toi et tu as intĂ©rĂȘt Ă te comporter parfaitement. Pas de caprice, pas de mots ou de remarques dĂ©sagrĂ©ables, pas de bouderie, câest bien compris ? Un grand sourire aux lĂšvres, la petite fille promet. AprĂšs le dĂ©part de Susan, Lizzie se fait toute sage et adopte un comportement irrĂ©prochable. Elle joue Ă la perfection le morceau de piano que son pĂšre lui avait choisi et elle discerne un lĂ©ger sourire sur ses lĂšvres qui lui fait chaud au cĆur. Elle fait ensuite rĂ©chauffer le repas pendant quâAndrew corrige ses exercices. Il cherche la petite bĂȘte mais ne trouve rien. La soirĂ©e se dĂ©roule, finalement, dans une ambiance sereine et apaisĂ©e. La fillette est surprise et heureuse de constater que son pĂšre lui pose des questions Ă propos de Susan, la femme semble lâintriguer. Lizzie est ce-pendant incapable de rĂ©pondre Ă la plupart des interrogations dâAndrew. Elle le sent perdu dans ses pensĂ©es et elle nâarrive pas Ă savoir sâil est prĂ©occupĂ©, inquiet ou rĂȘveur. Pour sa part, la fillette redoute le lendemain, elle ne sait pas quelles consignes ont Ă©tĂ© donnĂ©es Ă Susan, ni comment la femme agira envers elle, mainteÂŹnant quâelle sait quâelle a dĂ©sobĂ©i Ă son pĂšre. Elle espĂšre ne pas avoir perdu la complicitĂ© qui sâĂ©tait instaurĂ©e entre elles. * Cette rencontre inespĂ©rĂ©e laisse Susan songeuse. Elle nâa pas osĂ© aborder monsieur Wilson et lui dire Ă quel point son chant lâavait Ă©mue, retournĂ©e, obsĂ©dĂ©e, ce nâĂ©tait vraiment pas le moment. Elle nâest finaleÂŹment plus certaine de retourner lĂ -bas uniquement pour Lizzie. Elle voudrait revoir cet homme et discuter avec lui dâĂ©gal Ă Ă©gale. Elle se fĂ©licite alors dâavoir optĂ© pour une robe trĂšs simple, en dessous de sa condition. Elle avait fait ce choix pour ne pas attirer lâattention ou lâhostilitĂ© des passants et, surtout, pour ne pas risquer dâĂȘtre reconnue. Andrew Wilson semble, malgrĂ© tout, avoir cernĂ© que son statut social Ă©tait supĂ©rieur au sien, cependant, elle est presque certaine quâil ne lâa pas dĂ©masquĂ©e, sinon, il lâaurait probablement congĂ©diĂ©e, pensant quâelle pourrait avoir une mauvaise influence sur sa fille. TransbahutĂ©e dans le cab, elle ne cesse de penser au destin qui semble lui jouer des tours et se demande ce quâil lui rĂ©serve cette fois. Elle doit, toutefois, ĂȘtre prudente, cela fait des annĂ©es quâil ne lui donne que de mauvais moments Ă vivre, ces deux jours ont Ă©tĂ© spĂ©ciaux grĂące aux Wilson, mais elle ne doit pas baisser sa garde. De retour dans son hĂŽtel particulier de taille modeste, elle se change puis sâinstalle Ă table. AprĂšs les heures passĂ©es Ă observer Lizzie et Ă Ă©couter ses confidences, ce moment lui semble trop calme, insipide, elle ressent toute la solitude de sa vie, pourtant, hier encore, cela ne lui pesait pas, bien au contraire, elle aime son indĂ©pendance. Toutefois, elle voudrait parfois la partager avec une amie, une sĆur, un parent, mais elle nâa plus personne et, il faut bien lâavouer, elle a peur de lier de nouvelles amitiĂ©s, peur dâĂȘtre trahie ou déçue. Avec son passĂ©, elle se mĂ©fie de tout le monde. Elle avait, un temps, pensĂ© Ă quitter Londres et mĂȘme lâAngleterre, mais elle aurait donnĂ© lâimpression de fuir et elle ne voulait pas quâon la pense lĂąche. Elle voulait aussi ĂȘtre un modĂšle pour les autres femmes, prouver que la vie pouvait continuer aprĂšs le scandale. La vie poursuit effectivement son cours et elle a dĂ©cidĂ© de la mener diffĂ©remment, elle ne supportait plus lâhypocrisie des gens qui lâentouraient. Elle se consacre maintenant aux autres et plus particuliĂšrement aux dĂ©munis, au lieu dâarpenter les salons et les bals. En allant se coucher, elle ressent de lâimpatience. Elle voudrait dĂ©jĂ ĂȘtre le lendemain pour revoir la faÂŹmille Wilson et apprendre Ă connaĂźtre ses membres. Chapitre 5 Mercredi 22 dĂ©cembre 1886 Susan passe la matinĂ©e Ă rĂ©gler ses affaires. Elle donne ses consignes aux domestiques, supervise les achats, rĂ©pond Ă son courrier et dĂ©cline deux invitations. Comme si elle allait accepter de boire le thĂ© chez cette pimbĂȘche de Mrs Ashford. Ă part critiquer et raÂŹbaisser les gens, elle nâa aucune conversation. Cette gourde ne lâinvite que pour susciter la curiositĂ© de ses amies qui espĂšrent des anecdotes croustillantes. Elle sâexcuse ensuite auprĂšs de Lady Clifford de ne pouvoir honorer son invitation et reporte leur rencontre Ă la semaine suivante. Elle apprĂ©cie la dame ĂągĂ©e qui, en vieillissant, se fait indulgente au point de regretter certains pans de sa vie. Veuve, elle est plus libre et sâinvestit davantage pour les droits des femmes et des plus pauvres. Elles Ćuvrent ensemble sur de nombreux points. Lady Clifford est la reprĂ©sentante noble, respectĂ©e pour son Ăąge, son expĂ©rience et son passĂ© sans tĂąches. Susan, elle, reste dans lâombre, son nom ferait plus de mal que de bien aux causes quâelle dĂ©fend. Elle demande ensuite Ă prendre son repas plus tĂŽt quâhabituellement. La cuisiniĂšre sâaffaire tandis que Susan se change. Elle opte Ă nouveau pour une robe de simple bourgeoise Ă la coupe banale et au tissu manÂŹquant de finesse. Une fois son repas avalĂ©, elle demande Ă ce quâon lui appelle un cab et se dirige vers le quartier de Kensington. Monsieur Wilson a bien prĂ©cisĂ© la veille quâil nâavait pas de solution de garde pour lâaprĂšs midi, sans plus de dĂ©tails sur lâhoraire et elle ne lui a pas demandĂ©. Durant son absence, elle a chargĂ© son intendante de trouver une gouvernante qualifiĂ©e, sans lui expliquer pourquoi. Cette derniĂšre nâa mĂȘme pas paru Ă©tonnĂ©e, elle a lâhabitude de ses requĂȘtes Ă©tranges. Susan frappe Ă la porte des Wilson. Une femme ĂągĂ©e sâessuyant les mains sur un tablier marron, recouvrant une jupe de laine de mĂȘme couleur vient lui ouvrir : â Bonjour, je suis Susan Harington, la gouvernante temporaire de Miss Wilson. La femme sâefface pour la laisser entrer puis elle demande : â Vous avez dĂ©jeunĂ© ? â Oui, merci. GĂȘnĂ©e, la vieille femme se dandine dâun pied sur lâautre. Câest Lizzie qui vient Ă son secours : â Bonjour Miss Harington, Madame Pike est mal Ă lâaise parce que Jill mâinterdisait de manger Ă la cuisine. Elle dressait la table Ă la salle Ă manger et elle observait mes moindres gestes. Mais jâadore manger Ă la cuisine en compagnie de madame Pike, elle me raÂŹconte plein dâhistoires sur ma maman. Susan sourit et demande : â Je vous dĂ©range en plein repas ? La fillette acquiesce dâun mouvement de tĂȘte. â Retournez manger, je vous attends au salon, faites comme si je nâĂ©tais pas encore arrivĂ©e. Tandis que Lizzie tire la vieille dame vers la cuisine en poursuivant ses babillages, Madame Pike se dĂ©tend enfin et offre un sourire reconnaissant Ă la jeune femme, Susan est curieuse et ne peut se rĂ©soudre Ă rester assise au salon, elle sâapproche silencieusement de la cuisine et espionne la conversation. Elle nâest pas vrai-ment fiĂšre dâelle, mais la cuisiniĂšre et lâenfant parlent fort, leur discussion nâa rien de secret. Ann Pike Ă©voque des moments de tendresse et de complicitĂ© entre Lizzie et sa mĂšre ainsi que dans le couple Wilson, des images de bonheur envahissent lâimaginaire de Susan. Elle aurait aimĂ© vivre cette vie simple et douce quâelle nâa pas eu la chance de connaĂźtre ni dans son enfance ni plus tard. Elle comÂŹprend le chagrin de Lizzie, la perte Ă©norme quâelle doit ressentir, cependant, la fillette nâest pas consciente de la chance quâelle a : il est Ă©vident que son pĂšre lâadore et fait tout pour la rendre heureuse et lui donner les meilleures chances dans la vie, toutefois, comme Lizzie, Susan aimerait pouvoir lever le voile de tristesse qui trouble son regard. Lorsque Susan perçoit les bruits des assiettes qui sâentrechoquent, caractĂ©ristique de la fin du repas, elle retourne au salon et sâassoit dans un fauteuil. Elle dĂ©taille la piĂšce oĂč des photos sâĂ©talent sur un buffet, des portraits dâune famille heureuse : mariage, naissance⊠Il doit y avoir une photo par an car on peut suivre la poussĂ©e de la petite fille. Toutefois, ces clichĂ©s sont dĂ©jĂ anciens, Lizzie nâavait pas plus de 5 ou 6 ans sur le dernier. Les photos, comme la vie, se sont figĂ©es Ă la mort de Grace. Elle ne peut sâempĂȘcher de dĂ©tailler la jeune maman, cette femme tant aimĂ©e quâelle jalouse sans mĂȘme lâavoir connue. Elle devait ĂȘtre une femme extraordinaire. Elle porte des vĂȘtements simples, confectionnĂ©s maison, avec goĂ»t. Ses cheveux sâĂ©chappent de son chignon, lui donnant un petit air rebelle. Ses traits fins et son regard clair lui rappellent quelquâun sans quâelle nâarrive Ă se souvenir qui⊠Lizzie fait irruption dans son dos alors quâelle est penchĂ©e sur les cadres. â Elle est belle, nâest-ce pas ? Câest ma maman ! annonce fiĂšrement lâenfant. â Elle est effectivement trĂšs belle, tu as hĂ©ritĂ© de sa beautĂ© et de sa douceur. â Et de son caractĂšre de mule, dâaprĂšs Jill. â Tu as aussi le talent de ton papa. La journĂ©e se poursuit en douceur, Lizzie fait dâabord ses devoirs dâexpression, de mathĂ©matiques et de langue, puis, avant que le froid ne soit trop vif, Susan propose dâaller faire une petite promenade dans Hyde Park. La fillette est ravie de sâaĂ©rer un peu et bien plus encore lorsque Susan lui propose de nourrir les Ă©cureuils avec une partie du goĂ»ter quâelles ont emportĂ©. Lizzie se laisse griser par sa joie et se met Ă courir aprĂšs les pigeons en riant, sans dĂ©clencher un scandale. Elle remercie sa gouvernante du jour pour cette belle promenade qui nâavait rien en commun avec celles organisĂ©es par Jill. Susan est heureuse de voir sourire Lizzie, de lui permettre dâoublier un instant le manque de sa mĂšre et elle aimerait parvenir Ă faire la mĂȘme chose avec Andrew. De retour au domicile des Wilson, Lizzie travaille sa musique. Aujourdâhui, ce nâest pas le piano mais la flĂ»te traversiĂšre que pratique lâenfant avec une douceur et une virtuositĂ© hors du commun. Comme la veille, Andrew rĂ©ussit Ă se libĂ©rer un peu plus tĂŽt. Cette fois, il sait que Lizzie est prise en charge mais il ne veut pas abuser de la gentillesse de Mrs Harington. Ils nâont mĂȘme pas parlĂ© rĂ©munĂ©ration et il ne sait pas comment aborder le sujet. Tout dans lâattitude de cette femme lui fait dire quâelle est dâun rang bien supĂ©rieur Ă celui quâelle essaie de paraĂźtre. Lorsquâil passe la porte, Lizzie et Susan sont absorbĂ©es par leur ouvrage de broderie. Il observe sa fille souriante et concentrĂ©e, sa langue apparaissant au coin de ses lĂšvres prouve son implication. Elle est magnifique. Ses cheveux clairs et ses yeux bleus sont un contraste parfait avec Susan qui la guide et la conseille avec patience. Jill laissait Lizzie faire la broderie seule, le soir, et dĂ©faisait le tout le lendemain car ce nâĂ©tait pas parfait. Andrew voyait sa fille se dĂ©courager sans pouvoir lâai-der et ce tableau lâapaise. Son enfant semble heureuse. Il nây a pas de cris, pas de bouderie, pas de reproches, finalement, le dĂ©part de Jill est peut-ĂȘtre une bonne chose. Elle Ă©tait trop stricte, il sâen veut car câest lui qui lâavait recrutĂ©e et choisie justement pour son niveau dâexigence. Quand Lizzie dĂ©couvre la prĂ©sence de son pĂšre, elle dĂ©laisse son aiguille pour se jeter dans ses bras et lui raconter avec enthousiasme sa journĂ©e. De son cĂŽtĂ©, Susan sĂ©curise son fil et range son outil Ă broder puis fait de mĂȘme avec celui de son Ă©lĂšve du jour. Elle agit silencieusement, ne voulant pas troubler les retrouvailles du pĂšre et sa fille. Peu Ă peu, lâexcitation de Lizzie sâestompe, elle a racontĂ© tous les moments forts de sa journĂ©e en dĂ©taillant particuliĂšrement le repas des Ă©cureuils qui sâaventuraient Ă venir grignoter jusque dans le creux de sa main, sans crainte. Avec un sourire et un lĂ©ger pincement au cĆur, Susan prend congĂ©. Andrew lui emboĂźte le pas et la raccompagne. Il en profite pour la remercier : â Cela faisait longtemps que je nâavais pas vu Lizzie aussi heureuse, elle vous apprĂ©cie beaucoup et je ne sais comment vous remercier⊠Nous nâavons pas parlĂ© de vos gages⊠jâai peur de vous offenser en le faisant, pourtant, ce serait juste. Vous ne savez pas combien savoir ma fille entre de bonnes mains me rassure. â Je passe aussi de trĂšs beaux moments avec Lizzie, câest ma rĂ©compense. Ce nâest pas, pour moi, un travail mais un plaisir. Cependant, si vous souhaitez me remercier, jâaimerais vous entendre chanter enÂŹsemble un jour. Vous avez une voix qui dĂ©clenche telleÂŹment de sensations, elle est si profonde, si vibrante et Lizzie a une voix dâange⊠Surpris, Andrew accepte et Susan se sent obligĂ©e de prĂ©ciser : â Votre troupe est venue chanter devant mon domicile, vous avez fait un solo qui mâa bouleversĂ©e⊠je nâai jamais entendu de plus beaux Christmas carols. â Merci Miss Harington. Dehors, le froid sâest encore intensifiĂ© et tout est gelĂ©. Susan frissonne, elle se presse vers le cab et glisse alors quâelle rejoint la route. Elle se sent partir et sâimagine dĂ©jĂ Ă terre lorsquâune main se referme puissamment sur son poignet, tandis quâun bras sâenroule autour de sa taille. Andrew Wilson lâa rattrapĂ©e et la serre contre lui. La jeune femme se rend alors compte quâil est bien plus grand quâelle et que son corps est puissant malgrĂ© sa carrure plutĂŽt svelte. Cette proximitĂ© trouble Susan. Tout chez cet homme la trouble et lâinterpelle. Lorsque leurs regards se croisent, elle sent le rose lui monter aux joues et espĂšre que sous la faible lueur des rĂ©verbĂšres Ă gaz, lâhomme qui lâenlace encore ne peut le remarquer. Une fois bien stabilisĂ©e, Susan remercie Andrew dâune voix, Ă la fois faible et rauque, quâelle ne reconnaĂźt pas. Lorsquâil sâĂ©carte dâelle, un froid glacial sâempare de son corps, un froid si vif quâelle grelotte de plus belle, toutefois, il ne lui lĂąche pas la main. Il la soutient ainsi jusquâĂ ce quâelle soit installĂ©e dans la voiture. Elle lâinforme alors : â Une de mes amies se renseigne pour trouver une gouvernante, mais tant que vous nâaurez personne, je viendrai mâoccuper de Lizzie. â Câest trĂšs gentil Ă vous, je vous en serai Ă©ternelle-ment reconnaissant. JâespĂšre ne pas vous solliciter trop longtemps et trouver rapidement quelquâun. Il la salue alors avec son chapeau et, sur ce signal, le cocher fouette le cheval qui se met en mouvement. Dans le cab, Ă lâabri des regards, Susan se laisse aller, les yeux clos, un sourire sur les lĂšvres. Elle sent encore les bras puissants dâAndrew la retenir, son corps contre le sien, ses yeux gris plongĂ©s dans les siens. Elle revit la scĂšne encore et encore et, peu Ă peu, son sourire sâefface, rien sur le visage de lâhomme ne laissait transÂŹparaĂźtre un trouble dĂ» Ă leur proximitĂ©. Il lui a juste Ă©pargnĂ© de se faire mal en plus de se ridiculiser. Enfin allongĂ© dans son lit aprĂšs une journĂ©e harassante, Andrew nâarrive pas Ă chasser Susan de son esprit. Cette femme lâintrigue, il se demande qui elle est, quelle est sa vĂ©ritable condition sociale et pourquoi elle joue Ă la gouvernante avec tant de plaisir. Que cherche-t-elle Ă prouver ou Ă fuir ? Bien quâil ne veuille pas se lâavouer, si cette femme trotte encore dans sa tĂȘte et entrave son sommeil, câest parce que son contact lâa troublĂ©, faisant resurgir des sensations quâil avait oubliĂ©es : la chaleur dâun corps, la douceur dâun regard, la finesse dâune main.
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RĂ©sumĂ© : Quand un ancien gĂ©ologue disparaĂźt mystĂ©rieusement prĂšs de Paris, Beryl, jeune chef de groupe Ă la Crim', se saisit aussitĂŽt de l'affaire.âš AssistĂ©e de Rudy, son adjoint au passĂ© tourmentĂ©, puis d'Ara, un ancien flic reconverti dans le trafic de contrefaçons, elle remonte la piste d'une compagnie pĂ©troliĂšre en Turquie.âš Mais tandis que les dĂ©couvertes troublantes se multiplient et que les cadavres s'accumulent, des profondeurs de la mer Noire surgit un terrible secretâŠâšBeryl comprend alors que le plus effroyable des comptes Ă rebours a dĂ©jĂ commencé⊠Mon avis : Tout dâabord, je tiens Ă remercier JoĂ«l des Ă©ditions Taurnada pour sa confiance et pour mâavoir fait dĂ©couvrir en avant-premiĂšre ce nouveau roman au rĂ©sumĂ© Ă©nigmatique. Un auteur inconnu jusquâalors, mais que jâai Ă©tĂ© ravie de dĂ©couvrir. France : Pavel Novak Ă©minent gĂ©ologue essaye de joindre la commandante Beryl Schaeffer alors absente. Se prĂ©sentant comme un vieil ami de son pĂšre, il souhaite sâentretenir exclusivement avec elle afin de lui communiquer des informations primordiales concernant son dĂ©cĂšs. Reporter influant, militant dans le domaine de la protection de l'environnement et des populations, ce dernier a Ă©tĂ© arrachĂ© Ă BĂ©ryl voici deux ans, et la jeune femme sâen trouve encore profondĂ©ment marquĂ©e. TroublĂ©e, dĂ©sireuse dâen savoir plus, elle se rend Ă son domicile et constate que l'homme a malheureusement disparu. En plus la maison a Ă©tĂ© fouillĂ©e, le matĂ©riel informatique volĂ©, et une trace de sang suspecte est mĂȘme retrouvĂ©e sur les lieux, orientant automatiquement vers la thĂšse de l'enlĂšvement. Ces quelques lignes posĂ©es, le ton est donnĂ© ; notre curiositĂ© est piquĂ©e au vif ; les questions taraudent notre esprit qui tourne Ă plein rĂ©gime. Quelle Ă©tait donc la teneur de ce message apparemment si urgent ? Ce scientifique avait-il vraiment de nouveaux Ă©lĂ©ments, voire des rĂ©vĂ©lations sur lâassassinat de son pĂšre ? Pourquoi sâen est-on pris Ă lui ? Y aurait-il un rapport avec cette plateforme gaziĂšre qui doit ĂȘtre mise en activitĂ© dans quelques jours ? Mais surtout, qui se trouve Ă lâorigine de cet enlĂšvement ? Ă lâimage de la stupĂ©faction ressentie par nos protagonistes, nous voici plongĂ©s, happĂ©s, enferrĂ©s au cĆur dâune intrigue machiavĂ©lique et retorse au cĆur de lâindustrie pĂ©troliĂšre dont les piĂšces macabres du puzzle refusent de sâimbriquer. AccompagnĂ©e de son fidĂšle adjoint le capitaine Rudy Ferey au passĂ© tourmentĂ©, Beryl, chef de groupe de la crim, dĂ©cide aussitĂŽt de sâenvoler pour Istanbul afin dâenquĂȘter. Sur place, aidĂ©e de Ara, un ancien flic dĂ©mis de ses fonctions reconverti dans le trafic de contrefaçon, ils vont tout tenter et Ćuvrer pour faire jour sur cette affaire, ce, au pĂ©ril de leur vie ; leurs recherches les mĂšneront au plus prĂšs du milieu pĂ©trolier et non loin des acteurs qui permettent lâextraction de lâor noir et des gaz. Sauf que, nos trois hĂ©ros comprennent trĂšs vite que leur venue dans ce pays Ă©tranger, leurs investigations, leur quĂȘte, leur soif de rĂ©ponses dĂ©rangent au plus haut point. Pour preuve, Ă chaque fois quâils souhaitent discuter avec des personnes qui pourraient les faire avancer, ces derniĂšres se retrouvent soit blessĂ©es, soit gisant inertes dans un coin. Pourquoi veut-on Ă ce point les empĂȘcher de connaĂźtre la vĂ©ritĂ© ? Et si des personnes influentes et protĂ©gĂ©es Ă©taient impliquĂ©es ? Et si elles craignaient que quelque chose dâimpensable soit mis Ă jour ? JusquâoĂč seraient-elles prĂȘtes Ă aller pour dissimuler et protĂ©ger leurs terribles secrets ? Que va-t-on dĂ©couvrir dans les profondeurs turbulentes de la mer Noire ? Dans ce rĂ©cit addictif, tout le monde sera mis Ă rude Ă©preuve. Des indices, des doutes, des incertitudes, des tortures de toutes natures⊠il sera difficile de dĂ©faire les nĆuds de cette affaire sans y laisser quelques plumes. MĂȘme Beryl, malgrĂ© sa force et sa dĂ©termination, en sera remuĂ©e et fera ressurgir en elle des souvenirs dĂ©testables voire traumatisants. GrĂące Ă une Ă©criture tantĂŽt fluide et percutante, tantĂŽt acĂ©rĂ©e et entraĂźnante, les pages se tournent Ă toute allure ; nous voulons savoir, connaĂźtre la conclusion que nous a concoctĂ©e lâĂ©crivain. Il nous faudra cependant rester bien attentif afin de ne pas perdre le fil devant lâavalanche dâinformations Ă retenir. Je tiens dâailleurs Ă fĂ©liciter lâauteur pour son travail de recherche et de vulgarisation ; ainsi, mĂȘme si les thĂšmes abordĂ©s sont complexes et peu familiers, lâaccessibilitĂ© demeure facile et Ă notre portĂ©e. Les chapitres courts et rythmĂ©s, avec toujours un point de tension ou un rebondissement en toute fin, renforce le suspense, donnant lâimpression dâune immersion totale. Les personnages, quant Ă eux, sont fort bien travaillĂ©s ; lâincursion dans leur vie privĂ©e en dehors de lâenquĂȘte donne un plus indĂ©niable au rĂ©cit dĂ©jĂ dense et tentaculaire. De pĂ©ripĂ©ties en pĂ©ripĂ©ties, de rĂ©vĂ©lations en rĂ©vĂ©lations, nous retenons ainsi notre souffle, jusquâau dĂ©nouement final inattendu, en parfait accord avec lâensemble. Alors, nos protagonistes arriveront-ils Ă dĂ©nouer tous les fils de cette sordide affaire ? Ă vous de le dĂ©couvrir De mon cĂŽtĂ©, mĂȘme si les thĂšmes abordĂ©s sont loin dâĂȘtre mon sujet de prĂ©dilection, je dois dire que jâai beaucoup aimĂ© ce thriller intense et bien rythmĂ©, la plongĂ©e au cĆur dâun univers mĂ©connu et peu abordĂ©, sans oublier la qualitĂ© de lâintrigue et la maniĂšre dont elle a Ă©tĂ© menĂ©e. Alors, si vous aimez les romans qui sortent des sentiers battus, de ceux qui vous apprennent grandement tout en vous faisant rĂ©flĂ©chir sur les travers de lâespĂšce humaineâŠ. Foncez, ce livre est fait pour vous ; vous passerez un excellent moment de lecture Ma note :  Pour vous le procurer : Ăditions Taurnada AmazonRĂ©seaux sociaux : Facebook Instagram
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« Dernier message par Apogon le jeu. 19/10/2023 Ă 17:57 »
Quand finit le temps des muscaris de Augustine Castillon Pour l'acheter : Amazon Ă ma grand-mĂšre chĂ©rieâŠâ PREMIĂRE PARTIE CHAPITRE PREMIER Amaury Testis unus, testis nullus.« Un seul tĂ©moin, pas de tĂ©moin. » â Adage de droit romain Son pĂšre est parti depuis maintenant prĂšs de deux heures, et Amaury nâarrive toujours pas Ă quitter le fleuve des yeux. Il a beau essayer de sâoccuper, de ranger sa chambre, de laver la vaisselle, de balayer le sol de leur cabane, rien nây fait : il se retrouve systĂ©matiquement derriĂšre les petits carreaux de la fenĂȘtre de la cuisine, les yeux rivĂ©s sur le cours dâeau qui traverse dĂ©sormais leur jardin, et il lui paraĂźt toujours aussi inconcevable que lĂ oĂč la veille poussaient encore tranquillement carottes, navets et pommes de terre, sâimpose aujourdâhui une riviĂšre sortie de nulle part. Câest tout un pan de terre qui a disparu, remplacĂ© par un courant qui ne veut pas faiblir. Cela va faire maintenant des heures que ces eaux boueuses et tourbillonnantes emportent tout sur leur passage, et Amaury ne peut quâobserver et sâinquiĂ©ter des ravages quâelles ont pu causer dans les forĂȘts et les montagnes qui bordent la Lieue. Des branches entiĂšres, arrachĂ©es Ă la vie un peu plus en amont, flottent parmi ce qui semble ĂȘtre des cerfs et des bouquetins, leurs pattes raides crevant la surface de lâeau Ă une frĂ©quence effrayante, tandis que, plus rarement, de pauvres bĂȘtes encore vivantes se laissent ballotter, sans mĂȘme tenter de regagner la berge. Au-dessus, des nuĂ©es de corbeaux et de petits oiseaux agitĂ©s et dĂ©sorientĂ©s tournoient dans le ciel gris en hurlant, survolant les arbres qui ont Ă©tĂ© Ă©pargnĂ©s de lâautre cĂŽtĂ© du fleuve, sans jamais se poser ni sâapprocher du sol. Amaury ignore oĂč son pĂšre a trouvĂ© le courage dâaller longer le fleuve quand lui-mĂȘme nâa pas encore osĂ© ne serait-ce quâouvrir la porte. En tant que gardien de la Lieue, son pĂšre a peut-ĂȘtre le devoir de veiller sur le village, mais rien, ce matin, ne lâobligeait Ă partir enquĂȘter seul. Depuis quâils se sont rĂ©veillĂ©s face Ă lâinexplicable, Ă aucun moment son pĂšre nâa tournĂ© le dos Ă ses responsabilitĂ©s, Ă aucun moment il nâa montrĂ© les doutes quâil a pourtant dĂ» ressentir. Il sâest contentĂ© dâouvrir la porte sans un mot, et il est parti, le fusil Ă lâĂ©paule et le pas sĂ»r. Ce nâest que lorsque, ce qui lui paraĂźt ĂȘtre des heures plus tard, son pĂšre revient enfin quâAmaury se rend compte quâil nâa mĂȘme plus fait semblant de sâaffairer et quâil a passĂ© tout ce temps agenouillĂ© sur lâune des deux chaises de la cuisine Ă observer le fleuve couler, puissant et silencieux, Ă quelques mĂštres de lĂ . Sans mĂȘme prendre la peine dâenlever ses bottes pleines de boue, son pĂšre sâapproche de la fenĂȘtre et sâassoit lourdement face Ă lui. â Bon. Je suis allĂ© jusquâau bout. Ăa continue jusquâĂ la mer, dit-il en regardant dehors. Et câest grand comme ça tout du long. Je dirais vingt mĂštres aux endroits oĂč câĂ©tait le moins large. â Et câest quoi alors ? demande Amaury, espĂ©rant enfin avoir une explication. â Un fleuve, rĂ©pond simplement son pĂšre. â Un fleuve ? rĂ©pĂšte Amaury hĂ©bĂ©tĂ©. Comment ça, un fleuve ? Son pĂšre ne rĂ©pond pas tout de suite. Il se gratte la barbe dâun geste lent et machinal, comme sâil espĂ©rait trouver une meilleure explication, une explication rationnelle Ă laquelle il nâaurait pas pensĂ©. Ses yeux sont plissĂ©s, rĂ©vĂ©lant des rides quâAmaury ne remarque pas dâhabitude, et sous sa barbe, ses lĂšvres ont lâair sĂšches et gercĂ©es. Son pĂšre lui paraĂźt vieux et fatiguĂ© et Amaury sâen veut de lâembarrasser avec cette question sans rĂ©ponse. Mais alors quâil sâapprĂȘte Ă ouvrir la bouche pour briser ce silence insupportable, son pĂšre prend une grande inspiration et se lĂšve. â Viens, fils, on va aller au village. Peut-ĂȘtre que quelquâun en saura plus. Ce nâest quâen sortant de la cabane quâAmaury prend rĂ©ellement conscience de lâabsurditĂ© de la situation. Comment un fleuve de cette taille peut-il apparaĂźtre en une nuit et venir tout raser sur son passage ? Lui qui a grandi dans la nature, qui a appris Ă lâĂ©couter et Ă la comprendre, il a lâimpression aujourdâhui que sa raison et ses connaissances lâont abandonnĂ©. Lâair est chargĂ© de moucherons qui volent dans tous les sens, comme devenus fous, et dans leur panique ils viennent se coincer sous ses paupiĂšres et dans son nez. Amaury essaie de les chasser en agitant sa main, mais cela ne lâempĂȘche pas dâen respirer, dâen avaler. Et tandis quâil tousse et se gratte la gorge pour tenter de recracher ceux qui se sont coincĂ©s prĂšs de sa glotte, son pĂšre, imperturbable comme toujours, marche dâun pas dĂ©terminĂ©, quelques mĂštres devant lui. Amaury nâarrive pas Ă croire quâen ce matin de juin il fasse aussi lourd que par un soir dâaoĂ»t avant lâorage. Les vieux du village racontent parfois des anecdotes Ă©tranges sur le temps quâil faisait dans leur jeunesse, mais il nâa jamais rien entendu de tel, sans parler de cette lumiĂšre jaunĂątre et de cette chaleur moite, pas naturelles pour un sou. Depuis le chemin qui mĂšne au village, le fleuve nâest plus visible, et maintenant quâil ne se retourne pas sans cesse pour lui jeter des coups dâĆil curieux et mĂ©fiants, Amaury arrive un peu mieux Ă suivre, faisant tout son possible pour ne pas se laisser distancer par son pĂšre. Ils marchent pendant de longues minutes, Ă travers bois, Ă travers champs, sans croiser Ăąme qui vive, et Amaury se demande si les gens du village sont dĂ©jĂ au courant quâun fleuve coupe dĂ©sormais leurs terres en deux. Ses habits lui collent Ă la peau et il peine Ă respirer. Il ne saurait dire si câest Ă cause de leur marche rapide, de ce temps bizarre ou de lâanxiĂ©tĂ© que ce fleuve a fait naĂźtre en lui, mais lorsquâils arrivent au village, il est en nage. Les rues sont dĂ©sertes, les portes et les volets sont clos, tandis quâun silence inhabituel rĂšgne dans les maisons. Quelques chiens aboient ou gĂ©missent dans les cours intĂ©rieures, mais câest bien lĂ le seul signe de vie qui parvient Ă ses oreilles. La mĂȘme lumiĂšre chaude et inquiĂ©tante qui bordait le fleuve baigne les façades de la Lieue, dâordinaire si grises, et pour la premiĂšre fois, Amaury se demande si dâautres Ă©vĂ©nements particuliers se sont produits ailleurs dans la ville ou aux alentours. Il sâen veut de ne pas y avoir pensĂ© plus tĂŽt et cela rajoute Ă sa dĂ©tresse. Il ne sait pas trop ce quâil redoute, mais il a lâimpression que la fatalitĂ© les attend au bout du chemin et que sa vie tout entiĂšre en sera chamboulĂ©e. Lorsquâil voit son pĂšre prendre une nouvelle grande inspiration, Amaury comprend quâil nâest pas le seul Ă ĂȘtre dĂ©semparĂ© et que la situation est au moins aussi grave quâil ne le croit. Il cherche les yeux de son pĂšre, espĂ©rant y trouver un peu de rĂ©confort, mais celui-ci a le visage fermĂ© et continue dâavancer vers la place du village dâun pas rapide. Amaury commence Ă sentir les sanglots lui monter Ă la gorge, et mĂȘme sâil ne veut pas pleurer devant son pĂšre, il lui devient de plus en plus difficile de se maĂźtriser. Ce nâest quâen entendant la voix rauque du maire rĂ©sonner au loin quâil se calme un peu. Il semblerait que tout le monde au village ait dĂ©jĂ eu vent du fleuve mystĂ©rieux et quâhommes, femmes et enfants se soient rĂ©unis sur la place de la fontaine. Lâinstant dâaprĂšs, il aperçoit enfin Leonar Savo sur les marches de la mairie en train de sâadresser Ă une foule Ă©tonnamment silencieuse. Les mĂąchoires sont serrĂ©es, les visages inquiets, tous souhaitant obtenir une rĂ©ponse au mystĂšre face auquel ils se sont rĂ©veillĂ©s. â ⊠et dans les jours qui viennent, nous essaierons aussi de traverser pour voir ce quâil en est de lâautre cĂŽtĂ©, continue le maire. Amaury se demande Ă quelle heure Leonar Savo a appris lâexistence du fleuve. Ses traits sont tirĂ©s et sa peau est encore plus abĂźmĂ©e que dâhabitude, plus grasse et plus terne. Des rides se sont creusĂ©es au coin de sa bouche et sur son front, et ses yeux sont si rouges que lâon pourrait croire quâil a passĂ© la nuit Ă pleurer. Sâil nâavait pas vu de ses propres yeux que le fleuve vient juste dâapparaĂźtre, si ces eaux ne parcouraient pas son propre jardin, Amaury penserait que Leonar Savo cache la chose depuis des jours dĂ©jĂ . â En attendant, je vous prierais de ne pas traverser seuls, ni mĂȘme de vous rendre sur les berges de ce fleuve Ă©trange⊠à cela, des murmures envahissent la place, mais Leonar Savo lĂšve les bras et, dâun geste autoritaire, invite les habitants du village Ă faire silence. â Je viens de voir que notre gardien Ă©tait arrivĂ©, reprend-il. Sylvain, est-ce que vous avez quelque chose Ă nous apprendre sur ce fleuve ? Est-ce que vous avez remarquĂ© quelque chose dâinhabituel ces derniers jours ? La foule semble alors sâĂ©carter pour mieux les dĂ©visager, lui et son pĂšre. â Je suis allĂ© voir ce matin, Mâsieur Savo. Jâai longĂ© lâeau jusquâĂ la mer. Jâai rien vu de bizarre. La seule chose surprenante, câest la taille de ce monstre dâeau. Je comprends pas comment ça a pu arriver quand ces derniers jours, y avait rien du tout. â Câest la vieille chouette ! Jâen suis sĂ»re, dĂ©verse avec venin une femme dâun certain Ăąge. De nouveaux murmures sâĂ©lĂšvent, approbateurs cette fois. Amaury se dit quâelle a juste exprimĂ© tout haut ce que tout le monde pense tout bas, Ă commencer par lui-mĂȘme. â Ouais ! Et dâailleurs, pourquoi elle est pas lĂ ? renchĂ©rit un grand gaillard pas loin dâelle. Elle habite par lĂ -bas, elle a bien dĂ» trouver le fleuve dans son jardin, comme le Sylvain ! Pourquoi elle est pas venue, comme tout le monde ? â Il faut que je vous dise⊠commence la femme du docteur en regardant autour dâelle dâun air complice. Jâai vu de la fumĂ©e cette nuit. Et ça venait de chez elle ! CâĂ©tait un peu aprĂšs minuit. Et je me dis⊠Quâest-ce quâelle pouvait bien avoir Ă brĂ»ler en pleine nuit comme ça ? En entendant cela, les gens se mettent Ă discuter entre eux, sans plus prĂȘter aucune attention au maire. Qui partage une conviction, qui un doute ou un soupçon. Certains froncent les sourcils en apprenant une nouvelle anecdote, dâautres hochent la tĂȘte, pas du tout surpris. Ils sont si occupĂ©s Ă accuser la sorciĂšre que certains ont mĂȘme dĂ» en oublier la vraie raison de leur prĂ©sence : le fleuve. Un brouhaha a envahi la petite place et Amaury serait prĂȘt Ă jurer que si ça continue, ils vont tous se rendre chez la vieille ĂlysĂ©e pour sâexpliquer. â Allons, allons ! dit Savo. Calmez-vous. Ne commençons pas avec ces accusations farfelues. Calmez-vous ! rĂ©pĂšte-t-il un peu plus fort pour faire taire les derniers bavards. Je suis sĂ»r quâĂlysĂ©e nâa rien Ă voir lĂ -dedans. Laissez-la. Ne la mĂȘlons pas à ça. Amaury est surpris. Le maire de la Lieue a toujours Ă©tĂ© le premier Ă accuser la vieille sorciĂšre de tous les maux, lançant mĂȘme certaines des pires rumeurs la concernant. Il aurait jurĂ© que Leonar Savo sâempresserait de voir dans ce fleuve lâĆuvre malĂ©fique de celle quâil mĂ©prise par-dessus tout et quâil utiliserait cet Ă©vĂ©nement pour bannir dĂ©finitivement ĂlysĂ©e du village. â Et donc, Sylvain, il ne sâest rien passĂ© dâanormal ces derniers jours ? demande le maire, visiblement soucieux de changer de sujet au plus vite. â Comme je lâai dit, Mâsieur Savo, jâai rien vu de bizarre. Tout Ă©tait sec, pas une goutte dâeau. Je comprends pas comment ça a pu arriver. â Et quâest-ce que vous suggĂ©rez de faire ? Vous avez une idĂ©e ? â Je crois quâon ferait mieux de traverser pour voir ce qui se passe lĂ -bas. Mais on nâa pas beaucoup de terres de lâautre cĂŽtĂ© ; aprĂšs tout la mer est pas loin ; alors je mâinquiĂ©terais pas trop. Câest plus vers le haut du fleuve que ça me pose problĂšme. Ăa a tuĂ© tout plein de cerfs et de bestiaux ! Je dirais que tout le monde devrait rentrer chez lui et faire comme dâhabitude. Et que deux ou trois gars devraient venir avec moi voir un peu plus loin. â Hmm, dit simplement Leonar Savo, lâair pensif. Pour lâinstant, personne ne traversera. Jâai vu des arbres et des animaux se faire emporter comme des brindilles⊠Câest trop risquĂ©. Sylvain, vous ferez comme vous dites, avec une poignĂ©e dâhommes que vous choisirez, mais pas aujourdâhui. On va voir ce qui se passe dans les heures et les jours Ă venir⊠Et puis on avisera. â Et la sorciĂšre ? demande la femme du docteur dâun air pincĂ©. â Madame, oubliez un peu ĂlysĂ©e, rĂ©pond Savo sur un ton tranchant. On a dâautres prĂ©occupations. Je suis sĂ»r quâelle a juste brĂ»lĂ© quelques herbes comme elle le fait souvent. Ăcoutez-moi tous ! dit-il dâune voix plus ferme. Laissez ĂlysĂ©e tranquille. Rentrez chez vous. Et attendez quâon en sache davantage. On se rĂ©unira de nouveau demain matin si vous le souhaitez. Mais dâici lĂ , tĂąchez de penser Ă autre chose. Je vous promets que tout ira bien ! â Mais vous Ă©tiez le premier Ă dire quâil fallait quâon sâen mĂ©fie, Monsieur Savo, insiste-t-elle. â Et je vous dis aujourdâhui que vous vous trompez de sujet, lui rĂ©pond le maire dâun ton sec. Concentrons-nous sur ce fleuve. Essayons de comprendre ce qui se passe. Et si, malgrĂ© le peu de crĂ©dit que jâaccorde Ă cette idĂ©e, câest effectivement ĂlysĂ©e qui lâa fait apparaĂźtre, croyez-moi, on le dĂ©couvrira bien assez tĂŽtâŠâ CHAPITRE DEUX Amaury Graviora manent.« Le pire est Ă venir. » â Virgile, ĂnĂ©ide 6, 1, 2, 84 Ce quâAmaury redoutait le plus est arrivĂ© : le soir est tombĂ©. Le fleuve lui fait maintenant penser Ă un serpent sombre et menaçant qui, comme dans les lĂ©gendes que lui lisait autrefois sa mĂšre, se serait installĂ© dans leur jardin pour leur en dĂ©fendre lâaccĂšs. Il lâimagine se dresser dans la nuit pour dĂ©vorer leur petite cabane, avant de sâen aller engloutir le village et les alentours, et il se demande sâil existe encore des hĂ©ros prĂȘts Ă tout sacrifier pour vaincre une telle crĂ©ature. Il regarde son pĂšre, assis sur le tabouret en paille quâil a placĂ© prĂšs de la fenĂȘtre lorsquâils sont rentrĂ©s quelques heures plus tĂŽt et quâil nâa pas quittĂ© depuis. Son fusil debout contre le mur, ses chaussures boueuses aux pieds et son chapeau sur la tĂȘte, Sylvain semble prĂȘt Ă aller affronter ce que le destin aura dĂ©cidĂ© de lui envoyer. Amaury ne sait pas si les hĂ©ros dâantan existent encore, mais il est sĂ»r dâune chose : son pĂšre fera tout pour les protĂ©ger, lui et les habitants de la Lieue. La cuisine se retrouve vite plongĂ©e dans lâobscuritĂ©, faisant naĂźtre en Amaury un profond sentiment de malaise. Sans un mot, il va ouvrir le buffet dans lequel ils rangent leurs rĂ©serves et en sort toutes les bougies quâil y trouve. Puis, il les allume les unes aprĂšs les autres et les dĂ©pose un peu partout sur le rebord des fenĂȘtres et sur la table. Lorsque son pĂšre, dâordinaire si Ă©conome, se contente dâacquiescer sans lui faire la moindre remarque ni le moindre reproche, Amaury pourrait se mettre Ă sangloter comme un enfant. â Va au lit, fils. Je vais monter la garde un moment. â Non. Jâai pas sommeil. â Amaury, va te coucher. â Mais je peux tâaider, insiste Amaury. Jâai quatorze ans maintenant. Laisse-moi tâaider ! â Tâas surtout envie dâaller te cacher sous tes couvertures, rĂ©pond Sylvain sans aucune trace de mĂ©chancetĂ© dans la voix. Et tu sais quoi, je peux mĂȘme pas te le reprocher. Allez, va te reposer maintenant. La journĂ©e a Ă©tĂ© longue. Amaury ne sait pas quoi dire. Cela fait des semaines quâil essaie de montrer Ă son pĂšre quâil est un homme maintenant, et il regrette amĂšrement de perdre une occasion de le faire, mais quelque chose lâempĂȘche de vouloir jouer au dur face Ă ce fleuve qui le perturbe tant. â Bien. Appelle-moi si tu as besoin. â Jây manquerai pas, fils. Je sais que je peux compter sur toi. Amaury ne peut rĂ©primer le large sourire qui apparaĂźt sur son visage. â Dâaccord. Bonne nuit, Paâ ! â Dors. Et ne tâinquiĂšte pas trop. Y a pas de raison. Amaury acquiesce sans trop y croire, mais un peu plus tard, alors quâil fait sa toilette du soir, les habitudes reprennent effectivement le dessus sur les Ă©motions de la journĂ©e. Ce nâest quâune fois dans son lit quâil recommence Ă penser au fleuve. Il revoit les animaux se faire emporter par le courant ; il revoit les nuĂ©es dâinsectes ; il revoit les oiseaux voler au-dessus des eaux boueuses ; sauf que, maintenant, il ne saurait plus dire si ce sont des corbeaux ou des oiseaux de proie prĂȘts Ă fondre sur ces pauvres bĂȘtes. Ses pensĂ©es se perdent dans les tourbillons du fleuve, et une force irrĂ©sistible lâattire dans son monde. Il sent dĂ©jĂ que lâinquiĂ©tude qui lâa agitĂ© toute la journĂ©e va sâinviter dans son sommeil et que le matin ne pourra pas arriver assez tĂŽt. Il revoit alors le visage de Leonar Savo et ses traits tirĂ©s ; il revoit ses yeux fatiguĂ©s, ses lĂšvres pincĂ©es. Il entend les voix angoissĂ©es des habitants du village, leurs questions et leurs plaintes ; il entend des pleurs et des cris, sans toutefois comprendre dâoĂč ils viennent. Il revoit la lumiĂšre jaune, cette lumiĂšre Ă©trange qui lui rappelle le jour oĂč ils ont enterrĂ© sa mĂšre. Puis les voix se font de plus en plus fortes et il a envie de se boucher les oreilles ; il a envie de crier, de les faire taire. Il doit avoir de la fiĂšvre. Il a tellement chaud. Ces bruits, ces sensations, ce sont celles des dĂ©lires des maladies de son enfance. Pourtant, cette fois-ci, tout a lâair bien rĂ©el. Soudain, il aperçoit quelquâun dans sa chambre, une silhouette menaçante au pied de son lit, qui sâapproche en le grondant comme un petit enfant qui aurait fait une bĂȘtise. Il ferme les yeux trĂšs fort, espĂ©rant que la chose sâen aille, et bientĂŽt, elle sâen va effectivement â peut-ĂȘtre mĂȘme quâelle nâa jamais Ă©tĂ© là ⊠Mais alors quâil se croit tranquille, des mouches viennent bourdonner autour de sa tĂȘte. Elles sont molles et laides, comme si elles Ă©taient fatiguĂ©es de voler et quâelles allaient se laisser tomber sur son lit. Un instant plus tard, ce bruit dĂ©sagrĂ©able disparaĂźt lui aussi, pour ĂȘtre remplacĂ© par celui de la pluie, forte et rĂ©guliĂšre. Il se demande si ce nâest pas plutĂŽt le fleuve quâil entend, avant de se rendre compte que de lâeau sombre et boueuse dĂ©gouline des murs et du plafond de sa chambre. Amaury se redresse dans son lit en un bond. Il regarde tout autour de lui, paniquĂ©. Le souffle lui manque. Il ne voit pas bien dans la pĂ©nombre, mais les murs ont lâair secs, le sol et le plafond aussi. Les voix sont parties. Il nây a pas dâinsectes, pas dâoiseaux. Il nây a que lui, haletant et transpirant dans son lit moite. Il se trouve bĂȘte. Il aurait dĂ» se douter quâil allait faire des cauchemars ! ĂpuisĂ© mais rassurĂ©, il se rallonge. Son cĆur se calme, la chaleur se dissipe peu Ă peu, et il se dit quâil ne va pas avoir trop de mal Ă se rendormir. Mais quelques minutes plus tard, alors quâil est enfin parvenu Ă se tranquilliser, sa porte sâouvre brusquement, la voix de son pĂšre rĂ©sonnant dans sa chambre : â Bon sang, Amaury, lĂšve-toi ! Amaury ! RĂ©veille-toi ! â Quâest-ce quâil y a ? demande-t-il en se redressant, le cĆur battant. â Des lumiĂšres, lĂąche son pĂšre dâune voix Ă©tranglĂ©e. De lâautre cĂŽtĂ©. Amaury sent ses mains se glacer malgrĂ© la chaleur, malgrĂ© sa nuit agitĂ©e. Il ose Ă peine formuler sa question, de peur que la rĂ©ponse soit pire que ce quâil imagine. â Tu crois que câest quoi ? â Je sais pas. Jâaimerais penser que câest des abrutis du village qui ont voulu se faire peur, mais jây crois pas. Personne nâest assez stupide pour traverser de nuit comme ça dĂšs le premier jour. â Alors quâest-ce que câest ? â Jâen sais rien⊠Amaury, jâai besoin que tu ailles prĂ©venir Savo. Va le chercher et dis-lui de venir tout de suite. â Et toi ? â Je vais sortir une des vieilles barques de la grange. Jâaurais dĂ» ramener celle du port, mais je pensais pas devoir traverser aujourdâhui. â Tu vas traverser ? demande Amaury la gorge serrĂ©e. â Il le faut bien. Mais jâattends Savo. â Et moi ? â Non, je veux pas te mettre en danger. Amaury nâa rien Ă rĂ©pondre à ça. Il ne saurait dire sâil est trop jeune ou trop inexpĂ©rimentĂ©, mais il sent lui aussi que câest au-delĂ de ses forces. â Je dois prĂ©venir quelquâun dâautre ? â Non, juste Savo. Je veux pas de panique. â Dâaccord, mais tu crois pas quâon⊠â Jâai dit « juste Savo », le coupe son pĂšre en sâimpatientant. â Dâaccord, sâempresse de rĂ©pĂ©ter Amaury tout penaud. â Tu devrais croiser personne Ă cette heure-ci, continue son pĂšre, mais sois discret, on sait jamais. â Quelle heure il est ? demande Amaury en enfilant ses affaires de la veille. â Presque une heure. Allez, vas-y vite. Moi, je vais Ă la grange, dit son pĂšre en ouvrant la porte de la cabane. Amaury attrape sa lanterne en vitesse et y glisse lâune des bougies dĂ©jĂ allumĂ©es. Il rĂ©flĂ©chit un instant Ă ce quâil devrait prendre dâautre, mais rien ne lui vient. Il nâa pas envie de sortir prĂšs de ce maudit fleuve, nâa pas envie de courir sur les chemins dĂ©sormais plongĂ©s dans le noir, et ce quâil voit par la fenĂȘtre ne le rassure guĂšre ; car si ce nâest quelques reflets inhabituels au fond du jardin, la nuit est particuliĂšrement sombre. Sans rĂ©flĂ©chir davantage, il sâaventure Ă lâextĂ©rieur de la cabane. Ce nâest quâune fois dehors quâil aperçoit au loin les flammes que son pĂšre a vues. Tout comme lui, il a du mal Ă croire que quiconque ait eu envie de sâaventurer de lâautre cĂŽtĂ© dĂšs le premier soir, et il se demande bien ce que peuvent ĂȘtre ces lumiĂšres. Il pense alors Ă son pĂšre qui est en train de tout prĂ©parer pour traverser, ce pĂšre courageux qui ne recule jamais devant rien, et il se met en route sans plus attendre. Ce nâest pas la premiĂšre fois quâil se rend Ă la Lieue de nuit, mais câest certainement la premiĂšre fois quâil le fait dans ces conditions. Sa lanterne nâĂ©claire pas bien ses pas et sa peur le ralentit. Autour de lui, des bruissements Ă©tranges proviennent des buissons, tandis que des cris aigus dâoiseaux nocturnes rĂ©sonnent entre les branches. Il sâefforce de ne pas trĂ©bucher, de regarder oĂč il pose ses pieds, mais il sâimagine sans cesse rentrer dans quelquâun ou quelque chose que sa lanterne nâaurait pas Ă©clairĂ© et lâidĂ©e le terrifie. Il aperçoit bientĂŽt les premiĂšres maisons du village. Le trajet lui avait paru tellement long le matin quâil est surpris dâĂȘtre dĂ©jĂ arrivĂ©. Il ralentit alors sa course, soucieux de nâĂ©veiller aucun soupçon. Tout est Ă©teint et il semblerait que tout le monde soit couchĂ©, mais si quelquâun venait Ă le surprendre en pleine nuit au beau milieu de la rue, il devrait trouver une explication, et il nâest pas du tout sĂ»r de parvenir Ă mentir. PressĂ© dâavertir Leonar Savo, il marche tout de mĂȘme dâun bon pas et, trĂšs vite, il arrive Ă lâangle de la maison du maire. Ce quâil nâavait pas prĂ©vu, câest que ce serait lui-mĂȘme qui surprendrait quelquâun. â ⊠que le fleuve lâa emportĂ©, tente de chuchoter une voix masculine sans grand succĂšs. Avec tous ces animaux qui flottent lĂ -bas, ça pourrait passer. â Non, il faut trouver une histoire qui tienne vraiment la route, lui rĂ©pond une voix de femme qui, de toute Ă©vidence, ne sait pas chuchoter non plus. Amaury cache immĂ©diatement la lanterne dans son dos pour ne pas se faire remarquer, et sâapproche autant quâil le peut de lâangle de la rue. Ils sont juste de lâautre cĂŽtĂ©, juste devant la porte du maire. Il est presque sĂ»r que la voix masculine est celle de Leonar Savo, mais il nâarrive pas Ă imaginer avec qui il peut discuter et, surtout, de quoi. â Ăa peut attendre, reprend-il. Je trouverai quelque chose⊠â Ils vont vite sâapercevoir quâil a disparu. Et ils vont commencer Ă te poser des questions. Amaury se demande bien qui a pu disparaĂźtre et pourquoi ils cherchent Ă raconter un mensonge mettant en cause le fleuve. Il pense Ă son pĂšre qui lâattend ; il voudrait se dĂ©pĂȘcher, mais il ne parvient pas Ă interrompre la conversation quâil vient de surprendre. Il en a trop entendu ou pas assez. â Je dirai quâil a perdu la raison quand il a su que ta fille ne survivrait pas⊠Quâil a eu peur de se retrouver avec cet enfant et quâil sâest jetĂ© dans le fleuve. Personne ne saura que le fleuve nâĂ©tait pas encore apparu⊠â Aie au moins un peu de dĂ©cence, dit la femme dâun ton cinglant. â Il faudra bien donner une explication, rĂ©pond Savo dâune voix lasse. â Au moins ne salis pas sa mĂ©moire⊠Amaury devrait partir avant dâĂȘtre dĂ©couvert, mais il ne peut sâempĂȘcher de rester encore un peu. Tout le monde a suffisamment commĂ©rĂ© Ă propos du fils du maire qui a mis enceinte la fille de la sorciĂšre pour quâAmaury comprenne que câest la vieille ĂlysĂ©e qui est derriĂšre ce mur. Les jambes lui manquent. Il nâaurait pas pu tomber pire. â Et toi ? Ta fille, et le bĂ©bĂ©, reprend le maire, tu comptes en parler quand ? Tu aurais dĂ» le dire aujourdâhui. â Et prendre le risque que tout le monde associe ça au fleuve ? â Câest ce quâils font dĂ©jĂ de toute maniĂšre. Et câest ce quâils vont continuer Ă faire. â Je le dirai demain, rĂ©pond la sorciĂšre Ă contrecĆur. â Bon. Je ferai taire les rumeurs. Il faut que tout le monde oublie que le fleuve est apparu en mĂȘme temps que⊠toute cette tragĂ©die. Et tu as confiance en Lucie et Hubert ? Ils en savent plus que les autres. TĂŽt ou tard ils risquent de dire quelque chose. â Confiance ou pas, je nâai pas le choix. Et puis ils ne savent pas grand-chose au final. Juste que Lily est nĂ©e la nuit oĂč le fleuve est apparu. Pour lâinstant je suis soulagĂ©e que Lucie ait du lait pour deux. â Tu crois quâelle va vivre ? â Jâai fait tout mon possible. Et je pense que Lucie fera tout ce quâelle peut elle aussi⊠Amaury ne comprend pas bien ce quâil entend. Que vient faire le fleuve dans tout ça ? Quel rapport avec la naissance de ce bĂ©bĂ© ? â Bon. Bien, bien, bien, dit le maire. Il nây a plus quâĂ attendre que tout ça se sache, que la rumeur se rĂ©pande, et puis⊠on verra bien. â Ă vrai dire, le fleuve mâinquiĂšte bien plus que la rumeur, dit ĂlysĂ©e dâun ton grave. Savo, jâai vu ce quâil y avait de lâautre cĂŽté⊠Câest⊠â Câest les herbes. Tu as dĂ©lirĂ©, vieille folle. â Ne fais pas ça. Pas cette fois. Tu dois me croire. Personne ne doit aller lĂ -bas, tu mâentends ! DĂšs demain, tu dois trouver une raison dâinterdire lâaccĂšs Ă ces terres. Sinon⊠Je nâose mĂȘme pas imaginer⊠Câest sĂ©rieux, Leonar. En entendant ces mots, Amaury repense Ă son pĂšre qui les attend, seul sur la berge du fleuve. Il aimerait rester encore, ne serait-ce que pour Ă©couter ce quâĂlysĂ©e pourrait dire sur ce quâelle a vu de lâautre cĂŽtĂ©, mais lâinquiĂ©tude lâenvahit. Il doit rentrer avertir son pĂšre. Il ne faut surtout pas quâil traverse ! Ni lui, ni personne. Il voudrait prĂ©venir le maire comme son pĂšre le lui a demandĂ©, mais il sait que la sorciĂšre le soupçonnerait dâavoir entendu une partie de leur conversation, et câest un risque quâil nâest pas prĂȘt Ă prendre. Il ne sait pas si elle peut rĂ©ellement lire dans les pensĂ©es comme dâaucuns le prĂ©tendent, mais il est sĂ»r dâune chose : elle est bien plus perspicace que la plupart des gens et elle se douterait trĂšs certainement de quelque chose. Sans perdre une minute de plus, il sâĂ©loigne doucement de lâangle de la rue puis, comme Ă lâaller, se met Ă courir de toutes ses forces dĂšs quâil passe les derniĂšres maisons du village. Il trĂ©buche quelques fois en route, manque de lĂącher sa lanterne Ă plusieurs reprises, mais trĂšs vite, plus vite quâil ne sâen serait cru capable, il arrive Ă la cabane. La porte est ouverte, comme il lâavait laissĂ©e. Il entre en courant. â Paâ ! crie-t-il tout essoufflĂ©. Papa ? Rien. La maison est vide. Quelques bougies se sont consumĂ©es, tandis que dâautres Ă©clairent encore leur petite cuisine. En jetant un coup dâĆil par la fenĂȘtre, Amaury sâaperçoit que les lumiĂšres du fleuve ont disparu. Il ne comprend pas pourquoi son pĂšre nâest pas revenu attendre Savo Ă la cabane. Il ressort immĂ©diatement, laissant de nouveau la porte ouverte derriĂšre lui, et va chercher son pĂšre dans la grange. LĂ aussi, la porte est grande ouverte. â Papa ? Amaury nâa jamais aimĂ© rentrer dans la grange. Elle a toujours Ă©tĂ© trop sombre, trop mal rangĂ©e, avec cette vieille odeur de terre et de bois pourri. Mais il nâa pas besoin de sâaventurer Ă lâintĂ©rieur pour comprendre que son pĂšre nây est pas. Amaury commence Ă sâinquiĂ©ter. Il a Ă©tĂ© trop long. Il aurait dĂ» revenir bien avant. Il nâaurait jamais dĂ» laisser son pĂšre seul prĂšs du fleuve et de ces Ă©tranges lumiĂšres. Devant la grange, seul au milieu des bois avec sa petite lanterne pour lâĂ©clairer, il ne sait pas quoi faire. Il nâose pas sâapprocher de la berge â de toute maniĂšre, son pĂšre nâaurait pas attendu aussi longtemps prĂšs du fleuve â, mais une petite voix pernicieuse se fait de plus en plus insistante et il sait quâil faudrait au moins vĂ©rifier que la barque que son pĂšre a sortie est toujours lĂ . Toutefois, il nây a rien Ă faire, il ne trouve pas le courage dâaller prĂšs de lâeau. â Papa ? retente-t-il un peu plus fort. Papa ! Une fois de plus, seul le silence de la nuit lui rĂ©pond. Ce nâest pas possible. Son pĂšre nâaurait pas traversĂ© seul ! Il nâaurait pas osĂ©. Pourquoi aurait-il fait ça ? Amaury est paniquĂ©. Il entend encore la vieille ĂlysĂ©e demander Ă Leonar Savo dâinterdire lâaccĂšs au fleuve, lâentend encore buter sur les mots, prĂ©occupĂ©e par ce quâelle a vu de lâautre cĂŽtĂ©, et il se dit quâil faut vraiment quâil aille prĂ©venir le maire. Il nâa pas dâautre choix que de retourner en ville. Peu importe sâil se fait remarquer, peu importe sâil Ă©veille les soupçons, il a besoin dâaide. ĂpuisĂ© et inquiet, il repart en courant, les mollets douloureux et le souffle court. Il sent encore le goĂ»t du sang dans sa bouche, et pourtant il faut quâil coure encore. Il repasse devant la cabane, prĂȘt Ă sâĂ©lancer sur le chemin qui mĂšne Ă la Lieue pour la troisiĂšme fois de la journĂ©e, mais alors quâil se demande sâil ne devrait pas Ă©teindre les bougies de la cuisine, une silhouette passe rapidement devant la fenĂȘtre. Ă lâintĂ©rieur. Il reste immobile, cachĂ© par le petit mĂštre qui sĂ©pare la fenĂȘtre de la porte dâentrĂ©e. Il devrait ĂȘtre soulagĂ©, devrait se prĂ©cipiter dans la cabane, embrasser son pĂšre et lui dire Ă quel point il a eu peur, mais quelque chose lâen empĂȘche. La silhouette Ă©tait-elle vraiment celle de son pĂšre ? Elle Ă©tait plus sombre. Plus petite peut-ĂȘtre. Plus trapue. Et les cheveux⊠Une voix sĂšche et rauque le surprend alors depuis lâembrasure de la porte, tandis quâune main pĂąle et fine lui attrape le bras, avant de le tirer Ă lâintĂ©rieur sans mĂ©nagement : â Et dâoĂč est-ce que tu viens Ă cette heure de la nuit, petit inconscient ?â CHAPITRE TROIS Amaury Usque ad sideras et usque ad inferos.« Des Ă©toiles jusquâaux enfers. » â Adage de droit romain Amaury a la nausĂ©e. Assis sur le tabouret oĂč son pĂšre a passĂ© lâaprĂšs-midi, il se demande comment leur vie a pu ĂȘtre ainsi bouleversĂ©e en un peu moins de deux jours. Il a terriblement chaud et la forte odeur de sauge qui se rĂ©pand dans la cuisine ne fait quâaccentuer ses haut-le-cĆur. Des sueurs froides lui coulent dans le dos, tandis que sa gorge se remplit de bile. Il est obligĂ© dâavaler sans cesse, redoutant de devoir sortir prĂ©cipitamment dâun moment Ă lâautre. La vieille ĂlysĂ©e passe et repasse devant lui, les yeux fermĂ©s et la tĂȘte baissĂ©e, un petit fagotin dâherbes fumantes dans chaque main. Amaury lâimaginerait presque se mettre Ă murmurer des paroles inintelligibles ou Ă chanter des incantations secrĂštes, mais elle reste parfaitement silencieuse. Ă vrai dire, depuis quâelle lui a fait la peur de sa vie sur le pas de la porte, elle nâa plus prononcĂ© un mot. Elle sâest contentĂ©e de le dĂ©visager de ses yeux Ă©tranges pendant un moment, puis elle a enlevĂ© ses sabots de bois et dĂ©tachĂ© ses longs cheveux gris, avant de sortir les deux paquets de feuilles sĂ©chĂ©es de son tablier et de les approcher de lâune des rares bougies encore allumĂ©es. Amaury ne saurait dire si ce regard Ă©tait un avertissement, un moyen de lui faire comprendre quâelle savait quâil lâavait surprise en train de discuter avec Leonar Savo, ou si au contraire elle cherchait Ă vĂ©rifier que ses soupçons Ă©taient justifiĂ©s, mais il nâa rien osĂ© demander, il nâa rien osĂ© dire. Il a prĂ©fĂ©rĂ© aller sâinstaller prĂšs de la fenĂȘtre et essayer de se faire oublier. Il ne comprend toujours pas ce quâelle fait chez eux. Il ignore lâĂ©tendue de ses pouvoirs, mais, aprĂšs ce quâil a entendu, il craint quâelle ne soit en train dâenvoĂ»ter leur cabane et que ce rituel bizarre ne soit liĂ© au fleuve qui coule Ă quelques pas. Il aimerait sortir prendre lâair, aller prĂ©venir le maire, ou qui que ce soit dâautre ; il voudrait aller chercher son pĂšre, rĂ©veiller tout le village sâil le faut, mais il ne peut pas se rĂ©signer Ă la laisser seule chez eux. â Tu peux sortir si lâodeur tâindispose, petit. Mais surtout, ne tâĂ©loigne pas ! dit-elle soudain sans ouvrir les yeux, sans sâarrĂȘter de marcher. Je nâen ai plus pour longtemps. Amaury est pĂ©trifiĂ©. Entendrait-elle vraiment les pensĂ©es ? Ou lâa-t-elle simplement vu dĂ©glutir et gigoter sur son tabouret ? Il ne rĂ©pond rien. Il reste simplement assis Ă la regarder, stupĂ©fait. â Tu aurais dĂ» aller chercher Savo pendant quâil en Ă©tait encore temps, lui dit-elle au bout dâun moment. Il sâattend Ă ce quâelle sâexplique, Ă ce quâelle ajoute quelque chose, mais elle redevient silencieuse. Les petits fagotins dâherbes sont presque entiĂšrement partis en fumĂ©e dans ses mains, mais elle ne semble pas sâinquiĂ©ter de la chaleur qui sâapproche de sa peau. Elle reste calme et impassible, continuant de marcher les yeux fermĂ©s. Amaury se demande ce quâelle veut dire. Pourquoi serait-il trop tard pour aller chercher le maire ? Est-ce une menace ? ĂlysĂ©e sâavance vers la porte dâentrĂ©e et, avec la partie encore incandescente de ses fagotins, trace des symboles sur le bois. Elle Ă©crase ensuite le reste des herbes dehors, juste devant la cabane, avant de refermer la porte derriĂšre elle. â Maintenant, donne-moi un grand verre dâeau, petit. ĂlysĂ©e est sans gĂȘne, mais la derniĂšre chose que souhaite Amaury câest la contrarier en le lui faisant remarquer. Alors il va chercher la chope de son pĂšre, puis la cruche quâil a remplie la veille au puits du village, et la sert. â Elle est dâhier. On nâa pas eu le temps aujourdâhui. â Cela ne fait rien. De toute maniĂšre Savo a interdit de se servir du puits aujourdâhui, dit-elle sur un ton Ă©trange. Ă cause du fleuve tu sais, ajoute-t-elle rapidement. â Et la fontaine ? â Oui, la fontaine, ça va. On voit lâeau claire. Contrairement Ă ce quâil croyait, lâeau quâelle a rĂ©clamĂ©e nâest pas pour elle mais pour un autre de ses rituels. Elle se met Ă tremper le bout de ses doigts dans le verre et Ă projeter des gouttes un peu partout contre les murs de la cuisine. â HĂ© ! Mais quâest-ce que vous faites ? â Câest que de lâeau, petit, ça va sĂ©cher. Et puis, de toute façon, quelle importance ? Vous allez partir. â Quoi ? demande Amaury hĂ©bĂ©tĂ©. Comment ça partir ? Partir oĂč ? â Le fleuve ne va pas disparaĂźtre aussi facilement que ce quâil est apparu. Vous nâallez pas rester prĂšs comme ça, câest trop dangereux. â Vous avez vu quoi lĂ -bas exactement ? lĂąche Amaury sans mesurer les implications de sa question. â LĂ -bas ? rĂ©pĂšte-t-elle en se tournant lentement vers lui. Les yeux lĂ©gĂšrement vairons dâĂlysĂ©e se posent sur lui et la nausĂ©e lui reprend, sauf que cette fois-ci ce nâest pas la sauge qui le met dans cet Ă©tat. Il pourrait mentir, reformuler sa question, essayer de se justifier, mais il sait quâil est trop tard. Alors il lĂšve le menton et dĂ©cide de lui tenir tĂȘte. â Câest vous qui lâavez fait apparaĂźtre, nâest-ce pas ? â Et quâest-ce qui te fait croire ça, petit insolent ? â Vous nâĂ©tiez pas en ville aujourdâhui et vous avez lâair dâen savoir dĂ©jĂ beaucoup sur ce fleuve, plus que quiconque Ă la Lieue. â Je viens te protĂ©ger et tout ce que je rĂ©colte en guise de remerciement câest ta suspicion ? â Me protĂ©ger ? Me protĂ©ger de quoi ? demande Amaury sur un ton de dĂ©fiance. BrĂ»ler quatre herbes et jeter un peu dâeau sur⊠â De ton pĂšre, le coupe ĂlysĂ©e dâune voix glaciale. Amaury a un mouvement de recul. Il voit soudain les choses autrement, comme sâil Ă©tait extĂ©rieur Ă la scĂšne, comme sâil voyait la cuisine depuis le dessus, depuis le ciel. Il se voit seul dans la pĂ©nombre avec cette vieille femme toute vĂȘtue de noir, cette vieille sorciĂšre qui vient dâaccomplir quelque rituel Ă©trange dans sa maison, sans son accord ni celui de son pĂšre. Elle est tout prĂšs, avec ses cheveux gris dĂ©coiffĂ©s, ses pieds Ă la peau fine et ridĂ©e, et elle le regarde avec des yeux de folle. â Il ne va pas tarder Ă revenir. Tu seras content que je sois lĂ , petit. Elle lui fait peur. Il aurait effectivement dĂ» aller prĂ©venir Leonar Savo tant quâil en Ă©tait encore temps. Amaury jette un coup dâĆil vers la porte dâentrĂ©e. Elle ne lâa pas fermĂ©e Ă clef. Il aurait le temps. â Ne fais pas ça, petit. Il est lĂ , il arrive, dit ĂlysĂ©e dâun air suppliant, presque triste. Mais Amaury ne lâentend pas. Il est trop occupĂ© Ă calculer le temps quâil lui faudrait pour atteindre le chemin qui mĂšne Ă la Lieue sans quâelle puisse le retenir. Elle est vieille, et pieds nus ; elle sera plus lente que lui. Sans rĂ©flĂ©chir davantage, il sâĂ©lance vers lâentrĂ©e, immĂ©diatement rassurĂ© de voir quâelle ne cherche pas Ă lâen empĂȘcher. Mais avant mĂȘme quâil nâarrive Ă la porte, celle-ci sâouvre en grand. Amaury fait un bond en arriĂšre, les yeux Ă©carquillĂ©s. ĂlysĂ©e, elle, nâa pas bougĂ© dâun pouce. Dans lâembrasure, une main sur la poignĂ©e et lâautre tenant fermement une lanterne, apparaĂźt Sylvain, tout essoufflĂ©, lâair hagard. Amaury est tellement soulagĂ© en reconnaissant son pĂšre quâil ne repense pas tout de suite Ă ce quâĂlysĂ©e vient de lui dire. Ce nâest quâen entendant la chope tomber lourdement au sol derriĂšre lui, Ă©claboussant de lâeau jusque sur ses mollets, quâAmaury se rend compte que quelque chose ne va pas. â Ne tâapproche pas, petit, murmure ĂlysĂ©e en le tirant par le bras. Son pĂšre les suit du regard, les yeux presque fiĂ©vreux. Il a le front moite et les cheveux trempĂ©s, et lorsquâil ouvre la bouche, sa voix dâoutre-tombe le transforme en inconnu, un inconnu imprĂ©visible et effrayant. â Câest une mĂąchoire⊠murmure Sylvain en fermant la porte brusquement. â Une mĂąch⊠commence Amaury. â Une mĂąchoire aux dents acĂ©rĂ©es, le coupe Sylvain en haussant le ton. Amaury nâaurait jamais cru un jour avoir peur de son pĂšre. Pourtant, lorsquâil le voit sâapprocher de lui en prononçant ces paroles insensĂ©es, il est terrifiĂ©. â Elle dĂ©chiquette tout en lambeaux. Oh, mais⊠Câest pas elle qui dĂ©cide. â Qui donc ? demande ĂlysĂ©e dâune voix dĂ©tachĂ©e, semblant espĂ©rer quâaller dans son sens le calmera. â Mais la forĂȘt, rĂ©pond Sylvain en la regardant dâun air Ă©tonnĂ©. Je lâai vue. Elle obĂ©it Ă sa reine. Elle est sombre. Et belle. Elle est vraiment trĂšs belle. Mais elle est cruelle. La reine, je veux dire. Je lâai tout de suite su. Jâignore si câest vraiment une reine. Câest une belle brune aux yeux aussi gris que la mer du nord⊠Mais quâest-ce quâelle Ă©tait triste ! Et fatiguĂ©e. Elle voulait dĂ©jĂ rentrer. « Celui qui a perdu son chemin ne vit pas jusquâau matin », mâa-t-elle dit. Elle mâaurait tué⊠Amaury est paralysĂ©. Il ne reconnaĂźt pas son pĂšre. Il est terrorisĂ© par ce quâil entend, par ce quâil imagine. Il est terrorisĂ© par ce pĂšre fĂ©brile et agitĂ©, presque violent, et il ne sait pas comment rĂ©agir. Il ne sait pas quoi faire. â Elle mâaurait tuĂ©, reprend-il les yeux dans le vague, sâil nây avait pas eu le squelette. Il est fier. Et juste. Il mâa sauvĂ©. Je dis un squelette, mais⊠Câest pas vraiment un squelette. Il marche et il parle. Il a de la chair sur les os, et de la peau sur la chair. Mais jâai vu ses os sur sa peau. Je sais pas si câest possible, rajoute-t-il en fronçant les sourcils. Mais il est⊠élĂ©gant. Beaumont, il sâappelle. Câest grĂące Ă lui quâelle mâa laissĂ© partir. Jây croyais pas. Jây croyais vraiment pas⊠Jâai couru, aussi vite que jâai pu. Ils me mordaient. Les autres, je veux dire. Regardez, lance-t-il en relevant ses manches dâun geste brusque. Ses bras sont couverts dâĂ©gratignures et de sang fraĂźchement sĂ©chĂ©, mais il nây a aucune trace de morsure, aucune marque de dents. Cela ressemblerait davantage Ă des coupures de ronces. Amaury quitte son pĂšre des yeux un instant, espĂ©rant trouver quelque chose qui le rassurerait sur le visage dâĂlysĂ©e, quelque chose qui lui permettrait de comprendre ce qui arrive Ă son pĂšre. Mais ce quâil lit dans les yeux de la vieille femme ne fait quâajouter Ă sa panique. â Ils voulaient pas que je revienne, continue soudain son pĂšre en rabattant ses manches sur ses Ă©gratignures, mais je devais rentrer. Raconter ça Ă tout le monde. Câest ce quâils mâont dit⊠Câest Beaumont qui mâa confiĂ© la vĂ©ritĂ©. La reine, elle, sâest contentĂ©e dâacquiescer. « Des Ă©toiles jusquâaux enfers, ils mâont dit, ce sont dĂ©sormais nos terres. Nous vous laisserons en paix, tant que vous resterez de lâautre cĂŽtĂ©. Nous ne voulons que ceux quâils enterrent, et grand-pĂšre, et grand-mĂšre. Et alors nous partirons, mais non sans vous donner une leçon. Alors, dĂšs aujourdâhui commence par te souvenir de ce que je vais te dire : ce sera bientĂŽt ton tour, et tu lâoublies toujours. Ne compte pas les jours, mais souviens-toi toujours⊠Ce sera bientĂŽt ton tour. »â
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RĂ©sumĂ© : Blaches est un charmant village rĂ©putĂ© pour sa tranquillité⊠Jusqu'au jour oĂč, au lendemain d'une soirĂ©e, trois Ă©tudiants sont portĂ©s disparus. Que s'est-il passĂ© cette nuit-lĂ ? Que s'est-il passĂ© sur l'unique route qui mĂšne au lac ? Amis, voisins, connaissances⊠pour les enquĂȘteurs, tous sont suspects. Bienvenue Ă Blaches. Mon avis : Tout dâabord, je tiens Ă remercier JoĂ«l des Ă©ditions Taurnada pour sa confiance et pour mâavoir fait dĂ©couvrir en avant-premiĂšre ce nouveau roman. Ayant dĂ©jĂ lu et fort apprĂ©ciĂ© le prĂ©cĂ©dent roman « 30 secondes » avec son ambiance si particuliĂšre (pour les plus curieux, ma chronique ici), jâĂ©tais curieuse et impatiente de voir ce que lâauteur allait nous rĂ©server pour son dernier opus ^^ 2018. Nous voici Ă Blaches, paisible village oĂč tout le monde se connait et oĂč il fait bon vivre. Câest aussi un lieu touristique grĂące Ă son lac artificiel, sa belle cascade en bordure de forĂȘt. Ici, les adorateurs de sports nautiques sont aux anges ; ce lieu demeure un spot incontournable pour le wakeboard. Cet endroit est aussi devenu au fil du temps le coin prisĂ© des jeunes qui veulent faire la fĂȘte, tout comme les aficionados de la nature qui ont dĂ©couvert non loin de Lyon, ce vrai havre de paix pour y poser leur valises dans le but de commencer une nouvelle vie. Ce week-end lĂ , câest lâanniversaire de Benjamin. Ce fils Ă papa, un peut crĂąneur, faisant Ă©talage de son argent mais aimant partager, a dĂ©cidĂ© dâinviter le maximum de ses potes au bar de la plage afin de cĂ©lĂ©brer en sa compagnie ce moment si particulier. AprĂšs sâĂȘtre bien amusĂ©, avoir profitĂ© de la derniĂšre tournĂ©e avec quelques proches, il est l'heure pour Frank de verrouiller son Ă©tablissement, et de se sĂ©parer afin que chacun regagne ses pĂ©nates⊠Sauf que, le lendemain matin, lâinquiĂ©tude est Ă son paroxysme : 3 jeunes Ă©tudiants ne sont pas rentrĂ©s de leur soirĂ©e et les parents sont dans tous leurs Ă©tats. Ces quelques lignes posĂ©es, le ton est donnĂ© ; notre curiositĂ© est piquĂ©e au vif ; les questions taraudent notre esprit en Ă©bullition. Que sâest-il passĂ© ? Pourquoi sâen prend-t-on Ă trois jeunes innocents ? Pourquoi eux, et aucun autre ? Et pourquoi ici, alors que ces lieux sont rĂ©putĂ©s tranquilles et sans risques ? Quâa-t-il pu se passer sur cette route, sachant que cette voie est la seule et unique qui mĂšne au lac ? Le capitaine de gendarmerie Michel Leroy ainsi que le lieutenant Anthony Ramazzy sont dĂ©pĂȘchĂ©s sur place et chargĂ©s de l'enquĂȘte. AccompagnĂ©s du gendarme Rathier qui connaĂźt le village et les gens comme sa poche, il vont tenter de faire la lumiĂšre sur toute cette affaire. TrĂšs vite, les recherches commencent ; les gendarmes vont dĂ©couvrir le corps de MylĂšne la jeune femme du groupe en contrebas de la cascade. Quant Ă ses deux camarades, ils restent tout bonnement introuvables. Dâapparence gentille et sans histoire, amoureuse de Thomas le futur champion de wakeboard, pourquoi sâen est t'on prix Ă MylĂšne, et aller jusquâĂ la tuer ? Pourquoi personne nâa rien vu, rien entendu ? Pourquoi ne trouve-t-on aucun indice ? Câest alors que contre toute attente, Thomas est retrouvĂ© errant en plein milieu de la forĂȘt. Peut ĂȘtre donnera-t-il quelques explications, sera-t-il plus loquace et cohĂ©rent que RĂ©mi, ce garçon un peu diffĂ©rent par son retard mental, mais tellement attachant, qui la journĂ©e entiĂšre se contente de marcher et danser au rythme des musiques des annĂ©es 80 diffusĂ©es par l'Ă©trange casque qu'il porte sur la tĂȘte ? Pas de chance, lâadolescent ne se rappelle de rien ; ses derniers souvenirs datent du moment oĂč il a quittĂ© le bar la veille au soir. Ătrange⊠quâa-t-il bien pu lui arriver ? Et quâen est-il de son ami Benjamin ? Lui au moins pourrait raconter, donner quelques Ă©claircissements⊠Mais oĂč se trouve-t-il ? Quâa-t-on fait de lui ? Les enquĂȘteurs dĂ©cident alors dâorienter les interrogatoires sur les gens prĂ©sents sur les lieux lors de cette soirĂ©e, mais aussi la famille et les proches des disparus. Commence alors une enquĂȘte haletante et minutieuse, qui rĂ©servera bien des surprises⊠à lâimage de lâimbroglio qui rĂšgne dans les tĂȘtes de nos protagonistes , nous voici plongĂ©s, happĂ©s, enferrĂ©s au cĆur dâune intrigue machiavĂ©lique et retorse, Ă la façon dâun casse-tĂȘte dĂ©sarticulĂ© dont les piĂšces ont bien du mal Ă sâimbriquer. Par une astucieuse construction de l'intrigue, qui, par moment, je lâavoue, mâa pas mal perdue, nous allons remonter dans le passĂ©, Ă©galement aller dans le futur pour retracer le vĂ©cu de nos personnages lors de cette fameuse journĂ©e. Câest en croisant les points de vue internes de plusieurs narrateurs, en accĂ©dant Ă toute la palette de leur ressentis et de leurs motivations, que le voile va peu Ă peu se dĂ©chirer, pour laisser apparaĂźtre les imperfections, les fissures des personnalitĂ©s⊠Que va-t-on trouver sous les façades, sous les masques et les faux-semblants ? Qui se cache derriĂšre tout ça, et pourquoi ? Et surtout, quelles sont les raisons de cette sombre histoire ? GrĂące Ă une Ă©criture tantĂŽt acĂ©rĂ©e et dynamique, tantĂŽt prĂ©cise et percutante, les pages se tournent Ă toute allure ; nous voulons savoir, connaĂźtre la conclusion que nous a concoctĂ© lâauteur. Il nous faudra cependant rester bien attentif afin de ne pas perdre le fil et manquer de passer Ă cĂŽtĂ©. Les chapitres courts et rythmĂ©s renforcent le suspense ; lâimmersion est totale. Les personnages, quant Ă eux, sont fort bien campĂ©s et servent parfaitement ce rĂ©cit kalĂ©idoscopique et en trompe-lâĆil. De rebondissements en rebondissements, de fausses pistes en fausses pistes, nous laissons lâauteur nous balader au grĂ© des chemins de Blaches, oĂč tout le monde semble suspect, ou certains cachent de sordides secrets⊠jusquâau dĂ©nouement final qui nous surprendra. Vous lâaurez compris, jâai beaucoup aimĂ© ce roman, qui malgrĂ© une construction dĂ©stabilisante a rĂ©ussi Ă mâembarquer dans son univers addictif. Alors, si vous aimez les rĂ©cits palpitants, Ă lâintrigue subtile mais retorse, les histoires qui bousculent, Ă©branlent vos croyances⊠Foncez, ce thriller est fait pour vous ! Vous passerez un excellent moment de lecture Ma note : Pour vous le procurer : Ăditions Taurnada AmazonRĂ©seaux sociaux : Twitter Facebook
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« Dernier message par Apogon le jeu. 28/09/2023 Ă 17:33 »
L'homme du parc de Marie Continanza Pour l'acheter : Amazon CHAPITRE 1 Mercredi 5 fĂ©vrier 2020 Il Ă©tait Ă peine dix heures trente lorsque le taxi sâarrĂȘta devant le grand portail mĂ©tallique noir dâune villa cabourgeaise du XIXe siĂšcle. Assise Ă lâarriĂšre, Camille laissa encore un instant son regard errer sur la bĂątisse, avant de tirer son portefeuille de son sac Ă main et de tendre un billet de vingt euros au chauffeur, en lui disant de garder la monnaie. Celui-ci la gratifia dâun « merci, madame » saupoudrĂ© dâun sourire. Ensuite, il descendit du vĂ©hicule, alla ouvrir le coffre, en sortit un bagage et le dĂ©posa sur le sol. Tout en le remerciant, Camille saisit la valise par la poignĂ©e et la traĂźna jusquâau portail. Son cĆur battait la chamade. Ses jambes Ă©taient aussi molles que de la guimauve. Ă prĂ©sent quâelle approchait du but, elle nâĂ©tait plus trĂšs sĂ»re dâavoir pris la bonne dĂ©cision. Elle arrivait Ă lâimproviste, alors quâils avaient convenu de laisser leur histoire derriĂšre eux et de ne plus avoir le moindre contact. Jamais. Comment allait-il rĂ©agir en la revoyant ? Sâen montrerait-il heureux ou, au contraire, serait-il contrariĂ© et lui claquerait-il la porte au nez ? Et que dirait-il, quand il apprendrait la raison de sa venue ? La croirait-il seulement ? Instinctivement, elle posa une main protectrice sur son ventre arrondi. Ă lâannonce de sa grossesse, Camille avait immĂ©diatement optĂ© pour lâavortement. Mais les quelques heures passĂ©es avec cet homme demeuraient indĂ©lĂ©biles dans sa mĂ©moire. Elles avaient Ă©tĂ© tellement intenses, tellement merveilleuses quâelle avait peu Ă peu changĂ© dâavis. Jamais elle ne sâĂ©tait sentie aussi vivante, aussi dĂ©sirable quâen faisant lâamour avec lui. Elle avait eu la sensation quâils formaient un tout indivisible. Cependant, aujourdâhui plus quâhier, elle ne parvenait pas Ă dĂ©finir les sentiments quâelle Ă©prouvait pour lui. Ătait-ce rĂ©ellement de lâamour, comme elle avait cru le ressentir quelques mois plus tĂŽt, ou simplement de lâaffection, conjuguĂ©e Ă une forte attirance ? Tout sâembrouillait dans sa tĂȘte. Ce dont elle Ă©tait certaine, en revanche, câĂ©tait quâil Ă©tait diffĂ©rent de tous ceux quâelle avait connus. Il dĂ©gageait quelque chose dâindĂ©finissable, dâindescriptible, qui la fascinait et lâĂ©mouvait Ă la fois. Quelque chose qui la pĂ©nĂ©trait au plus profond de son Ăąme. Se dĂ©barrasser de cet enfant, cela aurait Ă©tĂ© comme lâeffacer, lui, et cette extraordinaire journĂ©e de sa mĂ©moire. Or, elle ne se sentait pas prĂȘte Ă oublier ce vĂ©cu, aussi bref fĂ»t-il. Non, jamais elle ne pourrait se rĂ©signer Ă enterrer cet Ă©pisode de sa vie ! Quand la rĂ©alitĂ© avait repris ses droits, des questions lâavaient hantĂ©e. Que devait-elle faire ? Ă qui fallait-il obĂ©ir : Ă la voix de la conscience ou Ă celle du cĆur ? La premiĂšre lui ordonnait de lâinformer de sa paternitĂ©, la seconde lui dictait de se taire. La dĂ©cision Ă©tait dâautant plus difficile Ă prendre quâelle connaissait le passĂ© de cet homme et que lui rĂ©vĂ©ler la vĂ©ritĂ© risquait de lui faire beaucoup de mal. Mais si elle gardait le secret, câĂ©tait elle qui souffrirait, rongĂ©e par les affres de la culpabilitĂ© jusquâĂ la fin de ses jours. Que faire ? AprĂšs en avoir longuement dĂ©battu avec elle-mĂȘme, elle Ă©tait arrivĂ©e Ă la conclusion quâelle devait suivre la voix de sa conscience, quelles quâen soient les consĂ©quences. Bien Ă©videmment, elle ne lui imposerait rien. Ce bĂ©bĂ©, il serait libre de lâaccepter ou de le rejeter. Si tel Ă©tait le cas, elle sâen irait sans nourrir la moindre rancĆur envers lui, et plus jamais il nâentendrait parler dâelle ni de lâenfant. Elle resserra son Ă©charpe autour du cou, prit une profonde respiration et avança une main hĂ©sitante vers lâinterphone. Une fois quâelle aurait sonnĂ©, il nây aurait plus de retour possible. CHAPITRE 2 Sept mois plus tĂŽt, samedi 6 juillet 2019 Quand Camille eut fini de suspendre tous ses vĂȘtements sur des cintres, elle referma la porte de lâarmoire blanc et bleu â qui nâĂ©tait pas sans rappeler les couleurs du bord de mer â, prit la valise et la glissa sous le lit. Il ne restait plus que les produits de toilette Ă ranger. Elle sâempara de son vanity, bourrĂ© Ă craquer, et se rendit dans la salle de bains. Du regard, elle mesura une nouvelle fois lâespace, et un soupir de dĂ©convenue franchit ses lĂšvres. La piĂšce Ă©tait vraiment minuscule, comparĂ©e Ă celle de son appartement. Heureusement quâelle contenait un meuble Ă tiroirs supportant la vasque et quelques rayonnages Ă moitiĂ© vides, autrement la cohabitation aurait relevĂ© du parcours du combattant. ââVerriez-vous un inconvĂ©nient Ă ce que je prenne les deux Ă©tagĂšres du haut ? lança-t-elle dâune voix forte. ââPrends celles que tu veux ! lui retourna Laura depuis la salle de sĂ©jour, sur la mĂȘme tonalitĂ©. Parfait ! Aussi mĂ©ticuleusement et harmonieusement que si elle dĂ©corait la vitrine dâune parfumerie, Camille disposa tous les flacons, pots, tubes, cotons et autres produits de lâindispensable fĂ©minin dont elle ne se sĂ©parait jamais. Quand tout fut en place, elle recula de deux pas pour juger du rĂ©sultat et sourit, satisfaite. Finalement, JĂ©rĂ©my et Laura avaient raison. Elle serait bien ici. Lâappartement Ă©tait petit, certes, mais parfaitement agencĂ©. De plus, comme ils lui avaient proposĂ© de sâinstaller dans la chambre, elle Ă©tait assurĂ©e de pouvoir sâisoler aussi souvent quâelle le souhaiterait. Elle alla ranger le vanity dans le bas de lâarmoire avant de gagner la salle de sĂ©jour oĂč le couple sâaffairait ; lâun Ă transformer le clic-clac en lit, et lâautre Ă accrocher les vĂȘtements dans le placard. ââQue fait-on aprĂšs ? sâenquit Camille. ââOn va se baigner, non ? rĂ©pondit Laura dâun ton mi-interrogateur, mi-affirmatif, tout en jetant par-dessus son Ă©paule un regard Ă son compagnon qui se dĂ©battait avec la housse de couette. ââSi vous voulez, rĂ©torqua celui-ci sans lever le nez de sa tĂąche. Toutefois, permettez-moi de vous rappeler, mesdames, que le frigo est vide⊠ââOn le remplira demain, lâinterrompit Laura. Aujourdâhui, câest journĂ©e resto, faut-il te le rappeler ? Pour la jeune femme, câĂ©tait une tradition. Le premier jour des vacances, elle se refusait Ă toute besogne mĂ©nagĂšre, hormis celle de dĂ©faire les valises. Une façon comme une autre de commencer le repos estival et de se sentir enfin hors de la routine. Camille, quant Ă elle, avait seulement besoin de refermer la porte de son appartement pour rompre avec la monotonie du quotidien et pour apprĂ©cier le moindre instant de cette courte vie de farniente Ă sa juste valeur. LibĂ©rĂ©e⊠dĂ©livrĂ©e⊠je ne suis plus du tout stressĂ©e⊠Chacun son truc ! Comme Ă son habitude, JĂ©rĂ©my ne releva pas. Lorsque Laura avait dĂ©cidĂ©, il nây avait rien Ă ajouter. Ce comportement avait toujours exaspĂ©rĂ© Camille. Que ce soit pour une femme ou bien pour un homme, elle supportait difficilement cet Ă©tat de docilitĂ©, de rĂ©signation, ou mĂȘme de servitude conjugale. Et JĂ©rĂ©my Ă©tait incontestablement le plus beau spĂ©cimen de soumission quâelle ait jamais connu. Sans doute le pauvre garçon ne faisait-il quâappliquer, seul, le conseil que lâon peut lire dans tous les guides pratiques de la vie sentimentale : « Un couple ne peut durer que si lâun et lâautre sont prĂȘts Ă faire des concessions » ? Selon les auteurs, cette phrase magique permettrait Ă lâamour de surmonter les obstacles. Peut-ĂȘtre Ă©tait-ce vrai, peut-ĂȘtre pas. Quoi quâil en soit, Camille dĂ©finissait lâamour comme Ă©tant le ressenti dâune puissante Ă©motion dĂ©clenchĂ©e par le cĆur, et non comme une question dâapprentissage. Ses diffĂ©rentes expĂ©riences lâen avaient dâautant plus convaincue : des compromis, elle en avait fait, et pas quâun peu. RĂ©sultat, elle Ă©tait encore et toujours cĂ©libataire. Aussi sâĂ©tait-elle persuadĂ©e que la longĂ©vitĂ© dâun couple relevait plutĂŽt du destin que dâun guide pratique. Si deux ĂȘtres nâĂ©taient pas prĂ©destinĂ©s lâun Ă lâautre, rien ne pourrait consolider les bases dâun amour mutuel. CâĂ©tait lĂ la seule explication plausible Ă ses nombreux Ă©checs. Aucun de ceux avec lesquels elle avait tentĂ© une relation nâĂ©tait lâhomme de sa destinĂ©e. VoilĂ ! tout Ă©tait dit ! Inutile de faire lâabnĂ©gation de sa personnalitĂ© pour Ă©viter les conflits. Lâamour, câest de savoir accepter de perdre ou de gagner face Ă lâautre, et non de sâabaisser pour quâil remporte la victoire. En dĂ©pit de cette conviction, cependant, elle nâavait pu sâempĂȘcher de se forger un idĂ©al masculin, quâelle conservait secrĂštement, prĂ©cieusement, dans un coin de son esprit, tel un portrait-robot. Mais au-delĂ dâune attirance physique, il devait possĂ©der certaines qualitĂ©s indispensables Ă son bien-ĂȘtre psychologique. Des qualitĂ©s dont la liste sâallongeait au fil des rencontres. Son idĂ©al devait donc ĂȘtre fiable, fidĂšle, tendre, attentionnĂ©, responsable et aimant. Un homme banal, finalement, celui-lĂ mĂȘme que toute femme est amenĂ©e Ă croiser quotidiennement Ă la boulangerie ou au supermarchĂ©. Lâennui, pour Camille, câest quâelle avait beau aller chercher son pain et faire ses courses, jamais encore elle nâĂ©tait tombĂ©e nez Ă nez avec le bellĂątre de ses rĂȘves. NĂ©anmoins, elle gardait lâespoir de le voir surgir un jour ou lâautre, aussi majestueux quâun prince charmant sur son splendide destrier blanc. Et ce jour-lĂ , ses yeux brilleraient de millions dâĂ©toiles, son ventre palpiterait comme une volĂ©e de papillons emprisonnĂ©s dans une cage, ses joues seraient aussi rouges quâune pivoine, ses jambes flĂ©chiraient, et pas un mot ne pourrait franchir ses lĂšvres. En attendant ce jour bĂ©ni, les annĂ©es dĂ©filaient. Dans quelques semaines, le 16 septembre prochain, elle soufflerait ses vingt-neuf bougies. Eh oui ! dĂ©jĂ vingt-neuf ans et pas dâhomme, ni dâenfant. De quoi devenir insomniaque, nuit de pleine lune ou non. Pour lâheure, cependant, Camille avait en tĂȘte une autre prĂ©occupation : sa prĂ©sence dans cette station balnĂ©aire de Normandie, chĂšre Ă Laura et Ă JĂ©rĂ©my ; Cabourg. Un petit coin sympa oĂč sa solitude sentimentale devait prendre fin, aux dires de ses amis. Ces derniers sâĂ©taient montrĂ©s si persuasifs quâelle avait fini par y croire, elle aussi. Câest pourquoi elle avait dĂ©rogĂ© Ă ses habitudes en acceptant de passer ses vacances dans le Nord-Ouest plutĂŽt que dans le sud. Que ne ferait-on pas pour une bonne cause ? Toutefois, elle avait dĂ©cidĂ© que cette rencontre nâaurait pas lieu avant dâavoir mis tous les atouts de son cĂŽtĂ©. Certes, son corps avait dĂ©jĂ retrouvĂ© une ligne presque parfaite grĂące au sport, mais son teint Ă©tait, Ă son goĂ»t, encore bien trop blanc, malgrĂ© les quelques sĂ©ances dâUV auxquelles elle sâĂ©tait astreinte non sans rĂ©ticence, prĂ©fĂ©rant de loin la chaleur du soleil Ă celle des lampes. Par consĂ©quent, nâayant dâautre souci en tĂȘte que de poursuivre son hĂąle, elle approuva, pour une fois, lâautoritĂ© de Laura. ââJe vais mettre mon maillot ! annonça-t-elle joyeusement en tournant les talons. De toute la collection quâelle avait enfouie dans sa valise, un seul Ă©mergeait du lot : un deux-piĂšces rouge carmin. CâĂ©tait sa derniĂšre acquisition et aussi celui qui lui allait le mieux, du moins pour le moment. Sa petite poitrine Ă©tait mise en valeur par un soutien-gorge Ă balconnet, et ses hanches Ă moitiĂ© dĂ©nudĂ©es par un slip brĂ©silien nâen paraissaient que plus affinĂ©es. Elle contempla son reflet dans le miroir. ââWouah ! un vrai corps de dĂ©esse ! Sâils ne tombent pas comme des mouches avec ça, alors je ne mâappelle plus Camille. Pourquoi « ils » ? NâĂ©tait-elle pas lĂ uniquement pour un « il » ? Avec ou sans « s », quelle importance, dĂšs lâinstant quâelle attirait le regard ? Elle tira ses cheveux en arriĂšre et examina son visage Ă la recherche dâune nouvelle ride. Elle avait toujours paru plus jeune que son Ăąge. Ses traits Ă©taient joliment dessinĂ©s ; deux billes noisette, un petit nez court et des lĂšvres aux coins relevĂ©s qui lui donnaient un air coquin. Elle nâĂ©tait pas du genre top model, surtout par sa taille, tout juste le mĂštre soixante, nĂ©anmoins elle appartenait Ă la catĂ©gorie des femmes agrĂ©ables Ă regarder, celles qui retiennent lâattention. Elle relĂącha ses longs cheveux chĂątains, les secoua pour leur donner du volume et compara. Sans conteste, elle se trouvait beaucoup plus belle ainsi. Une VĂ©nus sortant de lâeau ! ââJe suis prĂȘte ! chantonna-t-elle, tandis quâelle enfilait un short en jean et un tee-shirt rose par-dessus son maillot de bain. Laura, en revanche, ne lâĂ©tait pas. Comme dâhab ! maugrĂ©a Camille in petto. Le temps Ă©tait depuis lâenfance leur seul sujet de discorde. Ă croire quâil ne sâĂ©coulait pas de la mĂȘme façon pour lâune et pour lâautre. Quand, chez elle, la minute valait soixante secondes, chez Laura, elle atteignait parfois cent vingt. Et cependant, elles avaient toutes les deux frĂ©quentĂ© les mĂȘmes Ă©tablissements scolaires, avaient eu les mĂȘmes professeurs. Comme quoi, tout est une question dâapprĂ©ciation⊠Cessant de se lamenter, Camille mit Ă profit cette attente forcĂ©e pour fignoler son apparence. Un peu de couleur lui ferait du bien. Elle teignit ses cils dâune mince couche de mascara waterproof et raviva ses lĂšvres dâun rouge brillant. Des cinq minutes annoncĂ©es par son amie, Camille dut patienter un bon quart dâheure avant quâelle ne soit enfin prĂȘte. Fort heureusement pour elle, la plage nâĂ©tait quâĂ une soixantaine de mĂštres de lâappartement, autrement, elle aurait eu droit Ă un nouveau rappel temporel. ââLâavantage de cette ville, câest ça, fit remarquer Laura alors quâelles avançaient dâun pas rapide en dĂ©pit de la courte distance Ă parcourir. Franchement, tu ne trouves pas que câest agrĂ©able de nâavoir pas Ă se soucier de son voisin ? Dâun large geste de la main, elle dĂ©signa lâimmense Ă©tendue ocre, Ă©trangement dĂ©serte en ce milieu dâaprĂšs-midi. Camille acquiesça en souriant. En effet, comment ne pas apprĂ©cier une telle vision lorsque la plupart des plages du Sud sont prises dâassaut par des milliers de badauds collĂ©s les uns aux autres ? Ici, au moins, elle nâaurait aucun mal Ă dĂ©limiter ni Ă faire respecter son espace vital. ââHummm ! que câest bon ! sâexclama-t-elle aprĂšs avoir retirĂ© ses tongs. ââQuoi ? ââLe sable ! Jâadore marcher pieds nus dans le sable. Ăa me procure une sensation dĂ©licieuse, presque Ă©rotique. Tu as dĂ©jĂ fait lâamour sur la plage ? Laura la dĂ©visagea, les yeux Ă©carquillĂ©s. ââParce que toi, tu lâas fait ? ââPas encore, rĂ©pondit Camille dâun air coquin. Mais je compte bien essayer un jour. Il semblerait que le contact du sable, le roulement de la mer et la crainte dâĂȘtre surpris dĂ©cuplent le plaisir. ââJe veux bien le croire. Mais dâun point de vue hygiĂ©nique et lĂ©gal, tu risques de choper une infection et dâaller en prison. Bonjour le plaisir, aprĂšs ça. ââTu as raison, je lâavoue. Pour autant⊠ââ⊠cela ne tâempĂȘchera pas de le faire, acheva Laura. Camille Ă©clata de rire. ââComment as-tu devinĂ© ? ââJe te connais, ma biche. Quand tu as une idĂ©e derriĂšre la tĂȘte, personne ne peut tâen dĂ©tourner. ââĂa fait partie de mon charme. Quelques pas plus loin, elles trouvĂšrent lâendroit parfait pour Ă©tendre leurs serviettes. Elles se dĂ©vĂȘtirent, pliĂšrent soigneusement leurs vĂȘtements et les rangĂšrent dans leurs sacs de plage respectifs. Une fois enduite de crĂšme solaire, Camille sâallongea, au grand Ă©tonnement de Laura. ââTu ne viens pas te baigner ? ââPas dans lâimmĂ©diat. Je dois me prĂ©parer mentalement Ă affronter la tempĂ©rature de la Manche. Le rire de Laura fusa, haut et clair. ââAlors, prĂ©pare-toi bien, car, Ă moins dâune soudaine Ă©ruption volcanique sous-marine, elle ne risque pas de se rĂ©chauffer de sitĂŽt ! Sur ce, elle pivota et se mit Ă courir vers la mer. Camille la regarda sâĂ©loigner. Ă cet instant prĂ©cis, un brin de jalousie lâenvahit. Laura avait non seulement cinq centimĂštres de plus, ce qui en soi Ă©tait peu de chose, mais elle avait Ă©galement une silhouette Ă faire pĂąlir une Miss Univers. Et cela, sans rĂ©gime aucun. Elle pouvait manger en abondance ce quâelle souhaitait sans jamais prendre un gramme. Tandis que Camille, rien quâĂ la vue dâune part de gĂąteau, prenait du ventre et des cuisses. Que la vie est mal faite ! Soupirant, elle ajusta ses lunettes de soleil et inspecta la plage du regard. Câest alors quâelle remarqua, Ă sa gauche, Ă quelques mĂštres dâelle, un homme qui la fixait avec insistance. Il devait avoir trente ou trente-cinq ans, un physique avantageux, un corps hĂąlĂ© et un sourire Ă faire fondre un bloc de glace. Bien quâil ne puisse discerner ses yeux derriĂšre les verres fumĂ©s, Camille se sentit rougir comme une gamine et dĂ©tourna aussitĂŽt la tĂȘte. Mais ce bref contact visuel avait suffi Ă mettre ses sens en Ă©bullition. Il est seul⊠je suis seule⊠peut-ĂȘtre que⊠Pour le sĂ©duire encore davantage, elle sâappuya sur ses coudes, prit une pose lascive digne dâune star sous les flashs des paparazzi, ferma les paupiĂšres et sâabandonna Ă la chaude caresse du soleil dâĂ©tĂ©. Plusieurs minutes sâĂ©coulĂšrent. Quâattendait-il donc pour lâaborder ? Ă moins dâĂȘtre emportĂ©e par une vague, Laura Ă©tait susceptible de revenir dâun moment Ă lâautre. Soudain, un doute lâassaillit. Ătait-ce vraiment elle quâil avait regardĂ©e avec son sourire enjĂŽleur ? Elle nâeut pas le temps de pousser plus loin sa rĂ©flexion. Une voix masculine grave et sensuelle rĂ©sonna tout prĂšs dâelle : ââMâaccorderez-vous une petite place Ă vos cĂŽtĂ©s ? Le cĆur de Camille fit un bond dans sa poitrine. Elle se redressa sur son sĂ©ant, comme mue par un ressort, et fut accueillie de plein fouet par le rire de JĂ©rĂ©my. Puis celui-ci se pencha vers elle, emprisonna son visage entre ses mains et lâembrassa affectueusement sur la joue. Elle le repoussa en le traitant dâidiot. Merde ! il va croire que je suis en couple. Instinctivement, elle tourna la tĂȘte vers lâinconnu, mais ne vit personne. Lâhomme sâĂ©tait volatilisĂ©, Ă©vaporĂ©, tel un mirage. Tant pis ! Elle ĂŽta ses lunettes, les glissa dans lâĂ©tui et se leva. ââLe dernier dans lâeau paiera le resto, lança-t-elle Ă JĂ©rĂ©my avant de partir en courant vers la mer. ââTricheuse ! lui cria-t-il. CHAPITRE 3 Dimanche 7 juillet 2019 Le jour commençait Ă poindre lorsque le rĂ©veil Ă©mit une sĂ©rie de bips. Bien quâil fĂ»t rĂ©veillĂ© depuis prĂšs dâune demi-heure, Jacques resta encore un moment allongĂ©, les bras croisĂ©s sous la nuque, les yeux fermĂ©s, perdu dans ses souvenirs, avant de se dĂ©cider Ă lâĂ©teindre. Il descendit du lit avec une aisance qui le surprit. Ce matin, bizarrement, toutes ses vieilles douleurs articulaires semblaient avoir disparu. La nuit lui aurait-elle offert une seconde jeunesse ? Lâavait-elle transportĂ© Ă lâĂ©poque de ses vingt ans ? Lâimpensable, lâirrĂ©alisable, peut devenir rĂ©alitĂ©. Pour Jacques, cette phrase nâĂ©tait pas quâune formule, elle Ă©tait le reflet dâune vĂ©ritĂ© dont il avait Ă©tĂ© tĂ©moin, et Ă laquelle il nâavait cessĂ© de se raccrocher. Mais un regard jetĂ© dans le miroir de la penderie le fit dĂ©chanter : son visage, encadrĂ© de cheveux blancs, coupĂ©s trĂšs court, portait encore et toujours les stigmates du temps. Quâimporte le physique ! Quâil en ait vingt ou bien soixante-quinze, il Ă©tait le mĂȘme homme. Le mĂȘme Jacques qui avait vĂ©cu une aventure extraordinaire, tellement extraordinaire quâelle avait changĂ© radicalement le cours de son existence. Une aventure que bon nombre de personnes lui envieraient. Dâun pas alerte, il sortit de la chambre, remonta le couloir et pĂ©nĂ©tra dans son bureau. Au-dessus de sa table de travail, un grand calendrier Ă©tait accrochĂ© au mur. La date du 7 juillet 2019 Ă©tait entourĂ©e au feutre rouge et accompagnĂ©e dâun « C » majuscule, Ă©galement au feutre rouge. Tel un visiteur admirant un tableau dans un musĂ©e, Jacques se planta devant ce rectangle de carton. Son visage rayonnait de joie. CâĂ©tait le jour J. Le jour quâil attendait depuis une Ă©ternitĂ©. Il tendit la main vers le calendrier et, de son index, il suivit le contour de la lettre, laissant un instant ses pensĂ©es dĂ©river vers de lointains souvenirs, avant de les ramener sur la tĂąche quâil devait accomplir. Allez, mon vieux Jacques, il est temps de songer Ă ta mission ! GalvanisĂ© par cette idĂ©e, il quitta ce lieu sacrĂ©, oĂč seule la femme de mĂ©nage Ă©tait autorisĂ©e Ă entrer, et se rendit dans la salle de bains. Aujourdâhui, une attention toute particuliĂšre serait portĂ©e Ă son apparence. Aujourdâhui, la perfection serait de mise jusquâau bout des ongles. Deux heures plus tard, il Ă©tait fin prĂȘt. VĂȘtu dâun costume gris clair sur une chemise blanche, agrĂ©mentĂ©e dâune cravate bleu marine, et parfumĂ© dâune fragrance discrĂšte, dĂ©gageant des arĂŽmes Ă©picĂ©s, il Ă©tait dâune Ă©lĂ©gance impeccable. Il vĂ©rifia une derniĂšre fois son reflet dans le lourd miroir dorĂ© accrochĂ© au-dessus de la cheminĂ©e de la salle de sĂ©jour, puis alla prendre le sac isotherme posĂ© sur la table de la cuisine, sâempara de sa canne dont il glissa la laniĂšre Ă son poignet gauche, et sortit de la maison. Il y avait longtemps que la vie ne lui avait paru aussi douce, aussi belle, aussi merveilleuse et aussi riche de promesses. Du regard, il balaya le jardin. La vĂ©gĂ©tation resplendissait de couleurs et dâodeurs sous les rayons du soleil matinier. Tout semblait sâaccorder pour lui procurer une sĂ©rĂ©nitĂ© sans pareille. MĂȘme le ciel sâĂ©tait parĂ© dâun bleu pur et sans nuages. Il Ă©tait tellement heureux quâil avait envie de le clamer Ă lâunivers entier. Sa patience allait ĂȘtre bientĂŽt rĂ©compensĂ©e. AprĂšs avoir fermĂ© le portillon Ă clef et mis le trousseau dans sa poche, il laissa derriĂšre lui lâavenue de la Paix, sâengagea dans lâavenue de la RĂ©publique et, enfin, tourna Ă gauche sur lâavenue de la Mer, encore vierge de toute prĂ©sence touristique Ă cette heure matinale. Mais dĂ©jĂ , les magasins commençaient Ă ouvrir et les garçons de cafĂ© Ă installer des tables et des chaises en terrasse. Saluant les uns, Ă©changeant quelques mots avec les autres, Jacques sâachemina tranquillement vers le Jardin du Casino. LĂ , il alla sâasseoir sur le banc prĂšs du pavillon Charles-Bertrand, posa son sac isotherme et sa canne Ă cĂŽtĂ© de lui, puis, de la poche intĂ©rieure de sa veste, il sortit une vieille photo en couleurs, quâil avait fait plastifier, et se mit Ă la caresser du bout des doigts, lâesprit noyĂ© de souvenirs. Tout Ă©tait encore si vivant dans sa mĂ©moire, si prĂ©sent, quâil avait lâimpression que câĂ©tait hier.
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« Dernier message par Apogon le jeu. 14/09/2023 Ă 17:39 »
Quel auteur Ă la noix es-tu ? de Sophie Lim Pour l'acheter : Amazon Librinova Ce livre est disponible partout, y compris sur mobile et en librairie (sur commande) Le spammeur « Plus tu oppresses, moins les acheteurs et les lecteurs potentiels sâempressent. » Sur les rĂ©seaux sociaux, le spammeur est connu comme le loup blanc. Dâailleurs, plusieurs auteurs ont eu Ă sâen plaindre au moins une fois. Et pour cause, le spammeur passe volontiers pour un Ă©gocentrique. Il agit selon ses besoins et ses envies, au mĂ©pris de ceux des autres. Sans pour autant tomber dans les gĂ©nĂ©ralitĂ©s, je dirais, dâaprĂšs mes constatations, que le spammeur type a la cinquantaine bien tassĂ©e. Cela dit, vous pouvez aussi tomber sur un spammeur ĂągĂ© dâune vingtaine dâannĂ©es. Jeune ou moins jeune, comment opĂšre-t-il ? Il peut sâinviter dans vos messages privĂ©s et se lancer dans un monologue, au cours duquel il vous enverra le lien dâachat⊠de son livre. Certains spammeurs ne daigneront mĂȘme pas vous adresser un « bonjour ». Ă quoi bon retenir les rĂšgles Ă©lĂ©mentaires de la biensĂ©ance, quand on peut se contenter dâĂȘtre tout simplement⊠élĂ©mentaire ? Par « Ă©lĂ©mentaire », comprenez « droit au but », comme le footballeur Kylian MbappĂ©. Si vous pensez que le spammeur cesse ses sollicitations lorsquâil nâĂ©crit pas, vous vous fourvoyez. Eh oui, Ă partir du moment oĂč vous avez acceptĂ© de le suivre sur les rĂ©seaux sociaux, il sâestime en droit de vous inviter Ă suivre sa page Facebook. Il va de soi quâil nâa aucunement lâintention de suivre la vĂŽtre en retour, Ă moins que vous ne serviez ses desseins livresques. Certains spammeurs peuvent Ă©galement vous envoyer leur dernier post Instagram ou leurs vidĂ©os TikTok, toujours en omettant le fameux « bonjour ». Votre messagerie est devenue leur espace publicitaire. Face Ă votre mĂ©contentement, ils peuvent se montrer agressifs ou de mauvaise foi. Lâun dâeux mâavait un jour envoyĂ© le lien de sa derniĂšre publication Instagram. Quand je lui avais fait savoir que je nâapprĂ©ciais pas son initiative, jâai reçu une leçon de morale sur lâimportance des Ă©changes entre auteurs. Une autre fois, une autrice que je ne connaissais pas mâavait mentionnĂ©e dans un tweet, pour essayer de me vendre son livre jeunesse. Peu aprĂšs lâavoir Ă©conduite, jâai rĂ©coltĂ© des commentaires dĂ©sagrĂ©ables de sa part. Lâautrice, qui sâĂ©tait soudainement dĂ©couvert une Ăąme de psychiatre, avait mĂȘme posĂ© un diagnostic sur ma santĂ© mentale, pour un simple refus. PlutĂŽt que de perdre mon temps Ă rĂ©torquer, jâai prĂ©fĂ©rĂ© bloquer lâautrice qui menaçait ma tranquillitĂ© dâesprit. Je me suis aperçue, rĂ©cemment, quâune autre pratique avait vu le jour parmi les spammeurs ayant rejoint un groupe Facebook. Les spammeurs sont connus pour leur facultĂ© Ă polluer les groupes Facebook, avec leurs livres, mais avez-vous entendu parler du up ? En quoi consiste-t-il ? « Faire un up » revient Ă Ă©crire le mot up dans les commentaires de la publication. Le post, jusque-là « noyĂ© dans la masse », remonte « Ă la surface ». Le up lui donne alors une nouvelle visibilitĂ©. Si, de temps Ă autre, le up peut se rĂ©vĂ©ler stratĂ©gique, je vous dĂ©conseille de lâutiliser trop souvent. Vous irriteriez les administrateurs des groupes Facebook, qui pourraient, Ă terme, vous bannir. Par ailleurs, le up abusif est considĂ©rĂ© comme impoli. Enfin, parmi les spammeurs, jâai pu relever quelques poĂštes Instagram. Lâan passĂ©, une jeune femme sâĂ©tait abonnĂ©e Ă mon compte. Comme certains de mes contacts la suivaient, jâavais dĂ©cidĂ© dâen faire autant. Quelques minutes plus tard, un poĂšme mâavait Ă©tĂ© transmis. Il sâagissait dâune ode Ă sa mĂšre, envoyĂ©e de façon abrupte, sans mĂȘme un « bonjour ». Nâayant pas apprĂ©ciĂ©, jâai simplement rĂ©pondu Ă la poĂ©tesse : « Ma mĂšre est morte » â ce qui est vrai â avant de me dĂ©sabonner dans la foulĂ©e. Si vous tombez sur un spammeur, coupez court Ă la discussion ou au monologue, pour votre salut. La plupart des spammeurs ne comprendront pas pourquoi vous vous Ă©gosillez aprĂšs eux.â Le vendeur Ă la criĂ©e « Avant de vouloir Ă©couler tes livres, travaille ta communication pour ne pas couler ton public. » Plus inoffensif et moins intrusif que le spammeur, le vendeur Ă la criĂ©e multiplie les publications similaires autour de son livre, dâune maniĂšre que je juge contestable. La parcimonie, il ne connaĂźt pas. Il publie les mĂȘmes photos, Ă intervalles rapprochĂ©s, et serine les mĂȘmes phrases ; tel un disque rayĂ©. Ne dĂ©tenant aucune compĂ©tence en marketing ou en communication, ni mĂȘme en community management, je ne mâĂ©rige pas en « professionnelle des rĂ©seaux sociaux ». Je parviens, en revanche, Ă dĂ©celer les publications un peu trop redondantes Ă mon goĂ»t. Au-delĂ de son cĂŽtĂ© rĂ©pĂ©titif, le vendeur Ă la criĂ©e se montre maladroit dans son approche, avec des phrases formulĂ©es de la façon suivante : « Quâattendez-vous pour acheter mon roman ? » ; « Si vous ne savez pas quoi lire, vous pouvez toujours acheter mon ouvrage. » Dans le premier cas, je me sens secouĂ©e Ă la maniĂšre dâun shaker, voire lĂ©gĂšrement agressĂ©e ; dans le second, jâai envie de rĂ©pondre que je sais toujours quoi lire, et quâil existe plus de livres sur le marchĂ© que dâauteurs encore en vie. Les lecteurs ont donc lâembarras du choix. Si les posts du vendeur Ă la criĂ©e peuvent gĂ©nĂ©rer des ventes, de mon cĂŽtĂ©, je fuis Ă toutes jambes. Vous souvenez-vous de la comptine du Petit Bossu ? Quand le vendeur Ă la criĂ©e sâexprime, il mâarrive dây songer et de me remĂ©morer la dĂ©finition du mot « politesse ». Jâai relevĂ© un autre travers chez le vendeur Ă la criĂ©e : il se montre Ă©goĂŻste, voire Ă©gocentrique. Sâil peut vous remercier, par simple courtoisie, dâavoir partagĂ© lâune de ses publications sur les rĂ©seaux sociaux, il partagera rarement les vĂŽtres et ne vous likera quasiment jamais, Ă moins quâil ne sâennuie aux toilettes. Lorsquâil sâaperçoit que ses posts nâont pas lâeffet escomptĂ©, il peut les partager une nouvelle fois, avec un commentaire destinĂ© à « rĂ©veiller la foule ». Il mâest dĂ©jĂ arrivĂ© de partager, pour la seconde fois, une publication que je jugeais invisible. Mais Ă la diffĂ©rence du vendeur Ă la criĂ©e, je procĂ©dais de cette maniĂšre en de rares occasions. Contrairement au spammeur, le vendeur Ă la criĂ©e vous semblera plus facile Ă ignorer.â Le twitto professionnel « Avec le temps que tu passes Ă composer des tweets, tu pourrais Ă©crire un roman. Les rĂ©seaux sociaux doivent servir ta visibilitĂ©, mais ta visibilitĂ© nâa pas vocation Ă servir les rĂ©seaux sociaux. » Connaissez-vous des auteurs qui passent plus de temps sur les rĂ©seaux sociaux que sur leurs romans ? Moi, oui. Il suffit de me dĂ©signer du doigt ou de me hĂ©ler dans la rue. AprĂšs la sortie de mon premier roman, en aoĂ»t 2019, jâavais appris Ă me familiariser avec lâunivers de Twitter. Jâavais pourtant dĂ©couvert la plateforme il y a quelques annĂ©es, mais je nâĂ©tais pas trĂšs active. MalgrĂ© ma capacitĂ© Ă Ă©crire beaucoup et mon imagination, que certains qualifieraient de « dĂ©bordante » ou de « fertile », je nâavais pas su gĂ©rer mon temps sur les rĂ©seaux sociaux. En vĂ©ritĂ©, jâĂ©tais grisĂ©e par le monde de Twitter, et je cherchais Ă accroĂźtre ma visibilitĂ©, au dĂ©triment de lâessentiel : mes Ă©crits, qui constituent mon cĆur de mĂ©tier, puisque jâexerce aujourdâhui en tant quâautrice Ă plein temps. Bien entendu, je ne prends pas en compte mes prestations connexes, comme la bĂȘta-correction, les montages et les communiquĂ©s de presse. Passer trop de temps sur les rĂ©seaux sociaux constitue un travers contre lequel je mâefforce de lutter au quotidien, par la mise en place dâun planning numĂ©rique pouvant ĂȘtre soumis Ă des alĂ©as. Comme lâa Ă©voquĂ© MĂ©lanie Desforges, dans une vidĂ©o YouTube, sans les rĂ©seaux sociaux, tu nâes rien. JâadhĂšre Ă cette affirmation, car les rĂ©seaux sociaux servent la visibilitĂ© des auteurs. Le principal est de ne pas sây noyer. Je cite Twitter, parce que beaucoup dâauteurs y dĂ©tiennent un compte. Ă mes yeux, il existe deux catĂ©gories de twittos professionnels : celui qui tweete trop, ce qui retarde la sortie de son prochain ouvrage, et celui qui tweete sur ses objectifs en matiĂšre dâĂ©criture, sans jamais sortir un seul livre ; pas mĂȘme une nouvelle de cinquante pages. Jâappartiens, assurĂ©ment, Ă la premiĂšre catĂ©gorie. Pendant longtemps, jâai rivalisĂ© dâimagination pour divertir les gens sur les rĂ©seaux sociaux. Jâavais atteint mon objectif premier : gagner en visibilitĂ© afin que quelquâun dâautre, hormis mon ordinateur, lise ma romance. Il mâest arrivĂ© de culpabiliser, parce que jâavais laissĂ© les rĂ©seaux sociaux prendre le dessus sur mes objectifs. Quâen est-il du twitto professionnel de la seconde catĂ©gorie ? Il affirme rĂ©guliĂšrement quâil doit Ă©crire. Or, aucun de ses Ă©crits ne sort au grand jour ; pas mĂȘme sur Wattpad . Les personnes qui le suivent sur les rĂ©seaux sociaux doivent dâailleurs se demander sâil Ă©crit vraiment, ou sâil ne se contente pas de tenir un journal intime.â LâassistĂ© « Si tu sais utiliser Internet pour assaillir les autres auteurs de questions, tu sauras utiliser Internet pour trouver des rĂ©ponses. » MalgrĂ© sa prĂ©sence sur les rĂ©seaux sociaux, lâassistĂ© donne lâimpression de ne pas avoir accĂšs Ă lâinformation ou dâĂȘtre dĂ©connectĂ© du monde. Ses questions sont excessives, et il ressemble Ă un enfant quâil faut guider. La plupart du temps, les rĂ©ponses Ă ses questions se trouvent sur Internet, ou dans la vidĂ©o YouTube dâun auteur qui prodigue des conseils Ă ses pairs. Le comble, câest quâil suit cet auteur sur les rĂ©seaux sociaux. Je me suis toujours prononcĂ©e en faveur de lâentraide et des Ă©lans de solidaritĂ©, mais je condamne lâabus. En effet, « aider » ne signifie pas « mĂącher le travail ». Vous vous rappelez le numĂ©ro 12 ? Celui des renseignements ? Si vous lâavez oubliĂ©, lâassistĂ© vous rafraĂźchira la mĂ©moire en envahissant votre espace. Ses interrogations peuvent prendre deux formes : il peut les formuler en public, dans des groupes littĂ©raires spĂ©cialisĂ©s, ou il peut vous envoyer un message privĂ© pour que vous lâaiguilliez. Tout le monde se renseigne, me direz-vous ; y compris moi. Mais je ne mâadresse aux autres que lorsque jâai Ă©puisĂ© toutes mes ressources. LâassistĂ©, lui, recherche la facilitĂ© au dĂ©triment des autres. Il ne dĂ©ploie aucun effort pour trouver les rĂ©ponses par ses propres moyens, et il pose des questions qui ont dâores et dĂ©jĂ Ă©tĂ© maintes fois abordĂ©es par les personnes quâil suit sur les rĂ©seaux sociaux. La plupart des assistĂ©s auxquels jâai eu affaire sont des auteurs indĂ©pendants qui donnent lâimpression dâavoir publiĂ© un livre, sans avoir pris la peine de recueillir toutes les informations au prĂ©alable. Lâauteur assistĂ© peut notamment vous contacter pour vous demander comment publier la version numĂ©rique de son livre, sitĂŽt son brochĂ© sorti. Il peut Ă©galement revenir vers vous pour savoir comment publier son ouvrage ailleurs que sur Amazon, alors que le sujet a Ă©tĂ© Ă©voquĂ©, Ă de nombreuses reprises, sur les rĂ©seaux sociaux et sur les plateformes dâautoĂ©dition (AE), dont Amazon. Les questions peuvent aujourdâhui prĂȘter Ă sourire, mais sur le coup, elles laissent perplexe. Selon Maritza Jaillet, certains assistĂ©s la contactent, Ă plusieurs reprises, pour lui soumettre les mĂȘmes questions ; des questions auxquelles elle avait dĂ©jĂ rĂ©pondu.â Le rĂ©seauteur « Les likes sont comme les antibiotiques ; ils ne sont pas automatiques. » Avez-vous dĂ©jĂ remarquĂ© que certaines personnes vous suivaient sur les rĂ©seaux sociaux, sans jamais interagir avec vous ? Si vous mettez de cĂŽtĂ© les personnes peu actives, les faux comptes et les abonnĂ©s plus intĂ©ressĂ©s par votre photo de profil que par votre contenu, vous risquez de tomber sur des rĂ©seauteurs. Le rĂ©seauteur ne vous suit pas pour vos beaux yeux ni pour votre contenu. Vous nâavez aucun affect avec lui, et pourtant, il vous suit. Comme son nom lâindique, le rĂ©seauteur cherche Ă Ă©tendre son rĂ©seau. Si vous ĂȘtes un auteur, avec un minimum de visibilitĂ©, le rĂ©seauteur risque de sâabonner Ă votre compte. Vos likes et vos commentaires potentiels contribueront Ă le faire connaĂźtre en tant quâauteur. Eh oui, Ă lâheure actuelle, sans les rĂ©seaux sociaux, les livres se vendraient nettement moins bien. Contrairement au vendeur Ă la criĂ©e qui ne like jamais, le rĂ©seauteur like⊠si vous ĂȘtes assez proche de lui. Bien quâil recherche la notoriĂ©tĂ©, comme beaucoup en ce bas monde, le rĂ©seauteur ne noie pas nĂ©cessairement son auditoire sous un verbiage autour de ses livres. Il peut mĂȘme publier un contenu intĂ©ressant, voire instructif. NĂ©anmoins, il existe des rĂ©seauteurs dont les pratiques peuvent agacer. Parmi eux figure le primo-auteur rĂ©seauteur. Son premier livre vient de sortir, et il Ă©prouve le besoin de sâintĂ©grer Ă la communautĂ© littĂ©raire pour se faire connaĂźtre. Comment procĂšde-t-il ? Tant quâil nâest pas trĂšs suivi ni trĂšs connu Ă son goĂ»t, il vous likera et laissera des commentaires sous vos publications. Une fois son rĂ©pertoire rempli, vous nâexistez plus. Il peut mĂȘme se dĂ©sabonner de votre compte et analyser votre liste dâabonnĂ©s, en douce et avec soin. Il « piochera dedans » pour trouver de nouvelles personnes Ă suivre et se dĂ©sabonnera aussitĂŽt, si lesdites personnes ne lui procurent aucune satisfaction. Jâen ai fait lâexpĂ©rience avec un primo-auteur qui sâĂ©tait adressĂ© Ă moi pour les montages de son livre. Comme il abusait de la stratĂ©gie du follow / unfollow , avec dâautres auteurs que je connaissais, je mâen suis rapidement aperçue. Je condamne cette pratique, mais dans mon cas, je considĂšre que câĂ©tait un mal pour un bien. En effet, lâintĂ©ressĂ© endossait, en mĂȘme temps, les casquettes de rĂ©seauteur et de vendeur Ă la criĂ©e.â Le perfectionniste « Ă quoi bon douter, te relire et te corriger jusquâĂ tâen rendre malade ? Si la perfection nâest pas de ce monde, elle ne se trouve certainement pas dans les livres que tu Ă©cris. Ă force de vouloir trop bien faire, tu finis par mal faire. » Le perfectionnisme constitue une vĂ©ritable plaie Ă supporter au quotidien. Je peux en parler en connaissance de cause, puisque je fais partie des auteurs perfectionnistes. Or, mes ouvrages ne sont pas exempts de dĂ©fauts, Ă commencer par les coquilles que mon Ćil, pourtant aguerri, nâest pas parvenu Ă dĂ©celer. Certes, les personnes qui mâont lue mâont indiquĂ© quâelles Ă©taient peu nombreuses, mais la moindre erreur va mâirriter ; surtout si je suis directement concernĂ©e et sâil sâagit de quelque chose que jâaurais pu Ă©viter, dâune façon ou dâune autre. Syndrome de lâimposteur (ou de lâautodidacte) et perfectionnisme vont gĂ©nĂ©ralement de pair. Le perfectionniste cherche tellement « la petite bĂȘte » quâil doute en permanence. Il nâaime pas le travail bien fait, mais le travail parfait. Ăprouvant toutes les peines du monde Ă dĂ©lĂ©guer, il se dĂ©clare rarement satisfait. Pourquoi le perfectionniste agace-t-il autant ? Sâil perçoit aisĂ©ment les dĂ©fauts des autres, dites-vous que câest pire lorsquâil sâagit de sa propre personne. Il avance sur ses Ă©crits plus lentement que ses « collĂšgues auteurs », vu quâil passe son temps Ă se questionner : lors de la phase dâĂ©criture et au cours de ses multiples relectures. Les corrections de ses Ă©crits sâĂ©ternisent, et ses interminables modifications risquent de dĂ©naturer le contenu initial. Lorsque le perfectionniste se retrouve face Ă lui-mĂȘme, la plupart de ses phrases commencent de la mĂȘme façon : « Et si⊠» Or, comme le veut lâexpression, « avec des si, on mettrait Paris en bouteille. » Les efforts du perfectionniste se rĂ©vĂšlent-ils payants ? Dans le milieu du livre, pas toujours. La plupart des lecteurs prĂ©fĂ©reront une histoire qui les fera vibrer, Ă la qualitĂ© de la langue. Ils auront tendance Ă se procurer des ouvrages qui auront créé le buzz â mĂȘme si, parmi eux, certains sont mal Ă©crits â plutĂŽt que de se tourner vers un auteur « inconnu » qui sâexprimera correctement dans la langue de MoliĂšre. Enfin, le prix du livre et la couverture peuvent influer sur le choix du lecteur, sans compter que certains auteurs savent faire jouer leurs relations pour dĂ©clencher davantage de ventes. Je ne fais pas partie de ceux-lĂ , vu que jâai une sainte horreur de lâhypocrisie. On ne naĂźt pas perfectionniste ; on le devient. Avec des parents asiatiques autoritaires et peu enclins au pardon, mon sort de « perfectionniste en devenir » Ă©tait dĂ©jĂ scellĂ©. Il lâĂ©tait davantage lorsquâils ont dĂ©cidĂ© de mâinscrire dans une Ă©cole privĂ©e Ă©litiste, dans laquelle je devais me surpasser en permanence. Mes profs ne manquaient pas non plus de me le rappeler. Une phrase revenait souvent au sein de mon Ă©tablissement : « Si vous ne retenez pas ceci, vous irez bosser comme caissiĂšre ou vous finirez Ă©boueur. » Charmante perspective quand on aspire Ă autre chose, nâest-ce pas ? Alors que ne pas retenir une leçon, au sens scolaire du terme, ne condamne absolument pas votre vie. Jâai donc grandi avec le sentiment que je devais toujours en faire plus, dans chaque tĂąche que jâaccomplissais. Rien nâĂ©tait jamais suffisant ni assez bien. Ă force de vouloir trop en faire, on finit par mal faire. AprĂšs tout, ne dit-on pas que le mieux est lâennemi du bien ? Le compte Savoir du Monde, auquel je suis abonnĂ©e sur Twitter, a partagĂ© une citation que je trouve intĂ©ressante : « Trop rĂ©flĂ©chir pousse systĂ©matiquement le cerveau Ă faire une fixation sur toutes les choses nĂ©gatives. » Le perfectionniste gagnerait donc Ă lĂącher prise de temps Ă autre. En constatant quâil nâest pas si mal loti, il ne sâen porterait que mieux. Le compte Mindset, dont jâapprĂ©cie les pensĂ©es, a publiĂ© la phrase suivante : « Ătre perfectionniste et avoir des normes Ă©levĂ©es pour soi-mĂȘme peut rendre difficile la confiance en vos compĂ©tences, car vous visez constamment une perfection inaccessible. » Puisque je parle de perfectionnisme et de perfection, je ne peux quâadmettre la vĂ©racitĂ© de cette phrase, hĂ©las. Lorsque je me penche sur mes textes, seuls leurs dĂ©fauts me sautent aux yeux. Dâailleurs, personne ne peut se montrer plus critique envers moi que moi-mĂȘme : ni mes parents, avec leur Ă©ducation rigoriste, ni mes ex durant nos querelles. Quand des personnes que je corrige ou que je bĂȘta-corrige me disent : « Sophie, tâes drĂŽlement intransigeante ! », jâai envie de sourire. Elles nâimaginent pas Ă quel point ma duretĂ© est amplifiĂ©e lorsquâil sâagit de mes propres livres. Je retire nĂ©anmoins un avantage de mon perfectionnisme handicapant : celui de pouvoir anticiper les remarques dĂ©sagrĂ©ables de mes dĂ©tracteursâŠâ Le rebelle « Pour tâĂ©panouir dans ton art, tu dois dâabord apprendre les rĂšgles et les respecter. » Comme le suggĂšre son appellation, le rebelle reprĂ©sente lâexact opposĂ© du perfectionniste ; ce qui, en un sens, lui Ă©vite pas mal de nĆuds au cerveau et Ă lâestomac. Certaines personnes, Ă lâinstar de mon ex-compagnon, affirment que la mĂ©chancetĂ© conserve. Il en va de mĂȘme pour le je-mâen-foutisme du rebelle. Existe-t-il un profil type ? Oui, lâauteur autoĂ©ditĂ© ou indĂ©pendant. Si les lecteurs du rebelle nâapprĂ©cient pas sa prose truffĂ©e de coquilles, lui, semble bien le vivre. Bien quâil ne cherche pas Ă corriger son ouvrage, il nâabandonne pas pour autant sa promotion. Face aux fautes de français, certains rebelles prĂŽneront la libertĂ© dâexpression pour se dĂ©fendre. Ils dĂ©clareront que lâautoĂ©dition repose sur la possibilitĂ© de sâexprimer sans la moindre contrainte : « Si jâavais voulu me soumettre Ă des rĂšgles, jâaurais envoyĂ© mon manuscrit Ă une maison dâĂ©dition. » MĂȘme si je trouve cette rĂ©action dĂ©concertante, jâai dĂ» mây accoutumer, tout comme lâautrice Maritza Jaillet au moment des chroniques. Lâabsence de recherches peut Ă©galement devenir un sujet houleux, dĂšs lors que vous vous retrouvez confrontĂ© au rebelle. Il ne comprendra pas les incohĂ©rences relevĂ©es dans ses ouvrages ni les critiques que vous formulerez Ă son endroit : « Les recherches ? Pour quoi faire ? Mon roman, câest de la pure fiction ! » Il jugera donc normal que dix petits kilomĂštres sĂ©parent Paris de Los Angeles dans lâun de ses livres. Or, mĂȘme dans la fiction, certaines donnĂ©es doivent cadrer avec la rĂ©alitĂ©. Câest ce que rappelle MĂ©lanie Desforges dans son podcast Erreur n°17 : pas assez de recherches, que vous pouvez Ă©couter sur YouTube. Maritza Jaillet aborde Ă©galement ce thĂšme sur sa chaĂźne YouTube, TataNexua. Elle lâĂ©voque dans plusieurs vidĂ©os dont ArrĂȘtez avec vos put⊠dâerreurs ! et Les recherches #5. Le je-mâen-foutisme du rebelle ne sâarrĂȘte pas aux coquilles relevĂ©es ni aux « non-recherches ». Sinon, ce serait trop simple. Maritza et moi mettons rĂ©guliĂšrement en avant les auteurs, notamment sur YouTube. Les conditions que nous avons posĂ©es, pourtant simples Ă respecter, vont ĂȘtre enfreintes par le rebelle. Vous avez demandĂ© une premiĂšre de couverture ? Il vous fournira la maquette de son livre ou la capture dâĂ©cran de la page de rĂ©sultats Amazon, sur laquelle figure son ouvrage. Dans son message, vous sentez quâil manque les mots suivants : « DĂ©brouille-toi avec ce que je viens de tâenvoyer ; jâai mieux Ă faire. » Parfois, le rebelle prĂ©tendra quâil nâa que son brochĂ© ou que la maquette de son livre. Pourtant, lorsque jâeffectue une recherche sur Internet, je parviens, bizarrement, Ă mettre la main sur sa couverture ; et sur plusieurs sites. Ătonnant, non ? Lâesclavage ayant Ă©tĂ© aboli par Victor SchĆlcher, je refuse dĂ©sormais de « traiter » avec les auteurs rebelles.â Le gĂ©nie incompris « Une critique nĂ©gative peut ĂȘtre constructive, lorsquâelle Ă©mane de quelquâun de bienveillant qui sait choisir ses mots. » Imbu de lui-mĂȘme, le gĂ©nie incompris se manifeste aprĂšs le retour dâune chronique sur lâun de ses ouvrages. Vous nâavez pas apprĂ©ciĂ© ce quâil a Ă©crit ? Vous trouvez quâun paragraphe pourrait ĂȘtre amĂ©liorĂ© ? QuâĂ cela ne tienne, le gĂ©nie incompris se comporte comme un guerrier prĂȘt Ă attaquer. AprĂšs tout, ne dit-on pas que la meilleure dĂ©fense, câest lâattaque ? Avec le gĂ©nie incompris, tous vos arguments, quels quâils soient, seront contrĂ©s. Si sa plume ne vous a pas transportĂ©, câest votre faute, pas la sienne. Votre cerveau se rĂ©vĂšle trop dĂ©faillant pour comprendre ce quâil a Ă©crit, voyons. Comment ai-je dĂ©couvert lâexistence du gĂ©nie incompris, alors que je nâai jamais eu affaire Ă lui ? Je croise les doigts pour ne pas en croiser un. La rĂ©pĂ©tition du verbe « croiser » est volontaire. Jâai Ă©coutĂ© les anecdotes de Maritza Jaillet et de MĂ©lanie Desforges. Respectivement chroniqueuse et ex-chroniqueuse, elles lisent plus rĂ©guliĂšrement que moi. Par « lire », entendez « lire les auteurs quâelles cĂŽtoient sur les rĂ©seaux sociaux ». Autant dire quâelles sont habituĂ©es Ă Ă©changer avec bon nombre dâentre eux dont certains peuvent se montrer contestataires. Ma pile Ă lire dĂ©borde, mais je chronique au compte-gouttes. Lorsque jâeffectue une bĂȘta-correction, les oppositions se font rares. Comment rejeter une rĂšgle de français, alors que je soumets, Ă lâauteur concernĂ©, des liens explicatifs renvoyant vers des sites sĂ©rieux, comme Le Robert ou le Projet Voltaire ? En matiĂšre de lecture, si lâon excepte la qualitĂ© de la langue, tout repose sur les ressentis. Les goĂ»ts et les couleurs de chacun ne se discutent pas, mais pour le gĂ©nie incompris, si. Il y a quelque temps, Maritza Jaillet avait dâailleurs dĂ©noncĂ© le comportement de certains gĂ©nies incompris qui sâĂ©taient permis dâinsulter des chroniqueurs, une fois le travail rendu. Des chroniques, jâen ai eu ; des bonnes et des moins bonnes ; des nĂ©gatives et des positives. Je suis mĂȘme tombĂ©e sur de mauvaises chroniqueuses dont lâune sâĂ©tait Ă©vaporĂ©e dans la nature, sitĂŽt le livre reçu. Or, Ă aucun moment il ne me viendrait Ă lâesprit dâinsulter une chroniqueuse. Oui, dans mon cas, jâai essentiellement affaire Ă un public fĂ©minin. Si lâenvie vous dĂ©mange et si vous sentez que vous vous transformez en gĂ©nie incompris, dites-vous quâun livre, qui ne rĂ©colte que des critiques dithyrambiques, paraĂźt tout de suite suspect aux yeux des acheteurs potentiels.â Le Calimero « Au lieu de geindre en public, sers-toi de tes plaintes ou de tes dolĂ©ances pour Ă©crire un livre. Ainsi, ta colĂšre et ton chagrin deviendront constructifs. » Calimero dĂ©signe un personnage de dessin animĂ©, reprĂ©sentĂ© par un poussin noir dans une portĂ©e de poussins jaunes. Une coquille dâĆuf Ă moitiĂ© brisĂ©e lui sert de couvre-chef. Se plaignant souvent, Calimero sâest fait connaĂźtre grĂące Ă sa phrase fĂ©tiche, aujourdâhui devenue culte : « Câest vraiment trop inzuste ! » Vous noterez, au passage, son zĂ©zaiement . Un individu qui se plaint et qui se sent persĂ©cutĂ© est, de facto, qualifiĂ© de Calimero. Beaucoup dâauteurs, Ă lâinstar de Maritza Jaillet, utiliseront le sobriquet Ouin-Ouin pour le qualifier. Comment opĂšre le Calimero ou le Ouin-Ouin ? Ă en juger par ses propos, le monde entier lui en veut, et il est frappĂ© par la malchance depuis sa naissance. Vous souvenez-vous des sorciĂšres créées par Roald Dahl, ou des bons gros mĂ©chants qui apparaissent dans les films dâanimation Disney ? Eh bien, le Calimero les a tous connus et affrontĂ©s. Dans ses publications, il respire rarement le bonheur, et il dĂ©verse ses malheurs sur les rĂ©seaux sociaux. Son public, câest son journal intime, comme sâil ressentait le besoin de trouver une oreille compatissante qui garantira sa position de « victime ». Comme le prĂ©cise Maritza Jaillet, le Calimero possĂšde « un ego sous-dimensionnĂ© ». Intimement persuadĂ© que ses Ă©crits ne valent pas grand-chose, il finit par Ă©loigner les lecteurs potentiels, Ă force de rĂ©pandre des pensĂ©es nĂ©gatives autour de lui. Quâen est-il des ouvrages du Calimero ? Les jĂ©rĂ©miades de ce dernier le freinent dans sa production littĂ©raire, alors quâil pourrait, sâil le souhaitait, se servir de ses malheurs pour alimenter le contenu de ses livres. LâĂ©crivain Philippe Sollers, que jâavais mentionnĂ© dans ma premiĂšre romance, Un deal pas trĂšs catholique, avait notamment dĂ©clarĂ© : « Composer un livre, seul moyen de parler de soi sans assister Ă lâennui des autres. » Ceux qui me suivent sur les rĂ©seaux sociaux doivent se souvenir de cette citation, car je lâai rĂ©cemment partagĂ©e. « Lâauditoire » des rĂ©seaux sociaux possĂšde un seuil de tolĂ©rance limitĂ©, Ă lâĂ©gard des personnes qui se plaignent en permanence. Lâinspiration, elle, ne comporte aucune limite. Le Calimero ferait donc bien de mĂ©diter sur les mots de Philippe Sollers. Si les livres du Calimero ne se vendent pas suffisamment Ă son goĂ»t, il geindra deux fois plus : « Pourquoi personne nâachĂšte mes livres ? » Dans ce contexte prĂ©cis, Maritza Jaillet qualifie le Calimero de saule pleureur. Ne parvenant pas Ă gĂ©rer sa frustration, ce dernier peut hurler son indignation ou devenir agressif sans crier gare. Une autrice sâest rĂ©cemment servie des Stories Instagram pour se plaindre, car malgrĂ© la baisse du prix, ses livres ne semblaient pas intĂ©resser grand monde. Ă mon sens, lâautrice ne soulĂšve pas les bonnes questions. Elle devrait se demander si sa couverture donne envie, si sa maniĂšre dâĂ©crire est correcte et si elle communique assez autour de ses livres, sans se montrer maladroite. En se dĂ©foulant dans les Stories, elle vient de commettre un impair et dâĂ©corner son image. Dans la vidĂ©o Ă©ponyme quâil a publiĂ©e sur YouTube, le coach en sĂ©duction Charles Lovecoach martĂšle cette phrase : « La pitiĂ© ne crĂ©e pas de dĂ©sir ! » Si le principe se vĂ©rifie en matiĂšre amoureuse, je pense quâil sâapplique Ă©galement Ă la vente et aux auteursâŠâ Le philanthrope « Un produit, mĂȘme exceptionnel, doit ĂȘtre portĂ© Ă la connaissance de tous pour ĂȘtre vendu. » Comme son nom lâindique, le philanthrope Ă©crit par passion. Jusque-lĂ , rien dâanormal. Mais tout se corse lorsquâil sâagit de promouvoir ses ouvrages. Jâai dĂ©couvert lâexistence du philanthrope grĂące aux tĂ©moignages de Maritza Jaillet. DâaprĂšs les propos recueillis, le philanthrope ne comprend pas que le livre reprĂ©sente un produit quâil faut vendre. DiamĂ©tralement opposĂ© au spammeur et au vendeur Ă la criĂ©e, dont lâexcĂšs et lâexubĂ©rance font fuir, le philanthrope considĂšre que le livre se vendra tout seul une fois sorti, ou que lâĂ©criture supplante la communication et la publicitĂ©. Tant que le philanthrope produit, il se sent heureux. Un proverbe chinois pourrait sâappliquer Ă son cas : « Ne vous mettez pas en avant, mais ne restez pas en arriĂšre. » En effet, si le philanthrope Ă©tait si peu motivĂ© Ă lâidĂ©e de faire connaĂźtre son ouvrage, il aurait Ă©tĂ© prĂ©fĂ©rable de le laisser prendre la poussiĂšre dans un tiroir. Au moins, le tiroir ne prend pas de sous. Pour Ă©conomiser de lâencre, le philanthrope aurait mĂȘme pu laisser son texte sur son ordinateur ou sur un disque dur externe. Comme lâexplique Maritza Jaillet, Ă partir du moment oĂč un ISBN a Ă©tĂ© attribuĂ©, le livre doit ĂȘtre promu pour ĂȘtre vendu.â Le marketeur « Vendre beaucoup, aprĂšs avoir bien travaillĂ© ta communication et analysĂ© ce qui plaĂźt au public, ne fait pas de toi un auteur qui Ă©crit mieux que les autres et qui maĂźtrise mieux la langue. Tu es juste astucieux et intuitif. Ne confonds pas non plus vitesse et prĂ©cipitation : dans le premier cas, tu te montres efficace ; dans le second, le travail est bĂąclĂ©. » Contrairement au philanthrope, le marketeur sait se vendre. Bien quâil nâait pas toujours suivi des cours de marketing, il se comporte comme sâil en connaissait toutes les ficelles. Le philanthrope devrait dâailleurs sâinspirer du marketeur, car dans la majoritĂ© des cas, les stratĂ©gies de celui-ci se rĂ©vĂšlent payantes. Sur Amazon, le marketeur ne rĂ©colte pas moins de cinquante commentaires sur chacun de ses ouvrages, et les performances de ses ventes mĂ©ritent dâĂȘtre applaudies. NĂ©anmoins, lâattitude de certains marketeurs ne donne pas envie de les cĂŽtoyer. Pour prĂ©server leur anonymat, beaucoup dâauteurs masquent leur visage sur les rĂ©seaux sociaux. Le marketeur type, lui, ne sâen soucie pas. NâhĂ©sitant pas Ă jouer sur son image, il poste rĂ©guliĂšrement des selfies et des vidĂ©os dans lesquels il se prend pour un top model, prĂȘt Ă rivaliser avec le mannequin Heidi Klum. Il mâarrive, de temps Ă autre, de tourner une petite vidĂ©o ou de poster des portraits de moi pour mâadresser Ă la communautĂ© littĂ©raire. Or, Ă cĂŽtĂ© du marketeur type, plus Ă lâaise dans ses baskets, je fais pĂąle figure. Sous prĂ©texte quâils Ă©coulent facilement leurs livres, certains marketeurs se sentent supĂ©rieurs aux autres auteurs et nâhĂ©sitent pas Ă le montrer avec des mots pleins de suffisance. Quand je vois dĂ©filer la publication dâun marketeur condescendant, mon aversion pour la violence disparaĂźt instantanĂ©ment ; lâuppercut de Mike Tyson et le coup de boule de Zinedine Zidane ressurgissent aussitĂŽt. Comme câest Ă©trange⊠En matiĂšre dâĂ©criture, certains marketeurs vont plus vite que Bip Bip . Ils sont capables de sortir un livre tous les trois mois. La qualitĂ© du contenu dĂ©pendra des compĂ©tences du marketeur et de ses limites en français. Certains marketeurs rendent un travail globalement propre, tandis que dâautres fournissent un texte peu abouti, comportant des coquilles gĂȘnantes qui auraient pu ĂȘtre gommĂ©es â sâils sâĂ©taient davantage penchĂ©s sur leurs ouvrages. En effet, il est extrĂȘmement rare quâun correcteur professionnel trouve le temps de vous corriger en moins de trois mois. Vous nâĂȘtes pas tout seul sur son planning ! Et, Ă moins dâĂȘtre un as de la langue de MoliĂšre, les logiciels de correction, comme Le Robert et Antidote, ne suffisent pas.â Le mendiant « Mendier de lâattention te fait perdre de lâattention. Tes livres sont dĂ©valuĂ©s avant mĂȘme dâĂȘtre Ă©valuĂ©s. Ils ne peuvent plus ĂȘtre valorisĂ©s, parce que tu tâes dĂ©valorisĂ©. » Si le Calimero sâĂ©panche en public sur tous les aspects de sa vie ou presque, le mendiant se concentrera uniquement sur certains aspects, en vue de susciter de la pitiĂ©. Il comptera sur votre compassion pour vendre ses livres. Certains mendiants pourront vous sortir : « Sâil vous plaĂźt, mon chat nâa pas mangĂ© depuis trois jours. Achetez mon livre ! » Vous trouvez cette phrase pathĂ©tique et exagĂ©rĂ©e ? Au grand dam de Maritza Jaillet, elle comporte un air de dĂ©jĂ -vu. Si Maritza ne mâen avait pas touchĂ© deux mots, pour lâĂ©criture de mon livre, je nâaurais pas dĂ©couvert le « slogan spĂ©cial mendiant ». Ă mes yeux, la promotion dâun produit sâapparente Ă la sĂ©duction. Vous mettriez-vous en couple avec une personne qui vous supplie de le regarder, de lui Ă©crire et de lâaimer ? Je suppose que non. Vous seriez davantage attirĂ© par ses qualitĂ©s et par sa maniĂšre de vous combler. Eh bien, pour la vente dâun livre, le principe demeure le mĂȘme : les lecteurs potentiels se tourneront davantage vers un livre susceptible de les ravir, plutĂŽt que vers un auteur qui aura mendiĂ©, en se servant de ses dĂ©boires. Certes, la plupart des auteurs gagnent peu. Mais ils ne sont pas encore Ă la rue.â Le vantard « Câest en te vantant que tu engendres dĂ©fiance plutĂŽt que confiance. En exagĂ©rant tes mĂ©rites, tu incites les gens Ă croire que tu leur vends du rĂȘve. » Le vantard se cache partout, y compris parmi les auteurs. Il vous sidĂ©rera par son aplomb. Pendant que vous vous ingĂ©niez Ă promouvoir efficacement vos ouvrages, il multipliera les superlatifs pour dĂ©crire ses livres et ses personnages. Comme par hasard, ces derniers sont tous beaux, magnifiques, forts, formidables, gĂ©niaux⊠Le vantard nâhĂ©sitera pas non plus Ă rĂ©pĂ©ter que leur histoire mĂ©rite dâĂȘtre lue. Tandis quâil enfile les termes laudatifs, comme on enfilerait les perles sur un collier, je vois la brioche de la pub VahinĂ© se dresser devant moi. Comme elle est sympathique, elle me met en garde : « VahinĂ©, câest gonflĂ© ! » Certains auteurs vantards comparent mĂȘme leur style dâĂ©criture avec celui dâun Ă©crivain connu : « Si vous aimez Stephen King, vous adorerez mon roman. JâĂ©cris comme lui ! » Je caricature Ă peine. Dâautres auteurs vantards, en revanche, prĂ©fĂ©reront la sphĂšre cinĂ©matographique pour sâautocongratuler : « Ce soir, TF1 diffusera le magnifique film rĂ©alisĂ© par Steven Spielberg. Mes protagonistes sont aussi magnifiques que les hĂ©ros du film. En effet, Ă la cinquantiĂšme minute et Ă la trente-sixiĂšme seconde, on peut voir que Jean-Eustache a des poils aux fesses similaires Ă ceux de Brad Pitt⊠» Jâironise, mais lâidĂ©e reste la mĂȘme dans lâesprit de lâauteur vantard qui aurait mieux fait de garder Ă lâesprit ce proverbe quĂ©bĂ©cois : « Toutes marchandises vantĂ©es perdent leur prix. » En outre, jâai dĂ©couvert quâune infime poignĂ©e dâauteurs vantards attribuaient des notes Ă leurs propres livres, sur des sites comme Booknode ou Babelio . Booknode permet de classer les ouvrages lus au sein de plusieurs catĂ©gories : « Diamant », « Or », « Argent », « Bronze », « Lu aussi », « En train de lire », « Pas apprĂ©ciĂ© », « Envies » et « PAL » . Comme vous pouvez vous en douter, les catĂ©gories « Diamant » et « Or » concernent les livres que vous avez prĂ©fĂ©rĂ©s. Eh bien, le vantard nâhĂ©sitera pas Ă classer son propre livre dans la catĂ©gorie « Diamant » ou « Or ». Il dĂ©posera Ă©galement un avis dans lequel il louera les mĂ©rites de son livre. Sâest-il montrĂ© suffisamment malin pour prendre un pseudonyme qui ne ressemble pas Ă son nom de plume ? La rĂ©ponse est non. Je ne vous apprends donc rien en vous disant que Jean-Eustache de La Vantardise et JE de La Vantardise sont bien une seule et mĂȘme personne. PlutĂŽt que de sâĂ©couter parler, le vantard devrait retenir ce proverbe kurde que je trouve trĂšs sage : « Se vanter dâune belle action est plus facile que de la rĂ©aliser. » En effet, jâai remarquĂ© que certains auteurs vantards Ă©taient loin dâavoir sorti des livres exempts de fautes de français. Je ne parle pas de quelques fautes de syntaxe ou dâorthographe, mais dâune flopĂ©e. Quant aux autres auteurs vantards, la plupart sont loin dâavoir remportĂ© lâadhĂ©sion du public concernant leurs ouvrages. Leur lectorat se compose principalement de personnes qui leur sont proches, ou avec lesquelles ils ont nouĂ© des liens sur les rĂ©seaux sociaux.â Le crĂ©ateur dâembrouilles « Si tu veux dĂ©clencher un conflit, crĂ©es-en un entre les personnages de ton roman, et non sur les rĂ©seaux sociaux. Ainsi, les personnes dotĂ©es dâune certaine intelligence ne remettront pas en question la tienne ou ne douteront pas de ta santĂ© mentale. » Connaissez-vous les mots shitstorm et drama ? Sâils ne vous disent rien, le crĂ©ateur dâembrouilles les connaĂźt par cĆur. Le terme anglais shitstorm, pouvant ĂȘtre remplacĂ© par celui de drama, signifie littĂ©ralement « tempĂȘte de merde ». Ă lâĂ©chelle dâInternet, le shitstorm dĂ©signe un dĂ©ferlement de commentaires haineux ou de critiques virulentes, Ă lâencontre dâune personne, dâun groupe de personnes ou dâune entreprise, Ă la suite dâun scandale initiĂ© par lâutilisateur dâun rĂ©seau social ou dâun forum. Avant de publier mes romans, jâignorais lâexistence des mots shitstorm et drama. Me jugeant inculte, lâoiseau bleu de Twitter a dĂ©crĂ©tĂ© que je devais ĂȘtre impliquĂ©e dans lâun dâeux pour en dĂ©couvrir la dĂ©finition. Comment naĂźt un shitstorm ou un drama ? Tout est matiĂšre Ă shitstorm ou Ă drama, pour le crĂ©ateur dâembrouilles : vous avez eu le malheur de vous dĂ©sabonner de son compte ? Hop, shitstorm. Vous lâavez bloquĂ© parce quâil nuisait Ă votre bien-ĂȘtre ? Shitstorm. Vous prĂ©fĂ©rez les culottes Ă pois rouges, alors quâil prĂ©fĂšre les slips jaune poussin ? Shitstorm. Vous mettez trop dâĂ©mojis dans vos publications ? Shitstorm. Le terrain favori du crĂ©ateur dâembrouilles ? Twitter ; dĂ©crit par certains influenceurs comme le rĂ©seau social le plus dĂ©lĂ©tĂšre. En tant que « cibles », Maritza Jaillet et moi-mĂȘme ne le savons que trop bien. Il faut avouer que traĂźner sur Twitter revient Ă crier sur la place publique, ce qui nâest pas sans rappeler la place de GrĂšve et ses pendaisons. Les posts sont plus visibles sur Twitter, contrairement Ă Facebook qui se veut plus communautaire. Quant Ă Instagram, les commentaires qui apparaissent sous les posts ne sont pas mis en exergue, et il est aujourdâhui possible de les masquer. NĂ©anmoins, des commentaires peu amĂšnes peuvent Ă©galement « germer » sur Instagram. Ce fut le cas pour moi, en raison de mes connaissances sur les codes hexadĂ©cimaux. Ces derniers permettent de dĂ©terminer les couleurs, dans les domaines du webdesign et du graphisme. Le crĂ©ateur dâembrouilles cherche Ă attirer lâattention ou Ă se faire plaindre. DotĂ© dâune intelligence limitĂ©e, il se croit malin. Il mentionnera sa « cible » dans la publication empoisonnĂ©e qui conduira au drama. Il se montrera violent ou jouera les « victimes », en fonction de la situation : « Sophie Lim sâest dĂ©sabonnĂ©e, et Maritza Jaillet a appelĂ© sa chatte Maki au lieu de Sushi. MĂ©lanie Desforges prĂ©fĂšre les points de croix aux points de suture. Vous vous rendez compte ? ? ? » Oui, on se rend compte de ta bĂȘtise et de ton attitude de gamin. Le crĂ©ateur dâembrouilles peut mĂȘme aller plus loin, en faisant circuler les captures dâĂ©cran des messages privĂ©s que vous avez Ă©changĂ©s. Il les tronque et les sort de leur contexte, afin dâamener la communautĂ© littĂ©raire Ă vous dĂ©tester ou Ă vous tourner le dos. Câest du vĂ©cu. Une autrice que jâavais bloquĂ©e avait fait circuler mes messages privĂ©s, alors que je mâĂ©tais confiĂ©e Ă elle Ă lâĂ©poque oĂč nous Ă©tions « amies ». Sortis de leur contexte, mes propos ont Ă©tĂ© mal interprĂ©tĂ©s, et beaucoup dâauteurs ont considĂ©rĂ© quâil fallait me fuir comme la peste. SurexposĂ©e, Maritza a subi le mĂȘme traitement, avec des personnes diffĂ©rentes. Je reçois rĂ©guliĂšrement des messages privĂ©s dans lesquels des auteurs se livrent. Si jâagissais de la mĂȘme maniĂšre que le crĂ©ateur dâembrouilles, je dĂ©clencherais une TroisiĂšme Guerre mondiale entre auteurs, ou entre auteurs et chroniqueurs. Comme lâindique la cĂ©lĂšbre phrase, attribuĂ©e au philosophe allemand Friedrich Nietzsche, « ce qui ne me tue pas me rend plus fort. » Les gens qui sont restĂ©s autour de moi sont ceux qui connaissent ma vĂ©ritable valeur. Je ne me sens donc pas triste dâavoir « perdu » des personnes mallĂ©ables ou qui nâen valaient pas la peine. DâaprĂšs une citation trouvĂ©e sur Facebook, et dont jâignore la paternitĂ©, « les faux amis croient aux rumeurs. Les vrais amis croient en vous. » C.Q.F.D. Le crĂ©ateur dâembrouilles risque-t-il une sanction pĂ©nale ? Oui, mais dans les faits, la preuve reste difficile Ă rapporter ; raison pour laquelle je nâai pas souhaitĂ© porter plainte. Quâil sâagisse dâun support numĂ©rique ou dâun support papier, nul nâest autorisĂ© Ă divulguer vos correspondances privĂ©es sans votre consentement, sous peine dâenfreindre lâarticle 226-15 du Code pĂ©nal, portant sur lâatteinte au secret des correspondances. La violation dudit article est punie dâun an dâemprisonnement et de 45 000 euros dâamende. RĂ©primĂ© par lâarticle 222-33-2-2 du Code pĂ©nal, le cyberharcĂšlement, dâordre moral ou sexuel, est passible dâun an dâemprisonnement et de 15 000 euros dâamende. Si vous en ĂȘtes victime, vous pouvez demander, dans un premier temps, le retrait des publications dĂ©lictuelles. Le cyberharcĂšlement est caractĂ©risĂ©, dĂšs lors que survient un harcĂšlement moral ou sexuel, commis par voie Ă©lectronique. Ledit harcĂšlement concerne les injures, les insultes et les actes de diffamation, provenant dâun site Web ou des rĂ©seaux sociaux. Il peut prendre diverses formes : intimidations et menaces en ligne, propagation de rumeurs, piratage de comptes et usurpation dâidentitĂ© numĂ©rique, crĂ©ation dâun groupe de discussion Ă lâencontre dâune personne dĂ©signĂ©e, publication dâune photo ou dâune vidĂ©o compromettante pour la victime. Le « cyberharcĂšlement en meute », aussi appelĂ© « raid numĂ©rique », a Ă©tĂ© intĂ©grĂ© au Code pĂ©nal depuis la loi Schiappa du 3 aoĂ»t 2018. Le « cyberharcĂšlement en meute » constitue une attaque coordonnĂ©e et simultanĂ©e, de la part de plusieurs individus qui unissent leurs forces, en vue de harceler quelquâun sur la Toile. Il va de soi que je condamne de telles pratiques, dont jâai moi-mĂȘme Ă©tĂ© victime lorsque jâai gagnĂ© en visibilitĂ© sur les rĂ©seaux sociaux. Quelques mois aprĂšs la sortie de mon premier roman, un auteur sâĂ©tait rendu sur le blog dâune chroniqueuse pour critiquer ma romance. Ăconduit par la chroniqueuse, il avait ouvert un compte Twitter et avait postĂ© plusieurs publications mĂ©disantes, au sujet de mon roman. Je nâai toujours pas dĂ©couvert qui se cachait derriĂšre ce sinistre individu. La plupart du temps, le crĂ©ateur dâembrouilles ignore quâil outrepasse les limites lĂ©gales. Il pense souvent quâil peut agir en toute impunitĂ©, ce qui explique pourquoi il multiplie les plaisirs dans son « entreprise de dĂ©molition ». Le subtweet et le QRT font Ă©galement partie des spĂ©cialitĂ©s sournoises du crĂ©ateur dâembrouilles. Je les aborde dans mon article de blog, intitulĂ© « Le vocabulaire du Twitter littĂ©raire ». Diminutif de subliminal tweet, le subweet consiste Ă critiquer ouvertement une personne sans la mentionner directement. Le dĂ©tracteur fournit suffisamment dâindices permettant aux twittos de deviner lâidentitĂ© de sa « cible ». En usant de cette pratique, le crĂ©ateur dâembrouilles, qui se croit omnipotent, laisse libre cours Ă sa crĂ©ativitĂ©. Sa langue vipĂ©rine ne connaĂźt aucune limite. Acronyme du terme anglais quote retweet, le QRT â ou tweet citĂ©, en français â nâest autre que le partage dâun tweet, accompagnĂ© dâun commentaire. Par ce biais, le crĂ©ateur dâembrouilles attaque lâauteur du tweet ou dĂ©tourne lâorigine de la publication en lui attribuant un autre sens. Son objectif ? RĂ©pandre des rumeurs ou divulguer de fausses informations, en songeant : « Ă dĂ©faut dâattirer les gens avec les couvertures de ses livres, pourquoi ne pas se montrer retors et tirer la couverture Ă soi ? » Le crĂ©ateur dâembrouilles Ă©prouve le besoin dâengendrer du drame ou de la tragĂ©die pour se sentir exister. Or, comme il nâest pas aussi douĂ© que Shakespeare, Corneille ou Racine, Twitter est devenu son théùtre. Bien souvent, il avance dans ses Ă©crits Ă la vitesse dâun escargot, alors quâil pourrait retranscrire sa rage dans ses Ćuvres, notamment en donnant vie Ă un personnage sadique au sein dâune fiction ; un personnage aussi sadique quâAkito Sohma dans Fruits Basket , par exempleâŠâ Lâinfluençable « Fie-toi Ă ton propre jugement, au lieu de te laisser obscurcir par celui des autres. Il vaut mieux conduire ton propre troupeau, plutĂŽt que dâen suivre un. » Le crĂ©ateur dâembrouilles vous a pris en grippe et mĂ©dit sur votre compte ? Dâautres personnes vous qualifient de « gourou » ou de « sorciĂšre » sans vous connaĂźtre ? Lâinfluençable, avec lequel vous nâavez jamais Ă©changĂ©, ou trĂšs peu, se dĂ©tournera de vous tĂŽt ou tard, puisquâil Ă©coute les quâen-dira-t-on en se fiant Ă eux. Il cessera de vous suivre sur les rĂ©seaux sociaux ou il vous bloquera ; au choix. Si cela vous arrive, dites-vous que vous nâavez rien perdu au change ; juste une personne inintĂ©ressante qui vous a rendu service en partant. Vous avez tellement plus Ă offrir : Ă vos proches et Ă dâautres auteurs, chez lesquels le mot « soutien » ne reprĂ©sente pas quâun vain mot. Bien quâils ne se manifestent pas toujours, vos lecteurs existent. Quelques auteurs influençables se tiennent loin des embrouilles. Cependant, ils rĂ©pondront prĂ©sents lorsquâun projet dâĂ©criture germera dans leur esprit. Leur crĂ©ativitĂ© doit suivre un certain schĂ©ma, dictĂ© par les on-dit, et leur rapport Ă lâĂ©criture peut revĂȘtir un « cĂŽtĂ© scolaire ». Si un autre auteur affirme quâil vaut mieux utiliser lâorthographe rĂ©formĂ©e dans ses ouvrages, lâinfluençable suivra le mouvement et troquera lâorthographe traditionnelle contre celle de 1990. Sâil entend que la romance se vend mieux que les romans de science-fiction, il pourra mĂȘme abandonner son projet de dĂ©part pour en entamer un autre. DâaprĂšs les propos de ses chers « collĂšgues auteurs », Ă©crire une romance lui permettra dâĂ©galer Guillaume Musso ; dâoĂč lâintĂ©rĂȘt de se conformer Ă la masse, vous comprenez. En bon influençable quâil est, il obtempĂšre, sans se demander si ses nouveaux choix lui conviennent ou pas ; il ne sâinterroge pas sur la pertinence des « conseils » donnĂ©s. Pour lâinfluençable, se contenter de faire Ă©voluer ses Ă©crits au grĂ© du vent se rĂ©vĂšle tellement plus simple Ă mettre en place. â Lâimitateur « Quand tu imites quelquâun, dans les moindres dĂ©tails, tu ne crĂ©es pas vraiment. Tu deviens une pĂąle copie, et tu ne vis que dans lâombre de ce quelquâun ; Ă travers et en fonction de lui. » Bien quâil ait des genres littĂ©raires de prĂ©dilection, lâimitateur sera davantage Ă lâaffĂ»t des « recettes miraculeuses » ; celles qui le conduiront au succĂšs. Or, contrairement au marketeur, il nâĂ©tudie pas les stratĂ©gies marketing. Il prĂ©fĂ©rera calquer ses histoires sur celles dâun Ă©crivain mondialement connu, comme Stephen King ou J. K. Rowling. Faire preuve dâoriginalitĂ© ? Pour quoi faire ? Celle de lâimitateur se trouve dans les ouvrages Ă©crits par dâautres. Pour lâimitateur, « sâinspirer » reviendra à « piquer » les idĂ©es dâautrui en les reformulant⊠ou pas. En effet, certains imitateurs nâhĂ©sitent pas Ă reproduire, au mot prĂšs, des paragraphes entiers dâĆuvres dĂ©jĂ existantes. Le Code de la propriĂ©tĂ© intellectuelle et les droits dâauteur ? Il sâassoit dessus, surtout sâil compte rester un auteur autoĂ©ditĂ©. Eh oui, certaines maisons dâĂ©dition sont dĂ©sormais Ă©quipĂ©es dâun logiciel anti-plagiat, ce qui peut mettre Ă mal les rĂȘves de gloire de lâimitateur. Quelles sont les diffĂ©rences entre « puiser son inspiration » et « plagier » ? Dans le premier cas, vous façonnez votre histoire Ă partir dâun modĂšle de dĂ©part ou de quelques idĂ©es clĂ©s. Une fois achevĂ©e, votre fiction ne ressemblera pas du tout Ă lâĆuvre qui vous aura inspirĂ©. Dans le second cas, vous crĂ©ez peu, voire pas du tout ; vous copiez dâune façon aussi vilaine que votre voisin de classe, qui lorgnait sur votre devoir de maths â pour peu que vous soyez douĂ© en maths. Lorsque lâimitateur dĂ©crit son livre, il dĂ©clare, bien souvent, que ce dernier a des similitudes avec telle Ćuvre de tel Ă©crivain cĂ©lĂšbre, ce qui dessert son image. Pour Ă©viter de passer pour quelquâun de prĂ©tentieux, lâimitateur devrait se rappeler ces paroles de Victor Hugo : « Nâimitez rien ni personne. Un lion qui copie un lion devient un singe. »â Le nĂ©gociateur « La nĂ©gociation repose sur la rĂ©ciprocitĂ©. Marchander avec quelquâun ne consiste pas Ă le lĂ©ser. » Si le terme de « nĂ©gociateur » vous Ă©voque le titre dâun film, mettant en scĂšne Samuel L. Jackson aux cĂŽtĂ©s de Kevin Spacey, vous vous trompez de registre. Dans la sphĂšre littĂ©raire, le nĂ©gociateur ne rĂ©sout aucune crise. Il ne cherche pas Ă libĂ©rer des otages, puisque lâotage, câest lâauteur ou le chroniqueur quâil cĂŽtoie. Pris pour « cible », ce dernier aurait mieux fait dâignorer ses sollicitations. Sa gentillesse le perdra ! Comme je souhaite garder le nĂ©gociateur culottĂ© pour la fin, je vais commencer par le nĂ©gociateur modĂ©rĂ©. Bien souvent, celui-ci essaye de passer un accord avec un autre auteur : « Je lis ton ouvrage si tu lis le mien. » Percevez cela comme un Ă©change de bons et loyaux services. Votre prose ne lâintĂ©resse que moyennement, voire pas du tout. Son objectif ? DĂ©crocher un bel avis de lecture pour dĂ©clencher dâautres ventes ; et si possible, sur Amazon. Eh oui, contrairement Ă dâautres sites, le gĂ©ant amĂ©ricain du commerce en ligne classe les ventes. De prime abord, la proposition du nĂ©gociateur modĂ©rĂ© peut sembler sympathique. Vous vous dites que vous gagnerez tous les deux au change ; hĂ©las, pas toujours. Songez aux devises que vous devez convertir, lorsque vous partez en vacances Ă lâĂ©tranger. Vous souvenez-vous du montant des commissions ? Vous nâobtenez pas lâĂ©quivalent de votre monnaie de dĂ©part. Lâargent que vous toucherez dĂ©pendra des taux appliquĂ©s. Dans certains cas, le nĂ©gociateur modĂ©rĂ© se comporte comme le salariĂ© dâun bureau de change. Vous lisez son ouvrage et vous vous efforcez de dĂ©poser un avis argumentĂ© sur Amazon, de plus de cinq lignes. Il peut mĂȘme vous arriver dâenvoyer un message privĂ© au nĂ©gociateur modĂ©rĂ©, en vue de partager avec lui vos ressentis post-lecture. Lorsque vous dĂ©couvrez le commentaire Amazon quâil a laissĂ©, vous tombez des nues : « Un livre que jâai adorĂ©. Je vous le conseille trop ! ! ! » Et lĂ , votre petite voix intĂ©rieure sâexprime : « Ăa va ? Pas trop mal aux mains ? RĂ©diger des commentaires dâune demi-ligne doit ĂȘtre vraiment Ă©reintant ; plus Ă©reintant que de se couper les ongles. Jeux de main, jeux de vilain ! Le poil que tu as dans la main tâempĂȘche, Ă coup sĂ»r, de dĂ©velopper ton avis de lecture. Câest lâĂ©vidence mĂȘme, voyons. » Le nĂ©gociateur modĂ©rĂ© peut parfois vous mettre mal Ă lâaise lorsquâil vous propose de « troquer » vos livres. Si lire le vĂŽtre ne le dĂ©range pas, vous vous montrez plus rĂ©ticent. Vous nâaimez pas les rĂ©cits sanglants, et vous voilĂ confrontĂ© Ă un auteur de romans horrifiques. Vous avez lu un extrait de son livre et avez relevĂ© une dizaine de fautes dĂšs la premiĂšre page, sans oublier les phrases mal construites qui perturbent la lecture. Comment rĂ©agir ? Se montrer franc. Vous nâallez pas vous forcer, au motif que vous gagnerez un lecteur. Tant que vous nâabandonnez pas lâĂ©criture, vous en trouverez dâautres. ComparĂ© au nĂ©gociateur modĂ©rĂ©, le nĂ©gociateur culottĂ© se veut plus « retors ». Il sâadressera, en premier lieu, aux chroniqueurs. Le « marchĂ© » quâil passe avec eux sâapparente Ă du chantage. En effet, dâaprĂšs les propos de Maritza Jaillet, certains nĂ©gociateurs culottĂ©s soumettront un ouvrage Ă un chroniqueur Ă la seule condition que celui-ci soit disposĂ© Ă laisser un « avis cinq Ă©toiles » ; que ce soit sur Amazon ou sur dâautres plateformes. Si le chroniqueur Ă©met quelques rĂ©serves, le nĂ©gociateur culottĂ© se braquera et refusera de lui envoyer son livre. Il pourra mĂȘme prononcer les mots suivants : « Si tu veux mon livre, tu nâas quâĂ lâacheter. Bah oui, vu que tu ne veux pas me mettre un cinq Ă©toiles⊠» Si jâavais Ă©tĂ© confrontĂ©e Ă de tels arguments, jâaurais certainement pensĂ© trĂšs fort : « Tu Ă©voques la notation cinq Ă©toiles⊠Tu tâes cru dans les palaces que je dĂ©cris dans mes romances ? ? ? Le bouquin que tu as Ă©crit devra satisfaire aux mĂȘmes critĂšres de sĂ©lection. Sinon, je ne lâaccepte pas. »â Le dĂ©nigreur « Vendre beaucoup de livres ou te sentir fier de tes accomplissements ne te rend pas supĂ©rieur aux autres. En les critiquant gratuitement, tu ne tâĂ©lĂšves pas. Tu leur montres juste lâĂ©tendue de ta bassesse et de ta langue vipĂ©rine. » Le dĂ©nigreur porte bien son sobriquet. Son occupation favorite ? Critiquer pour le plaisir de critiquer, Ă lâimage des mamies aigries que je croise au restaurant, dans la rue ou dans les transports en commun. MĂ©lanie Desforges les dĂ©crit dâailleurs dans sa vidĂ©o YouTube, Les grands secrets du monde littĂ©raire. Certains dĂ©nigreurs nâhĂ©siteront pas Ă mĂ©dire en public, tandis que dâautres prĂ©fĂ©reront sây adonner par le biais de messages privĂ©s ou de serveurs Discord , jugĂ©s plus sĂ»rs que Twitter. TĂŽt ou tard, chacun de nous est amenĂ© Ă critiquer ou Ă se plaindre dâune personne de son entourage. Il faut de tout pour faire un monde, et tout le monde nâest pas fait pour sâentendre. Or, chez le dĂ©nigreur, la critique est devenue un mode de vie. InfatuĂ©, il repĂ©rera la moindre de vos faiblesses pour vous rabaisser. Lorsquâil parvient Ă Ă©couler ses livres, et pas vous, il peut feindre lâĂ©tonnement : « Pourquoi jâarrive Ă vendre, alors que vous ramez ? Vous ĂȘtes nuls ou quoi ? ? ? » Vous vous demandez sâil plaisante. HĂ©las, non. Provoquer fait partie de lui. Certains dĂ©nigreurs ne vous mentionneront pas directement, mais ils livreront suffisamment de dĂ©tails dans leurs publications, afin que vous sachiez quâil sâagit de vous. Dâautres dĂ©nigreurs, plus lĂąches et plus sournois, ne dĂ©marreront pas les hostilitĂ©s. Ils attendront que lâun de leurs pairs sâexprime pour renchĂ©rir, voire surenchĂ©rir. Ils se comporteront comme des anguilles ou comme les murĂšnes dâUrsula, dans La Petite SirĂšne de Disney. Vous voyez le tableau ? Je me rappelle avoir Ă©tĂ© Ă©claboussĂ©e de la sorte par deux dĂ©nigreurs. Quand je pense que ces personnes ont une dizaine dâannĂ©es de plus que moi, je me permets de remettre en cause la thĂ©orie selon laquelle la sagesse sâacquiert avec lâĂąge. Une chroniqueuse, qui sâĂ©tait arrogĂ© le droit de se moquer de lâun de mes livres, sans mĂȘme lâavoir lu, « piquait » les citations que jâavais partagĂ©es sur Instagram, en vue de les poster sur Twitter. Il y a quelque temps de cela, je programmais mes publications sur Instagram avant de les programmer sur Twitter. Comme la chroniqueuse se levait aux aurores, elle avait le champ libre pour agir. Je serais donc passĂ©e pour la « copieuse de service » en postant aprĂšs elle sur Twitter, dans la mĂȘme journĂ©e. Ne supportant plus ses mesquineries, je me suis dĂ©sabonnĂ©e de cette chroniqueuse qui nâa pas trouvĂ© mieux que de crĂ©er un drama. Ayant perçu mon geste comme un affront, elle nâa pas tardĂ© Ă crier au scandale, en citant mon nom. Plusieurs personnes ont rĂ©agi dont deux dĂ©nigreurs. Lâun dâeux ne me connaissait pas. Comme je ne le suivais pas en retour, il a fini par se dĂ©sabonner de mon compte. Il sâest ensuite rendu sur mon profil pour le scruter. Sur mon ancien compte Twitter, je suivais trois cents personnes et jâavais plus de mille abonnĂ©s. Ce cher Monsieur DĂ©nigreur en a donc dĂ©duit que je devais ĂȘtre une « sorciĂšre » ou un « gourou » pour attirer les gens, avec si peu dâabonnements. Bien que lâeau ait coulĂ© sous les ponts et quâil ait cherchĂ© Ă me suivre ailleurs que sur Twitter, je nâoublie pas les qualificatifs dĂ©prĂ©ciatifs Ă©manant de son tweet. Quelques dĂ©nigreurs iront plus loin dans leur « entreprise de dĂ©molition ». Ils se rendront sur Amazon et attribueront une mauvaise note Ă vos livres, uniquement parce quâils ne vous aiment pas. Il y a environ deux ans, un auteur trĂšs suivi sur Twitter, et avec lequel jâĂ©change rĂ©guliĂšrement, avait reçu un commentaire Amazon « une Ă©toile » sous lâun de ses romans. Vu la teneur des propos, je suis surprise quâAmazon ait acceptĂ© que lâavis soit publiĂ©. Outre la notation nĂ©gative et les attaques injustifiĂ©es au sujet du livre, il avait Ă©tĂ© reprochĂ© Ă lâauteur de se montrer rĂ©actionnaire dans ses tweets. Le dĂ©nigreur jugeait-il lâouvrage ou faisait-il le procĂšs de lâauteur ? Si ce dernier avait intĂ©grĂ© le top 10 des auteurs les mieux vendus de France, le dĂ©nigreur nâaurait sans doute pas agi de la mĂȘme façon. En effet, ma bibliothĂšque compte plusieurs livres de John Grisham, de Guillaume Musso et de Marc Levy. En dehors de ma lecture et des informations rĂ©coltĂ©es sur Internet, je ne sais quasiment rien dâeux. Ils sont Ă©galement moins accessibles quâun auteur mĂ©connu. Sâen prendre Ă lui et Ă son intĂ©gritĂ© se rĂ©vĂšle donc plus facile de prime abord. Comment rĂ©agir face Ă un dĂ©nigreur ? Ne pas rĂ©agir, tout simplement. Sans son public pour lâapplaudir ou pour abonder dans son sens, le dĂ©nigreur perd de sa superbe. Dâailleurs, le dramaturge George Bernard Shaw, qui avait obtenu le prix Nobel de littĂ©rature en 1925, nâavait-il pas affirmĂ© que le silence Ă©tait « lâexpression la plus parfaite du mĂ©pris » ?â Lâermite « Apprendre Ă connaĂźtre les autres leur permettra de te connaĂźtre, et tâintĂ©resser Ă leurs textes les incitera Ă sâintĂ©resser aux tiens. » Lâermite ressemble beaucoup au philanthrope dans sa façon de se comporter. Or, contrairement au philanthrope, qui daignera montrer le bout de son nez de temps Ă autre, lâermite cherchera Ă se couper de toute civilisation, au nom de ses romans. Quâil vive dans les annĂ©es quatre-vingt-dix ou en 2023 ne change pas grand-chose pour lui. Les rĂ©seaux sociaux ? Il sait de quoi il sâagit, mais il les boude. Dâailleurs, il a ouvert un compte il y a longtemps. Son credo ? DĂ©serter les lieux pour mieux se concentrer sur lâĂ©criture et pour mieux vendre. Certains auteurs sont devenus des ermites sans crier gare. Du jour au lendemain, leur prĂ©sence virtuelle a Ă©tĂ© rĂ©duite Ă nĂ©ant durant des mois, voire des annĂ©es. Pourtant, quand vous vous rendez sur Amazon, vous vous apercevez que leurs livres sont toujours commercialisĂ©s. Comment sont accueillis les ermites qui refont surface ? Tout va dĂ©pendre des relations quâils ont nouĂ©es avant de « disparaĂźtre de la circulation ». Une autrice, avec laquelle je discutais rĂ©guliĂšrement, avait fait lâeffort de revenir de façon sporadique. Or, comme elle est discrĂšte, son retour nâa pas beaucoup Ă©tĂ© remarquĂ©. Et les publications mettant en exergue ses livres sont passĂ©es inaperçues. Dâautres ermites, en revanche, vont ĂȘtre questionnĂ©s sur les raisons de leur absence, car avant de sâĂ©loigner de la communautĂ© littĂ©raire, ils ont pris le temps dâĂ©changer avec dâautres auteurs ou avec des chroniqueurs. DĂ©laisser les rĂ©seaux sociaux, lorsquâon est auteur, est-il une bonne idĂ©e ? Ă mon sens, non. Comme je lâai Ă©voquĂ© prĂ©cĂ©demment, il faut apprendre Ă doser. Bien que les rĂ©seaux sociaux puissent ĂȘtre nĂ©fastes Ă plus dâun titre, ils contribuent Ă nous faire connaĂźtre. Dans beaucoup de cas, les personnes partagent et likent vos posts, parce que vous avez créé un lien avec elles. En se terrant dans son coin, lâermite se concentre sur ses Ă©crits, certes, mais que deviendront ses ouvrages une fois publiĂ©s ? Sans ĂȘtre promus, ils seront noyĂ©s dans la masse. MĂȘme en utilisant les rĂ©seaux sociaux, les auteurs ne peuvent affirmer, avec certitude, que leurs livres rencontreront le succĂšs escomptĂ©. Or, comme je le dis toujours concernant mes romans, « mieux vaut rĂ©colter peu, de maniĂšre Ă©parse, que rien du tout nulle part. »â Le susceptible « Si tu nâacceptes aucune critique, tu ne progresseras jamais. MĂȘme les artistes les plus cĂ©lĂšbres et les chefs-dâĆuvre ne remportent pas lâadhĂ©sion de tous. » Le susceptible accepte les conseils et les critiques, Ă condition que ces derniers ne concernent pas ses livres. Lorsquâun conseil pertinent est donnĂ© dans un tweet, il sera le premier Ă acquiescer. Quand certains auteurs, Ă lâego surdimensionnĂ©, auront agi de maniĂšre contestable, il nâhĂ©sitera pas Ă montrer sa dĂ©sapprobation. Sâil semble ouvert Ă la critique, ce nâest quâune apparence. Quand vous Ă©changez avec lui en privĂ©, il sort ses griffes ou se met sur la dĂ©fensive. Il peut mĂȘme avoir rĂ©ponse Ă tout et vous donner lâimpression quâil participe Ă un jeu tĂ©lĂ©visĂ© de culture gĂ©nĂ©rale, comme Qui veut gagner des millions ? Or, dans le cas du susceptible, lâappel Ă un ami et le 50/50 nâexistent pas, puisquâil nâĂ©coute que lui-mĂȘme. Sâagissant des critiques, il y a lâart et la maniĂšre. Ă mes yeux, un lecteur ou un chroniqueur qui confond « avis de lecture » et « procĂšs aux Assises », en se montrant infect avec lâauteur, ne peut espĂ©rer « recevoir des fleurs » en retour. Malheureusement, dans lâesprit de lâauteur susceptible, toutes les critiques se valent, mĂȘme celles qui ont Ă©tĂ© formulĂ©es sur un ton bienveillant. Ă partir du moment oĂč vous avez soulevĂ© un point qui vous dĂ©plaisait dans son « chef-dâĆuvre », vous ĂȘtes devenu son ennemi. Lorsque je mâapprĂȘte, en tant que bĂȘta-correctrice, Ă montrer les coquilles que le susceptible a laissĂ©es dans son livre, je prĂ©vois toujours des liens renvoyant vers la rĂšgle de français applicable, afin de couper court Ă toute discussion. Parfois, lâauteur susceptible mâadresse des propos de cet acabit : « Oh, mais les rĂšgles de français ont Ă©voluĂ© depuis lâĂ©poque mĂ©rovingienne, tu sais. Tu nâes peut-ĂȘtre pas au courant de la nouvelle orthographe. On Ă©crit bien âyâaâ et non ây aâ. Il faudrait peut-ĂȘtre te renseigner. » Crois-tu vraiment que lâAcadĂ©mie française, dont je viens de te fournir le lien, se tromperait Ă ce sujet ? Eh bien, non. Comme le susceptible nâaccepte pas son erreur, il renchĂ©rit : « Mais ils sont de la vieille Ă©cole. Comme ils ne sont pas de ma gĂ©nĂ©ration, ils utilisent un français ancien, datant de plusieurs millĂ©naires. Mon roman, lui, vit avec son temps. Il est trĂšs actuel. » Oui, tellement actuel que tu reproduis une erreur commune. Le susceptible nâĂ©crit pas forcĂ©ment plus mal que les autres, et il pourrait amĂ©liorer ses ouvrages sâil le souhaitait. Sans ses ĆillĂšres, il ne rĂ©pĂ©terait pas les mĂȘmes erreurs. Si jâavais un conseil Ă donner au susceptible, ce serait de mĂ©diter sur cette phrase, attribuĂ©e Ă lâacteur Keanu Reeves : « Tu nâapprends rien de la vie si tu penses que tu as toujours raison. »â LâĂ©troit dâesprit « Les goĂ»ts des lecteurs ne sont pas aussi limitĂ©s que tes idĂ©es prĂ©conçues. » Pour lâĂ©troit dâesprit, il existe la littĂ©rature dâun cĂŽtĂ©, et la sous-littĂ©rature de lâautre. MĂȘme sâil nây a pas dâĂąge pour devenir un Ă©troit dâesprit littĂ©raire, jâai remarquĂ© que la plupart des Ă©troits dâesprit avoisinaient, au minimum, la cinquantaine. Ă leurs yeux, un auteur digne de ce nom doit Ă©crire sur des sujets sĂ©rieux et employer un langage soutenu. Ils perdent de vue lâidĂ©e que les lecteurs cherchent, avant tout, Ă se divertir. Certains Ă©troits dâesprit dĂ©valoriseront la romance et la fantasy qui nâĂ©galeront jamais, selon eux, les romans historiques, les thrillers ou les tĂ©moignages sur des sujets poignants. Comme jâĂ©cris des romances New Adult, inspirĂ©es des mangas et des otome games , jâai pu relever une diffĂ©rence de traitement de la part de certains Ă©troits dâesprit. Dâailleurs, ces derniers restent souvent entre eux. Eh oui, les affinitĂ©s entre auteurs et les inimitiĂ©s existent aussi. MalgrĂ© notre imagination fertile, nous ne sommes pas une race Ă part ! Lorsquâune personne ne mâapprĂ©cie pas Ă ma juste valeur, je finis par lâignorer ou par lui dire ses quatre vĂ©ritĂ©s, en fonction de mon degrĂ© de proximitĂ© avec ladite personne. Vu que je crĂ©e des montages livresques, notamment pour alimenter ma rĂ©cente chaĂźne YouTube, une autrice Ă©troite dâesprit sâest mise Ă me considĂ©rer comme un « distributeur de montages ». Plus elle sâadressait Ă moi, plus mes soupçons se sont transformĂ©s en certitudes. Lâexemple le plus parlant pour moi concernait une interview Ă©crite qui avait Ă©tĂ© organisĂ©e par lâune de mes chroniqueuses. Ceux qui le souhaitaient pouvaient me poser des questions ouvertes. La plupart des participants mâavaient interrogĂ©e sur mon rapport Ă lâĂ©criture, mes rituels ou mes goĂ»ts. LâĂ©troite dâesprit, elle, avait Ă©tĂ© la seule Ă mâavoir soumis des questions sans lien avec lâĂ©criture. Elle voulait savoir comment jâavais appris à « bien communiquer » et comment jâavais appris Ă crĂ©er des montages. Elle sâĂ©tait Ă©galement focalisĂ©e sur mon penchant pour les mangas, et mâavait demandĂ© ce que je trouvais de bien dedans ; comme si je commettais une bĂ©vue en lisant des mangas Ă mon Ăąge. Eh oui, je nâai plus vingt ans et jâassume mon cĂŽtĂ© femme-enfant de GĂ©meaux. En dehors de lâinterview, lâĂ©troite dâesprit et lâune de ses amies chroniqueuses ne commentaient mes tweets que pour me fĂ©liciter au sujet de mes montages, avec des mots redondants, comme si elles avaient appris leur texte par cĆur. LâĂ©troite dâesprit mâavait mĂȘme remerciĂ©e dâavoir mis en avant les livres des auteurs, comme si je nâen faisais pas partie. AprĂšs la publication de lâune de mes chroniques, sur mon deuxiĂšme roman, lâĂ©troite dâesprit avait formulĂ© une remarque qui mâavait laissĂ©e coite : « Câest toujours impressionnant la premiĂšre fois, hein ! ». Or, ce nâĂ©tait pas ma premiĂšre chronique. LâĂ©troite dâesprit le savait, puisquâelle me suit sur les rĂ©seaux sociaux depuis la publication de ma premiĂšre romance. Je ne prends pas mal les compliments sur les montages que je crĂ©e, bien au contraire. Et jâen ai reçu beaucoup, ce qui me va droit au cĆur. Mais je nâaccepte pas les compliments Ă©manant de personnes qui me sous-estiment. Le plus drĂŽle, dans lâhistoire, câest que certains Ă©troits dâesprit commettent des fautes de français que certains « sous-auteurs » ne commettraient pas. Eh oui, sâil existe la littĂ©rature dâun cĂŽtĂ©, et la sous-littĂ©rature de lâautre, il faut Ă©galement distinguer les « auteurs » des « sous-auteurs ». Câest ainsi que pense lâĂ©troit dâesprit. MalgrĂ© les prĂ©jugĂ©s qui subsistent Ă son sujet, la romance constitue lâun des genres littĂ©raires dans lesquels je mâĂ©panouis le plus. Lorsque je prends conscience de ma propension Ă crĂ©er des personnages « tordus », qui tomberont amoureux, jâen rigole et je nâen reviens pas moi-mĂȘme. Je nâhĂ©site pas non plus Ă dire que mes couvertures sont « rose Lotus » ou « rose papier toilette ». Tant quâĂ©crire des romances me procure bien-ĂȘtre et satisfaction, je nâarrĂȘterai pas ; mĂȘme si cela implique de devoir manger des pĂątes premier prix, durant trois cent soixante et un jours. Il faut bien que je compense ma « pauvretĂ© alimentaire » lors des fĂȘtes : Nouvel An grĂ©gorien, Nouvel An chinois, le jour de mon anniversaire et NoĂ«l. Si des personnes dĂ©nigrent vos livres, en raison du genre littĂ©raire ou de la couverture, ignorez-les. Cette derniĂšre doit exhorter Ă lire lâouvrage, mais on ne juge pas un livre Ă sa couverture. On nâĂ©value pas non plus la qualitĂ© dâun texte en fonction du genre littĂ©raire auquel il appartient. Il est toujours plus facile de critiquer, sans nâavoir rien créé dans un domaine, plutĂŽt que de crĂ©er en prenant le risque dâĂȘtre critiquĂ©. Tant que vous prenez du plaisir dans ce que vous faites, nâabandonnez pas. Vous trouverez toujours des dĂ©tracteurs autour de vous. Un parallĂ©lisme peut ĂȘtre Ă©tabli entre la « guerre des littĂ©ratures », que je viens dâĂ©voquer, et un article du Figaro, paru le 18 janvier 2023 : « Marc Levy contre Guillaume Musso : quel est le plus nul ? ». Dans cet article, au titre racoleur, le journaliste sâĂ©tait montrĂ© condescendant Ă lâĂ©gard des deux Ă©crivains, comme si la littĂ©rature populaire nâĂ©tait pas de la « vraie littĂ©rature ». Lâarticle a fait grand bruit, et les langues se sont dĂ©liĂ©es au sein de la communautĂ© littĂ©raire. Des messages de soutien, directs ou indirects, ont Ă©tĂ© adressĂ©s Ă Guillaume Musso, sur Twitter. Plusieurs auteurs se sont insurgĂ©s contre le mĂ©pris du journaliste, Ă lâendroit des deux Ă©crivains prĂ©citĂ©s. Lâagence littĂ©raire Librinova, qui mâaccompagne dans la publication de mes ouvrages, a Ă©galement rĂ©agi Ă lâarticle du Figaro, dans un billet de blog : « Guillaume Musso, Marc Levy et l'article du Figaro : pourquoi autant de mĂ©pris envers la littĂ©rature populaire ? ». Comme lâexplique Librinova, il nâexiste pas de hiĂ©rarchie des genres, et il incombe aux lecteurs de choisir ce quâils ont envie de lire. Les raisons qui poussent quelquâun Ă ouvrir un roman se rĂ©vĂšlent multiples : besoin de sâĂ©vader ou de se changer les idĂ©es, creuser davantage un sujet, frissonner, trouver du rĂ©confort, ĂȘtre happĂ© par la plume dâun auteur⊠à lâinstar des « romans de gare », mes romances olĂ© olĂ© font partie du paysage littĂ©raire. Et ceux qui rĂ©sument les qualitĂ©s dâun individu aux livres quâil Ă©crit seraient bien inspirĂ©s dâen faire autant, avant dâĂ©mettre toute critique. Quâils soient conspuĂ©s ou encensĂ©s, Marc Levy et Guillaume Musso ont gagnĂ© une notoriĂ©tĂ© que certains Ă©crivains, supposĂ©s sĂ©rieux, envient. Le but de la littĂ©rature ne consiste pas Ă Ă©taler tout votre savoir en alignant, dans vos livres, tous les mots du dictionnaire. Telle que je la conçois, la littĂ©rature rĂ©pond Ă plusieurs besoins, ce qui la rend Ă la fois ludique et didactique .â Le profiteur « Profiter de la vie ne signifie pas profiter des gens. En te servant dâeux, tes semblants de succĂšs te desserviront tĂŽt ou tard. » Le profiteur peut sĂ©vir dans plusieurs cas. Dans un premier temps, il peut vous suivre sur les rĂ©seaux sociaux pour que votre visibilitĂ© serve la sienne, un peu comme le rĂ©seauteur. Vos publications ne lâintĂ©ressent pas. Il sâabonne Ă vos comptes en gardant Ă lâesprit le fameux « et si⊠» : et si Sophie mâaidait un jour Ă promouvoir mes romans ? Et si ses likes me permettaient de me faire davantage repĂ©rer ? Et si ses couvertures roses remplaçaient le papier toilette ? Il y a une pĂ©nurie dans mon supermarchĂ© habituel⊠Le cas le plus classique concerne le « parler pour profiter ». Les profiteurs les moins finauds, qui porteront des sabots Ă la place des ballerines, ne vous adresseront la parole que si vous avez une chronique, une interview ou un montage Ă leur proposer. Le maĂźtre-mot ? GratuitĂ©. Hors de question, pour le profiteur, de verser un centime ; pas mĂȘme celui quâil a trouvĂ© dans la rue. Il le garde pour lui, celui-lĂ , car en ramassant les centimes que des passants ont fait tomber, il peut sâoffrir un chewing-gum Ă la boulangerie du coin. La vie nâest-elle pas merveilleuse ? Les profiteurs les plus malins joueront la carte de lâamitiĂ©. Ils discuteront de temps Ă autre avec vous, mais se paieront le luxe de ne pas vous rĂ©pondre pendant des semaines, voire des mois, en prĂ©textant ne pas avoir de temps. Comprenez par lĂ : « Je nâai pas de temps Ă te consacrer. » Bizarrement, quand ils ont un service Ă vous demander, ils refont surface et multiplient les messages. Une fois le service obtenu, ils Ă©courtent la conversation. Et vous vous heurtez, une nouvelle fois, au nĂ©ant ou Ă la disparition « fantĂŽme » du profiteur. Une autrice, avec laquelle je mâentendais bien, avait agi de la sorte pour que je lâaide Ă rĂ©diger son rĂ©sumĂ© durant mes vacances. AccoutumĂ©e aux rĂ©sumĂ©s depuis le CM1, jâai acceptĂ©. Une fois le travail reçu, elle sâĂ©tait empressĂ©e de me dire « au revoir ». Bien quâelle soit trĂšs apprĂ©ciĂ©e au sein de la communautĂ© littĂ©raire, ce que je respecte, je nâai eu aucun scrupule Ă couper les ponts avec elle. Une personne qui se sert de vous ne mĂ©rite pas votre attention. Peu importe quâelle soit lâamie du prince William, de Stephen King ou dâAntoine Gallimard. Ă partir du moment oĂč elle vous nuit, elle doit disparaĂźtre de votre vie. Jâai Ă©galement dĂ» « serrer la vis » sâagissant des ouvrages Ă promouvoir sur ma chaĂźne YouTube. Une personne qui ne respecte pas les consignes dâenvoi ne respecte pas votre travail, surtout si ladite personne prĂ©fĂšre vous envoyer une capture dâĂ©cran, plutĂŽt quâune couverture en bonne et due forme. Lors dâun concours, ceux qui ne se conforment pas aux rĂšgles sont Ă©cartĂ©s dâoffice, donc autant appliquer les mĂȘmes critĂšres de sĂ©lection.â Le bon camarade « En voulant contenter tout le monde et en te montrant obsĂ©quieux , tu ne rends pas toujours service aux gens. » De nature gĂ©nĂ©reuse et possĂ©dant un grand cĆur, le bon camarade nâaime froisser personne. Il se montrera toujours courtois sur les rĂ©seaux sociaux et ne prononcera jamais un mot plus haut que lâautre. Les prĂ©ceptes de la Bible, en vertu desquels il faut aimer son prochain comme soi-mĂȘme, sâappliquent au bon camarade. Celui-ci nâhĂ©sitera pas Ă remplir sa pile Ă lire, en achetant les ouvrages des personnes quâil connaĂźt. Il mâarrive Ă©galement de le faire, mais chez le bon camarade, câest devenu un rĂ©flexe. Alors que je vais davantage mâattarder sur le genre littĂ©raire et le rĂ©sumĂ©, pour effectuer mon choix, le bon camarade prendra surtout en compte la relation qui le lie Ă lâauteur. Certains bons camarades ne liront pas votre ouvrage. Sâils lâont payĂ©, câest pour nourrir votre portefeuille. Dâautres auteurs bons camarades, en revanche, iront au bout de leur lecture et laisseront un avis qui vous sera toujours favorable. Les quelques points nĂ©gatifs soulevĂ©s par le bon camarade seront compensĂ©s par les autres compliments quâil vous adressera. Ainsi, sâil critique lâun de vos personnages en une ligne, il en Ă©crira dix autres pour saluer votre style et votre originalitĂ©. En effet, tout bon camarade qui se respecte ne laisse jamais un avis infĂ©rieur à « quatre Ă©toiles », que ce soit sur Babelio ou sur Amazon. Mais alors, en quoi le comportement du bon camarade est-il contestable ? Eh bien, en voulant rendre service, il ne rend pas toujours service, justement. Ses commentaires seront biaisĂ©s par lâamitiĂ© ou lâaffection quâil vous porte. Jâai dĂ©jĂ vu des bons camarades rĂ©diger des avis de lecture dithyrambiques pour des romans truffĂ©s de coquilles et / ou prĂ©sentant des problĂšmes de mise en page ; lâun nâexclut pas lâautre. Je ne me mets pas en quĂȘte de livres parfaits, car tous les ouvrages, y compris les miens, sont susceptibles de contenir quelques coquilles. LâĆil humain, mĂȘme le plus aguerri, est perfectible. Je considĂšre, cependant, que cinq coquilles sur un livre de plus de trois cents pages sont plus acceptables que dix coquilles dĂšs la premiĂšre page. Parmi les ouvrages notĂ©s par les bons camarades, jâen ai reçu deux : le premier mâavait Ă©tĂ© envoyĂ© en guise de remerciement pour mes montages ; le second avait Ă©tĂ© remportĂ© Ă la suite dâun concours organisĂ© par lâauteur. Les coquilles apparaissaient dĂšs les premiĂšres pages, et certaines phrases Ă©taient si mal tournĂ©es que jâai dĂ» mây reprendre Ă trois fois pour en saisir le sens. Dans le second ouvrage, jâavais Ă©galement dĂ©tectĂ© un problĂšme de mise en page. MalgrĂ© ma gratitude pour les diffĂ©rents envois, jâai dĂ©cidĂ© de ne pas noter les livres, dâautant plus que les auteurs concernĂ©s ne comprennent toujours pas la nĂ©cessitĂ© dâĂ©radiquer leurs coquilles. Maritza Jaillet, connue pour ses chroniques dĂ©taillĂ©es, reste objective en toutes circonstances. Que vous Ă©changiez beaucoup avec elle ou pas, elle demeurera impartiale. Sans cette impartialitĂ© qui la caractĂ©rise, ses observations nâaideraient en rien lâauteur. Dâailleurs, ce dernier devrait accueillir les critiques constructives comme des cadeaux. En effet, depuis que je suis devenue autrice, les remarques qui mâont permis de progresser se comptent sur les doigts dâune main. Elles Ă©manaient toutes de personnes qui me sont proches et qui Ćuvrent pour mon bien, si je mets de cĂŽtĂ© certaines de mes chroniqueuses. Le bon camarade gagnerait donc Ă laisser derriĂšre lui un avis de lecture plus neutre, ce qui ne lui retirerait en rien sa bienveillance. Comme lâexplique Maritza Jaillet sur sa chaĂźne YouTube, dans une vidĂ©o intitulĂ©e [Tata vous thĂšme] #AUTEURS â La bienveillanceâŠ, « ĂȘtre bienveillant ne veut pas dire se laisser Ă©craser. » Il sâagit dâun concept que le bon camarade oublie trop souvent. Certains auteurs bons camarades vont mĂȘme sâoffusquer lorsque vous ferez preuve de franchise, et ils vous rangeront dans la catĂ©gorie des « mĂ©chants » et des « vilains pas beaux ».â Le spĂ©cialiste du copinage « Ne mesure pas tes talents dâauteur Ă lâĂ©tendue de tes relations ni aux avis de complaisance que tu reçois. » Le spĂ©cialiste du copinage agit un peu comme le nĂ©gociateur. Or, Ă la diffĂ©rence de ce dernier, il se montrera moins franc. Il nâexprimera jamais devant vous son souhait dâĂ©changer vos livres. Il achĂštera le vĂŽtre aprĂšs que vous avez achetĂ© le sien sans aucune arriĂšre-pensĂ©e. Il vous attribuera une note positive et rĂ©digera un commentaire laudatif. Son avis de lecture sera faussĂ©, mais il sâen moquera comme de lâan quarante. Copiner, pour gagner des lecteurs et des avis positifs, fait partie de son fonds de commerce. Lorsque vous fouillez les commentaires que le spĂ©cialiste du copinage reçoit sur ses ouvrages, vous vous apercevez quâils proviennent toujours des mĂȘmes personnes. Dâailleurs, les pseudonymes de ces « bienfaiteurs » vous sont familiers. Et pour cause, il sâagit de chroniqueurs ou dâauteurs que vous connaissez, ne serait-ce que de nom, grĂące aux rĂ©seaux sociaux. Si vous avez gagnĂ© en visibilitĂ©, en chroniquant ou en crĂ©ant des montages livresques, comme je le fais, le spĂ©cialiste du copinage se montrera mielleux Ă votre Ă©gard. Ă cĂŽtĂ©, le corbeau dĂ©crit par Jean de La Fontaine dans sa fable ferait pĂąle figure. Mais si je devais Ă©tablir une quelconque analogie entre ces deux comportements, je dirais que le spĂ©cialiste du copinage reprĂ©senterait le corbeau, tandis que vos notes dithyrambiques incarneraient le fromage tant convoitĂ©. Copiner se rĂ©vĂšle-t-il efficace ? HĂ©las, en un sens, oui. Copiner, en vue dâobtenir des avis de lecture, permet de donner de la visibilitĂ© Ă son livre. Certains spĂ©cialistes du copinage vendent trĂšs bien en copinant, Ă©tant donnĂ© que le copinage a eu un « effet boule de neige ». Je pense, nĂ©anmoins, que copiner ne portera pas ses fruits sur le long terme, car une chose demeure certaine : le spĂ©cialiste du copinage ignore souvent comment se vendre. Il accumule plutĂŽt les « boulettes » en matiĂšre de promotion, et nâhĂ©site pas Ă se vanter des commentaires que ses copains auteurs ont laissĂ©s. En effet, dâaprĂšs mes observations, ceux qui savent communiquer autour de leurs livres copinent rarement pour gagner des lecteurs et des notes. Ils trouveraient cela dĂ©gradant, et câest Ă©galement mon opinion⊠Vous lâaurez compris, je mâoppose Ă toute forme de copinage. Jâai créé des affinitĂ©s avec certains auteurs, certes. Cependant, en tant que bonne amie, il mâappartient de me montrer franche lorsquâun Ă©lĂ©ment me dĂ©plaĂźt dans un ouvrage. Il suffit dây mettre les formes pour Ă©viter de froisser lâauteur qui a consacrĂ© du temps Ă son livre.â LâĂ©parpillĂ© « Concentre-toi sur un seul objectif, avant dâentrevoir les suivants. Et, surtout, ne laisse pas vagabonder ton esprit, au point de perdre de vue lâobjectif de dĂ©part. » Si je devais appartenir Ă une autre catĂ©gorie, ce serait assurĂ©ment celle-ci. LâĂ©parpillĂ© fourmille dâidĂ©es et endosse gĂ©nĂ©ralement plusieurs casquettes qui vont au-delĂ de celles qui lui incombent, en tant quâauteur autoĂ©ditĂ© (AE). DotĂ© dâune curiositĂ© dâesprit ou intellectuelle insatiable, il court plusieurs liĂšvres Ă la fois. De prime abord, ceux qui nâaiment pas la routine pourraient trouver sa vie dâauteur trĂ©pidante, Ă une exception prĂšs : il ne sait pas comment sâorganiser ni comment gĂ©rer son temps. Il veut tellement mettre Ă profit toutes ses compĂ©tences quâil les exploite toutes, sans mĂȘme avoir chronomĂ©trĂ© le temps quâil devrait consacrer Ă chacune de ses tĂąches, sans se sentir dĂ©passĂ©. Comme annoncĂ© plus haut, je suis lâarchĂ©type mĂȘme de lâauteur Ă©parpillĂ© : ayant exercĂ© en tant que correctrice il y a longtemps, je propose mes services de bĂȘta-correction. PassionnĂ©e par le dĂ©veloppement Web et le webdesign, jâai tenu Ă crĂ©er mon site Web moi-mĂȘme, Ă partir dâun template , alors que jâaurais pu opter pour la facilitĂ© et choisir un modĂšle prĂȘt Ă lâemploi. Mais non ! Il a fallu que je ressente le besoin de coder⊠Je suis Ă©galement une fan inconditionnelle des montages en tous genres. Je propose donc mes services aux auteurs, en vue de mettre en exergue leurs livres sur les rĂ©seaux sociaux ou par lâintermĂ©diaire dâun communiquĂ© de presse. Enfin, jâĂ©cris. Mais alors, oĂč se situe le problĂšme ? Jây viens. Je ne sais pas mâorganiser, et les heures que je consacre Ă lâĂ©criture, sur mon ordinateur et Ă tĂȘte reposĂ©e, sont relĂ©guĂ©es au second plan. Câest la raison pour laquelle je mets trois cents ans Ă sortir mes ouvrages, sans compter que mon perfectionnisme lĂ©gendaire me freinera tĂŽt ou tard. Si jâavais respectĂ© un planning, chose que jâessaye aujourdâhui de mettre en place â il Ă©tait temps â, je ne me serais pas sentie aussi dĂ©bordĂ©e. Jâapplaudis donc des autrices comme Maritza Jaillet qui mĂšne de front plusieurs missions et qui revĂȘt plusieurs rĂŽles : alpha-lectrice, bĂȘta-lectrice, youtubeuse, autrice hybride , directrice Ă©ditoriale⊠Il ne lui manque plus que la case « correctrice et relectrice » Ă cocher, et son compte sera bon. Or, comme elle lâa affirmĂ© dans ses vidĂ©os, elle sâen tient Ă son agenda. Comme son point fort reprĂ©sente mon point faible, je ne peux que mâen inspirer pour mâamĂ©liorer. VĂ©ritable oiseau de nuit, je sens mon cerveau rĂ©flĂ©chir et chauffer pendant que la plupart des gens tombent dans les bras de MorphĂ©e. Il mâarrive de me lever et dâĂ©courter mes nuits pour noter des idĂ©es que je finirai par exploiter. Parfois, celles-ci sont tellement nombreuses que le temps finit par me manquer. LâĂ©parpillĂ© pourrait ne pas nĂ©gliger un domaine au dĂ©triment dâun autre, sâil le voulait. Dans mon cas, il sâagit de lâĂ©criture de mes livres, qui traĂźne un peu trop en longueur Ă mon goĂ»t. Jâai parfois lâimpression dâavancer comme une tortue. Pourtant, la sagesse voudrait que je me rappelle les mots dâun proverbe chinois : « Ne crains pas dâavancer lentement ; crains seulement de tâarrĂȘter. » En tant quâĂ©parpillĂ©e, je devrais apprendre la discipline pour atteindre plus rapidement mes objectifs, ce qui gĂ©nĂ©rera moins de stress chez moi.â Le recycleur « La monotonie de tes publications et la redondance de tes mots risquent dâennuyer ton public et de lâĂ©loigner. » Si vous vous connectez rĂ©guliĂšrement Ă Twitter ou Ă Instagram, vous avez sans doute remarquĂ© le recycleur. Ă quoi le reconnaĂźt-on ? Ă ses posts similaires qui finissent par agacer. Avec le temps, les publications du recycleur nâintĂ©ressent plus personne. Seule une faible poignĂ©e de fidĂšles accepte de les liker et de les partager. Sur trois cent soixante-cinq jours, le recycleur ne prĂ©voit quâun stock limitĂ© de photos dont le nombre oscille entre un et dix. Sur un an, câest trop peu. Vous verrez donc les mĂȘmes illustrations dĂ©filer, Ă quelques jours dâintervalle. Eh oui, les photos du recycleur portent, bien entendu, sur ses livres. What else ? demanderait lâacteur George Clooney, dans la publicitĂ© Nespresso. Le recycleur agit comme son jumeau, le vendeur Ă la criĂ©e. Mais contrairement Ă ce dernier, il se montre moins inventif. Il publie donc les mĂȘmes choses pour Ă©couler ses livres. Or, Ă aucun moment il ne rĂ©flĂ©chit Ă la maniĂšre dont ses publications seront perçues. Sâil lui arrive dâactualiser ses photos, son approche demeurera identique Ă celle de son frĂšre jumeau ; lâexaspĂ©rant vendeur Ă la criĂ©e : « Bonjour les amis, je vous souhaite un bon week-end. Si vous ne savez pas quoi lire, vous pouvez acheter mon ouvrage. » Comme je lâavais Ă©voquĂ© prĂ©cĂ©demment, je trouve la dĂ©marche maladroite. En effet, toutes les personnes qui lisent la publication ne sont pas des amis du recycleur. De plus, en tant que consommateur, tout un chacun est capable de savoir quoi lire. Jâestime, par ailleurs, que si quelquâun manque dâinspiration, il cherchera Ă se renseigner lui-mĂȘme. Nul besoin quâun auteur lui suggĂšre quoi lire de maniĂšre aussi abrupte ; et certainement pas ses propres bouquins. Les mots redondants du recycleur refont surface chaque semaine. Il nâest donc pas surprenant que les gens sâen dĂ©tournent. Concernant les ventes, certains recycleurs sâen sortent mieux que moi. Or, quand jâanalyse mes interactions et le nombre de partages que jâobtiens avec mes publications, je me dis que celles-ci finiront par payer, tandis que le recycleur finira par lasser. Pour mieux communiquer, ce dernier devrait garder en mĂ©moire la citation de lâĂ©crivain allemand Jean-Paul Richter, alias Johann Paul Friedrich Richter : « Un peu de variĂ©tĂ© vaut mieux que beaucoup de monotonie. »â LâĂ©gocentrique « Le monde ne tourne ni autour de toi ni autour de tes livres. Pour vendre de façon pĂ©renne, il faut apprendre Ă communiquer autrement que par des moi, je⊠» Sur le plan Ă©tymologique, lâadjectif qualificatif « Ă©gocentrique » est composĂ© des mots latins ego et centrum. Ego signifie « moi », et centrum dĂ©signe le « centre ». Je ne vous apprends donc rien en affirmant que lâĂ©gocentrique reste trĂšs centrĂ© sur lui-mĂȘme. Tout cela est bien joli, mais comment se comporte-t-il sur les rĂ©seaux sociaux, Ă lâĂ©gard des chroniqueurs ou des autres auteurs ? Pour faire court, il ramĂšne tout Ă lui⊠Mettez-vous un instant dans la peau dâun twitto, et laissez vagabonder votre imagination⊠Si vous avez lâĂąme dâun artiste, je sais que vous le pouvez. Votre grand-mĂšre vient de dĂ©cĂ©der, et vous informez vos abonnĂ©s que vous risquez de vous absenter durant quelques semaines. Tandis que la plupart des gens se montreront compatissants en vous adressant des messages de condolĂ©ances, lâĂ©gocentrique, lui, les balayera dâun revers de main ou les « expĂ©diera », en laissant un commentaire dans lequel il Ă©voquera aussi sa chĂšre mamie : « DĂ©solĂ© pour ta grand-mĂšre. Moi, quand elle est morte, je me suis dĂ©brouillĂ© pour graver le titre de mon dernier livre sur sa pierre tombale. Comme ça, les gens nâoublieront pas quâelle avait un petit-fils romancier. » Fort heureusement, les faits ne sont que le fruit de mon imagination et de mon humour plus que douteux. Je dois nĂ©anmoins avouer que les interactions de lâĂ©gocentrique, notamment sur Twitter, mâaident pas mal⊠à ce sujet, jâai deux anecdotes Ă vous raconter. Sur mon ancien compte Twitter, jâavais profitĂ© de mon anniversaire pour adresser mes vĆux aux auteurs qui Ă©taient nĂ©s le mĂȘme jour que moi. Parmi tous les commentaires reçus, jâen avais repĂ©rĂ© un provenant dâun auteur que je ne connaissais pas, Ă lâĂ©poque. Le commentaire Ă©tait formulĂ© de la façon suivante : « Joyeux anniversaire ! Le mien, câest le 9⊠» Sur le coup, je me suis demandĂ© quel Ă©tait cet Ă©nergumĂšne que je ne connaissais ni dâĂve ni dâAdam. Jâavais envie de lui rĂ©torquer : « Que veux-tu que ça me fasse ? On ne se connaĂźt pas⊠» Vu que lâĂ©gocentrique dĂ©sirait ardemment que tous les projecteurs soient braquĂ©s sur lui, il aurait pu dĂ©clarer : « Joyeux anniversaire ! Le mien, câest le 9 Ă©gocembre ; le mois de lâĂ©gocentrisme absolu. » Pour ĂȘtre honnĂȘte, cela mâaurait procurĂ© le mĂȘme effet, dâautant plus que lâauteur Ă©gocentrique a rĂ©cidivĂ© quelques mois plus tard pendant que je souhaitais un joyeux anniversaire Ă lâun de mes amis auteurs : « Mon anniversaire, câest le 9⊠» Et alors ? Pourquoi me parles-tu de toi ? Ănervant, non ? Aux yeux de lâauteur Ă©gocentrique, toutes les occasions se rĂ©vĂšlent idĂ©ales pour se mettre en vedette ou pour tirer la couverture Ă soi. Comme il Ă©crit, la derniĂšre expression semble peut-ĂȘtre plus appropriĂ©e ! Vous vous sentez heureux dâannoncer la sortie de votre dernier ouvrage ? ModĂ©rez vos ardeurs, car votre joie sera de courte durĂ©e. Entre les personnes qui partageront la nouvelle et celles qui vous complimenteront, vous risquez de tomber sur le commentaire de lâĂ©gocentrique qui nâa pas son pareil pour vous fĂ©liciter : « Bravo pour ton livre ! Moi, jâai Ă©crit⊠Jâai dâailleurs mis le lien dâachat. » Pardon ? ? ? OĂč as-tu vu quâil Ă©tait mentionnĂ© « espace publicitaire gratuit et illimitĂ© » sous mon post ? ? ? DâaprĂšs mes observations, les auteurs Ă©gocentriques sont souvent ceux qui peinent Ă vendre et dont les publications nâintĂ©ressent pas grand monde. Comme ils ne savent pas communiquer autrement quâen rapportant tout Ă eux, ils peuvent ĂȘtre amenĂ©s Ă commenter leurs propres ouvrages sur Babelio, Booknode ou Amazon pour les plus malins. Bien entendu, ils laisseront un avis « quatre ou cinq Ă©toiles », avec le commentaire qui va avec : « Roman au top. Personnages gĂ©niaux et attachants. » Le commentaire vous laisse sans voix ? Avec lâauteur Ă©gocentrique, vous nâĂȘtes pas au bout de vos surprises. Eh oui, parfois, ce dernier publie des livres truffĂ©s de coquilles. PlutĂŽt que de les Ă©radiquer, en vue dâamĂ©liorer ses ventes, il prĂ©fĂšre les ignorer et parler de lui Ă tout va ; quitte Ă vanter des exploits inexistants⊠Si je devais rĂ©sumer lâĂ©tat dâesprit de lâĂ©gocentrique en une citation, je choisirais celle du philosophe et sociologue Edgar Morin, qui dĂ©peint lâĂ©gocentrisme en ces termes : « Le sujet humain est Ă©gocentrique, dans le sens oĂč il sâautoaffirme en se mettant au centre de son monde. Mais, dans son âjeâ, il inclut un âtoiâ et un ânousâ, et il est capable dâinclure son âjeâ dans un âtoiâ et un ânousâ. »â Le donneur de leçons « PlutĂŽt que de donner des leçons de vie ou des leçons de morale aux autres, au motif que tu penses savoir mieux que tout le monde, apprends lesdites leçons et applique-les, car une chose demeure certaine : si tu crois tout savoir, cela signifie que tu ne sais presque rien. Le savoir sâenseigne par les actes et non par la parole. » Les donneurs de leçons pullulent sur les rĂ©seaux sociaux, y compris au sein de la communautĂ© littĂ©raire. Ă lâouverture de mon compte auteur Twitter, je pensais, Ă tort, que tous mes pairs Ă©taient plus raisonnables que dâautres twittos, et quâil Ă©manait dâeux une certaine facultĂ© de discernement. En effet, Ă mes yeux, Ă©crire relĂšve de la sphĂšre artistique et intellectuelle, ce qui suppose sagesse et recul. Ă mon grand dam, tous les auteurs nâen sont pas dotĂ©s⊠Comment opĂšre le donneur de leçons ? Il souffre dâultracrĂ©pidarianisme : il sâagit dâun comportement qui consiste Ă donner son opinion sur des sujets Ă propos desquels on nâa pas de compĂ©tence avĂ©rĂ©e. AmusĂ©es par la dĂ©finition, MĂ©lanie Desforges et moi-mĂȘme lâavions partagĂ©e sur Twitter, Ă quelques mois dâintervalle. Comme quoi, visionner des vidĂ©os TikTok peut se rĂ©vĂ©ler utile⊠La stratĂ©gie favorite du donneur de leçons consiste à « polluer » vos publications, en laissant des commentaires dans lesquels il dĂ©ploiera tout son « savoir » ; du moins, câest ce quâil croit. Face Ă lui, vous aurez lâimpression dâĂȘtre pris pour un gamin auquel il faut enseigner la vie. Et, bien souvent, la bĂȘtise du donneur de leçons le contraindra Ă mal interprĂ©ter vos propos et vos intentions, ce qui entraĂźnera des quiproquos, des dĂ©bats sans fin et des rĂ©actions parfois virulentes si vous rĂ©pondez. Dans un deuxiĂšme temps, lâauteur donneur de leçons peut partager des posts dans lesquels vous relĂšverez son ton moralisateur. En les lisant, vous aurez le sentiment dâĂȘtre retombĂ© en enfance, puisquâil vous infantilise en jouant les professeurs. Enfin, le donneur de leçons sĂ©vit lorsque vous converserez avec un autre auteur. Lâambiance, qui se voulait dĂ©tendue, se gĂąte quand le donneur de leçons dĂ©barque avec ses gros sabots. Il rase tout sur son passage, tel un ouragan. Vu la tĂ©nacitĂ© du donneur de leçons, vous ĂȘtes enclin Ă penser quâun ouragan vaudrait peut-ĂȘtre mieux que ses propos. Au moins, vous en seriez dĂ©barrassĂ©. Pourquoi le donneur de leçons agace-t-il ? Parce quâil pense possĂ©der plus de connaissances que les autres ; parce quâil a lâoutrecuidance de se croire dotĂ© dâune intelligence supĂ©rieure Ă la moyenne, alors quâen rĂ©alitĂ©, la plupart des donneurs de leçons sont des ĂȘtres ignorants et peu rĂ©flĂ©chis. Sâils passent leur vie à « servir » des leçons aux autres, plutĂŽt que de travailler sur eux ou sur leurs tares, câest parce quâils ne possĂšdent pas le recul nĂ©cessaire pour se remettre en question. Ils ne sont donc pas en mesure de relever leurs propres dĂ©faillances. Sâils sâen aperçoivent, ils accuseront les autres et rĂ©pĂ©teront les mĂȘmes erreurs, car il sâagit lĂ dâune solution de facilitĂ©. Or, si vous creusez un peu, vous remarquerez quâils souffrent, dans leur for intĂ©rieur, dâun complexe dâinfĂ©rioritĂ©, quâils combleront, en public, par un sentiment de supĂ©rioritĂ© de façade. Jâai dĂ» me rĂ©soudre Ă couper les ponts avec une autrice â que je nommerai CunĂ©gonde â qui connaissait pourtant certains pans de ma vie. Ăchanger avec elle ne me dĂ©rangeait pas outre mesure, jusquâĂ ce quâelle se comporte avec moi comme une vĂ©ritable donneuse de leçons, sur des sujets quâelle ne maĂźtrisait pas ou qui ne la concernaient pas. Un jour, une autrice avait demandĂ©, dans un tweet, quelles Ă©taient les caractĂ©ristiques physiques des Asiatiques. Dâorigine chinoise, je lui avais notamment expliquĂ© comment distinguer les diffĂ©rentes formes dâyeux asiatiques : les « yeux bridĂ©s » dĂ©signeront davantage des yeux « peu ouverts », ressemblant Ă des « traits », tandis que les « yeux en amande », comme les miens, seront « moins fermĂ©s ». Ă aucun moment je nâexhortais lâautrice Ă utiliser tel ou tel terme qui peut ĂȘtre perçu comme raciste au regard de certains. De mon point de vue, il sâagit de termes figurant dans nâimporte quel dictionnaire, et je ne mâoffusquerai jamais dâentendre quelquâun me parler des « yeux bridĂ©s ». Cela dit, si vous prĂ©voyez dâĂ©crire un livre sur les Asiatiques, je vous dĂ©conseille dâutiliser les mots « yeux bridĂ©s » ou « yeux en amande », jugĂ©s clivants par certaines personnes. Des maisons dâĂ©dition (ME) risquent mĂȘme de refuser les manuscrits ou les tapuscrits employant les termes prĂ©citĂ©s. Revenons Ă nos moutons⊠La fameuse CunĂ©gonde sâĂ©tait introduite dans la discussion pour me faire une leçon de morale, en affirmant que les personnes concernĂ©es trouvaient le terme « yeux en amande » raciste. Ă lâappui de ses propos, elle mâavait montrĂ© lâarticle dâune Française dâorigine chinoise, que je connaissais pour ses rĂ©actions extrĂ©mistes. Quelques annĂ©es auparavant, cette derniĂšre et moi appartenions Ă la mĂȘme association dont lâobjectif visait Ă promouvoir la culture asiatique, tout en luttant contre le racisme. Sur le coup, jâavais tĂąchĂ© de garder mon calme face Ă CunĂ©gonde, alors que je bouillonnais intĂ©rieurement. Je fais partie des personnes concernĂ©es, tandis que CunĂ©gonde, elle, nâa pas de sang asiatique qui coule dans ses veines. De quel droit sâĂ©tait-elle permis de me dire ce qui Ă©tait considĂ©rĂ© ou non comme raciste, au regard dâun Asiatique ? ? ? Les mangas quâelle lit ? Bien sĂ»r que non. Sinon, ce serait trop simple.
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« Dernier message par Apogon le jeu. 31/08/2023 Ă 17:43 »
Je Dangereux de Sophie Herrault Pour l'acheter : Amazon Kobo On nâa pas deux fois lâoccasion de vivre sa vie. Sophie Herrault Prologue â Il est toujours vivant ! â Quelles Ă©taient ses chances de survie ? â ThĂ©oriquement aucune. C'est incomprĂ©hensible. PremiĂšre partie : solitude Solitude : Ă©tat de quelquâun qui est psychologiquement seul (dĂ©finition du dictionnaire Larousse) Vivre, c'est agir. Anatole France - Le jardin d'Ăpicure La fuite Ils me poursuivent⊠MalgrĂ© un mal de crĂąne intense, mon cerveau fonctionne Ă toute vitesse. Pour le moment, je ne les vois et je ne les entends pas. Cela me laisse un peu de rĂ©pit. Mes paupiĂšres sont lourdes et gonflĂ©es. Mon champ de vision restreint ne laisse apparaĂźtre que les quelques mĂštres devant moi. Le reste est plongĂ© dans le noir comme si je nâavais accĂšs quâĂ une toute petite partie de lâinformation habituellement disponible. Je vois Ă peine oĂč je pose mes pieds. Mon cĆur bat la chamade. J'avance pĂ©niblement. Le sol est trĂšs boueux. Je m'enfonce jusqu'Ă la cheville. MalgrĂ© le risque que j'encoure, je dĂ©cide d'arrĂȘter ma course un instant pour mieux cerner le lieu oĂč je suis. Pour voir au loin avec mes yeux mi-clos, je dois incliner le visage vers le ciel. Un courant Ă©lectrique dĂ©sagrĂ©able me parcourt la nuque. La tĂȘte me tourne et je crois perdre l'Ă©quilibre. Je ferme les yeux le temps de laisser passer cette sensation. Je les ouvre pour dĂ©couvrir cet environnement marĂ©cageux. Peu d'endroits pour se cacher. Il y a bien quelques herbes hautes par-ci par-lĂ . J'ai beau ĂȘtre fin comme une allumette, cela demeure une expression. Rester immobile derriĂšre un bosquet que je distingue Ă une dizaine de mĂštres ? C'est irrĂ©aliste, ils finiront par me trouver. Ma seule chance de rester en vie, c'est d'ĂȘtre toujours en mouvement, dâavoir une longueur d'avance. Je dois poursuivre. J'entends un bruit lointain. Mon cĆur se met Ă battre plus vite. Avancer, toujours avancer. Plus vite. Il y va de ma vie et je veux vivre. Mes muscles me font mal. J'ai la plante des pieds en feu malgrĂ© l'humiditĂ© qui s'est insinuĂ©e au travers de mes chaussures. Continuer, coĂ»te que coĂ»te. Tant qu'ils ne m'ont pas pris, je suis vivant. Je reste libre. Je peux agir. Je reprends ma course. Maudit mal de crĂąne, satanĂ©es paupiĂšres. Si seulement je pouvais voir ce qui m'entoure sans ĂȘtre limitĂ© Ă ces quelques mĂštres devant moi. Je ne peux pas m'arrĂȘter tout le temps pour savoir oĂč aller. Je cours Ă lâaveuglette. Je dois avoir l'air d'un fou. MalgrĂ© la douleur que je ressens au niveau de la nuque, cette pensĂ©e me fait presque rire et me redonne un peu d'Ă©nergie. Tant que la bonne humeur est au rendez-vous... Cela devient trop fatiguant et douloureux. Je nâai parcouru que quelques mĂštres et je baisse de nouveau la tĂȘte, perdant le peu de visibilitĂ© que j'avais de l'environnement. Poursuivre malgrĂ© tout⊠Soudain, mes poils se dressent. Il se passe quelque chose d'anormal. â ArrĂȘtez-vous ! Mon cerveau enregistre la phrase, la digĂšre et met en branle tous les signaux d'alerte. Je dĂ©code l'ensemble des informations disponibles : le son est proche avec des intonations fĂ©minines. DeuxiĂšme scanner de la situation : voix autoritaire mais anormalement douce et bienveillante. Mon instinct dĂ©cide d'obĂ©ir Ă l'injonction. Je m'arrĂȘte et relĂšve la tĂȘte pour tenter d'apercevoir celle qui me parle. Ă quelques pas de moi, je dĂ©couvre une femme. Son visage lisse et ses cheveux blancs la font paraĂźtre sans Ăąge. Son regard est perçant. Elle semble lire dans mes pensĂ©es les plus intimes. Pour autant, il n'y a pas dâagressivitĂ© dans son expression, juste de la dĂ©termination et une pointe dâurgence. Les battements de mon cĆur s'attĂ©nuent un peu. Le danger ne devrait pas venir d'elle. â Je n'ai que peu de temps et beaucoup de choses Ă vous dire. Soyez trĂšs attentif. Elle vĂ©rifie qu'elle a bien retenu toute mon attention avant de poursuivre. â Le danger vous guette de toute part. Vous aurez de nombreux moments de doute. Chaque choix qui se prĂ©sentera Ă vous aura des consĂ©quences. Restez toujours Ă l'Ă©coute de votre cĆur et suivez votre instinct. Ce seront vos alliĂ©s les plus prĂ©cieux pour agir au mieux. Une seule question mĂ©rite rĂ©ponse : vivre ou mourir ? Les deux ont leurs avantages et leurs inconvĂ©nients. Quelle que soit la situation, quoi qu'il arrive, gardez Ă l'esprit que tout est possible, mĂȘme l'improbable. Et si vous choisissez de vivre, suivez la lumiĂšre⊠Je tourne mon regard dans la direction qu'elle me montre du doigt. Un rayonnement intense m'Ă©blouit. Le soleil qui se lĂšve : l'est. Ce serait donc lĂ , ma planche de salut ? D'autres questions arrivent dans la foulĂ©e : qui est cette femme ? D'oĂč vient-elle ? Comment est-elle arrivĂ©e jusquâici ? Comment savait-elle que j'Ă©tais lĂ ? Pourquoi me dĂ©livre-t-elle ce message ? Dois-je lui faire confiance ? Je me tourne de nouveau vers elle, mais elle a disparu de mon champ de vision toujours aussi restreint. J'entends de nouveau, au loin, des bruits encore confus d'hommes qui crient. Mes pensĂ©es se bousculent Ă la vitesse de l'Ă©clair. Je rassemble toutes les informations dont je dispose : les propos de la femme, le marais, les cris qui se rapprochent, la clartĂ© qui devient de plus en plus forte et m'oblige Ă fermer les yeux⊠Prendre une dĂ©cision : faire confiance Ă cette messagĂšre, qui n'existe peut-ĂȘtre que dans mon imagination ou poursuivre mon chemin. C'est le moment du choix et de l'action. Questionnement Suivre mon instinct⊠J'ouvre les yeux et les referme aussitĂŽt. La lumiĂšre est trop dense. Je porte la main prĂšs de mon visage pour me protĂ©ger du rayonnement. Une forte confusion rĂšgne parmi mes pensĂ©es. Le mal de crĂąne est toujours aussi intense. Pourtant, mon intuition me souffle qu'il s'est passĂ© quelque chose et que la situation n'est plus identique. De nouvelles informations parviennent jusqu'Ă mon cerveau. Je n'ai plus cette sensation d'humiditĂ© au niveau des pieds, c'est mĂȘme plutĂŽt une douce chaleur agrĂ©able. Mon dos est en appui contre quelque chose de ferme et de souple en mĂȘme temps. Je ne patauge pas dans un marais. J'ouvre de nouveau les yeux. Je suis dans un lit, en sueur et courbaturĂ©. La clartĂ© est pourtant toujours prĂ©sente. C'est un rayon de soleil qui vient de me rĂ©veiller. Mon esprit et mon corps sont encore malmenĂ©s par le cauchemar. Cela avait l'air tellement vrai⊠Je ferme de nouveaux les yeux. Je revois la femme me parler. Ses paroles me reviennent comme l'annonce d'une prophĂ©tie : « Chaque choix qui se prĂ©sentera Ă vous aura des consĂ©quences. » Rien de plus que du bon sens ! Et pourtant, il y avait cette intonation, cette gravitĂ©, comme si l'avenir de ce monde Ă©tait engagĂ©. « Une seule question mĂ©rite rĂ©ponse : vivre ou mourir ? » D'y penser, j'en frisonne. Je m'assois sur le lit tout en essayant de contrer le tournis qui arrive. Je prends ma tĂȘte entre les mains. Leur fraĂźcheur toute relative apaise un peu l'Ă©tau qui m'opprime. Je regarde autour de moi. Des vĂȘtements, du moins je crois, sont posĂ©s sur une chaise Ă cĂŽtĂ© du lit. Enfin, posĂ©s est un bien grand mot. Disons plutĂŽt qu'ils ont Ă©tĂ© jetĂ©s et que miraculeusement la chaise a su les rattraper. L'image me fait sourire, mais le mal de crĂąne, qui revient en force, beaucoup moins. La piĂšce est sobre avec des murs blanchĂątres et un vieux linolĂ©um gris anthracite. Jâaperçois deux portes fermĂ©es. Je nâai aucune idĂ©e de ce qui peut se cacher derriĂšre. Une sorte de radio-rĂ©veil et une lampe sont posĂ©es sur la table de chevet qui jouxte le lit. OĂč suis-je ? Je ne reconnais pas ce lieu. Trop aseptisĂ© pour ĂȘtre un hĂŽtel. Quel est cet endroit ? Dans quel pays suis-je ? Quâest-ce que je fais lĂ ? Comment suis-je parvenu jusquâici ? Un lĂ©ger courant dâair, provenant dâune bouche dâaĂ©ration, me fait frissonner. Une vitre au verre opaque laisse passer les rayons du soleil. Jâessaye dâapercevoir ce qui au-dehors, sans rĂ©sultat. Je prends conscience de l'odeur Ăącre de ma sueur qui me rappelle de nouveau le cauchemar et tous les muscles endoloris de mon corps. Quâai-je fait hier soir ? Avec qui Ă©tais-je ? Comment me suis-je retrouvĂ© dans cet endroit ? Mon cerveau embrumĂ© cherche en vain les rĂ©ponses. Pourquoi est-ce que je nâarrive pas Ă me souvenir ? Que mâest-il arrivĂ© ? Que sâest-il passĂ© ? DâoĂč me vient ce mal de tĂȘte ? ⊠Je n'en sais fichtre rien. Je suis incapable de me rappeler quoi que ce soit, mĂȘme les informations les plus basiques. Je recherche dans ma mĂ©moire un souvenir, n'importe quoi qui pourrait me donner ne serait-ce qu'un dĂ©but d'explication. Le mal de crĂąne devient de plus en plus fort, Ă la mesure de mon insistance. Plus le nombre de questions augmente et plus je sens monter en moi un malaise diffus⊠Me vient alors lâinterrogation sans rĂ©ponse la plus angoissante de toutes : qui suis-je ? Rien⊠Le blanc, lâabsence totale. Le vide. Comme si je parcourais les pages dâun livre vierge. Comme si ma vie ne dĂ©butait rĂ©ellement qu'aujourd'hui. Jâai lâimpression que lâair se rarĂ©fie. Je me sens oppressĂ©. Une citation me traverse lâesprit « Un arbre sans racine nâest quâun bout de bois ». OĂč ai-je vu cela ? Lâappel de lâAnge , me rĂ©pond mon inconscient. Je nây comprends rien ! Serait-ce un livre que jâai lu ? Une bribe de souvenirs ? La seule chose rassurante cependant, câest que cette information semble provenir de mon passĂ©. Câest une premiĂšre bonne nouvelle ! Mon estomac se met Ă gargouiller. Je me sens nausĂ©eux. Quelle heure est-il ? Et quel jour sommes-nous, dâailleurs ? Mon esprit rationnel reprend le dessus. Je dois faire quelque chose. Ă commencer par me lever. Jâai lâimpression de devoir fournir un effort considĂ©rable pour rĂ©aliser ce simple mouvement. Sans compter cette sensation de tournis, comme si jâĂ©tais sur un manĂšge. Je patiente quelques secondes, le temps de retrouver un peu de stabilitĂ©. Je dois collecter les renseignements lĂ oĂč ils sont. Et pour cela, il faut que jâexplore l'endroit oĂč je suis. Mon instinct me pousse Ă porter de nouveau mon attention sur le radio rĂ©veil. Il y a quelque chose d'inhabituel. Je ferme les yeux et les ouvre aussitĂŽt. La pression est moins forte dans ma boĂźte crĂąnienne, mĂȘme si tout est relatif. L'heure ! L'heure n'est pas affichĂ©e sur le radio rĂ©veil. J'appuie sur l'interrupteur situĂ© juste Ă cĂŽtĂ© de moi. Pas dâĂ©lectricité⊠Je me lĂšve du lit. Difficilement. Qu'ai-je bien pu faire pour ĂȘtre aussi crispĂ© ? Ai-je rĂȘvĂ© ? Ătait-ce une retranscription de ce que j'ai vĂ©cu ? ⊠Je ne sais pas. Un Ă©pais brouillard recouvre mes pensĂ©es. Je nâentrevois aucun passĂ©, ni signe concernant un futur immĂ©diat. Je suis Ă©garĂ© dans le prĂ©sent. Que suis-je sensĂ© faire aujourd'hui ? Est-ce que quelqu'un m'attend quelque part ? Cette question dĂ©clenche une sorte de flash, une prĂ©sence dans le vide de mes souvenirs. C'Ă©tait une image dont le passage Ă©tait bref mais suffisant pour que je m'y accroche. Le Centre. Au cĆur de Paris. Dans le Marais. Mon cĆur bat plus vite. Mais suis-je toujours en France ? Quel est le lien rĂ©el avec le cauchemar ? Il y en a un, je le pressens. Mais lequel ? Je laisse pour le moment la question de cĂŽtĂ©. Le Centre m'est venu Ă l'esprit quand j'ai Ă©voquĂ© la notion de retrouver quelqu'un. AllĂ©luia ! Je ne sais pas l'heure qu'il est, mais je vais me rendre Ă ce rendez-vous, fictif ou rĂ©el. J'ai le sentiment que c'est important et de toute façon, je nâai rien Ă perdre. Sauf que je suis en pyjama, je sens la sueur, j'ai mal au crĂąne, je ne sais pas quel est cet endroit et mon ventre recommence Ă se faire entendre ! Prendre les choses dans l'ordre, une par une. En premier lieu, me laver avec une eau bien chaude. Cela devrait avoir deux effets : me donner un sentiment de propretĂ© et permettre d'attĂ©nuer, en partie, le mal de tĂȘte et les courbatures. Je verrai la suite aprĂšs. Je pousse la premiĂšre porte que je trouve. Il faut croire que j'ai de la chance : je tombe juste du premier coup. La piĂšce est petite et sans fenĂȘtre. La lumiĂšre provenant de la chambre me suffit cependant pour voir ce qui sây trouve. La salle dâeau est fonctionnelle, mĂȘme si les Ă©quipements semblent dater de la prĂ©histoire. La nausĂ©e me surprend par sa fulgurance. Mon estomac se soulĂšve et jâai juste le temps de me pencher au-dessus de la cuvette des toilettes avant de vomir de la bile. Jâai les jambes flageolantes lorsque je me relĂšve. Je me retourne vers la douche. Juste Ă cĂŽtĂ©, un miroir surplombe le lavabo. Je m'approche et me fige d'horreur. L'image est celle d'un homme d'une trentaine d'annĂ©es. Encore que l'Ă©tat de son visage ne permette pas d'en ĂȘtre certain. Un hĂ©matome marque son territoire au milieu du front en affichant une bosse Ă©norme aux couleurs de la nuit. Je suppose que mon mal de tĂȘte vient de lĂ . Les paupiĂšres sont gonflĂ©es. J'aimerais que ce soit de la fatigue, mais j'ai un doute Ă ce sujet. Je regarde de plus prĂšs ce visage qui est le mien, en partie dĂ©formĂ© et donc mĂ©connaissable. Ă la lisiĂšre des cheveux, j'aperçois une longue balafre que je n'explique pas. Un reste de boue est accrochĂ© sur quelques mĂšches qu'une toilette rapide n'a pas dĂ» suffire Ă enlever. En me dĂ©shabillant, je remarque alors les autres contusions et cicatrices, comme des Ăźles plus ou moins grandes qui parsĂšment mon corps. Des archipels de douleur, aux couleurs flamboyantes. En noir et blanc avec un effet nĂ©gatif, mon corps aurait ressemblĂ© Ă la voie lactĂ©e par une belle nuit sans nuage. Quelle que soit la teinte, j'aurais pu ĂȘtre la matrice de l'univers. Qui sait, peut-ĂȘtre mĂȘme Dieu ? Une divinitĂ© de lâoubli ? Quelle drĂŽle dâidĂ©e ! Pour avoir des pensĂ©es pareilles, je dois ĂȘtre du genre optimiste. Pourtant, les faits sont lĂ et mon rĂȘve n'explique rien⊠Je sonde de nouveau ma mĂ©moire. Que s'est-il passĂ© ? Je ressens soudain une impression de chute dans le vide. Mes pieds se dĂ©robent. Un grand froid m'envahit, me glace, me paralyse. Un trou noir avale le dĂ©cor. *** J'ouvre les yeux, dĂ©sorientĂ©. Il me faut quelques minutes pour comprendre ce qui se passe. La salle de bain. Le rĂȘve. Je constate que je suis allongĂ© par terre. J'ai dĂ» m'Ă©vanouir. FrigorifiĂ©, je me remets lentement debout et me dirige vers la douche. Le jeu d'eau chaude apaise les tensions et dĂ©noue mes muscles contractĂ©s. Je ferme les yeux un court instant, pour ne penser Ă rien et faire le vide, mĂȘme s'il n'y a pas grand-chose Ă vider. Ce moment, hors du temps, me redonne un brin de sĂ©rĂ©nitĂ© : lĂ , maintenant, ici, tout va bien. MĂȘme au cĆur du chaos, rĂ©side un espace de tranquillitĂ© oĂč je peux me ressourcer⊠Mon ventre Ă©met de nouvelles protestations. Je sors de la douche, m'essuie rapidement et rĂ©cupĂšre les vĂȘtements sur la chaise. Ils me vont bien, c'est toujours ça de gagnĂ©. Il faut que je mange, le reste devra attendre. Une chambre, une salle d'eau, un salon-cuisine. Un logement de vingt mĂštres carrĂ©s datant un peu. Il est meublĂ© trĂšs sommairement pour une personne seule, mĂȘme s'il subsiste çà et lĂ quelques cartons Ă dĂ©baller. Ou Ă emballer ? La fenĂȘtre de la cuisine, constituĂ©e de pavĂ©s de verre dĂ©poli, diffuse de la lumiĂšre, mais nâapporte aucune visibilitĂ©. Une drĂŽle d'odeur familiĂšre rĂšgne dans cette piĂšce. Je n'y prĂȘte pas attention. Je cherche plutĂŽt ce qui pourrait me sustenter. Le frigidaire est presque vide. Une bouteille de soda devrait m'aider Ă soulager le mal de tĂȘte. Une boĂźte dâallumettes traine par terre. Elle a dĂ» tomber. Dans un placard, quelques conserves, des pĂątes et des cĂ©rĂ©ales me font la cour en concurrence avec un paquet de gĂąteaux secs. Je dĂ©cide de dĂ©vorer le maĂŻs soufflĂ© avec un peu de lait trouvĂ© juste Ă cĂŽtĂ©, et de conserver les biscuits pour plus tard. AprĂšs quelques instants, je me sens nausĂ©eux. Le lait Ă©tait peut-ĂȘtre pĂ©rimĂ©. En revenant sur mes pas, j'aperçois sur la table un tĂ©lĂ©phone portable. J'ai l'impression de le reconnaĂźtre. Câest sans doute le mien. Il contient sĂ»rement des Ă©lĂ©ments de rĂ©ponses. Câest peut-ĂȘtre mĂȘme le dĂ©clencheur qui va me permettre de connaĂźtre ce qui s'est passĂ©. Je me sens excitĂ©, impatient. Enfin, je vais savoir. J'appuie sur la touche pour l'allumer. Entrer le code SIM. J'ai l'impression d'assister Ă un canular. Jâessaye quelques combinaisons de chiffres sans succĂšs. Un rire nerveux s'empare de moi. Des larmes me viennent aux yeux. Un mot de passe. Un simple mot de passe dont je ne me souviens plus et qui m'empĂȘche d'accĂ©der Ă des rĂ©ponses. Je sens l'Ă©tau se resserrer autour de mon cĆur avec la mĂȘme intensitĂ© que lâexcitation de l'instant prĂ©cĂ©dant. Ce n'est pas possible. « Quelle que soit la situation, quoi qu'il arrive, gardez Ă l'esprit que tout est possible mĂȘme l'improbable. » Je ne pensais pas que ce rĂȘve prendrait forme de cette façon et qu'il trouverait un Ă©cho dans la rĂ©alitĂ© que je suis en train de vivre. Le fait est que je ne comprends pas ce qui m'arrive. Pourtant, câest ce que jâexpĂ©rimente, que je souhaite y croire ou non, que ce soit agrĂ©able ou non. J'ai soudain envie d'abandonner la lutte, de mourir Ă cet insupportable prĂ©sent, de mâanĂ©antir dans un abĂźme d'oubli. DĂ©finitivement. ComplĂštement. Ce serait tellement plus facile que de devoir se battre contre soi-mĂȘme⊠Mon esprit se rebelle Ă cette idĂ©e. Je rassemble toutes les informations dont je dispose : je suis dans la peau d'un homme qui ne sait rien, ni de sa vie passĂ©e, ni de celle Ă venir ; je me trouve dans un lieu dans lequel je viens d'arriver ou duquel j'allais partir ; jâai un nombre incalculable dâinterrogations en attente. « Une seule question mĂ©rite rĂ©ponse : vivre ou mourir ? Les deux ont leurs avantages et leurs inconvĂ©nients. » Ma messagĂšre avait raison. Prendre une dĂ©cision : vivre ou mourir ? DisparaĂźtre ? Rester ce que je suis, une personne amnĂ©sique, et attendre que mes souvenirs reviennent ? Devenir ce que je souhaite ĂȘtre ?
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« Dernier message par marie08 le jeu. 10/08/2023 Ă 13:21 »
Quand la vĂ©ritĂ© sort des pages dâun livre Eh oui, on ne va pas se mentir, avec cet ouvrage on se retrouve face Ă face avec certaines vĂ©ritĂ©s qui nous sont propres, Ă nous les auteur(e)s Ă la noix dont Sophie les a placĂ© par catĂ©gorie. Ainsi, on se dĂ©couvre le spammeur, le vendeur Ă la criĂ©e, le marketeur, lâimitateur, lâermite et jâen passe, car la liste est assez longue. Je ne vais donc pas lâĂ©numĂ©rer pour Ă©viter de la spoiler. Mais chaque catĂ©gorie est dĂ©crite de maniĂšre concise et efficace. Sophie Lim ne sâarrĂȘte pas lĂ cependant ; elle aborde Ă©galement les idĂ©es reçues dans le milieu littĂ©raire, elle donne quelques conseils Ă©clairĂ©s et nous livre certaines citations. Ce que jâai apprĂ©ciĂ© avant tout dans cet ouvrage, câest lâhumour de Sophie Lim. Oui, on rit, on rit de tout, mĂȘme de soi-mĂȘme. Et lorsque on arrive Ă la fin de ce livre, on le ferme en se disant que Sophie nous a appris pas mal de choses et que lâon va sâamĂ©liorer, que lâon ne va plus faire les mĂȘmes erreurs. Alors, pour tout cela, je dis : « Merci Sophie de mâavoir fait rire mais aussi de mâavoir fait prendre conscience de certaines erreurs. » https://www.amazon.fr/Quel-auteur-%C3%A0-noix-es-tu/dp/B0C7G6WD17/ref=sr_1_1?crid=2FQCDWJO7VPP0&keywords=quel+auteur+%C3%A0+la+noix+es-tu&qid=1691666293&sprefix=%2Caps%2C482&sr=8-1
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