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Mise en avant des Auto-édités / Le Fantôme des Innocents de Alexandre Page
« Dernier message par Apogon le jeu. 07/03/2024 à 17:34 »
Le Fantôme des Innocents de Alexandre Page



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-I-

En 1780, une rue en particulier donnait à voir les deux visages de Paris. Peut-être parce qu’elle était l’une des plus anciennes voies de la ville, elle en avait absorbé les contrastes, tournant l’une de ses faces vers la vie, la joie, le bruit et l’animation, et l’autre vers la mort, le chagrin, le silence et la prière. La rue de la Ferronnerie, en effet, se trouvait prise entre ce que Paris avait de plus vivant, puisqu’elle voisinait avec les Halles, dont elle était, pour ainsi dire, une ramification, et de plus funèbre, car le cimetière des Innocents pourléchait l’un de ses flancs. Depuis que Philippe-Auguste avait transféré la foire Saint-Laurent à l’emplacement d’un modeste marché, en 1181, le quartier des Innocents n’avait cessé de se peupler de marchands, de badauds, se transformant en une fourmilière grouillante à l’agitation frénétique. Le carreau des Halles avait fini par devenir trop étroit, serré qu’il était entre la rue de la Tonnellerie et l’actuelle rue Rambuteau, et les commerçants et artisans avaient ouvert leurs échoppes à ses abords. Ainsi étaient nées la rue de la Poterie, la rue de la Friperie, la rue de la Lingerie, la rue de la Ferronnerie, et tant d’autres encore, chaque corporation ayant le désir de s’installer en ces lieux, parfois même, jusqu’au cœur du cimetière des Innocents, si bien que Philippe-Auguste l’avait finalement ceint de murailles pour séparer les morts des vivants. Vaine tentative ! Nulle part ailleurs à Paris la vie et la mort n’étaient si indissociables. Le carreau des Halles des poissonnières criardes était aussi la place du pilori où logeait le bourreau de Paris. Le sang des décollés avait arrosé cette place des siècles durant, et les Parisiens avaient applaudi ici le démembrement du traître Colinet de Pisex en 1411. Parce que son convoi se trouvait à l’arrêt, piégé rue de la Ferronnerie par la cohue régnante, Henri IV avait reçu à la poitrine et à la gorge le poignard assassin de Ravaillac. Lorsque ce n’étaient pas les convois royaux qui s’attardaient en ces lieux, il s’agissait des convois funèbres qui participaient quotidiennement au tohu-bohu du quartier. Même la volonté d’un monarque ne pouvait séparer les vivants des morts, et à l’ombre des charniers emplis d’ossements qui servaient de clôture au cimetière des Innocents, s’étendaient des boutiques et des échoppes. Comme un rappel de la fragilité de l’existence et de la fugacité des plaisirs temporels, toutes les élégantes de Paris venaient chercher leurs toilettes et leurs parfums dans ces commerces dédiés à l’apparat féminin guettées par deux-cent-mille orbites creuses. Cependant, les morts n’étaient pas seuls à épier, et beaucoup d’orbites pleines faisaient de même !
Preuve de l’attirance des contraires, tandis que derrière les murs noirs du cimetière pourrissaient les chairs, blanchissaient les os, que leurs relents méphitiques constituaient une chape brumeuse constante au-dessus des rues avoisinantes, sur le pavé, allant et venant dans un ballet continu, trottinaient les filles les plus vivantes de Paris. Évidemment, il y avait les nobles dames, mais plus que ces dernières, rêves inatteignables lorsqu’elles présentaient quelques intérêts, les coursières et les boutiquières de mode retenaient l’attention. On venait s’habiller rue de la Ferronnerie, les hommes comme les femmes, mais les femmes surtout, et pour servir ces dames, il y avait des demoiselles, les « trottins de Paris ». Elles se caractérisaient par leurs charmes, leur bon goût, les parfums suaves qu’elles exhalaient dans leurs courses après s’être échappées des boutiques imprégnées d’odeurs de musc et de violette. Beaucoup de ces trottins n’aspiraient qu’à devenir, à l’image de leurs aînées, Madame du Barry et Louise O’Murphy, favorites royales, ou du moins, la préférée d’un homme riche et puissant. Par chance, il y en avait beaucoup rue de la Ferronnerie. Ils conduisaient volontiers leurs épouses dans les magasins de mode locaux dans le but de lorgner à loisir leurs futures maîtresses. Les « trottins » étaient des filles aussi belles et éphémères que les papillons, car elles finissaient très vite par rejoindre un des luxueux lupanars du quartier dissimulés derrière une fausse enseigne, ou pour les plus chanceuses, le confort d’un hôtel particulier entretenu aux frais de leur amant.
Eusèbe Finet avait constaté la nature fugitive des trottins depuis qu’il demeurait rue de la Ferronnerie, et ce n’était pas de long temps. En moins d’un mois, il avait assisté à un renouvellement presque entier de la population des coursières de mode, et parmi celles qui battaient le pavé aux premiers jours de son emménagement, il s’en trouvait maintenant qui descendaient des carrosses armoriés formant file le long de la rue. En voyant cela, il soupirait parfois de ne pas être né femme, de ne pas être né avec les mêmes atours et moins encore avec les mœurs légères de ces papillons gracieux qui leur ouvraient si facilement les portes du confort matériel et des milieux les plus influents. Ce spectacle lui avait déjà inspiré ces vers :

À la mignonne, les plaisirs et la fortune,
Et les joies de Cythère pour seule coutume ;
Au poète, la faim et la paille opportune,
Et les lointains lauriers d’une gloire posthume.

Eusèbe Finet, en effet, était poète, du moins aspirait-il à l’être en un temps où la poésie ne faisait plus recette. En France, en 1780, on ne versifiait plus que pour le théâtre et la politique, et Eusèbe Finet, lui, était en quelque sorte un préromantique. Il faisait dans l’ode et l’élégie. Il lui fallait des émotions, des sentiments, idéalement sous forme de tempêtes et de cataclysmes. À défaut, voir les coursières en bas de la rue suscitait chez lui une mélancolie inspirante, car leur joliesse contrastait vivement avec la tristesse de sa situation. Finet était un jeune homme d’une fringante vingtaine à qui aurait magnifiquement convenu les brocarts et les soieries mouchetées que l’on faisait alors pour les costumes des notables. Il avait une belle silhouette, le mollet souple, des cheveux longs et bruns, soyeux mais un peu flottants, ce qui lui donnait des airs troubadours lorsqu’ils s’échappaient de la queue de cheval qu’il nouait sur sa nuque. Il n’était pas peu fier de cette chevelure, mais il aurait aimé un postiche bourgeois et faire déborder de son chapeau à la suisse un chapelet de boucles blanches poudrées à la manière des gens d’importance. Mais de brocarts, de soieries, de postiches, il n’en voyait que dans la rue, car lui n’avait rien de tout cela dans sa chambrette sous le comble. Il portait des vêtements bien taillés, un frac ajusté, mais ils étaient de laine et n’arboraient pas de ces beaux boutons précieux laissant deviner la bourse chargée de leur propriétaire. Toutefois, avec cette garde-robe, Finet paraissait encore riche par rapport au mobilier bancroche qui l’environnait. Un buffet bas, un poêle, deux chaises, une table, un lit, les ustensiles de première nécessité, c’était là à peu près tout ce que renfermait la chambrette qu’éclairait une mesquine fenestrelle. Ce mobilier n’était même pas celui de Finet ; il n’était pas chez lui. Il louait au mois ces modestes appartements, dont il s’accommodait pour l’heure, puisqu’il espérait bien ne pas y demeurer trop longtemps. Eusèbe Finet, en effet, avait de grandes aspirations, et dans l’attente de les toucher du doigt, il s’était installé dans les environs du cimetière des Innocents pour se livrer à la seule activité qui permettait aux auteurs sans le sou de survivre avant l’avènement du journalisme : l’écriture publique.

-II-

Eusèbe Finet n’était pas né pauvre, et si dans sa jeunesse une diseuse de bonne aventure avait osé lui prédire qu’il vivrait un jour dans une misérable cambuse, il lui aurait probablement ri au nez, assuré qu’elle se moquait de lui. Moins d’un an avant son emménagement rue de la Ferronnerie, Finet était encore étudiant en droit à l’université de Paris, et sans doute serait-il devenu avocat ou notaire en persistant dans cette voie que désirait lui voir emprunter son père, un riche fermier d’Étampes. Ce père avait nourri de grandes ambitions pour son fils à l’intelligence prometteuse, et dans un premier temps, Eusèbe Finet avait accepté de suivre ses études sans renâcler, obtenant même d’honorables résultats grâce à son esprit vif et clair. Toutefois, un grain de sable avait fini par gripper le rouage. Il tenait tout entier dans l’influence corruptrice de l’atmosphère parisienne sur une nature impressionnable et rêveuse. En arrivant à Paris, le jeune homme avait d’abord mené une existence studieuse, loin des divertissements et du bruit de la capitale, puis, petit à petit, prenant ses aises, il avait fait des rencontres, était allé au théâtre, s’était enivré avec des poètes, avait partagé un billard avec des prosateurs, s’était mis lui-même à griffonner des vers, se découvrant un talent insoupçonné. Il avait commencé à les souffler aux oreilles des demoiselles, constatant qu’ils n’étaient pas sans effet sur leurs bonnes grâces, et de découverte en découverte, il avait fini par se dire qu’il était plus agréable d’écrire de la poésie pour capturer l’attention des dames, que de constituer des actes administratifs pour de vieilles badernes. Il n’avait donc pas tardé à mettre un terme à ses études, annonçant sa décision à son père par une lettre aux airs de plaidoirie. Il y exprimait également sa volonté de devenir « maître poète », insistant sur le mot « maître » qu’il espérait suffisant pour compenser tout ce que contenait de dilettante et de marginal celui de « poète ». Comme preuves de son sérieux, il avait adjoint à sa longue épître quelques-unes de ses premières œuvres, sans recevoir toutefois l’attention escomptée. En retour, son père lui avait intimé l’ordre de poursuivre ses études de droit, expliquant que dans le cas contraire, il le priverait de l’argent dont il le gratifiait. Finet avait hésité un instant. Il avait une belle chambre à Paris, il n’avait pas à se soucier de son manger et pouvait même se consacrer à de coûteux loisirs. Perdre le soutien paternel, c’était perdre ce confort, mais ainsi que la jeunesse en général, Finet ne soupçonnait pas les difficultés à vivre ses rêves. Il s’imaginait réussir très vite à placer ses poèmes, à être remarqué par un généreux mécène. Il ne voyait pas d’obstacle majeur à son choix de vie, puisqu’il se savait un grand talent. C’était précisément parce qu’il avait une très haute estime de son talent qu’il ne se comparait pas aux poètes de ses relations qui lui confiaient leurs misères. Fort de ses certitudes, Finet avait accepté le marché de son père, renonçant à la fois à ses études de droit et à sa rente d’étudiant. Limitant ses dépenses, consacrant ses jours et souvent ses nuits à composer des vers, ciselant un sublime sonnet destiné aux colonnes du Mercure de France, la première des revues littéraires du pays, lue par tout ce qu’il y avait de plus cultivé et distingué dans la belle société des Lumières, il n’avait pas supposé devoir attendre la gloire plus longtemps que la réponse du rédacteur en chef de la noble gazette. Pourtant, la réponse du rédacteur en chef, qui était alors Jean-François de la Harpe, lui avait signifié un refus. Désarçonné par cette réponse imprévue, Finet ne s’était pas laissé abattre, et il avait écrit un autre poème, refusé également. Prenant conscience de viser trop haut, il en avait envoyé à quelques éditeurs de moindre envergure, sans davantage de succès. Ces échecs eurent le mérite de faire comprendre à Finet que personne ne voulait de poésie, tout du moins, de sa poésie passionnée qui, pour plaire aux dames, ne seyait pas aux classes sociales élevées qui n’aspiraient qu’à la philosophie, aux débats théologiques et politiques, aux réflexions intellectuelles et métaphysiques, sujets qu’il s’interdisait d’aborder, tant ils lui semblaient contraires à la spontanéité émotionnelle de la poésie. En faisant ce constat, Finet avait plongé dans la mélancolie, gagné par le sentiment que chez les gens dont il réclamait l’attention, apprécier une ode lyrique et avouer l’apprécier revenait à paraître futile en société, et même un peu bête.
À défaut de manifeste politique ou de traité philosophique, il avait alors entrepris la composition d’une tragédie théâtrale en vers, mais après plus d’un mois de travail, le premier acte tardait à être achevé, et le peu qu’il avait écrit sonnait à ses oreilles comme son œuvre la plus médiocre. Ne le supportant plus, il l’avait déchiré, déterminé à le refaire, mais à ce moment, plongeant le nez dans sa bourse, il l’avait trouvée vidée de moitié. Par souci d’économie, il avait déménagé une première fois pour une chambre plus modeste, dans un quartier moins coûteux, à un étage moins noble, rabotant son train de vie sans toutefois gagner en inspiration. À cet instant, il aurait pu écrire à son père, lui demander pardon et tenter de recouvrer son statut d’antan, mais Eusèbe Finet avait déjà perdu beaucoup trop de sa fierté en constatant qu’il se retrouvait dans la situation des poètes qu’il avait moqués pour se délester du peu qu’il lui restait. Aussi, en réunissant ses dernières économies, il avait fini par louer la chambrette misérable qu’il occupait de fraîche date au quatrième étage, sous le comble d’un vieil immeuble étroit de la rue de la Ferronnerie.
Le hasard ne l’avait pas fait échouer ici, aux abords du cimetière des Innocents. Il lui fallait de l’argent pour payer son logeur, sa nourriture, et surtout, de quoi écrire. Il ne lui était plus possible de consacrer sa plume seulement à la quête d’une gloire hypothétique. Puisque ses dernières économies avaient filé, il devait maintenant employer ses talents pour subvenir à ses besoins immédiats. Le quartier des Innocents s’avérait idéal pour cela, étant, depuis des siècles, celui des écrivains publics de Paris, si bien que l’on donnait généralement à ceux qui exerçaient cette activité, le surnom de « secrétaires des Innocents ». Il se trouvait même, sur le côté ouest du cimetière, un « charnier des écrivains », non parce que dédié aux trépassés de la profession, mais parce que les arcades qui le soutenaient abritaient sous elles une succession de petites échoppes d’écrivains publics. Cette activité, Finet n’avait jamais imaginé la pratiquer un jour, car elle était à ses yeux ce que le peintre d’enseignes est au maître peintre, ou le ferblantier à l’orfèvre. Il ne voyait rien dans ce métier qui touchât à l’âme, au spirituel, comme le grand art se doit de le faire, mais seulement la réponse à des besoins temporels et communs auxquels il ne désirait pas consacrer ses pimpantes années de jeunesse. Cependant, il en était arrivé à un point où il ne pouvait faire autrement, et tout en détestant les besoins temporels, il était encore trop humain pour faire pleinement abstraction des siens. La soupe, le pain, le mauvais papier et l’encre dont il le couvrait, tout cela ne tombait pas du ciel. Aussi, il s’était résolu à devenir, un temps et uniquement une partie de ses journées, écrivain public, en ayant l’assurance que ce métier le répugnerait tant qu’il lui donnerait le coup de fouet nécessaire à la réalisation de la grande œuvre qui le tirerait rapidement de ce cul-de-sac. Il en était convaincu, s’il n’avait pas réussi jusqu’alors, ce n’était pas par manque de talent, mais parce qu’en vivant sur les rentes paternelles, il s’était montré trop oisif, n’avait pas puisé, au fond de lui, toutes les ressources qu’il pouvait déployer. Aussi, mettant un peu plus sa fierté de côté, après avoir loué sa chambrette, il avait installé son échoppe près de l’entrée sud-est du cimetière des Innocents, à l’angle que formaient alors la rue Saint-Denis et la rue de la Ferronnerie.

-III-

Échoppe, c’était le terme couramment employé pour désigner les boutiques des écrivains publics, mais il était surtout question de baraques, de guérites, voire de simples étals montés parfois en une seule journée et démontables à loisir pour être remontés à un autre endroit, lorsque le propriétaire du mur contre lequel ils s’appuyaient ne tolérait plus leur présence. L’activité d’écrivain public avait cela de séduisant qu’elle nécessitait peu de matériel et moins encore l’adhésion à une corporation professionnelle, puisque le métier n’était pas réglementé, et même considéré, avec dédain, comme une industrie buissonnière. Ainsi, n’importe qui ayant appris à lire et à écrire pouvait s’improviser écrivain public et mettre ses services au profit du petit peuple illettré, de plus en plus égaré dans un siècle qui avait imposé de façon croissante le document administratif dans tous les aspects de la vie. La seule contrainte de la profession était d’occuper un endroit passant, au plus près des foires et des rues commerçantes, près des églises et des lieux de pouvoir, là où ne la jugeait point trop parasite. Le cimetière des Innocents s’avérait parfait, puisqu’au cœur du quartier des Halles, ses murs sombres et suintants n’étaient réclamés par personne. Finet avait fait le tour du cimetière à la recherche d’un emplacement intéressant, et il avait fini par le trouver dans le voisinage d’une entrée secondaire du sinistre lieu, constatant, après plusieurs passages, qu’une cabane restait toujours vide. Constituée grossièrement de planches et de toiles peintes et tendues, elle formait comme une loge avec un comptoir donnant directement sur la rue. Au-dessus de ce comptoir, une enseigne avait été clouée, mais elle avait été retirée. Seules les marques des clous témoignaient de sa présence passée. Finet avait compris que son propriétaire l’avait abandonnée. C’était chose fréquente, lorsque l’écrivain public obtenait finalement un poste de secrétaire, d’archiviste dans une institution, ou encore, lorsqu’en grimpant le cursus honorum de la profession, il devenait le scribe attitré de quelques ministères ou tribunaux et travaillait en chambre. Finet avait donc pris possession des lieux, installé à côté de deux confrères et rivaux qui virent sa venue avec des yeux suspicieux et inquiets. Il peignit et cloua lui-même l’enseigne de sa boutique, sobrement nommée : « Eusèbe Finet – écrivain en tout – ».
Être voisin du cimetière des Innocents n’avait rien d’agréable. Le mur de pierre qui fermait l’un des côtés de la cabane était humide, moussu, et puisqu’elle se trouvait près d’une entrée, des courants d’air glaciaux portaient continuellement les effluves morbides qui émanaient du cimetière. Souvent, un sifflement sinistre se faisait entendre, agaçant et inquiétant. Il s’élevait des charniers, lorsque le vent soufflait dans les montagnes d’ossements qu’ils renfermaient. Les fossoyeurs mettaient dans ces immenses greniers les squelettes exhumés de terre pour faire la place nécessaire aux nouvelles inhumations. 
En dépit de l’inconfort de l’emplacement, Finet s’estimait chanceux d’avoir une place à cet endroit, car il était passant, et il n’y avait pas besoin de faire beaucoup d’efforts pour recevoir ses premiers clients. Il eut rapidement l’occasion de le constater. Du reste, peut-être que son physique avenant l’aida dans son prompt succès, puisque la plupart de ceux qui sollicitaient les écrivains publics étaient des solliciteuses. En effet, les travaux dont s’occupaient les écrivains publics relevaient surtout de la responsabilité des dames. Lettres de bonnes fêtes, lettres de bons vœux, billets d’invitation étaient leur apanage, et même quand il était question d’affaires masculines, leurs maris, parce qu’ils ne savaient pas écrire ou ignoraient les formules appropriées, les envoyaient souvent auprès de l’écrivain public pour qu’il rédigeât les réclamations diverses que le petit peuple, en ce temps, adressait massivement au souverain, à ses ministres et à tous les représentants du pouvoir. La rédaction de placets constituait la majeure partie de l’activité de l’écrivain public, car pour tous ses infimes ou grands malheurs, et il y en avait beaucoup, la population quémandait de l’aide au gouvernement. Ainsi, Finet, comme un prêtre, écoutait la clientèle qui se confiait à lui, qui lui racontait ses infortunes, ses difficultés, lesquelles relevaient quelquefois de la simple broutille avec un voisin qu’un solliciteur voulait voir réglée par le roi en personne, et d’autres fois du drame le plus noir, lorsqu’il s’agissait de demander de l’argent pour une maison incendiée ou suite à une invalidité qui plongeait tout un foyer dans la détresse. Finet en entendait de toutes sortes et avait parfois le sentiment d’écrire de drôles de choses. Il en lisait également, car si ces placets recevaient miraculeusement une réponse, on s’empressait de venir le voir pour qu’il pût en faire lecture. Si la réponse était favorable, on le remerciait, on le félicitait, on lui promettait de prier pour lui, il arrivait même qu’on lui donnât un pourboire. Lorsqu’elle était défavorable, et c’était plus fréquemment le cas, on l’accablait d’injures, on l’accusait d’avoir mal rédigé le placet, on tirait sur le messager, et suivant une habitude rapidement adoptée, Finet adjoignit au matériel d’écriture qu’il portait avec lui chaque matin à sa loge un coutelas à sa ceinture pour se prémunir des situations les plus dangereuses.
Une autre part importante de son activité tenait aux lettres d’amour qu’on lui dictait ou qu’on lui demandait de composer en suivant quelques indications. Là aussi, la plupart de ses clients étaient des clientes, généralement des servantes et coursières de mode du quartier qui lui racontaient leurs amourettes et lui faisaient lire, en certaines occasions, les lettres qu’elles avaient elles-mêmes reçues et qui n’étaient pas toutes rédigées d’une écriture approximative. Il se trouvait nombre d’histoires adultères, de secrets inavouables et de récits pornocrates dans toute la correspondance que ses clientes lui confiaient sans retenue, mais si une règle régissait à peu près la profession d’écrivain public, c’était bien celle du devoir de discrétion.
Écrire des lettres d’amour n’était pas la part la plus désagréable du métier pour Finet qui, à l’inverse de ses rivaux, pour l’essentiel d’anciens marchands ruinés, des professeurs en manque de chaire ou des étudiants sans le sou, se sentait moins à l’aise avec l’écriture administrative que celle des sentiments. En écrivant ces lettres, il avait l’impression de ciseler son style et il abordait l’exercice avec sérieux, même lorsqu’il n’était payé que cinq sous. Cependant, il ne perdait pas de vue sa véritable vocation. Il n’avait aucunement l’envie de demeurer dans la rue toute sa carrière durant en bradant son talent pour payer sa soupe et son pain, et s’il trouvait pittoresque la vie des petites gens, il aspirait plutôt à passer du temps dans de beaux salons, auprès d’aristocrates spirituels en mesure d’apprécier vraiment ses textes. Il en rêvait et se languissait d’attendre, sentant que dans l’humidité et le froid de la rue, entre les murs nus et moisis d’une méchante chambrette, à manger mal une soupe trop claire et un pain trop noir, on vieillissait plus vite que nulle part ailleurs.
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Mise en avant des Auto-édités / Des mots d'amour pliés en deux de Laurie Heyme
« Dernier message par Apogon le jeu. 22/02/2024 à 17:14 »
Des mots d'amour pliés en deux de Laurie Heyme



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Roman

À mes sœurs,
Les piliers de ma vie.

À Iliana et Noémie,
À cette relation que vous avez su construire.

« Le papillon. Ce billet doux plié en deux cherche une adresse de fleur. »
Jules Renard.


Prologue


Toutes les trois assises en tailleur, elles admirent la falaise d’Aval éclairée par la pleine lune. Il fait un temps à décorner les bœufs, les bourrasques qui balaient l’herbe haute les pousseraient presque à s’envoler. C’est à peine si elles arrivent à s’entendre, et leurs hurlements se perdent dans les rouleaux que la mer emporte contre les rochers.
Selon l’endroit où elles se placent, les parois ont un profil différent et racontent une autre histoire. Combien de fois leur a-t-il dit de faire de même dans la vie, d’apprendre à changer de point de vue pour mieux appréhender une situation difficile ?
C’est ce que les sœurs Verdier essayent de faire au beau milieu de la nuit, trouver une issue, une sortie, une solution à leurs ennuis. Les mots de leur grand-père volent avec le vent jusqu’à leurs oreilles. Il murmure d’ouvrir grand les yeux et de laisser le fond du cœur les guider. Pas facile quand ce dernier est grillé d’avoir trop donné, trop aimé, trop excusé.
Leur existence s’apparente à la météo de cette nuit de mars, une tempête inattendue, un cataclysme soudain, un cyclone passé incognito au contrôle radar. Et pourtant, il faut faire face. Elles étaient seules à la barre de chacun de leur bateau, mais ce farceur de Marius avait sans doute prévu qu’une telle chose arriverait. Il connaissait bien ses petites chipies, il en avait arpenté des sentiers par ici avec chacune d’entre elles. Il devait pressentir qu’elles emprunteraient toutes des chemins éloignés et qu’il faudrait y remédier.
Les falaises sont le miroir de ce qu’elles doivent franchir, ce grand saut dans le vide, cette avancée dans l’inconnu, cette peur du lendemain. Et puis il y a cette route qui se profile, celle qu’on n’a pas imaginée, celle qui pourrait être mieux.
Jusqu’à maintenant, aucune n’a songé à traverser ça ensemble, main dans la main. Adèle a toujours prié pour que ça arrive un jour. Elle n’a sans doute pas souhaité leur malheur pour voir se dessiner la sororité de ses filles. Elle n’a sûrement pas voulu le sien.
Le sable se met à virevolter, fouettant leurs visages. Gommage garanti. Il s’engouffre dans leurs narines, dans leur bouche, et se glisse dans leurs cheveux. Au loin, le ciel est sombre et clair à la fois. Des éclairs dansent au beau milieu de ce spectacle en noir et blanc, offrant l’opportunité au tonnerre de s’annoncer. Un, deux, trois. Elles comptent jusqu’à dix après la dernière étincelle, avant d’entendre un grand fracas et de sentir la pluie s’abattre sur elles comme de fines lames.
Quelques papillons blancs tachetés d’orange volent à leurs côtés, cherchant un abri eux aussi. Les aurores, papillons annonciateurs de printemps, symboles du recommencement. Par un battement d’ailes, ils marquent le début d’un nouveau cycle.
Le thermomètre peine à grimper, ces derniers jours, l’humidité mêlée à la fraîcheur nocturne les obligent à battre en retraite. Les trois sœurs ne sont pas assez couvertes pour faire face au déchaînement des éléments. Elles se lèvent dans un grand éclat de rire, se prennent la main et se mettent à courir à toute vitesse. L’une se prend les pieds dans un caillou, tandis qu’une autre trébuche sur une branche sortie de terre. Elles s’effondrent sur le sol, sans cesser de glousser.
Adèle fulminerait de les voir trempées jusqu’aux os. Et puis non, Adèle ne dirait rien. Car elle se réjouirait de les découvrir unies, enfin. Mais à quel prix ?



Partie 1
L’œuf


Chapitre 1
Iris

« C’est étrange, elle cherche toujours à s’échapper d’une cage dont elle seule a la clef. »
(Candice Bellini)



C’est un matin ordinaire, un matin comme tous les autres. Le même train-train se met en route au démarrage de la journée, les mêmes habitudes, le même petit déjeuner, le même empressement au vu de l’heure qui tourne, et puis les mêmes phrases.
« Thao, arrête de rêvasser, Thao, mange ta tartine, Thao, fais attention, tu mets de la brioche partout, Thao, va te brosser les dents, Thao, dépêche-toi un peu, on va être en retard. »
Iris active le pilote automatique dès l’instant où elle appuie sur le bouton du réveil afin de l’éteindre. Il est rare qu’elle le laisse hurler très longtemps. En général, à peine la sonnerie a-t-elle retenti que ses yeux s’ouvrent sans peine, comme si elle n’avait pas dormi du tout.
Elle soulève la couette, s’assoit et pose le pied droit sur le sol. C’est un réflexe, une sorte de superstition ancrée en elle. Ne jamais commencer la journée du pied gauche ! Après avoir fait son lit au carré, tiré les rideaux et ouvert les volets, elle file se préparer avant de réveiller son fils, âgé de sept ans.
Depuis qu’il est entré dans sa vie, tout est encore plus millimétré. Iris le récupère chaque midi et à toutes les sorties d’école. Son quotidien tourne autour de lui, de son mari et de sa maison. Elle s’octroie tout de même des séances de yoga plusieurs fois par semaine, mais seulement si son intérieur est nettoyé et rangé. Elle astique jusqu’à ce que ça brille.
Elle ne sait pas vraiment d’où lui vient ce besoin viscéral de propreté, elle n’a pas toujours été maniaque ; d’ailleurs, personne dans sa famille ne l’est, ni ses parents ni ses sœurs. Ce serait même plutôt le contraire, un joyeux bazar perpétuel.
Bizarrement, la satisfaction de voir son home sweet home rutilant est toujours de courte durée. S’ensuit un immense sentiment de vide, aussitôt interrompu par la remise en route du pilote automatique. Il lui permet de ne pas réfléchir à sa vie et à ce qu’elle en fait, car Iris n’a pas spécialement aspiré à cette routine bien huilée.
Avant de rencontrer David, son mari, elle avait des rêves plein la tête et des ambitions démesurées. Mais allez savoir pourquoi, l’amour a tout balayé d’un coup, sans vraiment être une béquille quand elle en a éprouvé le besoin. Elle n’a pas vu venir le piège de cette vie rangée se refermer sur elle. Désormais, elle préfère afficher un bonheur lisse et parfait en apparence plutôt que montrer les failles et les fissures créées par ses multiples regrets.

***

Il est 8 h 45 quand elle franchit le seuil de la maison, se considérant déjà très en retard sur le programme qu’elle s’est fixé. Elle a été retenue par la maman d’un des camarades de Thao devant la grille de l’école, celle-ci lui proposant d’aller boire un café pour faire plus ample connaissance. Iris a décliné, prétextant un rendez-vous médical dans l’heure, alors que c’est avec ses chiffons et son plumeau qu’elle a rancard. Nous sommes lundi et, après un week-end mouvementé, la maison est sens dessus dessous. David a organisé un barbecue ce dimanche avec des amis et des collègues, ça a duré jusqu’à pas d’heure. Exit le sport pour ce matin, il faut qu’elle s’attelle au rangement de la cuisine et de la terrasse, avant d’aller récupérer sa progéniture dans quelques heures.
Mais avant toute chose, la vue du panier à linge qui déborde la hérisse. Elle compte bien profiter des températures clémentes annoncées aujourd’hui pour tout faire sécher à l’extérieur. Elle se dirige vers la buanderie pour laver en priorité les affaires de travail de son mari. Comme chaque fois, elle met du détachant sur le col de ses polos qu’elle tourne ensuite sur l’envers. Elle fait de même avec les pantalons, tout en prenant soin de vider leurs poches. Il a le don de toujours laisser traîner des pièces de monnaie à l’intérieur, ce qui provoque un bruit du tonnerre une fois la machine en route. Minutieusement, celles de devant sont vérifiées, sans oublier celles de derrière.
Cette fois, ce n’est pas de l’argent qu’Iris trouve, mais de nombreux tickets de caisse, le genre de papiers qui finissent déchiquetés sur tous les vêtements si on oublie de les retirer. Elle les pose sur l’étagère entre la lessive et l’adoucissant, lance le programme à 30 °C, s’apprête à les jeter, se ravise, les déplie sans regarder ce qui est écrit, puis les replie tels qu’elle les a trouvés.
Finalement, entre deux battements accélérés du cœur, elle décide de les placer négligemment sur la console de l’entrée. David s’en occupera en rentrant, elle verra bien ce qu’il en fait. Elle remet l’autoguidage en route, pour ne surtout pas penser à ce qu’ils contiennent, et pour calmer ses nerfs qui s’agitent sans discontinuer.

***

Ce soir-là, le chef de famille rentre bien plus tard que d’habitude. Il jette ses bottes pleines de terre devant l’étagère à chaussures, prétextant avoir été retenu sur un chantier. Il s’excuse vaguement de ne pas l’avoir prévenue et l’embrasse du bout des lèvres.
— J’ai passé une de ces journées, je suis crevé ! Je monte me changer. C’est bientôt prêt ? Je meurs de faim, dit-il en arrachant un énorme morceau de la baguette de pain posée sur l’îlot central.
Iris regarde les miettes se disperser et l’observe discrètement déposer ses clés dans le vide-poches. L’oignon qu’elle est en train d’émincer passe le plus mauvais quart d’heure de sa vie sous la lame tranchante de son couteau. David marque un temps d’arrêt devant la liasse de tickets, tout en continuant à semer des particules de pain le long de son chemin. Il introduit dans sa bouche le dernier bout restant et les ouvre sans un bruit, puis les glisse dans la poche de sa veste accrochée à la patère de l’entrée. Il se retourne, lui sourit, comme si ce moment n’avait pas existé, et monte les escaliers d’un pas lourd. Elle le devine pénétrer dans la chambre de Thao et parvient à entendre le rire de leur fils céder sous les chatouilles de son père.
Pendant ce laps de temps, la veste de son mari lui fait de l’œil, les chaussures pleines de terre aussi, les miettes de pain n’en parlons pas. C’est plus qu’elle ne peut supporter. Après l’oignon, c’est au tour des carottes de subir l’état de nervosité qui monte en elle depuis sa découverte.
Deux options s’offrent à elle si elle veut se calmer : fouiller pendant qu’il est à l’étage pour en avoir le cœur net ou prendre la pelle et la balayette pour ramasser ces morceaux qui gisent sur le sol alors qu’elle a tout nettoyé un peu plus tôt.
La minuterie du four l’extirpe de ce dilemme, et c’est la pelle qu’elle saisit car, au fond d’elle, elle sait déjà qu’il a recommencé et que choisir la première solution n’apaisera rien du tout, bien au contraire.


Chapitre 2
Rose

« Parfois, dans les moments difficiles, tout semble s’écrouler. Le monde glisse sous nos pieds. C’est dans ces moments-là qu’il faut chercher au fond de soi la force de résister. Surtout, ne pas se laisser aller, et croire en nous.
Parce que tous, sans exception, sommes capables de nous relever et de nous battre contre ces moments qui nous font tant douter. »
(Auteur inconnu)



Tous les matins, c’est la course. Yvan part aux aurores tandis que Rose gère les petites. Les apprêter, les déposer à l’école, avant d’enfourcher sa bicyclette et de pédaler le plus rapidement possible afin d’être à l’heure au travail. Malheureusement, elle a beau tenter de préparer ses vêtements et ceux des filles la veille, le petit déjeuner sur la table, les cartables, son sac avec les dossiers du jour, il y a toujours une fausse note. Elle commence donc sa journée en nage et en retard.
Heureusement pour elle, leur père gère la sortie scolaire du soir, elle peut ainsi se permettre de finir plus tard et de rattraper ses heures manquantes. Parfois, elle se demande combien de temps encore elle va tenir à ce rythme-là. Elle a mis au monde un enfant malgré son planning bien rempli, mais elle en a deux à sa charge, et ça, elle ne l’avait pas vraiment prévu.
Ils se sont connus il y a douze ans. À cette époque, ils étaient au tout début de leur vie active et pas très sûrs de vouloir faire un bout de chemin ensemble, surtout du côté d’Yvan. C’était pour eux une histoire sans lendemain, un peu de quoi s’amuser, rien de plus. Alors ils ont joué quelque temps au jeu du « ensemble, plus ensemble, pas vraiment ensemble » jusqu’à atteindre le niveau du « pourquoi pas ». Entre-temps, chacun était libre d’aller voir si l’herbe était plus verte ailleurs. Après tout, ils ne s’étaient rien promis, surtout pas l’exclusivité.
Le jour où Yvan a réalisé qu’il était fou amoureux de Rose a coïncidé avec celui où il a reçu un coup de fil d’une aventure passagère avec une annonce bien particulière : il allait être papa. Rose s’est alors retrouvée en couple, et belle-mère par la même occasion. Parce qu’elle était éperdument amoureuse elle aussi et qu’elle aurait tout accepté, y compris ça.
Les choses se sont compliquées quand le bébé est né. Sa mère, Adeline, ne souhaitait pas s’en occuper. Ses moyens financiers limités, son parcours familial chaotique et certaines addictions l’empêchaient d’envisager cette maternité dans les meilleures conditions. Yvan, lui, désirait pleinement assumer son rôle de père, sans pour autant donner une quelconque suite à leur histoire. Passer d’un coup d’un soir à une vie de famille ne lui avait même pas effleuré l’esprit. Alors, avec Rose, ils ont accueilli Salomé, avant de concevoir à leur tour le fruit de leur amour, Emma.
Depuis, chacun a trouvé son rythme petit à petit, sa place dans cette famille recomposée, et Rose ne fait aucune différence entre leurs deux princesses. Même si Salomé n’est pas sortie de son ventre, elle la considère comme sa fille, et elle redoute le jour où sa mère biologique se réveillera et viendra la récupérer. Yvan soutient qu’il n’a aucune nouvelle, qu’il n’a même pas son numéro de téléphone et qu’elle a été très claire quand elle l’a déposée chez lui. Mais Rose ne le croit pas. Il reste toujours cette part d’ombre chez Yvan, ce voile noir qui passe dans son regard fugacement, ces moments où elle n’est pas sûre qu’il lui dise la vérité. Elle reste persuadée qu’il s’interroge sur la place inexistante de cette mère d’une nuit et qu’il repousse le jour où Salomé sera en âge de poser des questions sur sa conception.
Rose a justement souhaité garder sa place de belle-mère depuis le début. Malgré les innombrables discussions avec son compagnon sur le sujet, elle a toujours refusé que sa belle-fille l’appelle maman, estimant que pour la construction de sa vie future il valait mieux être transparent là-dessus.
Quand elle était toute petite, Salomé avait du mal à prononcer certaines lettres. Rose la revoit courir dans l’appartement en couche-culotte avec son biberon, chantant des « oz, oz » à tue-tête, les R étant trop compliqués pour sa petite voix fluette de l’époque.
Dans leur entourage, tout le monde la considère comme un membre de la famille à part entière. Ses grands-parents maternels la gâtent tout autant que Thao et Emma. Seule Iris semble réticente et dubitative face aux choix de sa petite sœur, mais le jour où Rose attendra ses bénédictions pour agir n’est pas né.
Ce dimanche est justement l’occasion de tous se réunir au domicile familial, Salomé fête ses dix ans. Iris sera là avec Thao, mais sûrement sans David. Il trouve toujours une excuse pour ne pas être présent à ce genre d’évènement. Trop de travail, un autre engagement, un rhume. Sa sœur semble ne plus savoir quoi inventer comme prétexte. Violette, la petite dernière de la fratrie, sera de la partie aussi.

***

Il est 9 h 10 quand Rose pénètre dans l’open space, essoufflée comme si elle avait couru un marathon. Elle allume son ordinateur, accroche son sac sur le portemanteau, retire sa veste et file à la machine à café. Elle est sûre d’y retrouver ses collègues, complices et amies, Magalie et Joséphine.
— Salut, les filles ! Ça va, je n’ai rien raté ce matin ? demande Rose en déposant une bise sur leurs joues respectives.
— Hey, salut, Rose ! Ne t’inquiète pas, la big boss est en conf call dans le bureau depuis une bonne demi-heure. Elle ne se rendra même pas compte de ton retard ! la rassure Joséphine.
— J’en peux plus, les filles, je vous jure, j’ai beau essayer, il me manque toujours dix foutues minutes ! Comment vous faites, vous, avec toute votre marmaille ?
— Tiens, ton café sans sucre ! Ben, je dirais qu’on a un mari à portée de main à cette heure-là ! Sinon, on serait exactement dans la même galère que toi ! rétorque Magalie. Les filles, je file, j’ai un rendez-vous téléphonique dans deux minutes avec une agence de presse. À plus dans le bus !
— Mag, je t’ai déjà dit non avec cette expression !
Magalie lève le majeur à l’attention de Joséphine, sans se retourner, et disparaît dans l’ascenseur. Après un fou rire, elles reprennent le fil de leur conversation.
— Une sainte, tu es une sainte, Rose, je te l’ai toujours dit ! J’espère seulement qu’Yvan s’en rend compte !
— Mais non, Jo, je ne fais rien de plus qu’endosser mon rôle de maman, comme vous !
— Et ton rôle de belle-maman, ne l’oublie pas ! Je suis sûre qu’à la pause-déjeuner tu vas encore courir partout pour les préparatifs de l’anniversaire de Salomé, je me trompe ?
— Oh ! il me manque que quelques petits achats de dernières minutes à faire, trois fois rien !
— Une sainte, c’est bien ce que je dis !

***

La journée touche à sa fin et le soleil commence à décliner. L’immeuble de l’agence est situé plein sud et chaque soir donne l’occasion d’un spectacle nouveau. Le plateau ouvert se pare d’une lumière dorée qui réchauffe les lieux, avant de laisser les bureaux et les ordinateurs dans le calme et la pénombre.
Tous ses collègues ont déjà quitté leur poste depuis bien longtemps. Rose a un gros projet à terminer, et entre ses retards du matin et les pauses du midi à rallonge, elle n’avance pas beaucoup ces derniers temps. Elle a l’impression de patauger, d’être enlisée dans des sables mouvants.
Elle travaille dans cette agence de publicité depuis la fin de ses études, c’est un peu sa deuxième maison. Mais le vent risque de tourner bientôt, car de nouveaux associés sont entrés dans la danse et semblent bien moins souples et compréhensifs que la cheffe de service qui l’a recrutée à l’époque.
Elle repense à cette discussion en salle de pause ce matin. Très souvent, Joséphine la pique avec quelques remarques sur son investissement dans la famille, notamment par rapport à sa belle-fille. Son amie est convaincue qu’elle en fait beaucoup trop pour cette enfant. Rose a pris l’habitude de chasser d’un revers de main ces réflexions, trouvant totalement normal ce qu’elle donne au quotidien. La petite fille le lui rend si bien.
Malgré tout, un doute l’envahit parfois, surtout après des journées pareilles où elle n’a pas eu une minute à elle. Elle termine de ranger ses dossiers en cours, enfile sa veste, attrape ses nombreux sacs de courses du midi et se demande bien comment tout va tenir sur sa bicyclette. Avec un peu de chance, si elle pédale vite, elle sera rentrée pour le dîner. Il lui faut juste trouver un semblant d’énergie pour le trajet du retour. Elle resterait bien encore un peu là, à contempler le soleil se coucher. Au moment où elle se sent prête à lâcher prise et à se rasseoir quelques instants, la sonnerie de son téléphone la coupe dans son élan.
— Allô, chérie ? Tu es déjà partie du bureau ? questionne Yvan d’un ton pressant.
— Non, j’allais justement prendre l’ascenseur, pourquoi ?
— Tu peux t’arrêter en chemin acheter des tranches de fromage pour les croques de ce soir ?
— Yvan, je suis hyper chargée déjà, descends chez l’épicier ! lui répond Rose, un poil exaspérée.
— Je ne peux pas, les filles font leurs devoirs, elles sont affamées et je dois gérer un truc pour le boulot.
Ces temps-ci, cette expression l’horripile, il a toujours un truc à gérer pour le boulot. Et puis d’abord, c’est quoi un truc ? Comme s’il ne pouvait pas trouver un autre mot ! Agacée, Rose abandonne l’option de se prélasser encore un peu sur sa chaise. Les croque-monsieur n’attendent pas !


Chapitre 3
Violette

« Nous avons tous un peu le cœur brisé, mais d’après ce que je sais,
les crayons cassés peuvent toujours colorier. »
(Auteur inconnu)



C’est le dixième entretien d’embauche qu’elle passe. À trente-quatre ans, Violette ne pensait pas en arriver là. L’agence Web pour laquelle elle travaillait depuis cinq ans a mis la clé sous la porte avec cette foutue crise sanitaire et l’a reléguée sur le marché de l’emploi. Il faut bien le reconnaître, ce n’est plus ce que c’était, surtout dans son domaine.
Violette a toujours été discrète, et ce métier de l’ombre lui a tout de suite plu. Sa disponibilité lui a permis d’assurer les astreintes du soir et du week-end, au grand bonheur de ses collègues en couple ou parents. Ce qui n’est pas son cas.
Ce matin, elle postule un poste de webmaster dans une grosse structure, tout ce qu’elle déteste. Mais pour le moment, vu les piètres retours, elle n’a pas le choix, il faut qu’elle retrouve un emploi. Elle n’aimerait pas devoir en parler à ses parents et encore moins à ses sœurs. Personne n’est au courant de sa situation professionnelle actuelle.
Après avoir patienté dans le hall du siège de la société, non loin d’autres candidats, elle entend enfin son nom, se lève et suit la secrétaire qui l’installe dans une grande pièce aseptisée. Seule une immense table, entourée d’une dizaine de chaises, emplit les lieux, ainsi qu’un énorme vidéoprojecteur positionné devant les fenêtres.
Violette patiente, se ronge un peu les ongles, remet sa veste en place, vérifie dans un petit miroir de poche qu’elle n’a rien entre les dents ou qu’un peu de rouge à lèvres ne dépasse pas. Cette couleur, ce n’est pas du tout elle, mais elle tente le tout pour le tout pour décrocher ce job.
Un jeune homme, pas beaucoup plus âgé qu’elle, pénètre dans la pièce, tout sourire, et s’installe face à elle, muni de son CV. Il se présente, puis l’entretien commence par un point sur les missions attendues et les compétences recherchées. L’échange se passe plutôt bien, Violette se sent à l’aise et en confiance. Elle prend sur elle et tente d’écraser un peu sa timidité pour se vendre du mieux qu’elle peut. Elle se croit tirée d’affaire quand il finit par poser quelques questions sur sa vie personnelle, ce qui lui semble assez surprenant dans de telles circonstances.
— Ah ! encore une chose, ça n’apparaît nulle part sur votre CV. Êtes-vous mariée ? Avez-vous des enfants ?
Violette tente de masquer sa surprise face à cette interrogation. Depuis quand faut-il mentionner ce genre d’informations sur un curriculum vitæ ? Ne sachant pas trop où le responsable des ressources humaines veut en venir, elle essaye de lui répondre le plus naturellement possible, avec tout l’aplomb qu’elle peut trouver au fond d’elle.
— Je suis célibataire et je n’ai pas d’enfants. Pourquoi cette question ?
— Comptez-vous avoir des enfants dans les années qui viennent ?
Les joues de Violette s’empourprent de gêne tant ces mots la bousculent. L’homme qui se trouve face à elle manage des êtres humains. À priori, il est censé faire preuve d’un minimum de psychologie et de tact. Mais visiblement, ça ne fait pas partie de ses qualités. Il n’imagine pas une seconde qu’il rouvre une blessure qu’elle pensait à jamais refermée.
— Madame Verdier ?
— Oui, excusez-moi, je suis un peu déroutée par votre question, mais rassurez-vous, je ne compte pas avoir d’enfants du tout… s’entend-elle énoncer d’une traite.
— Je me permets de vous la poser, car à votre âge et à cette période de votre vie, ce genre de choses arrive et nous avons absolument besoin de quelqu’un qui soit entièrement disponible pour le poste. Nous souhaitons une certaine pérennité et voulons éviter le turn-over, et ce qui peut en découler. Je vous remercie de m’avoir répondu avec franchise et honnêteté, je pense que nous allons nous revoir très rapidement.
La jeune femme l’observe se lever de sa chaise, comme s’il lui avait juste parlé du temps qu’il fait dehors. En vérité, il vient sans le savoir de lui arracher des bouts de sa vie d’antan. Elle se lève à son tour et se laisse raccompagner dans le hall, hagarde. Il lui serre la main et lui conseille de garder son portable à proximité.

***

Violette s’apprête à remonter chez elle après avoir passé les deux dernières heures assise sur ce banc qu’elle affectionne dans le petit parc situé en bas de son immeuble. C’est un des seuls du secteur dénué de parc à jeux, elle préfère le calme aux bruits des enfants. En repensant à son entretien, elle ne comprend toujours pas ce qu’il s’est produit. Elle ne s’attendait pas à un tel bond dans le passé en s’y rendant. Tout lui est revenu, tout. Lui, elle, ce bébé, cet ultimatum, ces choix et cette douleur qu’elle espérait avoir enfouis loin, très loin dans son subconscient. Un fardeau qu’elle a toujours porté seule. Ses parents n’en ont jamais rien su, ses sœurs encore moins.
Elle se rappelle ce fameux jour où elle s’est rendue seule au planning familial. Elle avait d’abord essayé d’appeler Iris, en vain, et tenté de joindre Rose ensuite. Elle espérait qu’au moins une des deux serait disponible pour l’accompagner dans ce moment douloureux. Ses coups de fil étaient restés sans réponses et, pire encore, personne ne l’avait jamais recontactée ce jour-là. C’était il y a dix-sept ans.
Elle sent son portable vibrer au fond de sa poche et reconnaît aussitôt le numéro du recruteur. Il l’appelle pour lui signifier qu’elle est prise pour le poste et qu’elle peut passer dès le lendemain après-midi pour signer son contrat. Violette pousse un soupir de soulagement, mais son malaise grandit. L’unique raison pour laquelle il l’a choisie, au-delà de son expérience et de ses compétences, est évidente.
Violette est célibataire et ne veut pas d’enfants, plus jamais. Et elle devra y penser chaque jour quand elle se rendra dans son nouveau bureau, elle n’arrivera pas à faire autrement.


Chapitre 4
Adèle

« Il n’est pas vrai que nous avons peu de temps, mais nous en avons déjà beaucoup perdu… Nous n’avons pas reçu une vie brève, nous l’avons faite telle… Ce qui fait la vie brève et tourmentée, c’est l’oubli du passé, la négligence du présent, la crainte de l’avenir ; arrivés à l’extrémité de leur existence, les malheureux comprennent trop tard qu’ils se sont, tout ce temps, affairés à ne rien faire. »
(Sénèque)



Cher journal,
Tu dois penser que je suis trop vieille pour en tenir un, mais ce n’est pas grave je ne t’en veux pas. C’est vrai qu’avoir un journal intime, c’est plutôt un truc de jeune fille. Il faut croire qu’à cinquante-six ans, j’en suis toujours une au fond de moi, malgré les cheveux blancs qui s’amoncellent çà et là.
Chaque fois que je termine un cahier, je me dis que cette fois c’est le dernier, et puis c’est plus fort que moi, j’en entame un nouveau. Je ne peux pas m’en empêcher. À raison de trois par an depuis l’âge de quinze ans, je te laisse imaginer les caisses qui s’accumulent dans le garage.
Je les ai tous gardés, mon objectif est de les léguer à mes filles lorsque le Tout-Puissant aura décidé que mon heure sera arrivée. Leur histoire en héritage. Elles y retrouveront le récit de notre rencontre avec leur père, mais aussi de nombreux moments de leur enfance. Si seulement mes écrits pouvaient les souder un peu, les rassembler.
Mais je ne vais pas mourir tout de suite, j’ai encore du temps devant moi, alors je dois attendre avant d’assister à ce miracle.
Eh oui, cher journal, à mon grand désespoir, j’ai eu beau essayer, je n’ai pas réussi. Iris, Rose et Violette ne s’entendent pas du tout. Je crois même qu’elles se détestent. Je les vois bien faire semblant lors de nos rares moments en famille. Mais je ne suis pas dupe. Mon cœur de maman en est meurtri et blessé. Je me demande bien ce que j’ai raté.
Nous avons pourtant toujours tout fait de façon juste avec Hubert. Jamais plus pour l’une ou pour l’autre. La même chose pour tout le monde, la même dose d’amour répartie équitablement, le même temps consacré à chacune.
C’est ce que ma mère avait fait pour mes sœurs et moi, ce que ma grand-mère avait vécu aussi avec ses propres sœurs. De génération en génération, les lignées fraternelles ont toujours été très proches et j’envisageais de perpétuer la tradition, en leur mémoire.
Je crois que sans m’en rendre compte j’ai vécu sous la coupe de cette pression que je me suis infligée, étant la seule de la fratrie à avoir enfanté. Je ne voulais pas briser ce que mes aïeux avaient construit, je refusais d’échouer. Alors j’ai porté le poids de mes ancêtres pendant tout ce temps, mais je dois bien admettre que certaines recettes toutes faites ne fonctionnent pas à tous les coups.

— Adèle, les filles sont là ! crie Hubert depuis le rez-de-chaussée.
— J’arrive, j’ai presque fini !
Adèle referme son cahier qu’elle glisse dans le tiroir de sa coiffeuse. Elle s’observe dans le miroir et remet quelques mèches de cheveux en place. Elle espère de tout cœur que cette journée se passera bien. Voilà cinq mois qu’elle n’a pas eu ses filles réunies sous son toit. Elle va tâcher de profiter de ces retrouvailles et de faire abstraction des remarques assassines qui peuvent fuser. Elle a compris depuis bien longtemps qu’intervenir ne fait qu’envenimer les choses, alors elle applique une méthode imparable, elle change de sujet et fait comme si de rien n’était.

***

Adèle descend les marches du perron de la demeure familiale. Cette maison, dont elle a hérité lors du décès soudain de ses parents, a vu grandir ses filles. Elle espérait la voir toujours remplie d’enfants qui courent, de bruits de fourchettes et d’assiettes, de grandes tablées, de week-ends en famille, de vacances avec les petits-enfants. Hélas, il n’en est rien, malgré ses nombreuses tentatives.
Pourtant, ce n’est pas l’espace qui leur manque désormais. La maison est construite sur trois étages, quatre chambres restent désespérément vides malgré les réaménagements faits afin de les moderniser. Avec Hubert, ils ont même effectué quelques travaux pour l’installation d’une salle de bains supplémentaire au deuxième.
C’est vrai qu’ils habitent dans une zone reculée de la région parisienne, non loin de Fontainebleau, de sa forêt et de son château. Elle sait que pour ses filles qui vivent à Paris ou en proche banlieue ça paraît le bout du monde. Iris vient en voiture, tout comme Violette. En revanche, Rose et Yvan empruntent les transports en commun avec leurs deux filles sous le bras.
Elle leur a d’ailleurs proposé de venir dès le vendredi soir et de dormir ici afin d’éviter la fatigue d’un aller-retour dans la même journée. L’occasion pour les enfants de profiter d’un peu de calme et de verdure, et du jardin où ils ont placé une balançoire quand Salomé a été en âge d’en faire. Mais chacune a trouvé un prétexte, un dîner le samedi, du travail à terminer, un empêchement de dernière minute, des courses à faire.
Adèle chasse ses idées noires et s’empresse de venir aider Iris qui se débat avec le coffre de sa voiture qu’elle veut fermer.
— Ma chérie, ça va, tu as fait bonne route ? Coucou, mon petit Thao ! Viens faire un bisou à mamie.
Comme à son habitude, le petit garçon se cache dans les jupons de sa mère. Il voit tellement peu ses grands-parents qu’il met un temps infini à venir vers eux. Il finit toujours par le faire au moment où sonne l’heure du départ.
— Un enfer sur la route, ce matin ! Pourtant c’est dimanche, je ne comprends pas !
— Laisse-moi t’aider, je sais comment faire, nous avons le même problème avec la fermeture du nôtre, intervient Hubert en embrassant sa fille et en agitant sa main devant le capteur installé à côté de la plaque d’immatriculation.
— Et David, il n’a pas pu venir ? s’enquiert Adèle.
— Non, il est sur un gros dossier à rendre pour hier ! Il bosse jour, nuit, soir et week-end. Un véritable courant d’air !
Adèle observe sa fille qui, une fois de plus, joue de jovialité et de désintéressement pour faire passer la pilule à sa mère. Finalement, les rares fois où ils voient leur gendre correspondent aux rares fois où ils les invitent chez eux, c’est-à-dire quasiment jamais. David est un gentil garçon, mais Adèle se demande si sa fille est vraiment heureuse avec lui. Elle n’a jamais osé aborder le sujet.
Tandis que la voiture de Violette pénètre dans la cour, le téléphone d’Hubert se met à sonner. C’est sans doute Rose et Yvan qui sont arrivés à la gare et qui attendent qu’on vienne les chercher. Mais pourquoi ni Iris ni Violette ne pensent à les prendre au passage ? Chaque fois c’est pareil ! se dit Adèle en observant tout ce manège.
Violette descend de voiture, embrasse son père, enlace sa mère, chatouille Thao et salue sa sœur d’un ton glacial. Le bal des sœurs Verdier a commencé.

***

Il est plus de 21 h quand Adèle termine d’essuyer la dernière assiette. La fête était réussie. Salomé, Emma et Thao étaient contents de se retrouver. Leurs babillages et leurs rires, dont l’écho résonne encore dans l’enceinte de la maisonnée, ont fait plaisir à entendre. Elle ne sait pas quand elle les reverra, sûrement lors d’un prochain anniversaire. Cette pensée l’attriste, mais elle tente de conserver ces quelques heures de bonheur qu’elle a grappillées aujourd’hui.
Elle a observé ses filles tout au long de la journée. Elle s’est souvenue qu’à l’époque le couple avait tout planifié. Deux ans d’écart entre chacune, pas moins, pas plus. Un bon compromis dans leur évolution en tant que parents, une possibilité qu’elles puissent bien s’entendre et avoir des atomes crochus, sans être trop éloignées les unes des autres.
Son mari la rejoint dans la cuisine, après avoir terminé de ranger les tables et les chaises installées pour l’occasion sur la terrasse. Ce soleil inattendu du mois de septembre leur a permis de profiter de l’extérieur grâce à une température agréable.
— Oh ! je connais cette petite mine, Adèle, qu’y a-t-il ?
— Comment as-tu trouvé tes filles, aujourd’hui ? lui demande-t-elle immédiatement, heureuse qu’il lui permette d’aborder le sujet.
— Je dirais comme d’habitude ! Iris est toujours aussi rigide avec Thao, Violette toujours aussi silencieuse et Rose gravite entre les deux. La routine !
— Tu as vu la façon dont Iris a réagi quand Rose et Yvan sont arrivés ? Parfois je ne comprends pas notre aînée ! Et puis le cadeau de Salomé, on en parle ? Je me demande si elle ne le fait pas exprès !
— Adèle, on en a déjà discuté maintes fois, ici même, dans cette cuisine. Arrête de te faire du mouron pour rien. Peut-être que les choses changeront, peut-être pas. Tu n’y peux rien, nous n’y pouvons rien. Nous avons fait ce qui nous semblait juste et bon pour elles. Tu ne peux pas diriger leurs sentiments, ce ne sont pas des marionnettes !
Adèle se réfugie dans ses bras, le torchon mouillé dans ses mains tremblantes. Elle aimerait tant réussir à passer outre la situation, mais elle n’y arrive pas. Elle va trouver une solution, elle a déjà une petite idée derrière la tête et se garde bien d’en parler à Hubert. Vu l’ampleur des potentiels dégâts, nul doute qu’il désapprouverait.


Chapitre 5
Iris

« L’esprit de l’homme est ainsi fait que le mensonge a cent fois plus
de prise sur lui que la vérité. »
(Érasme)



Ce repas dominical était un vrai supplice, Iris est tranquille pour quelques mois. Les prochaines retrouvailles familiales auront lieu pour les huit ans de Thao, juste avant Noël. Heureusement qu’ils ne célèbrent que les enfants, sinon ce serait sans arrêt. Entre ça et les fêtes de fin d’année, c’est déjà bien assez.
Une fois de plus, elle s’est trompée de cadeau pour Salomé. Rose lui avait pourtant donné le nom précis du jouet par message, mais elle a choisi quelque chose qui était visiblement à côté de la plaque. Elle a bien senti l’exaspération de sa sœur quand celle-ci lui a demandé si elle pouvait l’échanger.
— Iris, je n’ai pas du tout le temps d’y aller, tu pourrais t’en occuper ?
— Je ne sais pas si je vais pouvoir, et puis quand est-ce que je vais te le donner ?
— Bon, passe-moi le ticket alors, je vais me débrouiller.
— Je n’ai pas pensé à le prendre, je te fais une photo en rentrant, si tu veux.
— Sérieusement, Iris, tu penses que le magasin va accepter un échange avec un ticket de caisse en photo ?
— Je te l’enverrai par la poste, dans ce cas, tu me redonneras ton adresse.
— Très bien ! Ne tarde pas trop à me le faire parvenir, s’il te plaît.
Ce n’est pas parce qu’Iris est femme au foyer qu’elle n’est pas occupée, contrairement à ce que Rose insinue. Elle en a assez de ces sous-entendus, sans compter ses remarques sur l’absence de David. Comme si le couple qu’elle formait avec Yvan était parfait ! Certes, il est toujours présent à tous les repas et les dîners, mais quand Iris pense à ce que sa sœur a accepté par amour, élever l’enfant d’une autre, c’est quelque chose qu’elle n’aurait jamais été capable de faire.

***

David est parti sur un chantier à Nantes toute la semaine, elle se retrouve seule avec Thao. Ce matin, elle a finalement accepté d’aller boire un café avec Nathalie, la maman d’Arthur. C’était un moment agréable pendant lequel elle a eu l’impression d’avoir un semblant de vie sociale. Concrètement, Iris est très seule. Toutes ses amies de fac ont pris d’autres routes bien éloignées de la sienne. Les amitiés se sont délitées pour totalement disparaître. Elles se sont revues quelques fois, sans avoir plus rien à se dire. Et puis il y a eu cette fois de trop, celle où elles se sont permis de porter un jugement sur ses choix de vie. Iris ne l’a pas supporté, elle se souvient encore de cette soirée et de la crise de nerfs qui a suivi.
Depuis, elle a essayé de se lier d’amitié avec quelques mamans de l’école, mais chaque fois que ça allait plus loin, Iris refusait d’organiser des goûters, d’inviter les copains le week-end, et elles se sont vite lassées des propositions allant toujours dans le même sens. Et puis elle a eu du mal à accrocher, à se laisser aller. Sans son pilote automatique, elle est perdue. Il lui faut ses rituels qui lui donnent l’impression de maîtriser un tant soit peu son mental et son environnement. Dès qu’elle sort un peu de son tracé habituel, elle sait ce qui l’attend.
Le téléphone se met à retentir dans le silence de la maison. Iris décroche, personne au bout du fil. Il lui semble percevoir une respiration au loin, mais elle n’en est pas sûre. C’est encore un de ces démarchages commerciaux, elle va finir par faire couper cette ligne qui ne lui sert à rien. Au moment où elle s’apprête à monter pour ranger la chambre de Thao, la sonnerie chante de nouveau à tue-tête. Décidément ! Toujours personne, seul le mutisme lui répond. Elle se rappelle alors que c’est arrivé à plusieurs reprises ce mois-ci, il faudra qu’elle en parle à David.
Iris regarde l’heure déjà bien avancée de la matinée, elle va être en retard pour son cours de yoga, elle était absente à deux reprises la semaine dernière. Elle s’occupera des jouets de son fils cet après-midi et décide d’enfiler sa tenue préférée. Il faut qu’elle garde un corps svelte et tonique afin d’être désirable aux yeux de son mari, mais il faut aussi qu’elle évacue ce trop-plein qui ne va pas tarder à déborder.

***

Iris se gare sur la dernière place restante du parking. Elle peste en sortant de la voiture à l’idée de devoir récupérer son tapis dans le coffre. Elle va encore passer ses nerfs sur la fermeture de plus en plus capricieuse. Le nez en l’air pour tenter de faire marcher le capteur du haut, elle ne prête pas attention à la demoiselle enceinte installée sur un banc, non loin de la porte d’entrée du club de sport. Celle-ci se lève en apercevant Iris et s’approche timidement.
— Excusez-moi, balbutie-t-elle.
Iris réussit enfin à verrouiller sa voiture et tourne son regard dans sa direction.
— Je peux vous aider ?
— Vous êtes bien Iris Graveland ?
— Oui, c’est moi, répond-elle en la toisant de la tête aux pieds.
— Est-ce qu’on pourrait s’installer quelque part dans un endroit tranquille ? Il faudrait que je vous parle.
— Je n’ai pas le temps, mon cours commence dans cinq minutes. Est-ce qu’on se connaît ?
— Vous non, mais moi oui…
Iris perd patience et sent à nouveau cette boule furieuse se former au creux de son ventre. Cela fait plusieurs jours qu’elle prend sur elle, il faut qu’elle aille décharger sa colère, sous peine d’exploser. Elle ne voudrait pas que ce soit Thao qui paie les pots cassés. C’est en ça que le yoga l’aide beaucoup, à canaliser et à contrôler ses émotions. Elle repense à l’autre fois dans la cuisine, quand ses nerfs ont lâché. Heureusement, elle était seule à la maison et personne n’a assisté à ce carnage. Les couverts ont voltigé jusqu’au sol, ainsi qu’un gros saladier, brisé en mille morceaux. Elle s’était dit qu’elle choisirait quelque chose d’incassable pour évacuer sa colère la prochaine fois, car elle l’adorait, et ramasser les débris lui a pris un temps fou, elle en retrouve encore. Comme une piqûre de rappel.
— Je finis dans une heure, vous n’avez qu’à m’attendre.
La jeune femme reste interloquée face à cette répartie autoritaire et retourne s’asseoir sur le banc. Iris l’observe à travers les vitres fumées du sas d’entrée. Elle enrage, tout en espérant qu’elle se décourage et qu’elle s’en aille. Pas un seul instant elle ne se demande ce qu’elle lui veut, elle sait déjà. Son ventre arrondi ne laisse aucun doute.

***

Une heure et quart plus tard, Iris aperçoit la jeune femme, toujours assise sur le banc.
— Vous êtes encore là ?
— Je vous ai attendue, comme vous me l’aviez suggéré, répond la petite brune au visage constellé de taches de rousseur.
— Venez, je dois aller chercher mon fils à l’école. Montez, dit-elle en désignant la porte côté passager.
La jolie brunette semble étonnée par cette proposition. Ce n’est sûrement pas ce qu’elle avait prévu, mais elle s’exécute. Un silence s’installe dans l’habitacle, vite remplacé par la radio et ses publicités répétitives. Iris baisse le volume, enfile ses lunettes de soleil et démarre.
— Comment vous vous appelez ? lui demande-t-elle.
— Quelle importance ça a ?
— J’ai besoin de savoir à qui j’ai affaire.
— Vous n’êtes pas curieuse, vous ne voulez pas connaître la raison pour laquelle je vous ai attendue ?
— Je le sais déjà, alors on va s’épargner des détours inutiles. Dites-moi juste depuis quand ça dure.
Sans avoir donné son prénom, la jeune femme raconte pendant le trajet comment elle en est arrivée là. Durant ces trente minutes de route, Iris perd tout le bénéfice de sa séance de relaxation. Elle sent à nouveau le volcan gronder en elle, et cette fois elle sait bien que l’éruption va être longue et extrêmement douloureuse, brûlant tout sur son passage. La limite de l’acceptable vient d’être largement dépassée. Elle ne va plus pouvoir faire semblant de ne pas voir l’éléphant qui l’attend en plein milieu de la pièce.


Chapitre 6
Rose

« L’amour est fait de hasard et de chance. À une bretelle de la vie, il est là, offrande sur le chemin. S’il est sincère, il se bonifie avec le temps.
Et s’il ne dure pas, c’est qu’on s’est trompé de mode d’emploi. »
(Yasmina Khadra)



La nouvelle vient de tomber, la direction a accepté un jour de télétravail par semaine. Rose exulte et pense déjà à négocier une seconde journée. Ce serait le rêve de déposer les filles à l’école, puis de remonter à l’appartement pour travailler depuis chez elle, en pyjama si ça lui chante. Mais pour le moment, il va falloir se contenter de ce répit dans le rythme effréné du quotidien. Elle se positionne sur le lundi, ce qui lui permettra de prolonger un peu le repos du week-end et de profiter d’Yvan, en télétravail ce jour-là également. Elle imagine déjà leurs déjeuners le midi, ou encore leurs pauses crapuleuses, et se réjouit de cette bouffée d’oxygène.
Pour marquer le coup, elle décide de lui faire la surprise dès le lundi suivant. Ces deux dernières semaines, ils n’ont fait que se croiser. Il travaille sur un projet de construction de logements écoresponsables, c’est la dernière ligne droite. Rose a l’habitude. Quand c’est comme ça, plus rien d’autre ne compte, alors elle prend sur elle tout en assumant la totalité des tâches du foyer, en plus de son job à plein temps.
Certaines personnes pensent que la répartition dans leur couple n’est pas équitable, que Rose porte trop de choses sur son dos, des responsabilités qui ne lui appartiennent pas. Elle devine dans le regard de leurs amis, de ses collègues, de ses parents, qu’elle en fait beaucoup pour ses petites épaules. Ces temps-ci, des cernes se creusent sur son visage, les kilos peinent à s’accrocher sur son corps frêle. Son attention lui fait parfois défaut, surtout sur son vélo, quand la liste de tout ce qu’elle a à réaliser dans sa journée se déroule mentalement devant ses yeux. Plus d’une fois, elle a manqué se faire renverser, sans que les automobilistes y soient pour quoi que ce soit.
Ils savaient tous les deux que leur vie serait parfois rock’n’roll. Chacun est investi dans sa carrière professionnelle et il faut pouvoir faire de même dans sa vie personnelle, surtout avec les enfants. Mais la balance a penché sans cesse de son côté pour équilibrer tout ça, et les poids sur sa nacelle commencent à peser lourd. Elle le sent bien, mais refuse de le considérer.

***

Comme chaque matin, Rose feint de se préparer en sifflotant. Elle est bien plus joyeuse que d’habitude, tout le monde remarquerait un changement à venir dans la journée qui s’annonce. Tout le monde, mais pas Yvan. Il est plongé dans ses plans, une erreur de mesure l’oblige à recommencer toute une partie de son travail. Il est debout depuis cinq heures et déjà épuisé. Emma et Salomé disent au revoir à leur papa, tout en mettant leurs cartables sur le dos. Il lève enfin la tête de son bureau, installé vers les grandes baies vitrées dans un coin du salon, et va se resservir un café. Il s’approche de ses filles, se met à genoux et ouvre les bras pour un câlin collectif. Rose observe son petit monde avec tendresse et a hâte de se retrouver dans ses bras elle aussi. Mais pour garder le suspense jusqu’au bout, elle fait mine de s’habiller, comme si de rien n’était. Il dépose un baiser furtif sur ses lèvres et repart, muni de son mug, derrière les hautes plantes vertes qui font office de paravent.
— Rose, tu pourras t’arrêter au pressing pour récupérer mes chemises, en rentrant ce soir, comme tu passes devant ? J’en ai besoin pour ma présentation de jeudi.
— Tu ne veux pas y aller ? Ça te ferait sortir un peu ! Je suis sûre que tu vas rester enfermé toute la journée, et tu sais comment c’est ! Il te faut des pauses sinon tu n’avances pas !
— Aujourd’hui, je ne bouge pas de là, il faut que tout soit bouclé mercredi soir ! Et avec cette boulette que je viens de découvrir, je vais devoir bosser jour et nuit. S’il te plaît, ma chérie d’amour ! la supplie-t-il.
Elle déteste quand il l’appelle comme ça. Ma chérie, ma chérie d’amour, mon amour. Il le fait uniquement quand il a quelque chose à lui demander. Le reste du temps, c’est Rose, ni plus ni moins. Les effusions d’amour n’ont jamais été leur mode de fonctionnement, ils s’aiment et n’ont besoin d’aucun sobriquet superflu pour se le prouver. Mais justement, les utiliser dans certains cas l’horripile encore plus.

***

Vingt minutes plus tard, elle remonte les escaliers jusqu’au troisième étage et introduit la clé dans la serrure, un sourire aux lèvres. Curieusement, la porte est fermée à double tour. Elle se rappelle très bien l’avoir claquée un peu trop fort en partant. Elle pénètre dans l’appartement sur la pointe des pieds, s’attendant à trouver Yvan assis derrière son bureau. La tasse de café qu’il s’est servi à ras bord est encore fumante, ses plans sont étalés en désordre, parsemés de morceaux de gomme et de crayons à papier divers, mais le fauteuil, lui, est vide.
Surprise, Rose passe chaque pièce en revue, aucune trace de son compagnon. Elle décide de lui téléphoner, il a sûrement dû se rendre à l’agence pour une urgence, ou peut-être qu’il a tout simplement écouté son conseil et pris l’air pour aller au pressing. Aucune sonnerie, le serveur vocal lui propose d’emblée de laisser un message après le bip. D’instinct, Rose raccroche sans un mot et s’installe sur la table de la salle à manger afin de commencer sa journée de travail.

***

Trois heures plus tard, n’y tenant plus, elle tente de le rappeler, mais son téléphone est toujours coupé. Il est bientôt l’heure de déjeuner et, sur un coup de tête, elle appelle Joséphine et Magalie pour leur proposer de les rejoindre à leur QG officiel.
Après trente minutes de trajet à vélo, Rose arrive au café où elles ont l’habitude de se retrouver une fois par semaine.
— Alors, ma belle, tu en as déjà assez du télétravail ? lui dit Joséphine en débarrassant la chaise de ses affaires pour qu’elle s’installe à côté d’elle.
— On va dire que tout ne s’est pas passé comme je l’imaginais pour cette première matinée !
— Yvan a refusé la pause-café-câlin, c’est ça ? chuchote Magalie.
— Yvan s’est surtout volatilisé ! Je suis rentrée de l’école et il n’était plus là !
— Mais je croyais que c’était sa journée de télétravail à lui aussi ?! s’exclame Joséphine.
— Il a dû avoir un rendez-vous ou une réunion de dernière minute. En tout cas il est injoignable !
— Tu fais trop de choses à la fois, ma Rose, il t’en a sans doute parlé alors que tu devais être occupée ! dit Magalie pour la rassurer.
— Allez, prends un verre de rosé, ça te détendra !
Rose essaye d’avoir le cœur léger et de ne pas leur parler de l’alarme qui s’est mise à hurler dans son esprit. C’est sûrement ça, parfois elle fait tellement de tâches différentes au même moment que son attention s’en trouve amoindrie, ce qui lui a valu plus d’une fois des oublis, heureusement sans conséquence. Le déjeuner terminé, elle n’a pas le cœur à pédaler en sens inverse, surtout après un verre de vin, et préfère retourner au bureau. Sa cheffe la regarde d’un air surpris, mais sans chercher à comprendre pourquoi elle se trouve ici plutôt que chez elle. Rose ne le sait pas elle-même.
La sortie d’école approchant, elle tente une nouvelle fois de joindre Yvan, afin d’être sûre qu’il récupère les filles comme à son habitude. Au bout de trois sonneries, il décroche enfin.
— Allô, oui !
— Salut, tu es à la maison ?
— Oui pourquoi ? Je n’ai pas bougé depuis ce matin, je n’en peux plus ! Il va me falloir un bon massage ce soir, mon corps est tout endolori d’être resté assis si longtemps !
Le sang de Rose se glace. Elle espérait une tout autre réponse qu’un mensonge.
— Rose ? T’es là ?
— Oui, oui.
— Pourquoi tu m’appelles ?
— Je sais plus, j’ai oublié. Faut que je te laisse. À ce soir !
13
Mise en avant des Auto-édités / Un petit tout au paradis de Fat
« Dernier message par Apogon le jeu. 08/02/2024 à 17:21 »
Un petit tout au paradis de Fat



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Un Petit Tout Au Paradis.


- Barrez-vous devant !!!
Avant d’avoir eu le temps de me retourner sur l’injonction de la voix, un coup dans l’épaule me fait pivoter et perdre l’équilibre.
– Put…
Trou noir.

Tout est noir autour de moi. Un noir profond, épais, impossible à trouer, sans une once de vie.
J’essaye de cligner des yeux sans sentir mes paupières, de toucher mon corps sans sentir mes mains…
C’est quoi ce bordel ?!?

Je panique, sentiment différent dans une impression plus qu’une action. Pas de battements intempestifs du cœur, pas de sueurs froides, aucun tremblement ni soubresaut.
Putain je suis morte !?!
Ou pire dans le coma ?!?
S’il vous plaît, pas dans le coma ! Je ne veux pas être un poids pour mes enfants…

Mes enfants !?! Oh là là, ils doivent être en panique totale…
Faites que je sois morte… S’il vous plaît ?!?
Allez concentre-toi, fais un effort, bouge !!!

Rien à faire, je ne sens plus mon corps, je dois être morte, non ?
Et si c’est le cas, où est la lumière au bout du tunnel ? Pourquoi je ne me vois pas d’au-dessus ?
Plus je réfléchis plus je suis perdue…

Depuis combien de temps suis-je là ?

Le temps, notion de base de l’humain, s’est arrêté. Enfin, il continue à s’égrener je suppose mais seule dans le noir, sans variation du soleil, comment le mesurer ?

Conditionné depuis bien avant sa naissance par le calcul du temps de grossesse dans la datation des étapes de construction physique, date de création calculée en intra-utérin par la taille de l’os du tibia, viabilisé en fonction de la grosseur de la boite crânienne, l’humain se soumet au facteur temps.

À sa naissance, par sa régulation dans des biberons toutes les trois heures, les positions assises à six mois, dent et premiers mots à cette même date, debout à douze, le temps jalonne son évolution sous la surveillance des parents très attentifs au respect de chaque étape.

Après son arrivée sur terre, dès trois ans environ, obligation des huit heures de sommeil, l’enfance nous apprend la notion de gestion du temps et les parents la notion de retard. Le ‘Dépêche-toi, on va être en retard’, assené devant toutes les écoles, humains format réduit courant aux côtés de leur référent, sans comprendre l’obligation ni le stress généré.
Le temps scolaire se met en place, les apprentissages du langage oral et écrit, des outils pour structurer la pensée, d’activités physiques et artistiques et enfin d’exploration du monde.

L’heure de l’école, des devoirs, du bain, du dîner et celui du coucher découpent la journée, optimisant le temps par tranches de vingt-quatre heures.
L’adolescence voit arriver l’horloge hormonale et son lot de changement physique amenant à finir le cycle de la vie par la création du terrain propice à celle-ci, grossesse, naissance, rebelote…
Pour finir par l’horloge biologique, limitant le délai d’incubation de l’adolescence, date de péremption notée uniquement sur les œufs féminins…

J’ai couru pour tout ça, et après ?
Le temps de la mort ?

Mon cerveau se perd dans la réflexion… Complétement débile de philosopher sur le temps vu la situation !?!

Un point blanc apparaît au loin. Il semble se rapprocher, s’élargissant au fur et à mesure. Le tunnel ? Non, un tunnel ne bouge pas. Peut-être que c’est moi qui bouge ?
- Bienvenue ! Entends-je de la forme ovale arrêtée devant moi.
La ligne de délimitation bouge par la vibration de la voix.
- Bienvenue ?!? M’insurge-je. – Vous êtes sérieux ? Où je suis là ? Je suis morte ? C’est ça, hein ? Je suis morte ! Où dans le coma ? Dites-moi que je ne suis pas dans le coma ?
- Calme-toi…
- Calme-toi ?!? Je fulmine. - Vous êtes sérieux ?
- Je vais tout te dire, calme la voix.
N’aie aucune peur…

Je regarde la forme dont le centre me renvoie tantôt une bouche, pulpeuse et rose, tantôt un œil d’un vert profond en fonction de l’action.
Impossible de définir l’âge ou le sexe, le timbre de voix uniforme n’apporte aucune indication non plus.
- D’abord je me présente, je suis Diamant.
- Ah… Ok… Je suis…
Sur le bout de la langue, rien ne sort. Bordel, c’est quoi mon nom ?
- Tu es Améthyste… Affirme la voix. – Amé si tu permets.
- Heu… Cela ne me dit rien… Je cherche dans mes souvenirs. Faute de mieux, Amé… Hum… Pardon mais, je suis morte ?
- Regarde…
Un point s’ouvre devant nous sur une scène de vie. Je reconnais mes enfants, agrippés l’un à l’autre devant un corps allongé recouvert d’un drap dont le visage apparaît.
Voilà la confirmation que je suis morte.
Ouf ! je me sens soulagée paradoxalement.

Je remarque une forme, à priori humaine, composée de particules noires derrière mes enfants. – Qu’est-ce que c’est ?
- C’est le père de tes enfants.
- Pourquoi est-il comme ça ? Tout noir…
- Parce qu’il a choisi le côté obscur.
- Hein ?!?
- Il a choisi de poursuivre un mauvais but dans la vie…
- L’argent ?
- Je ne sais pas, je ne suis pas son ange… Peut-être…
- Son ange ? ça veut dire que vous êtes le mien ?
- Oui.
- Donc ici, c’est le paradis ?
- Le paradis n’existe pas, il a été inventé par l’humain.
- L’enfer aussi alors ?
- L’enfer aussi, c’est ça.
L’échange aussi absurde que flippant me saisit, étincelles mentales fusantes face à une entité calme et mesurée, accentuant ma perception folle du discours.
- Calme-toi.
- Pardon ?!?
- Tu fais des étincelles.
- Des étincelles ? Ah bon ?!?
- Calme-toi je te dis.
L’auréole de mon interlocuteur se modifie, apportant plus de pique à la forme, confirmant un début de ras-le-bol annoncé par la phrase.
- Et comment je fais ? J’interpelle… Je ne respire même plus !
Diamant disparait ne laissant qu’un point dans le noir.
Pouf !
- Ah ben bravo ma vieille, je m’énerve.
T’es toute seule maintenant, t’es bien avancée comme ça, hein ?!?

Je continue un moment à maugréer.
Faute d’adversaire, je capitule et focalise mon esprit sur les infos en ma possession.
Je suis morte, ça ne commence pas bien ! Je suis Améthyste, aucun souvenir de ce prénom ! Diamant est mon ange…
Mais comment croire à tout ça ?!?

- En Acceptant. Déclara Diamant réapparaissant comme il était parti.
Pouf !
- Facile à dire… Je bougonne - On est où ici ? Et je suis morte comment ?
- Nous sommes au ciel ou plutôt dans l’espace, explique Diamant, - Au-dessus du ciel. Ici nous sommes des étoiles et … Tu as été bousculée par une trottinette…
- Une trottinette ?!? Shootée par une trottinette… La honte !!! Je m’exclame.  Des étoiles ?!? Comme celles qu’on voit de la Terre ?
- C’est ça...
- Et elles brillent grâce à quoi ? Au soleil ?
- Les étoiles ont leur propre lumière, elles n’ont pas besoin d’un astre pour briller.
- Ça remet en cause toutes les religions ça ! Une étoile… Donc pas de vie après la mort ? Enfin, pas de résurrection ou de réincarnation comme elles le promettent ?
- Exactement. Cela a été inventé par les hommes, pour eux-mêmes, afin de contrer leurs instincts primaires, de les contrôler en imposant une doctrine. Les soumettre sans y succomber. Et cela marche pour certains.
- Pas pour le père de mes enfants si je comprends bien…
- Non, hélas.
- C’est fou… J’ai toujours vu les gens prier pour obtenir quelque chose, la santé, l’argent, l’amour… Moi, j’ai toujours prié pour obtenir la sérénité, c’est-à-dire ne rien avoir qui perturbe mon esprit, ni en bien, ni en mal, les deux étant dangereux à mon avis.
Et là vous me dites qu’il n’y a pas de vie après la mort… Beaucoup vont être déçus ! Je suis déçue !!!
- Ah mais, Il y a une vie après la mort mais pas comme le pensent les humains.
- Comment alors ?
- Tu verras lors de l’initiation… Nous n’en sommes pas encore là.
- Ah… Et nous en sommes où là ?
- À la période de deuil pour tes proches et celle de l’acceptation pour toi. Bien que je croie que ce soit déjà fait pour toi.
- Quoi ?
- L’acceptation.
- Vous croyez ? Je demande dubitative.  Et je dois faire quoi alors maintenant ?
- Maintenant tu vas aller visiter et dire au revoir à la Terre pendant trente jours. Après tu reviendras et nous commencerons ton initiation.
- Visiter et dire au revoir, d’accord… J’essaye d’imaginer. – Et comment je fais ?
-  Deux façons. La première avec ceux qui te connaissent et qui pensent à toi et puis ceux que tu as juste croisés… Quand ton prénom est prononcé, une bulle de vie sur terre s’ouvre sur la personne concernée. Il en sera ainsi jusqu’à ce que la dernière personne qui t’a connue soit en vie…
- Tous ne vont pas mourir en trente jours ? Si ?
- Non, bien sûr que non. C’est juste la méthode. Ne t’inquiète pas, les humains oublient facilement.
- Je ne sais pas si cela me rassure, il s’agit de ma vie quand même !
- Première étape… Accepter.
Pouf ! Disparu.

Je me retrouve seule face à cette espace vide et noir, paradoxalement plus rassurant qu’à mon arrivée.
Je suis morte et pas de tunnel.
Je suis morte et pas de lévitation ni de paradis.
Je suis déçue.
Pas d’être morte mais que cela soit si basique, moins spectaculaire que je ne l’avais pensé. Les réponses calmes et posées de Diamant ne m’aident pas à accepter. En même temps être morte, c’est déjà en soi un gros morceau à avaler…
Et puis il y a l’initiation ?!? Je ne sais ce que c’est mais cela veut dire que ma vie, d’une certaine manière, n’est pas finie…

Perpétuité sans remise de peine sur terre ok… Mais après !?!
Je ne sais pas si cela me fait vraiment plaisir…

Le repos éternel, après une vie aussi agitée que la mienne, était un but en soi et là BIM ! Initiation…

Toute une carrière à faire des missions d’intérim, à changer de monde à chaque fois avec des règles différentes de gestion et de politique, et là BIM ! Initiation…

J’avais imaginé autre chose et comme d’habitude, il vaut mieux ne rien imaginer et être surpris de tout plutôt que l’inverse.
Le verre à moitié plein quoi !

En pensant au verre, j’avais aussi imaginé mourir d’une maladie longue, me permettant de boire et manger à nouveau n’importe quoi, avec la meilleure excuse du monde puisque fatale et là encore déception…

Depuis ma reprise de conscience, si je peux dire, ni faim, ni soif, aucune envie de rien. Un vide renvoyant à celui environnant.

Maintenant il faut que je dise au revoir à la terre et à ma vie d’humain.

Une bulle de vie s’ouvre. Je reconnais mes enfants, mon appart. La table regorge de bouffe, que des gens, se regardant dans des demi-sourires, entourent dans un silence de mort, la mienne.
- S’il vous plaît… Appelle mon fils la bouche tordue de peine contenue, - Je vous remercie d’être venus pour rendre hommage à notre mère. Je suis sûr qu’elle aurait apprécié. Nous vous connaissons tous plus ou moins directement et, comme dirait maman, avec ce point commun qui vous lie, la gentillesse. C’est la qualité qu’elle préférait chez l’être humain sans distinction de CV ou niveau social… Que dire d’elle ? Je pense que le mieux serait que chacun raconte sa rencontre ou une histoire qu’il a partagée… Avec elle…
La voix se casse.

Je reconnais des gens, les histoires s’enchaînent les unes aux autres. Beaucoup de rires, peu de profondeur… Derrière chaque visage, je vois le moi profond. Certains en adéquation avec la peine ressentie, d’autres dans la culpabilité des actes ou pensées passés...
L’humain a cette faculté incroyable de rire alors qu’il pleure ou de pleurer alors qu’il se réjouit…

En tant qu’esprit ? Je vois et constate que mes doutes, vivante, sont confirmés, morte !
Tant pis pour moi…

Je m’approche de la bulle et me retrouve propulsée dedans.  Un maillage serré de traits verts quadrille la pièce. Quézaco ???

Je passe au travers de l’un et reçoit une conversation téléphonique. Je suis le trait et remonte vers une personne sur le balcon !?!
Au point de croisement, les ondes s’entrechoquent, téléphoniques, télévisuelles et web, recouvrant le ciel de vert, conséquence d’une communication à outrance, relayée par les satellites. Plus de nuages, la planète n’est plus bleue… Mais verte !

Et dire que les scientifiques nous affirmaient que c’était inoffensif…
Une fumisterie de plus !

Dans la pièce, la culpabilité de certains envers moi, regrettant trop tard la manipulation, le vol, la malversation dont ils m’ont fait leur victime, le tout dans une réalité non exprimée que je ressens malgré tout.

Les pardonner ?
Qu’ils se pardonnent à eux-mêmes !

Ceux-là n’ont pas tout le corps en particules noires mais la bouche, les yeux et les oreilles sont déjà contaminés…

Ils n’entendent, ne voient ou ne disent… Que de la merde !
Bien fait !

Je savoure cette petite vengeance dont ils n’ont même pas conscience ! Ils m’ont menti, utilisant à des fins personnelles ma gentillesse ; ils m’ont dénigrée dans mes choix de vie ; jugée parce que je ne courais pas après l’argent ou la gloire et là, ils larmoient sur ma mort pour se donner bonne conscience…
Pouah ! Ça me donne la nausée !

Je m’approche de l’un deux. Son corps m’aspire à l’intérieur. Ce n’est même pas sur ma mort qu’il pleure mais sur sa propre vie, étriquée, uniquement constituée d’envie de tout sans jamais se satisfaire de rien…

Et pourtant…

Les Pharaons, avec leur vision de l’au-delà, nous ont donné une leçon.
Vingt à vingt-cinq ans de construction pour leurs pyramides, momification du corps, enfermés avec les besoins matériels hypothétiques d’or ou d’argent, accompagnés de leurs esclaves et même de leurs animaux de compagnie …

Malgré les pièges et leur construction, leurs tombeaux ont été pillés, les laissant figés en position debout, derrière des vitrines, pour le plus grand plaisir des touristes de passage, mitraillant de leurs téléphones portables, faisant des selfies …

Pas de paix, pas d’oseille, tout ça pour ça !!!

- Barre-toi de là !!! J’hurle et imagine mon auréole entourée d’étincelles. Mon cri doit projeter des feux d’artifices…
La personne investie sursaute, signe qu’elle m’a entendue, m’expulsant d’elle et de la bulle de vie.
J’accuse le choc, coup de poing énergétique et la regarde de l’extérieur s’enfuir de la pièce, terrorisée.

- Qu’as-tu fait ! Intervient Diamant en apparaissant.
- J’ai été projetée dans la bulle de vie…
- Tu n’es pas encore autorisée à descendre sur Terre.
- Je ne savais pas…
- Il est aussi interdit d’entrer dans le corps d’un humain. Continue-t-il. - Jamais !
Les pointes entourant son aura donnent le ton, Diamant n’est pas content.
- Et je le sais comment moi que c’est interdit ?!? Hein… J’ai été propulsée dans la bulle ! Tout était vert et je ne sais pas pourquoi ! Et puis il y avait cette personne avec les yeux, la bouche et les oreilles pleins de particules noires. Je me suis approchée et BIM ! J’étais dans son corps et j’entendais toutes ses pensées ! J’ai crié et là, je suis revenue ici instantanément et vous, vous m’engueulez …
Je vous préviens cela ne va pas le faire !!!
- Tu as raison j’aurais dû être avec toi. Se calme-t-il. - Je vais répondre à toutes tes questions.
- Heu… Je me calme à mon tour, étonnée de l’ascenseur émotionnel violent. - Alors déjà pourquoi tout est vert…
- Ce sont les ondes, toutes les ondes… Normalement tu n’aurais pas dû les voir, l’initiation t’élevant au-dessus des fréquences utilisées sur Terre …
- Des fréquences rendant tout vert… Quand je pense qu’on nous disait que c’était inoffensif, ces soi-disant experts… Des escrocs !
14
Résumé :

À Lyon, au cimetière de Loyasse, un homme est retrouvé assassiné près de la tombe d'un célèbre guérisseur. Découvert par sa mère, tout porte à croire que ce meurtre n'est que le début d'une longue cabale déclenchée contre la famille Daventure.
De par sa complexité, cette nouvelle affaire est un défi de taille pour le commandant Nathalie Lesage et son équipe.
Dans les rues d'un Lyon aussi secret que mystérieux, où la petite histoire va croiser la grande, cette enquête va bouleverser la vie de notre héroïne…
Un thriller percutant sur lequel plane l'ombre de Raspoutine, personnage historique qui continue à intriguer et stimuler l'imaginaire collectif…


Mon avis :

Tout d’abord, je tiens à remercier les Éditions Taurnada pour leur confiance, et de m’avoir permis de découvrir ce roman au résumé attractif.

Pour avoir dévoré les précédents ouvrages de l’auteur, pour les plus curieux, mes chroniques ici : Une arête dans la gorge, La quatrième feuille, Néréides, il n’est pas indispensable d’avoir lu les précédents pour appréhender son petit dernier ; vous ne serez juste pas en mesure de suivre et d’apprécier l’évolution du personnage principal.

Dans ce dernier opus, nous retrouvons donc avec plaisir la solitaire mais néanmoins attachante Nathalie Lesage, commandante à la PJ de Lyon. Si dans sa profession celle-ci demeure intuitive, exigeante, efficace, avec un caractère bien trempé il en est tout autre dans sa vie personnelle. Secrète, fragile, marquée par de nombreuses blessures antérieures, elle n'accorde que très peu sa confiance, constamment réfugiée derrière sa solide carapace.
Et si cette quatrième aventure placée sous couleurs de rencontres multiples était le départ d’une transformation, de nouvelles résolutions, voire le déclencheur d’un possible renouveau ?

C’est sous une chaleur accablante, qu’après l’Occitanie, et de retour sur Lyon, la policière et son équipe sont envoyés sur une scène de crime des plus atroces. Cimetière de Loyasse, une mère retrouve le cadavre de son fils battu à mort, à proximité de la tombe d'un célèbre guérisseur : Maître Philippe, incarnation possible du célèbre et sulfureux Raspoutine.
Cette énigme posée, le ton est donné ; notre curiosité est piquée au vif ; les questions taraudent notre esprit en ébullition.
Comment se fait-il que ce soit cette dernière qui trouve le corps de son proche ? Était-ce prémédité, ou juste une simple coïncidence ?
Ensuite, comment l’homme, Benoit Daventure, a-t-il pu atterrir dans ce lieu alors que le cimetière était fermé ? 
Aussi perdus et perplexe que nos protagonistes , nous voici plongés, happés, enferrés au cœur d’une intrigue  complexe mais fascinante à la manière d’un puzzle funèbre, dont les pièces nous échappent et refusent de s’emboîter.
Les investigations démarrent laborieusement ; nos enquêteurs s’interrogent face aux circonstances de la mort, mais aussi aux comportements troublants de la respectée mais énigmatique famille Daventure. Ainsi, même si au premier abord, la matriarche et sa tribu paraissent« bien sous tous rapports », nos policiers vont très vite détecter des comportements, des agissements étranges et dysfonctionnels.
Par exemple, même si aucun ennemi apparent n’aurait été trouvé du côté du défunt, il semblerait que ce dernier soit adepte de pratiques sexuelles hors du commun. Ces goûts originaux, auraient-ils pu le mener à sa perte ?
Quant à la mère, comment expliquer que cette maman, pourtant si proche de ses enfants, si proche de Dieu, soit dans l’impossibilité de ressentir la moindre affliction à cette affreuse découverte, alors que  le corps de son enfant gît à côté d'elle ?
Comment se fait-il qu’elle préfère au contraire se recueillir et nettoyer la tombe de cette célébrité locale, réputé pour sa médecine exotique et ses capacités de médiumnité ?
Qui est donc ce Maître Philippe qu'elle idolâtre sans cesse ? Quels liens entretient-t-elle avec lui ?
Pourquoi s’en prend-on à cette prestigieuse famille ainsi qu’à ses membres ? règlement de compte ? Vengeance ?
Quelle horribles secrets ces gens peuvent-ils bien cacher ?
Opiniâtre est résolue, Nathalie, toujours accompagnée de Cyrille, son fidèle et charismatique coéquipier, vont œuvrer tambour battant pour faire jour sur cette affaire des plus complexes.
Pour autant, ont-ils vraiment pris conscience du dangereux bourbier dans lequel ils ont mis les pieds ?
Sa proximité et son empathie pour la jeune Romy ne va-t-elle pas entraver, ou pire, compromettre la résolution de ce dossier ?
Notre duo de choc parfaitement complémentaire devra faire preuve de ruse, de rigueur, de témérité, et surtout, savoir démêler le vrai du faux s’ils veulent toucher au but afin de résoudre cette épineuse affaire.
Leurs recherches les mèneront dans les méandre d’une société secrète pratiquant le Martinisme, sur les pas d’un hypothétique Raspoutine peu scrupuleux et prêt à toutes les vilénies pour parvenir à ses fins.
Une course haletante mélangeant légende lyonnaise, ésotérisme, références historiques, et secrets de famille au cœur de la belle ville de Lyon, qui, à elle seule, jouera l’un des rôles des plus importants de cette histoire.
Alors, réussiront-ils à rassembler et imbriquer toutes les pièces de ce puzzle tordu et macabre afin de découvrir la vérité ?
Dans ce récit addictif, tout le monde sera mis à rude épreuve. Des indices, des doutes ; des incertitudes, des fausses routes ; des manipulations et des mensonges de toutes sortes… Il sera difficile de défaire les nœuds de cette affaire sans y laisser quelques plumes.
Grâce à une écriture tantôt fluide et percutante, tantôt acérée et entraînante, nous faisons corps avec les personnages. Fort bien campés, attachants ou détestables, ils servent parfaitement le récit. Nous tremblons pour eux, apprécions leurs actions, ou condamnons certains de leurs comportements abjects… bref, l’immersion est totale. Les chapitres sont courts et rythmés. Les pages défilent à toute allure et on veut savoir, connaître le fin mot que nous a concocté l’auteur.
Entre mensonge et faux-semblants, de rebondissements en fausse piste, nous retenons ainsi notre souffle, et attendons l’explication du dénouement final, qui en surprendra plus d’un.
Retrouver Nathalie  fut un vrai plaisir. L’évolution de son personnage, l’incursion dans sa vie personnelle, le développement de cette autre facette de sa personnalité, apporte une véritable profondeur au récit. Hâte de voir, maintenant, comment l’auteur dans son prochain opus, va envisager la progression psychologique de son héroïne.
Vous l’aurez compris, j’ai beaucoup aimé ce thriller intense et bien rythmé, la plongée au cœur d’un univers méconnu et peu abordé, sans oublier la  qualité de l’intrigue et la manière dont elle a été menée.
Alors, si vous aimez les romans qui sortent des sentiers battus, de ceux qui vous secouent, vous glacent le sang ou vous révulsent tout en vous faisant réfléchir sur les travers de l’espèce humaine…. foncez, ce livre est fait pour vous ; vous passerez un excellent moment de lecture :pouceenhaut:  :

Ma note :

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Bonjour à tous :)
Ça faisait longtemps ^^ Mais aujourd’hui, il y a du nouveau 😁
Annonce de taille effectuée par Pierre-Etienne Bram (Auteur) @pebramauteur sur X (anciennement Twitter) concernant nos amis indépendants et leurs difficultés à trouver des salons qui les acceptent😓
Trouvé par ses soins, voici donc un lien non exhaustif regroupant les dates et les lieux qui font exception et où un AE peut proposer ses ouvrages en salon 👍
Merci à lui pour ce partage que je relaye, et bonne découverte 💡
https://blog.bod.fr/promouvoir/evenements-salons-du-livre/
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Avis : auteurs auto-édités / C. 19 de Jean-Claude Michot
« Dernier message par Antalmos le ven. 12/01/2024 à 07:51 »
Intrigue originale de Jean-Claude Michot, inspiré par les événements de 2020, d'où le titre, et dont on ressort après lecture, rassurés que ce n'est qu'une fiction. Mais ne dit-on pas que la réalité dépasse souvent la fiction ? Alors un bon conseil ne sera pas de trop : si vous trouvez une clé USB, laissez-là où elle est, ça vaut mieux. C'est ce qu'aurait dû faire Max qui menait une vie tranquille jusque-là avec Estelle, et qui, en prenant connaissance du contenu de la clé, à ouvert la boîte de Pandore. Leur vie est désormais en danger.  Une puissante organisation répartie dans le monde est prête à tout pour récupérer la fameuse clé et éliminer toute personne mettant en péril leur funeste projet pour l'humanité. Et voilà notre couple parti sur les routes pour tenter d'échapper aux tueurs lancés à leurs trousses. Comment tout cela va finir ? Je vous laisse le découvrir en lisant ce court roman (ou longue nouvelle) où un dénouement inattendu, surprenant même, vous attend.
Le style fluide de l'auteur, sans prise de tête, entrant rapidement dans le vif de l'histoire, des événements qui s'enchaînent très vite avec de jolies descriptions sur les lieux visités par les différents protagonistes, une tension maintenue jusqu'au bout, concourent au plaisir de lecture. Bravo à l'auteur.
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Mise en avant des Auto-édités / Mordue de Florian Gautier
« Dernier message par Apogon le jeu. 21/12/2023 à 17:26 »
Mordue de Florian Gautier



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Extrait Roman Mordue

Les choses étaient allées si… vite. Je peinais à vraiment réaliser ce qui se passait, et plus encore à y croire. Pourtant…  Ses lèvres si douces et délicieuses collées aux miennes, son corps ondulant légèrement contre le mien… Et son parfum, enivrant, entêtant… Était-elle réellement là, avec moi ? Ou n’était-ce qu’un rêve ? Ou une hallucination provoquée par l’alcool ? Toute cette soirée me paraissait tellement… irréelle.
Des amis m’avait invitée à une fête. Mais, rapidement, ils m’avaient délaissée pour aller draguer à droite à gauche, me laissant seule dans mon coin. Je ne leur en voulais pas, j’y étais malheureusement habituée. Mais je me demandais toujours pourquoi ils m’invitaient et surtout, pourquoi j’acceptais. Une soirée seule, je pouvais aussi bien la passer chez moi, devant ma télé. Je laissai mon regard errer parmi les invités, accoudée au bar (qui avait un bar chez lui?), en sirotant mon verre. Beaucoup de couples se formaient dans ces soirées, la plupart éphémères, sans lendemain. Contrairement à mes amis, ce n’était pas vraiment ma tasse de thé. Oh, bien sûr, je m’étais déjà laissée tenter par ces expériences sans lendemain, et à plusieurs reprises. Mais ce n’était pas vraiment ce que je cherchais. J’avais une âme plus… disons plus romantique. J’avais le désir de nouer quelque chose, de ressentir un sentiment si fort que j’en serais transportée ! Simple, pas vrai ? Les rêves d’une jeune fille qui n’y connaissait rien surtout. Si l’on écartait les plans culs, mes relations n’avaient jamais été réellement longues ni même intenses ou encore véritablement sincères. Tout au plus des atermoiements d’adolescents, et encore. Mes connaissances en amour venaient surtout de la culture populaire : livres, séries, films, jeux… En d’autres termes, c’était limité et fortement fantasmé, notamment sur l’idée de coup de foudre et d’amour véritable. Alors, forcément, mes relations ne duraient pas. Je finissais toujours laissée sur le bas-côté, par manque d’implication, d’un côté comme de l’autre. Un peu ce que je vivais avec mes amis en quelque sorte…
Je vidai un autre verre, étouffant un soupir. Peut-être que j’allais me laisser tenter par un plan cul pour la soirée… à condition que quelqu’un veuille de moi.
Je balayai une fois de plus la salle du regard, sans vraiment y croire, et me figeai en rencontrant le sien. C’était une femme d’une beauté… surnaturelle, à m’en faire rater un battement de cœur. Elle avait une présence marquante, un charme plus qu’évident. Son visage était fin, ses lèvres sensuelles, ses cheveux argentés, sa peau blanche et sans le moindre défaut apparent… mais ce qui marquait le plus était ses yeux : Ils luisaient d’un éclat rougeoyant et hypnotique. Tout chez elle semblait idéalement proportionné, une forme de… beauté parfaite, de perfection incarnée qui me laissa le souffle coupé. Et bien sûr, tous les regards ou presque étaient tournés vers elle, suivaient chacun de ses pas. Comment aurait-il pu en être autrement ? Elle attirait littéralement les regards. Un certain nombre de prétendants gravitait déjà autour d’elle et d’autres se levaient pour tenter d’engager la conversation, d’attirer son attention. Son regard, captivant et qui n’avait pas lâché le mien durant de longues secondes, m’abandonna finalement pour se tourner vers ses aspirants. Je me détournai à mon tour, la gorge sèche et bus une nouvelle gorgée de mon verre, essayant de reprendre mes esprits. Aborder quelqu’un m’était déjà difficile en temps normal, mais alors elle, même déchirée, j’en serai incapable ! Et j’étais loin de l’être. Juste un peu plus… pompette qu’il ne faudrait. Je jetai un nouveau coup d’œil dans sa direction. Je ne la voyais même plus à travers la foule. Elle avait certainement dû trouver chaussure à son pied. Ce genre de créature ne restait jamais longtemps seule. Je secouai doucement la tête, partagée dans mes sentiments. C’était ridicule. Je n’aurais pas franchi le pas, même si elle était venue jusqu’à moi. Je n’aurais pas osé. Alors, pourquoi est-ce que j’avais l’impression d’avoir laissé passer ma chance ? Je repris mon verre, le portai à mes lèvres quand un visage apparut devant moi, me faisant sursauter et avaler de travers. Une quinte de toux me gagna et je le posai précipitamment, le souffle court. Sa main vint tapoter dans mon dos et sa voix résonna autour de moi.
— Bah alors, bah alors ! Doucement.
Je continuai de tousser et cracher, peinant à reprendre mon souffle. Putain, j’avais manqué m’étouffer ! Je la regardai alors et la dévisageai sans un mot, figée. Elle était là… Juste devant moi. Elle était là et elle me souriait. À moi. Son regard directement plongé dans le mien. Un regard si… intense, fascinant, attirant, que j’en avais le souffle coupé. Je déglutis et continuai à la dévisager, sans bouger, sans oser y croire. Son sourire s’élargit. Elle attrapa ma main, l’amena à son visage pour me le faire toucher. Un frisson me traversa et je sentis mes lèvres s’entrouvrir, ma langue battre entre mes dents.
— Je suis bien réelle. Rassurée ?
Confuse, je retirai aussitôt ma main.
— J-je n’en doutais pas ! (bafouillai-je.)
Mais pour qui devait-elle me prendre à la dévisager ainsi ? J’étais certaine d’être devenue rouge pivoine en plus d’avoir affiché un air idiot.
Elle rit doucement.
— Tu es craquante. (me dit-elle.)
Là, c’était sûr, j’étais devenue pivoine.
Craquante… ? Est-ce qu’elle était sincère ? Ou se moquait-elle de moi ?
— Je… M… Merci ? (parvins-je à bredouiller mollement.)
Elle rit de plus belle.
— De plus en plus craquante.
Je ne savais plus où me mettre, n’osais plus la regarder. Sa main caressa ma joue, m’invita à me tourner vers elle, à croiser son regard.
— Je suis venue là pour contempler ce joli minois à loisir, alors regarde-moi s’il-te-plaît.
Et je le fis, soutenant son regard malgré mon cœur qui n’avait de cesse de tambouriner toujours plus fort dans ma poitrine, accentuant mon stress, à m’en donner une légère nausée. Et pourtant, plus les secondes passaient et plus je me détendais. Je perdais petit à petit conscience de ce qui nous entourait, tant du bruit que des gens. Il n’y avait qu’elle, son sourire, son regard. J’étais comme happée par ses yeux, hypnotisée par leur beauté… irréelle. Et très vite, nos lèvres s’effleurèrent… avant de fusionner.
J’enroulai mes doigts dans ses cheveux, quelque peu haletante, enivrée de ses baisers, de ses caresses. Avant même que je m’en rende compte, nous avions quitté la fête pour nous retrouver seules et loin de tous regards indiscrets dans la petite ruelle qui longeait la maison. Sa tête disparaissait dans mon cou, ses lèvres glissaient sur ma peau. Je n’étais même pas capable de dire comment nous étions arrivées là. Comme si ce premier baiser que nous avions échangé avait pris le pas sur nous, notre raison, jusqu’à nous amener ici. J’ignorais tout d’elle. Bordel, je ne connaissais même pas son nom ! Et… je m’en foutais éperdument. J’étais plongée dans l’instant, soupirant à chaque fois que ses lèvres se pressaient contre ma peau, profitant de purs moments de volupté. Je n’avais jamais rien ressenti de tel avec qui que ce soit. Ils étaient promesses de milles délices auxquels je succombais sans retenue. Mes mains se perdaient dans ses cheveux, appuyaient doucement contre son crâne, l’incitant à poursuivre ses œuvres. Ma tête partait sur le côté pour lui offrir mon cou tout à loisir, rythmant ses attentions de soupirs équivoques qui semblaient l’encourager à poursuivre avec toujours plus de sensualité. Sa langue dansa sur ma peau, la taquina avant que ses lèvres ne poursuivent. C’était si bon… Parfois, elle pinçait la peau dans sa bouche et il m’arrivait de sentir ses dents racler. Je m’étais attendue à avoir mal, mais en fait, c’était loin d’être désagréable. Bien au contraire même. Cela rendait la zone plus sensible, m’arrachant moult frissons qui ne faisaient que s’accentuer quand ses lèvres revenaient me picorer avec douceur. Elle était… plus que douée. J’étais déjà totalement charmée, à sa merci et elle le savait, s’amusant avec moi, comme un prédateur avec sa proie. Mes mains se pressaient contre sa tête, tentaient de la guider, mais elle n’en avait cure. J’étais sa chose, soumise à son bon vouloir et elle en jouait sans retenue faisant monter aussi bien ma frustration… que mon excitation. Et j’adorais ça. Je me pinçais les lèvres avec délices, mon cou devenu si sensible que le simple effleurement de sa bouche suffisait à me faire perdre pied, me faire gémir de plaisir.
Un gémissement… qui se transforma en un petit cri quand ses dents se plaquèrent une fois encore contre ma peau, la taquinèrent. Le pincement s’accentua et un grondement se fit entendre. Alors, une douleur explosa dans mon cou et un liquide chaud coula et imprégna ma peau. Je tentai maladroitement de me débattre, par pur réflexe, mais j’en étais incapable. Ses bras étaient plaqués dans mon dos, ses mains refermées sur mes épaules et elle me maintenait bien droite, fermement, avec une sacrée poigne. Presque tout mouvement m’était interdit et je ne pouvais qu’offrir mon cou tout à loisir. Mais qu’est-ce qui se passait ? Qu’est-ce qu’elle faisait ? Je gémis de plus belle, gagnée par une fatigue soudaine. Et… qu’est-ce qui m’arrivait ? Je commençais à avoir la tête qui me tournait, à me sentir groggy. La douleur demeurait présente mais perdait en intensité progressivement. Pourtant, je sentais toujours que quelque chose s’enfonçait dans ma chair. Mes doigts se crispèrent dans ses cheveux.
— Je…
La douleur revint brièvement, puis s’estompa, de même que le pincement et elle se recula. Je la regardai, le souffle court, quelque peu tremblante. Ses yeux scintillaient d’un éclat rouge et quelques gouttes de sang imprégnaient ses lèvres, roulaient sur son menton. Je portai une main à mon cou et ne pus contenir un frisson quand mes doigts se couvrirent d’un liquide poisseux, caressèrent le contour de deux trous. Elle essuya son menton d’un revers de sa main avant de la lécher, affichant un petit sourire en coin.
— Sucré.
Je… Un Vampire ?… La fille sur qui je venais de flasher, de passer ma soirée, d’embrasser, était… un Vampire ?…
Je sentis mes jambes tanguer et m’appuyai maladroitement au mur. De la sueur roulait sur mon front, piquait mes yeux.
— Qu’est-ce que…
Mes jambes fléchirent et je partis en avant, atterrissant directement dans ses bras.
— Houlà. Eh bah alors, on ne tient plus sur ses jambes ?
Je gémis pour seule réponse. Je me sentais de plus en plus faible, nauséeuse.
— Hm, il semblerait que j’y sois allé un peu trop fort.
Un peu trop fort… ?
Je voulus lui demander ce qu’elle entendait par là, mais ma bouche demeurait fermée, ma voix muette. Mes yeux se fermèrent… et puis…
— T’en fais pas, j’habite pas loin. On sera tranquilles.
Tranquilles… pour… en finir ?
Alors suivit la peur… et les ténèbres.
J’ouvris un œil, puis l’autre, la respiration légèrement haletante. J’avais le corps en nage et une vague douleur qui me titillait dans le cou. Je me redressai et cherchai à tâtons ma lampe de chevet. Divers objets tombèrent au sol presque sans un bruit. Il me fallut quelques secondes pour comprendre que c’était dû à un tapis. Je fronçai les sourcils, perplexe. Un… tapis  Depuis quand j’avais un tapis ? Parmi les objets tombés se trouvait mon téléphone. Je le récupérai et illuminai la pièce grâce au flash. Je restai songeuse quelques secondes. Je ne reconnaissais pas ma chambre. Je regardai autour de moi, puis m’attardai un moment sur le lit et les draps.
Ok. Je ne suis bel et bien pas dans ma chambre.
Mon cœur tambourina dans ma poitrine cependant que tous mes sens se mettaient en alerte.
Où suis-je ?
Je passai une main sur mon t-shirt…
Non, pas mon t-shirt. Bordel.
Je fis glisser mes jambes en dehors du lit, me levai quand la porte s’ouvrit. Deux yeux rougeoyants me fixaient dans la semi-pénombre. Je reculai, trébuchai contre le lit et m’y étalai de tout mon long avec un grognement.
— Enfin réveillée.
Je me redressai, tiquant à cette voix. C’était celle de…
La lumière s’alluma, chassant les ténèbres et m’éblouissant. Un visage envahit alors mon champ de vision et me fit sursauter.
— Encore ? (fit-elle, amusée.)
Je restai muette.
— Bien dormi ? Mon lit était confortable ? (me demanda-t-elle, toujours aussi amusée.)
— Je…
— Tu ne te souviens pas de moi ?
Je la dévisageai attentivement. Si. Je m’en souvenais. La fille à la soirée. Mais après ça…
— C’est un… effet secondaire. Ça arrive parfois, c’est rien. Ça va te revenir.
Elle s’assit sur le lit et je fis de même, continuant à la dévisager prudemment, perdue. Mon regard glissa sur ses lèvres et l’espace d’un instant, je crus me souvenir qu’elles avaient pressé les miennes… Non, c’était une certitude. Et ce seul souvenir m’arracha un frisson… plaisant. Ainsi qu’un début de migraine. Je me massai le front, continuant à fouiller ma mémoire, mes yeux se perdant à nouveau dans les siens. Oui, je me souvenais. Nous nous étions embrassées à l’écart de tout le monde. Ses lèvres s’étaient pressées dans mon cou et… Ma main se posa sur ma nuque pour y découvrir un pansement. Je me figeai. Mes doigts en cherchèrent les bords, tirèrent doucement dessus jusqu’à le retirer, mon regard toujours accroché à celui de mon hôtesse. Je découvris alors deux trous sur ma peau, frissonnai en en dessinant le contour.
— Alors… Tu te souviens ?
J’ouvris la bouche, mais aucun son n’en sortit et je me contentai de la dévisager, un rien tremblante.
Elle me souriait avec douceur, presque tendresse, mais il y avait quelque chose qui luisait dans ses yeux, comme une certaine… honte.
— Sache qu’habituellement… je ne mords pas le premier soir.
Je la regardai avec des yeux ronds. Mordue. Oui, c’était ça ! Elle m’avait mordue ! Mais alors, cela voulait dire que… Et comment ça, habituellement ? Est-ce que cela venait de moi, ou bien y avait-il une… allusion grivoise ?
— Je… Tu es… une Vampire ? (demandai-je enfin d’une voix rauque.)
— Oui.
Elle admettait ça si simplement ! Bordel !
— Et je… tu… m’as mordue…
— Oui. Mais pour ma défense… ton sang est délicieux.
Mes yeux s’écarquillèrent plus encore si c’était possible. J’avais l’impression qu’ils allaient jaillir de leurs orbites.
— Délicieux ?
— Et crois-moi, ce n’est pas le cas de tout le monde. Certains ont un sang absolument dégoûtant.
Je déglutis. Est-ce qu’elle croyait me faire… un compliment ?
— Donc… tu es… une Vampire.
— Oui.
— Mais… tu ne mords pas le premier soir ?
Elle rit.
— J’essaye d’éviter, ce n’est pas forcément la meilleure chose à faire.
Mes pensées étaient confuses et j’avais un peu de mal à saisir ce qu’elle me disait, plus encore à déterminer si elle était sérieuse ou si elle se moquait de moi.
— Alors… quoi ? Tu le fais… au second soir ?
— Ça dépend. (répondit-elle avec un air taquin et un regard pétillant d’amusement.)
Je déglutis.
— Et… après tu… les dévores ?
— Dévorer ? Oh, voyons. Je ne prends qu’un peu de sang. Même si… j’en ai pris un peu beaucoup avec toi. Il était si délicieux que je me suis un peu laissé aller.
Je me redressai en grimaçant, la tête me tournant encore un peu.
— Tu essayes de me dire… que ce n’était pas volontaire ?
— Pas entièrement.
Je me passai une main sur le front, essuyai la sueur qui continuait d’y perler.
— Et… quand ça va le devenir, tu vas me…
Elle me dévisagea.
— Je vais te ?
Je déglutis de nouveau, me passai la langue sur les lèvres.
— Me tuer ?
Ses yeux s’étrécirent.
— Te tuer ? Pour quoi est-ce que tu me prends au juste, un monstre ?
Je restai interdite devant son accès de colère.
— Tu es… une Vampire, non ?
— Et ? Je ne tue pas les gens. Pourquoi faire ? Et puis, c’est du gâchis.
— D… du gâchis ?
— Bien sûr ! Un mort ne fabrique plus de sang.
J’en restai bouche bée, incapable de trouver quoi répondre à ça. Oui, évidemment, ça se tenait, mais…
Je me raclai la gorge pour tenter de reprendre mes esprits.
— Cela veut-il dire que… je suis ta… ta prisonnière ?
— Ma prisonnière ? Oh non, pas du tout ! Enfin, si tu veux que je t’attaches, on peut s’arranger, mais… Non, je ne t’ai pas ramenée ici pour ça. Tu ne tenais plus debout, c’est tout et comme je n’habitais pas loin…
Elle me sourit. Je me léchai les lèvres, inspirai, un rien fébrile.
— Donc, si je voulais partir…
— Tu peux partir quand tu veux.
Je la dévisageai, cherchant la moindre trace de moquerie dans son regard, sur son visage mais n’en vis aucune.
— Je… je ne comprend pas.
Elle me dévisagea, souriant avec douceur.
— Tu ne comprends pas quoi ?
— Tu… tu es une Vampire. (Elle hocha la tête.) Et moi une humaine. (Encore une fois, elle acquiesça.) Et tu te nourris de sang… Mais tu ne vas pas me tuer ni me maintenir captive ?
— Non, c’est exact.
Une autre question me brûlait les lèvres mais j’hésitais à la poser. C’était peut-être jouer avec ma chance… Mon cœur battait à tout rompre dans ma poitrine, me rendant légèrement tremblante. Je pris une inspiration, expirai lentement.
— Mais… Mais pourtant, dans les films… les Vampires…
Elle fit claquer sa langue, amusée, puis leva les yeux au ciel d’une façon légèrement théâtrale.
— Ah, les films. (dit-elle avec ironie.) Il ne faut pas croire tout ce qu’on voit à la télévision, ma chère. Les Vampires ne sont pas des monstres sanguinaires ! Enfin, pour la plupart. Ça dépend lesquels… Pour ma part, je préfère de loin mordre des personnes consentantes. (fit-elle avec une certaine fierté avant d’ajouter, d’une voix moins forte et plus hésitante.) Du moins, habituellement.
Je restai silencieuse un instant, absorbant ce qu’elle me disait, les yeux baissés, songeuse.
— Donc… je suis libre ?
— Oui. (répondit-elle, patiente.)
Je triturai mon t-shirt, un peu nerveuse et remarquai à nouveau qu’il ne m’appartenait pas.
— Et ça ?
— C’est à moi. Le tien était un peu poisseux. Mais ne t’en fais pas, je sais comment retirer le sang, il sera comme neuf !
— D’accord… (dis-je, toujours confuse.)
J’avais du mal à réaliser. Tout ça me paraissait complètement… dingue ! Surréaliste ! Une Vampire… qui disait ne pas tuer les gens et… Mais alors…
— Est-ce que… je vais… me transformer ?
Elle me sourit et secoua la tête.
— Non. Enfin, je ne peux pas être totalement catégorique, oui, la possibilité existe, mais… Les chances pour que la simple morsure puissent transmettre le vampirisme sont quasi nulles. Ça doit arriver…boarf, à peine une fois par décennie ? En moyenne. Et encore.
— Mais… je croyais que les Vampires se créaient par morsure…
— Encore dans les films, hein ? (fit-elle avec un petit rire.) Bien sûr, ce n’est pas impossible. Mais, sauf cas exceptionnels, ça n’arrive pas avec une simple morsure. Notre salive ne transmet pas bien le vampirisme. Sinon, il suffirait d’embrasser quelqu’un pour risquer de le transformer. Mais en imprégnant sa bouche et surtout ses canines de sang…
Oui, le sang. C’était logique. Je massai mon cou, perdue. Elle se rapprocha de moi et je frémis inconsciemment.
— N’aie pas peur. Je ne veux pas te faire de mal.
Pas me faire de mal ? Parce qu’elle croyait que la morsure était agréable ?
Je me tordis vaguement pour m’éloigner.
— Tu me veux quoi ? (demandai-je tout bas.)
Ses lèvres s’étirèrent en un sourire d’une infinie douceur, que je devinais pleinement sincère. Et que je trouvais… très mignon.
— Je sais pas. Je m’ennuyais, je t’ai vue et… je t’ai trouvée mignonne. Je voulais qu’on passe un peu de bon temps ensemble. J’avais pas prévu de te mordre, pas comme ça en tout cas.
— Pas comme ça ?
— Pas dans ce genre de circonstances.
— Alors pourquoi l’avoir fait ?
— C’était plus fort que moi. Je sentais ton sang couler dans tes veines. Il battait contre mes lèvres. Et son odeur… emplissait mes narines, me faisait tourner la tête. Couplé à l’excitation, et au fait que tu me faisais tourner la tête aussi… Je n’ai pas pu résister.
Je ne savais pas vraiment comment réagir à sa confession. Horrifiée ? En réalité, je trouvais ça… mignon. Et terriblement sensuel. Je devais être folle !
Je me léchai les lèvres.
— Et… si tu n’avais pas… perdu le contrôle, comment ça se serait passé ?
Son sourire s’élargit et l’étincelle dans ses yeux brilla avec plus d’intensité.
— C’est toi qui m’aurais suppliée de te mordre.
— Su-suppliée ?
Elle hocha la tête sans me quitter des yeux, amusée par ma gêne manifeste.
— Tu n’as pas idée du nombre de femmes qui m’ont déjà suppliée de le faire.
Je tiquai à cette dernière phrase et me raclai la gorge, mal à l’aise.
— Alors ce n’est que ça. Un simple jeu. Une humaine après l’autre.
— Oh, mon chou, que tu es cruelle. À t’écouter, je ne suis qu’une jeune femme frivole, une vulgaire coureuse de jupons, intéressée uniquement par le sexe et sa gorgée de sang avant de s’en aller.
— N’est-ce pas le cas ?
Elle fit claquer sa langue et détourna les yeux. Elle semblait légèrement irritée et… confuse.
— Ce n’est pas aussi binaire. (fit-elle un peu sèchement.)
Je l’observai en silence quelques instants, un peu perdue par sa réaction.
— Quand tu es venue vers moi… quand tu m’as parlé, j’ai cru que… Je me sentais spéciale. La plus belle fille de la soirée qui s’intéressait à moi… (Un sourire mélancolique se dessina sur mes lèvres.) Mais non. Moi ou une autre, c’est pareil.
Elle se tourna vers moi, les yeux plissés.
— Ah, tu crois ça ?
— Demain ou dans quelques jours, il y en aura une autre, n’est-ce pas ? Je suis sûre que tu m’auras déjà oubliée.
Elle se rapprocha de moi, son regard rivé au mien.
— Non. Si je suis venue à toi, c’est parce que tu es la seule à avoir capté mon attention parmi tous les autres. La seule.
Je déglutis.
— Et combien d’autres ont capté ton attention avant moi ? Combien d’autres le feront après ?
Elle ne répondit rien. Après tout, il n’y avait rien à répondre. Ce n’était que vérité, nous le savions l’une comme l’autre.
Le silence s’étirait entre nous. Après une hésitation, je penchai la tête sur le côté, décalai mes cheveux, lui donnant libre accès à mon cou.
— C’est ce que tu veux, pas vrai ? Alors vas-y. Sers-toi.
Je n’étais même pas sûre de comprendre pourquoi je lui faisais une telle proposition, mais je gardai la pose, attendant son bon vouloir. Ses yeux ne lâchèrent pas les miens. Sa main vint se poser sur ma joue et je ne pus m’empêcher de frémir à ce contact. Son pouce glissa sur mes lèvres, s’engouffra entre et ma langue le frôla avant de battre en retraite, mue par une réaction inconsciente. Elle se rapprocha peu à peu de moi, de mon cou. Je pris une inspiration, me préparant mentalement au pincement qui viendrait, à la douleur.
Ses lèvres n’avaient de cesse de se rapprocher, envahissant peu à peu mon champ de vision, m’interdisant de regarder autre chose, d’y échapper. Elle m’invita, doucement mais fermement, à relever la tête.
— Non, ce n’est pas ce que je veux.
Et alors, nos lèvres s’unirent, dans un long et tendre baiser. Une larme roula sur ma joue. Elle se rapprocha encore, se colla contre moi et rapidement, je me retrouvai plaquée contre le lit. Son corps se pressait contre le mien cependant que son baiser se faisait fougueux. Sa langue dansa sur mes lèvres. Une part de moi avait envie de la sucer. Mais je n’en fis rien, confuse dans mes désirs et la regardai, soumise. Ses lèvres capturèrent les miennes une fois encore dans un baiser torride. Dans le même temps, sa main glissa sous le t-shirt et ses doigts caressèrent la peau de mon ventre, remontèrent pour s’emparer de mes seins, l’un après l’autre. Un frisson me traversa quand elle titilla mes tétons déjà durs et dressés. Un large sourire se dessina sur ses lèvres. Son autre main épousa la mienne, la serra tendrement. De la première, elle remonta le t-shirt, dévoilant mon corps à son regard. Sa bouche descendit sur mon torse, le parcourut avec douceur, m’arrachant frissons et soupirs. Sa langue s’y ajouta, et bientôt, ses crocs firent de même, dansant autour de mes tétons, les chatouillant tout en les lapant. Je laissais échapper des gémissements à chaque coup de langue, chaque baiser, chaque prise en bouche tant ils étaient sensibles, tant l’excitation grimpait en moi. L’espace d’une demi-seconde, je me pris à l’imaginer mordre mes seins pour se nourrir et je frémis à cette idée, à la douleur que cela provoquerait. Mais elle n’en fit rien et après quelques minutes à jouer avec mes seins, sa bouche reprit sa descente le long de mon ventre, et chaque baiser qu’elle y déposa me fit frisonner de plus belle. Finalement elle s’arrêta sur ma culotte. Ses yeux croisèrent une nouvelle fois les miens. Un regard profond, intense, dévorant. Le bruit du tissu qui se déchire résonna et mon intimité se retrouva à découvert. Ses yeux ne me quittèrent pas une seconde cependant que son visage descendait lentement entre mes jambes. Je me redressai même pour maintenir ce contact visuel et vis son sourire un instant avant que sa bouche ne se dérobe à ma vue, fusionnant avec mes lèvres du bas. Elle embrassa tendrement mon intimité, suçota mes lèvres, m’arrachant un soupir de délice. Son regard demeurait accroché au mien et une lueur amusée dansait dans ses yeux. Sa langue lapa ma fente avec lenteur, comme pour jouer avec mes désirs, me tester, me goûter. Parfois, elle remontait vers mon clitoris, tournait autour, à m’en rendre tremblante, avant de redescendre entre mes lèvres et de les lécher. Mon impatience ne cessait de croître, mon regard était devenu suppliant et je notais l’espièglerie dans le sien.
— Demande… (dit-elle dans un murmure avant de reprendre ses coups de langue.)
Je me pinçai les lèvres, ce simple mot faisant monter plus encore mon excitation ainsi que ma frustration née de l’impatience.
— S’il-te-plaît…
Pour réponse, elle continua de me titiller. Je gémis. Ça devenait une torture…
— Lè… Lèche-moi… (l’implorai-je.)
La joie brilla dans son regard et alors sa langue lapa mon clitoris. D’abord doucement, comme une caresse, un baiser, tout en sensualité. Puis le rythme changea pour se faire plus rapide, plus torride ! Sa langue descendit entre mes lèvres, me pénétra, m’arrachant un nouveau gémissement, avant de revenir sur mon clitoris et elle le refit, encore, encore et encore, sans jamais me lâcher de son regard lubrique, gorgé de désir. Le plaisir me traversait par vagues, plus nombreuses à chaque coup de langue, plus puissantes, plus intenses ! Submergée, j’en vins à briser ce contact visuel qui nous unissait, ma tête partant en arrière cependant qu’un cri s’échappait de mes lèvres, d’extase. Ma main libre se perdit dans ses cheveux, mes doigts s’y enroulèrent, pressèrent son crâne pour la guider. Sa langue abandonna ma fente sous mon impulsion pour se concentrer exclusivement sur mon clitoris. Ses doigts me pénétrèrent alors, allant et venant en moi, m’arrachant de nouveaux gémissements qui s’ajoutaient aux autres. J’appuyai toujours plus sur son crâne, folle de désir, de plaisir. Et elle continuait de me lécher, de me doigter, sans ralentir, bien au contraire, à m’en faire perdre pied.
Mes doigts se crispèrent sur son crâne, dans sa main et des spasmes traversèrent tout mon corps. Je regardai le plafond, haletante. Ses doigts délaissèrent mon intimité, sa langue mon clitoris. Ses lèvres m’embrassèrent encore une fois, puis elle remonta vers mon visage. Son sourire envahit mon champ de vision. Un sourire heureux, fier, satisfait. Elle m’embrassa. Un baiser empli de douceur, de tendresse, auquel je m’abandonnai entièrement. Puis, elle caressa mes lèvres de son pouce, dessinant le sourire que j’arborais.
— Voilà. (souffla-t-elle.) C’est exactement ce que je voulais. Voir un ce sourire et en être à l’origine.
Sa déclaration me fit monter le rouge aux joues et la fit sourire de plus belle.
— Craquante.
Finalement, elle se laissa tomber à mes côtés. Son bras passa dans mon dos et elle m’attira à elle dans une douce étreinte. Nos deux mains étaient demeurées liées tout du long et le restaient encore. Je laissai reposer ma tête contre son sein, fermai les yeux, bercée par sa respiration, mon sourire s’étendant encore. Elle devait avoir dit ce genre de choses à pleins d’autres femmes avant… Et pourtant, je ne pouvais m’empêcher d’apprécier ces mots, de me sentir flattée. Car en cet instant, c’était à moi qu’ils étaient destinés, car en cet instant, j’étais la femme dans son lit, dans ses bras, lovée contre elle. Et je m’y sentais bien. Incroyablement bien. Pourtant… je ne connaissais rien d’elle. Ni son âge, ni ses hobbies, ni même… son nom. Connaissait-elle le mien ? J’en doutais. Mais en cet instant, seule notre étreinte comptait, la douceur de l’instant. C’était si agréable que j’en venais à oublier tout le reste.
À mon réveil, je découvris, non sans une certaine déception, que j’étais seule dans le lit. Et, l’espace d’un instant, je me demandai si je n’avais pas rêvé tout ce qui s’était passé. Mais non, je savais qu’il n’en était rien. Ce lit n’était pas le mien, pas plus que la chambre. Je m’étirai avant de me lever, avançant à pas feutrés dans cet appartement inconnu. J’espérais la surprendre. Était-elle en train de faire à manger ? L’absence d’odeur de nourriture dans l’air me fit écarter cette hypothèse. Puis, je me souvins que c’était une Vampire. Elle se nourrissait de sang. Pas vraiment ce qui apportait le meilleur fumet dans l’air. Avait-elle seulement besoin de manger ? Il n’y avait pas le moindre bruit alentour non plus et je fronçai les sourcils, perplexe. Je m’aventurai dans le couloir, passai de pièce en pièce, sans jamais l’entendre ou la voir. Après avoir fait une fois, puis deux le tour de l’appartement, je dus me rendre à l’évidence, elle n’était pas là. Cette constatation alluma des alarmes dans mon crâne. Où était-elle ? Allai-je la revoir ? Étais-je vraiment chez elle ou… ? Je retournai dans la chambre, un rien affolée par ces questions et allais pour attraper mon téléphone quand je remarquai un papier collé dessus. Un post-it. J’allumai la lumière.
«  Je suis sortie faire une course, je reviens dans peu de temps. Fais comme chez toi. »
Ces mots, ces simples mots suffirent à faire voler en éclats mes craintes et à me soulager. Je me surpris même à sourire tendrement en relisant le message. Alors qu’il n’avait rien de particulier ni même de mignon. Je secouai la tête, le décollai de l’écran pour le recoller au dos avant de me rhabiller et d’aller dans le salon. Je l’englobais du regard. Cet appartement était… fonctionnel. Et relativement vide. Il n’y avait pas ou peu de décorations, ce qui lui donnait un aspect plutôt impersonnel, comme s’il ne s’agissait que d’un lieu de passage et non de vie. Pas de photos visibles sur les meubles, de plantes, de sculptures, et aucun tableau accroché aux murs. Murs qui étaient d’ailleurs tous d’un blanc cassé générique. Soit elle n’avait aucune personnalité, soit la décoration n’était pas son truc. Ou elle s’en fichait. (Et je ne pouvais pas dire qu’elle était dénuée de personnalité, clairement pas!)
Mon estomac grogna, comme pour mettre un terme à mon observation. Après une hésitation, je me rendis dans la cuisine et ouvris le frigo. Je m’étais attendue à y trouver des poches de sang. À n’y trouver que ça même. Mais en fait il n’y en avait qu’une seule et pourtant, le frigo était loin d’être vide. J’en déduisis donc qu’elle avait bel et bien besoin de manger. Ou du moins qu’elle pouvait le faire. J’attrapai une salade de carottes râpées puis une fourchette et allai m’asseoir pour manger. À la première bouchée, j’entendis une porte s’ouvrir, puis se refermer dans un bref claquement. Elle arriva dans la cuisine après quelques secondes et un sourire illumina son visage en me voyant. Un sourire qui me fit fondre.
— Ah, réveillée. Bien dormi ?
J’avalai ma bouchée en toute hâte.
— Divinement. (dis-je.) Et toi ?
À peine avais-je posé la question qu’une autre traversa mon esprit : Avait-elle seulement besoin de dormir ?
— Oui, j’ai bien dormi.
Voilà qui répondait à ma question.
— Alors, comme ça on dévalise mon frigo ?
Je la dévisageai, un rien confuse.
— Je… tu m’avais laissé un mot pour me dire de faire comme chez moi, alors…
Elle rit.
— Je te taquine. Mais du coup, je vais devoir tout manger toute seule… (fit-elle avec un sourire en coin.)
 Elle sortit de derrière son dos un sac que je n’avais même pas remarqué et le posa sur la table.
Je l’interrogeai du regard, un rien sceptique avant de me pencher pour découvrir le contenu. Des… Sushis !
— Oh ! J’adore !
— Ah oui ? Quelle magnifique coïncidence…
J’avais pleinement conscience qu’il y avait là un sous-entendu mais je ne relevai pas, mon attention entièrement tournée vers ces boîtes et leurs contenus qui me mettaient en appétit. Je regardai ma salade. Puis le sac. Puis ma salade… avant de la pousser sur le côté. Elle rit, plongea sa main à l’intérieur avant de me tendre un plateau que j’acceptai avec gratitude. Elle en prit un autre, puis jeta le sac par terre avant de s’asseoir en face de moi. Elle ouvrit sans attendre son repas et je l’imitai. Sushis, makis, sashimi, et même des yakitoris ! J’en avais l’eau à la bouche. Par quoi allais-je commencer ?
Un maki pénétra dans mon champ de vision, entouré de deux baguettes. Je relevai la tête en les suivant du regard pour croiser celui de la Vampire. Elle me sourit et me fit signe de manger. Elle me donnait la béquée… J’ouvris la bouche, le rouge me montant aux joues. Elle l’y introduisit lentement, précautionneusement, s’amusant à effleurer mes lèvres avant de le lâcher sur ma langue. Je croquai dedans, le savourai sous son regard. Elle semblait ravie.
— Alors ?
— C’est bon. (dis-je dans un murmure.)
Elle en prit une bouchée à son tour et acquiesça. Oui, ils étaient bons. Pas les meilleurs que j’avais goûtés, mais très bons quand même !
Le repas terminé, elle débarrassa la table, refusant mon aide. Puis elle revint s’asseoir face à moi et plongea une nouvelle fois son regard dans le mien, me troublant, comme à chaque fois.
— Alors… J’ai rattrapé ma petite bourde de l’autre soir ?
Je rougis encore plus et acquiesçai.
— Oui…
— Tant mieux. Je peux regarder ?
Inutile de demander de quoi elle parlait. Je penchai la tête sur le côté, dévoilant mon cou. Elle se leva, fit le tour et retira le pansement.
— Il ne devrait plus y avoir de trace demain.
— Vraiment ?
— La salive des Vampires a un pouvoir cicatrisant. Ça aide beaucoup.
— Tant mieux. Je préfère éviter les questions gênantes au boulot demain.
Elle me dévisagea, pensive.
— Tu ne travailles pas le lundi ?
— Bien sûr que si, pourquoi ?
— Parce qu’on est lundi.
J’ouvris des yeux ronds.
— Quoi ?! Mais comment c’est possible ?
J’attrapai mon téléphone pour vérifier la date. Nous étions bien lundi. Bordel !
Elle se passa un doigt sur la joue, songeuse, peut-être un peu… gênée.
— Pour faire simple… tu as beaucoup dormi.
— M-mais quand même… à ce point-là ?!
— Oui. (dit-elle simplement.)
Je me pris la tête entre les mains.
— Oh bordel. Et j’ai même pas prévenu. Je vais me faire remonter les bretelles moi… (Je soupirai.) J’aurai dû leur donner mon numéro de portable au lieu du fixe. (Je restai silencieuse un instant.) Mais… et mon réveil ?
— Je l’ai coupé.
— Quoi ?! Mais pourquoi ?
— Ça t’aurait réveillée. (dit-elle le plus simplement du monde.)
Je la dévisageai, décontenancée.
— C’est le principe !
— C’est une façon très désagréable de se réveiller, plutôt mauvaise pour la santé, sans parler du bruit qui est épouvantable.
Je restai muette devant cette réponse sidérante. Elle retourna s’asseoir et je secouai la tête pour me remettre les idées en place.
— Et toi alors ?
Elle haussa un sourcil.
— Moi quoi ?
— Tu ne travailles pas le lundi ?
Elle rit.
— Un travail ? Quel ennui.
— Ça dépend du travail, non ?
— Le tien te convient ?
Je me pinçai les lèvres.
— Il faut bien gagner sa vie. Comment gagnes-tu de l’argent, toi ?
Elle haussa les épaules.
— Je fais comme les banquiers et les actionnaires.
— Tu touches des dividendes ? (demandai-je en haussant un sourcil.)
— Non, je vole l’argent des autres.
Je la regardai avec des yeux effarés.
— Quoi ?
— Oh, ne t’en fais pas, je ne vole pas les gens comme toi. Je ne vole que ceux à qui ça ne manquera pas. Les cinquante euros de ton porte-monnaie ne m’intéressent pas.
J’étais complètement éberluée par son aveu. Attendez une seconde… Cinquante euros ? J’attrapai mon sac pour récupérer mon porte-monnaie, l’ouvris pour y découvrir un seul et unique billet de… cinquante euros. Soit elle avait des dons de visions, soit…
— Mais tu as fouillé mes affaires !
— Par acquis de conscience. (dit-elle avec un sourire narquois.)
— Ça ne me fait pas rire !
— Bon. Pour tout te dire, je me suis souvenue en me réveillant que je ne connaissais même pas ton prénom. Alors j’ai regardé dans tes affaires si je ne trouvais pas une carte d’identité, un permis, un passeport ou quoi que ce soit d’autre. C’est tout. Et donc, j’ai regardé dans le porte-monnaie.
Je plissai les yeux, un peu méfiante quand même.
— Tu m’annonces que tu es une voleuse et que tu as fouillé dans mes affaires… Tu m’excuseras si je ne suis pas rassurée !
Son sourire s’élargit en réponse et… il me faisait son petit effet, encore une fois ! Rah !
— Alors, je t’écoute ! C’est quoi mon prénom ?
Elle battit des paupières.
— Amara.
Exact. Elle affichait un petit air des plus satisfaits. Et ça lui allait comme un charme en plus !
— Et toi, tu connais le mien ?
Oups… Je me pinçai les lèvres et cela la fit rire.
— Je crois… qu’on a sauté quelques étapes. (marmonnai-je.)
— C’est vrai. Je plaide coupable.
Elle se leva, fit à nouveau le tour de la table, puis me tendit la main. Je la considérai un instant avant de la serrer.
— Scarlett. Enchantée.
Écarlate… Un prénom qui seyait tout particulièrement à une Vampire.
— Amara. Enchantée également.
À nouveau ce sourire, si plaisant, si agréable qui me faisait fondre. Elle m’attira à elle, m’embrassa doucement, tendrement et je m’abandonnai à cette étreinte, à cet instant, oubliant tout le reste.
La journée était passée à toute vitesse. Nous étions dans cet entre-deux, ce moment où le jour et la nuit s’entremêlent, où le ciel se pare de couleurs enflammées. La ville reflétait ce mélange, une partie des rues déjà éclairées par les lumières des lampadaires et des magasins, l’autre dans une légère pénombre qui serait bientôt chassée. Cela lui donnait un certain charme et ici, appuyée à la rambarde de la fenêtre du salon, j’avais une belle vue sur le quartier.
La rue en dessous s’éclairait peu à peu. Les gens allaient et venaient, s’arrêtaient, discutaient, les couples se tenaient la main, se lovaient l’un contre l’autre. Un léger frisson me saisit quand ses bras glissèrent contre mes hanches pour se refermer sur mon ventre et m’attirer contre elle. Sa tête se posa sur mon épaule, ses lèvres effleurèrent ma joue et sa voix murmura à mon oreille.
— Alors, on joue les voyeuses ? (demanda-t-elle avec amusement.)
Un sourire se dessina sur mes lèvres. Mes mains caressèrent les siennes. Un rayon de soleil en passe de disparaître éclairait le balcon et effleurait nos corps. Contrairement aux légendes, Scarlett ne brûlait pas. Elle m’avait raconté que le soleil n’était pas vraiment un danger mortel pour les Vampires. Ils demeuraient des créatures nocturnes, sortant de préférence la nuit mais pouvaient vivre en plein jour. Néanmoins, s’ils ne brûlaient pas au soleil, leurs capacités étaient tout de même considérablement réduites et la clarté solaire les aveuglait partiellement, les affaiblissait.
— Tu as une belle vue. (répondis-je avec un sourire.)
— Elle était meilleure tout à l’heure. Et surtout, elle n’était qu’à moi.
— Andouille.
Elle rit, déposa un baiser sur ma joue. J’ignorais si ce genre de petit geste d’affection était monnaie-courante chez elle ou chez les Vampires en règle générale mais cela me donnait à penser que nous étions un vrai couple. Chaque moment de tendresse de sa part me mettait sur un petit nuage… avant de me faire ressentir un léger pincement au cœur. Mon humeur s’étiola quelque peu. Elle dût le sentir car son regard chercha soudain le mien.
— Qu’est-ce qui ne va pas ?
Je me pinçai les lèvres. Devais-je lui en parler ? Je n’étais qu’une enfant avec des rêves romantiques plein la tête.
— C’est juste un peu de fatigue.
— Vraiment ?
Je tournai la tête vers elle, m’efforçai d’afficher un sourire qui se voulait franc.
— Je vais devoir rentrer chez moi. Je travaille demain.
Elle m’embrassa, puis me libéra de son étreinte. Je retournai dans le salon, rassemblai mes affaires sous son regard.
— Amara… Serais-tu en train de me fuir ?
Le ton de sa voix était ironique, pourtant, j’y sentais autre chose.
— Fuir ? (demandai-je avec un sourire amusé.) Pourquoi tu penses que je fuis ?
— Tu n’as pas demandé si tu pouvais passer la nuit ici.
Je secouai doucement la tête.
— Tu ne me l’as pas proposé non plus. Mais j’ai peur qu’en passant la nuit ici, je rate une autre journée de boulot. Et moi, contrairement à toi, je dois gagner de l’argent, je ne peux pas me permettre de me faire virer.
Elle rit.
— Soit. Alors tu ne seras pas contre l’idée qu’on se revoie ?
Je me figeai avant de la regarder, surprise par sa proposition.
— Qu’on se revoie ? Vraiment ? (m’enquis-je, gagnée par la joie avant de me raviser.) Oh, pour mon sang ?
— Non ! Enfin,… si tu me le proposes, je ne dirai pas non, mais non, ce n’est pas pour ça.
Je me mordillai les lèvres. Elle était mignonne quand elle essayait de dissiper les malentendus.
— Est-ce que ça veut dire que tu me proposes… un rencard ?
Elle laissa échapper un petit rire avant de hocher la tête.
— Oui, c’est exactement ça.
—  Alors ça sera avec plaisir, Scarlett !
Je regardai d’un œil morne mon téléphone. Cette journée était… interminable. Et particulièrement ennuyeuse. J’avais beau essayer de travailler, pas moyen de me concentrer, d’être à ce que je faisais. Je n’arrêtais pas de regarder l’heure, pressée d’être à ce soir. Il était évident qu’elle occupait mes pensées et détournait mon attention. À tel point que mon patron m’avait même demandé si j’étais sûre de ne pas être encore malade. (Oui, je lui avais fait croire que j’étais malade pour ma journée d’absence ! Ne me jugez pas, vous l’avez déjà fait!) Des documents à classer, d’autres à détruire, des graphiques et des tableaux Excel à gérer sur ordinateur… Ce n’était déjà pas passionnant de base, mais là, sans possibilité de se concentrer, c’était carrément chiant. Je quittai mon bureau, vannée et allai en salle de pause me préparer un café. La machine se mit à vrombir doucement, puis le liquide s’écoula dans la tasse. La porte de la salle s’ouvrit alors, laissant entrer Julia. C’était une collègue de longue date, agréable et gentille. Travaillant dans des départements différents, il était rare que l’on se voie. Elle me salua d’un geste de la main, comme à son habitude. Son sourire était sincère, son regard étincelant.
— Alors, comment tu te sens aujourd’hui ?
Je la dévisageai, un peu indécise quant à sa question.
— Comment je me sens ?
— Oui. Tu étais malade, hier, non ?
Ah, oui. J’avais déjà oublié mon prétexte pour mon absence de la veille. Oups.
Je hochai doucement la tête.
— Oh, malade, c’est beaucoup dire. C’était juste un… petit coup de mou.
— Peut-être un manque de vitamine ? (hasarda-t-elle.)
— Peut-être.
J’attrapai ma tasse, la fis rouler entre mes doigts, savourant le fumet qui s’en dégageait.
Elle resta silencieuse un moment, m’observant. Je fronçai les sourcils, un peu gênée.
— Quoi, qu’est-ce qu’il y a ?
Elle battit des paupières, surprise.
— Pardon. Je me disais juste que je te trouvais… resplendissante.
— Resplendissante ?
Elle hocha la tête.
— Oui. Tu respires la joie.
Je ne répondis rien. J’avais des idées sur la raison de cette joie. Mais cela se voyait-il vraiment si facilement ?
— Quelque chose de prévu ce soir ?
Je lui souris en me contentant de hausser les épaules. Nous continuâmes de discuter encore un peu avant de devoir retourner à nos postes respectifs, dans des services séparés. Je me remis au travail. Je peinais toujours à me concentrer, néanmoins, le reste de la journée passa un peu plus rapidement. Quand dix-sept heures sonnèrent enfin, je fus la première à sortir du bureau ! Il me fallut me refréner pour ne pas faire montre de trop d’enthousiasme en quittant le bâtiment et éviter de sautiller de joie. Cela aurait fait mauvais effet. Je rentrai rapidement chez moi afin de prendre une douche pour me rafraîchir et tenter de calmer ma nervosité.
Maintenant, il me fallait trouver une tenue ! Je fouillai dans ma penderie, jetant mes vêtements sur le lit pour tenter de dénicher la perle rare. Devais-je mettre une robe ? Si oui, courte, longue ? Fermée ou ouverte ? Est-ce qu’elle aimait les tenues complexes ou au contraire simples ? J’ignorais tant de chose sur elle que même choisir une tenue était compliqué. J’en testai plusieurs, sans jamais être emballée par l’image que je renvoyais. Quelque chose n’allait pas ou… manquait ? Je n’arrivais pas à mettre le doigt dessus ! Rah ! Et chaque tenue rejetée me rendait un peu plus nerveuse. Je regardai le tas de vêtement grossir sur mon lit et me pinçai les lèvres. Puis mon regard se posa sur un t-shirt, posé sur ma table de nuit. Son t-shirt, celui qu’elle m’avait prêté. Non, je n’allais pas le mettre ce soir. De toute façon, il n’était pas encore lavé. Mais… peut-être que quelque chose de plus simple…
Je fouillai encore une fois ma penderie et en sortis une chemise blanche à manches longues ainsi qu’un jean bleu nuit. Je les posai sur moi, me regardant dans le miroir pour me jauger avant de les enfiler. C’était effectivement simple, mais ça rendait assez bien. Je me trouvais même assez mignonne. Mais est-ce que Scarlett penserait la même chose ? Aimerait-elle cette tenue ?
Je regardai ma montre avant de laisser échapper un juron ! Je n’avais plus vraiment le temps de faire la fine bouche. Je me regardai une fois encore avant de hocher la tête. Ça ferait l’affaire ! Je retournai dans la salle de bain pour me coiffer et me maquiller. Un peu de parfum pour finir, puis... 
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Résumé :

Un soir de réveillon, Naomi Shehaan disparaît de la réserve indienne de Meshkanau.
Dans une région minée par la corruption, le racisme, la violence et la misère, un jeune flic, Logan Robertson, tente de briser l'omerta qui entoure cette affaire. Il est rejoint par Nathan et Alice qui, en renouant avec leur passé, plongent dans l'enfer de ce dernier jalon avant la toundra.
Un thriller dur qui éclaire sur les violences intracommunautaires et les traumatismes liés aux pensionnats indiens, dont les femmes sont les premières victimes.


Mon avis :

Tout d’abord, je tiens à remercier Joël des éditions Taurnada pour sa confiance et pour m’avoir fait découvrir en avant-première ce nouveau roman à la quatrième fort inquiétante.
Ayant déjà lu et fort apprécié certains des précédents romans "La peine du bourreau", "Les eaux noires", "Digital way of life", "Il était une fois la guerre", avec leurs ambiances si particulières, j’étais curieuse et impatiente de voir ce que l’auteur allait nous réserver pour son dernier opus ^^

C'est le cinquième roman que je lis de cette auteure, et cette fois, j’ai eu beaucoup de mal à trouver les mots pour décrire mes ressentis. Le sujet abordé, même s’il titillait grandement mon intérêt, m’a de suite fortement interpelée par sa gravité, sa dureté et son côté révoltant. Attention, âmes sensibles s’abstenir ⚠️.
En effet, le résumé et l’avant propos à peine avalés, nous voici projetés, immergés, enferrés au cœur du Grand Nord canadien, où le cruel quotidien de la réserve indienne de Meshkanau va nous être conté.
Cette terre reculée et désertique, abrite encore quelques membres de ce peuple pétri de tradition. Quelques autochtones luttent désespérément pour maintenir leurs droits, leurs parcelles de terre et surtout leur dignité face aux "hommes blancs" qui détiennent tous les pouvoirs. La pauvreté, la violence et la corruption règnent en maître et gangrènent les lieux.
Et ce n’est pas avec le projet d’une scierie d’envergure que les choses vont s’apaiser, bien au contraire ; la jalousie et les tensions entre les deux clans se retrouvent exacerbées.
Alors quand le soir du réveillon, la jeune Naomi Shehaan du camp des Innus, 16 ans à peine, est retrouvée sur le lac gelé, battue à mort, sous une couche de neige, c’est l’étincelle qu’il fallait pour mettre le feu aux poudres.
Une enquête devrait débuter, sauf que la police locale pense que ça n’en vaut pas la peine. Vous comprenez, pour eux, « hommes blancs », les filles autochtones Innu, sont des filles à problèmes : fugueuses, prostituées, droguées, contrairement à celles de leur communauté… Alors pourquoi s’embêter ?
Même si ce tableau n’est pas entièrement faux, pourquoi une telle différence de traitement ? Pourquoi ne pas considérer tous les êtres humains de la même manière ?
En plus, dès l'enfance, les enfants Innus sont arrachés à leur famille, et placés en internat catholique pour y être éduqués comme des « blancs » afin de perdre leur identité culturelle et devenir de la main d’œuvre gratuite.
Comment, dans de telles conditions, peut-on psychiquement se développer, ce, sans ne développer aucune séquelle ?
Comment garder la tête haute, vivre normalement et ne pas sombrer dans la précarité, dans l'alcool et la drogue, surtout quand naître femme est considéré comme une tare ?
L'affaire est confiée à Logan Robertson, un jeune policier sans expérience et considéré comme léger d’esprit par ses collègues. Roy le chef de la police de Pointe-Cartier et les autorités locales espèrent ainsi que cette affaire, comme toutes les autres du genre, finissent par être classée sans suite.
Sauf que, scandalisé par le comportement de sa hiérarchie, celui-ci ne l’entendra pas de cette oreille, et tentera de faire le jour sur cette histoire, aidé par 2 étudiants Alice et Nathan, qui renouerons avec leur douloureux passé.
Dans ce décor immersif à l'ambiance pesante, nous allons assister, choqués et impuissants, à l’affreux constat d’une région du monde où le viol des femmes autochtones et leurs meurtres sont monnaie courante sans que cela ne perturbe grand monde, même pas les familles, qui, depuis bien longtemps, ont baissé les bras devant l’injustice et la discrimination.
Grâce a une écriture directe et accrocheuse, acérée et percutante, les page vont se tourner à toute allure ; nous voulons connaître les tenants et les aboutissants de cette histoire aux multiples rebondissements, jusqu’au dénouement final, qui nous laissera sans voix.
Quant aux personnages, ils sont merveilleusement bien campés, et servent le récit au mieux afin de nous faire ressentir tout un panel émotionnel : tristesse, colère, rage, révolte, surtout que nous sommes parfaitement conscient que cette histoire n’est pas une complète fiction, mais emprunte d’une bien triste réalité.
Vous l’aurez compris, malgré une lecture difficile par le thème ô combien périlleux, ce roman m’a beaucoup plu, tant pour l’histoire, que par le cran de l’auteur pour avoir abordé un tel sujet, plus que sensible de nos jours.
Alors si vous aimez les romans coup de poing, de ceux qui bouleversent, remuent les entrailles, vous laissant exsangue à la fin de l’histoire.... foncez, ce livre est fait pour vous ; vous ne serez pas déçus :pouceenhaut:

Ma note :

:etoile: :etoile: :etoile: :etoile: :etoilegrise:



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Mise en avant des Auto-édités / Re : L'homme du parc de Marie Continanza
« Dernier message par Antalmos le lun. 27/11/2023 à 10:25 »
Quel plaisir de retrouver la plume de Marie Continanza que j'avais découvert dans L'autre vie de Sophie et La maison de Thomas. Avec L'homme du parc, l'autrice nous offre cette fois une romance dont juste la couverture annonce déjà la couleur. N'étant pas spécialement fan de ce genre, il ne fallait pas seulement le talent d'écriture de l'autrice pour me lancer dans cette lecture, mais connaissant son penchant pour le mystère et le paranormal, je m'attendais à découvrir bien plus qu'une romance. Je ne m'étais pas trompé et c'est ce qui en fait toute son originalité.
Le premier chapitre commence déjà comme je les aime : Camille, l'héroïne principale du roman, se rend en taxi devant une villa, prête à y rencontrer son occupant. Mais au moment où elle s'apprête à appuyer sur la sonnette, la main hésitante, mille questions se posent à elle. Pourquoi hésite t'elle à ce point ? L'autrice entretient le suspense en revenant quelques mois en arrière où l'on découvre Camille se rendant en vacances à Cabourg avec un couple d'amis, Laura et Jérémy, dans l'espoir d'y trouver l'amour. Et elle va le trouver. Mais un obstacle de taille va les empêcher de poursuivre leur relation. Arriveront-ils à le surmonter ? En dire plus serait spoiler, je vous invite donc à vous lancer dans cette très belle lecture et peut-être que comme moi, le dénouement vous surprendra. L'épilogue, quant à lui, vous réservera encore un dernier rebondissement, ce qui me fera dire : la boucle est bouclée.
En résumé, cette romance est une vraie réussite.
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Un chant de Noël : Londres, 1886 de Magali Chacornac-Rault



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Prologue

Décembre 1875

Devant la porte d’une petite église de Kensington, un couple de jeunes mariés se regardent tendrement.
— J’espère que tu ne regretteras pas cette folie, mon amour. Ce mariage sans l’accord de ta famille…
— Comment regretter ce jour merveilleux, tes amis musiciens nous ont offert la plus belle des cérémonies, toutes les personnes présentes souhaitent notre bonheur et même le ciel nous présente ses vœux avec ces flocons.
Il regarde avec tendresse celle qu’il aime et qu’il peut maintenant appeler « sa femme ». Elle est absolu¬ment magnifique dans sa robe de soie blanche, et les flocons qui s’accrochent à ses cheveux bruns, s’échappant de son chignon, forment un voile d’une finesse et d’une noblesse qu’aucun tissu ne peut égaler.
Sentant son regard, elle se tourne vers lui et murmure :
— Je vous aime, monsieur Andrew Wilson.
— Je vous aime, madame Grace Wilson.
Le sourire de la jeune femme s’élargit, il ne lui faudra pas longtemps pour s’habituer à ce nouveau nom, madame Wilson, Grace Wilson, ça sonne bien mieux que Grace Berkeley, son nom de jeune fille.

*

Décembre 1876

Les premiers flocons de neige ont accompagné la naissance de leur petit ange, une merveilleuse petite fille, en pleine santé. L’accouchement a été difficile pour Grace, cependant, elle puise sa force dans la contemplation de son bébé et semble se remettre doucement.
Alors que Grace allaite et qu’Andrew couve du regard les deux femmes de sa vie, la jeune maman se projette dans le futur :
— J’ai tellement hâte que Lizzie puisse profiter de la neige et de l’ambiance de Noël, j’aime cette période, je suis heureuse que notre enfant soit née ce mois si particulier, il signifie tant pour moi.
— C’est en décembre que nous nous sommes rencontrés. Ton père m’a engagé pour te donner des leçons de piano afin que tu te perfectionnes. Il voulait que tu éblouisses toute l’assemblée au repas de Noël, mais c’est moi que tu as ébloui dès le premier jour. Il regrette probablement encore de m’avoir engagé…
— Et moi, je lui en serai éternellement reconnaissante.
Le magnifique sourire de Grace éteint pour un instant la culpabilité d’Andrew. Il s’en veut d’être la cause de la brouille entre sa femme et ses parents qui n’ont pas accepté leur amour… Un musicien, aussi talentueux soit-il, n’est pas digne d’une héritière Berkeley. Il fait tout son possible, à chaque instant, pour rendre sa femme heureuse, lui faire oublier sa descente sociale et combler le manque des siens.

*

Décembre 1877

Lorsqu’il passe la porte, les rires de Grace et les gazouillis de Lizzie l’accueillent. Il se précipite au salon sans même retirer sa veste, il ne veut rater aucun moment de bonheur.
Il découvre sa femme agenouillée au pied du sapin qu’il a rapporté la veille et qu’elle a installé en hauteur, sur une table, afin que le bébé ne puisse l’atteindre. Elle a les bras tendus vers leur fille, celle-ci est entourée de petits sujets en bois. Les yeux pétillants, la petite fille observe chaque décoration avec émerveillement puis, de temps à autre, elle en tend une à sa mère qui la suspend à une branche de sapin en riant.
Andrew s’approche doucement, dépose un baiser sur les lèvres de sa femme puis sur la joue de sa fille, en essayant de ne pas briser la magie de l’instant. Lizzie s’accroche à son cou puis elle lui donne un petit cheval à bascule qu’il va fixer dans l’arbre. Il échange avec Grace un regard complice. Les yeux de sa femme étincellent de joie, son sourire est radieux. Le bonheur est si simple.

*

Décembre 1878

Cette année, Lizzie participe pleinement à la déco-ration du sapin de Noël. La petite fille, qui vient de fêter ses deux ans, est une véritable tornade qu’il faut canaliser. L’excitation est à son comble, elle court en tous sens, évite de peu de piétiner les ornements en bois et même de renverser l’arbre à tel point que Grace décide de ne pas installer les bougies, de peur que Lizzie se blesse ou mette le feu à leur maison.
Le seul moment où la fillette reste calme et concentrée, c’est lorsque son père la soulève aussi haut qu’il le peut pour qu’elle accroche le cimier du sapin. Quand Lizzie retouche terre, elle contemple son œuvre avec fierté et satisfaction, les mains sur les hanches. Sa bouille fait éclater de rire ses parents.

*

Décembre 1879

Cette année, la neige est si abondante que Londres a été paralysée presque 48 heures. Grace et Lizzie s’en donnent à cœur joie, glissades, batailles de boules de neige, empreintes d’anges et même un essai de construction d’igloo dont Andrew avait vu des dessins il y a quelques années.
La neige ne s’est toujours pas transformée en bouillie marron, glissante et salissante, comme habituellement. Cette profusion de poudreuse laisse les parcs et certaines petites rues immaculés, pour le bon¬heur de sa famille.

*

Décembre 1880

Comme chaque année, Andrew arpente les rues de Londres en chantant des Christmas carols. En tant que professionnel, son petit groupe commence quelques jours avant le 25 décembre.
Cette année, pour la première fois, Lizzie l’accompagne. Sa fille a une voix d’ange. À force d’entendre sa mère fredonner toute la journée, la fillette a appris à chanter avant de savoir parler. Avec ses cheveux châtain clair, comme ceux de son père, et ses yeux bleus, comme ceux de sa mère, elle fait fondre tous les cœurs.

*

Décembre 1881

Lors de la décoration du sapin, en famille, Grace suspend un second petit ange en porcelaine, elle avait acheté le premier à la naissance de Lizzie. En l’accro-chant, elle fait le vœu de tomber à nouveau enceinte, sa fille a déjà cinq ans et Grace aurait aimé lui donner un petit frère qui perpétuerait le nom de Wilson.
Cette volonté d’enfanter à nouveau inquiète Andrew qui sent sa femme fatiguée, même si elle essaie de le lui cacher, il se souvient aussi combien l’accouchement avait été éprouvant, il avait eu si peur de perdre Grace.

*

Décembre 1882

Grace n’a plus la force de sortir de son lit, Lizzie est à ses côtés et, ensemble, elles fabriquent des décorations de Noël en tissu.
Quand la fillette quitte la pièce, Grace demande à Andrew d’approcher. Il s’assoit sur le lit et prend les mains de sa femme dans les siennes :
— Je suis heureuse, mon amour, que la vie me laisse ce dernier Noël en votre compagnie. Ne sois pas triste, je m’éteins chanceuse de la vie que j’ai eue. Tu as fait mon bonheur et tu fais le bonheur de notre fille.
Andrew s’agite, il ne veut pas entendre cette vérité, il espère encore un miracle.
— Non, mon amour, il est trop tard pour que je gué-risse, je me sens mourir à petit feu, mais je n’ai pas peur. Bien sûr, j’aurais voulu voir notre fille devenir une femme, partager toutes ses joies et ses doutes, mais je sais qu’elle trouvera en toi une oreille attentive, tu es un père formidable.
— Comment pourrais-je continuer à vivre sans toi, Grace ? Je t’aime !
— Il le faudra, pour Lizzie. Je t’aime, Andrew.
Cette dernière phrase n’est plus qu’un murmure, Grace s’est endormie, épuisée par l’effort de la conversation et de l’activité réalisée avec sa fille.
Bientôt, elle fermera les yeux pour toujours et Andrew ne peut l’accepter. Il pleure, le visage enfoui dans les cheveux de sa femme.

*

1883, 1884, 1885

Seules la tristesse et l’absence de Grace accompagnent Andrew et Lizzie… Leur vie semble tellement vide, les Noëls si fades…

Chapitre 1

Lundi 20 décembre 1886

À l’approche de Noël, Andrew, comme chaque année, arpente les rues de Londres avec quelques collègues musiciens pour apporter un peu de joie aux habitants en entonnant les chants traditionnels. Ils récoltent ainsi l’argent permettant de financer les cours de musique dispensés à l’orphelinat.
Andrew se sent fourbu, il a l’impression que, d’an¬née en année, Londres ne cesse de grandir, à moins que ce soit lui qui se fait vieux. À la lueur des réverbères, les chanteurs gardent leur entrain, même s’il se fait tard. Ce quartier est luxueux, formé de nombreux hôtels particuliers, ce qui promet des dons généreux. Pour la énième fois de la journée, ils reprennent leur répertoire enchaînant les classiques Christmas carols.
Pour Andrew, cette période est particulièrement douloureuse. Ces chants étaient les favoris de son épouse partie trop tôt. Afin de supporter la douleur, il chante pour elle seule à chaque représentation, espérant qu’elle l’entende des cieux où elle se trouve.
Dès que les voix s’élèvent, Susan délaisse son ouvrage de broderie pour se placer à la fenêtre. Cette troupe est la première à visiter son quartier et elle n’est pas déçue, l’harmonie est magnifique. Placés sous un lampadaire, les chanteurs paraissent presque irréels. L’un d’eux attire particulièrement son attention, il est grand, ses cheveux châtains sont un peu trop longs et il porte de belles moustaches. Son regard semble si triste, cependant, il chante avec ferveur. Elle aimerait en¬tendre sa voix. Elle essaie de se concentrer sur les autres chanteurs et musiciens mais ses yeux reviennent sans cesse sur ce gentleman sans qu’elle ne comprenne pourquoi.
Lorsque la musique s’arrête, elle s’éloigne de la fenêtre, déçue que ce soit déjà fini. S’élève alors une voix de ténor, douce et puissante, elle rejoint précipitamment son poste d’observation, bien qu’elle soit certaine de savoir à qui cette voix appartient. Il y a tant d’émotion. L’homme au regard gris et triste chante les yeux tournés vers le ciel. Susan sent tout son corps réagir à ce chant, elle en a la chair de poule et les larmes aux yeux.
Elle reste là à fixer le chanteur pendant un long moment après que la voix se soit tue. C’est son intendante qui la sort de sa contemplation en lui demandant si elle doit descendre leur remettre une enveloppe. Susan insiste pour que le don soit généreux, jamais aucun chanteur ne lui avait procuré autant d’émoi. Elle aimerait descendre elle-même pour les féliciter, mais cela ne se fait pas, elle songe un moment à mettre sa carte au milieu des billets mais à quoi bon, c’est elle qui a envie de leur parler et non l’inverse.
Elle observe le plus jeune des choristes récupérer les enveloppes, tous les voisins semblent avoir envoyés une servante. La troupe lance un merci collectif puis reprend son chemin pour faire son spectacle dans la rue voisine.
Elle suit des yeux l’homme aux cheveux trop longs jusqu’à ce qu’il disparaisse et bien après. Lorsqu’elle sort de sa rêverie, elle n’est plus vraiment certaine que tout cela se soit réellement déroulé. Elle reprend sa broderie sans arriver à se concentrer au point de se piquer avec l’aiguille.

*

Lorsque Andrew rentre enfin chez lui, exténué, il ne s’attend pas à devoir gérer une crise. Pourtant, Jill, la gouvernante, a déjà ôté son uniforme pour le remplacer par son manteau. De plus, elle fait sa tête des mauvais jours. Elle ne laisse pas le temps à son employeur de poser une quelconque question qu’elle annonce, résolue :
— Je démissionne, ce n’est plus possible, votre fille Elisabeth est irrécupérable, je ne peux supporter plus longtemps son manque de respect. Cette enfant est une petite peste qui ne veut rien apprendre de ce que je lui inculque, une mule serait plus facile à éduquer. Je pas-serai demain chercher mes gages et une lettre de recommandation. Je vous souhaite une bonne soirée, Monsieur.
Sur ces dernières paroles, elle passe la porte à grand pas et disparaît dans la nuit sans qu’Andrew n’ait pu placer un mot. Il soupire puis appelle sa fille :
— Lizzie ! Qu’as-tu encore fait pour que cette pauvre Jill soit dans cet état ?
— Ça y est, elle est enfin partie ? Pour toujours ? Elle m’a dit qu’elle démissionnait, elle n’a pas menti au moins ?
— Lizzie ! Ce n’est pas gentil ! Jill est une personne qualifiée qui fait très bien son travail ! Et je la trouve patiente, douce et gentille. Je connais des gouvernantes bien plus strictes qu’elle. Tu ne sais pas apprécier ta chance, ma chérie.
— Ce n’est pas toi qui l’as sur le dos toute la jour¬née, rien de ce que je fais ne lui convient, elle me reprend continuellement, j’en ai marre. Elle voudrait que je me comporte comme si je devais être la future reine d’Angleterre…
En voyant sa fille descendre l’escalier raide comme un piquet, Andrew a du mal à se retenir de rire. Il sou-pire, ouvre ses bras en grand et sa fille s’y précipite pour se blottir contre lui.
Après ce câlin si réconfortant, l’homme reprend :
— Demain, tu t’excuseras auprès de Jill et j’aurai une petite discussion avec elle afin qu’elle baisse ses exigences, ça te convient ?
— Je suis une grande fille, maintenant, je n’ai plus besoin de gouvernante, Papa.
— Lizzie, ne fais pas de caprice, j’ai besoin de sa¬voir que quelqu’un veille sur toi en mon absence.
— Tu pourrais engager quelqu’un d’autre que Jill, s’il te plaît, Papa.
— Une gouvernante ne se trouve pas si facilement, Lizzie… Demain, tu t’excuseras et on verra comment ça se passe.
La fillette de dix ans repart la tête basse, les yeux remplis de larmes, elle voudrait retrouver le temps où sa maman s’occupait d’elle toute la journée et où un précepteur venait l’instruire quelques heures par jour.
Andrew soupire, il n’aime pas savoir sa fille triste, il souhaiterait l’entendre rire comme avant. Il passe à la cuisine pour réchauffer le repas, préparé le matin par madame Pike qui s’occupe aussi de faire le ménage.
Lizzie le rejoint, elle dresse la table et commente :
— Jill m’apprend le nom de quatre fourchettes différentes et de tous les couteaux qui existent. Je ne les ai vus qu’en dessin… à quoi cela peut bien me servir ? Pour manger, on a besoin d’une seule fourchette, d’un seul couteau et d’un seul verre aussi !
— Chez nous, car nous n’avons que peu de moyens, mais dans la haute société, ce n’est pas pareil et tu sais que ta maman venait de ce milieu ?
Lizzie acquiesce et Andrew poursuit :
— Tu auras peut-être l’occasion, si tu le souhaites, plus tard, d’évoluer dans ce milieu, aussi, il faut que tu y sois préparée, tu aurais l’air d’une idiote si tu te trompais de fourchette ou de verre, tu ne crois pas ?
Lizzie hausse les épaules et argumente :
— Maman a quitté ce milieu, je n’ai pas envie d’y retourner…
— On ne sait pas ce que la vie te réserve, Lizzie, il faut être prêt à tout. Nombreux sont ceux qui aime¬raient avoir le choix, tu as cette chance, ma chérie.

Le lendemain, Jill se présente avant le départ d’Andrew. Obéissante, Lizzie s’excuse et son père essaie d’expliquer à la gouvernante le ressenti de son enfant. Jill a le visage fermé, elle a décidé de rester ferme et rien ne la fera revenir sur sa décision. Elle a de la peine pour cet homme et cette enfant, mais elle a l’impression de perdre son temps dans cette maison, elle a les compétences pour trouver une meilleure place, bien mieux rémunérée. De plus, elle pense qu’Elisabeth est trop choyée par son père qui lui laisse trop souvent l’opportunité de s’exprimer. Lizzie a le même caractère que sa mère, c’est une rebelle, incapable de se comporter comme on l’attend d’une femme de son rang.
Lorsque la gouvernante s’en retourne, Andrew est dépité tandis que sa fille danse de joie après avoir tiré la langue à la porte. Comment va-t-il trouver une gouvernante en cette période de fête ? Et surtout, qui va bien pouvoir garder un œil sur Lizzie en attendant qu’il déniche la perle rare avec un budget serré ? Il devrait déjà être au Royal College of Music.
Lorsque madame Pike arrive, Andrew lui demande de prendre en charge Lizzie, la vieille femme accepte avec bonheur, elle adore la fillette. Madame Pike a eu huit enfants, maintenant tous en âge de mener leur vie, et ils lui manquent. Toutefois, la cuisinière ne pourra pas rester toute la journée avec Lizzie car elle travaille pour d’autres familles.
Andrew n’a pas le choix, pour une fois, sa fille devra rester seule à la maison et lui prouver qu’elle est effectivement assez mature. Pour l’occuper, il lui donne des exercices de mathématiques et de français. Le français est une langue que Grace affectionnait et à laquelle elle a initié Lizzie. Il lui remet aussi un morceau de piano à déchiffrer, puis s’en va au pas de course.

Chapitre 2

Mardi 21 décembre 1886

La matinée de Lizzie se passe aux côtés de madame Pike. La fillette aime côtoyer la vieille femme qui est au service de ses parents depuis leur mariage et leur installation dans cette petite maison d’un beau quartier. Son père la loue pour un loyer modique, c’est un loge-ment de fonction. La petite fille pose une multitude de questions sur sa maman et écoute avec grand intérêt les histoires qui se sont déroulées quand elle était bébé.
Elle n’ose pas interroger son père, elle ressent sa douleur et sa tristesse à chaque fois qu’il évoque Grace et elle essaie de lui épargner ce chagrin autant que possible. Pourtant, elle a besoin que le souvenir de sa mère perdure, elle a besoin d’entendre parler des jours heureux, cela égaye son quotidien si sombre.
Noël est la période la plus difficile car c’est celle que préférait Grace, celle qui était la plus joyeuse et ce bonheur lui manque… C’est peut-être pour cela qu’elle est toujours si difficile à vivre durant le mois de décembre.
Madame Pike lui parle du passé avec tendresse, lui raconte des moments doux suivant le bon vouloir de ses souvenirs. Elle la traite comme sa propre enfant, en la faisant participer aux corvées, et non comme la fille du maître. Il faut dire que ni Grace ni Andrew n’ont jamais considérée Ann Pike comme une domestique mais plutôt comme une amie venant rendre service.
Les mains dans la vaisselle, Lizzie se sent bien. Elle n’avait pas passé une aussi belle matinée depuis des lustres. En aucun cas elle ne regrette l’absence de Jill.
Une fois le repas préparé et mangé ensemble, sur la table de la cuisine, sans aucune cérémonie, sans personne pour scruter sa position et ses moindres gestes, Lizzie dit au revoir à la vieille femme. La petite fille monte alors dans sa chambre pour faire ses devoirs et sourit en s’apercevant que son père lui a donné des exercices plus simples que ceux qu’elle doit d’ordinaire résoudre. En moins d’une demi-heure, elle a tout fini et redescend pour s’installer au piano.
De ce côté, son père n’a fait aucune erreur, il maîtrise parfaitement son niveau. Le morceau choisi est difficile, mais Lizzie adore ça. Si son père le voulait, elle pourrait faire des concerts, tout Londres paierait pour voir l’enfant prodige sur scène, mais il ne le souhaite pas et elle non plus. Elle adorait jouer pour sa mère, maintenant, elle joue pour son père et voir briller la lueur de fierté dans ses yeux est un cadeau magique
Pour le rendre fier, elle travaille sa partition patiemment et avec acharnement durant deux heures consécutives et, au final, elle est plutôt satisfaite du rendu. Elle décide donc de sortir pour marcher un peu dans le quartier, ce que Jill ne l’autorisait jamais à faire. Lors-qu’elles allaient se promener, c’était toujours dans des parcs ou dans des rues commerçantes et sa gouvernante restait attentive à sa manière de bouger, à son regard, son port de tête… Jamais elle n’avait le droit de courir ou de traîner des pieds et ces balades étaient insipides.
Aujourd’hui, personne ne lui fera de remarque. Elle lace ses bottines puis enfile son manteau de laine sur sa robe en velours, passe ses gants et ouvre grand la porte. L’air froid lui cingle le visage et elle sourit. Elle referme à clef derrière elle et s’engage dans la rue. Les quelques flocons tombés la semaine précédente n’ont pas tenus, cependant, le sol est glissant. Bien que la sensation de liberté qu’elle ressent lui donne envie de courir et de sauter, elle doit faire attention à ne pas tomber. Elle avance prudemment, en observant les gens autour d’elle. Elle arpente les rues de Kensington. Avec son père, ils occupent un logement situé juste à côté du Royal College of music, près de Hyde Park et Kensington Garden, un quartier chic où elle peut se promener sans risque. Ses pas la portent jusqu’au Brompton Hospital.
Lizzie ne veut pas retourner dans le monde aristocratique que sa mère a quitté car cette dernière lui a un jour expliqué que, là-bas, les femmes ne font rien à part obéir à leur mari et gérer la domesticité, or, la fillette sait déjà qu’elle veut devenir médecin pour pouvoir soigner les gens, elle aurait tant voulu que quelqu’un arrive à guérir sa maman. Lorsqu’elle en a parlé à Jill, la gouvernante s’est esclaffée ! Ce n’est, soi-disant, pas un rôle pour une femme et encore moins pour une femme de la haute société. Jill lui a dit qu’il n’y avait qu’une femme diplômée en médecine en Angleterre et qu’elle avait défrayé la chronique, elle porte le même prénom qu’elle, elle se nomme Elizabeth Garrett Anderson. Depuis, Lizzie l’idolâtre et rêve de devenir la deuxième femme médecin du Commonwealth. Elle voudrait sauver toutes les mamans pour que plus aucun enfant ne soit triste.
Devant l’hôpital, il y a une grande quantité de sapins, les yeux de la petite fille brillent, elle se sou¬vient des épicéas qu’elle décorait avec ses parents. Son père n’en a plus acheté depuis le décès de sa mère. Elle s’approche et demande :
— Bonjour Madame…
— Bonjour, jeune demoiselle.
— Que faut-il faire pour avoir l’un des petits sapins ?
— Les petits sapins sont à un shilling. Je m’occupe bénévolement des ventes et l’argent va à l’hôpital pour acheter du matériel médical.
— Je comprends, merci.
Lizzie s’éloigne, la tête basse, les larmes aux yeux. Elle n’a pas d’argent. Elle ne peut toutefois pas se résoudre à quitter les lieux, les arbres l’aimantent. Leur ramure, leur odeur, leur couleur, tout la ramène aux temps joyeux, elle a presque l’impression d’entendre Grace chantonner au creux de son oreille.
Susan observe la fillette, elle semble si triste qu’elle en a le cœur serré. Sa tenue montre qu’elle fait partie de la petite bourgeoisie, mais peut-être que sa famille n’a pas suffisamment d’argent pour le dépenser dans des futilités. Un sapin n’est qu’une décoration tempo¬raire non indispensable. Avec ses cheveux châtain clair et ses yeux bleus, le visage de la petite ressemble à celui d’un ange. Tout dans ses manières et sa façon de se mouvoir montre une très bonne éducation.
Susan s’approche et se présente :
— Je m’appelle Susan Harington.
— Elisabeth Wilson, mais mes parents m’appellent Lizzie.
— Bien, Lizzie, veux-tu m’aider à vendre ces arbres de Noël ?
Le visage de la fillette s’illumine à nouveau.
— C’est vrai, je peux ?
— Si tes parents acceptent, oui. Je serais ravie d’avoir un peu de compagnie, je t’avoue que, pour le moment, il n’y a pas beaucoup de clients et je m’ennuie…
— J’ai l’après-midi pour moi, ça ne pose pas de problème, il faut juste que je sois à la maison pour 18 heures.
— Il fait déjà nuit à cette heure-là, je ferai en sorte que tu sois rentrée avant. Je n’aimerais pas savoir ma fille seule dans les rues, de nuit.
— Oui, merci.
La fillette s’éloigne rapidement, un grand sourire aux lèvres, et se met au travail. Elle n’hésite pas à accoster les passantes et à leur conter ses souvenirs de Noël. Susan se rend compte que Lizzie évite de se re¬trouver en tête à tête avec elle, elle redoute des questions. Ce comportement ne fait qu’attiser la curiosité de la femme, cependant, elle n’interroge plus Lizzie, c’est en gagnant sa confiance qu’elle pourra l’aider. Elle est persuadée que cette enfant à besoin d’assistance.

Chapitre 3

Mardi 21 décembre 1886

Lizzie passe des heures à arpenter le trottoir devant l’hôpital, à évoquer ses préparations de Noël quand elle était bien plus petite, quand la joie inondait leur foyer… Elle raconte comment elle réalisait des sablés avec sa mère pour les pendre dans le sapin, la bonne odeur dans la maison et la confection de guirlandes dans des chutes de tissus colorés. Elles avaient réalisé ces décorations le tout dernier Noël, elle était assez grande pour manier l’aiguille et Grace pouvait faire cette activité couchée dans son lit qu’elle n’avait plus la force de quitter.
Les anecdotes joyeuses racontées par la bouille d’ange permettent de décider certains passants à investir. Susan est impressionnée par cette jeune fille à la fois si douce et si sûre d’elle. Elle est bien plus mature que la plupart des fillettes de sa condition et de son âge.
Alors que les passants se font rares, Lizzie se met à chanter pour passer le temps, un chant de Noël qu’elle aime particulièrement. Un des nombreux que sa ma¬man lui a appris.
Lorsque sa voix claire et parfaitement posée s’élève, Susan est stupéfaite. Elle reste figée à écouter ces notes si douces. Un chérubin ne pourrait faire mieux. Les badauds s’approchent, entourent la fillette, captivés par son timbre et le moment de grâce qu’elle leur offre.
À la fin de la prestation, les spectateurs de toutes conditions applaudissent Lizzie qui semble découvrir tous ces gens autours d’elle. Elle ne sait pas comment agir alors Susan s’empresse de l’aider en remerciant la foule. De nombreuses personnes déposent quelques piécettes dans la coupelle prévue pour les dons et Susan remarque :
— Tu peux prendre l’argent, il te revient. Ta voix est vraiment magnifique.
— Non merci, l’hôpital en a plus besoin que moi.
Susan acquiesce, toujours plus surprise par cette enfant qu’elle espère apprendre à connaître.
Peu à peu, le nombre de sapins diminue, tandis que la luminosité baisse. Avant que la nuit ne tombe, le gardien vient ranger les épicéas sur la demande de Susan. Il n’en reste que cinq ou six qui seront répartis dans les différents services de l’hôpital. Susan demande alors à Lizzie d’en prendre un, elle l’a bien mérité. La fillette choisit l’arbre le plus petit avec une branche cassée. Voyant la surprise sur le visage du gardien, elle explique :
— Il y a plein de décorations à la maison pour le rendre beau, les gens malades ont besoin d’avoir les plus jolis sapins pour égailler leur quotidien, leur faire oublier qu’ils ne passent pas les fêtes en famille.
L’homme consent, touché par les mots de l’enfant.
Alors que Lizzie s’apprête à partir avec son encombrant cadeau, Susan insiste pour la raccompagner, la nuit sera là dans peu de temps. Elle se sent responsable et ne s’en remettrait pas s’il arrivait un malheur.
Durant le trajet, les deux complices d’un jour discutent de tout et de rien. Susan laisse Lizzie choisir les sujets de conversation, elle ne voudrait pas faire un faux pas et briser ce qui est en train de naître entre elles. Elle ne sait pas pourquoi, mais elle s’est prise d’affection pour cette fillette. Encore un coup de son horloge biologique qui n’a toujours pas intégré qu’elle ne pourra probablement plus jamais porter un enfant.
Tout doucement, Lizzie se détend et la conversation se fait plus fluide et plus amicale. Arrivées devant le domicile des Wilson, Susan est surprise de ne voir aucune lumière, la fillette lui explique alors :
— Je suis seule à la maison jusqu’à 18 heures que Papa rentre. C’est exceptionnel et c’est ma faute, je n’ai pas été très gentille avec ma gouvernante et elle a démissionné, hier, Papa n’a pas trouvé de solution en si peu de temps.
— Et ta maman ?
Lizzie baisse les yeux pour ne pas montrer les larmes qui s’y accumulent et murmure :
— Elle est morte il y a presque quatre ans.
La jeune femme a envie de prendre la fillette dans ses bras, mais elle n’ose pas, elle demande juste :
— Si tu veux, je peux rester avec toi jusqu’à ce que ton papa rentre et on pourra commencer à décorer le sapin.
— Je veux bien, je ne crois pas que Papa appréciera de le décorer… ça lui rappellera trop Maman… elle aimait tellement la période de Noël.
— C’est elle qui t’a appris ce si beau chant ?
— Oui, et Papa aussi chante très bien, c’est un grand musicien et, d’ailleurs, il faut que je m’exerce encore un peu à jouer le morceau de piano qu’il m’a laissé avant de partir au travail.
— Je serai heureuse de t’écouter, annonce Susan avec un grand sourire.
Lizzie fait entrer la jeune femme et allume les lampes à gaz. Susan découvre une belle maison, petite, chaleureuse, propre et meublée avec goût. Lizzie retire son manteau et se précipite vers le piano. Si elle exécute parfaitement sa partition, peut-être que son père ne sera pas trop en colère en découvrant son escapade de l’après-midi.
Susan enlève, à son tour, son manteau sans le même empressement que la fillette puis elle s’approche de la cheminée. Elle remet une bûche et se réchauffe, se laissant emporter par la musique. Elle se rend compte que passer la journée devant l’hôpital l’a frigorifiée et épuisée.

Chapitre 4

Mardi 21 décembre 1886

Andrew passe la porte de son domicile à 17h30, il a réussi à se libérer un peu plus tôt et il est rentré au pas de course, il n’aime pas savoir sa fille toute seule, il n’a pas cessé de s’inquiéter toute la journée.
Entendre sa fille rire le ramène des années en arrière, un fol espoir l’étreint avant qu’il entende une voix inconnue et qu’il s’alarme. Il déboule dans le salon alors que Lizzie court vers lui pour se pendre à son cou et lui raconter qu’elle a passé une très belle journée.
Pendant que la fillette explique à son père, de façon désordonnée, son après-midi, Susan s’avance. L’homme ne semble pas vraiment apprécier ce qu’il entend, sa fille lui a désobéi. Lorsque Susan n’est plus qu’à quelques mètres et découvre le visage paternel, elle reste figée, interdite, c’est le chanteur des Christmas carols qui l’a tant bouleversée la veille.
À l’instant où il croise son regard, il demande à sa fille de se taire :
— Nous reparlerons de tout cela plus tard, Lizzie, mais sache que je suis déçu, je te croyais plus responsable.
La fillette quitte les bras de son père, la tête basse, tandis que ce dernier s’incline vers la femme restée en retrait :
— Andrew Wilson.
— Susan Harington, Monsieur. Puis-je vous dire quelques mots ?
L’homme approuve et, d’un simple regard, signifie à Lizzie de quitter la pièce. Elle se dirige alors vers l’es-calier qui monte à sa chambre espérant que Susan plaide sa cause.
Susan raconte sa rencontre avec Elisabeth et le fait qu’elle a veillé sur elle. Elle explique aussi l’implication de la fillette dans la vente des sapins, sa joie et sa bonne humeur. Elle ose également, à demi-mots, évoquer le besoin de la petite fille de parler de sa mère et de se créer de nouveaux souvenirs heureux. À ces paroles, Andrew soupire, il sait qu’il devrait évoquer plus souvent Grace avec sa fille et peut-être même chercher une femme qui pourrait aider son enfant à grandir, mais il n’arrive pas à s’y résigner, Grace lui manque tant.
— Merci d’avoir pris soin de mon enfant, Madame. Je suis désolé qu’elle se soit imposée à vous.
— Elle ne s’est pas imposée, votre fille est très mature pour son âge, elle est charmante, bien élevée, attachante… C’est moi qui lui ai proposé de m’aider, j’ai vu qu’elle avait envie d’un sapin et, au cours de l’après-midi, j’ai peu à peu compris pourquoi… Sa présence ne m’a pas dérangée du tout, j’étais contente d’avoir un peu de compagnie et je n’ai pas pu me résoudre à la laisser seule, même chez vous… Décorer ce sapin avec elle, c’était magique… Je n’ai pas d’enfant et… je ne sais pas comment expliquer la chose, mais je dois remercier votre fille car nous avons partagé de beaux moments.
Andrew acquiesce et observe Susan. Cette dernière soutient le regard gris qui la fixe. Il ne peut s’empêcher de comparer cette femme à Grace. Elle semble avoir à peu près le même âge, mais elle est bien plus grande que sa défunte épouse, ses cheveux sont encore plus sombres et ses yeux, au lieu d’être deux gouttes d’eau limpide, sont deux perles noires. Elle a les yeux si sombres qu’il est difficile de voir la démarcation entre l’iris et la pupille, toutefois, son regard n’est pas dur, au contraire, il est emprunt de douceur et de bienveillance. Par son attitude fière, elle lui rappelle sa femme qui, elle non plus, ne baissait pas les yeux. Elle avait décidé qu’elle s’était soumise bien trop longtemps à la volonté de son père, de son rang et que plus jamais elle ne recommencerait.
Andrew sourit, un petit sourire d’excuse pour cet examen et appelle Lizzie :
— Viens dire au revoir à Miss Harington, ma chérie, il est tard, elle doit rentrer chez elle, il n’est pas plus prudent pour une femme de se promener seule dans les rues que pour une enfant.
Après un au revoir timide et protocolaire, Lizzie décide d’enlacer Susan en la remerciant pour la journée passée, puis une idée germe dans la tête de la fillette qui demande :
— Papa, si tu n’as pas trouvé de nouvelle gouvernante, Susan pourrait venir me garder demain, n’est-ce pas, Susan ?
Le regard implorant de l’enfant désarme totalement la jeune femme qui ne sait que répondre.
— Miss Harington n’est ni une gouvernante ni une baby-sitter, Lizzie, ce n’est pas poli comme re¬quête. Elle a déjà fait beaucoup pour toi, aujourd’hui.
— Désolée… murmure la fillette autant pour Susan que pour son père.
Andrew accompagne Susan jusque sur le perron afin de lui héler un cab garé au coin de la rue, il est bien trop tard pour rentrer à pied, même dans ce quartier.
Lorsque le cocher s’arrête devant la porte, avant de monter en voiture, la femme demande :
— Avez-vous une solution pour Lizzie ?
— Rien pour les après-midi, malheureusement, sou-pire le père, désemparé.
— Je viendrai m’occuper d’elle et je vais me renseigner sur les gouvernantes disponibles, annonce la jeune femme d’un ton sans appel.
Stupéfait, Andrew bégaie des remerciements. Il rentre totalement décontenancé par cette rencontre. Cette femme est si différente des autres mais aussi tellement différente de Grace.
Lizzie l’observe puis annonce :
— C’est une dame très gentille, je l’apprécie beau-coup… J’espère que je la reverrai un jour.
— Elle revient demain pour s’occuper de toi et tu as intérêt à te comporter parfaitement. Pas de caprice, pas de mots ou de remarques désagréables, pas de bouderie, c’est bien compris ?
Un grand sourire aux lèvres, la petite fille promet.
Après le départ de Susan, Lizzie se fait toute sage et adopte un comportement irréprochable. Elle joue à la perfection le morceau de piano que son père lui avait choisi et elle discerne un léger sourire sur ses lèvres qui lui fait chaud au cœur. Elle fait ensuite réchauffer le repas pendant qu’Andrew corrige ses exercices. Il cherche la petite bête mais ne trouve rien.
La soirée se déroule, finalement, dans une ambiance sereine et apaisée. La fillette est surprise et heureuse de constater que son père lui pose des questions à propos de Susan, la femme semble l’intriguer. Lizzie est ce-pendant incapable de répondre à la plupart des interrogations d’Andrew. Elle le sent perdu dans ses pensées et elle n’arrive pas à savoir s’il est préoccupé, inquiet ou rêveur. Pour sa part, la fillette redoute le lendemain, elle ne sait pas quelles consignes ont été données à Susan, ni comment la femme agira envers elle, mainte¬nant qu’elle sait qu’elle a désobéi à son père. Elle espère ne pas avoir perdu la complicité qui s’était instaurée entre elles.

*

Cette rencontre inespérée laisse Susan songeuse. Elle n’a pas osé aborder monsieur Wilson et lui dire à quel point son chant l’avait émue, retournée, obsédée, ce n’était vraiment pas le moment. Elle n’est finale¬ment plus certaine de retourner là-bas uniquement pour Lizzie. Elle voudrait revoir cet homme et discuter avec lui d’égal à égale. Elle se félicite alors d’avoir opté pour une robe très simple, en dessous de sa condition. Elle avait fait ce choix pour ne pas attirer l’attention ou l’hostilité des passants et, surtout, pour ne pas risquer d’être reconnue. Andrew Wilson semble, malgré tout, avoir cerné que son statut social était supérieur au sien, cependant, elle est presque certaine qu’il ne l’a pas démasquée, sinon, il l’aurait probablement congédiée, pensant qu’elle pourrait avoir une mauvaise influence sur sa fille.
Transbahutée dans le cab, elle ne cesse de penser au destin qui semble lui jouer des tours et se demande ce qu’il lui réserve cette fois. Elle doit, toutefois, être prudente, cela fait des années qu’il ne lui donne que de mauvais moments à vivre, ces deux jours ont été spéciaux grâce aux Wilson, mais elle ne doit pas baisser sa garde.
De retour dans son hôtel particulier de taille modeste, elle se change puis s’installe à table. Après les heures passées à observer Lizzie et à écouter ses confidences, ce moment lui semble trop calme, insipide, elle ressent toute la solitude de sa vie, pourtant, hier encore, cela ne lui pesait pas, bien au contraire, elle aime son indépendance. Toutefois, elle voudrait parfois la partager avec une amie, une sœur, un parent, mais elle n’a plus personne et, il faut bien l’avouer, elle a peur de lier de nouvelles amitiés, peur d’être trahie ou déçue. Avec son passé, elle se méfie de tout le monde.
Elle avait, un temps, pensé à quitter Londres et même l’Angleterre, mais elle aurait donné l’impression de fuir et elle ne voulait pas qu’on la pense lâche. Elle voulait aussi être un modèle pour les autres femmes, prouver que la vie pouvait continuer après le scandale. La vie poursuit effectivement son cours et elle a décidé de la mener différemment, elle ne supportait plus l’hypocrisie des gens qui l’entouraient. Elle se consacre maintenant aux autres et plus particulièrement aux démunis, au lieu d’arpenter les salons et les bals.
En allant se coucher, elle ressent de l’impatience. Elle voudrait déjà être le lendemain pour revoir la fa¬mille Wilson et apprendre à connaître ses membres.

Chapitre 5

Mercredi 22 décembre 1886

Susan passe la matinée à régler ses affaires. Elle donne ses consignes aux domestiques, supervise les achats, répond à son courrier et décline deux invitations. Comme si elle allait accepter de boire le thé chez cette pimbêche de Mrs Ashford. À part critiquer et ra¬baisser les gens, elle n’a aucune conversation. Cette gourde ne l’invite que pour susciter la curiosité de ses amies qui espèrent des anecdotes croustillantes.
Elle s’excuse ensuite auprès de Lady Clifford de ne pouvoir honorer son invitation et reporte leur rencontre à la semaine suivante. Elle apprécie la dame âgée qui, en vieillissant, se fait indulgente au point de regretter certains pans de sa vie. Veuve, elle est plus libre et s’investit davantage pour les droits des femmes et des plus pauvres. Elles œuvrent ensemble sur de nombreux points. Lady Clifford est la représentante noble, respectée pour son âge, son expérience et son passé sans tâches. Susan, elle, reste dans l’ombre, son nom ferait plus de mal que de bien aux causes qu’elle défend.
Elle demande ensuite à prendre son repas plus tôt qu’habituellement. La cuisinière s’affaire tandis que Susan se change. Elle opte à nouveau pour une robe de simple bourgeoise à la coupe banale et au tissu man¬quant de finesse.
Une fois son repas avalé, elle demande à ce qu’on lui appelle un cab et se dirige vers le quartier de Kensington. Monsieur Wilson a bien précisé la veille qu’il n’avait pas de solution de garde pour l’après midi, sans plus de détails sur l’horaire et elle ne lui a pas demandé.
Durant son absence, elle a chargé son intendante de trouver une gouvernante qualifiée, sans lui expliquer pourquoi. Cette dernière n’a même pas paru étonnée, elle a l’habitude de ses requêtes étranges.
Susan frappe à la porte des Wilson. Une femme âgée s’essuyant les mains sur un tablier marron, recouvrant une jupe de laine de même couleur vient lui ouvrir :
— Bonjour, je suis Susan Harington, la gouvernante temporaire de Miss Wilson.
La femme s’efface pour la laisser entrer puis elle demande :
— Vous avez déjeuné ?
— Oui, merci.
Gênée, la vieille femme se dandine d’un pied sur l’autre. C’est Lizzie qui vient à son secours :
— Bonjour Miss Harington, Madame Pike est mal à l’aise parce que Jill m’interdisait de manger à la cuisine. Elle dressait la table à la salle à manger et elle observait mes moindres gestes. Mais j’adore manger à la cuisine en compagnie de madame Pike, elle me ra¬conte plein d’histoires sur ma maman.
Susan sourit et demande :
— Je vous dérange en plein repas ?
La fillette acquiesce d’un mouvement de tête.
— Retournez manger, je vous attends au salon, faites comme si je n’étais pas encore arrivée.
Tandis que Lizzie tire la vieille dame vers la cuisine en poursuivant ses babillages, Madame Pike se détend enfin et offre un sourire reconnaissant à la jeune femme,
Susan est curieuse et ne peut se résoudre à rester assise au salon, elle s’approche silencieusement de la cuisine et espionne la conversation. Elle n’est pas vrai-ment fière d’elle, mais la cuisinière et l’enfant parlent fort, leur discussion n’a rien de secret.
Ann Pike évoque des moments de tendresse et de complicité entre Lizzie et sa mère ainsi que dans le couple Wilson, des images de bonheur envahissent l’imaginaire de Susan. Elle aurait aimé vivre cette vie simple et douce qu’elle n’a pas eu la chance de connaître ni dans son enfance ni plus tard. Elle com¬prend le chagrin de Lizzie, la perte énorme qu’elle doit ressentir, cependant, la fillette n’est pas consciente de la chance qu’elle a : il est évident que son père l’adore et fait tout pour la rendre heureuse et lui donner les meilleures chances dans la vie, toutefois, comme Lizzie, Susan aimerait pouvoir lever le voile de tristesse qui trouble son regard.
Lorsque Susan perçoit les bruits des assiettes qui s’entrechoquent, caractéristique de la fin du repas, elle retourne au salon et s’assoit dans un fauteuil. Elle détaille la pièce où des photos s’étalent sur un buffet, des portraits d’une famille heureuse : mariage, naissance… Il doit y avoir une photo par an car on peut suivre la poussée de la petite fille. Toutefois, ces clichés sont déjà anciens, Lizzie n’avait pas plus de 5 ou 6 ans sur le dernier. Les photos, comme la vie, se sont figées à la mort de Grace.
Elle ne peut s’empêcher de détailler la jeune maman, cette femme tant aimée qu’elle jalouse sans même l’avoir connue. Elle devait être une femme extraordinaire. Elle porte des vêtements simples, confectionnés maison, avec goût. Ses cheveux s’échappent de son chignon, lui donnant un petit air rebelle. Ses traits fins et son regard clair lui rappellent quelqu’un sans qu’elle n’arrive à se souvenir qui…
Lizzie fait irruption dans son dos alors qu’elle est penchée sur les cadres.
— Elle est belle, n’est-ce pas ? C’est ma maman ! annonce fièrement l’enfant.
— Elle est effectivement très belle, tu as hérité de sa beauté et de sa douceur.
— Et de son caractère de mule, d’après Jill.
— Tu as aussi le talent de ton papa.
La journée se poursuit en douceur, Lizzie fait d’abord ses devoirs d’expression, de mathématiques et de langue, puis, avant que le froid ne soit trop vif, Susan propose d’aller faire une petite promenade dans Hyde Park. La fillette est ravie de s’aérer un peu et bien plus encore lorsque Susan lui propose de nourrir les écureuils avec une partie du goûter qu’elles ont emporté. Lizzie se laisse griser par sa joie et se met à courir après les pigeons en riant, sans déclencher un scandale. Elle remercie sa gouvernante du jour pour cette belle promenade qui n’avait rien en commun avec celles organisées par Jill.
Susan est heureuse de voir sourire Lizzie, de lui permettre d’oublier un instant le manque de sa mère et elle aimerait parvenir à faire la même chose avec Andrew.
De retour au domicile des Wilson, Lizzie travaille sa musique. Aujourd’hui, ce n’est pas le piano mais la flûte traversière que pratique l’enfant avec une douceur et une virtuosité hors du commun.
Comme la veille, Andrew réussit à se libérer un peu plus tôt. Cette fois, il sait que Lizzie est prise en charge mais il ne veut pas abuser de la gentillesse de Mrs Harington. Ils n’ont même pas parlé rémunération et il ne sait pas comment aborder le sujet. Tout dans l’attitude de cette femme lui fait dire qu’elle est d’un rang bien supérieur à celui qu’elle essaie de paraître.
Lorsqu’il passe la porte, Lizzie et Susan sont absorbées par leur ouvrage de broderie. Il observe sa fille souriante et concentrée, sa langue apparaissant au coin de ses lèvres prouve son implication. Elle est magnifique. Ses cheveux clairs et ses yeux bleus sont un contraste parfait avec Susan qui la guide et la conseille avec patience.
Jill laissait Lizzie faire la broderie seule, le soir, et défaisait le tout le lendemain car ce n’était pas parfait. Andrew voyait sa fille se décourager sans pouvoir l’ai-der et ce tableau l’apaise. Son enfant semble heureuse. Il n’y a pas de cris, pas de bouderie, pas de reproches, finalement, le départ de Jill est peut-être une bonne chose. Elle était trop stricte, il s’en veut car c’est lui qui l’avait recrutée et choisie justement pour son niveau d’exigence.
Quand Lizzie découvre la présence de son père, elle délaisse son aiguille pour se jeter dans ses bras et lui raconter avec enthousiasme sa journée. De son côté, Susan sécurise son fil et range son outil à broder puis fait de même avec celui de son élève du jour. Elle agit silencieusement, ne voulant pas troubler les retrouvailles du père et sa fille. Peu à peu, l’excitation de Lizzie s’estompe, elle a raconté tous les moments forts de sa journée en détaillant particulièrement le repas des écureuils qui s’aventuraient à venir grignoter jusque dans le creux de sa main, sans crainte.
Avec un sourire et un léger pincement au cœur, Susan prend congé. Andrew lui emboîte le pas et la raccompagne. Il en profite pour la remercier :
— Cela faisait longtemps que je n’avais pas vu Lizzie aussi heureuse, elle vous apprécie beaucoup et je ne sais comment vous remercier… Nous n’avons pas parlé de vos gages… j’ai peur de vous offenser en le faisant, pourtant, ce serait juste. Vous ne savez pas combien savoir ma fille entre de bonnes mains me rassure.
— Je passe aussi de très beaux moments avec Lizzie, c’est ma récompense. Ce n’est pas, pour moi, un travail mais un plaisir. Cependant, si vous souhaitez me remercier, j’aimerais vous entendre chanter en¬semble un jour. Vous avez une voix qui déclenche telle¬ment de sensations, elle est si profonde, si vibrante et Lizzie a une voix d’ange…
Surpris, Andrew accepte et Susan se sent obligée de préciser :
— Votre troupe est venue chanter devant mon domicile, vous avez fait un solo qui m’a bouleversée… je n’ai jamais entendu de plus beaux Christmas carols.
— Merci Miss Harington.
Dehors, le froid s’est encore intensifié et tout est gelé. Susan frissonne, elle se presse vers le cab et glisse alors qu’elle rejoint la route. Elle se sent partir et s’imagine déjà à terre lorsqu’une main se referme puissamment sur son poignet, tandis qu’un bras s’enroule autour de sa taille. Andrew Wilson l’a rattrapée et la serre contre lui. La jeune femme se rend alors compte qu’il est bien plus grand qu’elle et que son corps est puissant malgré sa carrure plutôt svelte. Cette proximité trouble Susan. Tout chez cet homme la trouble et l’interpelle.
Lorsque leurs regards se croisent, elle sent le rose lui monter aux joues et espère que sous la faible lueur des réverbères à gaz, l’homme qui l’enlace encore ne peut le remarquer. Une fois bien stabilisée, Susan remercie Andrew d’une voix, à la fois faible et rauque, qu’elle ne reconnaît pas. Lorsqu’il s’écarte d’elle, un froid glacial s’empare de son corps, un froid si vif qu’elle grelotte de plus belle, toutefois, il ne lui lâche pas la main. Il la soutient ainsi jusqu’à ce qu’elle soit installée dans la voiture.
Elle l’informe alors :
— Une de mes amies se renseigne pour trouver une gouvernante, mais tant que vous n’aurez personne, je viendrai m’occuper de Lizzie.
— C’est très gentil à vous, je vous en serai éternelle-ment reconnaissant. J’espère ne pas vous solliciter trop longtemps et trouver rapidement quelqu’un.
Il la salue alors avec son chapeau et, sur ce signal, le cocher fouette le cheval qui se met en mouvement.
Dans le cab, à l’abri des regards, Susan se laisse aller, les yeux clos, un sourire sur les lèvres. Elle sent encore les bras puissants d’Andrew la retenir, son corps contre le sien, ses yeux gris plongés dans les siens. Elle revit la scène encore et encore et, peu à peu, son sourire s’efface, rien sur le visage de l’homme ne laissait trans¬paraître un trouble dû à leur proximité. Il lui a juste épargné de se faire mal en plus de se ridiculiser.
Enfin allongé dans son lit après une journée harassante, Andrew n’arrive pas à chasser Susan de son esprit. Cette femme l’intrigue, il se demande qui elle est, quelle est sa véritable condition sociale et pourquoi elle joue à la gouvernante avec tant de plaisir. Que cherche-t-elle à prouver ou à fuir ? Bien qu’il ne veuille pas se l’avouer, si cette femme trotte encore dans sa tête et entrave son sommeil, c’est parce que son contact l’a troublé, faisant resurgir des sensations qu’il avait oubliées : la chaleur d’un corps, la douceur d’un regard, la finesse d’une main.
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