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« Dernier message par Apogon le jeu. 05/12/2024 à 18:27 »
Le mystère de Cassie Bennett de Julie JKRPour l'acheter : AmazonRéseaux sociaux : Twitter X Facebook Instagram Résumé Cassie Bennett disparaît lors d’une soirée entre amies. Treize ans plus tard, errant sur une route de forêt des Great Smoky Mountains, elle réapparaît. Les stigmates sur son corps témoignent de la violence des sévices qu’elle a endurés. Parviendra-t-elle à sortir de son mutisme pour raconter son histoire? Sean Williams, son petit ami de l’époque, n’a jamais perdu espoir de la retrouver un jour, mais il ne s’imaginait pas devoir attendre aussi longtemps avant de la revoir. Sa mission, élucider cette sordide affaire, et attraper par tous les moyens en sa possession me monstre responsable de ces atrocités. Seulement voilà, les apparences semblent trompeuses et lorsque le médecin rend ses conclusions, le mystère de Cassie s’épaissit davantage. Il est formel, elle s’est infligé elle-même ses blessures. Enlèvement et séquestration? Ou y-a-t-il une autre explication? L’énigme reste entière.Ce n’est pas parce qu’une chose n’est pas visible qu’elle n’existe pas. 1 Treize ans plus tard… Un bruit aigu me sort de ma torpeur. Il se réver-bère tout autour de moi et martèle mon crâne avec ferveur. Une lumière aveuglante me brûle la rétine et des ombres dansent devant mes yeux. – Est-ce que tout va bien, mademoiselle ? Vous avez besoin d’aide ? Sa voix résonne dans ma tête. Lointaine, pourtant si proche. – Vous m’entendez ? Une odeur de fleurs envahit mon nez, puis la chaleur d’un corps me frôle. – Oh mon dieu, mais que vous est-il arrivé ? Lorsque la main de cette silhouette floue me touche, mes paupières se ferment, et je plonge dans le noir. – Nous interrompons notre programme pour un flash spécial. À Bryson City en Caroline du Nord une automobi-liste a retrouvé, errant sur une route de forêt près du parc national des Great Smoky Mountains, une jeune femme. D’après le témoignage de l’automobiliste, elle présentait des traces de sévices apparentes sur tout le corps, et son visage était couvert de cicatrices. Nous n’avons pas plus de détails pour le moment, mais nous vous tiendrons informé dès que de nouvelles informations nous parviendront. 2 En captivité… Le froid. L’humidité. L’absence de repère. Le martèlement dans mes tempes. Toutes ces choses font désormais partie de mon quotidien. La vie telle que je la connaissais n’est plus qu’un lointain souvenir, une douleur lancinante qui me rappelle qu’aujourd’hui le néant m’absorbe len-tement et inévitablement. Les derniers relents de mon existence passée s’étiolent et se désagrègent sans que je ne puisse l’en empêcher. Tout ce qui me raccrochait à mon ancienne moi est en train de me quitter. Fatalité ou destin ? Cela me hante chaque jour et chaque nuit depuis ce qui me semble être une éterni-té. Suis-je responsable de mon sort ou ai-je simple-ment joué de malchance ? Je suis incapable d’apporter ne serait-ce qu’un semblant de réponse à mes interrogations, mais mon cerveau continue néanmoins de me tourmenter avec ces questions. C’est comme s’il cherchait à me pousser à bout. Il ne suffirait que d’une minuscule impulsion pour que je bascule dans la folie. Une certitude pourtant me happe, je vais mourir d’une façon ou d’une autre, il ne peut en être autre-ment. Avant de disparaître à tout jamais, je dois me souvenir de mon histoire, car il trouvera le moyen de m’effacer de la surface de la Terre. Si ce n’est pas déjà fait. 3 Treize ans plus tard… En 2009, lors d’une soirée avec mes quatre meil-leures amies, ma vie a basculé dans l’horreur. J’ai vécu l’enfer pendant treize ans. Je n’avais aucune idée du temps passé dans cet endroit, mais la police s’est chargée de m’en faire part. Treize années durant les-quelles je suis morte chaque seconde de chaque jour. Pour le moment, je ne suis pas en mesure de leur raconter ce qu’il m’est arrivé, car j’ai peur de ce qu’il pourrait se passer ensuite. Je ne veux pas être res-ponsable de cela, je ne le peux pas. Le psychiatre qui m’a rendu visite lors de mon admission m’a suggéré de coucher sur le papier mes pensées et sentiments. D’après lui, cela m’éviterait de garder tout pour moi et ainsi ne pas sombrer dans la dépression. Je me suis abstenue de lui dire que c’est ce que j’avais appris à faire durant ma captivité, car c’était dans le silence que je me sentais le plus en sé-curité. Inonder de gris les pages blanches d’un journal ne me rendra pas les treize années qu’il m’a volé ni n’effacera les sévices que j’ai dû subir et dont je me rappellerai le restant de mes jours. Elles s’ajouteront à la longue liste dont j’ai été victime. Évoquer en ma présence le terme de « travail de reconstruction » ne va pas réussir à ce que je l’accepte surtout en sachant que le chemin sera long et dou-loureux, et qu’il me faudra raconter ce que j’ai subi. Depuis ma réapparition, les gens m’observent comme si j’étais une curiosité qu’il fallait étudier. Avides de découvrir les moindres détails de mon histoire, ils s’efforcent d’être délicats avec moi, comme si j’allais m’évaporer à la moindre erreur de leur part. J’avoue y avoir pensé, mais l’idée de me retrouver seule au milieu de nulle part, m’a immédia-tement fait renoncer. Ma vie d’il y a treize ans n’existe plus. Je n’existe plus, du moins plus telle que je l’étais auparavant. Accepter cette évidence, je l’ai comprise lorsque pour la première fois il m’a dépossédée de ce corps qui était le mien. Il ne m’a plus appartenu ensuite, et en-core aujourd’hui, il m’est étranger. La perception que j’ai de mon reflet au moment où je me regarde dans le miroir, ne représente en rien ce que les autres voient de moi. Je suis vide. Morte à l’intérieur. INEXISTENTE. – Nous interrompons notre programme pour un flash spécial. Notre correspondant sur place à Bryson City à des révélations à nous faire. Dan, qu’avez-vous découvert sur cette affaire ? – Nous venons d’apprendre que la jeune femme n’est autre que Cassie Bennett. Souvenez-vous, cette affaire avait fait la une des journaux télévisés il y a plusieurs années. Son petit ami de l’époque, inquiet de ne recevoir aucune nouvelle de sa part, avait signalé sa disparition auprès des autorités locales. C’est dans l’appartement de cette dernière que la police a fait la macabre découverte. Les habitants de Bryson City avaient été choqués et ils redoutaient que le coupable soit toujours dans les parages. – Avez-vous réussi à glaner quelques informations sup-plémentaires ? – Pour le moment, les autorités nous tiennent à l’écart. D’après les dires d’une source proche de la police, Cassie Bennett est restée muette face aux interrogations de la police. – Savez-vous où elle est actuellement ? – Aussitôt après avoir été retrouvée, Cassie a été emme-née à l’hôpital. Nous n’avons pas pu approcher, un cordon de sécurité a été mis en place. – Avez-vous pu parler à quelqu’un ? – Non. Pour le moment, nous n’avons vu personne sor-tir de l’hôpital, mais il n’est pas impossible qu’ils soient pas-sés par l’arrière du bâtiment. – Restez à l’antenne, nous reviendrons vers vous pour suivre en direct cette affaire.
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Résumé : Cédric est l'enfant non désiré de Nadège Solignac, tueuse en série. Au fil du temps, il découvre son passé familial et tente de grandir sous l'ombre meurtrière de sa mère. Mais un tel monstre peut-il aimer ? Peut-on seulement lui survivre ? Un roman psychologique noir dans lequel le lien filial oscille dangereusement entre amour et haine.Mon avis :Tout d’abord, je tiens à remercier Joël des éditions Taurnada pour sa confiance et pour m’avoir fait découvrir en avant-première ce nouveau roman à la quatrième fort inquiétante. Ayant déjà lu et apprécié certains des précédents romans (chroniques en cliquant sur les liens suivants) "La peine du bourreau", "Les eaux noires", "Digital way of life", "Il était une fois la guerre", "Le dernier festin des vaincus" "Contre l'espèce", j’étais curieuse et impatiente de voir ce que l’auteure allait nous réserver pour son dernier opus ^^ cependant, cette fois, j’ai eu beaucoup de mal à trouver les mots pour décrire mes ressentis. Le sujet abordé, même s’il titillait grandement mon intérêt, m’a de suite fortement interpelée par sa gravité, sa dureté et son côté révoltant. Attention, âmes sensibles s’abstenir ⚠️. Nadège Solignac, dont nous avions fait connaissance en 2019 avec "Mon ombre assassine", est de retour dans cette suite. Spoiler, ce roman dévoile des événements passés. Même s’il peut se lire indépendamment, il est quand même conseillé si possible de lire le premier pour mieux appréhender et apprécier la personnalité de Nadège et l’évolution de son personnage. Cette institutrice à l’apparence douce, cette femme patiente et attentive aux autres, n’est pas celle que l’ont croit. En effet, sous son air affable se cache un autre visage, une autre personnalité : celui d'une tueuse en série des plus atroces. Pourquoi ceux qui lui sont chers meurent-ils tous dans d’étranges conditions ? Comment se fait-il que sans être inquiétée, elle ait ainsi perdu sa mère, sa sœur en situation de handicap, son père, sa belle sœur et sa nièce ? Même si son frère Julien s’occupe de l'empire familial, pourquoi a-t-il coupé les ponts avec elle ? Que sait-il réellement de tous ces drames inexpliqués ? Après avoir été acquittée, la Justice n’ayant pu prouver avec certitude son implication dans ces meurtres, cette dernière tente de reprendre sa vie là où elle en était restée. Comment y parvenir quand la graine du doute reste à jamais implantée dans l'esprit collectif ? Puis, lors d’une terrible nuit, Nadège est violée et se retrouve enceinte. Sans en informer personne au cas où elle se serait débarrassée de l’enfant à venir du jour au lendemain, elle décide contre toute attente de s'enfuir, pour accoucher, ou plutôt expulser "çà" comme elle l’appelle. Aux yeux de cette génitrice, ce frêle nouveau né sans défenses va devoir mériter sa survie, prouver sa valeur. À l’aide de méthodes peut orthodoxes, de comportements tous aussi affreux les uns que les autres, cette "mère" dépourvue d'affect et de sentiment maternel va lui faire subir les pires choses : s’il se bât il survivra, sinon il mourra. Or, "ça" résiste, donc "ça" deviendra Cédric. Sans y être préparés, le ton est donné. Ces quelques lignes sombres et macabres posées nous percutent et nous glacent le sang. Les questions se bousculent, taraudent notre esprit en ébullition : Que s’est-il passé ? Pourquoi cette femme devenue à présent mère ressent-t-elle encore le besoin de faire ainsi du mal ? Certes, son enfance a été malheureuse, mais après la colère et la haine qui la rongeait de l’intérieur au point de tuer tout ce qui l’insupportait, on aurait pu penser que cette naissance aurait été le déclic d’un changement, d’un renouveau tant attendu… Alors pourquoi gâcher cette nouvelle chance qui lui est offerte ? Que peut pousser Nadège à perpétuer l’impensable, à continuer dans un fonctionnement de mère possessive, agressive et mortifère ? À peine les premières pages avalées, nous voici plongés, happés, entraînés au cœur d’un presque huis clos dérangeant et oppressant, où nous allons suivre les méandres troublants de l’existence de cette "maman" tueuse en série, et de sa relation exclusive, fusionnelle ; complexe et dévastatrice avec sa progéniture, ce, depuis sa naissance jusqu'à l'âge adulte. Tandis que ce dernier, évoluant entre quatre murs aux abords d'une voie ferrée, bataille pour se construire, il prend peu à peu conscience du passé terrifiant de sa mère ainsi que de la part d'ombre qu'elle parvient à dissimuler au monde, mais que lui, par son intelligence, sent, pressant. Pourtant, elle lui répète inlassablement qu'il n'y a qu'elle qui peut l'aimer, il y a "les autres" et "eux". Mais Cédric en grandissant va peu à peu comprendre qui elle est vraiment, et savoir comment il faut œuvrer et adapter en conséquence… si elle est "Nana Rouge", "Mi'Nana" ou "Nana". Mais cet enfant est-il si innocent qu'il en a l'air ? Ne joue-t-il pas lui aussi un rôle suite à la manipulation mentale que lui a infligé sa mère ? À contrario, un enfant peut-il se développer convenablement suite à une éducation prodiguée par une mère monstrueuse, sadique et manipulatrice ? Et plus largement, peut-on réellement aimer un monstre ? Peut-on seulement lui survivre ? Et elle, n’ayant connu que le pire, est-elle capable de ressentir le moindre sentiment ? C’est par le truchement d’une alternance de points de vues fort bien dosés que nous allons plonger au cœur de cette famille dysfonctionnelle, broyée par la violence et la nocivité d'une mère cachant des secrets destructeurs. Tour à tour, trois voix vont prendre la parole : Cédric, Nadège, et Julien le frère de celle-ci, vont nous narrer la tragédie de leurs existences cabossées, vont nous aider à mieux cerner ce tumultueux passé afin de découvrir les actes commis par la jeune femme, et enfin comprendre peu à peu qui est Nadège et pourquoi en est-elle arrivée là. Procédé judicieux et fort immersif nous permettant ainsi d’appréhender la situation dans son entièreté. Même chose pour l’emploi du "Je" qui nous projette au plus près des pensées des personnages. Dans ce récit addictif à l’ambiance glauque, morbide et insoutenable, nous allons alors assister, choqués, glacés et saisis d’effroi au déroulé inimaginable de cette intrigue machiavélique imaginée par l’auteure. Grâce à une écriture directe et accrocheuse, acérée et percutante, à des chapitres courts et rythmés qui renforcent le suspense, les pages vont se tourner à toute allure ; connaître les tenants et les aboutissants de cette histoire aux multiples rebondissements sera une obsession, pour aboutir, lessivés et à bout de souffle, jusqu’au dénouement final qui nous laissera sans voix. Quant aux personnages, ils sont particulièrement bien campés, et servent le récit au mieux afin de nous faire ressentir tout un panel émotionnel : tristesse, colère, rage, révolte… surtout que nous sommes parfaitement conscients que cette fiction pourrait rejoindre une réalité possible derrière les murs et les façades empruntes de bienveillance. Vous l’aurez compris, malgré une lecture éprouvante par le thème ô combien difficile, ce roman m’a beaucoup plu, tant pour l’histoire, que par le cran de l’auteur pour avoir abordé un tel sujet, peu traité de nos jours. En effet, cet ouvrage amène à la réflexion sur l'influence de l'éducation, de la transmission, mais aussi de celle des traumatismes vécus et les traces qu’elles peuvent engendrer et laisser dans le psychisme d’une personne. Alors, devient-on un tueur ou cela est-il déjà inscrit en partie dans nos gênes ? À vous de le découvrir ^^ Donc, si vous aimez les romans coup de poing, de ceux qui bouleversent, remuent les entrailles, vous laissant exsangue à la fin de l’histoire.... foncez, ce livre est fait pour vous ; vous ne serez pas déçus du voyage Ma note : Pour vous le procurer : Éditions Taurnada AmazonRéseaux sociaux : Twitter Facebook
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« Dernier message par Apogon le jeu. 31/10/2024 à 17:56 »
La vie est parfois une surprise de Marie BarrillonPour l'acheter : TheBookEditionsRéseaux sociaux : Twitter X Facebook Instagram Site : Marie Barrillon et Blog : Marie Barrillon 1 Pour Léa, aujourd’hui ce n’est pas un jour comme les autres. C’est un samedi inhabituel. Un jour plein de lumière, plein de soleil. D’étincelles brillantes. De joies inconnues ne demandant qu’à être découvertes. Elle part en mer pour une durée indéterminée et vaille que vaille, le vent la portera où le destin voudra l’emmener. Le destin, cette multitude d’instants aléatoires qui nous laisse souvent dubitatifs face à ce qu’il met sur nos chemins respectifs. Elle sent que ce ne peut qu’être vers la beauté de moments qu’elle n’a jamais connus. Les joies, elle les ressent déjà et de grands crus. Un millésime merveilleux. Et pourquoi ne pas se laisser tenter par l’idée de quelque chose de sublimissime ? Tant qu’elle y est, autant que ses rêves et ses espoirs la portent vers l’exception ! Le destin ne pouvait pas toujours être mauvais, alors Léa acceptait de lui donner une chance de montrer ses bons côtés. De lui favoriser un peu l’accès à sa vie qu’elle a tant de mal à porter parfois, et parfois si souvent. Cette vie qui l’a encombrée durant tant d’années et que bien malgré elle, elle a porté le ventre à terre, sans parvenir à éviter les rouleaux compresseurs du temps. Elle n’a pas encore vingt ans, mais n’en est vraiment pas loin. Léa, elle est jeune, pourtant, elle en a certainement vu plus que bien d’autres et en tous genres même, malgré cette jeunesse. Après une crise d’adolescence, peu ordinaire, elle n’est pas parvenue à se trouver, ni même à s’identifier dans ce monde. Depuis, elle est constamment en parfaite recherche d’identité. Elle considère que le monde n’a que peu d’intérêt, tout comme la vie. « Après tout, se dit-elle souvent, je ne dois pas être la seule au monde avec cet état d’esprit. Des millions d’êtres sont des âmes perdues entre deux instants de leur vie, en décalage constant, en naufrage aussi. » Alors, qui pourrait bien se soucier d’une pauvre fille paumée depuis l’enfance, presque déjantée même, qui n’a goût à rien, ne s’intéressant à rien, pas même à sa petite personne. Qui plus est, qui est en totale insouciance. Frôlant souvent l’inconscience, alliant à cela une profonde imprudence. Et puis quoi ?! À près de vingt ans, on profite de la vie, non ? Parce qu’après on n’a plus le temps, c’est trop tard ! L’horloge de la vie ne recule jamais, avançant contre tous les vents. Pas de panne ni de batterie vide, c’est le vent qui la fait tourner, toujours dans le même sens. En avant toute ! À tous les temps. Son tic-tac ne s’arrête pas une seconde, non, pas une toute petite seconde au cours d’une longue vie. Donc, il faut bien la suivre cette horloge en essayant de perdre le moins de temps possible tout en profitant au maximum de ce qu’elle peut offrir de bien, de bon, d’essentiel. Encore faut-il le pouvoir ! Encore faut-il que cela soit possible. Encore faut-il être conscient de ce qui est bien, bon ou encore essentiel ! Léa a décidé de partir. Elle le voulait depuis longtemps sans savoir comment s’y prendre, jusqu’au jour où elle a rencontré Serge. Un homme seul, disons plutôt esseulé. Solitaire et esseulé. Une famille disparue, une femme exilée on ne sait où, près de vingt ans auparavant, un peu moins peut-être, avec son enfant qu’il n’avait pas eu le temps de connaître, ni même d’apercevoir une fraction de seconde. Vingt ans, peut-être un peu moins effectivement, il ne sait plus vraiment, il a cessé de compter depuis longtemps. Alors, Serge, depuis toutes ces années, imaginait cet enfant grandir. Accumulant le désespoir de ne jamais le connaître. Dans son esprit, il le façonnait tel qu’il aurait aimé qu’il soit, sans pouvoir être capable de le décrire. Mais son ignorance à ce niveau avait beaucoup plus d’importance que cela, car en réalité, il n’avait jamais su si son enfant était un garçon ou une fille. Alors, tour à tour, il imaginait l’un ou l’autre, suivant son humeur, son moral, son état d’esprit... Durant toutes ces longues années, Serge s’était totalement isolé du monde. En bon marin, il avait appris à bien vivre de sa pêche. Seulement deux ou trois copains l’aidaient sans le savoir à porter son existence, lorsqu’il était à terre. Mais aucun d’entre eux n’avait connaissance du parcours de sa vie. De son passé. Il gardait le silence sur ce point et conservait au fond de lui ces années, tel un secret, tout en étant dans le même temps un fardeau d’un poids considérable. Les douleurs sont plus lourdes qu’un sac de pierres tout en n’étant pas toujours visibles. Ce sont peut-être même les pires douleurs celles qui demeurent les plus silencieuses. Serge avait décrété tout au long de ces années qu’il ne s’attacherait plus à personne, car la perte des gens que l’on aime provoque des douleurs trop profondes. Les blessures restent béantes et les plaies ne cicatrisent pas toujours, et surtout jamais complètement. Dans tous les cas, la vie devient tellement difficile que parfois on ne remonte pas la pente. À force d’y ramper, on s’écorche l’âme. On se fourvoie dans des méandres de noirceur. On évite de regarder le temps passer parce qu’il laisse trop de traces indélébiles. On se détourne des regards et surtout des gens qui les portent. On s’enferme dans une bulle qui ne se dégonfle pas et en même temps qui reste invisible aux autres tout en leur étant impénétrable, infranchissable. Serge est bien sur son bateau. Il n’est certes pas heureux, mais en tout état de cause, il n’est plus malheureux. Il y est comme ça, ni heureux ni malheureux, et c’est bien le principal pour lui. Il se laisse vivre au gré de la mer et du vent. Le temps n’a plus d’incidence sur ses jours, sur ses nuits non plus d’ailleurs. Il vit au bon vouloir du temps et des poissons. Quand ces derniers sont bien décidés à se suicider tous ensemble, en groupe uni et solidaire face aux filets tendus devant eux, alors Serge amasse un peu d’argent, suffisamment pour tenir quelque temps. Il est peu dépensier en général. Pas d’extravagances pour lui-même. Pas de folies, même passagères. Une simplicité hors du commun. Manger, lire, dormir, réfléchir, remonter ses filets au moment où il le faut. Tout cela lui suffit et rend à son existence, le calme et la sérénité auxquels il aspire et dont il a un grand besoin de façon permanente. Serge est un homme silencieux. En mer, il écoute le vent, les vagues, le clapotis de l’eau. Il observe le ciel, scrute les nuages, toise les poissons qui s’aventurent un peu trop près de la surface de l’eau et du bateau. Le silence humain, il l’apprécie au plus haut point avec toutes les variantes qu’il contient. Avec les années, il est devenu le remède à toutes ses plaies. L’apaisement de ses profondes douleurs. Le miel de ses nuits, autrefois si agitées. Le sucre de ses jours, aujourd’hui si tranquilles. Quant à Léa, elle est presque une enfant de la rue. Presque, parce qu’elle y a passé un temps infini. À une période de sa jeune existence, la rue était son univers et sa déchéance. Face à ses galères, elle y a affronté le froid, le vent, la pluie ou la chaleur, tour à tour. Elle s’est cherchée à tous les coins de rue, dans tous les bistrots. Et dans tellement de bras. Si tôt. Trop tôt. Partout où il y avait du monde. Elle passait souvent inaperçue d’ailleurs. Les espaces peuplés étaient sa prédilection. Puis, petit à petit, elle a déchanté. Elle s’y est encore plus égarée. Une brebis de plus perdue dans ce monde hostile. Un cœur fendu, brisé trop tôt. Une vie en perdition. Une existence encombrée d’instants douloureux et de surcroît inutiles. 2 Serge et Léa se sont croisés à plusieurs reprises dans un petit port breton. Elle était triste, attablée au fond d’un bistrot de marins où elle avait échoué après avoir, un jour, décidé de tout plaquer. Elle avait pris la route. De voiture en voiture, auto-stop oblige, elle était arrivée là. Lessivée, vidée, épuisée. Elle faisait des petits boulots à droite, à gauche pour continuer à garder la tête hors de l’eau tant qu’elle en aurait la force. Ces boulots lui permettaient de survivre, de se nourrir, de se loger aussi parfois. Elle était un peu touche-à-tout, douée sur bien des points. Rien ne lui faisait peur. Rien ne l’impressionnait. Rien ne la rebutait. Elle travaillait la rage au cœur, la rage au corps, la rage à l’âme. Cette rage qui vous tient debout comme si des piquets invisibles vous maintenaient dans cette position vous empêchant ainsi de tomber. Lorsque Serge était entré, à son tour, dans le bar de pêcheurs, c’est elle qu’il avait vue avant même de poser un œil sur le comptoir où ses potes étaient installés. Son cœur s’était entr’ouvert en apercevant cette petite aussi triste, comme une persienne qui ne résiste plus aux intempéries et qui soudain cède laissant entrer la lumière, balayant toutes les poussières accumulées. Chassant les ombres collées çà et là sur les parois devenues si épaisses. Toute la misère du monde semblait concentrée dans le regard de cette môme sortie de nulle part. Décidément, le monde était vraiment injuste ! Il ressentait dans son regard, un passé plein de lourdeurs. Quelque chose d’indescriptible laissait transparaître de profondes blessures. Ce regard n’avait pas l’éclat qu’il aurait dû renvoyer dans la logique de cet âge. Le teint était blanc et même blême par instants comme une vieille actrice sans maquillage. À d’autres moments, elle ressemblait à une poupée de cire ancienne comme il en voyait dans son enfance. Mais dans tous les cas, une beauté certaine émanait de ses traits demeurant pleins de finesse. Des cernes pesaient tristement sous les yeux au charme évident. Cependant, une expression de toute sa personne intimait de ne pas s’approcher sous peine de se perdre. Mais, c’est justement dans de tels cas que Serge approchait, et approchait encore, jusqu’à se brûler, jusqu’à la torture, s’il le fallait. Le goût du risque était resté intact en lui, malgré tout. Serge avait énormément de difficultés à détacher son regard de cette jeune fille perdue. Au fil des jours, il devenait presque heureux de venir au bar des pêcheurs dans l’espoir d’y revoir Léa. Il avait appris son prénom par le patron qui tentait de sympathiser avec elle. Mais, elle avait d’autres chats à fouetter et ne souhaitait pas lier d’amitiés, ni même de relations quelconques avec qui que ce soit. Elle était devenue immensément solitaire et préférait grandement le rester. Son seul lien sur terre était la dernière famille d’accueil qu’elle avait quittée quelques mois auparavant. Et puis de toute façon, elle savait très bien qu’elle serait repartie avant même d’avoir eu le temps de construire des souvenirs ici. Alors lier des amitiés ou même de simples relations ne servait à rien, parce qu’une fois repartie, elle ne reviendrait sûrement pas. Son passage s’échapperait dans l’oubli. Partout, elle n’était que de passage. Son choix était ainsi, pas autrement. Personne n’avait rien à dire. Serge aurait dû repartir depuis quelques jours déjà, mais ne s’y résignait pas. Comme aspiré pour rester à terre. Les pêcheurs avaient bien remarqué ce changement, et ne comprenaient pas un tel bouleversement dans les habitudes de leur ami, même si ce n’était pas forcément négatif. Serge se faisait chambrer par ses copains. Ils avaient bien remarqué que le vieux bougre était de surcroît plus avenant ces derniers temps. Et comme ils ne cessaient de le taquiner, ils avaient fini par en connaître la cause : Léa. Un jour, en entrant dans le bar, Serge avait immédiatement remarqué l’absence de Léa. C’était comme si les lumières du fond de la salle s’étaient éteintes. Son cœur s’était serré brutalement. Ses copains pêcheurs savaient, bien avant son arrivée, quelle serait sa réaction. Tout le temps de sa présence dans le bar des pêcheurs sans celle de Léa, il avait ressenti un manque au fond de lui, comme si on lui avait enlevé quelque chose. Au fil des minutes, il se referma comme une huître, jusqu’à redevenir celui qu’il était quelques jours auparavant. Avant Léa. L’huître se referme en gardant sa perle noire au fond de son cœur pour ne surtout pas empoisonner ce (ceux) qui l’entoure(nt). Après maintes questions au patron et à ses copains, il ne parvenait toujours pas à savoir quoi que ce soit sur l’absence de Léa. Personne ne savait rien. Elle était aussi silencieuse que lui. Elle ne laissait aucune trace. Il ressentait une inquiétude douloureuse le parcourir. Il se sentait complètement déserté. Abandonné. Délaissé. Mais qu’est-ce qu’elle avait de si particulier pour avoir pu laisser une telle empreinte, une trace indélébile, sans même lui avoir parlé ? Avant de retourner au bateau, Serge était allé faire quelques réserves alimentaires ainsi que des journaux et des magazines pour quelques jours. Partout où il était passé, il avait demandé si on avait vu ou aperçu cette jeune fille brune. Il la décrivait avec mille détails. Il s’était surpris lui-même en constatant tous les détails qu’il était en mesure d’énumérer. Une multitude de petites choses que probablement lui seul avait remarquées. Mais personne ne savait de qui il parlait. Personne ne l’avait vue. Elle avait disparu comme elle était apparue. Comme si elle n’était jamais venue. Comme si elle n’avait été qu’un mirage. Une fée de passage dans son espace éclairant son univers sombre. Une étincelle fugace qui s’était éteinte aussi vite qu’elle s’était illuminée. Serge reprit la mer avec de la tristesse dans le cœur. Une tristesse immense. Le vieux loup qu’il était devenu était donc encore capable de sentiments. Mais ce qui l’étonnait c’est que ce n’était pas des sentiments d’amour, loin de là. Pas cette sorte de coup de foudre amoureux. Non, c’était autre chose de plus fort peut-être. De vraiment différent et de bien plus subtil. De plus merveilleusement magique assurément. Comme quoi rien n’était impossible. Son esprit voguait au rythme du bateau avec une seule image en toile de fond, Léa. Léa sur le pont. Léa à la barre. Léa marchant sur l’eau. Léa soufflant sur les nuages pour les éloigner. Ou encore Léa s’accrochant tour à tour au soleil ou à la lune. Léa comptant les étoiles parsemant le ciel. Léa, son regard noir et perçant, et toute cette tristesse qui l’assombrissait plus encore. Léa qu’on avait envie de voir avec le sourire et de le faire durer, juste pour se rendre compte de sa beauté. Juste pour éclairer ce visage de grâce, pour y faire naître à défaut de bonheur tout au moins des éclats de rire. Léa, quant à elle, était repartie en vadrouille. Mais, quelque chose la perturbait. Elle n’en connaissait pas la raison. Et même après maintes réflexions, elle ne parvenait pas à déceler ce qui la dérangeait au fin fond d’elle-même. Elle avait le sentiment qu’elle avait quitté quelque chose d’important et vital. Elle avait l’impression de s’éloigner de son destin. Pourtant, elle ne connaissait personne dans cette ville. Et le port était un port comme les autres. Alors pourquoi ce malaise comme si elle quittait sa vie ? Comme chaque fois qu’elle prenait la route, Léa ne savait pas où elle allait. Comme toujours, elle allait là où la route la portait. Les voitures au fil des routes l’emportaient, la déposaient, l’emportaient à nouveau. Elle ne s’intéressait même pas aux noms des villes qu’elle traversait. Peu lui importait, rien n’avait plus d’importance depuis longtemps. Puis, à force de réfléchir, le visage de Serge s’imposa à elle. Elle ne le connaissait pas, mais quelque chose en lui l’attirait. Pourquoi ça ? Il n’était pas tout jeune. En tout cas, il était bien plus vieux qu’elle. Et puis, ce n’était pas un sentiment amoureux qu’elle ressentait, de cela elle était certaine. C’était bien différent. Un sentiment indescriptible. Le désir de le connaître, de le découvrir était envahissant sans savoir pourquoi. Et cela lui pesait sur les entrailles. Dérangeait ses habitudes de défense. Il aurait pu être son père. Sauf qu’elle n’avait pas de père. Ni de mère d’ailleurs. Elle avait grandi orpheline. Sa mère avait quitté ce monde alors qu’elle n’avait que cinq ans. Et son père, elle ne l’avait jamais connu. Elle ne savait rien de lui. Elle ne connaissait même pas son nom. Sa mère était morte avant même d’avoir pu lui en parler, ne serait-ce qu’un tout petit peu. Elle n’avait rien laissé derrière elle. Rien d’évident en tout cas. Juste quelques photographies de jeunesse d’une époque révolue, qui remontait à avant sa naissance. Elle y était magnifiquement belle, sa mère au bras de cet homme, son père. C’était tout ce qu’elle savait. Tous les deux donnaient l’apparence d’un couple heureux sur ces images colorées. L’un contre l’autre, leur bonheur s’était figé sur cet instant. « En avait-il vraiment été ainsi ? », se demandait souvent Léa. Probablement que non, sinon elle le connaîtrait ce père. 3 De son enfance, avant l’âge de cinq ans, elle ne se souvenait de rien. Rien du tout. Seulement du regard de sa mère. Pas même de son visage, juste de son regard couvert d’une nappe d’amour, inondé d’éclats de tendresse constants. Il lui fallait regarder les quelques photographies qu’elle conservait toujours sur elle pour pouvoir visualiser ce visage, pourtant tant aimé. Ce visage si lointain. C’est en pensant à elle que Léa avait réussi à tenir jusqu’à maintenant. Presque quinze ans déjà qu’elle était morte un jour de soleil sans aucun signe d’alerte. Juste après un énorme baiser d’amour, un « au revoir » quotidien. Son cœur avait lâché comme ça faisant du même coup basculer le destin de sa fille. Il avait manqué un battement avant de s’emballer et il avait ensuite déraillé. Puis, sans prévenir, il avait faibli pour finalement s’arrêter. Léa se souvenait, les larmes aux yeux, qu’en sortant de l’école, ce jour-là, elle n’avait plus de mère. On lui avait dit qu’elle était partie au ciel. Alors Léa regardait le ciel aussi souvent qu’elle le pouvait. Elle comptait les étoiles. Léa avait été placée dans une famille d’accueil, puis une autre, puis encore une autre. Elle en avait fait six en quinze années douloureuses. Elle n’en avait aimé qu’une seule, la dernière. Elle y était restée six ans. Quand elle avait décidé de partir sur les routes, elle avait juré de revenir. Ils avaient pleuré à son départ. Ils l’aimaient profondément ses parents adoptifs, et ils étaient sincères. Léa n’en doutait pas un instant. Elle reviendrait un jour, mais elle ne savait pas encore quand ce serait. Elle reviendrait quand elle serait capable de s’identifier dans ce monde. Quand elle y aurait trouvé sa place. Lorsqu’elle serait apte à se reconnaître parmi les siens. De sentir la vie au fond de son cœur et dans ses veines. Mais surtout lorsqu’elle serait apte à les aimer comme il se devait. Comme ils le méritaient. Parce qu’il ne pouvait en être autrement. Ils avaient tant fait pour elle. Toute cette patience dont ils avaient fait preuve, cette tendresse s’échappant de leur cœur vers elle depuis le premier jour, sans attendre de retour. Ce don d’eux-mêmes, de leur temps, de leurs sentiments et de tout ce qu’ils lui avaient donné sans compter n’était autre qu’une bénédiction du ciel. Pourtant, Léa n’avait pas été en mesure de leur rendre leur amour, non pas qu’elle ne les aimait pas, elle était seulement incapable de le leur montrer. Elle n’avait pas le droit de tricher avec eux. Pas le droit de leur mentir ni de jouer la comédie. Eux, ils s’acharnaient à l’aimer et à l’évidence ils ne se forçaient pas. Ils trouvaient toujours toutes les excuses à leur fille adoptive. Son passé douloureux en était la première. Elle avait une énorme reconnaissance pour eux, mais elle était inapte à l’extraire de son cœur. Léa ne savait pas offrir ce genre de sentiments ni aucun autre d’ailleurs. On ne lui avait jamais appris à faire ces choses-là. Tout restait coincé à l’intérieur, emprisonné, comme si les portes de son cœur étaient verrouillées de l’extérieur sans qu’on ne lui en ait jamais donné les clés pour les rouvrir un jour. Et tous ces sentiments inexprimés devenaient de plus en plus souvent trop pesants. Son cœur était trop lourd. Alors, elle devenait exécrable pour le remettre à sa place, le rééquilibrer dans son espace premier avec pour seule autorité celle de battre correctement. Il devait battre et se taire, c’était tout ce qu’elle attendait de lui tout en sachant qu’il avait sûrement d’autres qualités. Des capacités qu’elle n’imaginait probablement pas. D’autres possibilités dont elle ne voulait pas entendre parler pour l’instant. Ce dont elle ne se rendait pas compte, c’est que ce cœur dont elle exigeait un silence le plus profond possible, absolu, elle l’étouffait, l’asphyxiait, l’empoussiérait. Sans aération ni sentiments extérieurs, le cœur se meurt. Il ne sait plus vivre, aimer, adorer, ne connaissant plus que la misère, la colère, les tristesses, les douleurs, la désaffection. C’est ainsi que l’on fait des gens acariâtres, agressifs, désagréables et constamment sur la défensive parce qu’ils ne sont plus aptes à avoir des jugements positifs par manque de confiance. Léa se demandait si elle serait capable de retourner à ce port. Si elle aurait assez de courage pour y affronter ce qui la taraudait autant. Si elle serait en mesure de reconnaître les lieux, d’en retrouver le chemin. Elle ne savait même pas le nom qu’il pouvait bien porter. Il lui faudrait faire appel à sa mémoire visuelle pour reconnaître la route qui l’y avait amenée et encore. Cela ne s’annonçait pas être une mince affaire. Les paysages se ressemblaient tous, plus ou moins, pour elle. Des routes, des arbres, des champs, de la verdure… À partir de ce moment, Léa mémorisa dans sa tête le nom de toutes les villes qu’elle traversait. C’était difficile, du jour au lendemain, d’encombrer son esprit avec des noms qu’elle ne reverrait peut-être jamais. De les faire tenir à la surface de sa mémoire pour qu’ils ne s’échappent pas, ne s’envolent pas à la venue d’un autre. Ne pas les laisser se balayer les uns après les autres. Les garder côte à côte, à la suite et qu’ils demeurent intacts. Soudain, ce simple fait prit toute son importance. Plus les jours passaient et plus elle avait envie d’y retourner à ce port. Cette impression d’avoir quitté sa vie en partant l’oppressait de manière presque obsessionnelle. En même temps, elle ne supportait pas la simple idée de se sentir prise dans les filets de quelque chose, de quelqu’un ou de quelque événement qu’elle ne pouvait pas maîtriser. Se sentir prise au piège sans parvenir à rester en retrait la déstabilisait terriblement. Cette impression la faisait couler et se sentir comme une naufragée dans l’étendue profonde de sa propre vie. Mais sa mémoire, elle avait beau la retourner dans tous les sens, rien ne revenait en surface. Le port, le café, les boulots qu’elle avait faits, Serge… Oui, tout cela, ça allait, c’était bien présent, mais pour le reste le vide était immense. Profondément immense. Cependant, il y avait bien une solution. Chaque fois qu’elle s’arrêtait quelques jours, elle envoyait une carte postale à ses parents adoptifs. C’était une règle à laquelle elle ne dérogeait jamais. Juste pour les rassurer, leur dire que tout allait bien, même si ce n’était pas toujours une parfaite vérité. Les savoir marqués de douleurs et d’inquiétudes à cause d’elle l’insupportait au plus haut point. Elle n’avait pas besoin de cela pour être malheureuse, les moments de la vie s’en chargeaient déjà bien assez. Tout le reste était déjà bien suffisant. Alors effectivement, elle pouvait bien les appeler pour savoir où elle se trouvait à cette période. Cependant Léa rechignait à le faire pour plusieurs raisons. Dans un premier temps, comment ses parents adoptifs allaient-ils réagir ? Ils se poseraient des millions de questions. Ne pas se souvenir des haltes de plusieurs jours quelque part, il faut être tombé sur la tête. Non, ils n’étaient pas prêts à comprendre. Et puis, le simple fait pour Léa d’imaginer les appeler était un supplice. Entendre leur torture au bout du fil n’était pas possible. C’était totalement inenvisageable pour l’instant. Même s’ils ne lui disaient pas, elle le sentirait dans l’intonation de leur voix. Elle les connaissait trop bien pour ne pas anticiper leurs réactions. Elle décréta qu’elle n’appellerait qu’en dernier recours. En attendant, il lui fallait tenter de trouver par elle-même. De ce fait, le sommeil devenait difficile. Lors d’une prise en charge en auto-stop, Léa demanda au conducteur combien il pouvait y avoir de ports en Bretagne. — Eh bien, ma petite dame, c’est une bonne question. Mais comme je ne les connais pas tous, je ne pourrai pas vous le dire. — Ben, ce n’est pas grave, tant pis, répondit Léa légèrement déçue. Elle ne lui en voulait pas de son ignorance, puisqu’elle-même ne le savait pas. Tout le monde possédait quelques lacunes, ce n’était pas non plus un drame pour autant et encore moins la fin du monde. — Si je puis me permettre…, commença-t-il. — Oui ? — Pourquoi cette question ? Enfin, je veux dire, le nombre de ports, en Bretagne spécialement ? — Ben… je me suis arrêtée dans un port durant quelques jours récemment et j’aimerais y retourner, mais je ne me souviens pas de son nom, ni où c’était exactement. — Ah, oui ! C’est embêtant ! — Oui, très, dit-elle en se sentant particulièrement stupide. — Mais dites-moi, n’auriez-vous rien fait de spécial ? Enfin je veux dire, n’auriez-vous pas visité un endroit, fréquenté un lieu, côtoyé des gens, ce qui vous permettrait de vous donner une piste pour rechercher dans l’annuaire. — Euh… si, un lieu en particulier, mais le nom ne me revient pas non plus. — Bon, mais c’est quoi comme endroit ? — Ben… euh… un bistrot de pêcheurs…, répondit-elle, se sentant de plus en plus minuscule dans sa peau. — Eh bien voilà, c’est déjà une avancée, dit l’homme d’un air satisfait. — Ah bon ! Et en quoi, est-ce une avancée ? — Eh bien voilà, il se trouve que ma femme et moi possédons tous les annuaires de la région. Donc si cela vous intéresse, vous pourriez jeter un œil dessus. Il ne faudra pas oublier de le récupérer surtout ! — Pardon ? dit Léa qui n’avait pas compris, peu habituée à ce genre de subtilité. — Bah oui, votre œil. Jeter un œil !!! dit l’homme en s’esclaffant de tout son potentiel de rire. Ce qui fit rire Léa assez généreusement, chose qu’elle n’avait pas fait depuis longtemps, non pas pour l’allusion, mais plutôt pour le rire si communicatif de ce Monsieur pas comme tout le monde. L’homme était gentil. Il avait cet air rigolard et rigolo. Ses traits étaient marqués, ce qui donnait à Léa l’impression qu’il avait traversé un certain nombre d’années difficiles. Léa interrompit les rires en s’adressant au conducteur. — Monsieur… — Jean. Vous pouvez m’appeler Jean. — Et moi, c’est Léa. — Enchanté de faire votre connaissance, lui dit-il avec un grand sourire. — Moi aussi, je suis enchantée. Donc, je voulais vous dire que je ne voudrais pas vous déranger, dit Léa sans oser le regarder. — Oh ! Vous savez jeune fille, vous ne me dérangez pas et ma femme encore moins, j’en suis convaincu d’avance. — Vous en êtes certain ? Déjà que vous me transportez… — Jeune fille, dit-il soudain d’un air empli de gravité, ma femme et moi avons perdu notre fille, il y a de cela maintenant cinq ans. Depuis ce jour terrible, notre maison n’a plus eu de jeunes personnes sous son toit, voyez-vous ! Alors, rassurez-vous, non seulement cela ne nous dérangera pas de vous rendre service, qui plus est un bien maigre service si vous me le permettez, mais en plus, cela nous fera immensément plaisir. Depuis toutes ces années, Soleyne, ma femme, ne sort presque plus. Elle se cantonne à traverser la maison de long en large comme on traverse le temps, laissant les années la séparer douloureusement du dernier jour de notre petite chérie partie trop tôt. Alors, je sais de source sûre, celle de mon cœur d’amoureux, qu’elle se fera un plaisir de vous recevoir. Je pense même qu’elle y mettra son cœur tout entier pour vous aider autant que ses possibilités le lui permettront. Il est fort à parier qu’à la minute où nous conversons, elle est en train de remuer sa petite cuillère dans sa tasse de chocolat chaud en se repassant en boucle les années d’amour partagées avec notre fille. — La pauvre, dit Léa visiblement retournée, comme elle doit souffrir dans son cœur ! — Oui, répondit Jean, et ses plaies, voyez-vous, ne se refermeront probablement jamais. Bon et vous, vous êtes bien jeune. Que faites-vous sur les routes sans vos parents ? Ils étaient arrêtés à un feu rouge. Jean la regarda attentivement et découvrit une immense douleur traverser le regard de la jeune fille. Il comprit qu’il ne devait pas insister. Au moment où il redémarra, Léa laissa tomber rapidement ce qu’elle n’aimait généralement pas dire. — Je n’ai plus de parents. — Mince, dit Jean, j’aurais dû me taire, je suis très maladroit parfois. — Non, ce n’est pas grave, vous ne pouviez pas savoir. — Mais tout de même, dit-il tristement. Je ne devrais pas être si curieux. C’est un gros défaut de ma petite personne. Léa éprouva subitement le besoin de se confier. Sans savoir pourquoi. Face à un inconnu, cela lui sembla tellement plus facile, et elle en avait besoin. Il est souvent des choses trop lourdes à porter sans pour autant trouver le moment pour se délester ou les personnes capables d’écouter, sans juger. — Ma mère est morte quand j’avais cinq ans. Et je n’ai jamais connu mon père. J’ai grandi dans des familles d’accueil. Ce n’était pas super tous les jours, jusqu’à la dernière où je suis restée six ans. Ils sont vraiment extra. Mes six plus belles années depuis mes cinq ans pour tout dire en réalité. — Quel malheur ! La vie est bien trop injuste souvent, dit Jean encore plus attristé. Cette enfant faisait battre son cœur de vieil homme. Il aurait voulu lui offrir les plus belles choses qui puissent exister ici-bas. — Vous savez, reprit Léa, je suis partie comme ça. J’ai tout quitté parce que je n’arrive pas à trouver ma place. Souvent je me demande ce que je fais sur terre. Alors, je bouge et peut-être que je parviendrai à me trouver quelque part. — Ce que je comprends, c’est à quel point vous avez été et pouvez être encore malheureuse. On le serait à moins. Je suis persuadé que vous trouverez la porte qui mènera à votre apaisement, dit Jean sans se préoccuper du fait qu’il l’avait interrompue. Regardez, nous arrivons ! — Vous êtes certain que je ne vais pas vous déranger ? — Mais oui, belle enfant ! Vous savez, il n’y a pas que du mauvais dans la vie. Il existe aussi des gens gentils, souvent ceux qui ont le plus souffert d’ailleurs. Dites-vous que la vie est parfois une surprise. Elle a de cela en elle aussi, même si cela devient surprenant de nos jours. Allez, venez ! — D’accord, je vous suis, j’ai hâte de rencontrer votre dame.
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Résumé : Matthew écrit des scénarios à New York. Andrea skie en Californie. Ils se rencontrent sur un trottoir de Manhattan et le coup de foudre est immédiat. De cet amour naît Fanny. Alors pourquoi, à son retour de la maternité, Matthew saute-t-il du quinzième étage de son appartement ? Quel secret emporte-t-il avec lui ? Une bouffée d'oxygène dans le monde du thriller. Mon avis : Tout d’abord, je tiens à remercier les Éditions Taurnada pour leur confiance, et de m’avoir permis de découvrir ce roman au résumé attractif et intrigant. Au cours de son footing dans Manhattan, Matthew, scénariste à succès, fait la connaissance d'Andrea de passage à New York pour postuler pour un job de moniteur de ski. Deux mois plus tard, leur rencontre inopinée se transformera en idylle d’où naitra le fruit de leur amour : Fanny. Mais contre toute attente, alors qu'Andrea vient d'accoucher, son mari, après avoir serré son adorable fille dans ses bras, rentre chez eux pour sauter du 15ème étage… Ces quelques lignes posées, le ton est donné ; notre curiosité est piquée au vif ; les questions taraudent notre esprit en ébullition. Qu'a-t-il bien pu se passer pour que Matthew, pourtant au comble du bonheur, puisse songer et commettre un acte aussi extrême ? Quelle(s) obscure(s) raison(s) sont à l’origine de ce tragique événement ? Et surtout, quel secret emporte-t-il avec lui ? À l’image de nos protagonistes, une fois le prologue avalé, la stupéfaction passée, nous voici entraînés, submergés, absorbés au cœur d’un thriller mystérieux, où manipulations, vengeances et secrets seront à l'ordre du jour. C’est par une astucieuse construction de l'intrigue, un découpage narratif en quatre parties, que nous allons remonter seize mois plus tôt afin de comprendre et de découvrir le cœur de cette histoire. En premier lieu, nous allons assister à la rencontre d'Andrea et de Matthew jusqu’à la naissance de leur bébé. Puis, la disparition soudaine et mystérieuse de son meilleur ami Larry Simmons avec lequel il écrivait des scénarios de séries à succès. Nous allons apprendre que ces deux évènements sont bizarrement concomitants. Le couple se sent traqué. Des gens étranges semblent les poursuivre… Pourquoi ? Quelles sont ces personnes qui le suivent constamment et à travers le monde ? Pourquoi son meilleur ami et collègue de travail disparaît-il du jour au lendemain en lui laissant un message codé ? Son suicide serait-il lié à la disparition de ce dernier voici quelques mois à peine ? Possible, si on prend en compte que Matthew se serait retrouvé menacé s’il ne révélait pas où se cache Larry, détenteur d’un secret d’une extrême importance. Mais, Matt sait-il réellement quelque chose au sujet de la disparition de son ami ? Dans la troisième partie, suite à cet évènement tragique qui va bouleverser sa vie, c'est sa femme, Andrea, qui va prendre le relais et devenir la narratrice. À ce niveau, d’autres questions nous taraudent. Quel est le lien avec les hommes qui les ont intimidés à plusieurs reprises ? Matthew cachait-il quelque chose ? Que vient faire dans tout ça là disparition de son ami et collègue ? Cette dernière, malgré la souffrance qui la ronge, veut comprendre, se battre pour leur fille. Va-t-elle se remettre de cette horrible tragédie ? Aura-t-elle le courage et la force de démêler la pelote de laine particulièrement emmêlée que Matthew a laissé avant son triste départ? C’est en accédant à la dernière partie, révélatrice de ce secret bien gardé entre Matt et Larry, que le voile va totalement se déchirer, pour laisser apparaître toute la palette de leur ressentis et de leurs motivations. Que va-t-on trouver sous les imperfections et les fissures des personnalités, les façades, sous les masques et les faux-semblants ? Que se cache derrière tout ça, et pourquoi ? Et surtout, quelles sont les raisons de cette sombre histoire ? Grâce à une écriture tantôt fluide et percutante, tantôt acérée et entraînante, les pages se tournent à toute allure ; nous voulons savoir, connaître la conclusion que nous a concocté l’auteur. Il nous faudra cependant s’accrocher, rester bien attentif, suivre les quelques indices mettant sur la voie afin de ne pas passer à côté. Les chapitres courts et rythmés, avec toujours un point de tension ou un rebondissement en toute fin, renforcent le suspense, donnant une sensation d’immersion totale. Un bémol cependant, j’aurais vraiment apprécié plus d’approfondissement sur certaines parties de l’histoire, afin de renforcer la profondeur du récit. Cela étant, les personnages sont bien travaillés, et servent parfaitement cette intrigue prenante et entrainante. De rebondissements en rebondissements, nous laissons alors l’auteur nous balader au gré de ses envies, jusqu’au dénouement final, qui nous surprendra, ou pourra laisser sans voix. Vous l’aurez compris, j’ai beaucoup aimé ce roman, qui outre sa construction particulière, a réussi à m’embarquer dans son univers. Même le message de cet ouvrage demeure intéressant et tout à fait pertinent : Jusqu'où serions nous prêts à aller par amour et ou par amitié ? Les personnes qui disparaissent, le choisissent elles vraiment ? Le font-elles par envie, besoin ou sont-elles forcées ? Ont-elles toutes des choses à cacher ? À vous de le découvrir Alors, si vous aimez les histoires qui mélangent romance et suspens, les récits profonds et émouvants qui secouent, et qui posent des questions existentielles, foncez, ce thriller est fait pour vous ! Vous passerez un excellent moment de lecture Ma note :
Pour vous le procurer : Editions Taurnada AmazonRéseaux sociaux : Facebook Instagram
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« Dernier message par marie08 le lun. 14/10/2024 à 12:53 »
Un roman émouvant C’est le second roman de Marjorie Levasseur que je lis et je n’ai pas été déçue, cette fois encore. La plume de l’autrice est fluide, juste, pudique et captivante. Dès les premières pages, elle nous immerge dans un sujet grave, le suicide d’une adolescente, qu’elle traite avec délicatesse et habilité, et dont l’intrigue est menée à la manière d’un thriller. C’est une très belle histoire douce/amère, où fleurissent des personnages tendres et attachants, plus ou moins écorchés par la vie. Une palette de sentiments accompagne le lecteur tout au long du parcours vers la vérité. Mais, malgré la gravité de la thématique, jamais Marjorie ne tombe dans le mélodramatique. Merci Marjorie pour cet excellent moment de lecture. Et à tous ceux qui ne le connaissent pas, je vous le recommande vivement. https://www.amazon.fr/Nos-peines-indicibles-Marjorie-Levasseur-ebook/dp/B088ZHDR51/ref=sr_1_1?crid=364MQP6WFUCVG&dib=eyJ2IjoiMSJ9.coacXqezJzpJGxHhlQi2sA.6w_EqrSkK72pef4uTcFaQQcpXT_M_Rvq-YXs8zSeU-E&dib_tag=se&keywords=nos+peines+indicibles&qid=1728903134&sprefix=nos+pein%2Caps%2C91&sr=8-1
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« Dernier message par marie08 le lun. 14/10/2024 à 12:51 »
Avec ce roman, je découvre l’univers de Marjorie Levasseur, raconté par une plume fluide, sensible et juste. Ce roman à plusieurs voix est une belle histoire d’une quête d’identité par une jeune fille de 18 ans qui a grandi sans père. Pourquoi celui-ci l’a-t-il abandonnée ? Pourquoi n’a-t-il jamais cherché à la voir ? A-t-il refait sa vie ? Autant de questions auxquelles elle veut avoir des réponses. A partir de là, nous suivons un road trip où la tendresse et la douceur font la part belle aux relations humaines. C’est un roman qui fait du bien. Aussi, je ne peux que vous conseiller de le lire. Au fait, j’ai adoré l’épilogue. Merci Marjorie pour cette belle histoire. https://www.amazon.fr/lui-dis-pas-quil-manque-ebook/dp/B082DFC2SR/ref=sr_1_1?crid=2RD5Z8NMAKVEG&dib=eyJ2IjoiMSJ9.vlOUWZqc8tiuvlbAXyNn-A.hg86DdfiHmXTYTQc0Hdq9KAeFG2s2wWWuuqGYEIO2Aw&dib_tag=se&keywords=ne+lui+dis+pas+qu%27il+me+manque&qid=1728902990&sprefix=ne+lui+dis+p%2Caps%2C89&sr=8-1
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« Dernier message par marie08 le lun. 14/10/2024 à 12:49 »
Un très bon roman policier L’intrigue est originale, bien construite et captivante, le tout savamment dosé d’une touche d’énigmes dont le lecteur se prend au jeu de les résoudre. Grâce à un enchevêtrement d’époques passé/présent, les rebondissements s’enchainent et le suspense nous tient en haleine jusqu’à la dernière page. La plume de l’auteur est fluide, claire et précise. A travers elle, nous découvrons des personnages crédibles et attachants mais qui comportent aussi leur lot de faiblesses et de mystères. Ce qui donne à l’histoire toute sa dimension. En un mot, je ne peux que vous conseiller de le lire. Merci Cédric Salewyn j’ai passé un excellent moment de lecture. Et bravo votre premier roman est une réussite. https://www.amazon.fr/v%C3%A9rit%C3%A9-finit-toujours-par-savoir/dp/B0D82D7D99/ref=sr_1_1?crid=F5J7J57JJSAJ&dib=eyJ2IjoiMSJ9.wbbLDaufTG02YbuWemU-Sw.vByMC8uv514xCzm5YQz77P7UJAC5nVY8QULSvlo9-5k&dib_tag=se&keywords=la+v%C3%A9rit%C3%A9+finit+toujours+par+se+savoir&qid=1728902841&sprefix=la+v%C3%A9rit%C3%A9+finit+toujours+%2Caps%2C86&sr=8-1
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« Dernier message par Apogon le jeu. 10/10/2024 à 17:25 »
Bloc D de Adeline RogeauxPour l'acheter : AmazonRéseaux sociaux : Twitter X Facebook Instagram BÉTON CENDRES Appartement 21 - Rez-de-chaussée 23H00 David n'aurait jamais imaginé que son existence pouvait changer du tout au tout, comme ça, en un ridicule claquement de doigts. Jamais, même dans ses fantasmes les plus sombres, il n'aurait pensé un jour tabasser quelqu'un à sang, l'égorger, le laisser pour mort puis retourner chez lui afin de préparer le feu d’artifice de sa vie. L’explosion de son existence. Il faut dire que jamais il n'aurait imaginé que l'on puisse vouloir du mal à Laurie, ou qu’on puisse avoir envie de se l’approprier. Sa p'tite femme, sa Laurie, à lui et lui seul. L’homme faisait les cent pas dans son appartement mis en pièce, les mains sur la tête, s’arrachant les quelques cheveux grisonnants qui restaient accrochés sur son crâne malgré les soucis et la vie. Il regardait autour de lui, constatant la misère qui régnait dans le logement. Ne restaient que les photos du couple sur les murs et quelques bibelots ridicules sur les meubles en piteux état, le reste ayant été broyé sous ses poings colériques une heure auparavant. Simplement vêtu de son jean et chaussé de bottines de cuir, David voulait hurler le plus possible, le plus fort, pour sortir sa peine, sa haine et sa peur, pour la diffuser au monde. Il passa de la cuisine minuscule au séjour, puis du séjour à la cuisine en regardant sans les voir, les meubles, la vaisselle cassée, les papiers déchirés. Le sang. Le sien, et celui de... — Putain l'bâtard de fils de pute ! hurla-t-il en frappant de plus belle dans le mur avec frénésie, broyant le peu d’os qui restaient intacts dans ses mains. Ses phalanges ne ressemblaient plus à rien. De la purée. C’était de la purée sanguine qui formait des croûtes noires et douloureuses qu’il mourrait d’envie de déchirer avec les dents, pour laisser sortir son instinct animal qui ne demandait que ça. Le mur de placoplâtre était désormais orné de plusieurs trous ensanglantés et poussiéreux d’où des lambeaux de tapisserie vieillotte semblaient vouloir se laisser tomber sur le sol avec nonchalance. Il faut dire que ce misérable immeuble n’était pas de la meilleure qualité. On pouvait même penser que le béton tenait plus du plâtre qu’autre chose, ce qui était vrai pour les murs intérieurs, finalement. Les habitants disaient même que l’isolation n’avait pas été remplacée, que l’amiante stagnait encore dans les combles, caves et murs. Pour preuve : l’isolation phonique merdique. Ils pouvaient encore entendre les gémissements de certains voisins, les sonneries de téléphone, les conversations et prières diverses. Sans compter les aboiements du chien de madame Isabelle, la vieille dame du premier. Chien que David aurait volontiers bouffé plus d'une fois, tellement ses hurlements de loup l’enrageaient. D’ailleurs, c’est ce qu’il faisait encore, à cet instant. — Ouaf ouaf ! Mais ouaf de quoi putain ?! Lau'... Lau' ! cria David. L'homme était à bout. Il serrait son visage de ses mains sales et collantes de sang. Gémissements et pleurs, les larmes ornaient son visage barbu et poussiéreux, traçant des sillons immaculés sur le noir de sa détresse. L’air ambiant était à l’image de son égarement ; des nuages empesaient l'air des projections de plâtre qui asphyxiaient chaque pore de sa peau, mêlés à la poussière soulevée par les coups de pieds sur les meubles que ses poumons happaient goulûment. En faisant les cent pas, David cogna encore dans la cuisinière puis il s’arrêta soudainement, les yeux grand ouverts, la bouche triomphante. — Ouais... Je sais ouais ! Le moment était venu, celui de la folie et de la rage. Contenues depuis tout ce temps, depuis toujours peut-être. Ainsi était David. Une boule de haine, de mort concentrée. Il savait. Il sentait. Il devait. Il n’avait que trop enduré en silence. — Les tuer tous. Tous. C’est à cet instant que l’éclair vint frapper ses pupilles, faisant voler des pépites dorées dans son champ de vision. — Non, non pas toi ! pleura-t-il en appuyant sur ses yeux avec ses paumes. Voyons, les pépites, après ça sera la main… la main oui… ce satané engourdissement… puis… non, non c’est pas le moment bordel ! Putain d’migraine de merde ! Il courut à la salle de bain et sortit le traitement que lui avait prescrit son neurologue l’année précédente. C’est Laurie qui l’avait tanné pour qu’il consulte après sa troisième crise en un mois. C’était arrivé soudainement, après un espoir de grossesse vite avorté par des règles hémorragiques, encore... Était-ce lié ? « Possible », avait répondu le médecin. En attendant, voilà qu’il était affublé d’un traitement d’appoint qui ne servait strictement à rien, se ce n’était à le rassurer plus qu’autre chose. Et, invariablement, David prenait une pilule de triptan dès qu’un frémissement se faisait ressentir sous ses narines, qu’un engourdissement lui chatouillait la main ou la jambe, que sa vision se floutait un peu ou même qu’une nausée lui venait… Il était devenu accro à l’assurance. Laurie lui disait qu’il fallait cesser de prendre tous ces médicaments, qu’ils ne devaient être administrés qu’en cas de réelle crise, qu’il n’avait plus eue depuis des mois. — Ouais ben ta gueule, t’es plus là, j’prends ce que je veux bordel de merde ! hurla-t-il vers la la cuisine, comme si Laurie était en train de le regarder, sur le pas de la porte, les mains croisées sur son ventre avec un air méprisant sur le visage. Air qu’elle adorait arborer chaque fois qu’elle avait raison, c’est à dire toujours. Lui, le moins que rien, avait toujours tort. Il ne savait pas cuisiner. Il ne savait pas faire le ménage. Il ne savait rien faire. Une merde, une grosse merde. Voilà ce qu’il était. Voilà comme il se sentait. Et pourtant… il ne pouvait s’empêcher de l’aimer sa Laurie. De l’idolâtrer. De la désirer. Il n’avait, en cet instant, qu’une seule pensée : la voir revenir. Déterminé, impatient, douloureux il reprit néanmoins ses cent pas pour réfléchir à un plan d’action une fois la petite pilule avalée. Il fallait que ça soit puissant, énorme, digne de lui et de Laurie. Indifférent au clebs qui hurlait à la mort, aux cris qu'il entendait dans l'immeuble, indifférent aussi à sa souffrance physique, il ne pensait qu'à Laurie. Laurie plus là. Laurie morte, probablement. Laurie dont le corps lui était introuvable. Dont le coeur lui semblait loin, si loin... David savait qu'il n'aurait de repos que lorsque son bourreau, et toutes les ordures qui savaient, seraient réduits en cendres. Il n'entrevoyait que cette issue. Les flics ? Pour quoi faire ? Jamais ils ne se déplaçaient ici. Retrouver Laurie ? Pour ce qu'il savait, depuis sa disparition, il n'en restait rien. Ligne coupée. L’homme chez qui elle était allée apporter le couscous ce midi, Finnigan… Inutile, ne savait rien… Ou ne voulait pas. Dévoyé. Son appartement ? déglingué. Les traces de sang. Pas de corps. Rien que du sang. Et l’odeur de la mort. Finnigan qui… — Putain… gémit David en appuyant encore plus fort sur ses yeux. L'homme éploré s'arrêta et laissa tomber ses bras le long de son corps. Il avait une mission à mener à bien. Il courut vers le cagibi, cette petite pièce située près de l'entrée du logement où Laurie rangeait les produits ménagers, les machines qui ne servaient que rarement - comme la yaourtière et la sorbetière, cadeaux pourris des beaux-parents - et qui prenaient une place folle dans leur minuscule logement. Et là aussi où lui-même rangeait le matériel pour sa moto. Moto qu’il n’avait plus utilisée depuis leur emménagement quelques années auparavant. « C’est tellement dangereux, je ferais quoi s’il t’arrivait quelque chose ? Tu imagines si je suis enceinte ? Je dirais quoi, moi, à ton fils ? Que papa préférait la vitesse à son enfant ? Non, je veux que tu arrêtes ces conneries d’adolescent… Ta place est à la maison, avec ta femme et… peut-être notre enfant » et lui… il avait juste acquiescé, elle avait raison. Elle avait toujours raison. — T'as vu Lau'... J'sais où tu ranges tes conneries d'bonne femme… ricana-t-il en regardant la porte du cagibi, marquant un temps d’arrêt. Il se souvenait. Un des grands sujet de dispute chez eux était la place de chaque chose. Elle faisait le ménage, lui non. Il n'en démordait pas, le balai et le plumeau à poussière, c'était pas pour lui. Jamais elle ne lui en avait tenu rigueur, lui laissant la charge des réparations diverses à faire dans ce taudis. Chacun son truc, disait-elle en le charriant sur l'ignorance dont il faisait montre quand elle lui demandait le produit pour les vitres ou celui pour détartrer la machine à laver datant des années 80. David s'effondra sur le vieux carrelage juste devant la porte des secrets de couple. A genoux, mains sur eux. Et il pleura. Des pleurs libérateurs, salvateurs. Son torse se soulevait au rythme de ses sanglots, la morve lui coulait du nez sans retenue et ses yeux, ces yeux qu'aimait tant sa femme, étaient fermés. Comme s'il voulait les suturer de sa douleur. Serrés si fort qu'on le distinguait plus qu'un mince trait au dessus de ses pommettes saillantes. Il se libéra ainsi pendant un petit moment. Puis enfin, quand tout fut sorti, quand il respira mieux, il se releva. Le chien au dessus aboyait toujours autant et cela l'agaçait. Il revit encore une fois Laurie. Quand le clebs gueulait lors de leurs soirées films. Elle se levait et prenait son balai pour taper sur le plafond, bien qu'elle sache que le chien n'était pas tout à fait au dessus d'eux et qu’il n’en avait rien à faire. Mais pour elle, c'était pareil. Un rire sortit de la gorge enflammée de l’homme aux larmes. Il respira un grand coup et entra dans le cagibi. White-spirit, vinaigre ménager, Javel pure, débouche-toilettes, essence, lessive, appareil à croque-monsieur... — P'tin mais y a de tout ici, pire que dans une brocante ! Il rit. Il repensait aux nombreuses trouvailles de sa femme à l'époque des marchés aux puces en été. Ils aimaient tellement flâner dans les rues, chercher des films d’horreur, des livres pour elle, des vêtements à petit prix… Puis il secoua la tête. Non, penser à elle, là tout de suite, ça ne l'aiderait pas, au contraire. Il avait besoin de toute sa rage, de sa détermination. Il avait une mission, la dernière sur Terre peut-être. Et il devrait la mener sans faillir. Le souvenir de Laurie ne devait pas entraver sa liberté et sa vengeance. Irraisonnée ? Possible. Mais Laurie valait ceci. Laurie valait que la planète entière crève à petit feu et s'asphyxie dans les cendres. Ouais. Il prit le bidon d'essence qui datait du dernier plein qu’il avait fait pour sa moto, pour lequel Laurie l’avait grondé. « Encore une dépense inutile ! Déjà qu’on paye un max pour ce logement de merde ! » — Fichue bonne femme qui a toujours raison. Avait... Avait putain, se reprit-il. Il ouvrit le petit bouchon rouge du bidon et renifla le contenu. Éclats de rire. Air paumé. David était devenu une bombe à retardement. Ses yeux semblaient vides. Ses pupilles reflétaient le bidon d'essence, et sa bouche tordue en un rictus satisfait déversait des rires sourds. Il était parti. Plus de David dans cette enveloppe charnelle folle. Loin, l'homme de Laurie. Probablement déjà de l'autre côté. Sortant du cagibi avec son précieux bidon, David se demanda si tous les locataires de ce trou perdu sentaient ce qui allait se passer. S'ils avaient ce sentiment, pressentiment même, que leur vie allait basculer dans quelques minutes, comme une boule dans le ventre, une oppression dans la poitrine ou même une vision subite qui les stopperait dans leurs activités ; s'ils sentaient déjà l'odeur de l'essence, celle de la cendre et du plastique fondu. Du poulet grillé aussi ; comme lorsque son oncle, quand il était enfant, déplumait, après les avoir ébouillantés quelques minutes, les coqs et autres gallinacées de sa basse-cour. Cette odeur lui était restée en mémoire. Chaque fois qu'il se brûlait un cheveu en allumant sa clope sur la route, dans le vent, il repensait systématiquement à ça. L'oncle et le poulet. Déplumé. Nu. Mort. Non, ces gens ne pensaient pas à ça. Ils se vautraient tous dans leur merde. Devant leur télé. Dans leurs petits soucis misérables. Ils n'avaient pas perdu Laurie, eux. Enculés. Il serra le poing, toujours déterminé. Et il sortit de son appartement sans même fermer la porte. A quoi bon ? Elle ne serait plus là de toute façon. Ni la porte, ni ce qui la tenait. Ni les meubles. Ni... Les photos ! — Non... non non non ! répéta-t-il frénétiquement. Il retourna dans le logement, renversant sur lui un peu d'essence du bidon débouché. Vite, il arrache aux murs démolis les photos où Laurie apparaissait. Il courut jusque dans leur chambre. Le lit. Le coussin de Lau'. L'odeur de l’essence prit le dessus sur celle de l’eau de Cologne dont elle s’aspergeait matin et soir. Et de nouveau, le trou noir de la douleur. David sauta sur le lit et enfouit sa tête dans l’oreiller de sa compagne. Juste sa compagne. Elle avait refusé le mariage. « Tu comprends, je t’aime, mais si nous nous marions, mon amour, on sera comme pris au piège. Une pression nous forcera à changer, pour ne pas gâcher notre mariage. Non, je préfère qu’on reste comme ça, c’est plus facile, et on ne sera pas obligés de… de... » et jamais elle n’avait fini sa phrase, ce jour-là au restaurant où David avait sorti le grand jeu. Il se souviendrait toujours de l’humiliation qu’il avait ressentie quand il s’était relevé sous le regard désolé des autres clients. Il se souviendrait toujours d’avoir regardé sa Laurie, si belle dans sa robe de soirée, et de s’être dit « après tout, elle a raison ». Elle avait toujours raison Laurie. Le bidon d’essence finit par terre, déversant son contenu sur la moquette usée, rouge délavé, en de minces filets. Et il pleura de nouveau en serrant les photos contre son cœur meurtri, en tentant d’inspirer le plus possible le parfum de sa femme, oui sa femme même si elle ne le voulait pas. Si ça se trouve, elle est encore en vie, se dit-il dans un éclair de lucidité, partie d'ici, tout simplement, ou alors, elle est chez sa mère. Sa vieille mère infecte. Ou même est-elle juste à côté de moi et je ne la vois pas. Autant de pensées aussi tortueuses. Autant de façons de vivre avec ce trou béant dans la poitrine. Le goût de la vengeance s'amenuisait. Il ne savait pas, au final. Il n'avait qu'entrevu des choses, qu'entendu d'autres choses. Qu'en était-il, véritablement ? Où était-elle ? Que faisait-elle ? Partie ? Avec qui ? Et surtout, comment ? Après avoir déversé son incompréhension, son questionnement et sa morve dans le coussin de sa femme, David prit la décision de se remettre et de faire les choses dans l'ordre. Appeler la police, leur expliquer la disparition de Lau', leur dire qu'il se passait des drôles de choses ici. Et leur avouer ce qu'il avait fait. Ce qu'il avait fait dans sa rage, sa haine. Ce qu'il a failli faire aussi. Tant pis s'il devait faire de la prison. Tant pis s'il ne voyait plus sa compagne. Tant qu'ils la retrouvaient. Saine et sauve. Oui, c’était le mieux à faire. Le chien poussa des gémissements torturés aux étages supérieurs, ce qui le réveilla tout à fait. — Punaise... Il se secoua, envahi d'une sensation qu'il n'avait jamais connue. Une légèreté dans l'âme, comme s'il venait de se réveiller d'un long sommeil sans rêve. Un miroir, vite. Il fila vers la salle de bain en shootant dans le bidon d'essence au passage, achevant de renverser les dernières gouttes de mort sur le sol cotonneux. Et il se regarda dans la glace brisée de ses poings. Sa tête flottait dans une étoile sanglante. Visage fatigué, creusé de sillons, tâché de noir et de sang. Il ne se reconnut pas. Et il la vit. Laurie. Elle n'était restée qu'une demi-seconde mais il savait. Il sentait. C'était Lau'. Putain ouais, c'était elle ! À peine eut-il le temps de se retourner que le vide et le silence de l'appartement s'offrirent à lui. Pas de silhouette. Rien. Rien que sa putain d'imagination et sa migraine qui se réveillait tout à fait. La rage le reprit aussitôt, s’infiltrant en lui, coulant dans son sang, entrant dans son cœur et embrumant sa vision. Il régnait dans sa tête, dans son royaume de folie, une odeur de mort, de peur, d'incompréhension. Morte, pas morte ? Où ? Pourquoi ? C'était quoi ça, un fantôme ? Debout, droit, il regarda, suspicieux autour de lui. Il voulait revoir ce qu'il avait vu. Il voulait savoir. Son cerveau allait exploser. Depuis des heures son esprit lui faisait voir, entendre, faire des choses. C'était trop. Beaucoup trop pour un seul homme. Aucune silhouette n'apparut. Personne ne se manifesta plus dans cet appartement vide. Le chien n'aboyait plus non plus. Des sirènes de police se firent entendre au loin. C'était le moment ou jamais. Maintenant pour tout faire sauter. Maintenant pour leur faire payer. Ou jamais. Il courut jusque dans sa chambre, où il constata que le bidon était foutu et l'essence évaporée. Il savait très bien que ça ne servirait à rien d'allumer ça, tout juste y aurait-il une flambée discrète qui s'éteindrait d'elle-même. Pas assez nourrissant autant de temps après, plus du combustible. Non, là, il fallait taper fort. Fini de tourner en rond, fini de pleurer, fini de se poser des questions. Les sirènes semblaient se rapprocher dangereusement et David se décida. Il se rua dans la petite cuisine et ouvrit le four de la cuisinière, ôta tous les couvercles que Laurie s'évertuait à poser à tout prix sur les brûleurs. « Tu comprends ça fait plus joli comme ça, puis on peut poser le saladier à fruits ! » disait-elle à chaque fois qu'il oubliait de les reposer après avoir tenté de cuisiner les jours où elle était trop fatiguée. Enfin, il tourna tous les boutons de commande. Un petit sifflement se fit entendre. Comme les valves d'une cocote-minute. Ce qui le fit sourire. L'image se prêtait bien à la situation. L’odeur l’enivrait, lui donnant au coeur un sentiment de toute puissance ; une chose qu’il n’avait que trop rarement ressentie dans sa misérable vie. Le gaz commença à lui tourner la tête, ce fut comme le signal. Sortir le briquet. Faire rouler le doigt sur la molette… Puis… Revoir. Laurie, son sourire, ses cheveux. Non, il ne pouvait pas faire ça. Il laissa tomber le briquet sur le sol et regarda encore la cuisinière. Tout était flou dans le nuage de gaz. Laurie n’aurait jamais toléré une chose pareille. C’était encore une preuve de faiblesse, de lâcheté. Et… si elle revenait… Non, décidément, il faisait encore une fois preuve d’immaturité. Des caprices, voilà ce qu’il faisait. S’il voulait se conduire en homme, il n’avait qu’à attendre, appeler la police qui arrivait pour signaler la disparition de Laurie, avouer pour Finnigan, et c’est tout. La meilleure chose à faire, parvint-il à se raisonner. Et il tourna les boutons de la cuisinière afin de faire cesser l’évasion de gaz, ouvrit sa fenêtre et inspira une grande goulée d’air frais. *** 23H40 La police était à quelques centaines de mètres de l'immeuble. L'appel qu'ils avaient reçu était cette fois assez préoccupant pour qu'ils daignent se déplacer dans le quartier du Marais de la ville. D'ordinaire, ils recevaient des plaintes pour du tapage nocturne, pour des disputes de voisinage, pour tout et n'importe quoi. Au début, ils venaient toujours, prenant chaque appel au sérieux. Puis, de coup de téléphone en coup de téléphone, ils avaient vite compris que les gens de ce bloc D étaient juste de gros emmerdeurs, et qu'un rien les faisait chier. Ils ne vinrent plus, laissant l'impunité aux fauteurs de trouble. Cette fois, c'était différent. La détresse dans la voix de la femme au téléphone... C'était une voix apeurée, paniquée, qui leur avait dit qu'un meurtre s’était déroulé sur les lieux ce soir-là, « venez vite pitié ! ». Ils ne pouvaient, cette fois, pas laisser couler. Ils arrivèrent au même moment où le bloc s'illumina d'une lumière aveuglante et qu’une détonation retentit. Les oreilles des policiers sifflèrent ; un drôle de larsen les empêcha d’entendre quoique ce soit durant quelques secondes. Le bloc était en train d’exploser. L'immeuble brûlant, dans les immenses flammes oranges et blanches, laissait cracher des années de galères et de vices au travers ses vitres brisées. Les flammes léchaient les murs. Des hurlements inhumains pouvaient s’entendre à travers les vitres de la voiture. Le policier à la place du mort appela les pompiers aussitôt, happé malgré lui par le spectacle fascinant qui se jouait devant lui. Les flammes grandissante semblaient danser sur les murs de béton. Et une vision effroyable s'offrit à lui. Quelque chose fut éjecté d’une fenêtre qui n’existait plus au rez-de-chaussée et s’écrasa, enveloppé de flammes, sur le macadam quelques mètres plus loin. Puis l’étage en question s’affaissa sur lui-même, entraînant les autres dans un fracas épouvantable. Le bas de l’immeuble d’où était parti le grand boum meurtrier n’était qu’une bouche béante et noire dans la nuit éclairée par quelques lampadaires au loin et la lune, si belle et brillante ce soir-là. La chose qui avait été expulsée remuait encore sur le sol, lançant des cris aigus que jamais les policiers n’oublieraient. Nimbé du feu des enfers, la victime hurlante essayait de ramper, de tourner sur elle-même tandis que de sa gorge sortaient des sons venus de loin, du fond de la Terre, des enfers ; un cri originel, animal. Le chuchotement de la mort. La voiture à l’arrêt, les policiers sortirent et accoururent vers la victime en ignorant l’immeuble qui, pourtant, leur envoyait une chaleur jusque là jamais ressentie par les deux hommes. La torche humaine s'arrêta de bouger. On ne distinguait même plus les vêtements de la chair carbonisée. Les yeux paraissaient avoir fondu, les paupières, réduites en cendres. La chair du corps entier était amalgamée avec les vêtements, le cou collé à l’épaule, les jambes brisées. Le flic, pourtant incroyant, se signa. Et pleura. La seule chose logique qui lui vint à l'esprit était « bon dieu de merde ». La sirène des pompiers retentit à son tour. Qu’elle ne se presse pas, pensa l’un des policiers en regardant le bloc, les larmes coulant toujours sur ses joues noircies de suie. Tout était déjà terminé. Plus un cri. Plus un bruit, sauf celui des flammes ravageant les murs, léchant avidement les briques. Plus rien d’autre. Ni logements, ni humains. L’explosion avait tout réduit en quelques minutes. Les pompiers arrivèrent. Inutiles. Ils firent quand même tout leur possible pour éteindre l’incendie meurtrier. A la fin, quand il ne resta plus que de la fumée noire et asphyxiante, ils purent conclure que le feu avait démarré des caves de l’immeuble. Les policiers retirèrent leur casquette et baissèrent la tête. Le Bloc D n’existait plus. Un gros bloc noir, sans yeux, sans âmes que David avait quitté en volant, enflammé, et en s’écrasant sur le bitume poussiéreux. Il régnait autour de lui l’odeur de la trahison et du meurtre, de la cendre et du sang. Le journal, le lendemain, titrera que ce fut l’incendie le plus terrible de la région. Il n’aura jamais vent de ce qui s’était passé la veille dans le Bloc D…
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Résumé : En arrivant à New York, Lana Harpending, cavalière hors pair et nouvelle recrue de la police montée, ne s'attendait pas à tomber doublement amoureuse. D'abord, de son camarade de patrouille, Paul, qui va se retrouver au centre d'une affaire criminelle effroyable. Mais aussi du cheval qui lui est attribué, un appaloosa nommé Éridan, caractériel selon la rumeur, et dont elle parvient peu à peu à gagner la confiance. Bientôt, un secret terrifiant vient se glisser entre Lana et son cheval. Un secret qui, dévoilé, pourrait entraîner la mort d'Éridan. Alors, elle va faire un pari fou, et tenter l'impensable. Original et addictif, ce roman à suspense va vous bouleverser. Mon avis : Tout d’abord, je tiens à remercier les Éditions Taurnada pour leur confiance, et de m’avoir permis de découvrir ce roman au résumé aussi intriguant qu’alléchant. Première fois que je lis cet auteur, et je dois dire que je n’ai pas été déçue du voyage ; à quand un autre roman du même acabit ? Il faut quand même préciser, chose n’est pas coutume, cet ouvrage se démarque des autres publications de cette magnifiques maison d’édition. En effet, bien que présenté comme un thriller, les projecteurs ont été davantage braqués sur la relation hors du commun entre la policière et son cheval plutôt que sur l’enquête proprement dit… et je dois dire que ce choix narratif, quoique réussi, pourrait en déstabiliser plus d’un, voire décevoir ceux qui s'attendaient à un spécimen pur jus… Prudence donc pour les accros du genre policier, ici ce roman ne rentre pas dans les cases prédéterminées. L’intrigue avance lentement, de nombreuses longueurs jalonnent le récit ; le rythme et la tension narrative s’en retrouvent donc impactés, émoussant de facto l'intérêt de l'enquête, puisqu’elle devient presque secondaire face à l’attention portée à la nature et aux animaux. Mais ne sommes-nous justement pas là pour découvrir des ouvrages atypiques, être déstabilisé et bousculé hors de notre zone de confort ? Après trois ans dans la police de New-York et une dernière enquête sur un meurtre, Lana Harpending, cavalière hors pair, débute une nouvelle aventure en tant que recrue de la police montée. Fille de vétérinaire, élevée dans le Wyoming, cette fonction a toujours été son rêve. Alors, lorsqu’elle intègre sa nouvelle équipe, malgré la sensation désagréable et le cœur lourd d’abandonner son père et son frère derrière elle, la jeune femme ressent qu’ici, elle pourra enfin s’épanouir pleinement. Mais c’est sans compter sur les deux premiers chapitres glaçants, qui n’augurent rien de bon. Ces quelques pages à peine englouties, nous voici plongés, happés, enferrés au cœur d’une affaire des plus déstabilisantes, où il n’est pas bon laisser s’aventurer les sabots d’un cheval, même parfaitement entraîné. Une fois en place, Lana va faire la connaissance d'Eridan, le cheval qui lui est confié, un apaloosa caractériel au caractère difficile et impétueux. Perspicace, elle va vite sentir que ce dernier souffre d’un grave problème. Petit à petit, grâce à beaucoup de doigté et de douceur, elle va l’apprivoiser et gagner sa confiance. Malgré l'imprévisibilité d'Eridan, leur connexion, d'abord fragile, deviendra inaltérable… au point de prendre de gros risques, jusqu’à cacher un lourd secret qui pourrait engendrer de lourdes conséquences. En plus de l’intense relation qui la lie au bel étalon, la jeune femme va également tisser au fil du temps des sentiments contradictoires envers Paul Maryanski son nouveau binôme, pour au final finir par baisser la garde et tomber sous son charme… Sauf que, ce dernier va lui aussi se retrouver emporté au cœur d'une enquête criminelle des plus inattendues… Bouleversée dans son quotidien, poussée dans ses retranchements, elle devra grâce à l’aide de son entourage affronter des péripéties, faire des choix, prendre des décisions qui feront vaciller ses certitudes. Quel secret entoure ce cheval ainsi que son coéquipier Paul ? Comment faire pour que ce secret qu'elle garde précieusement ne soit pas détecté par sa brigade ? Comment œuvrer pour disculper son cheval, et réussir à lui éviter l’impensable ? Arrivera-t-elle à les sauver tous les deux sans encombre ? Sa hiérarchie la laissera-t-elle s’entêter jusqu'au bout de ses croyances et de ses actions les plus insensées ? À persister de la sorte, ne risque-t-elle pas d’encourir des dangers inconsidérés et incontrôlables ? Grâce à une écriture tantôt précise et percutante, tantôt visuelle et poétique, après un bon moment pour rentrer dedans me concernant, les pages se tournent à toute allure ; nous voulons savoir, connaître la conclusion que nous a concocté l’auteur. Il nous faudra cependant s’accrocher, rester bien attentif afin de ne pas décrocher ou perdre le fil et risquer de passer à côté. Les personnages, quant à eux, grâce a une psychologie fouillée, sont fort bien campés et servent parfaitement ce récit addictif. J’ai particulièrement apprécié Lana, son développement psychologique, et surtout sa fabuleuse relation à son cheval. Leur connexion est dépeinte avec beaucoup de finesse, de justesse et d'émotion. On ressent parfaitement l'évolution du lien, de la confiance qui s’installe peu à peu entre ces deux êtres sensibles. Même les rapports entre les animaux eux mêmes sont développés de manière crédible, touchante et attachante. L’histoire prend également une profondeur certaine et accrue grâce à la présence de personnages secondaires comme avec sa fidèle amie la maréchale-ferrante, le collègue amoureux d'elle, mais aussi la vétérinaire exigeante et juste, sans oublier cet ancien collègue dont le rôle dans l'enquête grandira au fil du récit. Entre passages contemplatifs et rebondissements, ramifications complexes, menteurs et faux semblants, nous laissons alors l’auteur nous transporter et nous balader au cœur de New-York mais aussi au gré des grandes plaines du Wyoming, jusqu’au dénouement final, qui nous cueillera telle une fleur des prés. Vous l’aurez compris, j’ai beaucoup aimé le dernier opus de l’auteur. Assez perplexe au début, je dois avouer qu'au final, j’ai trouvé un équilibre convaincant entre le monde équestre et le genre policier. Alors si vous appréciez les thrillers atypiques, les récits contemplatifs, les enquêtes tranquilles, qui n’ont pas avalé un TGV, ou la part belle est octroyée sans regret aux animaux et à la nature… ce roman est fait pour vous ; vous passerez un excellent moment de lecture Ma note : Pour vous le procurer : Éditions Taurnada Amazon Réseaux sociaux : Facebook InstagramSite auteur : Frédéric Lepage
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« Dernier message par Apogon le jeu. 19/09/2024 à 17:42 »
L'honneur jusqu'à la mort de Théo LetnaPour l'acheter : AmazonRéseaux sociaux : Twitter X Facebook InstagramSite auteur : Théo Letna Quelle infortune, pour une ville d’une telle gloire, que d’être ainsi tenue confinée par une soldatesque pouilleuse et désœuvrée. Le sergent en poste ce jour-là examina longuement le curieux personnage qui patientait devant lui. Il le considéra tout de suite comme un excentrique. L’homme, haut de taille, maintenait un sourire contraint sur ses lèvres fines. Ses yeux verts, enfoncés derrière des lunettes rondes, ses favoris soigneusement taillés et ses cheveux roux, raides et courts, au point d’en être dressés sur la tête comme s’il avait été pris par la foudre, lui donnaient l’air d’un savant ou d’un érudit. À contrario, son visage sec au menton carré, ses mains calleuses et sa posture droite, évoquaient plutôt une sorte d’aventurier. Un aventurier riche, à en juger par les deux pistolets qu’il avait passés à sa ceinture. Il était couvert d’un long manteau de voyage et tenait par la bride un âne qui supportait la charge d’un coffre ainsi que d’un long paquetage de toile épaisse. — Pourquoi voulez-vous entrer ? demanda le sergent. La question était de pure forme. Quels troubles un homme seul pouvait-il causer dans une ville qui n’enterre même plus ses cadavres ? Mais le sergent n’aurait en aucun cas dérogé à son devoir, sans compter que, pour une fois, la réponse l’intéressait. Ce rouquin n’était pas le premier à vouloir entrer dans Thull malgré le blocus. De nombreuses familles étaient venues dans l’espoir de retrouver quelques parent ou ami afin de s’assurer de leur santé ou, plus prosaïquement, de s’enquérir d’éventuel héritage laissé par les défunts. Des pèlerins s’y étaient engouffrés avec une hâte pleine de ferveur dans l’espoir de rallier de nouveaux fidèles à leurs dogmes ou d’y trouver un juste châtiment. Il y avait même eu un conteur, qui voulait être aux premières loges pour trouver de quoi étayer son registre de fables et de récits à narrer au coin du feu. Passée l’agitation des premiers mois, les derniers venus préféraient rester à bonne distance des murs, et se contentaient de bivouaquer aux abords de la ville en attendant que le blocus soit levé. Selon les rumeurs qui couraient, la situation à l’intérieur s’était sensiblement améliorée ; la délivrance approchait. — Mon nom est Zulan Estrobi. Et je viens retrouver mon frère. — Estrobi… je crois bien avoir déjà entendu ce nom. Je ne me souviens pourtant pas vous avoir déjà vu, et, sauf votre respect, votre allure n’est pas de celles qu’on oublie. Le sergent eut un sourire qui se voulait affable. Zulan Estrobi lui retourna un vague rictus du coin de la lèvre. Il semblait à la fois harassé par le voyage et impatient d’en finir avec ces formalités. — Êtes-vous sûr de ne pas vouloir installer votre tente devant les murs, comme tout le monde ? Ce n’est pas que je vous refuse l’entrée, mais c’est tout de même risqué d’y aller. On ne sait pas trop l’état des choses à l’intérieur. — Monsieur, j’ai traversé la mer des rafales et tout le royaume pour venir jusqu’ici. J’ai laissé derrière moi une boutique dans les mains d’un associé qui transpire dès qu’il doit formuler une phrase plus longue que « bonjour » ou « au revoir », aussi je crains sévèrement pour ma clientèle et mon chiffre d’affaires. Alors non, je n’ai pas l’intention d’attendre. — Entendu. Toutefois je dois vous avertir : vous entrez aujourd’hui, mais on ne vous laissera pas ressortir tant que le comte Malgrange n’aura pas ordonné de lever le blocus. Et pour ça, faut pas que vous comptiez en dessous d’encore deux bons mois. C’est un minimum. Le comte tient à ne prendre aucun risque. C’est déjà un miracle qu’on ait réussi à contenir ce fléau en dedans. — Je suis au courant de la situation. Pour ce qui est d’assurer ma sortie, il doit certainement y avoir une solution… Zulan soupira et passa la main sur ses cheveux. Derrière le sergent, il pouvait voir la cité prisonnière. De nombreux bûchers funéraires y étaient allumés, produisant un épais voile de nuages noirs qui recouvrait tous les alentours. Thull semblait morte. Aucun bruit, aucune clameur ni même d’aboiement de chien ne s’échappaient de ses murs. Face à cet horizon sinistre, comment croire que la promesse qu’il avait faite autrefois avait encore un sens ? Zaeli était-il seulement vivant à cette heure ? Et s’il l’était, se souviendrait-il de son grand frère ? Aurait-il encore envie de partir avec lui ? Tout cela n’était pas raisonnable… Pourtant, malgré ces doutes, il était hors de question d’attendre jusqu’à prendre racine devant les portes de la ville. Le voyage avait déjà été trop long. Zulan avait laissé la charge de sa boutique à Maldred, l’artisan qui, d’habitude, ne sortait jamais de son atelier. D’un naturel bourru, Maldred n’avait ni le sens du contact ni le sens des affaires, et Zulan craignait pour son profit s’il s’absentait trop longtemps. Et puis, plus que l’argent, son commerce était l’œuvre de sa vie ; il y vendait des armes uniques dont il était le seul à détenir le secret. Il fallait donc faire au plus vite. Quoiqu’il en coûte. Zulan redressa ses lunettes sur son nez d’une poussée de l’index. — Puis-je vous faire une proposition honnête ? demanda-t-il au sergent. — Ça dépend du clinquant de votre honnêteté, répondit celui-ci sans parvenir à retenir un sourire avide. Le rouquin lui sourit en retour. Ils s’entendraient sur le sujet. Chapitre I La ville mourante Dix ans plus tôt. — Gardez à l’esprit que si les plantes médicinales soignent bien des maux, un mauvais dosage ou un usage déraisonnable produisent souvent l’inverse de l’effet attendu, le remède se mue alors en poison. C’est le cas de l’absinthe, de l’hysope et, bien sûr, de l’eucodemya que vous connaissez déjà bien. Il y en a d’autres… — Il paraît que l’eucodemya contient du mercure et qu’on peut en mourir, intervint l’un des apprentis. — C’est juste, répondit Emma. Comme je le disais, bien que l’eucodemya soit presque miraculeuse tant ses vertus curatives sont nombreuses, elle peut aussi s’avérer toxique si l’on en abuse. Comme vous le savez, les sols de notre ville sont imprégnés de mercure et l’eucodemya s’en nourrit. Pour cette raison, défendez-vous d’en abuser pour des maux bénins qui peuvent être soignés autrement. L’eucodemya ne doit être prescrite qu’avec la plus grande précaution ! Un murmure fébrile parcourut la petite assemblée. Avant de reprendre, Emma attendit que ses étudiants prennent leurs notes. — La nature sait être généreuse, mais elle condamne par-dessus tout les excès et l’imprudence. C’est pourquoi il nous faut continuer d’apprendre à la connaître et à la comprendre. Nous sommes encore loin d’avoir percé tous ses secrets, soyez-en sûrs ! Cela faisait une belle conclusion pour son cours. Les étudiants – autant d’apprentis tout juste entrés à l’académie que d’érudits chevronnés –, remballèrent plumes, crayons et calepins avant de la saluer et de se disperser. Emma resta seule dans la serre. Avant de s’en aller à son tour, elle tenait à vérifier que les plantes ne manquaient de rien. Elle en arrosa quelques-unes, en allégea d’autres de leurs pointes jaunies et changea l’orientation de certaines pour qu’elles prennent le soleil sous un autre angle. Une voix enfantine se fit entendre : — Tu n’as pas parlé des dryades aujourd’hui ? Le ton était taquin et fit sourire Emma. — Les dryades, ça n’intéresse personne. Tout le monde sait qu’elles ne vivent que dans les contes. — Sauf toi ! Plein de vivacité et de bonne humeur, le jeune Zaeli avait également l’esprit sagace. Emma le considérait comme son neveu, même s’ils n’étaient pas liés par le sang. Elle avait souvent eu à s’occuper de lui lorsqu’il n’était qu’un nourrisson, car sa mère avait toujours été d’une santé fragile. Lorsqu’elle l’emmenait dormir, Emma lui racontait alors les histoires qu’elle connaissait. Les dryades, mandragores et autres fées y figuraient en bonne place et Emma en parlait si bien que Zaeli avait cru dur comme fer en leur existence. Mais du haut de ses sept ans et de son nouveau statut d’apprenti à l’académie, il avait déjà trop grandi pour que cela puisse durer et pour que les contes le fassent pareillement rêver. — Sauf moi, répondit-elle doucement. Allez, ne traînons pas. Nous devons retrouver ton frère. — Vite, vite ! Je veux savoir ce qu’il a fait exploser aujourd’hui ! — Tant que ce n’est pas l’académie, nous pouvons nous en féliciter. Mon Dieu, pourvu qu’il ne soit rien arrivé à personne ! À l’évocation de Zulan et de la nouvelle frasque qu’il avait commise, Emma sentit son ventre se nouer. L’inquiétude qu’elle était parvenue à assourdir durant son cours refit aussitôt surface. Ce n’était pas la première fois que le grand frère de Zaeli était convoqué par le directeur de l’académie. Depuis toujours, il s’intéressait aux expériences les plus insolites, au grand dam de ses professeurs. Il était borné de nature et se souciait peu des règles de sécurité. Pour lui, la science valait bien qu’on prenne quelques risques ; le progrès était à ce prix. Comme il avait de la gouaille, il était parvenu à faire valoir son point de vue auprès du directeur et obtenir qu’on tolère quelques dégâts pour peu qu’il obtienne des résultats. L’accord avait tenu plus longtemps qu’on était en droit de l’espérer ; mais alors les expériences étaient devenues explosives. Quelques mois plus tôt, Zulan avait découvert les propriétés détonantes de la poudre noire, et depuis, ses recherches ne se focalisaient plus que sur ce mélange de salpêtre, de soufre et de charbon de bois. Il s’était mis en tête d’inventer des armes de guerre faisant usage de cet explosif. Il avait ainsi détruit plusieurs ateliers, causé de nombreuses crises de panique et rendu sourds un bon nombre d’érudits. Cela n’avait duré tout ce temps que parce que Zulan était le fils du très respecté Zolthran. Chaque fois, Zulan était convoqué ; chaque fois, il promettait qu’il ferait plus attention ; et chaque fois, il recommençait ses expériences incongrues, abusant de la patience de ses supérieurs. Aujourd’hui, il était convoqué une fois de plus, et cette fois le directeur avait voulu que Zolthran soit aussi présent. Zolthran Estrobi : père de Zaeli et de Zulan. C’était un académicien reconnu, alchimiste respecté. Qu’il soit convoqué en même temps que son fils ne pouvait être que de mauvais augure. Emma en était sûre, l’affaire était devenue sérieuse. Emma et Zaeli parvinrent dans le grand hall de l’académie et décidèrent de l’y attendre ici. Zaeli était tout excité et impatient de retrouver son grand frère. Malgré le drame survenu deux mois plus tôt, il semblait avoir gardé cette insouciance enfantine. Mais Emma ne s’y trompait pas. Elle le connaissait trop bien pour ne pas voir ce qu’il cachait. Ses sourires n’étaient qu’une façade à son chagrin, ses rires masquaient sa peine ; et pour combler le vide laissé par la disparition de sa mère, il s’était accroché à son grand frère comme à une branche qui l’empêcherait de tomber. Le hall se mit soudain à résonner de cris furibonds qui arrachèrent Emma à ses pensées. Elle reconnut aussitôt la voix qui s’élevait. La rencontre ne s’était pas bien passée. — C’est fini ! cria Zulan par-dessus son épaule. Je te fais honte ? Je te déçois ? Rassure-toi, tu n’auras plus à subir ce genre d’affronts ! Je pars ! Loin de toi et de cette ville d’ignares ! Remarquant soudain Zaeli qui serrait fort la main d’Emma, Zulan parut s’adoucir. — Comment oses-tu, maudit rejeton de catin ! tonna une grosse voix derrière lui. Comment oses-tu me parler sur ce ton à moi ! Tu me dois l’obéissance ! Je suis ton père et ton supérieur ! — Tu insultes ta propre femme, grinça Zulan. Tu ne t’entends même pas, fou que tu es. — Fou ? Fou ? Fou ? Qui donc crache sur un avenir que je lui ai tout entier tracé ? Qui donc ici est fou, dis-moi ? Zolthran, la face cramoisie, s’agitait en gestes saccadés face à un Zulan dont les lunettes ne pouvaient cacher le regard glacial et empli de rancune. — Un avenir ? Quel avenir ? Cette académie est une barrière pour moi ! Tes travaux ne m’intéressent pas, ils me ralentissent. Si je veux réussir, ce sera ailleurs et loin d’ici. Mes inventions vivront hors de Thull ! Emma observait sans rien dire la confrontation des deux hommes. Elle tenait Zaeli près d’elle et pouvait sentir la peur du petit garçon face à un tel spectacle. Elle aurait voulu l’emmener, mais il fallait qu’elle reste auprès de Zolthran et de Zulan. Père et fils étaient tous deux dotés d’un fort caractère et surtout d’un grand orgueil. S’il était impossible de les calmer, elle se tenait prête à s’interposer au besoin. Le hall était devenu lourd d’un silence de plomb. Les quelques apprentis qui s’y trouvaient hâtèrent le pas et passèrent en silence, non sans jeter quelques coups d’œil à la dérobée. Zolthran fournit un effort considérable pour parler bas et dit d’un ton lourd de conséquences : — Alors va. Si c’est tout ce qui t’importe, si tu te moques de tout… va ! Rejeton de catin. — Zulan…, commença Emma, craignant qu’il ne réagisse brusquement. Mais il n’en fit rien. Affichant un masque de mépris, il se détourna et s’en alla par les portes du hall pour quitter l’académie. Emma chercha le regard noir de Zolthran pour lui demander des explications, mais lorsqu’il se tourna vers elle, ce fut pour baisser les yeux vers son deuxième fils et l’observer comme s’il venait de le découvrir pour la première fois. Emma avait laissé Zaeli aux mains de son père. Elle s’était hâtée à la poursuite de Zulan pour tenter de le raisonner. Cependant, elle savait pertinemment que c’était peine perdue. Elle le retrouva dans sa chambre, à l’étage de sa demeure familiale, affairé à préparer ses affaires : un maigre paquetage qui comprenait peu de vêtements, quelques babioles, quelques écrits et un précieux prototype : une invention sortie de son imagination fertile et qu’il appelait un pistolet. En le voyant si décidé et si prêt, elle le soupçonna soudain d’avoir tout prévu avant même de se rendre à son entrevue avec le directeur. — Es-tu sûr de ce que tu fais ? demanda-t-elle. C’est vraiment ce que tu veux ? Dans un premier temps, Zulan ne dit rien. Il termina de nouer son paquetage et vérifia d’un tour de tête qu’il n’avait rien oublié. Enfin il répondit : — Ce n’est pas ce que je veux. J’aurais voulu que tout soit différent. Mais c’est ainsi. Si je reste, je demeurerai pour toujours dans son ombre, et elle est bien trop grande pour moi. Dehors, je deviendrai quelqu’un. Le ton était ferme et résolu. Il n’y avait pas d’appel possible. — Quel dommage, soupira Emma. Mais c’est peut-être ce qu’il y a de mieux à faire en effet. Pour toi, du moins. — Que veux-tu dire ? — As-tu pensé à Zaeli ? Tu sais combien il tient à toi. Il n’a plus de mère et son père est un ours. Il a besoin de toi. Cela faisait deux mois à présent. Deux mois déjà qu’elle s’était éteinte. L’épouse de Zolthran, mère de Zulan et de Zaeli, avait toujours été d’une nature évanescente, comme pour les avertir et les préparer à son trépas prématuré. Une simple grippe l’avait emportée. Depuis, les trois hommes de la famille se déchiraient. — Il tiendra le coup, affirma Zulan. Je compte sur toi. Sur ces mots, il endossa son paquetage et alla pour sortir de la maison. Emma l’accompagna jusqu’aux murs de la ville. Il marchait à grandes foulées, fier et plein d’assurance. Cette fois, Emma en était tout à fait certaine : il avait véritablement anticipé son départ. Il ne reviendrait jamais sur sa décision, il partait pour forger son destin. Parvenu à la dernière rue, au pied du large mur qui bordait toute la ville de Thull, il s’arrêta pour lui faire ses adieux. Elle profita de cet ultime instant pour l’abreuver d’autant de conseils et de mises en garde qu’elle pouvait. Cela le fit rire. Les épaules solides, il disposait de la même énergie et de la même force inébranlable que son père. Il tiendrait le coup. Il ajusta son paquetage une dernière fois avant de franchir les murs, fit un premier pas… C’est alors qu’une petite voix l’arrêta net. — Zulan… Lentement, comme si cela lui coûtait, il se tourna vers son petit frère, qui avait couru pour les rejoindre. Il serra les lèvres, rajusta ses lunettes et vint s’agenouiller à sa hauteur. — Zaeli. Emma était assez proche pour entendre et pour voir. Et elle comprit pourquoi Zulan avait tenté d’éviter ces adieux-là. — Tu ne seras pas seul, Emma sera là pour toi. Elle sera bonne, comme elle l’a toujours été. Serrant les petites mains dans les siennes, il ajouta : — Fais-toi des amis, joue, apprends, grandis et sois heureux. Il n’osa essuyer les larmes qui coulaient sur les joues de son petit frère qui le fixait sans ciller. — Je ne pars pas pour toujours. Plus tard, j’aurai une maison, j’aurai une famille et je serai riche. Là, je reviendrai te chercher, je t’emmènerai avec moi, loin de cette foutue ville. Il prit alors le visage de Zaeli entre ses mains, soutint à grand-peine son regard plein de détresse. — Je reviendrai, petit frère. Et je te prendrai avec moi. Je te le promets. ∞ Les lourdes portes de la ville s’ouvrirent, non sans opposer une gémissante protestation. Elles semblaient crier à l’outrage, mais le mal était fait. Zulan s’avança en tirant son âne, qui rechignait plus encore que d’habitude à avancer. Dès qu’ils furent entrés, les portes, actionnées par un système complexe de leviers, se refermèrent derrière lui en claquant bruyamment, comme pour le punir d’un affront. Durant un instant heureusement court, Zulan se retrouva totalement prisonnier. La herse devant lui se leva finalement pour le laisser passer et il pénétra dans la ville. La première chose qui l’assaillit était l’odeur âcre, piquante et désagréable qui empuantissait l’air. Une odeur de mort, de déjections qui s’accumulent et de viande carbonisée. Mais c’était bien peu en comparaison du sinistre spectacle qui s’imposa à lui. Il avait gardé en mémoire une image nette de la cité qui l’avait vu grandir. En y revenant, il savait pertinemment qu’il ne la retrouverait pas telle qu’il l’avait connue. À présent qu’il s’y trouvait bel et bien, il put se rendre compte à quel point ses appréhensions étaient largement en deçà de la réalité. Le changement qui, d’ordinaire, agite toute grande ville et la voit s’étendre, se renouveler et se moderniser tenait plutôt ici de la désintégration. Le spectacle qu’elle lui offrait lui remua les boyaux. Tout était délabré, terni, encrassé comme un cimetière laissé à l’abandon, à la différence qu’il y avait encore âme qui vive. Mais pouvait-on vraiment parler d’êtres vivants ? Les rares thullans présents étaient en aussi piteux état qu’on pouvait l’être après une année entière de privation ; les traits tirés par la faim et les fripes en loques. Certains regardaient Zulan d’un œil morne, se demandant certainement pourquoi il était entré alors qu’eux désiraient tant sortir. La peste, la faucheuse, s’était installée à Thull depuis un an déjà. Son empreinte était aussi reconnaissable qu’une marque portée au fer rouge. Malgrange, le comte de la région, avait rapidement été informé de l’apparition de l’infection, et il s’était empressé de faire installer un blocus autour de la ville dans l’espoir presque fou de l’y confiner. Tous les transits avaient aussitôt été interrompus et les portes mises sous surveillance. Les voyageurs et les marchands qui avaient eu le malheur de se trouver là à ce moment se retrouvèrent enfermés avec les habitants. Et c’est ainsi, contre toute attente, que Malgrange avait réussi. Après quoi il aurait pu laisser la ville en l’état, mais Thull était le fleuron économique de la région : elle devait survivre. Alors, une organisation minutieuse avait été mise en place pour apporter aux thullans le nécessaire de survie et assumer l’approvisionnement en vivres et en eau. Les quantités transmises étaient sévèrement rationnées, tant pour ne pas vider la trésorerie du comte que pour limiter les contacts et donc les risques de contamination. Les provisions étaient hissées dans la ville grâce à un système de monte-charge et de poulies, puis déchargées de l’autre côté de l’enceinte. Jamais les murs, qui avaient été érigés tout autour de la ville, n’avaient autant trouvé leur utilité. Quelle ironie que ce fut pour protéger l’extérieur de ce que la ville abritait plutôt que l’inverse. Quant à ce qui se passait à l’intérieur, personne ne voulait le savoir. Les seules informations transmises étaient consignées par les magistrats thullans sur des parchemins de vélins, qui étaient ensuite lestés par des pierres et simplement jetés par-dessus les remparts. À l’extérieur, les officiers chargés de les lire déroulaient le parchemin à l’aide d’une pince qu’ils tenaient à bout de bras et qu’ils changeaient à chaque utilisation. Aux dernières nouvelles, le nombre de victimes de la peste baissait, sans que l’on sache si l’infection faiblissait pour de bon ou si elle ne trouvait plus de victimes. Telle était la situation de Thull, qui comptait autrefois près de trente mille âmes. Nul rapport n’osait mentionner combien il en restait à ce jour. Zulan s’avança à pas mesurés. La plupart des thullans l’ignorèrent ; ceux qui s’étaient approchés des portes par curiosité continuèrent de l’observer sans qu’il puisse décrypter leurs pensées. Le rouquin prit la direction de la maison de son père. C’était là qu’il avait le plus de chance de retrouver Zaeli. Là aussi qu’il avait le plus de risque de croiser Zolthran. Il traversa les rues souillées, en serpentant entre les monceaux d’ordures qui s’entassaient. Bien sûr, il était conscient du risque qu’il encourait en plongeant dans une ville infestée par une aussi funeste maladie, mais il faisait confiance aux rumeurs annonçant qu’elle tirait à sa fin. Il savait qu’il ne risquait plus grand-chose, à condition de se montrer précautionneux et d’éviter les contacts. Il ne s’approchait donc pas des maisons et restait bien au milieu de la ruelle, en esquivant les âmes errantes qu’il croisait ou en les laissant passer devant lui. Il évitait de regarder leurs visages, tant leur maigreur extrême les rendait semblables à des cadavres desséchés. En chemin, le rouquin passa devant la centrale des lumières et prit le temps de s’arrêter pour y jeter un regard nostalgique. C’était un bâtiment sombre et crasseux, laid et autrefois très bruyant, mais qui était l’une des fiertés de Thull, l’un des plus importants symboles du génie de cette ville. C’était dans ce lieu qu’était fabriquée l’une des inventions les plus remarquables des alchimistes : des vunions, du nom de leur inventeur, le très éclairé Olvan Vunion. Il s’agissait de petites boules transparentes de la taille d’un poing, dans lesquelles était enfermée une substance liquide et incandescente à base de mercure. La substance en combustion générait une lumière aussi vive qu’un feu de cheminée, mais blanche comme le soleil d’hiver, tandis que la sphère isolait la chaleur et restait tiède sur sa surface, permettant de l’empoigner à main nue. Au début de chaque semaine, les thullans pouvaient se rendre à la centrale et récupérer gratuitement l’une de ces sphères pour leur demeure. C’était un avantage réservé uniquement aux citoyens de la ville ; les étrangers, eux, devaient payer cher pour en obtenir. Les vunions brillaient durant trois jours avant de s’éteindre. Ensuite, les thullans devaient éclairer leurs soirées à la bougie jusqu’au début de la semaine suivante. Il aurait suffi de les faire plus gros pour qu’ils puissent durer la semaine entière, mais les ciriers de la ville s’y étaient opposés – il fallait bien que vive le commerce. Aujourd’hui, toutefois, la centrale était à l’abandon, par manque de main-d’œuvre et de matières premières, et les nuits des thullans devaient être bien sombres. Nerveux, l’âne tira Zulan hors de ses pensées. Depuis qu’ils étaient entrés dans la ville, l’animal était sorti de sa placidité coutumière, il secouait la tête et tapait du sabot sur le pavement. La maison de Zolthran se trouvait en hauteur par rapport au reste de la ville, sur une colline uniquement occupée par les familles bourgeoises et les notables. Nombre de ces familles comptaient des scientifiques dans l’un ou l’autre des domaines pratiqués à Thull ; alchimie en tête. Zulan leva le nez en direction de l’épaisse volute de fumée qui s’élevait à partir d’un autre point de la ville. À ce qu’on lui avait dit, le cimetière était tellement surchargé qu’ils avaient dû enterrer les morts dans les caveaux familiaux et les cryptes, en les entassant sans se soucier de savoir s’ils appartenaient aux mêmes familles, et finalement sans se soucier de leur identité du tout. Mais, même avec cette initiative peu scrupuleuse, la place avait manqué, et dès lors, tous les morts étaient aussitôt brûlés. Comme les thullans ne pouvaient se fournir en bois malgré l’épaisse forêt qui jouxtait la ville, ils s’étaient résolus à se servir dans les maisons des défunts, défrichant de la sorte plusieurs quartiers de la ville. Zulan espérait de tout cœur qu’il n’aurait pas à enquêter de ce côté-là si jamais il ne trouvait pas directement son frère. Thull commençait déjà à peser sur son moral. Il s’en voulut de ne pas être parti plus tôt, ce qui lui aurait épargné d’arriver dans de telles circonstances. Après avoir pesté en se retrouvant devant un escalier trop pentu – ayant oublié qu’il avait un âne chargé avec lui –, et fait plusieurs tours et détours, il trouva enfin un chemin dallé qui courait sur le flanc de la colline pour le mener jusqu’aux hauteurs. Il leva alors les yeux vers un homme qui déboulait en sens inverse en courant à toute vitesse. Zulan s’écarta prestement en s’appuyant contre la bordure du chemin, mais l’homme manqua de percuter le baudet juste derrière lui. Il tenait la main appuyée sur un chapeau bleu à larges bords et faillit le laisser s’envoler. Son visage était livide et de la salive coulait de sa bouche ouverte et haletante. L’homme grogna de colère, à défaut de trouver le souffle pour lancer une quelconque injure, et courut se perdre dans une ruelle en contrebas. Une troupe entière de gardes ne tarda pas à faire suite, passant devant Zulan et suivant le chemin que venait de prendre le fuyard. Ils étaient vêtus de couleurs ocre et bronze, typiques des uniformes et du blason de Thull, et armés d’épées courtes qu’ils brandissaient en criant aux badauds de faire place. L’un d’entre eux s’arrêta devant Zulan. — Vous a-t-il mordu ? demanda-t-il brusquement. — Non, je n’ai rien… répondit Zulan étonné par cette question impromptue. Le garde prit tout de même le temps de le scruter de haut en bas durant deux lourdes secondes, avant de reprendre sa poursuite. Zulan le regarda s’en aller, un peu secoué et pourtant satisfait de s’apercevoir qu’on tentait encore de maintenir l’ordre à Thull. C’était le signe que la ville ne partait pas totalement à la dérive. Donnant une tape sur la croupe de son âne qui s’accorda un braiment de mécontentement, Zulan reprit son chemin. La clameur de la poursuite se faisait encore entendre dans les ruelles étroites qui serpentaient au pied de la colline, mais Zulan l’oublia, car il était enfin arrivé au-devant de son ancien foyer. Imposante, la maison le toisait du haut de ses deux étages faits de la même pierre jaune et graniteuse qui composait la majorité des habitations de Thull ainsi que l’académie des sciences. La grande porte était précédée d’un perron de trois hautes marches. Des buissons fleuris proliféraient le long de la façade et sous les fenêtres ; fenêtres qui étaient d’ailleurs brisées. L’obscurité à l’intérieur interpella Zulan. Le crépuscule venant, elle aurait dû être éclairée, comme cela commençait à être le cas un peu partout dans la ville. Les mèches vacillantes des bougies tout juste allumées, ici et là, filtrant à travers les fenêtres ternies faisaient comme autant de lucioles papillonnant dans la ville en contrebas. La demeure de Zolthran, elle, restait obscure. — Comme s’il aurait pu en être autrement, grogna Zulan pour lui-même. Bien équipé, il alluma son briquet à silex. Jugeant déjà qu’il n’y avait certainement pas âme qui vive, il poussa néanmoins la porte de la maison, qui, bien entendu, n’était pas verrouillée. Il s’attendait presque à voir son père et son frère gisants sur les dalles du hall d’entrée, égorgés par une quelconque bande de pillards et laissés pourrissants sur le sol. Ce ne fut pas le cas, mais ce ne fut pas mieux pour autant. La maison avait vraisemblablement été saccagée et on s’y était battu avec violence. Les rampes de l’escalier en pierre qui menait au premier étage avaient été brisées. On avait jeté à terre des poteries, déchiré les tableaux et les tentures qui couvraient les murs et les colonnes, saccagé ou dérobé la plupart des meubles. Mais le plus dérangeant était encore ces grandes taches noirâtres de sang séché qui recouvraient le sol et les murs. Dégoûté, Zulan ne voulut pas en savoir plus. Il n’avait même pas envie d’aller voir les autres pièces au-delà du hall où, il en était sûr, il ne trouverait que plus affreux encore. Il n’avait plus qu’une seule envie : repartir aussitôt et refermer la porte derrière lui. Il se retourna et se retrouva alors face à une paire de mains. Poussant un bref cri de surprise, il voulut reculer et tomba à la renverse. Les mains appartenaient à un être massif qu’il ne put détailler à cause du contre-jour qui l’aveuglait ; une voix lui psalmodiait des paroles incompréhensibles. Il chercha frénétiquement son pistolet, arma le chien et tendit l’arme en direction de la chose. Celle-ci ne s’était pas approchée. Ses mains étaient revenues vers elle en geste de défense. — Calme-toi, voyons ! C’est moi ! Emma ! Zulan déglutit. Il essaya de retrouver sa respiration en haletant. Son cœur battait la chamade. — C’est moi, Zulan ! Emma la botaniste ! Tu ne te souviens pas ? — Emma ? répéta-t-il en essayant de discerner la femme. Il releva le chien sur son pistolet. — Oui ! Tu venais souvent chez moi. Je t’ai appris les herbes ! fit-elle sur le ton insistant de ceux qui expliquent quelque chose d’évident à quelqu’un qui ne comprend pas. — Emma, répéta bêtement le rouquin le temps que ses souvenirs refassent surface. Il remit alors un visage sur ce nom. Emma la botaniste, qui avait toujours été proche de sa famille. C’était une femme généreuse et simple. Elle s’était occupée de lui, puis de Zaeli, aussi bien que s’ils avaient été ses propres fils alors même qu’elle avait déjà sa famille à elle. Elle avait toujours été là pour eux et pour combler l’absence d’une mère toujours convalescente. Zulan l’avait beaucoup aimée, mais cela faisait bien longtemps. Il avait choisi de remiser son souvenir loin dans sa mémoire, comme il l’avait fait pour tout ce qui avait attrait à son passé et à Thull. Il se releva lentement et Emma s’approcha pour l’aider. Il fit barrière de son bras. Il ne fallait pas qu’elle le touche. — C’est bon. Ça va. Zulan inspira un bon coup et la regarda plus attentivement. Il reconnut son allure trapue et débonnaire qui pouvait la faire passer pour une paysanne, mais ne put discerner grand-chose de son visage qui était à moitié masqué par des bandages qui lui ceignaient le nez et le front. — Je ne suis pas très belle à voir, j’en ai peur. La peste m’a durement meurtrie. — La peste… Zulan se raidit. Il n’avait pas pensé la revoir et n’avait pas envie de tomber malade pour le seul plaisir de sa compagnie. Mais Emma, comme autrefois, lisait ses pensées sur son visage. — Ne t’inquiète pas, je ne suis pas contagieuse. La maladie a été définitivement enrayée et plus personne ne l’a contractée depuis une semaine. Je l’ai eue moi aussi, je l’ai combattue durant des jours entiers. Et comme tu vois, j’ai tenu bon. Zulan se demanda si cela valait vraiment la peine de survivre à un tel fléau si l’on était obligé par la suite de se cacher le visage tel un lépreux. Néanmoins, il parvint à se détendre. S’il n’avait plus à craindre d’être infecté, c’était déjà une bonne nouvelle ; quoiqu’à prendre avec des pincettes. Emma l’invita à se rendre chez elle, et il ne trouva pas de raison de refuser l’offre. Vu les circonstances, il n’avait pas envie d’aller loger dans une auberge de la ville. Quant à la maison de son père, Emma lui confirma qu’elle était inhabitable : toutes les salles étaient dans le même état que le hall, car elle avait été pillée plusieurs mois auparavant. Des gardes étaient même venus déloger quelques crapules qui avaient trouvé bon d’y installer leur repaire. La maison d’Emma ne se trouvait qu’à quelques pas de là. Son architecture était sensiblement différente des autres habitations. C’était une demeure sobre presque entièrement construite de bois clair, avec un étage couvert d’un toit arrondi et un balcon soutenu par des piliers de pierre sur lesquels s’enroulaient des plantes grimpantes. L’intérieur, simple et coquet, s’ouvrait sur une grande salle. Sur le côté droit, on pouvait descendre une petite marche pour accéder à un carré central confortable à l’intérieur duquel plusieurs fauteuils et sofas étaient disposés autour d’une table basse. Sur le mur face à l’entrée, une cheminée assurait le chauffage de toute la maison ; les salles de l’étage s’articulant autour du conduit afin d’éviter tout gaspillage de chaleur. Quelques tentures aux couleurs chaudes étaient suspendues aux murs, et des tapis disposés de manière disparate sur le sol. Et, bien entendu, il y avait un grand nombre de plantes en pot, mais Emma étant femme de bon goût, elle avait su tenir en bride sa passion des plantes pour éviter de donner à son intérieur si soigné l’aspect d’une jungle. Elle invita Zulan à s’asseoir sur un fauteuil, dans le carré, tandis qu’elle fermait la porte d’entrée à double tour ; un geste qui, nota Zulan, n’était pas dans ses habitudes autrefois. Elle alla ensuite chercher une bouilloire à mettre sur le feu pour préparer une infusion dont elle avait le secret en cueillant les feuilles aromatiques à même ses plantes. À sa surprise, Zulan retrouva aussitôt les sensations de bien-être et d’apaisement qui l’avaient toujours empli lorsque, plus jeune, il venait ici. Presque rien n’avait changé. Il avait toujours préféré cette maison à celle de son père, trop grande et trop austère. À l’époque, il y avait souvent du monde chez Emma. Elle était appréciée de tous du fait de son bon caractère et des soins à base de plantes qu’elle n’hésitait jamais à prodiguer pour soigner les petits maux et soulager les maladies saisonnières. Elle avait eu quatre enfants : trois fils et une fille. Les deux aînés avaient plus ou moins l’âge de Zulan et ils avaient été amis durant l’enfance. Étrangement, alors qu’il n’y avait plus songé depuis une éternité, les souvenirs de leurs jeux lui revinrent avec facilité, frais comme s’ils dataient de la veille. Il s’étonna que le temps passe aussi vite ; un symptôme qui avait tendance à s’accentuer avec l’âge. Emma revint avec un plateau chargé et posa le tout sur la table basse. Elle s’assit sur le divan à côté de Zulan, en prenant précautionneusement dans ses mains une tasse fumante de tisane aux herbes. Le rouquin se servit de quelques biscuits et prit sa tasse à pleines mains sans se soucier de la chaleur de la porcelaine. Il était habitué à manipuler des objets brûlants depuis qu’il prêtait main-forte à Maldred dans leur atelier à Jack-Port pour la fabrication des armes. À ses débuts, cela lui avait coûté de nombreuses entailles et brûlures, car c’était un travail ardu. Mais il s’y était fait. — Ah ! Zulan, tu n’as pas changé depuis ton départ de Thull. Je t’ai bien vu arriver par la promenade, et, comme je n’étais pas certaine que c’était bien toi, je n’ai pas osé t’appeler. Pour être franche, j’ai encore du mal à croire que tu sois vraiment là, dit-elle avec émotion. Allez, dis-moi ! où vis-tu maintenant ? Zulan eut un sourire tendre. Il éloigna la tasse de son menton, la vapeur tourbillonnante formant de la buée sur ses lunettes. Détendu, il commença alors à lui conter l’histoire de sa vie depuis son départ, dix ans plus tôt. Il lui parla de ses errances premières, de sa longue marche à travers le royaume, puis de son arrivée à Jack-Port : une citée marchande indépendante située de l’autre côté de la mer. Il s’attarda à décrire la ville, et la forte impression qu’elle lui avait faite, avant de lui narrer sa rencontre avec une belle femme, Kitta, qu’il avait épousée. Puis, il lui expliqua comment il était parvenu à devenir riche, et même célèbre en dehors du royaume, grâce au commerce qu’il avait monté. Le sourire réjoui d’Emma faiblit lorsqu’il annonça qu’il s’agissait de vendre les fameuses armes à feu qu’il avait inventées et largement perfectionnées depuis. Enfin, il lui parla du malaise qu’il s’était mis à ressentir chaque fois qu’il pensait à Zaeli et à sa promesse non tenue, et finalement de sa décision de revenir à Thull l’honorer en dépit de ce que cela lui coûtait. Elle ne le blâma pas. — Je comprends combien cette décision a pu être difficile à prendre. Je me souviens encore du jour de ton départ. Quelle horreur tout ce que ton père a pu te dire. Enfin… Il a mis longtemps à décolérer. À ses yeux, ton départ était une trahison personnelle. Des mois après, il en parlait encore avec une rage toujours plus forte. Je pense qu’il en attendait beaucoup de toi. Il voulait certainement que tu le soutiennes dans ses recherches, sans doute même que tu assures sa relève… quelque chose comme ça. Finalement, il s’est reporté sur ton frère. Si tu trouvais que les travaux de l’académie étaient ennuyeux, sache que Zaeli, lui, devait y passer presque toutes ses journées. Quand il revenait avec ton père, le pauvre était épuisé. Il me faisait penser à un oisillon tombé du nid. Je pense que Zolthran a exigé plus de lui pour compenser ta perte, mais je n’ai jamais compris qu’il en demande autant. Ton frère n’a pas été heureux durant toutes ces années, crois-moi. — Qu’est-il devenu ? A-t-il beaucoup changé ? demanda Zulan, agité d’une pointe de culpabilité. — Zaeli ressemble plus à ta mère. Il a toujours été plutôt fragile, et le rythme que lui imposait ton père ne l’a pas aidé. Il a grandi, bien sûr, mais il est resté mince comme un enfant. Je ne sais même pas s’il se passionnait ne serait-ce qu’un peu pour ce qu’il faisait à l’académie des sciences. En tout cas, Zolthran, lui, y investissait tout son temps, et plus encore quand il est devenu membre permanent du conseil de Thull puis – tiens-toi bien – directeur de l’académie des sciences. C’était il y a environ trois ans. Ces dernières précisions sur Zolthran irritèrent Zulan. Mais la nouvelle n’était pas si surprenante au regard de l’ambition acharnée dont son père avait toujours fait preuve. Zulan s’accorda une gorgée de tisane et, n’y tenant plus, posa la question qui lui brûlait les lèvres. — Et maintenant ? Sont-ils vivants ? Sont-ils à l’académie ? — Oui, ils y sont. Avec tous les alchimistes de la ville. Oh, mais je ne t’ai pas encore tout dit. Les épaules d’Emma s’affaissèrent. Elle reposa lentement sa tasse sur la table. — Nous avons vécu d’horribles choses, reprit-elle. Je ne sais pas si je devrais tout te raconter. — Emma, je ne suis plus un gamin. Les mauvaises nouvelles, j’ai appris à les entendre. L’académie des sciences ne m’est pas interdite, que je sache ? Je pourrais y aller dès ce soir. Zolthran ne m’inquiète pas. C’est Zaeli qui me fait peur. Voudra-t-il seulement partir avec moi ? Il espérait sincèrement que ce serait le cas. Depuis que sa conscience s’était mise à le tarauder, Zulan parlait à chaque fois de sa « chienne de promesse ». Il se surprenait à regretter d’avoir donné sa parole, fut-ce à Zaeli, et après quoi, il se morigénait de manquer autant de cœur envers son petit frère. Mais entendre Emma avait changé sa perception. La tâche qu’il considérait jusqu’alors comme une corvée à mener à terme pour être en paix avec lui-même était subitement devenue un devoir et un devoir de frère. Zaeli avait souffert pour deux durant presque dix ans. Le rouquin se jura que, s’il mettait la main sur Zolthran, il lui collerait du plomb dans les entrailles. — Zulan, je ne pense pas que tu puisses aller chercher ton frère tout de suite. Laisse-moi te raconter les événements par le début et tu comprendras. Zulan acquiesça. La situation s’annonçait plus complexe qu’il ne le craignait. Emma n’était pas le genre de personne à tourner autour du pot lorsqu’il s’agissait de dire les choses. Il se cala donc confortablement dans le fauteuil et croisa les genoux, prêt à écouter une histoire qui risquait de ne pas lui plaire. Tout avait commencé, il y a un an. Personne ne savait ni d’où elle venait, ni pourquoi Thull avait été la seule ville touchée. Certes, la quarantaine avait été instaurée rapidement, mais, entre-temps, il était évident que beaucoup de gens avaient circulé, entrant et sortant de la ville. Et malgré cela, elle ne s’était pas propagée au-delà des murs. Sans qu’il n’ose le clamer de vive voix, il était évident que le comte Malgrange s’en trouvait plus que soulagé. Le pays tout entier aurait pu être ravagé par la maladie. On avait évité le pire. Au début, la vermine était sortie en masse des égouts et des caves, en plein jour et en semant une pagaille infernale. Les rats étaient finalement morts un peu partout dans les ruelles et les recoins des maisons. Les gens connaissaient ce signe avant-coureur, même s’ils ne l’avaient pas forcément vécu. Les voyageurs avaient longuement raconté quelle hécatombe elle avait causé lorsqu’elle avait frappé les contrées sud des pays naboriens, environ un demi-siècle plus tôt, et nul ne souhaitait voir un tel fléau arriver jusqu’ici. Les thullans avaient donc été enfermés dès que la nouvelle fut parvenue aux oreilles du comte Malgrange. Certains des symptômes ne tardèrent pas à apparaître sur les premiers infectés : des montées impressionnantes de fièvre, accompagnées d’hallucinations et de troubles digestifs. On leur donna des breuvages curatifs, on pratiqua des saignées et on pria les Dieux. Bien souvent, face aux pires calamités, ceux qui ont la foi la perdent et ceux qui ne l’ont pas la trouvent. Les alchimistes essayèrent toutes sortes de potions et d’onguents censés calmer les effets de la peste. Bien entendu rien n’y fit. Une semaine après l’instauration du blocus, on comptait déjà une centaine de victimes. Le rythme ne tarda pas à croître à une vitesse hallucinante, malgré la volonté des chercheurs de l’académie à trouver un remède. Au bout de deux mois, c’était plusieurs centaines de malades qui y passaient chaque jour. Si, les premiers temps, les défunts étaient enterrés comme il se doit, il finit par tellement y en avoir que la crémation systématique s’avéra être une nécessité ; sans recueillement ni cérémonie. Du moins, c’est ce qui était expliqué dans la version officielle qui avait été transmise aux officiers gardant la ville, et donc au comte. — Parce que ce n’est pas vrai ? s’enquit Zulan. — Si, bien sûr. Mais l’essentiel a été occulté. — Es-tu en train de me dire qu’il y a pire ? — Eh bien, le problème, c’est que… Emma s’interrompit. Elle prit le temps de boire une gorgée de thé, car elle avait la gorge sèche. Zulan la regarda sans s’impatienter. Il savait qu’il ne voulait pas entendre la suite. — Le problème, reprit Emma, c’est que le fléau qui nous a frappés n’est pas la peste. À nouveau, Emma s’interrompit. Les mots sortaient avec difficulté. — Nous avons été frappés par une… oh, je déteste ce mot, mais je n’en vois pas d’autre ! Une malédiction ! Une malédiction qui se travestit et prend le visage du pire mal connu alors qu’elle le surpasse mille fois ! Quelques jours après avoir enterré les premiers morts, le fossoyeur s’est aperçu que les tombes récentes avaient été profanées. On pensait que des pilleurs avaient voulu s’emparer de richesses, mais ça ne tenait pas debout. C’était des petites gens qui étaient morts ; ils n’avaient emporté aucun trésor avec eux. La vraie raison, c’est que ce n’était pas des pilleurs, Zulan, c’était… Emma étouffa un hoquet, comme les sanglots menaçaient de la submerger… à moins qu’elle n’ait avalé une feuille de menthe de travers. — C’étaient les morts eux-mêmes. Ce sont les morts qui ont descellé leurs tombes et qui ont creusé pour s’en extraire. Cette peste, cette malédiction, ou quel que soit son nom, ne se contente pas de tuer ceux qu’elle touche, elle les ramène à la vie. Des gens que tout le monde croyait morts se sont remis à marcher – à parler, même ! Zulan fronçait tant les sourcils que ses yeux disparaissaient presque. Cette histoire était invraisemblable et folle. Pourtant, sortant de la bouche d’Emma, ce ne pouvait être que la pure et stricte vérité. — Mon frère… commença-t-il. — J’y viens, fit Emma en secouant la tête pour chasser son angoisse. Après que nous ayons découvert la vraie nature de ce fléau, nous ne savions plus quoi faire. Beaucoup disaient qu’il s’agissait là d’une punition divine, à cause des alchimistes qui manipulent la matière et la transforment comme le font les dieux. Il y avait aussi les astronomes, les devins et autres occultistes, mais ils étaient restés en retrait. Les alchimistes, eux, étaient clairement menacés. Ces dernières années, leur influence a tant crû qu’ils ont même pris le contrôle de Thull. Les membres du conseil sont quasiment tous des alchimistes, en partie grâce ou à cause de l’influence de ton père. Ils étaient tout désignés pour devenir les boucs émissaires. Alors ils se sont réfugiés dans l’académie en annonçant qu’ils trouveraient eux-mêmes le remède contre la peste. Même si je ne les apprécie pas, je peux comprendre la peur qu’ils ont dû ressentir. Avant de disparaître, le conseil a donné ses derniers ordres au capitaine de la garde afin qu’il veille à ce que l’académie soit gardée en permanence, et bien entendu à maintenir l’ordre et à nous protéger contre les… les trépassés. C’est ainsi que nous appelons ceux qui reviennent à la vie après… enfin… après. — Ainsi, Zolthran et mon frère sont coincés dans l’académie des sciences depuis bientôt un an ? — Neuf mois, précisa Emma. Au départ, ils transmettaient des messages au capitaine, qui nous les lisait sur la grande place, pour nous informer de l’avancée de leurs travaux. Mais, après quelques semaines, même lui n’a plus rien reçu. Ils ont tout fermé et on n’a plus eu de nouvelles. — Il faudra bien aller voir ce qui se passe un jour, non ? — C’est impossible. Les portes sont scellées de l’intérieur et ils ont relevé le dôme au-dessus de la cour. Quant à escalader le mur pour atteindre les fenêtres, inutile d’y penser ; la plupart d’entre elles sont condamnées et des passe-murailles s’y sont rompu le cou. Je me demande s’il s’agissait vraiment de leur sécurité ou bien d’autre chose. Je suis seulement certaine d’une chose : c’est que je ne voudrais pas me trouver là-dedans en ce moment. Zulan se rappela en effet que, grâce à un levier et un ingénieux système de rouages, un grand dôme de verre pouvait être levé, au-dessus de la cour de l’académie. Il était utilisé lors de certaines expériences à risque détonant, typiques des alchimistes, ou parfois pour empêcher des oiseaux de s’échapper lorsqu’on voulait étudier leur vol pour s’en inspirer ou que l’on testait sur eux certains outils nécessitant de la précision. Il permettait également d’isoler totalement la cour sur le plan sonore. Lorsque le dôme était relevé, on ne pouvait plus rien entendre de ce qui se passait en dessous. Ainsi, environ cinq cents hommes, tous plus dérangés les uns que les autres, s’étaient enfermés eux-mêmes pour se protéger de la colère des thullans, et espéraient trouver le remède contre un fléau à l’allure de malédiction divine. Zulan eut presque envie de rire. Même avec les suppositions les plus sombres, jamais il n’aurait pu concevoir un tel scénario. Et par-dessus le marché, il n’avait pas beaucoup de temps devant lui. Il avait passé un accord avec le sergent qui gardait les portes de Thull. Celui-ci lui laissait trois jours, très exactement. Le troisième jour, à l’aurore, Zulan devrait se rendre aux portes de la ville pour qu’on le fasse sortir discrètement. S’il manquait ce rendez-vous, il resterait enfermé dans la ville pour de bon. Il se sentit soudain très fatigué, et ce n’était pas seulement dû à la fatigue du voyage. Toutes ces mauvaises nouvelles l’avaient abattu aussi sûrement qu’une journée de labeur. Le rouquin décida qu’une bonne nuit de sommeil l’aiderait à retrouver l’esprit clair pour chercher une solution. Il alla décharger son âne, attaché sous le porche et demanda à Emma de le conduire à sa chambre. Elle l’emmena à l’étage, et le conduisit dans celle d’un de ses fils. À cette époque, il était rare et appréciable de ne pas avoir à dormir dans une pièce commune et disposer d’un vrai lit. La chambre était bien meublée, il y avait beaucoup de rangements ainsi qu’un gros coffre vide dont Emma releva le couvercle. — Tu peux ranger tes affaires ici, elles y seront en sécurité. — Parfait. Zulan laissa précautionneusement glisser son paquetage dans le coffre. Emma fit mine de partir et se dirigea vers l’embrasure de la porte. La main sur la poignée, elle se retourna. — Deux de mes fils sont morts, et mes autres enfants sont partis depuis bien longtemps. Tu peux rester ici autant de temps qu’il te faudra, tu ne gêneras personne. Zulan resta interdit durant un instant. — Je te remercie, Emma. Et je suis désolé pour tes enfants. C’était ?... — Loinel et Thiébaud. Ne sois pas désolé et ne me remercie pas pour rien. Tu fais un peu partie de la famille, toi aussi. Elle sourit faiblement et referma la porte. Jamais elle n’avait dû être aussi seule que cette année passée. Le fait qu’elle ait tenu le coup témoignait de sa force de volonté. Zulan soupira longuement et fit glisser ses mains sur ses cheveux, comme pour ranger ses idées. Il ouvrit la fenêtre pour profiter de la vue et s’imprégner de l’air frais du soir. De là où il se trouvait, il avait vue sur presque toute la cité en contrebas de la colline. La nuit était tombée et quelques rares lumières jaunes brillaient encore dans certaines maisons. Seule une grande forme presque intimidante restait totalement sombre : l’académie des sciences. Étaient-ils seulement encore dedans, ces chercheurs, ces scientifiques ? Y avait-il une chance pour que Zaeli soit resté vivant et en bonne santé ? Zulan songea que son frère avait eu dix-sept ans cette année. Arriverait-il à le reconnaître ? Zaeli n’était encore qu’un enfant à l’époque. Ce devait être aujourd’hui un homme. Il y avait eu tellement de temps perdu ; Zulan espérait de tout cœur pouvoir le rattraper. Ensemble, avec sa femme Kitta et Maldred l’artisan, ils pourraient reformer un clan uni, loin de la famille déchirée qu’il avait connue jusqu’alors. Et pourquoi ne pas proposer à Emma de les accompagner aussi ? Cette image d’eux, réunis à Jack-Port, le réconforta. Une plainte sonore le tira brusquement de ses rêveries. Elle se répéta, aiguë et chargée de douleur. Elle provenait de la cité basse. La peau hérissée de chair de poule, le rouquin sentit alors une odeur nauséabonde, une odeur rance de putréfaction. Il referma vivement le volet alors qu’une autre plainte terrifiante retentissait.
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